20/02/2022
L’éléphant
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« On avait parqué un éléphant venant de l’Inde dans une étable obscure. La population, curieuse de connaître un tel animal, se précipita dans l’étable. Comme on n’y voyait guère à cause du manque de lumière, les gens se mirent à toucher l’animal. L’un deux toucha la trompe et dit :
"Cet animal ressemble à un énorme tuyau !"
Un autre toucha les oreilles :
"On dirait un grand éventail !"
Un autre qui touchait les pattes, dit :
"Non ! Ce qu’on appelle un éléphant est bel et bien une espèce de colonne !"
Et ainsi, chacun d’eux se mit à le décrire à sa manière. Il est bien dommage qu’ils n’aient eu une bougie pour se mettre d’accord. »
Djalâl Al-Dîn Rûmî, Le Mesnevi, 150 contes soufis
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19/02/2022
Jean-Yves Leloup : Fortifier nos racines, déployer nos ailes !
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18/02/2022
Jean-Yves Leloup : Qui est le Maître intérieur ?
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17/02/2022
Like et Nike
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« L'un des signes de l'effondrement de notre civilisation est l'incapacité à voir le réel tel qu'il est et sa reconstruction sous le signe du degré zéro d'un jugement de valeur qui réduit le monde à des considérations binaires : bien et mal, bon et mauvais, beau et laid ou, dans le langage imagé et fleuri d'aujourd'hui : like et nique. »
Michel Onfray, L'art d'être français
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16/02/2022
Fossé infranchissable
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« Il y a des ressemblances de mots entre la Révélation biblique et l’islam qui cachent la différence fondamentale. Il est question de Dieu, de Tout-Puissant, d’un seul Dieu créateur, d’Esprit, de Péché, de jugement suivi d’une résurrection, le tout contenu dans un livre révélé. (…) Mais il ne s’agit que de mots, et il faut alors en préciser le sens, et l’on s’aperçoit du fossé infranchissable entre les deux. La ressemblance des mots cache totalement les oppositions, à la fois du Sens et de l’Être. »
Jacques Ellul, Islam et judéo-christianisme
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15/02/2022
Le premier donne sa vie pour sauver la France ; le second donne la France pour sauver sa vie
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« L’opposition entre Charles de Gaulle et François Mitterrand met dos à dos un homme qui lutte contre l’effondrement d’une civilisation et un individu qui se moque que la civilisation disparaisse pourvu qu’il puisse vivre dans ses ruines à la façon d’un satrape. Le premier donne sa vie pour sauver la France ; le second donne la France pour sauver sa vie. L’un veut une France forte, grande et puissante, à même d’inspirer l’Europe des Etats ; l’autre la veut faible, petite et impuissante, digérée par l’Europe du capitalisme. L’un est un sénateur romain ; l’autre un citoyen de Capoue. De Gaulle vit dans une cellule de moine ; Mitterrand dans une cambuse de Cythère. Le premier est un ascète qui aime Jeanne d’Arc ; le second un jouisseur compagnon de route des héros d’un marquis de Sade charentais. Le Général aime la madone de France et n’a qu’une seule femme dans sa vie durant ; le socialiste s’arrête sur tout jupon qui passe et épouse une nouvelle femme chaque jour que Dieu fait. De Gaulle a le sens de l’Histoire et des longues durées, les premières phrases de ses « Mémoires » témoignent : la France vient de la nuit des temps et il la veut éternelle, elle n’est pas sans passé ni futur, mais il la veut sans naissance et sans mort — elle serait là depuis toujours et pour toujours ; Mitterrand a le sens de son histoire et de la brièveté de son temps personnel inscrit dans les grands espaces infinis qui le déroutent et le conduisent dès qu’il le peut sous les jupes du philosophe pétainiste et catholique Jean Guitton, le confident de ses petites angoisses existentielles qu’il presse de questions sur ce qui advient après la mort. »
Michel Onfray, Vies parallèles, De Gaulle, Mitterrand
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14/02/2022
Détachement…
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« Un maître nommé Avicenne dit que la noblesse de l’esprit qui demeure détaché est si grande que tout ce qu’il contemple est vrai, que tout ce qu’il désire lui est accordé et que, quoi qu’il commande, il faut qu’on lui obéisse. Et tu dois savoir en vérité : quand l’esprit libre demeure dans un véritable détachement, il contraint Dieu à venir vers son être et s’il pouvait demeurer sans forme et sans accident, il prendrait l’être propre de Dieu. Or Dieu ne peut donner celui-ci à personne qu’à lui-même ; c’est pourquoi Dieu ne peut rien faire de plus pour l’esprit détaché que de se donner lui-même à lui. Et l’homme qui demeure ainsi dans un total détachement est tellement emporté dans l’éternité que rien d’éphémère ne peut l’émouvoir, qu’il n’éprouve rien de ce qui est charnel, et il est dit mort au monde car il n’a de goût pour rien de terrestre. C’est ce que pensait saint Paul quand il dit : "Je vis, et pourtant je ne vis pas : le Christ vit en moi." »
Maître Eckhart, Être Dieu en Dieu
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13/02/2022
Cet essentiel qui n’est pas une essence abstraite ou un "arrière-monde"
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« Pour Philon d’Alexandrie et les anciens Thérapeutes, Dieu est "plus qu’Être", meilleur que le Bien, au-delà de l’Un, au-delà de tout. Dieu est "no-thing", "pas une chose", l’Être n’est pas "un être", c’est de l’espace, de la clarté, c’est ce qui demeure entre nous, entre tout, le Rien, "no-thing", le "pas une chose" d’où naissent toutes les choses.
