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30/01/2020

Catholique

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« Au Mont Athos, les moines se considèrent comme “catholiques”, c'est ce qu'ils confessent dans le Credo de Nicée-Constantinople. Catholique au sens de “catholique romain” est davantage considéré comme “hérésie”, comportement schismatique, coupé, séparé de la véritable Église, catholique orthodoxe.

Étymologiquement, le mot “catholique” – katholikos – vient de kat-olon,“selon le tout”. Il signifie davantage une idée de plénitude que d'universalité. Dire que l'Église est “universelle”, ce n'est pas encore dire qu'elle est “catholique”.

La notion de catholicité est importante à comprendre. Par exemple, en ce qui concerne l'interprétation des écritures, aucun verset ne peut être interprété, si ce n'est en relation à la totalité du texte : kat-olon, “selon le tout”.

Un membre du corps ne trouve pas sa place dans le corps, si ce n'est dans sa relation avec “tout” le corps (kat-olon).

Une Église ne peut être considérée comme catholique que dans sa relation avec “toutes” les autres Églises (kat-olon) qui partagent la plénitude de la même foi orthodoxe (le Credo de Nicée-Constantinople). »

Jean-Yves Leloup, Sagesse du Mont Athos

 

 

 

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28/01/2020

La vocation spirituelle de la France

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« On croit aujourd’hui mon pays divisé contre lui-même. Il ne l’est qu’à l’égard des mystiques qu’on prétend lui imposer du dehors et qui répugnent à sa tradition et à son génie, mais qu’il s’efforce, malgré cela, d’assimiler, ou du moins de rendre intelligibles, parce que sa vocation est de tout comprendre, de tout risquer pour comprendre. Notre honneur, et aussi notre malheur, est que nous restons sincères parmi les menteurs, humbles parmi les orgueilleux, raisonnables parmi les fous.

On nous accuse de douter de nous. Mais il faut plaindre davantage les peuples qui, pour croire en eux-mêmes, ont besoin de s’exciter jusqu’à la frénésie, qui ne se trouvent qu’à la limite du délire collectif et qui redeviendront des esclaves dès qu’ils cesseront de se proclamer des dieux au roulement de cent mille tambours. […]

Je souhaite que la France ne perde pas trop de temps à combler cette espèce d’orifice ouvert dans son histoire et d’où monte une odeur sinistre. Qu’elle jette une planche dessus et qu’elle passe outre. En avant ! en avant ! Une humiliation ne se répare pas, elle se venge.

Il est facile de trouver des excuses à notre défaillance, nous préférons mille fois qu’on ne lui en cherche aucune, nous refusons de plaider pour la déroute. C’est la propagande ennemie qui commence à se charger de ce soin, inspire çà et là de timides réserves contre un jugement trop hâtif, trop dur, nous invite sournoisement à rejeter sur un petit nombre d’hommes le poids du désastre de la nation, comme si la France n’était pas assez grande pour l’assumer. Je dis la France, la France de quarante rois, de deux empires, de trois révolutions, la France de la Marne et de Verdun. Prennent-ils donc la plus vieille chrétienté d’Europe pour un enfant mineur, victime de mauvaises fréquentations, et en faveur duquel l’avocat plaide l’irresponsabilité ?

Il est honteux de voir de jeunes Français bien intentionnés je suppose, mais sans doute justement inquiets pour leur génération du jugement de l’histoire, lier leur cause à celle du pays. "En faisant douter de nous, disent-ils, vous allez faire douter de la France." Et ils s’efforcent de dresser un bilan favorable des efforts d’avant-guerre, de ces diverses "Renaissances" — littéraires, sportives, morales, religieuses — dont ils avaient si soigneusement jadis établi les plans sur le papier. Ils versent ces pièces précieuses au dossier. Hé bien la France ne veut pas de dossier ! Il ne saurait être question pour elle de s’en remettre à son banquier, à son avocat, ou même à son confesseur, dans une affaire où son honneur est engagé.

Quelle que soit, en effet, l’opinion qu’on ait sur l’armistice, un fait est certain, indiscutable : nos armées ont été dispersées, Paris rendu, notre territoire conquis de la Meuse aux Pyrénées en un peu plus de vingt jours. Le caractère foudroyant d’une telle catastrophe a quelque chose de suspect. La France ne peut supporter d’être soupçonnée d’une sorte de faillite frauduleuse, ce soupçon fût-il injuste. C’est ce que comprendront sans peine mes plus déterminés contradicteurs, et parmi eux mon distingué confrère, M. le Directeur du Meio-Dia (1), car, si loin que nous entraîne parfois le démon de la polémique, ce proverbe de mon pays est toujours vrai qu’entre honnêtes gens, n’est-ce pas ? On finit toujours par s’entendre.

Bref, au risque de renier ce qu’elle doit, la France préfère celui de payer ce qu’elle ne doit pas. Des deux hypothèses qui se proposent à sa conscience, elle admet la pire, elle signe au monde un chèque en blanc. Après tout, elle devait à ce monde une victoire, elle lui a donné une défaite, elle n’en discutera pas les causes. Une nation de son rang ne supporte pas de décevoir, fût-ce le plus humble de ceux qui ont cru en elle — et celui-là moins qu’un autre. Il se peut que notre défaite soit honorable, il se peut que notre honneur soit sauf, mais ce n’est pas assez qu’il se puisse, il faudrait que ce fût évident, que cette évidence s’imposât du premier coup à tout homme de bonne foi. Dans le doute, la France préfère répondre de la déroute, et nous avec elle.

Car enfin, la défaite, c’est nous. Jeune ou vieux, tout Français aujourd’hui vivant doit accepter sa part de honte. Les anciens services rendus, les sacrifices consentis, les maux soufferts, ne comptent plus. Que les jeunes Français acceptent de jeter dans la fosse sans gloire leurs "Renaissances" ratées, leurs ambitions déçues, leurs bonnes intentions, d’autrefois, inutilisables maintenant, nous y jetons bien, nous les vieux, nos vies usées, nos pauvres lauriers de l’avant-dernière guerre. La France choisira plus tard, beaucoup plus tard, entre ces reliques poussiéreuses, ce qui lui paraîtra pouvoir encore servir. Aujourd’hui nous ne pouvons rien, nous nous reconnaissons insolvables, voilà tout. Il faut que notre pays réponde, pour ses fils prodigues. La France avait tiré une traite sur nous, et sous prétexte que nous avons laissé passer l’échéance, elle ne laissera pas protester sa signature. Elle ne regarde même pas le tas de papier qui s’accumule à ses pieds depuis trois mois, elle dédaigne d’en vérifier le compte, elle regarde le monde en face — amis ou ennemis — et elle dit simplement : "Je paierai tout !"

Les jeunes réalistes peuvent bien croire que ce que j’écris ici, c’est de la littérature. Leur jugement m’importait peu hier, il m’importe encore moins aujourd’hui. La France dont je parle n’est pas un mythe, une image poétique, elle existe réellement. C’est même la seule qui compte, car c’est celle qu’on aime, l’amour la fait vivante, mille fois plus réelle et plus vivante que celle qui négocie, épargne, spécule, fabrique. Toutes ces Frances-là ne seraient rien sans elle, car c’est à elle qu’on croit. Pour me mettre à la portée des jeunes réalistes, je dirai que notre crédit lui-même, en dernière analyse, se fonde moins sur l’or de nos coffres que sur le juste renom de l’honneur français. […]

Les ennemis de mon pays m’accusent probablement d’orgueil, et je n’ai jamais été moins orgueilleux qu’aujourd’hui, j’ai ressenti jusqu’aux moelles l’humiliation de mon pays et, doutant parfois de lui — non de son passé, certes ! mais de son avenir —, je ne suis que trop tenté de désespérer de moi-même, de mes livres, de tout ce que j’ai fait. Je reste debout non par orgueil, comme ils vont faire semblant de le croire, non pour les défier eux-mêmes — car je ne les méprise nullement, et peut-être nous aimerions-nous si nous nous connaissions mieux —, mais parce que je ne puis parler que debout, c’est une position qui m’est naturelle, et d’ailleurs je ne parle qu’aux hommes debout ! Oui, le geste naturel de ma race devant Dieu, c’est de se lever, de se mettre debout, d’attendre ainsi ses ordres, ce n’est pas de se coucher par terre, en frappant le sol du front, comme on fait ailleurs. Un chrétien français ne devrait se coucher que pour mourir.

