08/09/2013
Un atome peut tout dissoudre
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« Rien n'est indifférent, rien n'est impuissant dans l'univers ; un atome peut tout dissoudre, un atome peut tout sauver ! »
« Notre passé et notre avenir sont solidaires. Nous vivons dans notre race et notre race vit en nous. »
Gerard de Nerval, Aurélia
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Le monde nous échappe puisqu’il redevient lui-même
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« Au fond de toute beauté gît quelque chose d’inhumain et ces collines, la douceur du ciel, ces dessins d’arbres, voici qu’à la minute même, ils perdent le sens illusoire dont nous les revêtions, désormais plus lointains qu’un paradis perdu. L’hostilité primitive du monde, à travers les millénaires, remonte vers nous. Pour une seconde, nous ne le comprenons plus puisque pendant des siècles nous n’avons compris en lui que les figures et les dessins que préalablement nous y mettions, puisque désormais les forces nous manquent pour user de cet artifice. Le monde nous échappe puisqu’il redevient lui-même. Ces décors masqués par l’habitude redeviennent ce qu’ils sont. Ils s’éloignent de nous. De même qu’il est des jours où, sous le visage familier d’une femme, on retrouve comme une étrangère celle qu’on avait aimée il y a des mois ou des années, peut-être allons-nous désirer même ce qui nous rend soudain si seuls. Mais le temps n’est pas encore venu. Une seule chose : cette épaisseur et cette étrangeté du monde, c’est l’absurde. »
Albert_Camus, Le Mythe de Sisyphe
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07/09/2013
Dedans la Bouche des Femmes
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« Le premier cigare que je vis, car, dans une existence, il faut bien que ce jour ait lieu, c’était dans la bouche de mon père, pour une fête. Chez lui, le quotidien supposait le tabac gris roulé en craquant dans une feuille Riz-la-Croix ; le dimanche, il fumait des cigarettes papier maïs qui n’en finissaient pas de s’éteindre et qu’il fallait sans cesse rallumer dans des nuages âcres ; l’exceptionnel, quant à lui, appelait le cigarillo, peu coûteux, ou le cigare, mais vraiment lors des occasions somptueuses. Or, dans l’armoire à linge dont le tiroir du bas recelait des souvenirs de famille — antiques photographies et boucle de mes cheveux à l’époque bénie de ma blondeur —, il y avait une boîte en carton, rouge — je sais que ce fabricant, dont je tairai le nom par charité, vend aussi sa marchandise dans un emboîtage vert —, où se délitaient deux ou trois cigares plus secs qu’après un siècle de désert.
Bien évidemment j’avais goûté le tabac gris en volant une bouffée aspirée au mégot abandonné de mon père ; de même, j’avais subtilisé des gitanes fumées au lavoir de mon village, en attendant, entre deux quintes de toux, le passage d’une jolie Parisienne en vacances. Ignorant que ces cigares renvoyaient à une date mémorable, j’en avais prélevé un que, sans les précautions d’usage, j’avais fumé jusqu’à la moelle, ne reculant pas devant les inhalations dignes d’un citadin en vacances heureux et fier d’atteindre le sommet d’une montagne. Pâlissant, verdissant, vomissant, j’avais conclu à la nécessité d’être adulte pour avoir droit à ces combustions si viriles… Je sus plus tard que le fatal objet provenait des reliefs du repas de mariage de mes parents. Donc, une relique à tous points de vue…
Le temps passa, et l’on m’initia, dans un restaurant de Bordeaux, où j’étais venu préfacer le catalogue d’une exposition d’art contemporain. J’avais une trentaine d’années. La nuit fut brumeuse, épaisse, lourde, chargée, animée de songes bruns. Une autre fois, ce fut un ami — je le croyais tel, et il traversa mon existence en comète, avant de percuter gravement ma lucidité — qui leva mes réticences. Je n’y voyais qu’une occasion d’élargir mes plaisirs, de les diversifier, d’agrandir l’espace des possibles voluptueux. J’ignorais alors qu’il me faudrait côtoyer la tribu de ceux qui fument le cigare moins par hédonisme bien compris que par désir de signer une appartenance sociale — celle des décideurs du sort des autres qui brûle son module avec la même désinvolture et la même jubilation que s’il s’agissait du Décalogue.
J’en vins, après avoir tué le père, et réussi à fumer des cigares plus dignes de ce nom que ceux de son mariage — réjouissez-vous, psychanalystes —, à découvrir et isoler mes modules de prédilection — lanceros de cohiba et especial n° 2 de Montecristo. De sorte que, seul, dans mes nuits d’insomnie, un armagnac à la main, lisant de la poésie, écoutant Scarlatti ou le Padre Soler, je déguste mon cigare en solipsiste, en moine hédoniste, méditant au rythme du temps consumé. Par ailleurs, lorsque je doit être à Paris, j’ai plaisir à finir ma soirée ou à entamer ma nuit à la Maison du Havane où j’accompagne mon cigare d’un cocktail cubain qui repousse les limites du petit matin.
C’est dans ce lieu que mon inconscient m’a rattrapé, comme un lièvre qui double son ombre, par le refus mental d’un cigare à la bouche d’une femme. Elle avait une quarantaine d’années, connaissait le cœur de l’homme à ses côtés, car elle arborait ses bijoux, elle était maquillée comme Baudelaire aurait aimé qu’on le fût et comme je l’aimais, elle riait, entre deux bouffées. Elle était belle, mais son gros module entre les lèvres me semblait obscène, inconvenant, malvenu. Du moins, difficilement justifiable en public.
Et puis la honte s’abattit sur moi, comme lorsqu’une fraction de seconde, un infime moment, mais qui confine toujours à l’éternité tant il nous salit, on se retrouve avec une réaction épidermique du côté des misogynes, des racistes, des sexistes, des machistes, et de tous ceux qui jubilent de la pulsion de mort qui les sature et déborde. En thuriféraire d’une genre d’apartheid fumeux, j’étais dans la peau d’un homme qui imaginait le cigare réservé aux hommes, interdit aux femmes. De quoi élargir plus encore le sourire du psychanalyste…
Après ce travail de l’instinct animal, dès l’épiderme de la bête sollicité, loin derrière la réaction viscérale et le tropisme inconscient, j’ai désiré la raison et le jugement, bien sûr, pour tâcher de comprendre. L’équation cigare-masculin, signe tribal et volupté homosexuelle — au sens étymologique et large —, voilà qui devait triompher ? Je n’avais aucunement l’intention de consentir à ces clichés. Alors ? Alors il faut bien demander à la psychanalyse de quoi fouiller les entrailles et le ventre des parts maudites en chacun pour tâcher d’y voir un peu plus clair. Jubilez, freudiens !
Nul besoin d’être grand clerc pour constater que le cigare concerne vivement et directement les plaisirs de la zone buccale dont Freud raconte le détail. Or, une femme qui fait la demande d’un cigare pour apprendre à le fumer s’entendra presque toujours rétorquer que les panatellas lui conviendront à ravir : en face du désir féminin d’accéder au monde du havane, les hommes ne consentent, a priori, qu’aux formes les plus fines, les plus courtes et les moins complexes. Peut-on plus clairement entraver un désir et contrecarrer, voire refréner la volonté de plaisir manifestée alors par les femmes ? Parvient-on mieux à mettre en évidence le souci castrateur masculin devant la demande féminine d’ouvrir un continent voluptueux ? Faut-il conclure, en analyste effectuant d’instructifs glissements, que devant l’aspiration féminine à découvrir des voluptés qu’elle ignore, il faut répondre virilement en limitant au maximum le volume de l’objet convoité ?