Il y a en nous, en tout être, un espace, une liberté, un silence qu’il faut préserver. C’est ce que nous avons de plus précieux, c’est peut-être aussi ce qu’il y a de plus fragile dans l’univers. "Nous avons à prendre soin de Dieu pour qu’il ne meure pas", disait Etty Hillesum.
Le Thérapeute, selon Philon d’Alexandrie, est au service de cette vision. Avant toute chose il prend soin d’éveiller notre regard intérieur, capable de voir "ce qui est" dans "ce qui passe". Il nous ramène de l’existentiel à l’essentiel, cet essentiel qui n’est pas une essence abstraite ou un "arrière-monde", mais la Vie de notre vie, le Souffle de notre souffle, la Conscience de notre conscience, l’Être de notre être — là est la "soteria", qu’on traduit par "santé" ou encore par "salut", la "Grande Santé". »
Jean-Yves Leloup, L’évidence de l’invisible
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12/02/2022
En communion avec l’Esprit Saint
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« Avec force moins grande que dans le peuple de Dieu, la présence de l’Esprit Saint se manifesta aussi parmi les païens ignorants du Dieu véritable : jusqu’en leurs rangs. Dieu trouva des hommes et des femmes selon son élection. Telles furent par exemple les vierges sibylles, douées du don de prophétie. Elles gardaient leur virginité pour un Dieu inconnu, tout-puissant, Créateur et Ordonnateur de l’univers, comme le reconnaissaient eux-mêmes les païens.
De même, les philosophes païens — bien qu’errants dans leurs recherches de la Vérité à travers les profondes ténèbres de la non-connaissance de Dieu — pouvaient, parce que cette recherche lui est agréable, demeurer dans une certaine mesure en communion avec l’Esprit Saint.
Car il est dit : "Les peuples ignorant Dieu accomplissent naturellement le bien, agissent d’une manière qui est agréable à Dieu" (Romains 2 : 14).
Dieu aime tellement la vérité qu’il proclame par l’Esprit Saint : "L’Esprit de Vérité brille en s’élevant sur la terre et la Vérité descend des cieux" (Psaumes 85/84 : 12). »
Saint Séraphim de Sarov, L’entretien avec Motovilov
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11/02/2022
Les plus opaques des hommes ne sont pas sans lueurs
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« Je ne méprise pas les hommes. Si je le faisais, je n'aurais aucun droit, ni aucune raison, d'essayer de les gouverner. Je les sais vains, ignorants, avides, inquiets, capables de presque tout pour réussir, pour se faire valoir, même à leurs propres yeux, ou tout simplement pour éviter de souffrir. Je le sais : je suis comme eux, du moins par moment, ou j'aurais pu l'être. Entre autrui et moi, les différences que j'aperçois sont trop négligeables pour compter dans l'addition finale. Je m'efforce donc que mon attitude soit aussi éloignée de la froide supériorité du philosophe que l'arrogance du César. Les plus opaques des hommes ne sont pas sans lueurs : cet assassin joue proprement de la flûte ; ce contremaître déchirant à coups de fouet le dos des esclaves est peut-être un bon fils ; cet idiot partagerait avec moi son dernier morceau de pain. Et il y en a peu auxquels on ne puisse apprendre convenablement quelque chose. Notre grande erreur est d'essayer d'obtenir de chacun en particulier les vertus qu'il n'a pas, et de négliger de cultiver celles qu'il possède. »
Marguerite Yourcenar, Mémoires d'Hadrien
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10/02/2022
La Lune dans le Champ-de-Mars
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« Pour moi personnellement, qu'il s'agisse des hommes ou des femmes, s'il y a quelque chose qui m'étonne encore, c'est qu'on s'étonne encore de quelque chose. On viendrait me dire demain matin que la Lune est tombée, la nuit, dans le Champ-de-Mars, que tous les Parisiens y courent et qu'il y a déjà des trains de plaisir organisés en province pour venir voir ça, que je me dirais : "c'est possible" et que je me tiendrais au courant des nouvelles. Il y aurait évidemment des incrédules de parti pris, des sceptiques, de ces gens qui tranchent de tout, qui nieraient le fait, sans se déranger, et qui croiraient avoir répondu irréfutablement, en montrant le soir la Lune, à sa place accoutumée ; n'importe ; il y aurait aussi d'autres gens qui croiraient au phénomène ; il y en aurait même qui l'auraient vu, et, avant de prendre fait et cause pour ou contre, un homme judicieux ferait bien de chercher de quel côté est son intérêt.
