26/01/2021
La curiosité-suicide...
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« Quoi qu'il en soit, si nous nous en tenons au sens courant du terme, être naïf c'est s'arrêter à la perspective simplificatrice et matérialisante de l'enfance, sans pour autant devoir perdre l'instinct pour la "seule chose nécessaire", lequel n'exige aucune expérience complexe ni aucun don de spéculation abstraite.
Nous voudrions répondre ici à la question suivante : un homme libéré d'une erreur pernicieuse est-il devenu plus intelligent pour autant ? Au point de vue de l'intelligence potentielle, non ; mais au point de vue de l'intelligence effective, oui, certainement ; car sous ce rapport, vérité égale intelligence. La preuve en est que l'acceptation d'une vérité-clef entraîne la capacité de comprendre — comme par une réaction en chaîne — d'autres vérités du même ordre, plus une multitude d'applications subordonnées ; toute compréhension illumine, toute incompréhension obscurcit. A l'opposé de la naïveté, il y a l'intelligence luciférienne, exploratrice, inventive, laquelle s'enfonce passionnément et aveuglément dans l'inconnu et l'indéfini ; c'est l'histoire de Prométhée et d'Icare, et c'est la curiosité-suicide. »
Frithjof Schuon, Racines de la condition humaine
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25/01/2021
L'absurdité de la thèse matérialiste
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« Il n'est pas hors de propos de faire remarquer dans ce contexte que la grande contradiction du matérialisme, c'est qu'il est pensé ; il n'est pas lui-même de la matière, il est un concept, donc quelque chose d'immatériel par définition. Le phénomène de la subjectivité — nous ne nous lassons pas de le dire — prouve concrètement l'absurdité de la thèse matérialiste, du fait que la nature même du penseur dément ce qu'il pense; autant déclarer ''objectivement'' que l'esprit humain est incapable d'objectivité, ou qu'il est vrai qu'il n'y a pas de vérité, et ainsi de suite. »
Frithjof Schuon, Racines de la condition humaine
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24/01/2021
Un vide
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« Il y a deux choses à envisager dans les choses créées, à savoir l'apparence empirique et le mécanisme ; or l'apparence manifeste l'intention divine (…) le mécanisme n'opère que le mode de manifestation. Chez l'homme corporel par exemple, l'intention divine s'exprime par la forme, la déiformité, le symbolisme, la beauté ; le mécanisme est l'anatomie et le fonctionnement vital. La mentalité moderne, à tendance toujours scientiste et "iconoclaste", tend à suraccentuer le mécanisme au détriment de l'intention créatrice, et cela sur tous les plans, psychologique aussi bien que physique ; il en résulte une mentalité blasée et "démystifiée" que rien n' "impressionne" plus. Avec l'oubli de l'intention divine, pourtant apparente a priori, on aboutit à un vide dépourvu de tout point de référence et de toute signification, et à une mentalité de nihilisme et de désespoir, si ce n'est de matérialisme insouciant et brutal. En face de cette déviation, c'est l'enfant qui a raison, quand il croit que le ciel bleu au-dessus de nous c'est le Paradis. »
Frithjof Schuon, Racines de la condition humaine
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23/01/2021
Un bon caractère
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« A la question de savoir s'il vaut mieux avoir de l'intelligence ou un bon caractère, nous répondrons : un bon caractère. Pourquoi ? parce que, quand on pose cette question, on ne pense jamais à l'intelligence intégrale, laquelle implique essentiellement la connaissance de soi ; inversement, un bon caractère implique toujours une part d'intelligence, à condition évidemment que la vertu soit réelle, et non compromise par un orgueil sous-jacent, comme c'est le cas dans le "zèle d'amertume". Le bon caractère s'ouvre à la vérité, exactement comme l'intelligence fidèle à sa substance débouche sur la vertu; nous pourrions dire aussi que la perfection morale coïncide avec la foi, qu'elle ne saurait donc être un perfectionnisme social dépourvu de contenu spirituel. »
Frithjof Schuon, Racines de la condition humaine