Le cigare comme phallus, donc. Vraisemblablement phallus de substitution, occasion de sublimation, telle que l’entend la psychanalyse — dérivation sur une pratique socialement acceptable de pulsions qui, sinon, sur le même terrain, relèvent de l’inacceptable. Va pour l’oralité des femmes quand elle suppose le goût pris à la parole, mais méfiance, sinon interdiction, dès que l’alcool — au-delà des liqueurs — ou autre chose que la cigarette — pipe ou cigare — fait l’objet d’investissements nettement revendiqués ! Allons pour les petits cigares, les cigarillos, les modules courts et fins, mais qu’elles ne s’avisent pas de désirer des churchills ou des lonsdales…
Dedans la bouche d’une femme, le gros cigare paraît obscène ou insupportable pour la référence aux sublimations de l’hédonisme oral, mais aussi parce qu’il montre une femme active, décidant et voulant la consumation. Elle ne subit pas, mais choisit. Entre ses lèvres, le cigare devient pur objet de volupté, elle objective et chosifie le phallus masculin — de quoi susciter la résistance masculine des inconscients les mieux trempés. S’emparant volontairement et délibérément d’un cigare, la femme lui impose ses rythmes, ses cadences, ses aspirations, ses succions. Là où les hommes célèbrent leur homosexualité tribale utile pour faire le monde comme il va, les femmes montrent une triple volonté de domination, de puissance et d’ascendant non dissimulé sur le réel. Dès lors, comment ne pas effrayer les hommes ?
De quoi relèverait donc la réaction épidermique qui associe d’évidence le cigare et le monde masculin ? D’une ancestrale crainte de castration parente du vagin denté cher au cœur des surréalistes. Dans la bouche des femmes, tout comme dans leur ventre, les hommes craignent depuis toujours de perdre leur identité, leur forme, leur intégrité. Ont-ils d’ailleurs tellement tort ? Je ne sais. Toujours est-il que, réconcilié avec moi-même, moins craintif et peureux de ces ombres qui m’avaient naguère surpris à la vue du cigare de cette passante que j’eusse aimée, je me suis immédiatement surpris à désirer ces femmes-là, celles qui revendiquent l’action, le pouvoir, la puissance, l’empire sur le réel, pour qu’enfin, à égalité, nous puissions combattre, comme le supposent les jeux amoureux, la séduction et la passion, l’érotisme et le désir, afin de découvrir, ensemble, le plaisir des existences incandescentes. »
Michel Onfray, Dedans la Bouche des Femmes, in L'Archipel des Comètes
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06/09/2013
Un pays pétri de mollesse bourgeoise
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« Montherlant, guerrier dans l'âme, se sent un exilé dans son propre pays pétri de mollesse bourgeoise. Il est, comme Nietzsche, un "unzeitgemäß", écoeuré par la déliquescence de la société de consommation, cette ère de l'abondance à laquelle il reproche, paradoxalement, de ne pas pourvoir aux besoins véritables de l'homme : "Un homme qui a une vitalité normale se sent, parmi les français, d'une autre espèce : il pense constamment au rebours d'eux, réagit autrement qu'eux, parce qu'il brûle plus et plus vite qu'eux... Vivant au ton de la France telle qu'elle devrait être, et telle qu'elle fut sans doute par à-coups, il se sent en France un exilé." (Montherlant, "L'Equinoxe de Septembre")
Le plus grand reproche qu'il fait à l'éducation française contemporaine est de manquer d'agressivité, d'enseigner l'idéal falot du "coeur sur la main" et de la "bonne action". Dans un passage connu de "Solstice de Juin", se gaussant de la chanson des Saint-Cyriens, "qui sont, ès qualités, le ' nec plus ultra ' de l'agressivité française", il regrette que les fameux casoars aux cheveux blancs ne flottent que "gentiment", au lieu de le faire "fièrement" ou "noblement", ou même, à la rigueur, "gaiement" : "Gentiment ! Mimi-mimi ! Ce côté cocu du caractère français n'est pas très agréable à observer (...) Depuis combien de temps la France est-elle élevée dans la haine et le mépris de la force ? ' En France, tout ce qui est un peu fort fait scandale ', écrivait déjà Stendhal !" (Montherlant, "Le Solstice de Juin")
C'est à propos de ces français petit-format qu'un Anglais de l'époque coloniale observe qu' "ils ne sont pas des gens avec lesquels on puisse aller à la chasse au tigre". (Montherlant, "L'Equinoxe de Septembre")
Montherlant méprise ouvertement et continuellement cette "nation petite-bourgeoise, et qui adore le petit". Car on y "demande pas à un homme d'avoir de la valeur, ou seulement d'être un caractère : on lui demande d'être sympathique. L'époque le demande : être sympathique, cela veut dire être coulant, se prêter aux combines, réussir". (Montherlant, "L'Equinoxe de Septembre")
On reconnaît bien là le Français moyen, pas celui de l'ère napoléonienne qui, nous dit Pierre Vial, "vivait au rythme des communiqués de la Grande Armée", mais celui de l'époque louis-philipparde (dont nous ne sommes pas sortis) qui vit "au rythme des cotations de bourse" (Pierre Vial, "L'Orléanisme n'est pas mort", in "Eléments n°: 44, Janvier 1983, pages 13-16). Son "style" c'est la "débrouille", les "trucs sympas" et l'attitude bonhomme qui permettent d'obtenir toutes sortes de gratifications en sus du menu ordinaire...
Il faut noter que Montherlant ne condamne pas cette attitude en soi : il ne propose autre chose (ce que ne fait pas le système éducatif français) qu'à ceux qui en sont capables et en éprouvent le besoin. Dans la "Lettre d'un Père à son Fils", il s'écrie : "Mais quoi ! N'avoir que des amis est une obligation de commerçant ; se faire des ennemis est une occupation d'aristocrate". (Montherlant, "Service inutile")
Il y aura, bien sûr, suffisamment de mamans bien intentionnées pour se récrier qu'on ne prêche pas ainsi aux jeunes l'amour de la mort. C'est juste, mais l'homme, lui, a autre chose à enseigner et à apprendre que le simple instinct de conservation. Dans "La Reine Morte", le roi Ferrante a ce mot : "Car les femmes disent toujours : ' Elever un enfant pour qu'il meure à la guerre ! ' Mais il y a pis encore : élever un enfant pour qu'il vive et se dégrade dans la vie". (Montherlant, "La Reine Morte")
La recherche de l'adversité (qui ne doit pas être confondu avec un tempérament irascible, une susceptibilité exagérée ou un amour vulgaire de la "bagarre") est une constante de l'oeuvre de Montherlant. L'un des principaux legs que nous ont transmis les Romains, précise-t-il, "est le sens, le goût, et comme ' l'attrait de l'adversité haute ', adversité qui finit par être le lot d'eux tous avec peu d'exceptions ; adolescent, je souhaitais presque l'adversité, ensemble pour la surmonter, pour y devenir pareil à eux, et parce qu'elle est encore une forme de bonheur, en vous forçant à accomplir plus d'humain..." (Montherlant, postface à "La Guerre Civile", citée dans "Nouvelle Ecole n°: 20, page 17)
Sur un ton comparable, Nietzsche a fustigé le "religion du coeur" et le "culte du bien-être" qui, obnubilés par un sentiment de piété aussi déplacé que bien intentionné, ignorent qu'il existe "une nécessité personnelle de malheur". Cette religion de la pitié méconnaît un trait fondamental de la psychologie, à savoir que bonheur et malheur grandissent ensemble ou restent petits ensemble. Et, nous déniant notre droit à la peur, aux privations, à la pauvreté, à la belle étoile, à l'evanture, aux risques, et aux méprises, on écarte de nous la possibilité de la joie de surmonter des obstacles, et de nous retrouver grandis de notre propre victoire.
