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11/11/2020

C’est dans les occasions où tout est à craindre, qu’il ne faut rien craindre

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« Quelque critiques que puissent être la situation et les circonstances où vous vous trouvez, ne désespérez de rien ; c’est dans les occasions où tout est à craindre, qu’il ne faut rien craindre ; c’est lorsqu’on est environné de tous les dangers, qu’il n’en faut redouter aucun ; c’est lorsqu’on est sans aucune ressource, qu’il faut compter sur toutes ; c’est lorsqu’on est surpris, qu’il faut surprendre l’ennemi lui-même. »

« Attaquez à découvert, mais soyez vainqueur en secret… Le grand jour et les ténèbres, l’apparent et le caché: voilà tout l’art. »

Sun Tzu, L'Art de la Guerre

 

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10/11/2020

Sur l'emploi du temps

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« Sur l’emploi du temps.

Suis ton plan, cher Lucilius ; reprends possession de toi-même : le temps qui jusqu’ici t’était ravi, ou dérobé, ou que tu laissais perdre, recueille et ménage-le. Persuade-toi que la chose a lieu comme je te l’écris : il est des heures qu’on nous enlève par force, d’autres par surprise, d’autres coulent de nos mains. Or la plus honteuse perte est celle qui vient de négligence ; et, si tu y prends garde, la plus grande part de la vie se passe à mal faire, une grande à ne rien faire, le tout à faire autre chose que ce qu’on devrait. Montre-moi un homme qui mette au temps le moindre prix, qui sache ce que vaut un jour, qui comprenne que chaque jour il meurt en détail ! Car c’est notre erreur de ne voir la mort que devant nous : en grande partie déjà on l’a laissée derrière ; tout l’espace franchi est à elle.

Persiste donc, ami, à faire ce que tu me mandes : sois complètement maître de toutes tes heures. Tu dépendras moins de demain, si tu t’assures bien d’aujourd’hui. Tandis qu’on l’ajourne, la vie passe. Cher Lucilius, tout le reste est d’emprunt, le temps seul est notre bien. C’est la seule chose, fugitive et glissante, dont la nature nous livre la propriété ; et nous en dépossède qui veut. Mais telle est la folie humaine : le don le plus mince et le plus futile, dont la perte au moins se répare, on veut bien se croire obligé pour l’avoir obtenu ; et nul ne se juge redevable du temps qu’on lui donne, de ce seul trésor que la meilleure volonté ne peut rendre.

Tu demanderas peut-être comment je fais, moi qui t’adresse ces beaux préceptes. Je l’avouerai franchement : je fais comme un homme de grand luxe, mais qui a de l’ordre ; je tiens note de ma dépense. Je ne puis me flatter de ne rien perdre ; mais ce que je perds, et le pourquoi et le comment, je puis le dire, je puis rendre compte de ma gêne. Puis il m’arrive comme à la plupart des gens ruinés sans que ce soit leur faute : chacun les excuse, personne ne les aide. Mais quoi ! je n’estime point pauvre l’homme qui, si peu qu’il lui demeure, est content. Pourtant j’aime mieux te voir veiller sur ton bien, et le moment est bon pour commencer. Comme l’ont en effet jugé nos pères : ménager le fond du vase, c’est s’y prendre tard. Car la partie qui reste la dernière est non-seulement la moindre, mais la pire. »

Sénèque, Lettres à Lucilius

 

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09/11/2020

La faculté de calculer des forces

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« En 1883, il suit toutes les graves intrigues électorales des quartiers ; on y dépense infiniment plus de diplomatie que dans les grandes ambassades. La force de celui qui parle au nom d’un pays est proportionnelle au nombre de fusils que peuvent aligner ses compatriotes : un meneur de comité est puissant avec rien derrière soi : il faut qu’il distingue les simples machines à voter et les citoyens qui, dans une circonstance donnée, seront capables d’une action ; il doit ménager ces derniers, connaître leur vanité, leur amour de l’argent, leur aptitude à commander. À manier la matière électorale, on perd toute illusion ; on acquiert toute prudence… Si l’on entre profondément dans le personnage que devient chaque jour Suret-Lefort, on reconnaît qu’il n’a pas à proprement parler d’ambition ; du moins ce qui la constitue, c’est la joie d’être mêlé à une intrigue, de la comprendre, de la déjouer chez ses adversaires, de la tourner à son profit. Un homme de comité, à force de raisonner les moyens, arrive à se complaire en eux plus que dans leur objet. Une telle éducation, qui nous indique à chaque pas les trop réels dangers d’un mouvement généreux et qui ne laisse aucune place aux décisions esthétiques, développe exclusivement la faculté de calculer des forces. Voilà comment on peut être un politique sans avoir l’esprit de gouvernement, et avec plus de goût pour l’intrigue que pour le pouvoir. »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