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22/01/2021
Porcelaine
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« Les chiens de faïence se regarde "de travers". Mais comment s'étonner, ils sont en porcelaine. Ils n'existent pas. Quand l'homme s'engage dans une relation tendue avec un autre homme, c'est pour dissimuler ce que son inconscient lui crie : qu'en tant qu'il dit "je" et se prend (sauf dans ses rêves) pour un individu, il commet un énorme mensonge. Nous ne sommes jamais individuels, mais restons, comme Antigone le démontre à Créon, qui ne comprendra jamais rien, des êtres de lignages et de lignées, humaines et non humaines. Nous portons en nous le poids du monde, de sorte que nous ne pouvons demeurer "droits". L'agressivité vient de cette "mauvaise humeur" éprouvée à côtoyer en nous des êtres faux, controuvés, des artefacts dont la vie se brode sur un mensonge. Alors, comment ne pas entasser d'autres mensonges, pouvoir, honneurs, richesses, désir de conquête, la longue litanie des bobards ? La totalité de l'histoire de l'Occident, dans sa rudesse, provient de cette ambiance de faux-semblants que, très bizarrement, la psychanalyse ne met pas clairement en tête des blocages à traiter et dénouer d'urgence, si l'on veut retrouver une pensée et une vie. »
Arnaud Villani, Chiens de faïence
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21/01/2021
Les chefs
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« Mon père, prolétaire de son état, a toujours porté à ses divers patrons une haine constante et qu’il transférait d’ailleurs de l’un à l’autre sans la modifier d’un iota. Tous les patrons étaient à son avis détestables. Ancien combattant de la guerre 14-18 et soldat pendant sept années (la guerre le cueillit alors qu’il terminait son service militaire), il adorait, vénérait, respectait (mon enfance en sait quelque chose) ceux qui avaient été ses officiers. L’explication est simple et je l’ai donnée plus haut : il respectait le Maître héroïque et (à lui bidasse de 2ème classe) inaccessible. Il se souvenait de son temps militaire, malgré les souffrances de la guerre, avec joie. Son malheur commença lorsqu’il dut obéir à des bourgeois. A des patrons et non plus à des chefs.
[…]
Evidemment, les officiers que mon père admirait le plus étaient ceux qui avaient été tués.
[…]
D’ailleurs comment respecter le Maître, dans une démocratie, puisqu’il n’est qu’un esclave promu ? D’où la haine du prolétaire pour le bourgeois qu’il souhaite devenir tout en méprisant les moyens de cette promotion et les antivertus nécessaires à cette ascension. Le bourgeois est l’anti-héros qui a utilisé la ruse, le négoce, l’argent, la combine (etc.) et qui s’est avilit en tant qu’homme pour devenir bourgeois. “S’embourgeoiser” est injure… D’où la haine et l’envie du prolétaire et ce mépris fasciné qu’il porte au bourgeois. Celui-ci n’est pas un Maître respecté et admiré mais, à la limite, un salaud. Je verrai là une des raisons du désespoir contemporain ! Le promu a mauvaise conscience et le non-promu méprise ce qui, en même temps, est son idéal.
Alors que le véritable Maître est admiré. Parce qu’il est inaccessible. Parce qu’il est source de valeurs. Parce qu’il est exemplaire et protecteur. Parce que sa morale, étant héroïque, rejoint le sacrifice et l’ascèse. Du coup, entre lui et l’esclave, l’amour — oui l’amour ! — est possible.
L’attitude du prolétaire vis-à-vis du bourgeois est assez semblable à celle du non-Juif face au Juif. Mépris pour ce dernier et désir d’accéder où il accède tout en éprouvant une répulsion morale pour ses “supériorités”. Ce n’est pas un hasard si le prolétaire est volontiers antisémite. Le Juif est, à ses yeux, le bourgeois suprême. (Cette attitude est celle de beaucoup de noirs américains qui voient dans le Juif l’impérialiste suprême.) »
Jean Cau, Le temps des esclaves
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20/01/2021
Avachissement et avilissement masochiste
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« Il m'aura fallu des années de réflexion et de lucidité afin d'oser mettre en question et en questions l'égalitarisme sacro-saint qui fut mon miel et mon lait jusqu'à de récentes années.
(...)
