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02/01/2014

Voici mille cris divers qui de toute part retentissent autour de moi : j’habite juste au-dessus d’un bain...

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« Je veux mourir, si le silence est aussi nécessaire qu’on le croit à qui s’isole pour étudier. Voici mille cris divers qui de toute part retentissent autour de moi : j’habite juste au-dessus d’un bain. Imagine tout ce que le gosier humain peut produite de sons antipathiques à l’oreille : quand des forts du gymnase s’escriment et battent l’air de leurs bras chargés de plomb, qu’ils soient ou qu’ils feignent d’être à bout de forces, je les entends geindre ; et chaque fois que leur souffle longtemps retenu s’échappe, c’est une respiration sifflante et saccadée, du mode le plus aigu. (…)
Mais qu’un joueur de paume survienne et se mette à compter les points, c’en est fait. Ajoutes-y un querelleur, un filou pris sur le fait, un chanteur qui trouve que dans le bain sa voix a plus de charme, puis encore ceux qui font rejaillir avec fracas l’eau du bassin où ils s’élancent. Outre ces gens dont les éclats de voix, à défaut d’autre mérite, sont du moins naturels, figure-toi l’épileur qui, pour mieux provoquer l’attention, pousse par intervalles son glapissement grêle, sans jamais se taire que quand il épile des aisselles et fait crier un patient à sa place. Puis les intonations diverses du pâtissier, du charcutier, du confiseur, de tous les brocanteurs de tavernes, ayant chacun certaine modulation toute spéciale pour annoncer leur marchandise. »

Sénèque, Lettre à Lucilius

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01/01/2014

J’eus l’impression de revenir avec l’âme de quelqu’un qui a parcouru un sentier dangereux

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« La cocaïne put être isolée vers 1860 dans le fameux institut de Wöhler, à Göttingen, l’une des boîtes de Pandore pour notre monde. Cette précipitation et cette concentration de matière hautement efficaces, à partir de substances organiques, traversent tout le XIXème siècle ; elles ont commencé par l’extraction de la morphine par un jeune homme de vingt ans, Sertürner (1806), qui développait ou, pour mieux dire, “déballait” ainsi le premier alcaloïde. Comme toujours, lorsqu’on s’approche du monde des Titans, la concentration et les radiations gagnent ici en force. Dans cette sphère apparaissent des vertus et des matières qui, certes, sont tirées de la Nature, mais sont trop violentes, trop véhémentes pour nos facultés naturelles de compréhension, de sorte que l’homme, s’il ne veut se détruire, doit chercher son salut dans une distance croissante et une prudence sans cesse accrue. Fermentation, distillation, précipitation et finalement extraction de matière irradiante, à partir d’une substance organique. C’est par elle que s’ouvre le XXème siècle : en 1903, découverte du radium et du polonium, en 1911, prix Nobel à M. et Mme Curie, pour avoir tiré le radium pur de quantités énormes de pechblende de Johannisthal. »

« Le nouveau style mondial s’assimile aussi la drogue et l’ivresse. Le grand fleuve des produits stimulants et des assoupissants continue à couler et même élargit et accélère son cours. La limite s’efface, près de laquelle ils servent, d’une part à la santé, de l’autre au plaisir, jusqu’au moment où ils sont devenus indispensables. Au sein du monde du travail et de ses tensions, beaucoup trouvent en eux une pâture pour leurs nerfs. On peut se faire une idée de cette consommation massive de drogues dans les usines à produits pharmaceutiques, devant les centrifugeuses, dont des cachets jaillissent en une succession rapide. Ils s’unissent en rivières multicolores qui, à leur tour, se ramifient jusque dans les villages et les foyers les plus lointains. Là encore, leur ambivalence se manifeste en ce que la chimie tâtonne constamment pour trouver la frontière à partir de laquelle le remède produit aussi des effets euphorisants. C’est là que la consommation devient énorme. Les tabous imposés par les lois traînent loin derrière. »

Ernst Jünger, Approches, drogues et ivresse

 

« -- Quand avez-vous décidé d’essayer concrètement cette nouvelle substance ?

-- En 1951, chez Hofmann à Bottmingen, un faubourg de Bâle. Pour parer à toute éventualité, Hofmann avait fait venir un de ces amis médecin. Ce fut une expérience harmonieuse, pleine de couleurs accompagnées par la musique transfigurée et amplifiée de Mozart. Je me souviens surtout de la spirale de fumée qui montait du bâtonnet d’encens allumé par Hofmann et qui ondoyait dans l’air - un souvenir que j’ai décrit dans Visite à Godenholm.

-- Quelles impressions avez-vous retirées de ces premiers “voyages” ?

-- A vrai dire, j’avais déjà essayé d’autres drogues, et en particulier, une fois, avec Klett, mon éditeur, j’avais expérimenté les effets d’une forte dose de mescaline. En comparaison, ma première expérience avec le LSD ne fut pas particulièrement intense, car aussi, par précaution, nous n’en avions absorbé qu’une quantité minime. Mais mon impression changea au cours des fois suivantes, qui furent d’une intensité croissante. Le dernier voyage avec Hofmann, nous le fîmes chez lui, en février 1970, toujours au son de la musique de Mozart, un concerto pour flûte et harpe. Ce fut une altération très profonde de notre conscience, dont, je m’en souviens, j’eus l’impression de revenir avec l’âme de quelqu’un qui a parcouru un sentier dangereux.»