Une chose impossible dite résolument et hardiment devant beaucoup d'imbéciles a bien des chances d'être vraie un jour. Attendez seulement trois ou quatre-cents ans et regardez. Évidemment la Lune n'aura pas cessé de se balancer ou de courir dans le ciel, comme un globe de lampe à gaz, selon que la nuit sera claire ou nuageuse, évidemment on dira toujours en revoyant le premier quartier : "C'est aujourdhui nouvelle lune, il faut espérer que le temps va se mettre au beau" ; évidemment il y aura encore des gens qui la regarderont avec de grands télescopes, convaincus que c'est et que celà restera le meilleur et le seul moyen de la voir de plus près ; mais il s'en trouvera aussi pour dire : "Quand on pense qu'en 1885, elle est tombée à Paris dans le Champ-de-Mars ! J'aurais bien voulu être là !" Et à ceux qui voudraient nier, les convaincus répondraient : "Pourquoi pas ? Dieu est-il tout puissant ? — Oui, répondraient les autres. — Est-ce lui qui a fait la Lune ? — On le dit. — On le dit ; on le dit, ce n'est pas répondre. S'il est tout-puissant, il a tout fait, et s'il a tout fait, il a fait la Lune comme le reste, c'est bien clair. Fait-il opérer à la Lune tous les jours, en vingt-quatre heures, son évolution autour de la Terre et depuis des milliers d'années ? — C'est certain. — Eh bien, il est autrement difficile de faire la Lune et de la faire tourner autour de la Terre avec cette rapidité-là, que de la laisser tomber tout bonnement dans le Champ-de-Mars ou autre part si cela lui plaît. — Mais. — Dites-moi que vous ne croyez pas en Dieu, c'est bien plus simple. — Je ne dis pas celà. — Alors où est la preuve qu'il n'a pas fait ce miracle comme tant d'autres, puisqu'il y a de très honnêtes gens qui l'affirment, qui l'ont vu et qui l'ont relaté immédiatement ? Ce qui est extraordinaire c'est qu'il ne l'ait pas fait plus tôt, ne fût-ce que pour fermer la bouche aux mécréants de votre espèce. Ah ! si j'étais le Bon Dieu, moi, je vous en ferais voir bien d'autres."
Quand on en serait arrivé à ce genre d'arguments, nombre de gens qui n'en croiraient cependant pas un mot, finiraient par ne plus rien objecter. Et si, pour des raisons dont ils n'ont pas à rendre compte, ils avaient mis leurs enfants dans des écoles où l'on eût besoin que le fait de la chute de la Lune sur la Terre fût consacré, quand les professeurs de ces écoles interrogeraient ces enfants et leur demanderaient : "Que s'est-il passé de mémorable en France, l'an 1885 ?", les enfants, sous peine d'être refusés à leurs examens, répondraient : "La Lune est tombée à Paris dans le Champ-de-Mars". Et le dimanche, les parents, en entendant celà, ne les contrediraient pas, toujours à cause des raisons excellentes qu'ils auraient pour que leurs enfants reçussent ce genre d'instruction "dont les avantages sont, somme toute, supérieurs aux inconvénients". Et ils feraient signe à certaines personnes présentes qu'ils verraient un peu ahuries, de ne rien dire, parce qu'on doit respecter les convictions de tout le monde, et qu'en définitive, il faut croire à quelque chose.
Maintenant, supposons, par impossible, que la forme du gouvernement de la France ne soit plus, à cette époque-là, ce qu'elle est aujourdhui, et que ce nouveau gouvernement, armé de toutes les foudres nécessaires, divines et humaines, juge bon, surtout après les désordres et les désastres où nous aurait jetés le libre examen, d'imposer à tout le monde, comme article de foi, et sous peine de mort, cette tradition de la chute de la Lune, il y aurait toujours et tout-de-même des gens qui recommenceraient à dire : "Non, non, non, la Lune n'est pas tombée dans le Champ-de-Mars en 1885 ni en aucune autre année. J'offre d'en faire la preuve scientifique, et vous pouvez me couper la tête tant que vous voudrez, je n'en démordrai jamais." Voilà donc un fait absolument impossible qui pourrait néanmoins être affirmé par les uns et nié par les autres, parce qu'il n'y a pas une ineptie sur laquelle les hommes ne soient prêts à discuter éternellement. »
Alexandre Dumas (fils), Une volée de paradoxes
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20/01/2022
Retour d'URSS... C'est-à-dire de l'avenir...
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« Céline! Après Weinniger... Bien sûr... Tous les monstres !... Et me voilà en massacreur de l'humanité... Proposant le génocide des femmes... Qui serait le seul vrai, entre parenthèses... Le gynocide ! À la source ! Au cœur du triangle obscur ! C'est affreux... Je suis perdu... Démasqué... Jugé... Dix fois fusillé, pendu... Interdit... Saisi... Escamoté... Découpé en mille morceaux... Désintégré... Expédié dans l'oubli roussi... Je pense à "Mea Culpa"... Tous les ennuis de Céline, en 1936, sont venus de là... C'est son pire pamphlet, le plus lucide... "L'envie tient la planète en rage, en tétanos, en surfusion... Tout créateur au premier mot se trouve à présent écrasé de haines, concassé, vaporisé." Retour d'URSS... C'est-à-dire de l'avenir... Blasphème... Après, il a foncé directement dans l'antisémitisme, idiotie superficielle... Oubliant le mal en soi... Voulant trouver une cause... Isolant les juifs, comme s'ils étaient pour quelque chose dans l'origine de la mécanique animée! Il se met à défendre la santé, l'authenticité, la femme ! Contresens gigantesque ! Erreur de diagnostic! Médecin de banlieue ! Génial périphérique ! À l'envers ! Au contraire, au contraire... »
Philippe Sollers, Femmes
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19/01/2022
Rien de délirant, tout parfaitement raisonnable et réalisable...
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« De quoi s agissait-il ? D'un document exceptionnel, en effet,.. Signé par des délégations du monde entier, d'Europe, d'Amérique du Nord et du Sud, d'Asie, du Moyen-Orient, d'Australie, d'Afrique... D'un programme à long terme visant ni plus ni moins qu'une prise de pouvoir globale en douceur... Vous me direz : encore un "Protocole". Mais non, ce n'était pas un faux, rien de délirant, tout parfaitement raisonnable et réalisable... Pas de violence...
La nature même... La science... Contrôle de la reproduction, inclination de ladite reproduction dans un sens favorable aux femmes, placement d'agents hautement qualifiés dans les secteurs gynécologiques, recommandations sur l'éducation des enfants...