Nous n’ignorons pas, et je n’ignore moins que personne, quelle faute nous venons de commettre, quelle déception nous avons donnée. Notre seule manière d’en demander pardon est de nous lever pour les réparer. Nous les réparerons à notre manière, nous les réparerons "à la française". Nous sommes la chrétienté de France. Nous ne dédaignons pas les autres chrétientés. Nous savons qu’elles ont chacune leur vocation particulière, et que toutes ces vocations particulières retourneront un jour à leur source, qui est la Sainte Charité de Jésus-Christ. Mais sous prétexte de repentir ou d’humilité, nous n’inclinerons pas devant d’autres traditions historiquement moins glorieuses et moins pures que la nôtre, la tradition des aïeux. […]

Il est si facile d’avoir raison contre la France ! On pourrait presque écrire que notre histoire est l’histoire de nos fautes, ou du moins elle parait telle au regard des hommes graves, des hommes sérieux, et en général de toute espèce d’animaux à sang froid. Les hommes graves voient les fautes, en calculent les conséquences, mais ils ne vivent jamais assez longtemps pour reconnaître qu’ils se sont trompés dans leurs calculs, que les mêmes erreurs qui eussent consommé leur ruine n’ont ralenti qu’un moment l’élan de notre peuple, ou plutôt ne l’ont ralenti qu’en apparence, car le rythme de la vie française n’est pas celui de leur propre vie.

Un homme même grave, même conservé par l’ennui, ne dure pas beaucoup plus d’un demi-siècle, et dix siècles, pour une nation, ce n’est rien. D’ailleurs, on n’a jamais vu une nation mourir de vieillesse ou de maladie, les nations sont moins fragiles que les races, parce qu’elles sont riches d’hérédités diverses, parfois contradictoires, elles ont plus de nerfs que de muscles, au lieu que les races réservent aux historiens les mêmes déceptions que les colosses aux médecins.

Les mêmes femmes qui bien portantes font la fortune des pharmaciens triomphent d’affections aiguës dont la moindre mènerait au cimetière un champion. Je sais bien que ce que je vais dire ne me vaudra pas l’estime des lecteurs qui ont soif de vérités surprenantes, paradoxales, mais, sincèrement, croyez-vous qu’un pauvre bonhomme, en vingt ans d’expériences de bibliothèques — sans parler du temps qu’il donne à ses petites affaires, au bridge, à l’Académie, à d’autres soins plus frivoles encore —, puisse comprendre quelque chose au destin d’une nation qui a un millénaire derrière elle, et plusieurs millénaires par-devant, pour qui les siècles sont des jours ?

Oh ! sans doute, ils passent pour s’instruire les uns les autres, d’âge en âge, on dit qu’ils se transmettent le flambeau. Il faut donc que ce flambeau n’éclaire jamais le même pan d’ombre, car ces Messieurs ne s’accordent pas du tout entre eux sur ce qu’ils voient, sur ce qu’ils ont vu. C’est peut-être qu’ils ne regardent vraiment qu’eux-mêmes. Ils attendent de l’histoire de France qu’elle les justifie d’être ce qu’ils sont, de penser ce qu’ils pensent. Ils voudraient que cette histoire fût aussi sérieuse, aussi ennuyeuse que la leur, on les étonnerait bien en leur disant qu’elle ressemble beaucoup plus à la vie d’une femme passionnée qu’à l’honorable et studieuse carrière d’un membre de l’Institut. Les événements ne leur apprennent rien, parce qu’ils s’efforcent de les relier entre eux par la même logique arbitraire qui gouverne leur destin, ils refusent de croire à ces réactions spontanées, imprévisibles, foudroyantes, qui font tout le mystère des grandes âmes et des grands peuples.

L’histoire est un perpétuel recommencement, disent-ils. Quelle erreur ! C’est eux qui recommencent toujours, c’est eux qui ne changent jamais. On voit ainsi, dans mon doux pays de Provence, les vieux "retraités", chauffant leurs rhumatismes au soleil, assis gravement côte à côte sur les bancs de la petite place. Ils regardent jouer les enfants, mais ils ne comprennent plus rien à leurs jeux. Ils regardent passer les amants, mais ils ne comprennent plus rien à l’amour. Parce qu’ils ne comprennent plus rien au jeu ni à l’amour, ils se croient sages, ils remâchent amèrement leur sagesse, haussent les épaules, branlent la tête, jusqu’au jour où leur place est vide, aussitôt remplie par un autre vieux qui leur ressemble comme un frère, qui reprendra la même vaine méditation au point où l’autre l’aura laissée, avant d’aller bientôt le rejoindre au cimetière.

Je me suis toujours efforcé de comprendre la France, parce qu’elle m’est toujours apparue depuis l’enfance ainsi qu’un être vivant, vraiment vivant, c’est-à-dire capable d’aimer. Je ne souhaitais pas seulement de l’aimer, comme si mon amour était un don précieux, volontaire, qu’elle dût accepter avec gratitude. Je désirais de tout mon cœur qu’elle m’aimât, qu’elle me comprît, qu’elle me reconnût pour l’un des siens, que son regard se posât sur moi, ne fût-ce qu’un moment, qu’elle se révélât le temps d’un éclair, une fois, une seule fois, comme le bon Dieu daigne se révéler aux saints.

Et pour voir se réaliser ce souhait magnifique, je ne comptais nullement sur la chance d’une carrière heureuse, ou glorieuse, qui m’imposât un jour à son attention, car je savais déjà, je sais encore aujourd’hui, que la grandeur et les honneurs sont peu de chose à ses yeux, que nous ne devons rien attendre que de son royal bon plaisir, de son libre et gracieux choix. Je me suis toujours efforcé de comprendre la France, mais à présent il me faut la comprendre coûte que coûte, je ne puis plus me passer de la comprendre, rien ne m’importe plus que de la comprendre. Jamais je ne l’ai sentie si loin de moi, et c’est peut-être qu’elle n’a jamais été plus proche, qu’elle m’impose la suprême épreuve non de souffrir pour elle, comme il y a vingt ans, mais de souffrir par elle, de ne plus reconnaître son visage humilié.

Notre peuple a été vaincu, il est aujourd’hui tenté. On ne doit traiter à la légère ni la tentation, ni le tentateur. Nous n’ignorons rien des fautes du passé, ni des arguments qu’elles peuvent fournir aux agents de l’ennemi. L’ennemi fait beaucoup de promesses, et peut-être en tiendra-t-il quelques-unes, peut-être ne refusera-t-il pas quelques menues faveurs à sa belle proie pourvu que, se prosternant, elle l’adore. Le Maître nous tend sa main à baiser, "Baisez-la, qu’importe" murmurent les entremetteurs et les casuistes, les intellectuels pourris, les vieillards macérés dans l’impuissance et la rancune comme un cadavre dans les aromates.

