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03/10/2020

Pourtant à ce maintien des traditions particularistes, François doit sa partie forte et saine

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

 

« François Sturel passe les vacances auprès de sa mère, dans leur maison de famille, à Neufchâteau (Vosges). Il a peu connu son père, qui est mort de rhumatismes pris aux affûts de nuit. Celui-ci n’avait souci que de ses chiens, de son fusil et du gibier. Il y a dans nos pays de Lorraine une race de vieux chasseurs, d’hommes terribles. Bien malade déjà et ne pouvant plus sortir, il disait à son domestique : "Victor, va faire gueuler les chiens ! " Victor, plusieurs fois de jour et de nuit, les fouaillait, pour que le maître dans ses douleurs s’enivrât l’imagination d’une belle chasse.

De tels traits choquaient sa très jeune femme, dont les délicatesses se retrouvent dans François. Le jeune garçon s’est plié péniblement à l’internat. Longtemps les cris de ses camarades remplirent pour lui l’univers d’épouvante. Il les craignit et les méprisa pendant des années ; et, sitôt seul, il pleurait. C’est une grande peine pour un petit enfant qui a l’âme simple de n’embrasser personne avant de se coucher. Quand cette habitude est perdue par une dure nécessité, quelque chose se dessèche dans le cœur et il demeure pour toute la vie méfiant et peu communicatif.

François Sturel aurait, d’après des vieilles gens, hérité sa vivacité et son originalité de sa grand’mère paternelle. Celle-ci ayant placé au collège de Nancy son fils unique, lui dit, aux vacances, en regardant ses livres de classe : "Non, mon garçon, tout cela est trop bête, tu ne retourneras pas au collège." Et c’est ainsi qu’il ne fut qu’un chasseur. En dépit de cette appréciation un peu brusque de l’enseignement universitaire, c’était une femme de tête.

On peut en juger par deux de ses sœurs, qui, veuves l’une et l’autre, vivent encore en 1880 à Neufchâteau. Ce sont des vieilles dames de quatre-vingts à quatre-vingt-dix ans. On ne peut pas dire que Sturel apprenne d’elles des histoires intéressantes : elles n’ont pas assez vu les choses modernes pour distinguer parmi les anciennes ce qui nous semblerait particulier. Mais elles sont elles-mêmes les mœurs anciennes. Par ces bonnes parentes, il prend contact avec sa province, avec sa race, avec un genre de vie qui, si Bouteiller n’avait pas passé sur son âme, devrait, entre tous les usages qu’il y a de par le monde, lui paraître le plus naturel. Leur façon de se garder contre le froid, de soigner les maladies, de fêter certaines dates, leur cuisine aussi et leur vocabulaire contentent le tempérament de Sturel. Elles ne sont pas dévotes, à peine pratiquantes : nées sous la Révolution, elles ont été baptisées longtemps après le Concordat ; elles censurent volontiers le curé, mais elles n’imaginent pas qu’à moins d’être juif ou d’Allemagne on puisse n’être pas catholique.
L’église et la cure étant la seule chose publique où la femme puisse intervenir, leur besoin de domination s’y satisfait.

Elles avaient toujours pour leur petit-neveu, quand il était tout jeune, quelque cadeau, une pomme ridée, deux grosses prunes. Elles lui disaient : "Tu retournes encore à ton collège, mon garçon ! Ah ! tout ce qu’on apprend maintenant !… Ne te fatigue pas trop !…"
Aujourd’hui elles blâment Sturel, qui, de Neufchâteau même, pouvait faire son droit, puis acheter la meilleure étude de la ville, vivre heureux parmi les amis de son père, — et qui veut aller à Paris !

Il est soutenu par sa mère. Légèrement opprimée jadis par sa belle-mère, encore maintenant par les vieilles dames, elle vit dans l’intimité des pensées de son fils. Elle étouffe un peu dans cette maison qu’habite depuis cent ans la famille Sturel. Les vieilles mœurs se maintiennent mieux dans les vieux murs. Mais pour une jeune femme si jolie, de délicatesse élégante, comme il était pénible de n’avoir pas de salon ! Qui ne la plaindra, sachant que jusqu’à la guerre, on avait gardé l’habitude de veiller à la cuisine, autour de l’âtre ! Enfin elle obtint de transformer la maison. Le souvenir des batailles qu’elle dut, à cette occasion, livrer contre ses tantes, l’incline à juger raisonnable son cher fils qui se plaint de la médiocrité de Neufchâteau. — Pourtant à ce maintien des traditions particularistes, François doit sa partie forte et saine. Et dans la vieille demeure des Sturel, il n’y avait rien de beau, soit ! mais non plus rien de laid ; la parfaite appropriation des pièces et du mobilier à l’usage quotidien donnait à l’ensemble un certain style. On n’y distinguait nulle trace de ces élégances mesquines et maladroites, de ces prétentions qui risquent de donner à de très honnêtes provinciaux des allures de déclassés, et qui ne sont touchantes qu’interprétées comme un effort pour se hausser, pour échapper à un passé dont la jeune madame Sturel n’a plus le sens, — et ainsi échapper à la mort. »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

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02/10/2020

Maurice Barrès revisité

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Finky reçoit Sarah Vajda et Michel Winock

 

 

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Tribune de Sarah Vajda : Quel enseignement politique tirer aujourd’hui de Barrès ?

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Peut-on encore comme le fit en 1947, Aragon, en réponse à une enquête d’Etienne Borne, se dire, se proclamer Barrésien ?

La réponse n’est guère aisée. Non seulement Barrès fut un homme à volutes. Jamais en un livre, on ne vit se livrer entier ce mélancolique professeur d’énergie si éloigné du Français d’aujourd’hui, qui, à toute pensée complexe, préfère l’idéologie et à tout élan, le résultat.

Barrès, parlementaire, journaliste, essayiste, romancier, homme de lettres, artiste, mérite pleinement l’épithète qu’il accorda à Rousseau d’extravagant musicien, paru parmi nous – selon Léon Blum – comme un étranger. En ses élans, l’artiste parfois écrivit des choses difficilement audibles par des esprits contemporains, particulièrement le salut aux pogromes de Tolède, qu’emporté par son désir de célébrer le Tage, si beau dans la lumière de l’Orient naissant, il offrit en hommage au Gréco.

Nonobstant ses débordements lyriques et sa sortie de route antidreyfusarde, il serait bon de relire sa rêverie ou son poème politique et d’en retenir non pas la leçon mais le flux, l’esprit et non la lettre. En un mot, la direction.

J’appelle « sortie de route » la décision d’un lettré qui, toute sa vie, s’est voulu du parti d’Antigone – les cimetières sont nos maîtres -de choisir celui de Créon ou du conseiller Aulique Goethe, plutôt une injustice qu’un désordre, au seuil de la ténébreuse Affaire.