Ernst Jünger, Les prochains Titans

 

Ernst Jünger

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Europe

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"Les hommes d'Europe, abandonnés aux ombres, se sont détournés du point fixe et rayonnant. Ils oublient le présent pour l'avenir, la proie des êtres pour la fumée de la puissance, la misère des banlieues pour une cité radieuse, la justice quotidienne pour une vraie terre promise. Ils désespèrent de la liberté des personnes et rêvent d'une étrange liberté de l'espèce ; refusent la mort solitaire, et appellent immortalité une prodigieuse agonie collective. Ils ne croient plus à ce qui est, au monde et à l'homme vivant ; le secret de l'Europe est qu'elle n'aime plus la vie."

Albert Camus (L"Homme Révolté")

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Les gens qui ont peur se jettent généralement dans le plaisir

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« Il va sans dire que pendant les semaines chaudes de la Révolution, on s’activa fort du côté du sexe. Les gens qui ont peur se jettent généralement dans le plaisir. Demain, on va mourir… Plus de réglementation. Les hommes au pouvoir ont d’autres chats à fouetter que celui des ménagères et des bourgeoises. D’ailleurs, toutes les anciennes lois royales sont abolies. La liberté du cul est proclamée avec les inconvénients sanitaires qu’on imagine. C’est la folie ! Les femmes portent des robes transparentes dont le haut a l’allure d’un présentoir. Les hommes ont des culottes moulantes. On voit ce qu’ils pensent. Alors, pris de panique, les membres du Directoire tentent de rétablir l’ordre et la vertu. En vain. »

Jean Chédaille, Court traité de maisonclosologie à l’usage des macs honoraires, des putes repenties, de ceux qui y sont allés, de ceux qui n’iront jamais

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31/12/2013

Corps-Violon

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« Cette métaphore : corps-violon est belle, même si, comparé au corps, le violon est lui-même mille fois simplifié, il reste quand même, dans l’ordre de l’harmonie poétique, une équivalence. Tous deux, violon et corps, sont conducteurs de musique. Tous deux sont en somme ces purs passages : "Ce n’est que corde sèche, bois sec, peau sèche, mais il en sort la voix du bien-aimé".

La construction d’un instrument comme le violon ne peut se réaliser que par la convergence d’un savoir multiple.

D’abord le bois. Le choix du bois. Le choix de l’arbre. Ce sera, m’a dit un luthier, un arbre qui poussera dans un vallon afin que son bois n’ait pas eu trop à lutter avec les vents et la tempête, juste ce qu’il faut d’oscillement, de balancement pour que sa fibre soit souple, délicate, mais point trop.

Puis les doigts du luthier vont en palper la qualité, en choisir un fragment. En permanence, tout ce qui va aboutir à cet objet, ce violon, va être à la fois de l’ordre du réel et de l’irréel, du savoir et de l’intuition, de la précision extrême et du somnambulisme. Déterminantes vont être les fibres dont seront formées les ouïes, les éclisses, le manche, la lame qui va soutenir la table supérieure et, lorsque enfin les cordes vont être tendues, il suffirait que le chevalet qui les supporte ait été déplacé d’un dixième de millimètre pour que le son en soit gâché. Du resserrement ou d’un desserrement minimal des chevilles qui tendent ces cordes va dépendre la qualité.

Et tout cela qui pourrait se décrire indéfiniment, toute cette kyrielle de gestes, de détails infimes qui aboutissent à l’œuvre "violon", qui pourrait encore être de l’ordre de la matière, la déborde de toute part.

Viennent maintenant l’archet et la main qui le guide vers la musique qui va jaillir. Tout cela n’est jusqu’à présent que prolégomènes de l’entrée en jeu : la main, le bras, l’épaule. N’est-ce pas plutôt l’oreille qui va faire jaillir la musique ? L’appel de l’oreille, la nostalgie de l’oreille à la percevoir ?

Que dire alors des longues années d’apprentissage ?

Ce n’est pas encore cela.

Plutôt la présence, l’inspiration de celui qui se tient là : qui va du forestier à l’ébéniste, de l’ébéniste au luthier, du luthier au professeur de violon, du professeur à l’élève doué, de l’élève doué au maître qui le guide, puis, un pas plus loin, au maître intérieur, au maître qui l’habite.

Et tout cela à l’infini.

Cheminement infini jusqu’à l’absence suprême, jusqu’à l’absence d’où va naître la musique qui va nous hanter, où tout va être aboli : tout ce qui a précédé l’instant où naîtra la vraie musique, cette musique qui ne va plus dès lors se jouer sur les cordes du violon, mais sur les fibres mêmes de notre être et de notre cœur ; cette longue chaîne phénoménale qui va aboutir à l’absence de tout phénomène et s’amenuiser jusqu’à n’être plus que l’absence lumineuse de toute écoute, de tout jeu, à la limite de toute musique. »

Christiane Singer, Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ?