Ainsi parlaient-ils déjà, voilà bien des siècles, à l’oreille de Jeanne d’Arc. Elle était seule devant eux, les mains nues. Et ils avaient tout. Ils avaient la force, la science, le prestige du ministère sacré. Ils argumentaient au nom du bon sens, de la raison, de la foi catholique, de Dieu même. La seule chose qu’ils ne pouvaient faire, c’était de parler au nom de l’honneur. L’honneur de la France était dans ces mains nues, innocentes. Hé bien ! il y est encore aujourd’hui. Les frêles doigts, les doigts enfantins que toute la force de la puissante Angleterre des Plantagenêts n’a pu réussir à desserrer, ne s’ouvriront pas aujourd’hui entre les mains d’un rustre allemand. […]

Pour être tout à fait sincère, il ne suffit pas, comme le pensent tant de bienheureux et de bienheureuses formés par les casuistes, de s’abstenir de mentir. Il est nécessaire de s’avancer avec toute la part de vérité dont on dispose, part qui, si modeste soit-elle, est presque toujours beaucoup plus précieuse qu’on ne le pense soi-même : car il nous est difficile de jauger d’emblée la valeur de ce qui nous a coûté tant d’efforts et que nous avons dû attendre si longtemps, au-dedans de nous-mêmes. C’est pourquoi, chaque fois que je vous parle de mon pays, je reste consterné en faisant le compte du petit nombre de choses que j’ai à vous dire, une fois que j’ai achevé la tâche d’écarter toutes celles qui ne me paraissent pas nécessaires.

Il serait évidemment plus avantageux pour moi de ne pas me montrer aussi sévère dans ce choix, et cela flatterait la vanité d’un certain nombre de lecteurs, qui probablement ne se sont jamais donné la peine de comprendre la France, mais se donnent beaucoup de mal pour garder l’illusion qu’ils l’ont comprise ; il accueillent évidemment les recettes fournies par des intellectuels dont le rôle se ramène à transporter de livre en livre et de capitale en capitale quelques idées sommaires et brillantes, faciles à placer, comme ils transporteraient des échantillons dans une valise. Tous les pays possèdent de tels parasites, mais, conformément au proverbe « corruptio optimi pessima », les exemplaires les plus ridicules de cette espèce sont fournis par quelques artistes et écrivains français, devenus fournisseurs attitrés de pacotille destinée à l’exportation.

Je ne prétends aucunement que de tels individus soient des imbéciles, bien au contraire. Ils seraient très capables d’exercer une autre profession, mais ils ont choisi celle-là comme étant mieux accordée à leur nature, comme s’ils étaient venus au monde pour ce genre de succès. Ils connaissent admirablement les points faibles du public et s’entendent à lui épargner tout effort de discernement, à substituer à l’idée vraie une banalité prétentieuse, au sentiment sincère le jeu sentimental. Il est consternant d’observer que des écrivains illustres, de renommée universelle, et dont le caractère est certainement égal au talent, se sont laissé gagner par la contagion, cédant ainsi au désir de toucher, de séduire, de secouer les nerfs du public. […]

L’effort désintéressé d’un homme pour comprendre la France est un acte qui va bien au delà de la simple littérature et qui a, à mes yeux, un caractère sacré, presque religieux. Si humble que soit cet homme, si étranger que je le suppose à notre race, et sa peau fût-elle de couleur très foncée, je ne puis tolérer qu’il soit mystifié par des intrigants et des pédants, ou que la noble passion qui l’anime tourne à ce conformisme dont justement l’esprit français a horreur, étant donné que sa mission est de le briser sans cesse, à mesure qu’il se reforme, comme un bateau brise-glaces passe et repasse à travers les banquises, afin d’ouvrir une voie libre à la mer.

Chers amis, cette fois encore, l’idée que je vous offre est très simple : pourtant je ne la traiterai pas à la légère, car elle est de celles qu’un Français préfère à toutes les autres, parce qu’elles mettent d’accord l’intelligence et le cœur. Il n’y a qu’un moyen de servir réellement la France, c’est de l’aimer. Et il n’y a qu’un moyen de l’aimer, c’est de la comprendre, je veux dire de chercher à la comprendre, car c’est en vertu de cette volonté et de l’effort qu’elle exige que vous vous trouverez associés à son aventure millénaire, à l’immense déroulement de son histoire, l’histoire d’un peuple dont le génie tendre, lucide et douloureux est le génie de la sympathie.

Si vous aimez la France et son esprit, n’en attendez pas la définition, car cette définition n’existe pas. Mon pays est plein de contradictions, comme n’importe quelle créature humaine, comme la vie elle-même ; la raison seule ne saurait résoudre ces contradictions, il y faut absolument la clairvoyance de l’amour, que le christianisme a divinisée sous le nom de charité. On parle beaucoup de son génie équilibré ; on pourrait bien mieux parler de sa flamme, de la ferveur sacrée qui la jette sans cesse d’expérience en expérience, de risque en risque.

Cette contradiction, comme les autres, est à peine apparente, car l’équilibre est une condition du mouvement, et si le danseur de corde voltige à cinquante mètres au-dessus du sol comme un oiseau ou comme une flamme, c’est qu’il a le sens de l’équilibre dont il paraît défier les lois. Oh ! je sais très bien que beaucoup d’entre vous, en lisant ces phrases, me feront peut-être l’honneur de les trouver harmonieuses, émouvantes, poétiques, mais l’instant d’après les oublieront. Ah! il n’y a qu’un moyen d’aimer et de comprendre la France, mais de même, pour elle, il n’y a qu’un moyen de se faire aimer et comprendre, c’est d’agir, de s’élancer en avant, de montrer la voie.

Il suffit qu’elle s’arrête, ou simplement qu’elle ralentisse son ardent élan historique, pour que les parasites intellectuels qui foisonnent partout sur le monde comme les poux dans la fourrure d’un animal malade, se jettent sur elle comme sur leur proie. Ils sophistiquent sa pensée, à l’imitation des Pharisiens qui sophistiquent l’Évangile, et ils mettent la pensée française hors de la portée des esprits droits et des cœurs simples pour lesquels Dieu l’a faite.

Lorsque j’affirme que la France est révoltée par l’imposture, qu’elle a pour l’imposture, et particulièrement pour les formes supérieures de l’imposture — celles de l’esprit —, une espèce de répulsion nerveuse, capable de la porter à des actes extrêmes, de la faire passer brusquement de l’agitation de la colère à la prostration du désespoir, le moindre petit licencié d’histoire m’accusera de tomber dans un anthropomorphisme enfantin ; mais j’aime mieux être d’accord sur ce point avec Michelet et Péguy qu’avec n’importe quel petit licencié d’histoire.

Car en écrivant que notre peuple est le moins pharisien du monde, c’est-à-dire le peuple qui compte le moins grand nombre de Pharisiens, chez qui le pharisaïsme prospère mal, l’auteur du Mystère de Jeanne d’Arc nous a définis essentiellement, substantiellement, puisque notre horreur naturelle du pharisaïsme explique à la fois nos vertus et nos vices, cette horreur a fait nos héros comme nos anarchistes, des êtres d’une droiture et d’une loyauté incomparables, mais aussi des cyniques et des débauchés. Elle explique également certaines contradictions apparentes de notre histoire, certains retournements prodigieux.

La France est capable de se résigner à bien des injustices, mais elle ne saurait tolérer — au sens exact, j’oserai dire au sens médical de ce mot — cette espèce d’injustice qui prétend s’exercer au nom de la justice. Ainsi, par exemple, l’Inquisition, introduite chez nous par les moines fanatiques d’Espagne, et dont le but principal semble bien avoir été d’enrichir, par les confiscations, le clergé simoniaque d’Italie, nous rendit anticléricaux pour des siècles. Il ne serait pas moins vrai d’affirmer que la féroce hypocrisie des princes protestants du XVIe siècle, qui pillaient l’Eglise sous prétexte de la réformer, nous détourna à jamais du protestantisme.