Au lieu de la pitié ("Mitlied" = sym-pathie = con-doléance = com-passion), Nietzsche propose la "co-jubilation" ("Mitfreude"), la joie mutuelle qu'éprouvent les amis en apprenant leurs victoires respectives. (Nietzsche, "Le Gai Savoir")
Alain de Benoist, comme Montherlant, est lui aussi un héritier de Nietzsche dans cette quête des tensions et de l'adversité. Son douzième principe de "morale" est rédigé de la façon suivante : "Nietzsche : ' Qu'est-ce qui est noble ? -- Rechercher les situations où l'on a besoin d'attitudes. Abandonner le bonheur du grand nombre, ce bonheur qui est paix de l'âme, vertu, confort, mercantilisme à l'anglo-saxonne. Rechercher instinctivement les responsabilités lourdes. Savoir se faire partout des ennemis, au pis aller s'en faire un de soi-même". (Alain de Benoist, "Les idées à l'endroit")
La pitié, comme l'espérance, sont des solutions de facilité, des épanchements de coeurs perméables, incapables de se conserver entiers pour irriguer un grand dessein. Depuis l'antiquité les cultures indo-européennes ont été submergées par des marées d'ilotes et d'esclaves qui ont su profiter de cette terrible lacune, l'absence de coeurs durs, pour corrompre et amolir les empires qui étaient construits, précisément, sur une qualité d'hommes les excluant. C'est le sens de l'accusation portée par Montherlant contre la décadence dans "Le Treizième César" (1970) et "La Marée du Soir" (1972). C'est aussi le sens du terrible avertissement lancé par Jean Raspail dans son roman "Le Camp des Saints" (1971), où il dépeint un Occident lâche, succombant sous sa propre "morale", envahi par des peuples de couleur robustes et impitoyables. »
Jacques Marlaud, Chapitre "Montherlant : L'Être Homme", in "Le Renouveau païen dans la pensée française"
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J’admire au plus haut la naïveté sublime de cette foi
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« Je laisse aller ma chanson, en écrivant ces lignes, et rêve de François Pizarre, monstre de force brute devant l’infidèle et agneau devant son dieu. Il va mourir, tel César, percé de coups par des conspirateurs qui étaient ses amis. Il est seul et agonise comme une bête sur les dalles du palais mais, dans son cœur, il n’y a qu’un désespoir, il n’y a qu’une panique : il va mourir sans poser ses lèvres sur la croix que les hommes de Dieu tendent vers ceux qui s’en vont de ce monde. Que fait-il alors ? Il plonge sa main dans le sang qui coule de ses entrailles et, sur les dalles, toutes forces rassemblées, il trace une vaste croix de sang vers laquelle il rampe dans un dernier effort et sur laquelle il se couche. » Il meurt, apaisé, face contre le sol et crucifié sur cette rouge et divine souillure qu’il vient de tracer. J’admire au plus haut la naïveté sublime de cette foi. »
Jean Cau, Le Chevalier, la Mort et le Diable
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Notre impuissance à posséder la vie...
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« Si le signe de l'époque est la confusion, je vois à la base de cette confusion une rupture entre les choses, et les paroles, les idées, les signes qui en sont la représentation. On juge un civilisé à la façon dont il se comporte, et il pense comme il se comporte ; mais déjà sur le mot de civilisé il y a confusion ; pour tout le monde un civilisé cultivé est un homme renseigné sur des systèmes, et qui pense en systèmes, en formes, en signes, en représentations. Toutes nos idées sur la vie sont à reprendre à une époque où rien n'adhère plus à la vie. Et cette pénible scission est cause que les choses se vengent, et la poésie qui n'est plus en nous et que nous ne parvenons plus à retrouver dans les choses ressort, tout à coup, par le mauvais côté des choses ; et jamais on n'aura vu tant de crimes, dont la bizarrerie gratuite ne s'explique que par notre impuissance à posséder la vie. »
Antonin Artaud, Le Théâtre et son double
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05/09/2013
Vitalité du Capitalisme
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« Selon le mot célèbre, il est des morts qu'il faut qu'on tue. Et il y a aussi ces gens qu'un personnage de théâtre tuait et qui se portaient assez bien.
Tel est le cas du capitalisme. Avait-on assez annoncé qu'il se mourait, qu'il était mort ? "Vieillard, va-t-en donner mesure au fossoyeur." On le traitait comme un cadavre. On répétait le classique jam foetet "il pue déjà". Il y a peu de temps encore, dans un congrès socialiste, un orateur s'écria superbement : "Nous n'aurons même pas besoin de le renverser. Il tombe tout seul. Il s'éboule."
Au fond, cette idée était de celles que Karl Marx appelait avec mépris "petites bourgeoises". Elle se composait d'un mélange d'esprit catastrophique, de pessimisme et de panique. Elle était inspirée par la "crise". Tout le monde sait que le gros public, moutonnier, n'achète jamais en baisse. Il suffit qu'une valeur descende à la Bourse pour qu'il la croie perdue. Il croit bon tout ce qui monte. Il ne connaît pas de milieu entre la hausse illimitée et la chute verticale et sans remède.
Quand l'homme de la rue a vu fondre les bénéfices, diminuer ou disparaître les dividendes, il s'est naturellement imaginé que c'était fini, que la prospérité ne reviendrait jamais, que le système touchait à sa fin. Le capitaliste qui désespère de son titre n'est pas dans un état d'esprit différent de celui du socialiste qui attend "l'éboulement" et la "lutte finale".
Cependant, toutes les entreprises n'ont pas sombré. Tous les grands trusts ne se sont pas effondrés. Il y a des affaires qui ont tenu bon. Et même les cours remontent. Ils ont souvent doublé en un an. Le capitalisme n'est-il donc pas mort ? Non, petit bonhomme vit toujours.
Il n'en est pas à ses premières alertes. Qu'on le demande plutôt à ces "deux cents familles" que le Rassemblement populaire dénonce comme une puissance affreuse et féodale, sans d'ailleurs les désigner une par une. On le regrette. Ce serait bien mieux s'il les nommait. On verrait qu'il n'en est pas une seule, pourvu qu'elle soit un peu ancienne, qui n'ait connu dans son histoire des moments où elle a paru tout près de la ruine. Et, sans parler des disparues, les plus puissantes ont été parfois les plus menacées. Elles n'ont pas oublié qu'elles ont souvent tremblé sur leurs bases.
Le capitalisme ne "s'éboule" pas pour la raison qu"il s'est toujours éboulé. Il est fait d'une suite de destructions et de constructions. L'inimitable dandy, le Brummel de notre temps, Boni de Castellane, enseignait aux gens de son monde "l'art d'être pauvre". Il y a aussi un art non seulement d'être riche mais d'être capitaliste, art qui consiste à savoir d'abord que les richesses ne sont pas éternelles, qu'elles sont fragiles et ensuite qu'elles se reforment sans cesse, dans d'autres conditions, rarement d'ailleurs entre les mêmes mains.
Imaginez un peu ce que les contemporains de la révolution française ont pu penser de l'avenir du capitalisme. Si le mot, alors, n'était pas employé, la chose existait. Si les valeurs mobilières n'étaient ni aussi nombreuses ni aussi répandues qu'aujourd'hui, elles étaient fort loin d'être inconnues. La haute, moyenne et petite bourgeoisie vit s'entrouvrir l'abîme, lorsque furent anéanties ces actions de la Compagnie des Indes, qui figuraient, comme on dirait aujourd'hui, dans les portefeuilles les mieux composés. La modeste dot que Mme de Chateaubriand avait apportée à son illustre époux consistait en rentes sur le clergé qui passaient pour être d'une solidité à toute épreuve et qui étaient en effet supérieurement gagées. Seulement le gage s'évanouit et, un jour, le futur auteur des Mémoires d'outre-tombe reçut pour toute compensation un lot d'assignats, qu'il eût, par surcroît, le malheur d'oublier dans un fiacre.
Il y eut pourtant des affaires qui survécurent à la tourmente révolutionnaire et aux mesures, d'un communisme incontestable, qui furent prises alors. Saint-Gobain, qui remonte au XVIIème siècle, vit toujours, après des hauts et des bas. Cependant un officier d'artillerie, qui s'appelait Choderlos de Laclos, l'auteur fameux des Liaisons dangereuses, recommandait à sa femme, au cas où il viendrait à disparaître, de ne se défaire, sous aucun prétexte, de ses "charbons d'Anzin" dont il possédait des parts. Moraliste et psychologue, Laclos avait confiance dans l'avenir du capitalisme.
Ce sont des choses qu'on se rappelle avec un certain plaisir philosophique. Nous ne mentionnerons pas non plus sans une douce et paisible ironie qu'au début de ce siècle, un journal financier très sage, très pondéré, archibourgeois et archiprudent avait organisé un concours parmi ses lecteurs non moins graves que lui pour les inviter à désigner les deux meilleures valeurs du monde. La majorité des suffrages s'était portée sur l'action des Chemins de fer du Nord et sur l'action de la Banque de Paris et des Pays-Bas. Assurément ce n'est pas le résultat que le même genre de plébiscite donnerait aujourd'hui. Qui se hasarderait à décerner cette palme et à nommer le phénix des valeurs ?