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Une vie d'homme

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« Commence alors le long calvaire de l’ignorance : une vie d’homme.

Tout ce qui te rencontre dès lors, tu le prendras pour réalité absolue. Tous les grimages, tous les masques, toutes les mascarades de la société et ses valeurs, les règles de jeu, les brouillages, les compromissions, tout est dès lors monnaie comptante.

Le premier homme et la première femme rencontrés – père, mère – sont tes dieux et marquent ta cire encore molle d’empreintes indélébiles. Leurs blessures deviennent les tiennes.

Cent fois la biographie te happe, cent fois tu en réchappes, cent fois elle te reprend pour te moudre et te broyer.

Tu dis "ma femme, mon mari, mes enfants, mon chien, ma maison". Tu dis "mon boulot, ma brosse à dents".

Tu dis "mon foutu caractère, ma veine ou ma déveine, ma carte d’identité, mes habitudes". Tu le dis mais tu sens bien derrière ces phonèmes l’haleine du vide.

Tu sens bien que de tout cela tu n’as rien, que tu tâtonnes dans l’inconnu, les mains tendues, moites anxieuses. Tu te congnes à des coins de meuble dans des chambres inconnues.

Déjà tu ne reconnais plus rien de ce qui un instant plus tôt te paraissait familier, et c’est la peur au ventre, lancinante, qui te reste, bien familière, bien à toi… elle, oui, t’appartient. Elle est tapie dans le gargouillis des entrailles.La même qu’autrefois lorsque tu jouais à colin-maillard avec les enfants des voisins. Chaque fois que tu croyais tenir un pan de vêtement, on te le lâchait, vide entre les mains ; les rires t’égaraient, les frôlements t’appâtaient, les mains que tu croyais saisir te repoussaient, le tourbillon de l’épouvante grandissait, te vrillait dans un espace de plus en plus trompeur, étroit. Et quand même on finissait par t’ôter le bandeau pour que tu cesses au moins de pleurer, le monde que tu retrouvais était changé. Désormais tu n’avais plus confiance en lui, il t’avait révélé sa face croassante et grimaçante, sa gargouille.

Tu n’oublieras plus. La mauvaise mémoire prend grand soin des choses terribles et méchantes. Elle ne les rend plus, elle les conserve au vinaigre de la rancœur.

La biographie te tient longtemps lieux de vie – tu les confonds toutes les deux – et l’enfer de cette méprise barre le passage vers l’autre mémoire. Chaque souffrance neuve serre un tour de vis supplémentaire. L’invisible geôlier ricane.

Pourtant ton cœur est généreux. L’espoir te soulève, le désespoir l’écrase – mais la vie te jette d’une falaise à l’autre, de l’espoir au désespoir – et fracasse ton corps entre leurs rochers. Tantôt c’est l’espoir qui te saisit, l’espoir qu’il y a encore quelque chose à sauver et que tu vas y réussir. (…) Mais tout aussitôt c’est le ressac du désespoir qui te prend ! (...)

Etre plein d’espoir au cœur d’un désespoir total, appréhender l’unité parfaite de l’espoir et du désespoir ! Même la séparation que tu vis est inévitable, elle n’est pas pour autant l’unique réalité. Quand tu espères, tu es la part du monde qui espère, et quand tu désespères, tu es la part du monde qui désespère ! C’est tout.

La mémoire a des racines aériennes dans le passé, elle est vivante, imprévue. Elle ne tire pas en arrière, elle pousse en avant. Elle peut suinter partout où on ne l’attend pas.

Un jour, une saveur sur la langue, un lointain murmure, un trébuchement, un frôlement... Ce qui est certain, c’est que cela passe par le corps, par les sens, jamais par le savoir ou la volonté. Cela vient du fond des coulisses de la vie, de quelque coin empoussiéré, jamais visité, trop négligeable pour être exploré.

La vraie vie entre en catimini comme un voleur. Ni vu, ni connu.

Insaisissables. Voilà comment se réveillent la mémoire et la vie.

Imprévisibles !

Tu tires un fil et tu ne sais jamais ce que tu vas ramener à l’autre bout.

Tu cherches un timbre, une photo jaunie tombe entre tes mains, te voilà enseveli sous une avalanche de passé. »

Christiane Singer, Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ?

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Aussi, allons-y, baisons !