C’est face à une imposture de ce genre que le grand Drumont disait : "Cela me rend physiquement malade." Et c’est bien une imposture de cette sorte qui rend la France malade, qui l’intoxique, qui l’empoisonne. Comme je le disais naguère, il arrive alors que le venin lui monte à la tête et la jette au paroxysme de la fureur. Mais il se peut aussi que les nerfs lâchent et que la révolte de l’âme nationale s’exprime par l’ironie douloureuse, le scepticisme, et même la stupeur. […]

Je ne me suis jamais senti plus d’estime pour les masses de gauche que pour les masses de droite, et la raison en est bien simple- Il y a eu autrefois des idéalistes de gauche et des idéalistes de droite, mais les méprisables dégénérés qui se recommandent aujourd’hui d’eux ne mériteraient que leur mépris. Comment d’ailleurs les reconnaître ? L’homme jadis flétri par les révolutionnaires sous le nom d’homme d’ordre ne serait pas aujourd’hui Cavaignac, mais M. Thorez. Les gens de droite dénoncés par moi dans Les Grands Cimetières utilisaient contre leurs adversaires des méthodes qu’ils n’avaient cessé de flétrir.

Mais les gens de gauche tout au long du XIXe siècle n’ont cessé d’exalter ces méthodes. "La Révolution est un bloc", déclarait G. Clemenceau solidarisant ainsi les combattants de l’armée du Rhin avec les égorgeurs de septembre. Il est certainement ignoble d’entendre un prêtre approuver l’épuration sans jugement des suspects, mais il n’est pas seulement ignoble, il est comique de voir un homme de gauche prétendre être traité par la Gestapo avec des égards que ses ancêtres et ses modèles n’ont jamais eus pour leurs compatriotes "ci-devant".

Je parle naturellement ici de la masse des gens de gauche et des gens de droite. Il y a dix ans, j’ai pu essayer de me faire illusion sur ces masses de gauche par dégoût pour les masses d’une droite avilie. Je ne vois plus là maintenant qu’une tentation du désespoir. La paix au moins a démontré l’impuissance de ces gens-là, leur hypocrisie au moins égale à celle de leurs adversaires. On dit que la Résistance a eu le cœur à gauche. Que veut-on prouver par là ? Elle l’aurait eu à droite et non à gauche en cas d’occupation par les Russes.

Je le demande à tout lecteur de bon sens et de bonne foi. Si nous pouvions faire exactement le compte des hommes qui se sont prononcés contre Munich, Rethondes et Montoire sans aucune arrière-pensée de haine politique ou de préjugé social, c’est-à-dire inspirés par l’unique souci de leur propre honneur et de l’honneur de la nation, quel en serait le nombre ? Il ne saurait être assurément que très petit. Le chiffre une fois fixé, qui oserait se prétendre absolument sûr que dans cette sélection des sélections les gens de droite seraient moins nombreux que les gens de gauche ! […]

Oh ! certainement, une fois de plus, il y a, grâce à Dieu, des hommes libres un peu partout. Non pas de ceux qui se disent libres parce que la démocratie leur donne cette étiquette, mais réellement libres, et qui le seraient n’importe où et n’importe comment, dans la richesse ou dans la pauvreté, la santé ou la maladie, qui le seraient même dans les chaînes, s’ils vivaient sous un tyran. De tels hommes, je le répète, se trouvent partout. Peut-être, pourtant, eussent-ils été naguère dans mon pays plus simplement, plus naturellement, plus ingénument libres qu’ailleurs, sans rien de prétentieux, d’affecté, de recherché, de tourmenté ; libres presque malgré eux et à leur insu, parce que leur liberté avait pour principe une espèce de liberté intérieure, dont ils n’éprouvaient pas le besoin de refaire l’expérience à tout instant, de même qu’un vrai chrétien ne met pas à tout moment sa foi à l’épreuve.

On les jugeait parfois conformistes, parce qu’ils s’efforçaient de n’attirer l’attention de personne. On les disait conformistes, et ils Tétaient, en effet, dans les circonstances futiles et familières de la vie. Ils étaient conformistes comme ils étaient pacifiques, c’est-à-dire jusqu’à un certain point, et, passé ce point, rien n’aurait pu les faire reculer, sinon la certitude — ou l’illusion — d’avoir accompli leur tâche, de pouvoir revenir sans remords au conformisme et à la paix. […]

Pour définir la vocation spirituelle de la France, je n’ai nullement besoin d’être docteur en théologie, j’ose même dire que Jeanne d’Arc en savait beaucoup plus long sur un tel sujet que saint Anselme ou saint Thomas d’Aquin. La vocation spirituelle de la France est de démasquer l’imposture, et l’une des plus grotesques impostures de ce temps est la prétention des intellectuels catholiques à s’ériger en perpétuels censeurs du désordre de la société moderne, alors qu’ils lui donnent précisément l’exemple d’une anarchie spirituelle qui passe toute mesure, parce qu’on s’efforce de la masquer sous des formules vagues qui, condamnant tout le monde, dispensent de juger personne.

La vocation de la France est de démasquer l’imposture. Vous trouvez peut-être une telle formule un peu simpliste ? Tant pis pour vous ! Elle résume merveilleusement au contraire toute une philosophie pratique de la vie. Dois-je faire remarquer une fois de plus que ce livre n’est pas une apologie de mon pays ? Lorsque j’écris qu’il hait l’imposture, je ne veux nullement dire qu’il la hait seulement par vertu, qu’il est plus vertueux que les autres. Mon pays n’a pas choisi sa vocation, elle lui a été donnée ; s’il se déshonore en y manquant, on ne saurait lui faire un grand mérite de suivre la voie où la Providence l’a engagé il y a des siècles, et qu’il n’a jamais quittée sans payer sa faute d’épreuves effroyables. Pourquoi sa haine de l’imposture ne serait-elle pas devenue, à la longue, une sorte de réflexe héréditaire, une des formes de l’instinct de conservation ? Mais d’abord de quelle espèce d’imposture s’agit-il ? Je réponds sans hésitation : des impostures de l’Esprit.

(1) Journal brésilien de Rio de Janeiro »

Georges Bernanos, La vocation spirituelle de la France

 

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27/01/2020

Le droit de tuer...

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« On estimera peut-être qu'une époque qui, en cinquante ans, déracine, asservit ou tue soixante-dix millions d'êtres humains doit seulement, et d'abord, être jugée. Encore faut-il que sa culpabilité soit comprise. Aux temps naïfs où le tyran rasait des villes pour sa plus grande gloire, où l'esclave enchaîné au char du vainqueur défilait dans les villes en fête, où l'ennemi était jeté aux bêtes devant le peuple assemblé, devant des crimes si candides, la conscience pouvait être ferme, et le jugement clair. Mais les camps d'esclaves sous la bannière de la liberté, les massacres justifiés par l'amour de l'homme ou le goût de la surhumanité, désemparent, en un sens, le jugement. Le jour où le crime se pare des dépouilles de l'innocence, par un curieux renversement qui est propre à notre temps, c'est l'innocence qui est sommée de fournir ses justifications. L'ambition de cet essai serait d'accepter et d'examiner cet étrange défi.