Mais les valeurs mobilières sont comme les feuilles, les fleurs et les oiseaux. Elles tombent, s'envolent et renaissent. Elles sont aussi comme les livres et les chansons qui ont leur destin. Enfin, elles sont faites surtout pour les villes, où l'on oublie vite.
A la campagne, la mémoire est plus longue. L'expérience compte plus et profite mieux. Le capitalisme est un mot abstrait qui n'offre pas beaucoup de sens. On sait ce que c'est que la propriété sous sa forme la plus visible et la plus tangible qui est la propriété foncière, la seule que l'on croie vraiment solide. Pourtant, celle-là même qui est au "soleil", on la sait sujette aux fluctuations et aux accidents. Il est encore des vieillards qui se souviennent de la crise agricole de 1892-1893. Alors les terres se louaient à vil prix. Parfois elles étaient abandonnées. Les propriétaires purent se croire ruinés. Et les prétendants prenaient la fuite lorsqu'ils apprenaient que la dot consistait en fermes.
Il y a douze ou quinze ans, au moment du grand engouement pour la terre valeur réelle, les anciens, au fond des provinces, hochaient la tête. Ils disaient que ça ne durerait pas. Et ils n'imposaient à leurs fermiers que des baux raisonnables, ils refusaient de les mettre au coefficient 7 ou 5 en faisant cette prophétie : " A quoi cela nous servira-t-il, puisque ce sont des prix que, tôt ou tard, ils ne pourront pas payer ?"
Telle est la sagesse du capitalisme rural lequel est essentiellement traditionnel et modéré et, pour cela même, éternel. Il sait que les peupliers ne montent pas jusqu'au ciel, que les chênes ne plongent pas leurs racines jusqu'au centre de la terre, que rien ne va jamais ni de plus en plus ni de moins en moins, que les catastrophes sont souvent individuelles, bien rarement collectives et totales et que ceux qui les attendent ressemblent à ces hommes qui redoutaient l'an mil et s'abstenaient de fonder et de travailler, tandis que les plus sensés, au lieu de penser à la fin du monde, continuaient leurs petites affaires. »
Jacques Bainville, Paru le 10 février 1936, lendemain de sa mort, dans le journal "L'Eclair de Montpellier", cet article est le dernier de Jacques Bainville...
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04/09/2013
J'appelle classique ce qui est sain, et romantique ce qui est malade
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« J'appelle classique ce qui est sain, et romantique ce qui est malade. Ainsi les Nibelungen sont classiques comme l'est Homère : tous deux sont sains et forts. Si la plupart des oeuvres modernes sont romantiques, ce n'est pas parce qu'elles sont modernes, mais parce qu'elles sont faibles, informes et malades ; et si ce qui est antique est classique, ce n'est pas parce que c'est ancien, mais parce que c'est robuste, frais, joyeux et sain. En distinguant, selon ces caractères, le classique et le romantique, nous saurons à quoi nous en tenir. »
Johann Wolfgang von Goethe à J. P. Eckermann, 2 avril 1829 ; in "Conversations avec Goethe"
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Téléchargez en deux fichiers PDF le livre de J. P. Eckermann, "Conversations avec Goethe" via le site de Maxence Caron :
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L’expansion de l’Occident a aussi été facilitée par la supériorité de son organisation
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« L’expansion de l’Occident a aussi été facilitée par la supériorité de son organisation, de sa discipline, de l’entraînement de ses troupes, de ses armes, de ses moyens de transport, de sa logistique, de ses soins médicaux, tout cela étant la résultante de son leadership dans la révolution industrielle. L’Occident a vaincu le monde non parce que ses idées, ses valeurs, sa religion étaient supérieures (rares ont été les membres d’autres civilisations à se convertir), mais plutôt par sa supériorité à utiliser la violence organisée. Les Occidentaux l’oublient souvent, mais les non-Occidentaux jamais.
Les civilisations puissantes sont universelles : les civilisations faibles sont particularistes. La confiance en soi grandissante de l’Extrême-Orient a fait émerger un universalisme asiatique comparable à celui qui était caractéristique de l’Occident. "Les valeurs asiatiques sont des valeurs universelles. Les valeurs européennes sont des valeurs européennes" a déclaré le Premier ministre Mahatir aux chefs de gouvernement européens en 1996. Qui plus est, une sorte d’ "occidentalisme" asiatique dépeint l’Occident de la même façon, uniforme et négative, que l’orientalisme asiatique avait, naguère, de présenter l’Orient. Pour les Extrêmes-Orientaux, la prospérité économique est une preuve de supériorité morale. Si l’Inde supplante un jour l’Extrême-Orient comme zone connaissant le développement le plus rapide au monde, on débattra de la supériorité de la culture hindoue, de la contribution du système des castes au développement économique et du fait que c’est en retournant à ses racines et en abandonnant l’héritage occidental moribond laissé par l’impérialisme britannique que l’Inde a finalement réussi à trouver sa place parmi les civilisations majeures. L’affirmation culturelle suit la réussite matérielle : la puissance dure engendre la puissance douce. »
Samuel P. Huntington, Le Choc des civilisations
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03/09/2013
De grands yeux étonnés, qui ne cillaient pas en rencontrant les miens
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Hélie Denoix de Saint Marc, assis, le premier à droite...
« Je me souviens d’une nuit en pays thaï, après un parachutage. L’ennemi avait décroché au bout d’une journée de combat. Nous étions éreintés. Je n’avais pas dormi plus de quatre heures en trois jours. Je suis tombé dans un sommeil sans rêve ni réveil. Quand je suis revenu à moi, le matin s’était levé. Une légère brume tapissait le sol, à la hauteur du mauvais bat-flanc sur lequel j’avais dormi. Immobile, j’ai ouvert les yeux. Des enfants, à demi nus, se sont approchés de moi. Ils m’ont dévisagé, avec de grands yeux étonnés, qui ne cillaient pas en rencontrant les miens. Ils m’apportaient un bol de soupe. Derrière eux, un énorme buffle, sorti tout droit de la préhistoire, avançait lentement, dodelinant de la tête, dédaigneux, comme s’il inspectait son domaine personnel. La joie déferlait en moi, en ondes puissantes. Je ne pouvais pas la contrôler. J’avais l’impression de naître à nouveau. C’était une joie d’une force animale - et pourtant tellement humaine. Un nouveau jour se levait. J’avais failli ne jamais le connaître. On avait voulu me tuer. J’avais sans doute tué d’autres hommes. De l’autre côté de la montagne, des soldats pleuraient leurs camarades, tués par ma faute. Des vies, peut-être admirables, s’étaient arrêtées. Des familles étaient endeuillées pour toujours. L’horreur de la guerre était passée, à laquelle ni moi ni eux ne pouvions rien. La vie suivait son cours éternel, sans se soucier de nous. »
Hélie de Saint Marc, Les sentinelles du Soir
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02/09/2013
Il était mûr pour l'isolement
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« Tel qu'un ermite, il était mûr pour l'isolement, harassé par la vie, n'attendant plus rien d'elle ; tel qu'un moine aussi il était accablé d'une lassitude immense, d'un besoin de recueillement, d'un désir de ne plus rien avoir de commun avec les profanes qui étaient, pour lui, les utilitaires et les imbéciles.
En résumé, bien qu'il n'éprouvât aucune vocation pour l'état de grâce, il se sentait une réelle sympathie pour ces gens enfermés dans des monastères, persécutés par une haineuse société qui ne leur pardonne ni le juste mépris qu'ils ont pour elle, ni la volonté qu'ils affirment de racheter, d'expier, par un long silence, le dévergondage toujours croissant de ses conversations saugrenues ou niaises. »
Joris-Karl Huysmans, À rebours
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29/08/2013
Les tiroirs à double fond de la comédie humaine
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« J’ai compris en prison ce que pouvait être la vocation monastique, la contemplation. Certes, le moine choisit sa condition. Mais le monastère et la détention sont des expériences similaires. Dehors, la liberté se dissout parfois dans l’agitation. L’enfermement peut développer une force intérieure qui peut être plus grande que la violence qui nous est faite. C’est ce qui m’a sauvé plusieurs fois dans ma vie.