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« Et pourquoi suis-je allé m’enfiler dans une église le matin en question ? Parce que, en dépit de mon itinéraire de fornications, j’avais aussi mes moments de spleen et de vide. Et en dépit également de la véritable aversion que je nourris à l’égard des églises, des sectes et des institutions - à l’égard en particulier de l’église catholique qui a si bien, au long de son histoire et au nom de la figure rayonnante qu’est demeuré le Christ, pillé, trucidé, incendié villes et pays, ah ! j’ai toujours eu le sentiment que cela fait longtemps qu’entre celui-là, là-haut, et nous, pauvres humains, les liaisons ont été court-circuitées, tu demandes à parler à Sydney, en Australie, et on te passe Fouillis-les-Oies ou n’importe quel autre bled perdu du même acabit. Le Christ n’a jamais évidemment télécommandé ces turpitudes et assassinats, turpitudes, c’est nous qui le sommes, immonde et dévastatrice est notre nature, immonde est l’homme, immonde je suis, moi Crassus, et vous voulez que je vous dise ? Non, mieux vaut ne rien dire, immondes vous l’êtes vous aussi, nous le sommes tous, et je continue sur ce ton, je ne vais plus jamais pouvoir baiser. Or, baiser est bien tout ce qui bientôt, hommes et femmes, va nous rester.

Aussi, allons-y, baisons ! »

Hilda Hilst, Contes sarcastiques (Fragments érotiques)

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Aujourd’hui, tous les gens se disent écrivains

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« Aujourd’hui, néanmoins, tous les gens se disent écrivains. Et les autres ceux qui les lisent, trouvent également que ces imbéciles le sont. C’est une telle somme d’inepties en lettres d’imprimerie que je me suis dit : pourquoi n’écrirais-je pas aussi les miennes ? »

Hilda Hilst, Contes sarcastiques (Fragments érotiques)

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Il n’est nullement coupable de placer une manière de vivre ou de penser au-dessus de toutes les autres

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« On ne saurait ranger sous la même rubrique ou imputer automatiquement au même préjugé l’attitude d’individus ou de groupes que leur fidélité à certaines valeurs rend totalement ou partiellement insensibles à d’autres valeurs. Il n’est nullement coupable de placer une manière de vivre ou de penser au-dessus de toutes les autres et d’éprouver peu d’attirance envers tels ou tels dont le genre de vie, respectable en lui-même, s’éloigne par trop de celui auquel on est traditionnellement attaché. Cette incommunicabilité relative n’autorise certes pas à opprimer ou à détruire les valeurs qu’on rejette ou leurs représentants mais, maintenue dans ses limites, elle n’a rien de révoltant. Elle peut même représenter le prix à payer pour que les systèmes de valeurs de chaque famille spirituelle ou communauté se conversent et trouvent dans leur propre fonds des ressources nécessaires à leur renouvellement. »

Claude Lévi-Strauss, Race et Culture

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...mais l’imaginaire brûle par-dessous, comme de la tourbe mal éteinte...

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« Je tente de m’arracher à l’imaginaire amoureux, mais l’imaginaire brûle par-dessous, comme de la tourbe mal éteinte ; il s’embrase de nouveau ; ce qui était renoncé resurgit ; de la tombe mal fermée surgit un long cri. »

Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux

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30/12/2013

On oublie

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« Et il n’y avait rien à faire pour modifier cela. Le plus modeste des humains, exception faite, peut-être, de ceux qui vivaient dans les bas-fonds de la ruche des Poisses, possédait un persoc et un biomoniteur. Beaucoup avaient des implants, et tout cela restait branché en permanence sur la musique de l’infosphère, sous la surveillance de certains éléments de l’infosphère et sous la dépendance de certaines fonctions de l’infosphère. Les humains se résignaient donc à accepter l’absence de vie privée qui en résultait. Un jour, un artiste d’Espérance m’avait confié :


- Faire l’amour ou avoir un scène de ménage devant les moniteurs de la maison, c’est comme se déshabiller devant son chien ou son chat. On a un instant d’hésitation, la première fois, et puis on oublie. »

Dan Simmons, Hypérion tome 2, Cycle Les Cantos d’Hypérion

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Nous lisons, nous mourons seuls

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« Nous nous prenions pour des êtres supérieurs, qui ouvraient leurs perceptions, affûtaient leur empathie, répandaient le chaudron des souffrances communes sur la piste de danse du langage, puis essayaient de transformer le chaos de douleur en menuet. Quelle espèce d’importance, vraiment ? Nous ne sommes pas des avatars, nous ne sommes pas les fils des dieux ni des hommes. Nous sommes nous, un point c’est tout. Nous couchons seuls nos complaisances sur le papier, nous lisons, nous mourons seuls. »

Dan Simmons, Hypérion tome 2, Cycle Les Cantos d’Hypérion

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Il y avait des lois très strictes sur la protection des libertés individuelles, mais les lois ont la mauvaise habitude de s’effacer ou de se faire abroger...

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« Si notre société devait un jour opter pour une dictature à la George Orwell, le meilleur instrument d’oppression serait sans doute le sillage laissé par la carte bancaire. Dans une économie sans espèces, avec un marché noir de troc réduit à l’état de curiosité historique, les activités d’un individu pourraient être pistées en temps réel par la simple étude du sillage monétaire tracé par sa carte universelle. Il y avait des lois très strictes sur la protection des libertés individuelles, mais les lois ont la mauvaise habitude de s’effacer ou de se faire abroger chaque fois que la pression sociale se transforme en poussée totalitaire. »

Dan Simmons, Hypérion tome 2, Cycle Les Cantos d’Hypérion

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29/12/2013

Je ne tiens pas du tout à être aimé...