Il aura fallu d'une part que j'assiste à l'avachissement et à l'avilissement masochiste de nos sociétés occidentales, d'autre part que je découvre le visage effroyablement médiocre du communisme pour que j'ose me demander si leur faillite commune n'avait pas même origine et mêmes raisons : le culte – bien qu'il fût célébré par des prêtres divers – du même veau. »
Jean Cau, Le temps des esclaves
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19/01/2021
Guerre civile planétaire
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« Qui oserait rappeler l’évidence démontrée il y a déjà vingt-cinq ou trente ans par Foucault que non seulement la guerre des races ne s’est pas éteinte avec l’émergence des guerres nationales, ou de la "lutte des classes", mais qu’elles ne cessent au contraire toutes ensemble de s’élaborer sans cesse dans l’infernal creuset des âmes humaines livrées à elles-mêmes, et aux mauvais picrates intellectuels du XXème siècle, contaminant peu à peu toutes les structures de la société-monde, jusqu’à nous promettre l’éclatement prochain d’une guerre des sexes comme horizon terminal, au milieu des destructions de la guerre civile planétaire ? »
Maurice G. Dantec, Laboratoire de catastrophe générale (Le théâtre des opérations 2000-2001)
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18/01/2021
La beauté
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« Saint-Etienne et sa banlieue. Un pareil spectacle est la condamnation de la civilisation qui l’a fait naître. Un monde où il n’y a plus de place pour l’être, pour la joie, pour le loisir actif, est un monde qui doit mourir. Aucun peuple ne peut vivre en dehors de la beauté. Il peut quelque temps se survivre et c’est tout. Et cette Europe qui offre ici un de ses visages les plus constants s’éloigne sans arrêt de la beauté. C’est pour cela qu’elle se convulse et c’est pour cela qu’elle mourra si la paix pour elle ne signifie pas le retour à la beauté et sa place rendue à l’amour. »
Albert Camus, Carnets II, 1942-1951
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17/01/2021
Du coeur et de l'âme
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« Les qualités propres à l’aristocratie sont difficiles à décrire, parce qu’elles viennent du cœur et de l’âme plus que du seul intellect ou de la seule "raison morale". De même que l’aristocratie relie le peuple aux dieux, elle relie le ciel à la terre, comme l’arbre du monde dans les anciennes mythologies. Elle relie aussi le visible à l’invisible, le fini à l’infini, ce qui se décrit à ce qui ne peut pas se dire. Elle montre les choses mais elle ne les dit pas. »
Alain de Benoist, Les idées à l’endroit
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16/01/2021
Un chaton
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« Un bombardier de nuit soviétique avait lâché une bombe (...). Parmi les débris de rondins et les gravats il ne découvrit qu’un chaton. Le chaton était en piètre état, il ne demandait rien, n’attendait rien, il devait croire que la vie sur terre c’était cela : le bruit, le feu, la faim. »
Vassili Grossman, Vie et destin
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15/01/2021
La classe intellectuelle
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« Nous sommes devenus amis, c'est-à-dire que chaque jour il venait se fourrer chez moi, m'empêchait de travailler et m'entretenait à coeur ouvert de sa détresse. Dès les premiers temps, son extraordinaire fausseté, qui me donnait vraiment la nausée, m'avait frappé. En tant qu'ami, je le gourmandais de tant boire, de vivre au-dessus de ses moyens et de faire des dettes, de paresser, de ne rien lire, d'être si peu cultivé et si peu informé, et en réponse à toutes mes observations, il souriait amèrement, soupirait et disait : “Je suis un raté, un inutile !” ou “Que voulez-vous attendre de nous, débris du servage ?” ou “Nous dégénérons…” Ou bien il se mettait à débiter un long fatras où il était question d'Onéguine, de Pétchorine, du Caïn de Byron, de Bazarov, et disait d'eux : “Ce sont nos pères par la chair et par l'esprit.” Comprenez en somme, que ce n'était pas de sa faute si les plis officiels traînaient des semaines entières sans êtres ouverts, s'il buvait et faisait boire les autres, mais celle d'Onéguine, de Pétchorine et de Tourguéniev