[....]
Deux choses, surtout étaient frappantes dans le rapport... Premièrement, la proposition de prise en main critique et de filtrage de toute la mémoire culturelle, avec recommandation d'éliminer de l'enseignement, de la littérature et de l'art, etc., tous les éléments pouvant être considérés comme sexistes ou machistes.
[....]
Deuxièmement, une guerre impitoyable était déclarée au "judéochristianisme", responsable de la contrainte "patriarcale", et plus précisément au judaïsme en tant que tel, ainsi qu'au catholicisme... Le rapport se défendait de tout antisémitisme (Belle dénégation), mais exigeait des éditions critiques de la Bible là où elle ne pouvait pas être formellement déconseillée, voire supprimée de la circulation (Amérique et Europe du Nord).
[...]
L'Église catholique, elle, était la force à détruire... Un attentat contre le Pape était même prévu, avec conseil d'en faire retomber la responsabilité sur l'Islam... Diviser pour régner, tel était, bien entendu, le refrain élémentaire de l'ensemble... juifs contre chrétiens, juifs et chrétiens contre arabes.
Tout ce qui avait trait au monothéisme devant être agité, morcelé, fissuré, décomposé... Tout ce qui pouvait faire obstacle à un réglage scientifique, "libre", "épanoui", de la sexualité et de la reproduction en elle-même et pour elle-même, serait peu à peu réduit gommé... »
Philippe Sollers, Femmes
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18/01/2022
L'homme-vraie-femme-en-action
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« Il n'y a précisément que les femmes qui pensent que c'est possible. Qui rêvent d'un amant devenu mari et maman, mais restant l'amant qui supporte la vitesse de croisière maman... La Toute... La mère phallique enfin réalisée, retrouvée, sachez, messieurs, que c'est ce qu'on attend de vous en définitive : vous avez le ressort érectile, vous êtes passionnés, vous fonctionnez, vous baisez; mais vous êtes en même temps stables, fidèles, tendres, payeurs, gardiens du compteur... Vous boudez, mais vous faites les confitures. Vous éjaculez d'une main, mais de l'autre vous gardez bébé ou vous essuyez la vaisselle. Voilà leur idéal : l'homme-vraie-femme-en-action... Si vous objectez que toutes ces fonctions si disparates et, somme toute, si contradictoires, ne sont pas remplissables à la fois, que le psychisme le plus évolué n'y résiste pas, vous avez la Plainte... »
Philippe Sollers, Femmes
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17/01/2022
Le roman est le diable du diable, le diable au service de la vérité...
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« Non, on ne peut pas raconter ce qu'on veut ! Non, l'imagination n'a pas tous les droits, et doit même être étroitement surveillée si l'on ne tient pas à la divulgation du secret... Bien sûr que le roman est la chose la plus dangereuse... Le risque n'est pas d'ailleurs d'appeler "les êtres et les choses" par leurs noms, ni de les poétiser dans une intention mythique, mais bien de les faire exister sous d'autres noms plus vrais que les vrais... La magie du roman est de traiter la magie elle-même... La magie noire des doubles, de l'empoisonné travail invisible de substitution permanente qui fait que la vie est vécue par d'autres personnages que ceux qui se croient en vie... Le roman est démoniaque... Le roman est le diable du diable ; le diable au service de la vérité... Or la vérité n'est rien d'autre que la compréhension de plus en plus profonde de la possession universelle. Inconsciente... »
Philippe Sollers, Femmes
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16/01/2022
Un organe susceptible de spasmes terribles
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« C’est surtout dans la passion de l’amour, les accès de la jalousie, les transports de la tendresse maternelle, les instants de la superstition, la manière dont elles partagent les émotions épidémiques et populaires, que les femmes étonnent, belles comme les séraphins de Klopstok, terribles comme les diables de Milton.
(...)
La femme porte au dedans d’elle-même un organe susceptible de spasmes terribles, disposant d’elle, et suscitant dans son imagination des fantômes de toute espèce. C’est dans le délire hystérique qu’elle revient sur le passé, qu’elle s’élance dans l’avenir, que tous les temps lui sont présents. C’est de l’organe propre à son sexe que partent toutes ses idées extraordinaires. La femme, hystérique dans la jeunesse, se fait dévote dans l’âge avancé ; la femme à qui il reste quelque énergie dans l’âge avancé, était hystérique dans sa jeunesse. Sa tête parle encore le langage de ses sens lorsqu’ils sont muets. Rien de plus contigu que l’extase, la vision, la prophétie, la révélation, la poésie fougueuse et l’hystérisme. La femme dominée par l’hystérisme éprouve je ne sais quoi d’infernal ou de céleste. »
Denis Diderot, Sur les femmes
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15/01/2022
À dix-huit ans il était déjà trop tard
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« Très vite dans ma vie il a été trop tard. À dix-huit ans il était déjà trop tard. Entre dix-huit et vingt-cinq ans mon visage est parti dans une direction imprévue. À dix-huit ans j’ai vieilli. Je ne sais pas si c’est tout le monde, je n’ai jamais demandé. Il me semble qu’on m’a parlé de cette poussée du temps qui vous frappe quelquefois alors qu’on traverse les âges les plus jeunes, les plus célébrés de la vie. Ce vieillissement a été brutal. Je l’ai vu gagner un à un mes traits, changer le rapport qu’il y avait entre eux, faire les yeux plus grands, le regard plus triste, la bouche plus définitive, marquer le front de cassures profondes. Au contraire d’en être effrayée j’ai vu s’opérer ce vieillissement de mon visage avec l’intérêt que j’aurais pris par exemple au déroulement d’une lecture. Je savais aussi que je ne me trompais pas, qu’un jour il se ralentirait et qu’il prendrait son cours normal. Les gens qui m’avaient connue à dix-sept ans lors de mon voyage en France ont été impressionnés quand ils m’ont revue, deux ans après, à dix-neuf ans. Ce visage-là, nouveau, je l’ai gardé. Il a été mon visage. Il a vieilli encore bien sûr, mais relativement moins qu’il n’aurait dû. J’ai un visage lacéré de rides sèches et profondes, à la peau cassée. Il ne s’est pas affaissé comme certains visages à traits fins, il a gardé les mêmes contours mais sa matière est détruite. J’ai un visage détruit. »
Marguerite Duras, L’Amant
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14/01/2022
Il m’a fallu abandonner les poses nietzschéennes par lesquelles j’essayais en vain de me protéger de la compassion
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« Pendant la guerre civile, j’ai visité Beyrouth avec un ami pour écrire sur le conflit qui s’y déroulait. Le trajet vers Beyrouth-Ouest était difficile mais nécessaire. Personne n’était prêt à nous accompagner à part une petite religieuse au physique maigre et nerveux du couvent de Saint-Vincent-de-Paul, dont l’ordre était présent dans tout le Moyen-Orient, souvent dans des conditions dangereuses, apportant soulagement et éducation aux musulmans comme aux chrétiens. A chaque étape de notre voyage entre des redoutes dévastées, nous avons trouvé de la souffrance : muette, impuissante, et souvent mortelle. Et les bras de l’amour enlaçaient cette souffrance.