A ma sortie, en dehors de l’oasis familiale, j’ai connu une sorte de trou noir. Je ne reconnaissais plus ni les lieux, ni les gens, ni les enseignes, ni les voitures. Je me sentais étranger dans un monde étranger. Je n’avais plus de papiers d’identité, plus de carnet de chèques, plus de maison, plus de métier. Pour de longs mois encore, j’étais un citoyen de second rang. On m’invita à Paris quelques jours, et ce fut pire encore. J’avais une sensibilité exacerbée, presque obsessionnelle, vis-à-vis de la vanité, de l’hypocrisie, des tiroirs à double fond de la comédie humaine. On me posait des questions imbéciles sur ma détention. La moindre manifestation maladroite, qu’elle fût de mépris ou de flatterie, réveillait ma colère. Il s’en est fallu d’un rien pour que je bascule dans une délectation tragique et un puits d’amertume. »
Hélie de Saint Marc, Toute une vie
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28/08/2013
Comme la rouille érode le fer, la prison détruit
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« Une heure, un jour, j’ai tout perdu. Je me suis retrouvé seul dans une cellule. J’ai compris alors la vanité de bien des choses et l’hypocrisie de bien des hommes.
J’ai vécu les premiers mois de détention en référence constante aux camps de concentration. Ce souvenir me donnait de la force. Vingt ans plus tôt, j’avais tenu le coup. Pourquoi lâcher prise ? Le désarroi m’envahissait en pensant à ma femme, si jeune encore. Tout juste vingt-cinq ans et deux petites filles qui parlaient à peine. Dans la tempête, il est plus facile d’être seul. Quand on y entraîne les siens, les choses deviennent obscures.
Aujourd’hui encore, des souvenirs de coursive, de fenêtres ouvertes sur le béton, de nuits d’angoisse, d’ennui à couper au couteau, remontent parfois à la surface. Ce ne sont pas des images anodines. Le corps se met en berne, lourd et fatigué. Le ciel devient blafard. Je me suis senti soudain comme un prisonnier en cavale, dont l’esprit échafaude mille solutions pour ne pas être renvoyé en cellule.
Aucune solidarité humaine ne pourra jamais empêcher l’enfermement d’attaquer les prisonniers dans ce qu’ils ont de meilleur. Comme la rouille érode le fer, la prison détruit. C’est un pourrissoir moral. L’uniformité des jours m’écrasait. J’étais nourri, chauffé, logé. Je n’avais plus aucune initiative, aucune responsabilité. Chaque heure, chaque minute, il fallait résister à la destruction de soi. Au fil des mois, l’angoisse devint mon ennemie familière : l’impuissance, l’accablement des aubes sans oubli, l’ennui monstrueux que rien ne pouvait combler. L’angoisse montait à intervalles réguliers, comme une marée puissante, bousculant les résolutions, la volonté, le courage. C’était une lutte exténuante qui se déroulait dans un cadre morne, toujours semblable, dont la règle était la régularité oppressante des horaires. »
Hélie de Saint Marc, Toute une vie
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Les rêves de ses vingt ans
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« Si je rencontrais demain, au coin d’une rue, l’adolescent que j’ai été, je voudrais qu’il n’aie pas à rougir de ce que je suis devenu. Je portais en moi une fièvre d’absolu. Avec impatience, je rêvais d’un grand départ vers un avenir lointain. Mes études étaient laborieuses et mon visage n’était pas beau. Je me souviens de camarades éblouissants, à qui tout souriait. Ils semblaient en état de grâce. Que sont-ils devenus ? Leur facilité m’impressionnait. Je cherchais sans doute à compenser mes faiblesses par un intense désir de vivre et une exigence en toutes choses. Je reconnais aujourd’hui cette empreinte dans le regard de quelques-uns des jeunes hommes qui viennent à moi. Je ne voudrais pas briser leur élan. Cependant, je sais à présent combien il est difficile de vivre une existence « simplement honorable », au sens de Montaigne, sans trahir les rêves de ses vingt ans. »
Hélie de Saint Marc, Toute une vie
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27/08/2013
Nous n’avions plus de larmes
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« Avant mon séjour dans les camps de concentration, je pensais que le pire venait d’ailleurs. J’ai trouvé le pire chez les autres, mais aussi en moi. Ce n’est pas l’abandon des siens qui est le plus dure à vivre, mais la déchéance de l’homme en soi. C’est la tristesse des déportés.
Nous n’avions plus de larmes. Les appels au secours dans la nuit restaient sans réponse. L’agonie et les cauchemars, le sifflement des poumons à bout de course, les excréments vidés dans les gamelles ou à même les châlits, tant certains étaient exténués, les corps purulents sans le moindre pansement faisaient partie de notre quotidien. Nous étions des sacs d’os prononçant à peine dix mots par jour.
La pendaison, dans l’imagerie SS, représentait l’exemplarité, l’ordre implacable. La sentence était toujours exécutée avec solennité, devant tous les pyjamas rayés. Plus les SS étaient démonstratifs et moins nous étions impressionnés. Cela ne me faisait même plus d’effet. Arrivé à un tel stade, on ne pense plus. "Je vis encore cet instant", me disais-je, et puis cet autre. Ne pas avoir peur de la mort était le premier commandement du déporté. Sinon, il trébuchait aussitôt tant elle planait autour de nous. "Un pendu, me disais-je, et puis cet autre".
Un homme nu, battu, humilié, reste un homme s’il garde sa propre dignité. Vivre, ce n’est pas exister à n’importe quel prix. Personne ne peut voler l’âme d’autrui si la victime n’y consent pas. La déportation m’a appris ce que pouvait être le sens d’une vie humaine : combattre pour sauvegarder ce filet d’esprit que nous recevons en naissant et que nous rendons en mourant. »
Hélie de Saint Marc, Toute une vie
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26/08/2013
Fidélité et Honneur : Hélie de Saint Marc (11/02/1922-26/08/2013)
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Je suis triste d'apprendre, ce jour, la mort d'Hélie de Saint Marc. Il était vieux, fatigué et malade. Sort auquel personne d'entre nous n'échappera à moins de vivre vite, de mourir jeune et de faire un beau cadavre. Or, pour une grande partie de sa vie, Hélie de Saint Marc avait vécu vite, avec la fougue de la jeunesse, l'ardeur d'une passion : la France et l'Humanité et la volonté de l'honneur.
Lorsqu'on traverse la résistance face à l'occupant nazi, qu'on survit à la déportation (il faisait partie des 30 survivants d'un convoi de 1000 hommes) au camp de concentration Langenstein-Zwieberge (camp satellite de Buchenwald), qu'on est confronté à la débandade indochinoise et à l'abandon d'une population locale qu'il aimait et admirait et dont les fantômes n'ont cessé de le hanter toute sa vie durant (sa "blessure jaune"), lorsqu'en 1961 on fait partie des officiers putschistes en Algérie, non pas par stupide idéologie droitarde mais par sens du Devoir, qu'on fait 5 années de prison dans la foulée avant que d'être gracié, on peut dire que l'on est revenu de tout. Mais par la même occasion on a sauvé vingt fois, trente fois, allez savoir, l'Honneur Pitoyable de la France, par dévotion, par amour, par sens du tragique comme presque plus personne, de nos jours, ne le possède.
Hélie de Saint Marc était devenu un écrivain à la plume vive et brillante, avec un sens des mots intelligent il disait les maux de notre temps et en appelait à l'espérance, sans idéologie puante à l'intérieur, sauf, bien entendu, pour notre Police Politique et ses matons de panurge, sa flicaille universelle qui trouvera toujours le moyen de traiter un résistant au nazisme de fasciste... la routine.