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Ses expériences monstrueuses

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« Le désordre actuel ne saurait nullement se comparer, par exemple, à celui qui dévasta le monde après la chute de l’Empire romain. Nous n’assistons pas à la fin naturelle d’une grande civilisation humaine, mais à la naissance d’une civilisation inhumaine qui ne saurait s’établir que grâce à une vaste, à une immense, à une universelle stérilisation des hautes valeurs de la vie. Car, en dépit de ce que j’écrivais tout à l’heure, il s’agit beaucoup moins de corruption que de pétrification. La Barbarie, d’ailleurs, multipliant les ruines qu’elle était incapable de réparer, le désordre finissait par s’arrêter de lui-même, faute d’aliment, ainsi qu’un gigantesque incendie. Au lieu que la civilisation actuelle est parfaitement capable de reconstruire à mesure tout ce qu’elle jette par terre, et avec une rapidité croissante. Elle est donc sûre de poursuivre presque indéfiniment ses expériences et ses expériences se feront de plus en plus monstrueuses. »

Georges Bernanos, La France contre es robots

 

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07/11/2020

Le Quartier latin émiette

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« Le lycée de Nancy avait coupé leur lien social naturel ; l’Université ne sut pas à Paris leur créer les attaches qui eussent le mieux convenu à leurs idées innées, ou, plus exactement, aux dispositions de leur organisme. Une atmosphère faite de toutes les races et de tous les pays les baignait. Des maîtres éminents, des bibliothèques énormes leur offraient pêle-mêle toutes les affirmations, toutes les négations. Mais qui leur eût fourni en 1883 une méthode pour former, mieux que des savants, des hommes de France ?

Chacun d’eux porte en son âme un Lorrain mort jeune et désormais n’est plus qu’un individu. Ils ne se connaissent pas d’autre responsabilité qu’envers soi-même ; ils n’ont que faire de travailler pour la société française, qu’ils ignorent, ou pour des groupes auxquels ne les relie aucun intérêt. Déterminés seulement par l’énergie de leur vingtième année et par ce que Bouteiller a suscité en eux de poésie, ils vaguent dans le Quartier latin et dans ce bazar intellectuel, sans fil directeur, libres comme la bête dans les bois.

La liberté ! c’est elle qui peut les sauver. Qu’à vingt ans ils soient déracinés, cela n’est point irréparable ! Ils s’orienteront pour vivre : vigoureux comme on les voit, ils peuvent supporter une transplantation. En tant qu’hommes, animaux sociables, ils aspirent à s’enrôler. Une série de tâtonnements leur permettra de trouver la position convenable aux personnages qu’ils sont devenus en cessant d’être des Lorrains ; quelque détour de rue leur proposera leurs justes compagnons… Malheureusement, un quartier de jeunes gens ne constitue pas une cité. Il faut voir des vieillards pour comprendre qu’on mourra et que chaque jour vaut, pour mettre ainsi au point nos grandes joies, nos grands désespoirs, et pour nous dégager de ces préoccupations d’éternité où s’enlizent, par exemple, des jeunes gens amoureux. La fréquentation d’un commerçant, d’un industriel, qui ne doit rien aux livres et qui se soumet aux choses, prémunirait un étudiant contre des vues trop professorales. Enfin la joie d’être estimé s’apprend au spectacle d’une vie utile qui s’achève parmi des concitoyens qu’elle a servis.

Dans cette vie factice des écoles, des adolescents noyés parmi des adolescents ne parviennent même pas à ce faible résultat de se grouper selon leurs analogies, les semblables avec les semblables : le Quartier latin émiette. Si des jeunes gens sont d’une espèce telle que, soumis aux mêmes circonstances, ils réagissent de la même façon, il ne suit pas qu’ils puissent former une vraie société : à défaut d’une grande passion sociale, — ardeur militaire, ou politique, ou religieuse — qui ferait de la Faculté une caserne ou une église, il y faudrait le jeu d’intérêts divers et communs.