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« Plus on est haï, je trouve, plus on est tranquille... Ca simplifie beaucoup les choses, c’est plus la peine d’être poli, je ne tiens pas du tout à être aimé... »

Louis-Ferdinand Céline, Bagatelles pour un massacre

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Une seule incrédulité atteint les idoles et Dieu

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« Qu’on ne s’y trompe pas, et que personne par conséquent ne se réjouisse, ni d’un côté ni de l’autre. Le mouvement de dérépublicanisation de la France est profondément le même mouvement que le mouvement de sa déchristianisation. C’est ensemble un même, un seul mouvement profond de démystication. C’est du même mouvement profond, d’un seul mouvement, que ce peuple ne croit plus à la République et qu’il ne croit plus à Dieu, qu’il ne veut plus mener la vie républicaine, et qu’il ne veut plus mener la vie chrétienne, (qu’il en a assez), on pourrait presque dire qu’il ne veut plus croire aux idoles et qu’il ne veut plus croire au vrai Dieu. La même incrédulité, une seule incrédulité atteint les idoles et Dieu, atteint ensemble les faux dieux et le vrai Dieu, les dieux antiques, le Dieu nouveau, les dieux anciens et le Dieu des chrétiens. Une même stérilité dessèche la cité et la chrétienté. La cité politique et la cité chrétienne. La cité des hommes et la cité de Dieu. C’est proprement la stérilité moderne. Que nul donc ne se réjouisse, voyant le malheur qui arrive à l’ennemi, à l’adversaire, au voisin. Car le même malheur, la même stérilité lui arrive. Comme je l’ai mis tant de fois dans ces cahiers, du temps qu’on ne me lisait pas, le débat n’est pas proprement entre la République et la Monarchie, entre la République et la Royauté, surtout si on les considère comme des formes politiques, comme deux formes politiques, il n’est point seulement, il n’est point exactement entre l’ancien régime et le nouveau régime français, le monde moderne ne s’oppose pas seulement à l’ancien régime français, il s’oppose, il se contrarie à toutes les anciennes cultures ensemble, à tous les anciens régimes ensemble, à toutes les anciennes cités ensemble, à tout ce qui est culture, à tout ce qui est cité. C’est en effet la première fois dans l’histoire du monde que tout un monde vit et prospère, paraît prospérer contre toute culture. »

Charles Péguy, Notre Jeunesse

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28/12/2013

En ce temps-là, la France était par­cou­rue d’un grand fris­son human­i­taire...

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« En ce temps-là, la France était par­cou­rue d’un grand fris­son human­i­taire, tout au moins ses élites, qui tâchaient de faire oublier leur com­plai­sance coupable à l’époque du colo­nial­isme. La mode était à la critique des respon­s­ables des pays fraîche­ment décolonisés, lesquels étaient soit cor­rom­pus, soit incom­pé­tents, et le plus sou­vent les deux. On con­naît le refrain, toutes les “belles âmes” le repre­naient en chœur.

C’était l’heure où l’on pleu­rait sur le mal­heur des boat peo­ple, ce qui per­me­t­tait d’abandonner à leur sort les paysans de la piste Ho-Chi-Minh bom­bardés de pro­duits chim­iques et de napalm blanc. De leur côté, les riches ama­teurs occi­den­taux de pros­ti­tuées exo­tiques fai­saient la leçon aux dirigeants arabes sur la con­di­tion fémi­nine dans leurs pays. Quan­tité de péti­tions grandil­o­quentes cir­cu­laient, signées par de “nou­veaux philosophes” aussi tapageurs que fumeux. Mon égérie répé­tait à l’envie :

- Qu’attends-tu pour signer ces péti­tions et passer à la télé ?

– Ce sont des faux-culs, rétorquai-je, avec une las­si­tude nais­sante.

– Rai­son de plus, tu pour­ras les dénon­cer.

– A qui ? La presse est leur com­plice.

– Adhère à la Ligue des Droits de l’Homme.

– Leur prési­dent a la Légion d’honneur.

– Ce n’est pas un déshon­neur.

– Et comment !

A son air, je com­pris que nous cou­ri­ons à la cat­a­stro­phe. Le clash eut lieu le jour où elle me traîna dans un café branché où des politi­ciens et des star­lettes venaient “bruncher” dans une ambiance mondaine et fre­latée. J’y allai à recu­lons. La nour­ri­t­ure était des plus déplorables et le sourire mielleux de ceux qu’on n’appelait pas encore les bobos me glaça d’entrée le sang. »

Jacques Vergès, De mon pro­pre aveu

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Ô démocraties, vos maîtres sont des lâches...

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« O ! Bien sûr, vous pouvez réprouver ce langage. Il ne dépendrait que de moi d’en parler un autre, je crois vous l’avoir déjà dit. Celui-là me plaît, parce qu’il convient au sujet, ô démocraties.