Blum, Péguy le médiéviste Joseph Bédier, sans oublier « Polybe », Joseph Reinach et André Spire, tous ardents dreyfusards, ont su lui pardonner sa déplorable erreur, après sa soumission immédiate et inconditionnelle à l’autorité judiciaire, quand un arrêt de la cour de cassation, en 1906, innocenta le martyr de l’île du Diable. Notre temps le peut d’autant plus aisément que bien des dreyfusards entrèrent en collaboration et que bien des antis préférèrent Londres ou Alger à Berlin ou à Vichy. Barrès d’ailleurs en sa sagesse, jugeant l’exiguïté des nationalismes concurrents, avait en ses Cahiers prédit leur trahison :

Ceux qui sont aujourd’hui les patriotes, les hommes fiers, las de vivre une France amoindrie et une vie humiliée, appelleront une annexion, si ce n’est en Lorraine, ou une domination, une intervention de l’étranger qui leur donne enfin la joie de participer à une grande vie collective ; et nous verrons au contraire la résistance à l’étranger personnifiée par la démagogie janséniste.

Barrès, que Metz, sur une plaque de rue éponyme, choisit d’honorer de l’ironique et insuffisante épithète de patriote lorrain, a pourtant, plus que quiconque, gagné, par ses efforts, ses écrits et sa lucidité, le droit d’être écouté, particulièrement en cet instant politique suspendu où, entre Rhin et Oronte, l’actualité bafouille.

Son « entrée » en politique ne procède ni d’une révolte ni d’une volonté mais d’une nécessité toute intérieure. Une nuit d’éblouissement en constitue la scène augurale, un vitae sectabor iter sur le modèle cartésien, advenu, non pas à Ulm dans «la chambre du poêle » mais à Haroué en Lorraine, dans une modeste chambre d’auberge, après un dîner, que son estomac délicat avait mal supporté. Cette nuit-là, le fringant Barrès, l’insolent égotiste, déjà adoubé Prince de la jeunesse, se décida, non sans raison, à faire ses adieux à Venise, sa mélancolie, son goût de mort, surtout au nihilisme contemporain dont Léo Strauss, Nihilisme et politique, dira en 1941 que le national-socialisme allemand n’est que la forme la plus basse et la plus tristement célèbre. A quoi bon, ajoutait le philosophe, vaincre Hitler si nous n’extirpons pas des âmes ce goût de cendres ? Cesser de vouloir le rien, la destruction de tout, voilà ce que signifie cesser d’être nihiliste. Pour Barrès, cette nuit d’Haroué fixa le programme : métamorphoser le Je en Nous. Sur le modèle de Byron, ce chantre d’amours et d’aventures, parti servir les Grecs, jouer sa peau, s’engager.

Barrès, cette nuit entre les nuits, renonce à l’amour d’une Odette, qui n’était pas son genre, aux affres et aux délices de la jalousie et de l’attente, pour enfourcher le cheval de l’Adhésion, de l’Action, du Service à la patrie. Utile ou inutile ? Qu’importe ! Le motif chevaleresque renaît, unique maître de vie. Nous pouvons nous gausser – et je l’ai fait longuement dans la biographie que j’ai naguère consacrée à Barrès – du canasson élu, le Brav’ général Boulanger. Il n’empêche. Le roman de l’énergie nationale, qu’il en tira offrira sa syntaxe vide à un Colonel d’une bien autre envergure, à un moment clef de notre tragédie nationale, qui trouva chez Barrès les premiers mots de ses Mémoires de guerre, ce fameux, trop fameux : Toute ma vie je me suis fais….

La France, une certaine idée… tels furent les derniers mots, tracés dans ses Cahiers, par notre « patriote lorrain », quelques heures avant la crise cardiaque, qui l’allait foudroyer, le 3 décembre 1922, une nuit de Saint Nicolas.

Il existe bien une « doctrine » barrésienne, disséminée entre les lignes et les actes. Cette doctrine a nom Résistance. Résistance à tout ce qui éloigne l’homme de lui -même, impur mélange de bête et d’ange qui, par l’efficace de la culture, s’est forgé un ensemble de valeurs, de dignités, de devoirs et de goûts partageables. On retient le terrible Barrès de Leurs figures, ses excès, sa lutte -ô combien légitime – contre le « cloaque » parlementaire, souillé par les scandales financiers mais on oublie son génie de la conciliation, sa tendresse envers «les fées cartésiennes » de Perrault, sa défense de Robespierre et même de Saint-Just au regard des abus de l’Ancien régime finissant. En un mot, sa passion de l’équilibre.

A l’absurde et au tragique, répondre par la civilité. Refuser un monde où Les barbares veulent nous fondre en série et pour cela, s’accoter aux riches heures d’un passé, tel fut son programme, en tous points semblable à celui du mouvement de la Jeune Angleterre, étrange attelage qui vit des aristocrates terriens, conduits par le non moins singulier Disraeli, attachés à combattre le hideux âge dit de la Révolution industrielle.

A une caste de bourgeois étriqués, aux cœurs de pierre, qu’attendrissait le seul or sonnant et trébuchant, opposer une chevalerie d’un autre temps, à l’assaut de l’avenir. La défense des valeurs qu’on dit abusivement passéisme et dont l’utilitarisme pour les nuls, fait aujourd’hui, plus encore qu’au temps de Barrès, un crime contre la raison, conserve pourtant toute sa validité dans un monde plus que jamais voué au culte du Veau d’or. Les conditions, qui, en Angleterre, ont rendu possibles une droite disraélienne, dont Churchill fut le plus formidable surgeon, n’existaient pas en France – la faute au crime du 21 janvier 1793, qui pour un peuple entier fut une nuit éternelle– la chose demeure dommageable. L’homme ne nourrit aussi de symboles et d’égards : ce sont d’ailleurs ces prétendus hochets, qu’à l’encontre des nations faillites, agitent, à bon droit, leurs anciens dominés.

L’état perpétuel de guerre civile en France barre tout accès à la nécessaire relecture de Barrès, qui, en l’état actuel des choses, demeure une des rares portes de possible sortie du cauchemar. Sa méthode ? Accroître l’âme par l’étude de la beauté, le goût des terres labourées, la sensibilité, que même agnostique, chacun peut porter à la chapelle, écoutant sans fin, la prairie dialoguer avec elle, au lieu de se soumettre à la part congrue concédée à la France dans l’Europe et le monde : ce statut de « dame pipi » et de thénardiers, accueillant les hôtes payants et se rengorgeant, pigeonne en rut, de l’argent arraché à des gogos, qui viennent souiller des terres rendues sacrées par le labeur de Vauban, Turenne, Louvois, les artisans de France, soyeux contre-révolutionnaires ou typographes de l’autre bord : toutes ces mains, ces cerveaux, qui ont rêvé et exécuté ce dont nous sommes si fiers et que nous livrons, sans vergogne, aux boutiquiers – ô pardon aux politiques – qui dans le tourisme, ses abus, ses maltraitances- espèrent redorer un blason perdu. Nous aurons le déshonneur, la guerre et la misère, pour avoir manqué de cette humilité barrésienne de n’être qu’un mot ajouté aux phrases de nos pères. Non pas des mainteneurs, des intendants, des régisseurs ou des pyromanes mais simplement des continuateurs qui, chacun, individuellement, augmentant le patrimoine, en conservant l’esprit, impulse au pays un progrès véritable.