Après une journée passée à rendre visite à des gens qui avaient tout perdu hormis la capacité miraculeuse de croire en un Dieu aimant, nous nous sommes retrouvés dans une zone dévastée de la ville où les Chaldéens se réunissent et où l’on parle encore le langage du Christ. Là se trouvait le couvent de mère Teresa où seuls les cas désespérés étaient reçus. Plus tard dans la journée, dans la sécurité relative de Beyrouth-Est, j’ai réfléchi à ce que j’avais vu avec un verre de ksara rosé posé à côté de moi sur la table, et j’ai pris quelques notes dans mon journal :
"Nous frappons à la porte ; une enfant estropiée se traine par terre depuis un recoin sombre et hurle dans notre direction comme un chien. Une religieuse allemande nous accueille. Elle est jeune, jolie, douce, sereine, contente qu’on lui parle sa langue. Elle nous conduit jusqu’à sa chambre, nous passons devant des enfants difformes, des femmes séniles qui gesticulent et des créatures à moitié humaines qui nous fixent de leurs yeux gonflés comme si nous étions de drôles d’oiseaux. Notre arrivée est empreinte d’une atmosphère d’excitation et, à un moment, l’enfant estropiée se traine vers le seuil de la chambre et glousse en nous regardant. La religieuse débarrasse son repas avec des gestes gênés : deux radis, une orange, du pain sans levain et un verre d’eau. La mère supérieure arrive, une petite Bengalie joyeuse qui parle anglais. Elle nous montre ses créatures endormies : des mongoliens, des enfants avec des déformations paralysantes, d’autres qui crient et rampent comme des animaux. Mais aucun d’eux n’est vraiment animal. En chacun une personne est soigneusement cultivée, que les bonnes religieuses ont déposée sur ce sol peu prometteur et dont elles s’occupent jusqu’à faire pousser une vie grêle et déformée, mais une vie enthousiaste.
Ici les gens ont constamment le mot 'témoin' aux lèvres. L’influence est moins grecque qu’arabe, les musulmans ayant toujours à l’esprit la shahada que leurs voisins chrétiens leur empruntent, bien que ce ne soit pas selon son sens commun. Car un témoin de la foi chrétienne ne l’est pas en l’annonçant, encore moins en tuant ses ennemis. Nous sommes témoins dans des œuvres de charité et de pardon. Rien au monde ne peut vraiment dépasser la beauté de cette idée (même lorsque je regarde le travail des sœurs à travers mes lunettes les plus nietzschéennes qui considèrent ce soin offert aux inaptes comme un gâchis d’énergie humaine et un mépris du réel intérêt de l’espèce). Même si je cherche à me protéger de la pitié, à l’exemple de Nietzsche, en débarrassant tous les restes du banquet de l’évolution, je perçois le travail des sœurs comme quelque chose de nécessaire, et la charité comme une partie de la volonté communautaire de vivre. Ces sœurs ont un projet qui domine tous les autres : allumer la flamme de l’âme humaine dans n’importe quelle chandelle qui se présente. Ce projet aussi sert les espèces, avec bien plus d’efficacité que la volonté présomptueuse de sélectionner les survivants. Et si l’œuvre de Dieu existe, c’est en cela qu’elle consiste."