qui ont inventé le raté et l'inutile. La cause de son extrême dépravation et de sa vie scandaleuse n'était pas, voyez-vous, en lui-même, mais à l'extérieur, au-dehors. Et avec cela — voyez la ruse ! — il n'était pas seul à être dépravé, menteur et vil, nous aussi nous l'étions… “Nous, les gens des années 80”, “nous, le surgeon amolli, énervé du servage”, “nous que la civilisation a défigurés…”. Bref, nous devions comprendre qu'un grand homme comme Laïevski était grand jusque dans sa déchéance, que sa dépravation, son ignorance et sa crasse étaient un phénomène d'histoire naturelle, consacré par le déterminisme, que les causes en étaient universelles, élémentaires et que l'on devait suspendre devant lui une veilleuse d'icône parce qu'il était la victime de l'époque, des influences, de l'hérédité, et ainsi de suite. Tous les fonctionnaires et toutes les dames, en l'entendant, poussaient des oh ! et des ah ! d'admiration et j'ai mis longtemps à comprendre à qui j'avais affaire : était-ce un cynique ou un adroit filou ? Des individus comme lui appartiennent en apparence à la classe intellectuelle, qui ont quelque instruction et parlent beaucoup de leur noblesse personnelle, savent se faire passer pour des natures complexes. »
Anton Tchekhov, Le duel
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14/01/2021
Les bons sentiments
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« Certaines âmes philanthropiques pourraient construire en rêve quelque miraculeuse façon de désarmer ou de terrasser l’adversaire, sans causer trop de souffrance, et croire que l’art de la guerre évolue dans cette direction. Aussi désirable qu’elle soit, cette vue de l’esprit doit être réfutée. Car dans un état aussi dangereux que la guerre, les pires erreurs sont celles que nourrissent les bons sentiments. »
Carl von Clausewitz, De la guerre
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13/01/2021
En fait, elles ne s’intéressent qu’aux femmes
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« Les producteurs de films découvrent enfin, mais lentement, que les femmes se contentent parfaitement d’artistes aussi laids que Belmondo, Walter Matthau ou Dustin Hoffman, au lieu des beaux acteurs de jadis. Puisqu’ils accordent peu de valeur à leur physique et ne se croient beaux qu’exceptionnellement (ils ne voient la beauté que chez les femmes), ils s’identifient plus facilement à des interprètes qui ne sont pas des Apollons. Pourvu que les principaux rôles féminins soient tenus par de belles vedettes, les femmes absorbent ces films avec autant de plaisir que ceux où jouerait un Rock Hudson ; en fait, elles ne s’intéressent qu’aux femmes qu’elles y voient. »
« Quoi que fassent les hommes pour en imposer aux femmes, dans le monde des femmes, ils ne comptent point. Dans le monde des femmes, seules comptent les autres femmes. Lorsqu’une d’elles remarque qu’un homme dans la rue se retourne sur elle, naturellement, elle s’en réjouit. Si l’homme est habillé de façon coûteuse ou roule dans une voiture de sport grand luxe, sa joie est d’autant plus grande, joie comparable à celle d’un porteur d’actions qui lit un rapport de bourse favorable. Pour la femme, que l’homme soit bien physiquement ou non, sympathique ou non, intelligent ou non, ne joue absolument aucun rôle. »
Esther Vilar, L’homme subjugué
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C’est avec de telles monotonies que sont faits les sentiments durables qui déterminent l’individualité d’une âme particulière
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« Un rythme qui continue inchangé est un présent qui a une durée ; ce présent qui dure est fait de multiples instants qui, à un point de vue particulier, sont assurés d’une parfaite monotonie. C’est avec de telles monotonies que sont faits les sentiments durables qui déterminent l’individualité d’une âme particulière. L’unification peut d’ailleurs s’établir au milieu de circonstances bien diverses. [...] Cependant l’être est un lieu de résonance pour les rythmes des instants et, comme tel, on pourrait dire qu’il a un passé comme on dit qu’un écho a une voix. Mais ce passé n’est qu’une habitude présente et cet état présent du passé est encore une métaphore. En effet, pour nous, l’habitude n’est pas inscrite dans une matière, dans un espace. [...]