A ces mots, un remède. Fermant le journal du soir, imaginer Barrès, contemplant le désastre scolaire, relire Les Amitiés françaises. La rubrique « islamisme » dûment subie, relire l’Ennemi des lois et Les Déracinés. Tout est là. En l’absence de racines, l’homme meurt. Avant de disparaître tout à fait, il diminue, s’étiole, s’asphyxie, hélas s’habitue, jusqu’à putréfaction. Quant au Rhin aujourd’hui bruxellois pourquoi ne pas relire « l’affreux » Colette Baudoche, palimpseste oublié du tant célébré et admirable Silence de la mer ? L’Allemagne n’est pas l’amie de la France. Elle se préfère, la chose est naturelle, à tout. Considérons-la, et usons d’elle comme d’une gigantesque et merveilleuse pinacothèque, une précieuse bibliothèque et une discothèque phénoménale, lisons Goethe et Schiller, écoutons Beethoven et adorons les Christ de Grünewald, sans désirer remplir les conditions d’un traité à leur main. Ne leur opposons pas Philippe de Champaigne, Watteau, Pascal, La Fontaine, Racine et Corneille… A chacun son génie ! Se nourrir n’exige ni boulimie ni vampirisme, pas d’avantage que l’on devienne obèse. Admiration n’est en rien soumission à L’individu, Frederick Amus ou von Ebrener, importe peu. Venus en occupants, ils ne sauraient devenir nos amants, nos maris. Vérone n’était pas occupée, quand Juliette rencontra Romeo ni le désert soumis à un maître étranger quand Antar aima Abla. La loi d’Antigone, la leçon des cimetières, ce que l’homme doit à ses pères, une même antienne aux fondements de toute culture, toute civilisation. Un temps pour la paix un temps pour la guerre. Demain sera un autre jour. Aimer les étrangères se peut, la preuve Anna ou Oriante, mais le chevalier Guillaume ne prétend pas faire de sa musulmane courageuse la reine de son harem mais l’aimer comme Tristan naguère avait aimé Yseult et Augustin Meaulnes, Yvonne de Galais, en fidélité aux règles de courtoisie et à l’abri de son manteau bleu marial.

Un thé au Sahara. Les Français ont beaucoup à apprendre de la perfide Albion. La droite française serait bien avisée d’élire ce modèle disraélien, qui fut celui de Barrès, grand admirateur du romancier Disraeli. Sybil ou les deux nations, à l’instar de Vivian Grey, servit de matrice au chaudron de la trilogie de l’énergie nationale. Bien entendu l’auteur du Jardin sur l’Oronte n’avait pas – non-angliciste – put lire Tancrède ou la Nouvelle croisade. Ces deux ouvrages mériteraient une sérieuse étude croisée, tant les thèmes en écho s’y rencontrent et s’y mêlent en une construction mentale, qu’on pourrait dire « conservatisme éclairé », enfant à naître des noces de Roman et de Politique, sœur de tout ce qui fut grand et noble, césarisme éclairé, gaullisme social…

Sarah Vajda

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SOURCE : Droite de demain

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Un dépôt des générations

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« C’est un esprit et un corps robustes, un gai camarade avec des cheveux roux. Il a de frappant l’ampleur de son front. Certains fronts vastes ne témoignent que d’une hydropisie de la tête ; le sien est harmonieux et plein, puissant dans tout son développement. Ce beau signe d’intelligence, des dents admirables et de larges épaules font de ce jeune Lorrain un bon et honnête garçon qui sera digne, je le jurerais, de son magnifique grand-père.

Celui-là, avec ses soixante-dix ans, c’est un type. Les alliés, en 1815, que suivaient des bandes de loups, et puis l’invasion de 1870, fournissent les thèmes de ses plus fréquentes histoires. Il conte bien, parce que, dans ses récits, on suit les mouvements d’une âme de la frontière. Quand il s’écrie : "La patrie est en danger !" ou bien que, pour caractériser un homme, il prononce : "C’était un vrai guerrier !" ou encore que, pour marquer un instant tragique, il déclare : "J’ai cru que j’allais cracher le sang !" — alors il se lève et, malgré son grand âge, il tourne rapidement autour de la table de famille en tirant ses cheveux blancs à pleines mains, mais le tout d’une fougue si sincère qu’on voudrait courir à lui, saisir ses mains et le remercier en disant : "Vieillard trop rare, nul aujourd’hui ne participe d’un cœur si chaud aux souffrances et aux gloires de la collectivité !"

C’est un enthousiaste, mais un Lorrain et, qui plus est, un homme de la Seille, c’est-à-dire qu’entre tous les Lorrains il possède un merveilleux sens des réalités. Il a pour axiome favori : "Quand on monte dans une barque, il faut savoir où se trouve le poisson."

Oui, c’est un type, un dépôt des générations. Il qualifie, d’après des souvenirs certains, les nobles de l’ancien régime, qu’il a vus revenir après 1815 : "Ce n’était pas qu’ils fussent débauchés : de la débauche, il y en avait même moins qu’aujourd’hui, mais ils étaient trop fiers !" Un jour, quand il avait huit ans, on l’a invité à dîner chez les hobereaux du pays ; et au dessert on a mangé du melon avec du sucre, qui, sous Louis XVIII, était cher. Alors, la demoiselle lui a dit, en lui frottant familièrement la tête : "Eh ! petit, chez toi, tu manges le melon avec du sel !" — "Mâtin ! pensa le grand-père de Rœmerspacher. Je crois qu’elle se moque de moi ! Elle m’a touché l’oreille !…" Et, laissant son assiette, il se sauvait chez lui, refusait pour jamais de retourner au château.

Aujourd’hui, parce qu’il critique les dépenses du gouvernement, on le croit conservateur ; mais, sans qu’il le sache, c’est plutôt un radical. On jugera d’après ce trait. Au temps du "16 Mai", faisant partie du jury, il eut à se prononcer sur le cas d’un journaliste poursuivi pour insultes au maréchal de Mac-Mahon. M. Rœmerspacher blâmait ces injures, parce que le maréchal a été un brave soldat. Mais voici que le procureur dans son réquisitoire soutint cette thèse, que le gouvernement, quel qu’il soit, doit être respecté, par cela seul qu’il est l’autorité. Or, le vieillard, qui sur son banc déjà s’agitait, dans la salle des délibérations, éclata. L’homme possède une conscience ! L’homme peut et doit juger le gouvernement !… Il voulut qu’on fît venir le président et lui déclara :

— Ce journaliste ne vaut pas cher, mais nous l’acquitterons contre monsieur le Procureur et pour protester qu’il y a avant tout notre conscience.