En vérité, des esprits incapables de saisir les relations des choses pourraient seuls méconnaître la malchance de cette jeunesse française, de cette élite qui, systématiquement, est alanguie, privée des conditions où elle pourrait s’épanouir en citoyens. Quels efforts cependant pour tirer parti de ce qui leur est propre ! Avec quelle énergie ces jeunes Lorrains utilisent pour se nourrir, ou pour s’empoisonner, les éléments que le milieu leur offre ! »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

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02/11/2020

Né par alluvion du fleuve des morts

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« Le Quartier latin, cet amas d’Écoles, né par alluvion du fleuve des morts, doit être conçu comme un Ararat, une haute terre de refuge, un sommet où la nation se ressaisit, défie les invasions. Dans une patrie, il faut ce point fixe : une conscience ; non pas immuable, mais qui s’analyse et qui évolue, en ne perdant ni sa tradition, ni le sens de sa tradition. C’est un lieu national, mais où quelques privilégiés, délégués de chaque génération, viennent s’élever jusqu’à la raison internationale, humaine, en comprenant toutes les conditions de l’existence sous tous les climats et que la dissemblance des visages nécessite celle des mœurs comme l’éloignement des pays celui des sentiments. »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

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01/11/2020

Désavantage

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« On ne doit jamais laisser se produire un désordre pour éviter une guerre ; car on ne l’évite jamais, on la retarde à son désavantage. »

Nicolas Machiavel, Le Prince

 

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31/10/2020

Penchés comme sur un abîme dont l’horreur les attirait

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« Tout au fond d’eux, il y avait de la crainte. Leurs désirs frissonnaient. Ils étaient penchés, en quelque sorte, l’un sur l’autre, comme sur un abîme dont l’horreur les attirait ; ils se courbaient mutuellement, au-dessus de leur être, cramponnés, muets, tandis que vertiges, d’une volupté cuisante, alanguissaient leurs membres, leur donnaient la folie de la chute. Mais en face du moment présent, de leur attente anxieuse et de leurs désirs peureux, ils sentaient l’impérieuse nécessité de s’aveugler, de rêver un avenir de félicités amoureuses et de jouissances paisibles. »

Émile Zola, Thérèse Raquin

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Il a gardé tous ses préjugés de caste, des niaiseries qui n’ont ni direction ni tradition

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« Le baron de Nelles est un habitué des jeudis à la pension Sainte-Beuve. Il a vingt-huit ans ; il est attaché au ministère des affaires étrangères. Il a gardé tous ses préjugés de caste, des niaiseries qui n’ont ni direction ni tradition. Excusables, gaies et charmantes chez des petites mondaines, ces pauvres vues se traduisent, chez ce gros garçon à tête de cocher anglais, par un sourire irritant et par une prodigieuse servilité pour tout ce qui représente une influence sociale. Il plaisante volontiers sur les femmes de la société républicaine, mais il admire profondément M. Jules Ferry. Il n’a pas l’intelligence assez large pour concevoir que l’intérêt n’est pas seul à mener le monde, qu’il se mêle souvent et qu’il cède parfois à des passions plus fortes, voire à des passions nobles. Enfin, travers impardonnable, il met de l’esprit où l’on n’a qu’en faire : il n’y a que les sots pour avoir toujours de l’esprit… Ce ton boulevardier fut exactement la manière de Paris sous le second Empire, d’où, en s’avilissant, il glissa au Café de la Comédie, dans les sous-préfectures et dans les casinos. »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

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30/10/2020

Lassitude de proscrit

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« Quand on ne croit plus qu'il y ait au monde quoi que ce soit qui convienne, on s'enfonce dans le sommeil de chaque nuit avec la lassitude d'un proscrit. »

Emil Cioran, Divagations

 

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Une fleur d’Asie portée par le vent des orages !

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« François Sturel, un jour que madame Aravian était allée plus profond dans son âme, se taisait.

— Ah ! — dit-elle avec un ton de caresse, mais légèrement dédaigneux, — je fais des éducations !

Il pâlit de ce mot.

Les puissants toujours sont solitaires. Cette jeune femme, qui mettait l’Asie dans les bras d’un jeune Lorrain, ne trouva pas auprès de lui le bénéfice de ses enchantements. Par la violence des sensations elle l’épouvanta. Étourdi d’une telle reine, il fuyait pour jouir de ses dons à l’écart. Ces mêmes qualités d’étrangère qui l’attiraient le blessaient.

Avez-vous vu dans les broussailles un enfant de la montagne guetter, admirer, haïr une belle promeneuse ? Il lui jette des pierres, en demeure tout rêveur.