L’habitude qui, pour nous, est pensée est trop aérienne pour s’enregistrer, trop immatérielle pour dormir dans la matière. Elle est un jeu qui continue [...] c’est de cette manière que nous tenterons de solidariser, par l’habitude, le passé et l’avenir. »
Gaston Bachelard, L’intuition de l’instant
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Réminiscence
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« Il est de fins ressorts dont la marche ignorée
— Ni savants, ni rêveurs, n’ont deviné comment —
Va dans un coin de l’âme éveiller brusquement
Le parfum d’une fleur autrefois respirée.
Autrefois, le céleste épanouissement
De ta bouche qui rit, cette rose pourprée,
M’avait tout embaumé l’âme... Chère adorée
Qui t’envolas si tôt, l’oubli vint lentement !
Voilà que, ravivant ton image effacée,
Ta grâce tout à coup me vient à la pensée,
Comme l’air qu’un hasard souffle aux musiciens.
D’un soir déjà lointain je reconnais les fièvres :
Et mon cœur a senti refluer à mes lèvres
Une fraîche saveur de baisers anciens. »
Léon Valade, "Réminiscence" in Le Parnasse contemporain
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12/01/2021
Une vie d'homme libre
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« L’homme, qui aime la femme et souhaite passionnément, par-dessus tout, son bonheur, la suit encore sur ce terrain : il produit pour elle du rouge à lèvre qui ne tache pas, du noir aux yeux qui ne la fait pas pleurer, des bigoudis chauffants qui remplacent ses ondulations absentes, des blouses plissées qu’elle n’a plus à repasser, des sous-vêtements qu’elle jette au fur et à mesure qu’ils sont sales. Car il a toujours le même but, la délivrer de ces mesquineries une fois pour toutes, lui permettre de réaliser en elle ce qui est spécifiquement féminin et donc étranger à son esprit d’homme, satisfaire les aspirations "élevées" — à ce qu’il croit — de la nature plus délicate, plus sensible, de la femme, pour qu’enfin elle puisse mener la seule et unique existence qu’il considère digne d’être vécue : une vie d’homme libre. »
Esther Vilar, L’homme subjugué
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La prodigalité
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« La prodigalité est une vertu d'artiste.
[...]
Le don n'épuise pas la richesse qui le permet, car, dans cette logique de l'expansion, en forme de génération spontanée, la dépense est immédiatement suivie d'une nouvelle disponibilité pour un nouveau don. Le déploiement et la dissipation instaurent un rapport au temps éminemment singulier : l'instant suffit à la consumation, il acquiert de la sorte une densité ignorée en d'autres occasions. Là où il coule, sagement chronologique, sans variations d'intensité, [...] il n'est que durée mesurable, quantité appréciable. En revanche, dans la dilapidation, il est l'occasion de moments intenses, gonflés de sens. Des pics et des cimes. La qualité de l'émotion est sans pareille, l'éternité tout entière semble avoir pris place dans le fragment de temps qui s'est détaché en coïncidence avec le geste. [...] le dispendieux est un artiste du temps.
L'éthique de la dépense suppose l'éclatement et la production de fragments, le divers et le multiple. Ce sont des densités matérialisées, cristallisées qui font les points, mais l'ensemble de la démarche est dynamique. Elle suppose une volonté de mouvement, un consentement aux flux et aux fleuves. D'où l'héraclitéisme du dispendieux qui veut et aime la mobilité, qui sollicite la circulation dans le dessein de produire des opportunités pour une plus grande probabilité de dépenses. [...] il sait n'avoir pour seul capital que sa vie, qu'elle ne durera pas éternellement [...] La mort donne le prix, elle fixe le sens.[...]