Vos maîtres sont des lâches, cela ne vaut même plus la peine de l’écrire, cela se voit, cela se sent, il faudrait, pour l’exprimer, des mots qui font voir et sentir. Vos maîtres sont lâches. Mais il y a bien des espèces de lâchetés. Vos maîtres sont impuissants. Mais il y a bien des espèces d’impuissance. Celle de vos maîtres est la plus dangereuse. Ils ne sont pas incapables d’agir, ils ne vont pas jusqu’au bout de l’acte, ils avortent. Ils ont pris le goût d’avorter, ils avortent pour avorter. Ces malheureux laisseraient mettre le feu au monde, aux hommes, ils souffleraient même sur les braises en disant qu’ils ne le font pas exprès, qu’ils ont éternué malgré eux. Après quoi, ils sauteraient d’un pied sur l’autre, les yeux hors de la tête, parce que ce sont des types moraux qui préfèrent regarder les cochonneries comme ça, par hasard, parce qu’ils se trouvaient là, et en rentrant ils changent de chemise.



Je ne sais pas pourquoi ces considérations vous déplaisent. Il me déplaît bien plus encore de vous voir traiter vos maîtres comme s’ils étaient faits d’une autre matière que la vôtre. Lorsqu’un élève échoue régulièrement à ses examens, ses professeurs se demandent d’abord s’il est un imbécile ou un paresseux. Or, vos maîtres ne sont nullement des imbéciles, car les imbéciles deviennent rarement premiers ministres, et loin d’être paresseux, ils font preuve, jusqu’à  un âge avancé, d’une activité frénétique. Leurs insuccès doivent donc s’expliquer par une tare, je cherche cette tare, je ne crois pas à leur malchance. Un maître toujours malchanceux ne peut être qu’un maître indigne. Il n’y a pas cent manières d’être indigne. Il n’y a pas cent manières d’être taré. »

Georges Bernanos, Les enfants humiliés - journal 1939-1940

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Des ennemis...

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« Avoir des ennemis n’est pas un luxe, c’est une nécessité. »

Paul Morand, Éloge du repos

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27/12/2013

On se demande vraiment comment peuvent se former, chez ces favorisés du sort, de telles provisions de haine

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« L’intolérance jacobine se répand tellement que les gouvernants eux-mêmes emploient sans scrupules les procédés les plus révolutionnaires à l’égard de leurs ennemis, persécutant avec violence, jusqu’à les dépouiller de leurs biens, les partis leur faisant la moindre opposition. Nos gouvernants se conduisent aujourd’hui comme les anciens conquérants. Le vaincu n’a rien à espérer du vainqueur.
Loin d’être spéciale aux classes populaires, l’intolérance s’observe donc également dans les classes dirigeantes. Michelet avait remarqué depuis longtemps que les violences des lettrés sont parfois plus intenses que celles du peuple. Sans doute ils ne brisent pas les réverbères, mais sont facilement disposés à faire casser les têtes. Les pires violences de la Révolution furent commises par des bourgeois lettrés, professeurs, avocats, etc., possesseurs de cette instruction classique que l’on suppose adoucir les moeurs.
Elle ne les a pas plus adoucies aujourd’hui qu’à cette époque. On s’en rend compte en parcourant ces journaux avancés dont les rédacteurs se recrutent surtout parmi des professeurs de l’Université. Leurs livres sont aussi violents que leurs articles et l’on se demande vraiment comment peuvent se former, chez ces favorisés du sort, de telles provisions de haine. On les croirait difficilement s’ils assuraient qu’un intense besoin d’altruisme les dévore. On admettra plus aisément, qu’à côté d’une mentalité religieuse étroite, l’espoir d’être remarqués par les puissants du jour, ou de se créer une popularité productive, sont les seules explications possibles des violences affichées dans leurs écrits de propagande. (...)
La religion jacobine — surtout sous sa forme socialiste — a sur les esprits de faible envergure toute la puissance des anciens dieux. Aveuglés par leur foi ils croient avoir la raison pour guide et sont dirigés uniquement par leurs passions et leurs rêves. L’évolution des idées démocratiques a donc entraîné, en dehors des actions politiques déjà marquées, des conséquences considérables sur la mentalité des hommes modernes. Si les anciens dogmes religieux ont épuisé depuis longtemps leur contenu, les théories démocratiques sont loin d’avoir épuisé le leur et nous en voyons chaque jour s’étendre la floraison. Une des principales a été la haine générale des supériorités. Cette haine de ce qui dépasse le niveau moyen, par la situation sociale, la fortune ou l’intelligence est générale aujourd’hui dans toutes les classes, de l’ouvrier aux couches les plus élevées de la bourgeoisie. »

Gustave Le Bon, La Révolution française et la Psychologie des révolutions

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Quand le Rien affleure dans les signes, quand le Néant émerge au coeur même du système de signes, ça, c’est l’événement fondamental de l’art...