Il m’a fallu abandonner les poses nietzschéennes par lesquelles j’essayais en vain de me protéger de la compassion et j’ai été confronté au mystère de la charité, le mystère que contemplait Péguy en Jeanne d’Arc, et Geoffrey Hill en Péguy. J’avais été le témoin de l’amour venu d’en haut que saint Paul a appelé agape, et il m’avait rempli d’un étonnement inconfortable. Jusqu’à ce moment, c’était l’amour immanent appelé éros qui avait dominé ma vie. On me tournait vers une nouvelle direction et le goût de ce simple rosé, lorsque je le bus dans un restaurant de Londres à mon retour, réveilla l’idée sur laquelle le témoignage chrétien se fonde : l’idée que tout est un don, soi y compris. Les sœurs de la Charité avaient un message de la plus grande simplicité : vous avez beaucoup reçu, mais avez-vous donné en retour ? Et si vous n’avez jamais rien donné, comment allez-vous réparer cela ? Des années plus tard, j’ai repris cette question et j’ai essayé de vivre autrement, même si je souffrais de la "nuit intérieure de l’âme" dont mère Teresa pâtissait aussi. Je ne rencontrais pas l’être nécessaire qu’est Dieu, et je trébuchais sur les êtres simplement contingents qui encombrent tous les chemins qui mènent à Lui. C’est précisément parce que la source de cet amour transcendant nous est cachée que nous mettons tant d’espoirs dans l’amour immanent qui trouve sa source en nous. »
Roger Scruton, Je bois donc je suis
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13/01/2022
Notre incapacité à payer notre dû à Bacchus...
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« Boire du vin en société, pendant ou après le repas, en toute connaissance de son goût délicat et de son aura évocatrice, conduit rarement à l’ivresse et encore plus rarement à un comportement de butor. Le problème d’alcoolisme que nous observons dans les villes britanniques nait de notre incapacité à payer notre dû à Bacchus. A cause de l’appauvrissement culturel, les jeunes ne disposent plus d’un répertoire de chansons, de poèmes, d’arguments ou d’idées pour se divertir autour de leurs verres. Ils boivent pour combler le vide moral créé par leur culture, et si nous connaissions l’effet malheureux de l’alcool sur un estomac vide, nous découvrons maintenant l’effet bien plus grave de l’alcool sur un esprit vide.
Toutefois, les bastons d’ivrognes ne sont plus les seules en cause. La plupart des dîners aussi. Les invités crient des propos égocentriques à leurs voisins, on tient dix conversations à la fois qui ne mènent nulle part, et les verres que l’on remplit avec cérémonie sont aussitôt vidés. Un bon vin devrait toujours s’accompagner d’un bon sujet de conversation que l’on poursuivrait autour de la table en buvant. Les Grecs l’ont bien compris, c’est là la meilleure manière de discuter de questions vraiment sérieuses, comme savoir si le désir sexuel tend vers l’individu ou l’universel, si l’accord de Tristan est un septième à moitié diminué, ou s’il existe des preuves à la conjecture de Goldbach.
Nous connaissons l’opinion médicale selon laquelle boire un verre ou deux par jour est bon pour la santé, ainsi que l’opinion concurrente qui veut que boire plus d’un verre ou deux soit fatal. Ces conseils sont importants mais pas autant qu’il y parait. Quel que soit l’effet du vin sur la santé physique, il en a de bien plus importants sur la santé mentale : effets négatifs lorsqu’ils coupés du banquet de la culture, et positifs lorsqu’ils lui sont rattachés. En Amérique (où, en général, l’âge légal pour consommer de l’alcool vient cinq ans après la majorité sexuelle), les bouteilles d’alcool portent déjà des mises en garde sur la santé. Pourquoi pas, si le but est d’éduquer le public, et du moment que ces avertissements disent la vérité (ce qui n’est pas le cas). Mais ce but éducatif doit également nous convaincre de faire figurer les mêmes avertissements sur les bouteilles d’eau pour nous rappeler l’état d’esprit morose qu’elle provoque et la nécessité d’oublier l’hypocondrie si l’on veut nourrir et abreuver l’âme.
(…)
Il faut vivre en profitant de ses facultés, en s’efforçant d’apprécier et, si possible, d’aimer ses semblables. Il faut également accepter la perspective de la mort si l’on veut soulager ses proches d’un grand poids au lieu de les accabler. Selon moi, il faudrait rassembler les fanatiques de la santé qui ont empoisonné tous nos plaisirs naturels et les enfermer dans un lieu où ils pourraient se casser les pieds entre eux avec leurs remèdes de charlatans. Quant à nous, nous devons vivre une suite de banquets dont le catalyseur est le vin et le moyen la conversation, afin d’accepter avec sérénité notre destin sans abuser de cette hospitalité. »
Roger Scruton, Je bois donc je suis
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L'appétit de l'autre
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« Quand je la vis pour la première fois, il m'apparut clairement que l'un de nous deux était fait, je pourrais dire né, pour l'appétit de l'autre. Au premier instant je sentis que l'un de nous deux finirait par manger l'autre tout cru ; non pas petit à petit, comme dans un couple de base, mais bien d'une lichée, en sautant sur la première occasion que concéderait l'autre, pour l'avaler. Toute la période qui précéderait cette occasion ne serait qu'une phase d'observation dans son attente, au cours de laquelle nous mettrions en condition les conditions de l'affrontement, où nous décririons des corolles autour des circuits décrits par l'autre, cherchant à y susciter d'infimes frications, de presque infimes étincelles de rabot.
(...)
Et notre attirance immédiate était avant tout une attirance chiffrée ; son regard même, lorsqu'il rencontrait le mien, s'inscrivait dans une sorte de processus numérique, dégageait des effluves qui s'encastraient à ma perspective selon des lois sévères d'un grand jeu de construction. Ce regard qui avait quelque chose de suavement agressif, qui voulait posséder d'emblée ce que les amants n'atteignent ordinairement qu'après plusieurs jours d'excès sexuels : se dissoudre dans l'autre, baratter sa vie organique et la réduire à une forme liquide pour pouvoir la vomir en l'autre. Son oeil aspiratoire était l'application d'une formule chimique, avait la vie palpitante d'une vulve grasse ; mais aussi était pareil au gland qui, introduit dans le corps aimé, tend à s'y infuser intraveineux, intranerveux, à y évacuer tout un broiement de chair pâteuse, le fruit d'une vidange d'organes qui s'introduit en pultacé dans le corps autre, pour s'y générer seul, nourri de lui-même exclusivement, et y procédant à une sédition complète, qui ne laisserait rien de l'ancien métabolisme. C'est tout le corps que le gland veut évacuer par sa bouche, et non seulement cette décharge d'informe veut dissoudre les organes de l'autre, remplacer ses flux et vriller ses canaux, mais c'est avec la pensée même de cet autre qu'elle cherche à coïncider.