Astiné qui dit ce mot profond : « Je pense qu’il faut tout faire, mais avoir de la tenue », gardait dans la débauche des manières polies, une modestie de la voix, une simplicité sûre de tous ses gestes, un maintien qui imposaient.

Sturel prit tout de madame Aravian et se tourna ainsi paré vers mademoiselle Alison. Elle avait un visage d’une beauté touchante et un joli petit corps, et fournissait ainsi des réalités sensibles à l’imagination, subitement informée, d’un garçon de vingt ans. Surtout il espérait pouvoir la dominer. Peu importe si la force et le haut caractère d’idole passionnée d’Astiné sont d’un caractère plus rare que la grâce de jeune bête encore hésitante de cette jeune fille. Cela plaît au jeune mâle d’étonner, et, formé par une femme, il se hâte de trouver une fille à débrouiller.

Astiné, c’est un livre admirable qu’il feuillette ; il s’empoisonne avec avidité de toutes ses paroles, mais n’est pas né pour s’endormir sous le plus beau des mancenilliers.

Tous les jeudis, il est exact auprès de mademoiselle Alison. Il aime les élans qu’elle a dans sa voix, et les manières de la dix-septième année. Et puis, avec les moyens de son âge, sa bouche fraîche, ses yeux limpides et la férocité des jeunes êtres, elle entreprend, elle aussi, l’éducation de cet adolescent, qu’il ne faut pas plaindre.

— Je vous passe tous vos amis, quoiqu’ils ne sachent guère s’habiller, dit-elle en souriant des Rœmerspacher, des Suret-Lefort qu’elle avait entrevus ;

— du moins des hommes, bien qu’inexcusables de se mal tenir, peuvent offrir des compensations ; mais cette Persanne, cette Turque, cette Arménienne !…

Pauvre petite Lorraine, par sa moue méprisante elle exprime une vérité de son ordre. Un gentil oiseau des climats modérés a des objections légitimes contre un animal de la grande espèce, qui consomme abondamment et par là détruit beaucoup. Quand même la moralité sociale française repousserait justement madame Aravian, Sturel à jamais porte sa marque : quelle atmosphère pourrait contenter celui qui respira une fleur d’Asie portée par le vent des orages ! »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

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29/10/2020

Un exercice de tourment, une autodestruction sans issue

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« Le plus dur n'est pas de faire quelque chose, mais de vivre. La difficulté tient à l'essentiel, non à l'accidentel. Nous trouvons tous à nous occuper -- car on ne saurait continuer à vivre sans la superstition de l'action -- mais "être" en tant que tel est un exercice de tourment, une autodestruction sans issue. La révélation de notre existence entrave nos pas, nous coupe le souffle et nous fige au milieu d'un monde sans horizon. L'inconvénient qu'il y a à exister ne résulte pas de nos années de mûrissement ou de maturation automnale, mais constitue notre déficience originelle, et la source où puise notre manque de fondement. Ainsi cette révélation du fait pur d'exister devient-elle un équivalent du péché originel, dont c'est la fonction même du temps que de le renouveler à jamais en nous. »

Emil Cioran, Divagations

 

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Le rêve de l’Orient, la cendre des siècles asiatiques

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« Quand Astiné eut fini son récit, le jeune homme désormais avait dans sa conscience, comme un virus dans son sang, un principe par quoi devait être gâté son sens naturel de la vie.

Je ne veux pas dire seulement qu’il était tourmenté de voluptés imaginaires et par là dégoûté des imperfections de toute existence. Cette inquiétude, fréquente à son âge, est toute analogue à la maladie des jeunes chiens ; l’énergie du sujet en triomphe facilement, aidée par la médiocrité ambiante qui a vite fait de fondre nos humeurs singulières… Mais quelque chose de plus grave vient de se composer en François Sturel qui commandera son humeur.

Défiance de petit garçon maltraité dans les lycées, exaltation quand, à dix-sept ans, l’étoile de poésie avait surgi des livres, songes de la vie et de la mort sous les premières nuits d’été que distingua de l’hiver son àme de prisonnier, angoisses métaphysiques au pied de la chaire de Bouteiller, — tous ces éléments et bien d’autres flottaient dans ce jeune homme, de qui la mère à vingt ans avait été rêveuse. Le récit d’Astiné isola Sturel de la vie mesquine, lui forma une sorte d’atmosphère particulière qui, le pressant de toutes parts, détermina une condensation générale de ces vapeurs.