Voilà un homme. J’aime sa figure honnête de vieux jardinier ! Il a gagné sa vie et fait sa fortune dans l’agriculture et aussi en exploitant les marais salants. Ils donnent au pays une flore et par là une physionomie particulière : en automne, les mille petits canaux qui strient la région se couvrent d’une végétation éclatante lilas. Dans ce canton, à l’écart de la vie moderne, cet aïeul habite la petite ville de Nomény. Un de ses fils est mort commandant aux colonies ; un autre sorti de l’École forestière de Nancy occupe une bonne place ; le troisième, qui est le père du jeune Maurice n’a jamais pu habiter dans les villes, il n’y respirait pas : il s’occupe sur les terres. D’accord avec l’aïeul dont l’autorité est souveraine, il voit avec plaisir que son fils sera médecin ; ils savent que le docteur Rœmerspacher, installé à Nomény, sera sans conteste l’homme important du canton.

Pourquoi donc le jeune homme s’acharne-t-il à leur affirmer qu’on ne peut faire, hors de Paris, d’études médicales sérieuses ? »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

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01/10/2020

Sous l'uniforme en drap du lycée

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« Le reste de l’année fut absorbé par la niaise préparation des examens, où ces jeunes gens réussirent. Bacheliers, ils quittèrent définitivement le lycée pour rentrer dans leurs familles. C’était la liberté, mais non un bonheur de leur goût.

Autour d’eux pourtant, il y avait l’été, puis l’automne, si beau dans ces pays de l’Est ! Mais, Gallant de Saint-Phlin excepté, ils ne sentaient pas la nature, ne savaient pas l’utiliser. En leur fermant l’horizon pendant une dizaine d’années, on les avait contraints de ne rien voir qu’en eux.

Si cette éducation leur a supprimé la conscience nationale, c’est-à-dire le sentiment qu’il y a un passé de leur canton natal et le goût de se rattacher à ce passé le plus proche, elle a développé en eux l’énergie. Elle l’a poussée toute en cérébralité et sans leur donner le sens des réalités, mais enfin elle l’a multipliée. De toute cette énergie multipliée, ces provinciaux crient : "À Paris !"

Paris !… Le rendez-vous des hommes, le rond-point de l’humanité ! C’est la patrie de leurs âmes, le lieu marqué pour qu’ils accomplissent leur destinée.

N’empêche qu’ils sont des petits garçons de leur village ; et ce caractère, dissimulé longtemps sous l’uniforme en drap du lycée, et aujourd’hui sous l’uniforme d’âme que leur a fait Bouteiller, pourra bien réapparaître à mesure que la vie usera ce vêtement superficiel.

Rœmerspacher, Sturel, Suret-Lefort, Saint-Phlin, Racadot, Mouchefrin et Renaudin, marqués par un philosophe kantien et gambettiste, sont des éléments significatifs de la France contemporaine, mais plus secrètement, ils valent aussi, au regard de l’historien, comme les produits de milieux historiques, géographiques et domestiques. Ils ont trouvé dans leurs foyers une idée maîtresse, qu’ils prisent moins haut que les idées reçues de l’État au lycée, mais qui tout de même est chevillée encore plus fortement dans leur âme. »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

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30/09/2020

Il voulait asservir ces volontés, ces intelligences à l’État

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« Que rêvent-ils, ces Lorrains-ci, jeunes gens de toute classe, grossiers et délicats mêlés ? M. Bouteiller est venu, l’ami de Gambetta, démocrate délégué par ceux qui se proposent d’organiser la démocratie, de fortifier et de créer le lien social. Il leur a prêché l’amour de l’humanité ; puis de la collectivité nationale. "L’individu, disait-il, vaut dans la mesure où il se sacrifie à la communauté…" Tel était son accent que leurs yeux se remplissaient de larmes ; mais c’est de voir un tel héros qu’ils s’émouvaient. Conséquence imprévue, trop certaine pourtant : il voulait asservir ces volontés, ces intelligences à l’État ; son contact fut plus fort et plus déterminant que ses paroles. Bouteiller a déposé en ces jeunes recrues des impressions qui contredisent sa doctrine en même temps qu’elles obligent leur intelligence et leur volonté. "Comme il est beau ! pensaient-ils, et qu’il fait bon aimer un maître !… Si nous pouvions l’égaler !… À Paris et tout jeune ! Par son mérite il est digne de commander à la France."

Son image seule, sa domination de César les a groupés et spontanément les forme à sa ressemblance, ces jeunes Césarions. Déliés du sol, de toute société, de leurs familles, d’où sentiraient-ils la convenance d’agir pour l’intérêt général ? ils ne valent que pour être des grands hommes, comme le maître dont l’admiration est leur seul sentiment social.

Après que, sous le titre de devoirs, on leur a révélé les ambitions, aucun de ces jeunes gens ne veut plus demeurer sur sa terre natale, et c’est presque avec un égal dédain qu’ils accueillent ses invitations à choisir un milieu corporatif. Quoi d’assez beau, d’assez neuf pour leur imagination ? Leur métier ne sera qu’un gagne-pain subi maussadement. Ils veulent être des individus.

… Rien de plus fort que le vent du matin qui s’engouffre au manteau du nomade, quand, sa tente pliée, il fuit dans le désert. Quitter les lieux où l’on a vécu, aimé, souffert ! Recommencer une vie nouvelle ! Parfois, c’est délivrance… Mais ceux-ci, au seuil de la vie, déjà leur amour est pour tous les inconnus : pour le pays qu’ils ignorent, pour la société qui leur est fermée, pour le métier étranger aux leurs. Ces trop jeunes destructeurs de soi-même aspirent à se délivrer de leur vraie nature, à se déraciner. »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

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Laurent Obertone : "c'est aux citoyens de se réapproprier leur destin contre l'Etat"

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Du verbalisme administratif

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« Alors cet homme admirable descendit de sa chaire, et, se promenant le long des bancs, commença de dire une façon de bonne aventure à chacun de ces enfants, tremblants de gêne et d’orgueil. C’était exactement le sorcier de jadis, mais d’aspect moderne. Il disposait des mêmes forces, — autorité dans le regard, intonation prophétique, et psychologie pénétrante. — L’âme un peu basse de cet homme, qui leur faisait l’illusion d’un philosophe et qui n’était qu’un administrateur, se trahissait en ceci qu’il les avertissait sur leur emploi et non sur leur être. Il voyait partout des instruments à utiliser, jamais des individus à développer.

(...)

Ses phrases, durant une demi-année, avaient conseillé la soumission aux besoins de la patrie, le culte de la loi, mais son image triomphante dominait ces enfants, les faisait à sa ressemblance et obligeait leur volonté.

(...)

Agitant son chapeau et serrant sa serviette sous le bras, toute la classe debout, il fit à ces enfants une chaude allocution sur sa confiance qu’ils se conduiraient toujours en serviteurs de l’État et en braves Français.

Ah ! oui ! c’étaient bien des Français, ces adolescents excitables ! Il suffit de les voir, avec leurs doigts tachés d’encre, leurs humbles vêtements de travail, leurs mentons à poils mal soignés, tout émus, électrisés par l’éloquence aimée et par la grande autorité du jeune maître :

— Vive la France ! Vive la République ! crient-ils d’une voix unanime.