Il s'agit de savoir si l'innocence, à partir du moment où elle agit, ne peut s'empêcher de tuer. Nous ne pouvons agir que dans le moment qui est le nôtre, parmi les hommes qui nous entourent. Nous ne saurons rien tant que nous ne saurons pas si nous avons le droit de tuer cet autre devant nous ou de consentir qu'il soit tué. Puisque toute action aujourd'hui débouche sur le meurtre, direct ou indirect, nous ne pouvons pas agir avant de savoir si, et pourquoi, nous devons donner la mort. »

Albert Camus, L'homme révolté

 

 

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26/01/2020

Des crimes de logique

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« Il y a des crimes de passion et des crimes de logique. La frontière qui les sépare est incertaine. Mais le Code pénal les distingue, assez commodément, par la préméditation. Nous sommes au temps de la préméditation et du crime parfait. Nos criminels ne sont plus ces enfants désarmés qui invoquaient excuse amour. Ils sont adultes, au contraire, et leur alibi est irréfutable : c'est la philosophie qui peut servir à tout, même à changer les meurtriers en juges.

Heathcliff, dans les Hauts de Hurlevent, tuerait la terre entière pour posséder Cathie, mais il n'aurait pas l'idée de dire que ce meurtre est raisonnable ou justifié par le système. Il l'accomplirait, là s'arrête toute sa croyance. Cela suppose la force de l'amour, et le caractère. La force d'amour étant rare, le meurtre reste exceptionnel et garde alors son air d'effraction. Mais à partir du moment où, faute de caractère, on court se donner une doctrine, dès l'instant où le crime se raisonne, il prolifère comme la raison elle-même, il prend toutes les figures du syllogisme. Il était solitaire comme le cri, le voilà universel comme la science. Hier jugé, il légifère aujourd'hui. »

Albert Camus, L'homme révolté

 

 

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19/01/2020

Mollesse

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« La guerre, c’est la vie, malgré la mort qu’elle sème autour d’elle ; c’est la vie morale, qui importe bien plus que la vie physiologique ! Les peuples mourant de mollesse, de paix, d’abjection diplomatique, ressuscitent par la guerre. Ils lavent leurs pourritures dans le sang qu’ils versent et ils les guérissent. »

Jules Barbey d'Aurevilly, "Les poètes" in Les Œuvres et les hommes

 

 

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La terre grave et souffrante...

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« Et ouvertement je vouai mon cœur à la terre grave et souffrante, et souvent, dans la nuit sacrée, je lui promis de l'aimer fidèlement jusqu'à la mort, sans peur, avec son lourd fardeau de fatalité, et de ne mépriser aucune de ses énigmes. Ainsi, je me liai à elle d'un lien mortel. »

Friedrich Hölderlin, La mort d'Empédocle

 

 

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18/01/2020

La loi du meurtre

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« A ce "tout est permis" commence vraiment l’histoire du nihilisme contemporain. La révolte romantique n’allait pas si loin. Elle se bornait à dire, en somme, que tout n’était pas permis, mais qu’elle se permettait, par insolence, ce qui était défendu. Avec les Karamazov, au contraire, la logique de l’indignation va retourner la révolte contre elle-même et la jeter dans une contradiction désespérée. La différence essentielle est que les romantiques se donnent des permissions de complaisance, tandis qu’Ivan se forcera à faire le mal par cohérence. Il ne se permettra pas d’être bon. Le nihilisme n’est pas seulement désespoir et négation, mais surtout volonté de désespérer et de nier. Le même homme qui prenait si farouchement le parti de l’innocence, qui tremblait devant la souffrance d’un enfant, qui voulait voir "de ses yeux" la biche dormir près du lion, la victime embrasser le meurtrier, à partir du moment où il refuse la cohérence divine et tente de trouver sa propre règle, reconnaît la légitimité du meurtre. Ivan se révolte contre un Dieu meurtrier ; mais dès l’instant où il raisonne sa révolte, il en tire la loi du meurtre. Si tout est permis, il peut tuer son père, ou souffrir au moins qu’il soit tué. Une longue réflexion sur notre condition de condamnés à mort aboutit seulement à la justification du crime, Ivan, en même temps, hait la peine de mort (racontant une exécution, il dit férocement : "Sa tête tomba, au nom de la grâce divine") et admet, en principe, le crime. Toutes les indulgences pour le meurtrier, aucune pour l’exécuteur. Cette contradiction, où Sade vivait à l’aise, étrangle au contraire Ivan Karamazov. Il fait mine de raisonner, en effet, comme si l’immortalité n’existait pas, alors qu’il s’est borné à dire qu’il la refusait même si elle existait. Pour protester contre le mal et la mort, il choisit donc, délibérément, de dire que la vertu n’existe pas plus que l’immortalité et de laisser tuer son père. Il accepte sciemment son dilemme ; être vertueux et illogique, ou logique et criminel. Son double, le diable, a raison quand il lui souffle : "Tu vas accomplir une action vertueuse et pourtant tu ne crois pas à la vertu, voilà ce qui t’irrite et te tourmente." La question que se pose enfin Ivan, celle qui constitue le vrai progrès que Dostoïevski fait accomplir à l’esprit de révolte, est la seule qui nous intéresse ici : peut-on vivre et se maintenir dans la révolte ?

Ivan laisse deviner sa réponse : on ne peut vivre dans la révolte qu’en la poussant jusqu’au bout. Qu’est-ce que l’extrémité de la révolte métaphysique ? La révolution métaphysique. Le maître de ce monde, après avoir été contesté dans sa légitimité, doit être renversé. L’homme doit occuper sa place. "Comme Dieu et l’immortalité n’existent pas, il est permis à l’homme nouveau de devenir Dieu." Mais qu’est-ce qu’être Dieu ? Reconnaître justement que tout est permis ; refuser tout autre loi que la sienne propre. Sans qu’il soit nécessaire de développer les raisonnements intermédiaires, on aperçoit ainsi que, devenir Dieu, c’est accepter le crime (idée favorite, aussi bien, des intellectuels que de Dostoïevski). Le problème personnel d’Ivan est donc de savoir s’il sera fidèle à sa logique, et si, parti d’une protestation indignée devant la souffrance innocente, il acceptera le meurtre de son père avec l’indifférence des hommes-dieux. On connaît sa solution : Ivan laissera tuer son père. Trop profond pour se suffire du paraître, trop sensible pour agir, il se contentera de laisser faire. Mais il deviendra fou. L’homme qui ne comprenait pas comment on pouvait aimer son prochain ne comprend pas non plus comment on peut le tuer. »

Albert Camus, L’homme révolté

 

 

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Satan, en hébreu, c'est l'accusateur...

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« Elisabeth Lévy — Cet "égalitisme" n’était-il pas la conséquence inéluctable de l’égalité des conditions ? a partir du moment où l’on avait supprimé les hiérarchies de la naissance, pouvait-on éviter que l’on s’attaque à toutes les hiérarchies, que de l’égalité entre le riche et le pauvre, l’on aboutit à l’identité entre le sage et le sot, entre Proust et Paolo Coelho ? Comment être égalitaire sans sombrer dans l’égalitisme : c’est l’un des aspects du problème posé aux gens des Lumières que nous sommes — quoi qu’on en dise …