Souvent j'ai rencontré des filles qui se disaient excitées surtout par l'esprit ; c'est qu'en réalité chacune était excitée par le défi que représenteraient la conquête et la dissolution de cet esprit. Et c'est au contraire de la plupart que la fille à laquelle j'avais affaire abattait son jeu dès les débuts de notre séduction. Elle voulait s'emparer de tout mon soma et ne s'en cachait pas... »
Mehdi Belhaj Kacem, 1993
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12/01/2022
Un abattoir d'illusions
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« Concevoir un monde qui serait en dehors de la mort, et de la vie ? L’homme n’a jamais rien fait d’autre, depuis qu’il souffre et qu’il pense. Il ne leur a ajouté que sa propre raison d’être — et son propre échec. »
« Lorsque la raison imagine toutes les prières qui se sont perdues dans l’espace, réduites à de pauvres vibrations de banalités, toutes les nuées de divinités dispersées dans les cieux des mythologies successives, les flammes immenses que la pensée a nourries pour des légendes improbables ou le sang versé pour des approximations ridicules — l’univers, alors, semble être un abattoir d’illusions, et celles-ci dans leur quantité accablantes acquièrent la force d’une substance, d’une réalité unique. »
Emil Cioran, Divagations
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11/01/2022
L'univers est une pierre tombale...
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« Nous ne nous mettons en situation de saisir la vérité, d’embrasser le monde dans une vision délestée de toute illusion, qu’à partir du moment où nous comprenons que le possible n’est plus possible, que toute possibilité est suspendue, quand nous fixons à tout jamais des yeux de momie sur l’éphémère et quand notre coeur a cessé de battre. Chaque espoir ossifié signifie le gain d’une vérité supplémentaire. L’existence est le fruit d’une utopie. Et cette utopie est la foi dans les instants, la démence naïve de la succession. Que peut-on ajouter à l’univers pour le rendre supportable ? Le temps, qui créé et qui annihile, qui n’augmente en rien ce qui est mais qui annule l’une après l’autre les forces semblant apporter avec elles une nouveauté absolue — le temps est la défiguration tragique de l’éternité, l’image inutile de l’immobilité. En vérité, il ne se passe rien, vivre aujourd’hui ou à un autre moment ne change rien, chaque instant reflète irrémédiablement ce qui est de toute éternité, l’univers est une pierre tombale sur laquelle le temps inscrit depuis ses commencement une épitaphe, et sous laquelle gisent tous les coeurs qui ont jamais vécu et qui se sont leurrés, incapables de déchiffrer le sens d’une évolution funèbre. »
Emil Cioran, Divagations
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10/01/2022
Cette heure de lumière
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« Qu’elle vienne de la souffrance ou qu’elle vienne de la joie, tout homme a dans sa vie cette heure de lumière, l’heure où il comprend soudain son propre message, l’heure où la connaissance en éclairant la passion décèle à la fois les règles et la monotonie du Destin, le moment vraiment synthétique où l’échec décisif, en donnant la conscience de l’irrationnel, devient tout de même la réussite de la pensée. C’est là qu’est placée la différentielle de la connaissance, la fluxion newtonienne qui nous permet d’apprécier comment l’esprit surgit de l’ignorance, l’inflexion du génie humain sur la courbe décrite par le progrès de la vie. Le courage intellectuel, c’est de garder actif et vivant cet instant de la connaissance naissante, d’en faire la source sans cesse jaillissante de notre intuition, et de dessiner, avec l’histoire subjective de nos erreurs et de nos fautes, le modèle objectif d’une vie meilleure et plus claire.
L’idée métaphysique décisive du livre de M. Roupnel est celle-ci : "Le temps n’a qu’une réalité, celle de l’Instant". Autrement dit, le temps est une réalité resserrée sur l’instant et suspendue entre deux néants. Le temps pourra sans doute renaître, mais il lui faudra d’abord mourir. Il ne pourra pas transporter son être d’un instant sur un autre pour en faire une durée. L’instant, c’est déjà la solitude. »
Gaston Bachelard, L’intuition de l’instant
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09/01/2022
Le "pop" retentit tout à coup comme une cloche de sacrement...
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« La capsule que l’on visse appartient à cette culture de l’excès. Pour l’observateur naïf, le bouchon sert à garder le vin dans la bouteille et l’air en dehors de sorte qu’une faible proportion (et même très faible) de grands crus sont "bouchonnés", c’est-à-dire gâchés par un bouchon défectueux. Pour cet observateur, la capsule résout le problème. Je répondrai respectueusement que le risque du vin bouchonné est essentiel au rituel. Boire un vin précieux est précédé de tout un processus complexe de préparation qui a beaucoup en commun avec les ablutions qui précédaient les sacrifices religieux antiques. On sort la bouteille d’un lieu secret où les dieux l’ont conservé, on l’apporte avec déférence jusqu’à la table, on l’époussette et on la débouche d’un lent mouvement gracieux sous le regard révérencieux des hôtes. Le "pop" retentit tout à coup comme une cloche de sacrement, marquant une grande division dans l’agencement des choses entre une nature morte à la bouteille, et cette même nature morte au vin. Il faut ensuite faire tourner le vin, le sentir, le commenter, et ce n’est qu’une fois ce rituel accompli qu’on le verse dans les verres avec une dévotion cérémonieuse.