La France ! la République ! Ah ! comme ils crient !… Il ne sert de rien qu’on prêche l’État, la France, la République. C’est du verbalisme administratif. Mais précisément, un bon administrateur cherche à attacher l’animal au rocher qui lui convient ; il lui propose d’abord une raison suffisante de demeurer dans sa tradition et dans son milieu ; il le met ensuite, s’il y a lieu, dans une telle situation qu’il ait plaisir à s’agréger dans un groupe et que son intérêt propre se soumette à la collectivité. On élève les jeunes Français comme s’ils devaient un jour se passer de la patrie. On craint qu’elle leur soit indispensable. Tout jeunes, on brise leurs attaches locales ; M. Bouteiller n’a pas su dire à ses élèves : "Prenez votre rang dans les séries nationales. Quelques-uns d’entre vous pour être plus sûrs de leur direction, ne veulent-ils pas mettre leurs pas dans les pas de leurs morts ?… Vous, Suret-Lefort et Gallant de Saint-Phlin, faites attention que le Barrois décline ; Bar a cessé d’être une capitale, mais il vous appartient d’en faire une cité où vous jouerez un noble rôle… Avez-vous remarqué, Mouchefrin, comment l’initiative d’un seul homme, M. Lorin, a transformé en magnifique bassin minier la région de Longwy ?… Rœmerspacher, on dit que les Salines de la Seille sont en décadence."

Le Barrois, le pays de la Seille, la région de Longwy, les Vosges, donnent à la Lorraine des caractères particuliers qu’il ne faut pas craindre d’exagérer, loin que cette province se doive effacer. Mais l’université méprise ou ignore les réalités les plus aisément tangibles de la vie française. Ses élèves grandis dans une clôture monacale et dans une vision décharnée des faits officiels et de quelques grands hommes à l’usage du baccalauréat, ne comprennent guère que la race de leur pays existe, que la terre de leur pays est une réalité et que, plus existant, plus réel encore que la terre ou la race, l’esprit de chaque petite patrie est pour ses fils instrument de libération.

Avec un grand tort, Bouteiller a hésité à se passionner de préférence pour les formes de la pensée française. On saurait bien découvrir chez nous quelques éléments des bonnes choses qu’on loue dans le caractère des autres peuples et qui chez eux sont mêlés de poison pour notre tempérament. On met le désordre dans notre pays par des importations de vérités exotiques, quand il n’y a pour nous de vérités utiles que tirées de notre fonds. On va jusqu’à inciter des jeunes gens, par des voies détournées, à sourire de la frivolité française. Non point qu’on leur dise : "Souriez", mais on les accoutume à ne considérer le type français que dans ses expressions médiocres, dont ils se détournent.

Enfin Bouteiller, quand il passait en revue et classifiait les systèmes, ne se plaçait pas au point de vue français, mais chaque fois au milieu du système qu’il commentait. Aussi fit-il de ses élèves des citoyens de l’humanité, des affranchis, des initiés de la raison pure. C’est un état dont quelques hommes par siècle sont dignes. Gœthe fut cela, mais auparavant il s’était très solidement installé Allemand. Quel point d’appui dans leur race Bouteiller leur a-t-il donné ?

En vérité, l’affirmation puérile que la France est une "glorieuse vaincue" ne suffira pas à maintenir un sentiment national auquel on enlève ses assises terriennes et géniales.

Cet excitateur qui prétendait pour le plus grand bien de l’État effacer les caractères individuels, quitte Nancy ayant créé des individus dont il fait seul le centre et le lien. Ces lycéens frémissants dans sa main, on peut les comparer à ces ballons captifs de couleurs éclatantes et variées, que le marchand par un fil léger retient, mais qui aspirent à s’envoler, à s’élever, à se disperser sans but. »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

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27/09/2020

L' Eloge de la force avec Laurent Obertone - Le Samedi Politique (TV LIbertés)

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26/09/2020

"Eloge de la Force", Laurent Obertone au micro d'André Bercoff

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13/09/2020

Vivre devant un mur...

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« Le train du monde m'accable en ce moment. A longue échéance, tous les continents (jaune, noir et bistre) basculeront sur la vieille Europe. Ils sont des centaines et des centaines de millions. Ils ont faim et ils n'ont pas peur de mourir. Nous, nous ne savons plus ni mourir, ni tuer. Il faudrait prêcher, mais l'Europe ne croit à rien. Alors, il faut attendre l'an mille ou un miracle. Pour moi, je trouve de plus en plus dur de vivre devant un mur. »

Albert Camus, "Lettre à Jean Grenier, Paris, le 28 juillet 1958" in Correspondance Camus-Grenier 1923-1960

 

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12/09/2020

Décret

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« Ceci n’est point du temps qui se mesure. Acclamons la vertu du passé, le portant comme une chaîne : mais qui soit d’or.

Ceci n’est pas geste qu’on incruste. Acceptons les hauts faits accomplis : mais saluons l’avènement libre des autres qui viendront peut-être.

Cette femme exhale les dix genres de beautés ; chaque maintien d’elle appelle un trait fameux, l’ombre délicate d’une héroïne :

Mais donnons un poème à celle "On ne peut dire qui elle est" ni pourquoi elle est belle ; et parmi les Noms Dynastiques, enclavant le vide d’un qui n’eut pas d’aube et n’aura pas de deuil :

Honorez du titre souverain l’Empereur qui aurait pu l’être, et qui ne daigne point promulguer d’autre édit. »

Victor Segalen, Décret in Stèles

 

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04/09/2020

Une méconnaissance totale des droits de l’individu

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« Avec quiétude, il faisait reposer toute sa conduite comme son enseignement sur le principe kantien qu’il formulait ainsi : "Je dois toujours agir de telle sorte que je puisse vouloir que mon action serve de règle universelle." — Dans les cas particuliers que nous citons, il avait jugé qu’il n’appartient pas à un brouillon qui se pique de générosité de maintenir quelque chose de pourri dans une collectivité.

Il y a dans cette règle morale un élément de stoïcisme, et aussi un élément de grand orgueil, — car elle équivaut à dire que l’on peut connaître la règle applicable à tous les hommes, — et puis encore un germe d’intolérance fanatique, — car concevoir une règle commune à tous les hommes, c’est être fort tenté de les y asservir pour leur bien ;

— enfin il y a une méconnaissance totale des droits de l’individu, de tout ce que la vie comporte de varié, de peu analogue, de spontané dans mille directions diverses. »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

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La théorie réglée en haut lieu

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« M. Bouteiller sait qu’un individu n’a pas de droits contre la société et il connaît ce qui convient le mieux à la société. En conséquence, il lui appartient de la servir en l’administrant, comme à ce troupeau d’enfants de la servir en se pliant à une sage administration. Il ressemble en plusieurs points essentiels — bien qu’il s’en distingue par ailleurs, fortement — à M. Burdeau. M. Burdeau a écrit : "Nous n’avons le droit de distraire du service de l’État aucune fraction de notre fortune, aucun effort de notre bras, aucune pensée de notre intelligence, aucune goutte de notre sang, aucun battement de notre cœur." Désireux d’utiliser son passage à Nancy pour connaître les circonscriptions de Meurthe-et-Moselle, leur esprit et leurs ressources, le jeune professeur a rassemblé sur cette population un ensemble de renseignements plus nombreux que n’en prend sur la race chevaline un officier chargé de la remonte. Mais l’éducateur ne respectera pas des particularités que l’homme politique prétend effacer.