Dans ce premier instant, il put supposer un accroissement de sa force intérieure. Son énergie cessait de sommeiller, bouillonnait dans ses veines. Cependant, les paroles d’Astiné laissaient diffuser leurs dangereux éléments étrangers dans cet organisme en désordre. Sturel, qui subit l’invasion énervante de l’Asie, en croit d’abord sa clairvoyance plus étendue. Quelle erreur ! Ce n’est pas une plus-value que lui laisseront ces grands mouvements : les vagues sentiments qui l’envahissent ou qui, déjà présents en lui, s’y développent, ne valent que pour le détourner de toutes réalités ou du moins des intérêts de la vie française.

La première excitation dissipée, il put reconnaître en son âme un principe qui n’était pas de sa nature. Comme une matière dissoute, à mesure que le temps passe, abandonne son dissolvant et tombe au fond du vase, quelque chose s’était déposé au fond de François Sturel qui était l’essentiel de ces vapeurs mélancoliques, un précipité de mort.

Si l’on admet que des poussières toxiques peuvent pénétrer la vie morale d’un adolescent, on s’étonnera peut-être que la conversation d’une femme soit ici leur véhicule. C’est méconnaître les prestiges de la poésie.

Il était naturel qu’un récit apporté des pays de la toison d’Or remuât tout le romanesque d’un enfant généreux, grandi entre les hauts murs d’un cachot et dont les puissances n’avaient pas eu d’issue vers la nature, vers le risque et vers l’amour. Les rossignols de qui l’on crève les yeux sont au printemps les plus éperdus de lyrisme… Une ville d’Orient parmi des vergers, assise dans le crépuscule auprès d’un cimetière, telle devait être désormais la patrie de ses rêves, la cité de ses trésors. Elle chantait pour lui, du fond des déserts antiques ; et de ses terrasses se levaient, comme au crépuscule le chant du muezzin, tous les vers qu’il avait élus aux veillées de son collège. Un voile la recouvrait comme une beauté nubile de l’Asie. Et c’était encore une pleureuse qui, sur un cadavre, se déchire le sein et qui fait aimer avec précipitation une vie destinée à si vite se défaire.

Présentée par les mains d’une femme, cette coupe de poison doit d’autant mieux agir que Sturel est mal pourvu, peu préparé à résister. Ses forces vitales héréditaires, on les a par système affaiblies. Il ferait face à l’assaut s’il était, depuis sa petite enfance, demeuré dans son domaine national, parmi ses vraies propriétés psychiques. Mais l’enseignement universitaire l’a conduit sur le plan de la raison universelle. D’ailleurs, s’il est constant qu’un esprit vigoureux, bien assuré de ses assises, peut se hausser de son étroite patrie, de son milieu et de sa race, pour atteindre à d’autres civilisations, on n’a constaté chez personne l’énergie de faire de l’unité avec des éléments dissemblables. Un enfant de Neufchâteau, le fils d’une province militaire et disciplinée, saurait sans périr prétendre à s’assimiler tout l’hellénisme. Mais le rêve de l’Orient, la cendre des siècles asiatiques, n’est pas pour lui respirable. »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

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28/10/2020

Toilettes bouchées

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« Le train s’avançait peinard, on voyait se succéder les petits villages et, tout comme en Allemagne, ils avaient l’air curieusement proprets, on aurait dit des trucs sortis d’un conte de fée, avec leurs étroites rues pavées et leurs toits élevés, mais on devinait autre chose : souffrance, luxure, meurtre, folie, trahison, futilité, peur, ennui, faux dieux, viol, ivrognerie, drogue, chiens chats, enfants, télé, journaux, toilettes bouchées, canaris aveugles, solitude... La création artistique semble offrir la possibilité de s’évader, de hurler, mais il y a tant de mauvais créateurs – toilettes bouchées, création bouchée. »

Charles Bukowski, Shakespeare n’aurait jamais fait ça

 

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27/10/2020

Toutes ces conneries

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« Comment un type qui ne s’intéresse à presque rien peut-il écrire sur quoi que ce soit ? Eh bien, j’y arrive. J’écris sur tout le reste, tout le temps : un chien errant dans la rue, une femme qui assassine son mari, les pensées et les sentiments d’un violeur à l’instant où il mord dans son hamburger ; la vie à l’usine, la vie dans les rues et dans les chambres des pauvres, des invalides et des fous, toutes ces conneries, j’écris beaucoup de conneries dans le genre. »