Philippe Muray — En effet. L’égalité devenant égalitisme, c’est Lucifer, le "fils de l’Aurore", devenant prince des Ténébres. Quand je disais qu’il fallait inventer une nouvelle démonologie, et que cela me paraissait être la mission de la littérature d’aujourd’hui, sous quelque forme que ce soit, c’est à l‘égalitisme démoniaque contemporain que je songeais, qui fait pousser partout les associations de persécution (les "Observatoires" et autres "SOS-Machintruc" communautaristes où abolir sous toutes ses formes l’envie du pénal) ; et je n’oublie pas non plus que Satan, en hébreu, c’est l’accusateur. Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de lutte parkinsonienne contre les discriminations s’annonce comme une immense accumulation d’associations. Le nom de Satan, aujourd’hui comme hier, est "légion", mais aujourd’hui, ces légions s’appellent associations. Il est du devoir de tout être humain de les traiter pour ce qu’elles sont : des ennemis absolus de ce qu’il reste d’humain dans l’homme actuel, qu’elles entendent achever, c’est à dire transformer par divers moyens (chantage vis-à-vis des gouvernements, manipulations, mensonges grossiers, répétition du mensonge, glapissements hallucinants de cette immense piétaille de dupes de toutes les impostures que l’on appelle militants, etc.) en lyncheur professionnel, en accusateur public permanent, en obsédé de la réparation, en suppôt de Satan. Ce qu’il est déjà pour une bonne part d’ailleurs. Je ne vois pas pourquoi tout le monde respecte ces associations, qui ne sont que des sociétés malfaisantes, des congrégations de succubes, des couvents maudits, des cyber-syndicats du crime. Il en va du salut de l’humanité de détruire ces groupes d’oppression, qui n’existent que pour se porter partie civile au nom d’on ne sait quelle légitimité qui n’est renforcée que par la faiblesse, la lâcheté, l’infantilisme des législateurs contemporains, et dont l’idéologie relève de la camisole civique. Ce sont les hyènes de la comédie de la justice. Dans toutes les affaires modernes, par exemple, celle de "pédophilie" aujourd’hui, et demain celles d’ "homophobie", vous verrez ramper vers la barre, sur leur ventre galeux, poil hérissé, museau aplati et bavant, croupe plus bas que le garrot, oreilles couchées, pelage jaunâtre, les avocats des associations, portées partie civile quand il serait tellement plus agréable de les savoir portées disparues. (…) »

Philippe Muray (Conversations avec Elisabeth Lévy), Festivus Festivus

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15/01/2020

Cages de verre

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« Il montra les cailloux à Silvia.

— La mentalité scientifique opère comme suit : ce caillou est du feldspath, le feldspath se décompose en molécules, les molécules en tels et tels atomes. On va du complexe au simple, de la totalité aux parties. Analyse veut dire décomposition. Voilà ce qui nous est arrivé.

Silvia le regarda.

— Je ne parle pas ici du progrès technique. Evidemment, quand il s’agit de pierres ou d’atomes, ça marche. Je te parle de la calamité qu’a signifié le fait de croire qu’on pouvait appliquer la même méthode à l’homme. Un homme n’est pas une pierre, et on ne peut le décomposer en foie, yeux, pancréas, métacarpes, etc. C’est une totalité, une structure, ce n’est pas chaque partie qui a un sens, mais le tout dont chaque organe influe réciproquement sur tous les autres. Tu as une maladie de foie et ce sont tes yeux qui jaunissent. Comment peut-il y avoir des spécialistes des yeux ? La science a tout dissocié. Et le plus grave, c’est qu’elle a dissocié le corps de l’âme. Dans le temps, si tu n’avais pas un phlegmon ou une jambe cassée, tu n'étais pas malade, tu étais un malade imaginaire.

Il remit le caillou en place, se leva et s’appuya à la balustrade.

— En bas, tu peux voir le monde que nous nous sommes fait, le produit de la science. Il faudra bientôt habiter ces cages de verre.
Mon Dieu, comment est-il possible que ce soit là un idéal ! »

Ernesto Sábato, L'ange des ténèbres

 

 

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Chacun porte en son coeur une autre boussole

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« Comme d'autres dans l'art ou dans la vérité, ils cherchaient leur accomplissement dans la lutte. Nos voies sont diverses, chacun porte en son coeur une autre boussole. Pour chacun, vivre veut dire autre chose, pour l'un le chant du coq au matin clair, pour l'autre l'étendue qui dort au midi, pour un troisième les lueurs qui passent dans les brumes du soir. Pour le lansquenet, c'était le nuage orageux qui couvre au loin la nuit, la tension qui règne au-dessus des abîmes. »

Ernst Jünger, La guerre comme expérience intérieure

 

 

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14/01/2020

Beauté des jeunes filles...

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« Sans beauté la jeune fille est malheureuse, car elle perd toute chance d’être aimée. Personne à vrai dire ne s’en moque, ni ne la traite avec cruauté ; mais elle est comme transparente, aucun regard n’accompagne ses pas. Chacun se sent gêné en sa présence, et préfère l’ignorer. À l’inverse une extrême beauté, une beauté qui dépasse de trop loin l’habituelle et séduisante fraîcheur des adolescentes, produit un effet surnaturel, et semble invariablement présager un destin tragique.[…] Tel est l’un des principaux inconvénients de l’extrême beauté chez les jeunes filles : seuls les dragueurs expérimentés, cyniques et sans scrupules se sentent à la hauteur ; ce sont donc en général les êtres les plus vils qui obtiennent le trésor de leur virginité, et ceci constitue pour elles le premier stade d’une irrémédiable déchéance. »

Michel Houellebecq, Les particules élémentaires

 

 

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L'autorail de Crécy-la-Chapelle

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« Il prenait l’autorail de Crécy-la-Chapelle. Chaque fois que c’était possible (et c’était presque toujours possible), il s’installait en face d’une jeune fille seule. La plupart avaient les jambes croisées, un chemisier transparent, ou autre chose. Il ne s’installait pas vraiment en face, plutôt en diagonale, mais souvent sur la même banquette, à moins de deux mètres, Il bandait déjà en apercevant les longs cheveux, blonds ou bruns ; en choisissant une place, en circulant entre les rangées, la douleur s’avivait dans son slip. Au moment de s’asseoir, il avait déjà sorti un mouchoir de sa poche. Il suffisait d’ouvrir un classeur, de le poser sur ses cuisses ; en quelques coups c’était fait. Parfois, quand la fille décroisait les jambes au moment où il sortait sa bite, il n’avait même pas besoin de se toucher ; il se libérait d’un jet en apercevant la petite culotte. Le mouchoir était une sécurité, en général il éjaculait plutôt sur les pages du classeur, sur les équations du second degré, sur les schémas d’insectes, sur la production de charbon de l’URSS. La fille poursuivait la lecture de son magazine. »

Michel Houellebecq, Les particules élémentaires

 

 

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13/01/2020

La soif morbide des jouissances immédiates

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« L’ennui et l’impatience — symptômes jumeaux de l’épuisement des sources vitales. D’où la soif morbide des jouissances immédiates, l’horreur de toute virtualité et des lents processus de maturation, le refus de l’ascèse et de la réserve qui crée des réserves – bref, toute la mentalité abortive de notre époque. Consommation à crédit, amour réduit aux frottis des chairs, méthodes (qui cultivent les pires passivités) en éducation, massacre de l’embryon et idolâtrie de l’enfant. Civilisation de l’instantané, temps émietté où l’éternel n’a plus de prise… »

Gustave Thibon, Le voile et le masque

 

 

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L'air du temps...

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« Pourquoi tous ces intellectuels de gauche ont-ils défendu avec tant d’ardeur des positions qui semblent aujourd’hui si choquantes ? Notamment l’assouplissement du code pénal concernant les relations sexuelles entre adultes et mineurs, ainsi que l’abolition de la majorité sexuelle ?
C’est que, dans les années soixante-dix, au nom de la libération des mœurs et de la révolution sexuelle, on se doit de défendre la libre jouissance de tous les corps. Empêcher la sexualité juvénile relève donc de l’oppression sociale et cloisonner la sexualité entre individus de même classe d’âge constituerait une forme de ségrégation. Lutter contre l’emprisonnement des désirs, contre toutes les répressions, tels sont les mots d’ordre de cette période, sans que personne y voie à redire, sinon les culs-bénits et quelques tribunaux réactionnaires. Une dérive, et un aveuglement dont presque tous les signataires de ces pétitions s’excuseront plus tard.