Le probable devient effectif et réel par la dépense qui est mode de révélation. »
Michel Onfray, De la prodigalité ou l'excédent somptuaire, in La sculpture de soi : la morale esthétique
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11/01/2021
Système neutre programmé pour réaliser le maximum de gain
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« On peut parfaitement comparer la femme à une entreprise, système neutre programmé pour réaliser le maximum de gain : la femme se lie sans amour, sans méchanceté ni haine personnelle, à l’homme qui travaille pour elle. S’il l’abandonne, l’angoisse naturellement la saisit, car son existence économique est en jeu. Sous cette angoisse aux causes rationnelles ne s’ouvre aucun abîme infini, et sa compensation est elle aussi d’ordre logique : par exemple, il suffit de prendre un autre homme sous contrat. »
Esther Vilar, L’homme subjugué
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10/01/2021
L'un âgé et l'autre jeune
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« Lorsqu’une femme a le choix entre deux hommes, l’un âgé et l’autre jeune, dont le revenu est le même, elle choisit certes le plus jeune, non parce que sa jeunesse lui inspire un sentiment esthétique ou de la sympathie, mais uniquement parce qu’il pourra subvenir plus longtemps à ses besoins. Les femmes savent très bien ce qu’elles attendent d’un homme, aussi prennent-elles parfaitement leur décision : on n’en a probablement jamais vu préférer pour mari un pauvre diable de vingt ans à un quadragénaire fortuné. »
Esther Vilar, L’homme subjugué
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09/01/2021
Le dressage par l'éloge
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« Une fois habitué aux compliments, il suffit de n’en pas recevoir pour se sentir blâmé. Le dressage par l’éloge présente entre autres les avantages suivants : celui qui est loué tombe dans un état de dépendance par rapport au laudateur (pour que l’éloge vaille quelque chose, il doit provenir d’une instance supérieure ; c’est donc reconnaître au laudateur un niveau plus élevé). L’éloge agit comme une drogue (lorsqu’il en est privé, l’intoxiqué confond toutes les valeurs et perd la faculté de s’identifier à lui-même). L’éloge accroît les rendements (il suffit pour ce de cesser de l’appliquer à l’état de choses présent et de ne l’appliquer qu’au rendement supérieur). »
Esther Vilar, L’homme subjugué
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08/01/2021
Ils donnent à cet asservissement le nom d'amour
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« Le marxisme, l’amour du prochain, le racisme, le nationalisme, sont des exemples de ces systèmes qui sont l’œuvre de l’homme. Et l’homme qui, grâce à eux, parvient à satisfaire son besoin de religion, est en grande partie immunisé contre l’asservissement à un individu unique (la femme). Mais, dans leur très grande majorité, les hommes préfèrent consciemment se soumettre à cette divinité exclusive que sont les femmes (ils donnent à cet asservissement le nom d’amour), car elle présente toutes les conditions requises pour satisfaire leur besoin de religion. Toujours à leurs côtés, elle n’éprouve aucune inquiétude métaphysique, et en cela elle est réellement “divine”... Du fait qu’elle a sans cesse des exigences nouvelles, l’homme ne se sent jamais abandonné (comme Dieu, elle est omniprésente). Elle le délivre de sa dépendance des dieux collectifs qu’il doit partager avec ses concurrents. Elle lui semble digne de confiance puisqu’elle ressemble au Dieu de son enfance, à sa mère, et elle confère à son existence un sens artificiel puisque tout ce qu’il fait a pour objectif son confort à elle (et plus tard le confort de ses enfants), et non pas le sien. Déesse, elle peut non seulement châtier (en retirant sa protection), mais récompenser (en lui accordant des satisfactions sexuelles). Mais les plus importantes des conditions requises pour cette déification sont la tendance qu’a la femme à se déguiser, et sa sottise. Tout système doit impressionner ses croyants par la supériorité de ses connaissances ou les confondre par son incompréhensibilité. Comme il n’est pas question pour la femme de la première éventualité, elle tire profit de la seconde. Grâce à sa mascarade, l’homme voit en elle un être qui lui est étranger et plein de mystère, et toutes ses tentatives de contrôle échoueront devant une sottise telle qu’elle en est imprévisible. Car tandis que l’intelligence s’exprime par des actes logiques et compréhensibles, donc mesurables, calculables, contrôlables, les faits et gestes des imbéciles, manquent de toute rationalité, ne peuvent être ni prévus ni contrôlés. Ainsi, exactement comme les papes et les dictateurs, la femme se dissimule constamment derrière une muraille de pompe, de carnaval et de mystères de quatre sous pour éviter qu’on lui arrache son masque. Renouvelant sans cesse son empire, elle peut donc à tout moment garantir à l’homme la satisfaction de ses besoins religieux. »