Charles Bukowski, Shakespeare n’aurait jamais fait ça

 

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Amélie Nothomb : "Je ne prétends évidemment pas détenir la vérité sur Jésus..." (KTO TV)

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26/10/2020

La perfection

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« Cette fille aimait tout ce qui m'ennuyait, et tout ce que j'aimais l'ennuyait. Nous étions le couple parfait : ce qui sauvait notre relation, c'était cette distance à la fois tolérable et intolérable entre nous. On se retrouvait chaque jour-et chaque nuit sans avoir rien résolu et avec zéro chance de résoudre quoi que ce soit. La perfection. »

Charles Bukowski, Shakespeare n’aurait jamais fait ça

 

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Elle vient d’Asie et de régions mystérieuses et parfumées comme de belles esclaves voilées

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« À la villa, les faits et gestes de chaque pensionnaire, cela va de soi, étaient connus et commentés. La femme de chambre de mademoiselle Alison, en la coiffant, lui avait dit :

— On parle beaucoup, en bas (c’est-à-dire à l’office), de cette dame, la Turque. Il paraît qu’elle traite pour le mieux le petit étudiant.

Mademoiselle Alison ainsi prévenue crut devoir reconnaître dans ce beau billet un roué. Ce n’était pas ce qui pouvait émouvoir son cœur, fait de noblesse et de chimères, mais son imagination et sa coquetterie furent intéressées à ce drôle de garçon qui, sans avoir aucun air de Paris, était assez vivant pour s’organiser un jeu si compliqué. Elle s’amusa de le rendre amoureux pour se moquer. Ce projet, dont les suites devaient tristement commander leurs relations, en fut le principe. Elle lui répondit :

"Monsieur,

Ce qui eût été fâcheux, c’est qu’en allant au salon, je ne vous y eusse pas rencontré. Il avait été simplement convenu que vous m’attendriez. Ma bonté, dont vous parlez, est d’accepter un engagement de votre part. Prouvez-moi, par votre assiduité de tous les jeudis, que vous avez bien compris le seul traité possible entre nous et qui vous met, sans condition, au service de

Thérèse Alison."

Au remerciement de Sturel, la jeune fille ne répondit plus ; elle ne descendit pas au salon le jeudi suivant ; mais huit jours après, elle lui donnait sa soirée tout entière et s’arrangeait en sorte qu’il ne pût distraire une minute pour madame Astiné Aravian. Souriante, amicale, parlant d’elle-même, l’interrogeant sur lui et d’un ton aisé et gai où il était trop inexpérimenté pour distinguer un léger énervement.

Tout de même, pour son coup d’essai, François a heureusement engagé ses badinages : une jeune fille pour veiller, une jeune femme pour dormir !

Pressé contre son Arménienne, pendant ces longues soirées d’hiver, avec avidité il profite de tout ce qu’elle sait. Mieux que les voyages, certains repos forment la jeunesse. Elle lui raconte Constantinople, Pétersbourg, Tiflis et le rivage d’Asie où elle est née.

— Ma famille, lui disait-elle, si loin que remontent nos souvenirs, est originaire des défilés de Cilicie. Par la vallée de l’Euphrate et les oasis de Mésopotamie, nous sommes descendus en Perse. De là, nous passâmes aux Indes ; une révolution nous en chassa. Nous avons erré longuement sur les chemins du retour et dans les sables de Syrie. Je suis de naissance ionienne. Mon père, pour les devoirs de sa charge, s’établit à Constantinople. D’après les noms divers de mes aïeux, on voit qu’ils furent souvent des peintres et des fournisseurs de bracelets : ce sont des métiers artistiques. Il y a dans ma famille une réelle éducation des nerfs.

Les vallées de l’Euphrate et du Tigre, qui baignaient le Paradis terrestre ; Babylone et Ninive, la Perse, l’Inde, l’Ionie ! — de telles syllabes prononcées déterminent en Sturel de profonds ébranlements. Cette puissance de leur son n’est pas seulement qu’il vient des origines de l’histoire ; mais il retourne pour les émouvoir jusqu’aux gisements profonds du jeune homme. Quand il avait quatre ou cinq ans, on fit sortir des ténèbres, on créa son imagination avec des récits sur ces lieux légendaires. Le bruit de leurs noms, c’est un fil magnifique qui le relie dans son passé à ses premières songeries.