Dans le courant des années quatre-vingt, le milieu dans lequel je grandis est encore empreint de cette vision du monde. Lorsqu’elle était adolescente, m’a confié ma mère, le corps et ses désirs étaient encore tabous et jamais ses parents ne lui ont parlé de sexualité. Elle avait tout juste dix-huit ans en 68, a dû se libérer une première fois d’une éducation trop corsetée, puis de l’emprise d’un mari invivable épousé trop jeune. Comme les héroïnes des films de Godard ou de Sautet, elle aspire maintenant plus que tout à vivre sa vie . "Il est interdit d’interdire" est sans doute resté pour elle un mantra. On n’échappe pas si facilement à l’air du temps.

Dans ce contexte, ma mère a donc fini par s’accommoder de la présence de G. dans nos vies. Nous donner son absolution est une folie. Je crois qu’elle le sait au fond d’elle-même. Sait-elle aussi que cela risque de lui être durement reproché un jour, en premier lieu par sa propre fille ? Mon obstination est-elle si forte qu’elle ne puisse s’y opposer ? Quoi qu’il en soit, son intervention se borne à passer un pacte avec G. Il doit prêter serment de ne jamais me faire souffrir. C’est lui qui me le raconte un jour. J’imagine la scène, les yeux dans les yeux, solennelle. Dites : "je le jure !" »

Vanessa Springora, Le consentement

 

 

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11/01/2020

Sur les lignes de crêtes

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« Il y a des maladies qui couvent longtemps, mais qui ne deviennent manifestes que lorsque leur oeuvre souterraine est pratiquement parvenue à son terme. Il en est ainsi de la chute de l’homme tout au long des voies de ce qu’il glorifia comme la civilisation par excellence. Si les modernes ont pris conscience aujourd’hui seulement d’un sombre destin pour l’occident, depuis des siècles ont agis des causes, qui ont établi en profondeur des conditions spirituelles et matérielles de dégénérescence, au point d’enlever à la plupart des hommes la possibilité non seulement de la révolte et du retour à la normalité, mais aussi, et surtout, la possibilité de comprendre ce que normalité et santé signifient.

Aussi, pour sincère que puisse être parfois l’intention de certains de ceux qui lancent aujourd’hui l’alarme et s’insurgent, est il impossible de se faire des illusions quand aux résultats. Il n’est pas facile de se rendre compte jusqu’à quelle profondeur il faudrait creuser avant de rencontrer la racine première et unique dont les formes désormais les plus ouvertement négatives aux yeux de tous, mais aussi tant de formes – que même les esprits les plus audacieux ne cessent de présupposer et d’admettre dans leur propre façon de penser, de sentir, de vivre – ne sont pas les conséquences naturelles et nécessaires. On "réagit", on "conteste". Comment pourrait-il en être autrement devant certains aspects désespérés de la société, de la morale, de la politique et de la culture contemporaines ? Mais il s’agit – précisément et uniquement – de "réactions", non d’actions, non de mouvements positifs partant de l’intérieur et attestant la possession d’un fondement, d’un principe, d’un centre. Or en Occident, on a trop joué, et trop longtemps, avec les accommodement et les "réactions". L’expérience a montré que rien de ce qui importe ne saurait être obtenu par cette voie. Il ne s’agirait pas, en effet, de se retourner sans cesse comme un agonisant dans son lit, mais de se réveiller et de se mettre debout. Les choses en sont arrivées à un point tel que l’on se demande aujourd’hui qui serait capable d’assumer le monde moderne, non dans l’un de ses aspects particuliers – "technocratie", "société de consommation", etc. -, mais en bloc, jusqu’à en saisir la signification ultime. C’est de là pourtant qu’il faudrait partir. Mais pour ce faire, il importe de sortir du cercle fascinateur. Il faut savoir concevoir ce qui est autre – se doter d’yeux nouveaux et d’oreilles nouvelles pour des choses perdues dans le lointain, devenues invisibles et muettes. Ce n’est qu’en remontant aux significations et aux visions qui prévalaient avant l’établissement des causes de la civilisation présente, que l’on pourra disposer d’un point de référence absolue, d’une clé pour comprendre effectivement toutes les déviations modernes – et pour trouver en même temps la tranchée intenable, la ligne de résistance infranchissable destinée à ceux auxquels il sera donné, malgré tout, de rester debout. Seul compte, aujourd’hui, le travail de ceux qui savent se tenir sur les lignes de crêtes : fermes sur les principes ; inaccessibles à tout compromis ; insensibles devant les fièvres, les convulsions , les superstitions et les prostitutions sur le rythme desquelles dansent les dernières générations. Seule compte la résistance silencieuse d’un petit nombre, dont le présence impassible de "convives de pierres" sert à créer de nouveaux rapports, de nouvelles distances, de nouvelles valeurs, à construire un pôle qui, s’il n’empêchera certes pas ce monde d’égarés et d’agités d’être ce qu’il est, permettra cependant de transmettre à certains la sensation de la vérité – sensation qui sera peut-être aussi le déclic de quelque crise libératrice. »

Julius Evola, Révolte contre le monde moderne

 

 

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10/01/2020

Le cocon élargi aux dimensions de l'univers

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« Comme leur nom ne l’indique pas, les nouveaux objets nomades sont des fils à la patte incassables.[...] Le portable c’est le cocon élargi aux dimensions de l’univers, c’est une existence soustraite à l’épreuve salutaire de la séparation, c’est l’éloignement jugulé par "le toujours joignable" et c’est le vide angoissant qu’il faut faire en soi pour rencontrer, pour contempler ou pour battre la campagne, conjuré par l’affairement perpétuel. »

Alain Finkielkraut, L’imparfait du présent

 

 

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Et je résolus de ne point m’abandonner à la crainte, non plus à l’orgueil

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« La lune s’était levée, et dans sa clarté je m’abandonnais aux pensées qui nous assaillent lorsque nous nous enfonçons dans l’incertain. En moi s’éveillaient les souvenirs de magnifiques heures matinales, où nous chevauchions à l’avant garde de nos colonnes, tandis que derrière nous, dans la fraîcheur de l’aube, s’élevait le chant des jeunes cavaliers. Nous sentions alors notre cœur battre solennellement, et tous les trésors de la terre eussent pâli devant la joie qui nous attendait dans la glorieuse rigueur de l’action imminente. Oh ! Quelle différence entre ces heures lointaines et cette nuit où, dans la pâle clarté, je voyais luire des armes pareilles aux griffes et aux boutoirs de quelque monstre. Nous nous enfoncions dans les forêts des Lémures qui sont sans droit et sans ordre humains, et chez qui nulle gloire ne se pouvait cueillir. Et j’éprouvais la vanité de tout éclat, de tout honneur, et une grande amertume m’emplissait.
C’était cependant une consolation pour moi de ne point être, comme la première fois, alors que je cherchais Fortunio, le jouet d’aventures magiques, mais le champion d’une juste cause, appelé à la lutte par la haute contrainte de l’esprit. Et je résolus de ne point m’abandonner à la crainte, non plus à l’orgueil. »

Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre

 

 