Merci à Nicolas Sarkozy d'avoir eu le courage de lui redonner son honneur en le faisant Grand-Croix de la Légion d'Honneur le 28 Novembre 2011. Ce n'est certainement pas Flamby 1er qui en aurait fait autant. C'est une maigre consolation, certes, mais ça n'est que justice en une époque où des sportifs reçoivent la Légion d'Honneur parce qu'ils tapent dans un ballon là où, en d'autres temps, pas si éloignés de nous que ça, des hommes qui regardaient la vie à hauteur d'homme mettaient leur peau sur la table pour notre avenir à tous et pour notre édification...
Lisez-le ou relisez-le.
« Un ami m’a dit un jour : "tu as fait de mauvais choix, puisque tu as échoué". Je connais des réussites qui me font vomir. J’ai échoué, mais l’homme au fond de moi a été vivifié.
Je crains les êtres gonflés de certitudes. Ils me semblent tellement inconscients de la complexité des choses … Pour ma part, j’avance au milieu d’incertitudes. J’ai vécu trop d’épreuves pour me laisser prendre au miroir aux alouettes.
Ai-je toujours été fidèle ? Ai-je toujours agi selon l’honneur ? J’ai essayé, sans jamais y parvenir entièrement, d’être digne des autres et de la vie. Je ne connais pas de vérité tranquille. Je veux ajouter de la vie aux années qui me restent, témoigner de tout ce qui dure, retrouver la vérité de l’enfant que j’ai été. Simplement essayer d’être un homme. »
Hélie de Saint Marc, Toute une vie
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25/08/2013
Testament de Saint-Louis
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Voici le Testament politique et Spirituel de François Hollande... pardon... Louis IX, Roi de France, à son fils, futur Philippe III Le Hardi. Louis IX qui, canonisé par l'Eglise Catholique, deviendra Saint Louis...
Aujourd'hui 25 août, est la Saint Louis...
« TESTAMENT DE SAINT LOUIS
A son cher fils Philippe, salut et amitié de père.
Cher fils, parce que je désire de tout mon cœur que tu sois bien enseigné en toutes choses, j’ai pensé que je te ferais quelques enseignements par cet écrit, car je t’ai entendu dire plusieurs fois que tu retiendrais davantage de moi que de tout autre.
Cher fils, je t’enseigne premièrement que tu aimes Dieu de tout ton cœur et de tout ton pouvoir, car sans cela personne ne peut rien valoir.
Tu dois te garder de toutes choses que tu penseras devoir lui déplaire et qui sont en ton pouvoir, et spécialement tu dois avoir cette volonté que tu ne fasses un péché mortel pour nulle chose qui puisse arriver, et qu’avant de faire un péché mortel avec connaissance, que tu souffrirais que l’on te coupe les jambes et les bras et que l’on t’enlève la vie par le plus cruel martyre.
Si Notre Seigneur t’envoie persécution, maladie ou autre souffrance, tu dois la supporter débonnairement, et tu dois l’en remercier et lui savoir bon gré car il faut comprendre qu’il l’a fait pour ton bien. De plus, tu dois penser que tu as mérité ceci- et encore plus s’il le voulait- parce que tu l’as peu aimé et peu servi, et parce que tu as fait beaucoup de choses contre sa volonté.
Si Notre Seigneur t’envoie prospérité, santé de corps ou autre chose, tu dois l’en remercier humblement et puis prendre garde qu’à cause de cela il ne t’arrive pas de malheur causé par orgueil ou par une autre faute, car c’est un très grand péché de guerroyer Notre Seigneur de ses dons.
Cher fils, je te conseille de prendre l’habitude de te confesser souvent et d’élire toujours des confesseurs qui soient non seulement pieux mais aussi suffisamment bien instruits, afin que tu sois enseigné par eux des choses que tu dois éviter et des choses que tu dois faire ; et sois toujours de telle disposition que des confesseurs et des amis osent t’enseigner et te corriger avec hardiesse.
Cher fils, je t’enseigne que tu entendes volontiers le service de la sainte Eglise, et quand tu seras à l’église garde-toi de perdre ton temps et de parler vaines paroles. Dis tes oraisons avec recueillement ou par bouche ou de pensée, et spécialement sois plus recueilli et plus attentif à l’oraison pendant que le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ sera présent à la messe et puis aussi pendant un petit moment avant.
Cher fils, je t’enseigne que tu aies le cœur compatissant envers les pauvres et envers tous ceux que tu considèreras comme souffrant ou de cœur ou de corps, et selon ton pouvoir soulage-les volontiers ou de soutien moral ou d’aumônes.
Si tu as malaise de cœur, dis-le à ton confesseur ou à quelqu’un d’autre que tu prends pour un homme loyal capable de garder bien ton secret, parce qu’ainsi tu seras plus en paix, pourvu que ce soit, bien sûr, une chose dont tu peux parler.
Cher fils, recherche volontiers la compagnie des bonnes gens, soit des religieux, soit des laïcs, et évite la compagnie des mauvais. Parle volontiers avec les bons, et écoute volontiers parler de Notre Seigneur en sermons et en privé. Achète volontiers des indulgences.
Aime le bien en autrui et hais le mal.
Et ne souffre pas que l’on dise devant toi paroles qui puissent attirer gens à péché. N’écoute pas volontiers médire d’autrui.
Ne souffre d’aucune manière des paroles qui tournent contre Notre Seigneur, Notre-Dame ou des saints sans que tu prennes vengeance, et si le coupable est un clerc ou une grande personne que tu n’as pas le droit de punir, rapporte la chose à celui qui peut le punir.
Prends garde que tu sois si bon en toutes choses qu’il soit évident que tu reconnaisses les générosités et les honneurs que Notre Seigneur t’a faits de sorte que, s’il plaisait à Notre Seigneur que tu aies l’honneur de gouverner le royaume, que tu sois digne de recevoir l’onction avec laquelle les rois de France sont sacrés.
Cher fils, s’il advient que tu deviennes roi, prends soin d’avoir les qualités qui appartiennent aux rois, c’est-à-dire que tu sois si juste que, quoi qu’il arrive, tu ne t’écartes de la justice. Et s’il advient qu’il y ait querelle entre un pauvre et un riche, soutiens de préférence le pauvre contre le riche jusqu’à ce que tu saches la vérité, et quand tu la connaîtras, fais justice.
Et s’il advient que tu aies querelle contre quelqu’un d’autre, soutiens la querelle de l’adversaire devant ton conseil, et ne donne pas l’impression de trop aimer ta querelle jusqu’à ce que tu connaisses la vérité, car les membres de ton conseil pourraient craindre de parler contre toi, ce que tu ne dois pas vouloir.
Si tu apprends que tu possèdes quelque chose à tort, soit de ton temps soit de celui de tes ancêtres, rends-la tout de suite toute grande que soit la chose, en terres, deniers ou autre chose. Si le problème est tellement épineux que tu n’en puisses savoir la vérité, arrive à une telle solution en consultant ton conseil de prud’hommes, que ton âme et celle de tes ancêtres soient en repos. Et si jamais tu entends dire que tes ancêtres aient fait restitution, prends toujours soin à savoir s’il en reste encore quelque chose à rendre, et si tu la trouves, rends-la immédiatement pour le salut de ton âme et de celles de tes ancêtres.
Sois bien diligent de protéger dans tes domaines toutes sortes de gens, surtout les gens de sainte Eglise ; défends qu’on ne leur fasse tort ni violence en leurs personnes ou en leurs biens. Et je veux te rappeler ici une parole que dit le roi Philippe, mon aïeul, comme quelqu’un de son conseil m’a dit l’avoir entendue. Le roi était un jour avec son conseil privé-comme l’était aussi celui qui m’a parlé de la chose- et quelques membres de son conseil lui disaient que les clercs lui faisaient grand tort et que l’on se demandait avec étonnement comment il le supportait. Et il répondit : « Je crois bien qu’ils me font grand tort ; mais, quand je pense aux honneurs que Notre Seigneur me fait, je préfère de beaucoup souffrir mon dommage, que faire chose par laquelle il arrive esclandre entre moi et sainte Eglise. » Je te rappelle ceci pour que tu ne sois pas trop dispos à croire autrui contre les personnes de sainte Église. Tu dois donc les honorer et les protéger afin qu’elles puissent faire le service de Notre Seigneur en paix.