Elle vient d’Asie et de régions mystérieuses et parfumées comme de belles esclaves voilées. Il admire son profil grave et désire y passer la main. Il s’enfonce dans ses yeux ; il n’y cherche pas la vérité sur leur amour, mais le secret des caravanes qui traversent le désert. Il appuie son oreille pour écouter dans ce cœur quels mouvements agitèrent toute la série des femmes dont elle fut enfantée et qu’il aime dans ses bras. Il respire l’odeur de sa peau, et non point avec l’ardeur d’un jeune amant, mais plutôt dans un délire mélancolique, avec humilité et tristesse, s’inclinant comme un barbare sur le seuil des immenses beautés asiatiques… Il défaillait de sensations poétiques, ainsi qu’il advint à ce jeune soldat trop cupide qui périt écrasé sous les bagues, les diamants et les perles parmi les trésors de l’Orient dont un fatal bonheur lui avait ouvert l’accès. »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

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25/10/2020

Je fonctionne aux sentiments

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« Je ne suis pas un homme de réflexion, je fonctionne aux sentiments et mes sentiments vont aux estropiés, aux torturés, aux damnés, aux égarés, non par compassion mais par fraternité, parce que je suis l’un des leurs, perdu, paumé, indécent, minable, apeuré, lâche, injuste, avec de brefs éclairs de gentillesse ; salement atteint et conscient de l’être, cette lucidité ne m’est d’aucun secours, au lieu de me guérir elle me plombe. »

Charles Bukowski, Shakespeare n’aurait jamais fait ça

 

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Comme un gamin qui a trop envie d’un gâteau pour se retenir d’y porter la main

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« Elle lui montra des turquoises de Perse, qu’on nomme immortelles parce qu’elles ne verdissent pas avec le temps. Elle en avait une grande quantité, et les tenait d’un prince persan. Leur origine charma Sturel plus que leur bleu. Ils fumèrent des cigarettes douces, tandis qu’avec férocité elle lui rapportait vingt récits de pensionnaires sur leur hôtesse : une besoigneuse, à cheval sur sa noblesse, à genoux devant un écu, affolée par tous les hommes, adressée à toutes les femmes, — pour tout dire, une complaisante : "la galante mère Coulonvaux…"

La décision des manières, le pittoresque sec et l’accent étranger sauvaient de toute vulgarité ces récits où se trahissait un goût insolent de dégrader les êtres. Ces libertés sans rien de bas et surtout une irrésistible lourdeur du sang déterminèrent François à une démonstration un peu brusque, où son esprit d’ailleurs n’eut point de part ; il ressentait depuis quelques minutes, avec une sympathie intense et embarrassée, chaque mouvement de la jeune femme, et, comme elle s’était rapprochée, soudain il la prit dans ses bras, la pressa contre lui, tout en disant très bas : "Pardon ! pardon !" comme un gamin qui a trop envie d’un gâteau pour se retenir d’y porter la main. Elle ne résista nullement ; mais lui ne savait que la serrer davantage. Alors, de sa belle voix et sans aucun désordre dans son agréable visage, seulement un peu étouffée, elle lui dit quand il fut raisonnable :

— Vous êtes un enfant...

Puis elle sourit, et pour ne pas l’intimider :

— La porte n’était pas fermée.

Elle l’invita à se reposer, tandis qu’elle passait dans une pièce voisine.

Il n’avait point imaginé qu’on pût relever d’une manière si noble et si simple des choses qui troublaient et rendaient vulgaires les mauvais petits lycéens. Évidemment, pour elle, son plaisir seul régnait et ne s’entravait d’aucune honte. "Voilà donc, ce me semble, une règle universelle, pensa François : une parfaite politesse et de l’usage sauvent toutes les situations". L’innocent ne songea même pas qu’il y fallait aussi cet aimable essentiel qu’il apportait.

S’il analyse imparfaitement les conditions de cette jolie après-midi, du moins son insouciance le rend digne de s’associer à ce bon ton. Quand madame Astiné revint, à l’enfant qui, sans scrupule, déjà sommeillait doucement, elle fut, cette jolie femme de trente-deux ans, une délicieuse révélation de joli corps, frais sous sa chemise légère, comme un fruit choisi, venu de très loin, avec mille précautions, dans des papiers de soie. Après qu’il l’eût fêtée de tout l’entrain de ses vingt ans émerveillés et qu’enfiévrait encore une nuit d’insomnie, il s’endormit profondément. »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