Au résumé, il serait absurde de supposer qu’un Bouteiller, qui a pris sur Kant son point d’appui et qui désormais, ne le vérifie pas plus que ne fait un croyant pour la vérité révélée, qui est le délégué parfait d’une espèce psychologique et d’un parti social, peut s’attarder à peser les conséquences de son enseignement et les risques d’égarer les caractères d’une douzaine de jeunes gens. Il tient son rôle strictement, comme une consigne reçue de l’État. C’est le sergent instructeur qui communique à des recrues la théorie réglée en haut lieu. »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

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03/09/2020

Rien n’est absolu

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« Rien n’est absolu

Corollaire du précédent. La plupart des hommes de ma génération ont entendu cela toute leur enfance. Chaque fois qu’ivres de dégoût nous cherchâmes un tremplin pour nous évader en bondissant et en vomissant, le Bourgeois nous apparut, armé de ce foudre.

Nécessairement, alors, il nous fallait réintégrer le profitable Relatif et la sage Ordure.

Presque tous, il est vrai, s’y acclimatèrent, par bonheur, devenant, à leur tour, des Olympiens.

Savent-ils, pourtant, ces buveurs d’un sale nectar, qu’il n’y a rien de si audacieux que de contremander l’Irrévocable, et que cela implique l’obligation d’être soi même quelque chose comme le Créateur d’une nouvelle terre et de nouveaux cieux ?

Évidemment, si on donne sa parole d’honneur que "rien n’est absolu", l’arithmétique, du même coup, devient exorable et l’incertitude plane sur les axiomes les plus incontestés de la géométrie rectiligne. Aussitôt, c’est une question de savoir s’il est meilleur d’égorger ou de ne pas égorger son père, de posséder vingt-cinq centimes ou soixante-quatorze millions, de recevoir des coups de pied dans le derrière ou de fonder une dynastie.

Enfin, toutes les identités succombent. Il n’est pas "absolu" que cet horloger qui est né en 1869, pour l’orgueil de sa famille, n’ait aujourd’hui que quarante-trois ans et qu’il ne soit pas le grand-père de ce doyen de nos emballeurs qui fut enfanté pendant les Cent Jours, — de même qu’il serait téméraire de soutenir qu’une punaise est exclusivement une punaise et ne doit pas prétendre aux panonceaux.

En de telles circonstances, on en conviendra, le devoir de créer le monde s’impose. »

Léon Bloy, Exégèse des lieux communs

 

 

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Dieu n’en demande pas tant !

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« Dieu n’en demande pas tant !

Quelle épigraphe pour un commentaire du Code civil ! Plaisanterie trop facile et qu’il faut laisser charitablement à MM. les journalistes ou clercs d’huissiers. Le cas est grave.

N’est-ce pas une occasion de stupeur de songer que cette chose est dite, plusieurs millions de fois par jour, à la face conspuée d’un Dieu qui "demande" surtout à être mangé ! Le marchandage perpétuel impliqué par ce Lieu Commun a ceci de troublant qu’il rend manifeste le manque d’appétit d’un monde affligé cependant par les famines et réduit à se nourrir de son ordure.

Il serait puéril de faire observer qu’en cette formule, bien plus mystérieuse qu’on ne croirait, tout porte sur le mot tant, dont l’abstraite valeur est toujours à la merci d’un étalon facultatif qui n’est jamais divulgué. Cela dépend naturellement de l’étage des âmes.

Mais, comme la pente de toute négation est vers le néant, il n’est pas téméraire de conclure que l’imprécise demande de Dieu équivaut à rien, et que ce Dieu n’ayant plus rien à demander, en fin de compte, à des adorateurs qui peuvent indéfiniment rétrécir leur zèle, il n’a que faire désormais de son Être ou de sa Substance et doit nécessairement s’évanouir. Il importe, en effet, aussi peu que possible, qu’on ait telle ou telle notion de Dieu. Lui-même n’en demande pas tant, et voilà le point essentiel.

Quand j’exhorte ma blanchisseuse, Mme Alaric, à ne pas prostituer sa dernière fille comme elle a prostitué les quatre aînées ou que, timidement, je propose à mon propriétaire, M. Dubaiser, l’exemple de quelques Saints qui ne crurent pas indispensable à l’équilibre social de condamner à mort les petits enfants, et que ces dignes personnes me répondent : — Nous sommes aussi religieux que vous, mais Dieu n’en demande pas tant…, je dois reconnaître qu’elles sont fort aimables de ne pas ajouter : au contraire ! bien que ce soit évidemment, nécessairement, le fond de leur pensée.

Elles ont raison, sans doute, car la logique des Lieux Communs ne pardonne pas. Si Dieu n’en demande pas tant, il est forcé, par une conséquence invincible, d’en demander de moins en moins, je le répète, et finalement de tout refuser. Que dis-je ? En supposant qu’il lui reste alors un peu d’existence, il se trouvera bientôt dans la plus pressante nécessité de vouloir enfin qu’on vive comme des cochons et de lancer le reliquat de son tonnerre sur les purs et sur les martyrs.

Les bourgeois, d’ailleurs, sont trop adorables pour n’être pas devenus eux-mêmes des Dieux. C’est à eux qu’il convient de demander, à eux seuls. Tous les impératifs leur appartiennent et on peut être certain que le jour où ils demanderont trop sera précisément le jour même où ils commenceront à s’apercevoir qu’ils ne demandent pas tout à fait assez…

— Moi, je demande vos peaux, sales canailles ! leur dira Quelqu’un. »

Léon Bloy, Exégèse des lieux communs

 

 

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02/09/2020

Déraciner ces enfants, les détacher du sol et du groupe social ou tout les relie pour les placer hors de leurs préjugés dans la raison abstraite...

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« Du professeur ou du livre, nous recueillons seulement ce que notre instinct reconnaît comme sien, et nous interprétons avec une étrange indépendance. Alors que le maître réfute, souvent ses indignations tombent lourdement au pied de sa chaire, et la doctrine qu’il pense avoir détruite, il l’a propulsée dans des êtres avides qui, dès lors, en seront animés. Les mouvements si violents de ces jeunes âmes ne se traduisent pas encore en actions. M. Bouteiller, qui leur parle, avec une insistance éloquente, de cette idée supérieure du devoir qui gît dans chaque conscience et qui prouve l’existence de Dieu, jamais ne se penche pour écouter leurs murmures intérieurs. Nul doute qu’il eût été stupéfait de constater les prolongements de sa parole dans ces jeunes cerveaux. Mais voilà un des aspects les plus intéressants de l’œuvre de M. Bouteiller au lycée de Nancy : il fait avec ampleur son geste de semeur et ignore absolument ce que devient la graine.