Ainsi je t’enseigne que tu aimes principalement les religieux et que tu les secoures volontiers dans leurs besoins ; et ceux par qui tu crois que Notre Seigneur soit le plus honoré et servi, ceux-là aime plus que les autres.
Cher fils, je t’enseigne que tu aimes et honores ta mère, et que tu retiennes volontiers et observes ses bons enseignements, et sois enclin à croire ses bons conseils. Aime tes frères et veuille toujours leur bien et leur avancement, et leur tiens lieu de père pour les enseigner à tous biens, mais prends garde que, par amour pour qui que ce soit, tu ne déclines de bien faire, ni ne fasses chose que tu ne doives.
Cher fils, je t’enseigne que les bénéfices de saint Eglise que tu auras à donner, que tu les donnes à bonnes personnes par grand conseil de prud’hommes ; et il me semble qu’il vaut mieux les donner à ceux qui n’ont aucunes prébendes qu’à ceux qui en ont déjà ; car si tu les cherches bien, tu trouveras assez de ceux qui n’ont rien et en qui le don sera bien employé.
Cher fils, je t’enseigne que tu te défendes, autant que tu pourras, d’avoir guerre avec nul chrétien ; et si l’on te fait tort, essaie plusieurs voies pour savoir si tu ne pourras trouver moyen de recouvrer ton droit avant de faire guerre, et fasse attention que ce soit pour éviter les péchés qui se font en guerre. Et s’il advient que tu doives la faire, ou parce qu’un de tes hommes manque en ta cour de s’emparer de ses droits, ou qu’il fasse tort à quelque église ou à quelque pauvre personne ou à qui que ce soit et ne veuille pas faire amende, ou pour n’importe quel autre cas raisonnable pour lequel il te faut faire la guerre, commande diligemment que les pauvres gens qui ne sont pas coupables de forfaiture soient protégés et que dommage ne leur vienne ni par incendie ni par autre chose ; car il te vaudrait mieux contraindre le malfaiteur en prenant ses possessions, ses villes ou ses châteaux par force de siège. Et garde que tu sois bien conseillé avant de déclarer la guerre, que la cause en soit tout à fait raisonnable, que tu aies bien averti le malfaiteur et que tu aies assez attendu, comme tu le devras.
Cher fils, je t’enseigne que les guerres et les luttes qui seront en ta terre ou entre tes hommes, que tu te donnes la peine, autant que tu le pourras, de les apaiser, car c’est une chose qui plaît beaucoup à Notre Seigneur. Et Monsieur saint Martin nous en a donné un très grand exemple car, au moment où il savait par Notre Seigneur qu’il devait mourir, il est allé faire la paix entre les clercs de son archevêché, et il lui a semblé en le faisant qu’il mettait bonne fin à sa vie.
Cher fils, prends garde diligemment qu’il y ait bons baillis et bons prévôts en ta terre, et fais souvent prendre garde qu’ils fassent bien justice et qu’ils ne fassent à autrui tort ni chose qu’ils ne doivent. De même, ceux qui sont en ton hôtel, fais prendre garde qu’ils ne fassent injustice à personne car, combien que tu dois haïr le mal qui existe en autrui, tu dois haïr davantage celui qui viendrait de ceux qui auraient reçu leur pouvoir de toi, et tu dois garder et défendre davantage que cela n’advienne.
Cher fils, je t’enseigne que tu sois toujours dévoué à l’Eglise de Rome et à notre saint-père le pape, et lui portes respect et honneur comme tu le dois à ton père spirituel.
Cher fils, donne volontiers pouvoir aux gens de bonne volonté qui en sachent bien user, et mets grande peine à ce que les péchés soient supprimés en ta terre, c’est-à-dire les vilains serments et toute chose qui se fait ou se dit contre Dieu ou Notre-Dame ou les saints : péchés de corps, jeux de dés, tavernes ou autres péchés. Fais abattre tout ceci en ta terre sagement et en bonne manière. Fais chasser les hérétiques et les autres mauvais gens de ta terre autant que tu le pourras en requérant comme il le faut le sage conseil des bonnes gens afin que ta terre en soit purgée.
Avance le bien par tout ton pouvoir ; mets grande peine à ce que tu saches reconnaître les bontés que Notre Seigneur t’auras faites et que tu l’en saches remercier.
Cher fils, je t’enseigne que tu aies une solide intention que les deniers que tu dépenseras soient dépensés à bon usage et qu’ils soient levés justement. Et c’est un sens que je voudrais beaucoup que tu eusses, c’est-à-dire que tu te gardasses de dépenses frivoles et de perceptions injustes et que tes deniers fussent justement levés et bien employés-et c’est ce même sens que t’enseigne Notre Seigneur avec les autres sens qui te sont profitables et convenables.
Cher fils, je te prie que, s’il plaît à Notre Seigneur que je trépasse de cette vie avant toi, que tu me fasses aider par messes et par autres oraisons et que tu demandes prières pour mon âme auprès des ordres religieux du royaume de France, et que tu entendes dans tout ce que tu feras de bon, que Notre Seigneur m’y donne part.
Cher fils, je te donne toute la bénédiction qu’un père peut et doit donner à son fils, et je prie Notre Seigneur Dieu Jésus-Christ que, par sa grande miséricorde et par les prières et par les mérites de sa bienheureuse mère, la Vierge Marie, et des anges et des archanges, de tous les saints et de toutes les saintes, il te garde et te défende que tu ne fasses chose qui soit contre sa volonté, et qu’il te donne grâce de faire sa volonté afin qu’il soit servi et honoré par toi ; et puisse-t-il accorder à toi et à moi, par sa grande générosité, qu’après cette mortelle vie nous puissions venir à lui pour la vie éternelle, là où nous puissions le voir, aimer et louer sans fin, Amen.
A lui soit gloire, honneur et louange, qui est un Dieu avec le Père et le Saint-Esprit, sans commencement et sans fin . Amen. »
Louis IX
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L'horreur, ce n'est pas la mort
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« L'horreur, ce n'est pas la mort, mais la vie que mènent les gens avant de rendre leur dernier soupir. Ils n'ont aucune considération pour elle et ne cessent de lui pisser, de lui chier dessus. Des copulateurs sans conscience. Ils ne s'obsèdent que sur la baise, le cinoche, le fric, la famille, tout ce qui tourne autour du sexe. Sous leur crâne, on ne trouve que du coton. Ils gobent tout, Dieu comme la patrie, sans jamais se poser la moindre question. Mieux, ils ont vite oublié ce que penser voulait dire, préférant abandonner à d'autres le soin de le faire. Du coton, vous dis-je, plein le cerveau ! Ils respirent la laideur, parlent et se déplacent de manière tout aussi hideuse. Faites leur donc entendre de la bonne musique, eh bien ils se gratteront l'oreille. La majeure partie des morts l'étaient déjà de leur vivant. Le jour venu, ils n'ont pas senti la différence. »
Charles Bukowski, Le capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau"
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24/08/2013
Halluciné...
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« L’homme moderne est un halluciné. L’hallucination a remplacé la croyance. L’homme moderne est un angoissé. L’angoisse s’est substitué à la foi. Tous ces gens là se disent réalistes, pratiques, matérialistes, enragés à conquérir les biens de ce monde, et nous sommes très loin de soupçonner la nature du mal qui les ronge, car nous n’observons que leur activité délirante, sans penser qu’elle est précisément la forme dégradée, avilie, de leur angoisse métaphysique. Ils ont l’air de courir après la fortune, mais ce n’est pas après la fortune qu’ils courent, c’est eux-mêmes qu’ils fuient. Dans ces conditions, il est de jour en jour plus ridicule d’entendre de pauvres prêtres ignorants et paresseux tonner du haut de la chaire contre l’orgueil de ce perpétuel fuyard, l’appétit de jouissance de ce malade qui ne peut plus jouir qu’au prix des plus grands efforts, qui éprouve de la fringale pour tout, parce qu’il n’a plus réellement faim de rien. »
Georges Bernanos, La France contre les robots
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23/08/2013
Un lansquenet ivre et stylite au désert
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« Cendrars, c’est une légende entée sur une gueule. Une trogne, un mufle, une hure, ravagés, cabossés, couturés des cicatrices de la vie, incendiés par la flamme d’un absolu qui ne cesse de se dérober, illuminés par la chaleur de l’alcool et les éructations du Verbe. Cette trogne à la puissante laideur, on la dirait jaillie d’un autre temps, immémorial, forcené. Elle pourrait appartenir à l’un de ces gueux échappés d’une kermesse flamande de Bruegel l’Ancien, à l’un des nautoniers de la Nef des fous de Jérôme Bosch, à l’un des reîtres germaniques d’Albrecht Dürer, chevauchant entre la mort et le diable, le regard fixé au loin sur un improbable salut.