Le vin bien servi ralentit tout et établit un rythme où l’on sirote délicatement plutôt que d’avaler des goulées gloutonnes. La cérémonie du bouchon nous rappelle que le bon vin, même si l’on en boit peu souvent, n’est pas une chose banale mais un visiteur venu d’une région plus élevée et un catalyseur de liens amicaux. En résumé, grâce au bouchon, le vin se situe à l’écart du monde de l’achat et de la dépense, il est une ressource morale que nous faisons apparaitre depuis le transcendantal par un "pop".
La capsule que l’on visse n’a pas la même signification. Elle cède tout de suite sans aucun rituel de présentation et aucun effet sonore de sacrement. Ses tessons métalliques déforment la bouteille. Imaginez une nature morte à la bouteille décapsulée : impossible. Elle encourage l’ivresse rapide, la goulée pressée, l’alcool que l’on empoigne et boit égoïstement. Elle réduit le vin à un prémix et le façonne selon les besoins de l’ivrogne. Elle nous rappelle ce que nous perdrions si les rituels de l’alcool mondain étaient remplacés par la solitude de masse de ceux qui se perdent dans les excès d’alcool. »
Roger Scruton, Je bois donc je suis
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08/01/2022
Le plastique...
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« Le monde est inondé de conseils à propos de ce qu’il ne faut pas boire. Toutes sortes de produits vertueux dans lesquels sont concentrés pour votre bien le travail honnête et l’amour de la vie (le lait non pasteurisé par exemple) ont été interdits par les fanatiques de la santé. Pas une semaine ne se passe sans qu’un article de journal rapporte les dégâts que les alcools, les boissons gazeuses, le café ou le Coca causent à l’organisme. Il me semble que le temps est venu de souligner cette absurdité et d’établir quelques principes simples. Premièrement, vous devez boire ce que vous aimez dans les quantités que vous voulez. Cela précipitera peut-être votre mort mais les profits pour votre entourage compenseront ce faible coût.
Deuxièmement, vous ne devez pas faire souffrir les autres en buvant ; buvez autant que vous voulez mais éloignez la bouteille avant que la gaité ne cède la place à la tristesse. Les boissons qui ont un effet dépressif (l’eau par exemple) doivent être consommées à petite dose et seulement pour des raisons médicales.
Troisièmement, votre consommation d’alcool ne doit pas faire subir de dommages durables à la planète. En précipitant votre mort, un verre ne présente guère de risque environnemental. Après tout, vous êtes biodégradable et c’est peut-être la meilleure chose que l’on puisse dire de vous. Mais, en général, ceci n’est pas vrai des contenants dans lesquels les boissons sont vendues. Dans l’Angleterre vertueuse où j’ai grandi, les boissons se présentaient dans des bouteilles de verre pour lesquelles on payait 2 pence de consigne. Ce système exemplaire a été en vigueur pendant de nombreuses années jusqu’à l’arrivée de la bouteille en plastique, le plus grand désastre écologique depuis la découverte des énergies fossiles.
Les citadins sont moins conscients de cette catastrophe que les habitants des campagnes car les rues de la ville sont régulièrement nettoyées. Mais le long de n’importe quelle petite route de campagne, on trouve tous les kilomètres environ une bouteille en plastique jetée depuis un véhicule et qui restera pour toujours sur l’accotement. Tous les ans l’accumulation s’accroit, avec des produits particuliers (Lucozade et Coca-Cola par exemple) qui ajoutent des couleurs criardes à la blessure environnementale.
Je condamne ces boissons tout autant que les personnes qui se débarrassent de leurs contenants. Il y a quelque chose dans ces sodas pétillants, au goût enfantin et aux bouteilles bardées de logos, qui provoque une attitude immature chez des personnes qui, dans d’autres circonstances, sont tout à fait matures. La rapidité avec laquelle la dose est délivrée par le "mamelon" en plastique, l’euphorie des bulles dans la gorge et le rot de satisfaction tendent à rétrécir la perspective du buveur, niant ainsi l’idée d’un monde au-delà du sien. Le geste d’autosatisfaction qui consiste à lancer la bouteille par la fenêtre de la voiture (le geste qui dit je suis le roi de l’espace dans lequel ce corps voyage et allez vous faire voir) est exactement ce à quoi nous devons nous attendre quand on laisse libre cours à tout moment aux appétits superficiels.
Aussi, voilà mon quatrième principe : ne buvez pas ce qu’il y a dans les bouteilles en plastique. Déclarez-leur la guerre ainsi qu’aux firmes qui les utilisent. Ne fréquentez pas les supermarchés qui vendent leur lait dans du plastique, refusez par principe les boissons gazeuses et buvez de l’eau, si nécessaire, au robinet seulement.
Une dernière remarque : j’ai trouvé des canettes de bière, des bouteilles d’eau, de whisky et de soda le long de l’accotement, mais je n’ai jamais trouvé une bouteille de vin. De même que nous devons tenir la boisson bestiale pour responsable d’un caractère grossier, nous devons aussi observer dans le comportement prévenant de nos buveurs de vin la vertu morale de ce qu’ils boivent. »
Roger Scruton, Je bois donc je suis
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