Pour qu’il prévît sa moisson, il eût fallu qu’il connût son terrain ; c’est une étude qu’il dédaigne. Ce kantien ne se rend pas compte que d’être parvenu à son degré élevé de culture, d’avoir échappé à la patrie restreinte et à ses intérêts étroits pour appartenir à la France, à l’humanité tout entière et à la raison, c’est une puissance qui, chez un éducateur, implique un devoir : le devoir et la puissance de comprendre toutes les conditions de l’existence, qui sont diverses suivant les milieux. Chaque individu est constitué par des réalités qu’il n’y a pas à contredire ; le maître qui les envisage doit proportionner et distribuer la vérité de façon que chacun emporte sa vérité propre.

Et même avant d’examiner les biographies de ses élèves, M. Bouteiller ne devrait-il pas prendre souci du caractère général lorrain ? Il risque de leur présenter une nourriture peu assimilable. Ne distingue-t-il pas des besoins à prévenir, des mœurs à tolérer, des qualités ou des défauts à utiliser ? Il n’y a pas d’idées innées, toutefois des particularités insaisissables de leur structure décident ces jeunes Lorrains à élaborer des jugements et des raisonnements d’une qualité particulière. En ménageant ces tendances naturelles, comme on ajouterait à la spontanéité, et à la variété de l’énergie nationale ! C’est ce que nie M. Bouteiller. Quoi ! à la façon d’un masseur qui traite les muscles de son client d’après le tempérament qu’il lui voit, le professeur devrait approprier son enseignement à ces natures de Lorrains et aux diversités qu’elles présentent ! C’est un système que M. Bouteiller n’examine même pas.

Déraciner ces enfants, les détacher du sol et du groupe social ou tout les relie pour les placer hors de leurs préjugés dans la raison abstraite, comment cela le gênerait-il, lui qui n’a pas de sol, ni de société, ni, pense-t-il, de préjugés ? »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

 

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01/09/2020

Son sang en est brûlé...

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« De l’ambition mêlée à la mélancolie romanesque, voilà ce que l’on retrouve au cours de ce siècle, chez des milliers de jeunes gens, les Julien Sorel, les Rubempré, les Amaury, pour qui les conquêtes de la bourgeoisie ont rompu les frontières sociales, et ouvert tous les possibles. M. Bouteiller, qui croit soumettre ses élèves à la notion du devoir, ne fait que les jeter plus ardents dans la voie commune aux jeunes Français modernes. Et leurs lectures aussi les exaltent sans plus leur fournir de sentiment social.

Dans chaque quartier de lycée se trouve une petite bibliothèque, composée d’après l’âge des élèves. L’apprenti philosophe y connaît à travers de faibles contradicteurs les grands esprits libres. Malmenés, parfois injuriés par les éditeurs universitaires, ils se présentent à l’enfant comme des révoltés, des proscrits ; par là son imagination, qu’ils auraient bien su ébranler, est plus fortement séduite. Il les lit sous la flamme du gaz, dans un lieu infecté par tant d’adolescents pressés, dans une atmosphère de contrainte, de malaise, d’irritation et de grossièreté. Son sang en est brûlé ; sous leur poids, son âme prend une pente selon laquelle dorénavant coulera tout ce qu’elle recevra de la vie. Le grand air, les horizons libres, la douceur d’une jeunesse passée dans une harmonie d’intérêts naturels et d’affections, donneraient à de tels livres un sens qu’ils n’ont pas dans les cellules d’un lycée. Et Rousseau, qui fait aimer et donne le sens de la fraternité, si tu le lis dans un verger, les tourmentait de sensualité et de sauvagerie mélancolique, tumultueux petit livre lu secrètement aux lueurs tard prolongées d’un jour de juin, splendide, mais trop lourd pour le prisonnier. »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

 

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31/08/2020

Obtenir enfin le mutisme du Bourgeois, quel rêve !

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« De quoi s’agit-il,en effet, sinon d’arracher la langue aux imbéciles, aux redoutables et définitifs idiots de ce siècle, comme saint Jérôme réduisit au silence les Pélagiens ou Lucifériens de son temps ?

Obtenir enfin le mutisme du Bourgeois, quel rêve !

L’entreprise, je le sais bien, doit paraître fort insensée. Cependant je ne désespère pas de la démontrer d’une exécution facile et même agréable.

Le vrai Bourgeois, c’est-à-dire, dans un sens moderne et aussi général que possible, l’homme qui ne fait aucun usage de la faculté de penser et qui vit ou paraît vivre sans avoir été sollicité, un seul jour, par le besoin de comprendre quoi que ce soit, l’authentique et indiscutable Bourgeois est nécessairement borné dans son langage à un très-petit nombre de formules.

Le répertoire des locutions patrimoniales qui lui suffisent est extrêmement exigu et ne va guère au delà de quelques centaines. Ah ! si on était assez béni pour lui ravir cet humble trésor, un paradisiaque silence tomberait aussitôt sur notre globe consolé !

Quand un employé d’administration ou un fabricant de tissus fait observer, par exemple : "qu’on ne se refait pas ; qu’on ne peut pas tout avoir ; que les affaires sont les affaires ; que la médecine est un sacerdoce ; que Paris ne s’est pas bâti en un jour ; que les enfants ne demandent pas à venir au monde ; etc., etc., etc.," qu’arriverait-il si on lui prouvait instantanément que l’un ou l’autre de ces clichés centenaires correspond à quelque Réalité divine, a le pouvoir de faire osciller les mondes et de déchaîner des catastrophes sans merci ?

Quelle ne serait pas la terreur du patron de brasserie ou du quincaillier, de quelles affres le pharmacien et le conducteur des ponts et chaussées ne deviendraient-ils pas la proie, si, tout à coup, il leur était évident qu’ils expriment, sans le savoir, des choses absolument excessives ; que telle parole qu’ils viennent de proférer, après des centaines de millions d’autres acéphales, est réellement dérobée à la Toute-Puissance créatrice et que, si une certaine heure était arrivée, cette parole pourrait très bien faire jaillir un monde ?

Il semble, d’ailleurs, qu’un instinct profond les en avertisse. Qui n’a remarqué la prudence cauteleuse, la discrétion solennelle, le morituri sumus de ces braves gens, lorsqu’ils énoncent les sentences moisies qui leur furent léguées par les siècles et qu’ils transmettront à leurs enfants ?

Quand la sage-femme prononce que "l’argent ne fait pas le bonheur" et que le marchand de tripes lui répond avec astuce que, "néanmoins, il y contribue", ces deux augures ont le pressentiment infaillible d’échanger ainsi des secrets précieux, de se dévoiler l’un à l’autre des arcanes de vie éternelle, et leurs attitudes correspondent à l’importance inexprimable de ce négoce.

Il est trop facile de dire ce que paraît être un lieu commun. Mais ce qu’il est, en réalité, qui pourra le dire ? »

Léon Bloy, Préface in Exégèse des lieux communs

 

 

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29/08/2020

Encourageons-le à disparaître, puisque tel est son désir...