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09/01/2020

C’est de nos cœurs que Dieu se retire

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« Je le dis, je le répète, je ne me lasserai jamais de proclamer que l’état du monde est une honte pour les chrétiens. Le sacrement de baptême leur a-t-il été conféré simplement pour leur permettre de juger de haut, avec mépris, les malheureux incrédules qui, faute de mieux, poursuivent une entreprise absurde, s’efforçant inutilement d’instaurer, par leur propre moyen, un royaume de justice sans justice, une chrétienté sans Christ ? Nous répétons sans cesse avec des larmes d’impuissance, de paresse et d’orgueil que le monde se déchristianise. Mais le monde n’a pas reçu le Christ, c’est nous qui l’avons reçu pour lui, c’est de nos cœurs que Dieu se retire, c’est nous qui nous déchristianisons, misérables ! »

Georges Bernanos, Français si vous saviez

 

 

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Le conformisme universel

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« Je suis un homme comme vous, n’importe lequel d’entre vous, mais je sens ce que vous ne sentez pas, ce que vous subissez sans le sentir – l’immense pression exercée à chaque heure, jour et nuit, sur nous tous, par le conformisme universel, anonyme, disposant de ressources inépuisables, de méthodes ingénieuses et implacables pour la déformation des esprits. »

Georges Bernanos, Le chemin de la croix aux âmes

 

 

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08/01/2020

Citadelles de luxe

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« A quoi sert d’avoir du courage quand il s’agit de docilement faire la queue à tous les guichets que la société hypermoderne dresse devant vous, ou, mieux encore, quand vous passez des heures seul face à un écran d’ordinateur ? A quoi sert d’avoir le goût du risque lorsque depuis l’enfance on vous oblige à attacher votre ceinture en voiture, et à appliquer en toutes circonstances le principe de précaution ? A quoi sert d’avoir le sens de l’Histoire lorsque vous baignez dans un système de zapping permanent qui consacre le fugace et l’éphémère, et où l’actualité la plus futile mobilise seule l’attention des médias et des masses de spectateurs sidérés ? A quoi sert de chercher à être d’abord soi-même, c’est à dire un "être distingué", dans une société où toutes les catégories sociales et toutes les sensibilités tendent à se ressembler avec l’espoir de ressentir un peu de vibration communautaire dans le grégarisme le plus pur ? En somme, il n’y a plus de vraie droite ni de vraie gauche, se revendiquant comme telles, mais plutôt un vaste consensus mou qui véhicule des valeurs de préservation (et nullement des valeurs conservatrices ou libérales) sur fond d’annonces apocalyptiques permanentes. La gloire a été remplacée par la célébrité, la flamboyance par l’exhibitionnisme, et le panache par la dépression nerveuse. La réussite se mesure désormais à sa capacité de se tirer d’affaire, à savoir se planquer, et à s’installer, pour les plus riches, dans des citadelles de luxe (pas de vrai luxe, celui-là n’existe plus) bourrées d’électronique protectrice et isolante. »

Olivier Bardolle, La vie des hommes

 

 

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Voici l'aurore

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« Voici l’aurore, la nuit craque de tous les côtés. On la croyait éternelle. On aurait dû dormir. Puisque voici un nouveau, un immense jour jusqu’à ce soir. Tout est déjà passé. Tout est déjà passé de l’autre côté, déversé dans le gouffre où les jours s’entassent lorsqu’ils ont été vidés, et ma vie qui traîne le long des années et de mon âge sans y entrer jamais. »

Marguerite Duras, La vie tranquille

 

 

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06/01/2020

Parce qu’enfin on tient une explication et on sait pourquoi

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« Moi, quand je suis en présence d’un con, d’un vrai, c’est l’émotion et le respect parce qu’enfin on tient une explication et on sait pourquoi. Chuck dit que si je suis tellement ému devant la Connerie, c’est parce que je suis saisi par le sentiment révérenciel de sacré et d’infini. Il dit que je suis étreint par le sentiment d’éternité et il m’a même cité un vers de Victor Hugo, oui, je viens dans ce temple adorer l’Eternel. Chuck dit qu’il n’y a pas une seule thèse sur la Connerie à la Sorbonne et que cela explique le déclin de la pensée en Occident. »

Romain Gary, L'angoisse du roi Salomon

 

 

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Mitraillette au poing, se donner le luxe d’une féérie sanglante

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« J’essaie de lui apprendre à dominer sa colère, ses espoirs naïfs, son penchant à la grandiloquence. Il est jeune, il ne peut pas comme moi, en couvrant de ridicule les souvenirs d’un riche passé, s’aider à oublier l’opprobre d’aujourd’hui. Je l’entends parler d’en finir, de faire une virée, ici ou ailleurs, avec quelques copains, mitraillette au poing, se donner le luxe d’une féérie sanglante, vantarde et misérable. La mitraillette est le dur emblème de cette jeunesse traquée, le seul outil sur lequel sachent se serrer, aujourd’hui, ces mains qu’on a faites inutiles. Je me fais traiter d’intellectuel, de politicien, de dégonflé. J’accepte de l’être. Ma défaite l’encourage. Mais l’envie banale, l’aveugle révolte, quand elles sont portées et brandies par la puissante haine d’un adolescent, finissent par tourner en fierté. »

Raymond Abellio, Les yeux d’Ézéchiel sont ouverts

 

 

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05/01/2020

Votre fraîcheur d'origine

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« ”Elle viendra, elle viendra à coup sûr ! m’exclamai-je, en courant dans ma chambre. Demain si ce n’est pas aujourd’hui, elle saura bien me trouver !” C’est ça, le maudit romantisme de ces cœurs purs ! Ô la saloperie, ô la bêtise, ô la naïveté de ces fichues “âmes sentimentales”! Et comment ne pas comprendre ? Et qu’il en faut peu, mais peu, des mots, et qu’il en faut peu, d’idylle, pour retourner une âme comme on veut. La voilà, votre virginité, la voilà, votre fraîcheur d’origine… »

Fiodor Dostoïevski, Carnets du sous-sol

 

 

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Familles...

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« Il y a quelque chose de stupéfiant qui revient sans cesse dans les films : un rassemblement d'êtres humains appelé "famille". Apparemment, dans les temps anciens, ce type d'organisation devait être fort répandu. Une "famille" est un groupe de gens qui paraissent vivre ensemble. Elle se compose d'abord d'un homme et d'une femme, et si par hasard l'un d'eux disparaît, on continue à parler de lui et son image (ce qu'on appelle des photographies) se retrouve un peu partout dans la maison. Puis viennent les jeunes, des enfants d'âges différents. Et le plus surprenant, ce qui semble caractériser toutes ces "familles", c'est que l'homme et la femme sont toujours le père et la mère de tous les enfants. Parfois, il y a aussi des gens plus vieux, les parents de l'homme ou de la femme. Je ne sais vraiment pas quoi en penser. En fait, ils semblent tous être parents les uns des autres !

Et dans les films, tous ces débordements sentimentaux paraissent liés à cette structure de "famille" qui, en outre, est présentée comme à la fois normale et décente.

J'ai appris, bien entendu, à éviter de juger mon prochain, et surtout les gens d'une autre époque. Je sais que cette notion de "famille" est contraire au dicton "Être seul, c'est être bien", mais ce n'est pas ça qui me gêne. Après tout, j'ai déjà passé plusieurs jours de suite avec d'autres personnes et j'ai été jusqu'à rencontrer les mêmes étudiants pendant plusieurs semaines. Ce n'est pas tant la Faute de Promiscuité qui me dérange dans ces "familles" ; je ressens plutôt une espèce de choc en imaginant tous les risques que ces gens ont pu courir. Ils donnent l'impression d'éprouver tellement de sentiments les uns pour les autres.

Cela me scandalise et m'attriste.

Et ils se parlent tellement entre eux. Leurs lèvres, même s'il n'en sort aucun son, ne cessent de remuer. »

Walter Tevis, L'oiseau d'Amerique (Mockingbird)

 

 

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