Esther Vilar, L’homme subjugué
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07/01/2021
Il n’y a rien, absolument rien, dans une femme
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« L’homme, aveugle volontaire, continue à rechercher son bonheur dans l’asservissement. Cette servitude aurait quelque justification d’ordre poétique si la femme était vraiment ce qu’il croit être, un être tendre, charmant, une fée bienfaisante, un ange venu d’un monde meilleur, trop bonne pour lui et pour notre terre. Comment est il possible que les hommes, qui dans tous les autres domaines veulent tout savoir, se bouchent les yeux pour ignorer précisément ce simple fait ? Comment ne remarquent ils pas qu’en dehors d’un vagin, de deux seins, et d’une paire de cartes perforées qui débitent toujours la même série d’insanités stéréotypée, il n’y a rien, absolument rien, dans une femme ; qu’elle ne se compose que de matière, qu’elle n’est, sous de la peau humaine, qu’un rembourrage qui se donne pour un être pensant ? Si les hommes, une fois seulement, s’arrêtaient de produire aveuglément pour réfléchir, ils démasqueraient en un tour de main les femmes avec leurs colliers au cou, leurs petites blouses gaufrées et leurs sandalettes dorées, et il leur suffirait de se servir de l’intelligence, de l’imagination et de l’esprit de suite qui sont les leurs pour réaliser en quelques jours l’instrument, la machine humanoïde, qui remplacerait avantageusement un être qui manque à jamais de toute originalité extérieure et intérieure. Mais pourquoi les hommes craignent ils donc tant la vérité ? »
Esther Vilar, L’homme subjugué
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06/01/2021
Par gentillesse de coeur, il voudrait la tirer de son embarras...
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« L’homme aime sa femme, mais tout en la méprisant, parce qu’un être qui sort chaque matin de chez lui, plein d’énergie, pour conquérir un monde nouveau — ce qui évidemment n’arrive que rarement puisqu’il doit peiner pour gagner sa vie — ne peut que mépriser l’être qui refuse de le faire. C’est peut être la raison de tous ses efforts pour favoriser le développement spirituel et intellectuel de la femme : ayant honte pour elle, il croit qu’elle a aussi honte. Par gentillesse de cœur, il voudrait la tirer de son embarras. Ce qu’il ignore c’est que les femmes ne connaissent pas cette curiosité, cette ambition, ce besoin d’agir qui lui paraissent si naturels. Elles ne participent pas à l’univers masculin parce qu’elles ne le veulent pas: elles n’ont aucun besoin de lui. Le type d’autonomie de l’homme serait pour elles dépourvu de toute valeur, elles ne ressentent pas leur dépendance. La supériorité spirituelle et intellectuelle de l’homme ne les choque nullement : dans ce domaine elles n’ont aucune ambition. La femme peut choisir, et c’est ce qui lui assure une telle supériorité, une supériorité infinie, sur l’homme : elle a le choix entre la forme de vie de l’homme, et celle d’une sotte créature de luxe, d’un parasite ; presque toujours, elle choisit la seconde possibilité. L’homme, lui, n’a pas ce choix. »
Esther Vilar, L’homme subjugué
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05/01/2021
Purement matérielles, jamais spirituelles
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« Les vieilles façades — obligation du ménage, soins des enfants — derrière lesquelles elles dissimulent leur refus d’une vie spirituelle, sont encore debout malgré leur délabrement, et elles leur servent à justifier, ne serait ce qu’un peu ou pour la forme, leur fuite prématurée de l’université et leur répudiation de toute carrière où il faut vraiment assumer une responsabilité. Que se passera t-il lorsque le travail ménager sera encore plus automatisé, qu’il y aura pléthores de garderies d’enfants, ou quand les hommes découvriront — ce qu’ils auraient pu faire il y a longtemps — que pour vivre on a absolument pas besoin d’enfants ? Il suffirait que l’homme s’arrête, interrompe une fois seulement son activité aveugle et en fasse le bilan, pour qu’il s’aperçoive que tous ses efforts pour la promotion spirituelle de la femme sont restés vains. Certes, elle est de jour en jour plus toilettée, plus soignée, plus “cultivée”, mais ses exigences croissantes demeurent purement matérielles, jamais spirituelles. »
Esther Vilar, L’homme subjugué
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