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« Ce livre s’adresse aux musiciens de la vie. Ignorants, mondains, populistes, politiciens véreux, employés d’édition gâteux, journalistes mafieux, clergé intellectuel haineux, universitaires fumeux, avant-gardistes foireux, académiciens vitreux, médiatiques pressés graveleux, apocalyptiques bilieux, moralistes rancuneux, sexualisés piteux, sociologues plâtreux, militants abrutis et joyeux de la laideur publicitaire générale, nihilistes, déprimés, affairistes, familialistes, fanatiques de l’autodestruction programmée ou maniaques en tout genre : s’abstenir.

— Vous en faites trop, me dit soudain l’Adversaire. Quand dormez-vous ?

(...)

Car l’Adversaire est inquiet. Ses réseaux de renseignements sont mauvais, sa police débordée, ses agents corrompus, ses amis peu sûrs, ses espions souvent retournés, ses femmes infidèles, sa toute puissance ébranlée par la première guérilla venue. Il dépense des sommes considérables en contrôle, parle sans cesse en termes de calendrier ou d’images, achète tout, investit tout, vend tout, perd tout. Le temps lui file entre les doigts, l’espace est pour lui de moins en moins un refuge. Les mots "siècle" ou "millénaire" perdent leur sens dans sa propagande. Il voudrait bien avoir pour lui cinq ou dix ans, l’Adversaire, alors qu’il ne voit pas plus loin que le mois suivant.

(...)

Le Maître est énorme et nu, sa carapace est sensible au plus petit coup d’épingle, c’est un Goliath à la merci du moindre frondeur, un Cyclope qui ne sait toujours pas qu'il s’appelle Personne, un Big Brother dont les caméras n’enregistrent que ses propres fantasmes, un Pavlov dont le chien n’obéit plus qu’une fois sur deux. Il calcule et communique beaucoup pour ne rien dire, l’Adversaire, il tourne en rond, il s’énerve, il ne comprend pas comment le langage a pu le déserter à ce point, il multiplie les informations, oublie ses rêves, fabrique des livres barbants à la chaîne, s’endort devant ses films, croit toujours dur comme fer que l’argent, le sexe et la drogue mènent le monde, sent pourtant le sol se dérober sous ses pieds, est pris de vertige, en vient secrètement à préférer mourir.

Encourageons-le à disparaître, puisque tel est son désir. Et méditons simplement cette pensée érotique de Lichtenberg : "Il y a très peu de choses que nous pouvons goûter avec les cinq sens à la fois." »

Philippe Sollers, Avertissement in Eloge de l'infini

 

 

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28/08/2020

La grâce sublime d’une âme confiante

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« Au matin, avec ses beaux yeux largement, cernés par l’ardeur de ses rêves, il était plaisanté par ses pauvres camarades qui, tous, du lycée, avaient reçu le ton obscène de la caserne, et lui-même l’adoptait, déjà gâté de grossièreté. Ce milieu, s’il salit tout l’extérieur des adolescents, du moins fortifie la puissance du rêve en le refoulant. Celui qui grandit hors de la société des femmes, appliqué à ne pas différer de compagnons vulgaires et railleurs, n’épanouira jamais sur son visage et dans tous les mouvements de son corps la grâce sublime d’une âme confiante ; mais ses jouissances intimes, qu’il ne pourra partager avec personne, y gagneront en âpreté. »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

 

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26/08/2020

Il s’agit aujourd’hui de passer des certitudes à la négation

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« La grande affaire pour les générations précédentes fut le passage de l’absolu au relatif ; il s’agit aujourd’hui de passer des certitudes à la négation sans y perdre toute valeur morale. Soudain un homme d’une grande éloquence communiquait à ces jeunes garçons le plus aigu sentiment du néant, d’où l’on ne peut se dégager au cours de la vie qu’en s’interdisant d’y songer et par la multitude des petits soucis d’une action. Dans l’âge où il serait bon d’adopter les raisons d’agir les plus simples et les plus nettes, il leur proposait toutes les antinomies, toutes les insurmontables difficultés reconnues par une longue suite d’esprits infiniment subtils qui, voulant atteindre une certitude, ne découvrirent partout que le cercle de leurs épaisses ténèbres. Ces lointains parfums orientaux de la mort, filtrés par le réseau des penseurs allemands, ne vont-ils pas troubler ces novices ? La dose trop forte pourrait jeter chacun d’eux dans une affirmation désespérée de soi-même ; ils se composeraient une sorte de nihilisme cruel. »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

 

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25/08/2020

Le dévouement

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« L’Université est un puissant instrument d’État pour former des cerveaux : elle a enseigné le dévouement à l’Empire, aux Bourbons légitimes, à la famille d’Orléans, à Napoléon III ; elle enseigne en 1879-1880 les gloires de la Révolution. À toutes les époques, elle eut pour tâche de décorer l’ordre établi. On peut se croire à dix-sept ans révolté contre ses maîtres ; on n’échappe pas à la vision qu’ils nous proposent des hommes et des circonstances. Notre imagination qu’ils nourrissent s’adapte au système qui les subventionne. »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

 

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23/08/2020

Une longue hérédité campagnarde

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« Certes, Maurice Rœmerspacher, Henri Gallant de Saint-Phlin, François Sturel, Georges Suret-Lefort, Alfred Rénaudin, Honoré Racadot, Antoine Mouchefrin, tout ce petit troupeau, en marche pour la vie et encore indiscernable, paraîtrait arriéré à des "philosophes" de Paris. Bien qu’en eux une force d’hommes soit prête à éclater, ils demeurent, par le geste et le vocabulaire, des enfants. La formation n’est pas hâtive en province, mais peut-être ces jeunes gens, qui profitent d’une longue hérédité campagnarde et dont nul bruit de la vie ne détourne l’enthousiasme, ont-ils une naïveté plus avide, plus réceptive, que les merveilleux adolescents parisiens, un peu débiles et déjà de curiosité dispersée par leurs plaisirs du dimanche. »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

 

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Une conscience plus nette de votre dignité...

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« Il avait ce teint d’un seul ton, cette face décolorée fréquente chez les personnes qui vivent renfermées. Souvent, ses yeux étaient fatigués et légèrement rougis par un travail tard prolongé. La méditation et les soins intellectuels mettent de la gravité sur la physionomie. Son regard n’était jamais distrait ni vague, mais le plus souvent baissé ; sinon, il regardait en face, et de telle façon qu’il n’eut jamais besoin de punir. Il avait du prestige et sut faire appel au sentiment de l’honneur. Il parla. Il leur dit sa haute notion de sa responsabilité, étant venu pour faire des hommes et des citoyens. Mais eux aussi, ils avaient des devoirs, de patriotisme et de solidarité. Quelques-uns prenaient des notes, il les invita à n’en rien faire :

— Ce ne sont pas les matières du cours ; on ne vous interrogera pas là-dessus à l’examen, mais plus qu’un diplôme, ceci est nécessaire : que vous réfléchissiez sur les liens qui nous unissent, afin que vous ayez une conscience plus nette de votre dignité… »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

 

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