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« L’art jouant de sa propre disparition et de celle de son objet, c’était encore un grand oeuvre. Mais l’art jouant à se recycler indéfiniment en faisant main basse sur la réalité ? Or la majeure partie de l’art contemporain s’emploie exactement à cela : à s’approprier la banalité, le déchet, la médiocrité comme valeur et comme idéologie. Dans ces innombrables installations, performances, il n’y a qu’un jeu de compromis avec l’état des choses, en même temps qu’avec toutes les formes passées de l’histoire de l’art. Un aveu d’inoriginalité, de banalité et de nullité, érigé en valeur, voire en jouissance esthétique perverse. Bien sûr, toute cette médiocrité prétend se sublimer en passant au niveau second et ironique de l’art. Mais c’est tout aussi nul et insignifiant au niveau second qu’au premier. Le passage au niveau esthétique ne sauve rien, bien au contraire : c’est une médiocrité à la puissance deux. Ça prétend être nul : “Je suis nul ! Je suis nul !” ­et c’est vraiment nul.

Toute la duplicité de l’art contemporain est là : revendiquer la nullité, l’insignifiance, le non-sens, viser la nullité alors qu’on est déjà nul. Viser le non-sens alors qu’on est déjà insignifiant. Prétendre à la superficialité en des termes superficiels. Or la nullité est une qualité secrète qui ne saurait être revendiquée par n’importe qui. L’insignifiance ­ la vraie, le défi victorieux au sens, le dénuement du sens, l’art de la disparition du sens­ est une qualité exceptionnelle de quelques oeuvres rares, et qui n’y prétendent jamais. Il y a une forme initiatique de la nullité, comme il y a une forme initiatique du rien, ou une forme initiatique du Mal. Et puis, il y a le délit d’initié, les faussaires de la nullité, le snobisme de la nullité, de tous ceux qui prostituent le Rien à la valeur, qui prostituent le Mal à des fins utiles. Il ne faut pas laisser faire les faussaires. Quand le Rien affleure dans les signes, quand le Néant émerge au coeur même du système de signes, ça, c’est l’événement fondamental de l’art. C’est proprement l’opération poétique que de faire surgir le Rien à la puissance du signe ­ non pas la banalité ou l’indifférence du réel, mais l’illusion radicale. Ainsi Warhol est vraiment nul, en ce sens qu’il réintroduit le néant au coeur de l’image. Il fait de la nullité et de l’insignifiance un événement qu’il transforme en une stratégie fatale de l’image »

Jean Baudrillard, Le Complot de l’Art

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26/12/2013

Il n’y a plus de vertu dans mon âme. Cassez-vous !

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« Quand je vois quelqu'un, j’ai envie de lui taper sur la gueule. C’est si bon de taper sur la gueule de quelqu'un !

Je suis assis dans ma chambre et je ne fais rien.

Quelqu'un vient me rendre visite ; il frappe à ma porte.

Je dis : "Entrez !" Il entre et dit : "Bonjour ! Quelle chance de vous trouver à la maison !" Et moi, pan sur la gueule, et encore un coup de botte dans le périnée. Une douleur épouvantable fait tomber mon hôte à la renverse. Et moi, je lui écrase les yeux à coup de talon ! Vous n’avez rien à traîner par là, pour dire, quand on ne vous a pas invité !

Ou encore comme ça : je propose à mon hôte une tasse de thé. L’hôte accepte, s’assied à la table et boit son thé en racontant quelque chose. Je fais mine de l’écouter avec un grand intérêt, acquiesce de la tête, m’exclame, fais des yeux étonnés et rigole. L’hôte, flatté par mon attention, s’emballe de plus en plus. Je lui verse tranquillement une tasse pleine et lui asperge la gueule d’eau bouillante. L’hôte saute sur ses pieds et se prend le visage dans les mains. Et moi, je lui dis : "Il n’y a plus de vertu dans mon âme. Cassez-vous !" Et je pousse mon hôte dehors. »

Daniil Harms, C'est tout

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Le malheur vous donne droit à des récompenses

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« Et voilà ce que cache votre credo, l'autre facette de votre moral à double tranchant : il est immoral de vivre de votre travail, mais moral de vivre du travail d'autrui ; immoral de consommer ce que vous avez produit, mais moral de consommer ce que les autres ont produit ; immoral de gagner quoi que ce soit, mais moral de voler. Les parasites justifient moralement l'existence de ceux qui produisent et l'existence des parasites est une fin en soi. C'est mal de profiter de votre accomplissement, mais bien de profiter du sacrifice d'autrui. C'est mal de construire votre bonheur, mais bien d'en jouir au prix du sang des autres.
Votre morale divise le genre humain en deux castes, condamnées à vivre selon des règles opposées: ceux qui peuvent tout désirer et ceux qui ne doivent rien désirer, les élus et les damnés, les cavaliers et les montures, les prédateurs et les proies. Et selon quel critère appartenez-vous à l'une de ces castes ? Quel est le mot de passe pour être admis dans l'élite ? C'est l'absence de valeurs.
Que vous réussissiez dans vos entreprises, et celui qui échoue dans les siennes devient votre esclave. Que votre échec soit juste ou non, que vos désirs soient rationnels ou non, que votre malheur soit immérité ou le fruit de vos erreurs, le malheur vous donne droit à des récompenses. C'est la souffrance, quelles que soient la nature et ses causes, la souffrance érigée en absolu primordial, qui vous donne une hypothèque sur ce qui existe. »