Trouant le masque creusé par les stigmates de l’existence, démentant le nez sensuel et rabelaisien, les yeux très claires sont d’un visionnaire, d’un "voyant" à la Rimbaud, d’un mystique à l’état sauvage. A rebours de l’apparence, tout d’une pièce comme un menhir, Cendrars est un Janus biffons. Le nom de plume qu’il s’est choisi, "visible comme une affiche bleue", le suggère : Cendrars égale braise et cendre, feu et consomption. "En cendres se transmue / Ce que j’aime et possède / Tout ce que j’aime et que j’étreins / Se transmue aussitôt en cendres."
Il y a en lui un lansquenet ivre et stylite au désert, un légionnaire hâbleur et un rat de bibliothèque taciturne, un aventurier cynique et un François d’Assise éperdu, un grand vivant mordant à pleins crocs dans tous les fruits délectables de la vie, et un solitaire désenchanté crachant sur les trompeuses illusions du monde et aspirant à la sérénité du cloître. Cette dualité, cette attirance tantôt pour les forces du mal, tantôt pour les élans mystiques – son côté Moravagine et son côté Dan Yack-, la légende, qui s’est tôt emparée de lui, l’a occultée. Pour braquer tous les feux sur la pittoresque silhouette de l’arpenteur des mondes, de l’ "Homère du Transsibérien", du baroudeur tous azimuts, familier des tripots et des paquebots, des bordels et des truands, des peintres maudits et des aventuriers internationaux. Une légende belle comme un chromo, irréfutable comme un éléphant, et que l’écrivain s’est plu à entretenir, nourrir et enjoliver. »
Bruno de Cessole, Blaise Cendrars, l’Homère du Transsibérien, in Le Défilé des réfractaires
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22/08/2013
Un rouage de la machine
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« On exige de l'homme qu'il renonce une fois pour toutes à lui-même et à l'idée qu'à travers lui, quelque chose de personnel et d'unique pourrait être signifié ; on lui fait sentir qu'il doit s'adapter à un type d'humanité normale ou idéale qui sera celle de l'avenir, qu'il doit se transformer en un rouage de la machine, en un moellon de l'édifice parmi des millions d'autres moellons exactement pareils. »
Hermann Hesse, Lettre à un jeune artiste
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21/08/2013
Le troupeau...
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« Debout à un coin de rue, près de deux cabarets, j'écoutais s'épancher dans la nuit la gaieté mécanique des jeunes gens. Partout, l'on se réunissait, l'on se groupait, l'on fuyait sa destinée, l'on se réfugiait dans la chaude atmosphère du troupeau. »
Hermann Hesse, Demian
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20/08/2013
Le sang est l’engrais
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« Il n’est pas aisé, à beaucoup près, d’expliquer pourquoi la guerre produit des effets différents, suivant les différentes circonstances. Ce qu’on voit assez clairement, c’est que le genre humain peut être considéré comme un arbre qu’une main invisible taille sans relâche, et qui gagne souvent à cette opération. A la vérité, si l’on touche le tronc, ou si l’on coupe en tête de saule, l’arbre peut périr ; mais qui connaît les limites pour l’arbre humain ? Ce que nous savons, c’est que l’extrême carnage s’allie souvent avec l’extrême population, comme on l’a vu surtout dans les anciennes républiques grecques, et en Espagne sous la domination des Arabes. Les lieux communs sur la guerre ne signifient rien : il ne faut pas être fort habile pour savoir que plus on tue d’hommes, et moins il en reste dans le moment ; comme il est vrai que plus on coupe de branches, et moins il en reste sur l’arbre ; mais ce sont les suites de l’opération qu’il faut considérer. Or, en suivant toujours la même comparaison, on peut observer que le jardinier habile dirige moins la taille à la végétation absolue qu’à la fructification de l’arbre : ce sont des fruits, et non du bois et des feuilles, qu’il demande à la plante. Or les véritables fruits de la nature humaine, les arts, les sciences, les grandes entreprises, les hautes conceptions, les vertus mâles, tiennent surtout à l’état de guerre. On sait que les nations ne parviennent jamais au plus haut point de grandeur dont elles sont susceptibles, qu’après de longues et sanglantes guerres. Ainsi le point rayonnant pour les Grecs fut l’époque terrible de la guerre du Péloponèse ; le siècle d’Auguste suivit immédiatement la guerre civile et les proscriptions ; le génie français fut dégrossi par la Ligue et poli par la Fronde : tous les grands hommes du siècle de la reine Anne naquirent au milieu des commotions politiques. En un mot, on dirait que le sang est l’engrais de cette plante qu’on appelle génie. »
Joseph de Maistre, Considérations sur la France
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19/08/2013
L’amour est masochiste
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« L’amour est masochiste. Ces cris, ces plaintes, ces douces alarmes, cet état d’angoisse des amants, cet état d’attente, cette souffrance latente, sous-entendue, à peine exprimée, ces milles inquiétudes au sujet de l’absence de l’être aimé, cette fuite du temps, ces susceptibilités, ces sautes d’humeur, ces rêvasseries, ces enfantillages, cette torture morale où la vanité et l’amour-propre sont en jeu, l’honneur, l’éducation, la pudeur, ces hauts et ces bas du tonus nerveux, ces écarts de l’imagination, ce fétichisme, cette précision cruelle des sens qui fouillaient et qui fouillent, cette chute, cette prostration, cette abdication, cet avilissement, cette perte et cette reprise perpétuelle de la personnalité, ces bégaiements, ces mots, ces phrases, cet emploi du diminutif, ces hésitations dans les attouchements, ce tremblement épileptique, ces rechutes successives et multipliées, cette passion de plus en plus troublée, orageuse et dont les ravages vont progressant, jusqu’à la complète inhibition, la complète annihilation de l’âme, jusqu’à l’atonie des sens, jusqu’à l’épuisement de la moelle, au vide du cerveau, jusqu’à la sécheresse du cœur, ce besoin d’anéantissement, de destruction, de mutilation, ce besoin d’effusion, d’adoration, de mysticisme, cet assouvissement qui a recours à l’hyperirritabilité des muqueuses, aux errances du goût, aux désordres vaso-moteurs ou périphériques et qui fait appel à la jalousie et à la vengeance, aux crimes, aux mensonges, aux trahisons, cette idolâtrie, cette mélancolie incurable, cette apathie, cette profonde misère morale, ce doute définitif et navrant, ce désespoir, tous ces stigmates ne sont-ils point les symptômes mêmes de l’amour d’après lesquels on peut diagnostiquer, puis tracer d’une main sûre le tableau clinique du masochisme ? »
Blaise Cendrars, Moravagine
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18/08/2013
Je ne suis pas
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« Je ne suis pas une lesbienne hurlant au sous-sol sanglée
dans une toile d'araignée de cuir
je ne suis pas un Rockefeller surpris sans pantalon
par une crise cardiaque dans un lit d'adultère
je ne suis pas une tapette intello stalinienne gaucho
ni un Rabbin antisémite chapeau noir barbe blanche ongles sales
ni le poète en cabane à San Francisco tabassé par les sbires
de la police pourrie la veille du Nouvel An
ni Gregory Corso Orphée maudit de ces états
pas encore un professeur au salaire mirifique
Je ne suis pas quelqu'un que je connais
en fait je ne suis ici que pour 80 ans
Eglise St. Clément, 7 mars 1983 »
Allen Ginsberg, Poèmes (édition intégrale)
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