Ayn Rand, La Grève

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25/12/2013

Il me plaisait de concevoir un peuple gouverné par des bègues et des sourds, et autres joyeux paradoxes

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« Notre équipe se renouvelait peu à peu par l'arrivée de recrues plus jeunes. Parmi lesquelles il se trouva un bègue, bon et brave soldat, qui chantait très bien et sans bégayer, mais qui avait les idées d'un bègue. La peine qu'il avait à pousser ses opinions le détournait de les changer. Je compris alors quelque chose de l'orateur, et je me rappelai que, même dans Jaurès, j'avais surpris quelques mouvements d'un bègue supérieur, qui soulèverait ses phrases comme des montagnes. L'explosion fait persuasion. Je l'observai très bien chez mon bègue, qui transformait les lieux communs en projectiles.

Ainsi, dans nos entretiens assez libres, il ramenait tout le dogmatisme, par les accents impérieux de l'extrême timidité. Par exemple il soutenait, et toujours colériquement, que tout est guerre, que la lutte pour le salaire est guerre, que toute rivalité est guerre, et qu'ainsi la guerre sera toujours. J'avais dénoué cent fois ce sophisme, en montrant que le ressort des guerres n'était pas tant l'intérêt que l'honneur ; chose bien aisée à comprendre pour des hommes qui présentement risquaient tout, avec une faible chance de gagner, et de gagner fort peu. Mais jamais je ne pus embarrasser ce bègue ; il avait bien assez de difficultés avec ses organes parleurs ; et même, comme il répétait fortement les mêmes choses, il persuadait les autres comme à coups de marteau. Le bègue régnerait donc sur les pensées.

Le sourd a le même genre de puissance. Il me plaisait de concevoir un peuple gouverné par des bègues et des sourds, et autres joyeux paradoxes. J'avais écrit, selon ce mouvement satirique, un ouvrage qui a pour titre « Le Roi Pot », et qui est resté inachevé ; j'y ajoutai en ce temps-là quelques chapitres. Je suis doué à miracle pour ce genre de plaisanterie énorme et fondé sur une idée juste. Malheureusement, parmi les qualités de l'homme de lettres, il m'en manque une, qui est l'ambition. Je suis aisément content, je fais mon métier, et j'écris les réflexions de mon métier ; ma pointe de fantaisie les sauve, et je me trouve homme de lettres sans l'avoir voulu. »

Alain, Souvenirs de guerre

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On étouffe le prisonnier

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« On s'exerce à durcir son coeur, on se cache de la pitié, de peur qu'elle ne ressemble à la faiblesse ; on se fait effort pour dissimuler le sentiment divin de la compassion, sans songer qu'à force d'enfermer un bon sentiment on étouffe le prisonnier. »

Roger Nimier, Servitude et grandeur militaires

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24/12/2013

Regards qui ont vu le bien et le mal

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« Compagnons inconnus, vieux frères, nous arriverons ensemble, un jour, aux portes de Royaume de Dieu. Troupe fourbue, troupe harassée, blanche de la poussière de nos routes, chers visages durs dont je n’ai pas su essuyer la sueur, regards qui ont vu le bien et le mal, rempli leur tâche, assumé la vie et la mort, ô regards qui ne se sont jamais rendus ! Ainsi vous retrouverai-je, vieux frères. Tels que mon enfance vous a rêvés. Car j’étais parti à votre rencontre, j’accourais vers vous. Au premier détour, j’aurais vu rougir les feux de vos éternels bivouacs. Mon enfance n’appartenait qu’à vous. Peut-être, un certain jour, un jour que je sais, ai-je été digne de prendre la tête de votre troupe inflexible. Dieu veuille que je ne revoie jamais les chemins où j’ai perdu vos traces, à l’heure où l’adolescence étend ses ombres, où le suc de la mort, le long des veines, vient se mêler au sang du coeur ! Chemins du pays d’Artois, à l’extrême automne, fauves et odorants comme des bêtes, sentiers pourrissants sous la pluie de novembre, grandes chevauchées des nuages, rumeurs du ciel, eaux mortes… J’arrivais, je poussais la grille, j’approchais du feu mes bottes rougies par l’averse. L’aube venait bien avant que fussent rentrés dans le silence de l’âme, dans ses profonds repaires, les personnages fabuleux encore à peine formés, embryons sans membres, Mouchette et Donissan, Cénabre, Chantal, et vous, vous seul de mes créatures dont j’ai cru parfois distinguer le visage, mais à qui je n’ai pas osé donner de nom — cher curé d’un Ambricourt imaginaire. Etiez-vous alors mes maîtres ? Aujourd’hui même, l’êtes-vous ? Oh ! je sais bien ce qu’a de vain ce retour vers le passé. »

Georges Bernanos, Les Grands Cimetières sous la Lune

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