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24/10/2020

Quelque chose de modeste

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« Pour moi le grand Dieu est juste un peu trop balèze, trop infaillible, trop puissant. Je ne veux ni être pardonné, ni accepté, ni sauvé, je veux quelque chose de modeste, pas la lune - une femme moyennement belle de corps et d'esprit, une automobile, un toit au-dessus de ma tête, de quoi manger, pas trop de maux de dents ni de pneus crevés, pas de longue maladie mortelle ; même une télé avec de mauvaises émissions fera l'affaire, et ce serait sympa d'avoir un chien, très peu d'amis, une bonne plomberie, assez de pinard pour remplir les vides jusqu'à la mort - que (pour un lâche) je ne redoute pas tellement. La mort ne représente pas grand-chose pour moi. C'est la dernière mauvaise blague d'une longue série. La mort, ce n'est pas un problème pour les morts. La mort, c'est un film comme un autre, ça va. La mort ne pose problème qu'à ceux qui restent, à ceux qui étaient liés au défunt, et les problèmes augmentent proportionnellement aux biens laissés. Si c'était un clodo des quartiers pauvres, le seul problème sera de déblayer les quelques saletés qu'il possédait. Certains sont nés une cuillère en argent dans la bouche, mais tout le monde s'en va les poches vides. Bien entendu, le cas d'un artiste est différent : il laisse derrière lui ce petit fumet parfois appelé "immortalité" et, bien sûr, plus il aura assuré dans son domaine, plus la puanteur se répandra - par mille canaux : couleur, son, page de texte, pierre... C'est la faute aux vivants, cette immortalité, ils s'accrochent à la puanteur, ils l'adorent. L'artiste n'y est pour rien, il sait que ça n'appartient pas plus à l'immortalité que ça n'appartenait à la vie ; il a tenté sa chance, ça suffit, au suivant ! »

Charles Bukowski, Shakespeare n’aurait jamais fait ça

 

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Maurice Barrès et notre temps - Enregistré en 1948 (France Culture)

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Michel Onfray face à Éric Zemmour (CNews - "Face à l'Info" du 23/10/2020)

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23/10/2020

Mes ornements, mes armes de sauvagesse...

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« D’ailleurs, l’intérêt de ces désœuvrés allait tout vers une nouvelle pensionnaire de qui madame de Coulonvaux chuchotait : "… une Orientale, le croirait-on ?… de l’Empire ottoman !… mais tout de même une veuve personnellement fort distinguée et d’excellente famille, madame Astiné Aravian, la proche parente de l’ambassadeur de la Porte à Saint-Pétersbourg."

Cette jeune femme, d’une trentaine d’années, avec un teint très blanc, des cheveux noirs et des yeux d’un bleu sombre, recevait son principal caractère de la forme longue, un peu en pointe, de sa figure et du dessin de ses sourcils qui descendaient du milieu du front pour décrire chacun un bel arc et se relever encore aux tempes. Elle arrivait de Constantinople ; plusieurs jours de wagon lui avaient fatigué les traits, et juste au point qui trouble le plus.

Les yeux battus de ce jeune garçon lui rappelaient-ils d’agréables impressions ? Elle l’examinait avec amitié, sans s’inquiéter des chuchoteries et politesses de la tenancière. Comme on sortait de table, elle lui dit sans autre présentation et du ton le plus naturel, — qu’un homme d’expérience eût reconnu pour l’impertinence d’une jolie femme habituée à se faire servir, et qui, pour le jeune homme, continuait simplement le sans-gène du collège :

— Quel est donc ce livre qui, d’après eux, vous aurait empêché de dîner hier soir ?

Et, sans attendre sa réponse :

— Je suis désœuvrée, cette après-midi… Peut-être une lecture qui ne laisse pas manger me détournerait aussi de dormir.

Sturel s’empressa de lui porter la "Nouvelle Héloise" dans un appartement encombré de malles défaites, où, parmi des robes, des chapeaux et d’agréables lingeries enrubannées, luisaient mille bibelots d’Orient, miroirs ronds en argent, amulettes suspendues à des chaînes, voiles très légers aux couleurs tendres.

— Vous regardez, dit-elle, mes ornements, mes armes de sauvagesse. J’arrive de Constantinople et de partout. Mais tranquillisez-vous, je sais m’habiller en poupée française, et je ne vous ferai pas peur.

"Je crois, se dit-il, qu’elle me traite en nigaud qui n’a rien vu !… Mon imagination passe peut-être toutes ses expériences."

Un peu piqué, il resta pourtant, parce qu’elle était belle et parfumée. Ainsi une mouche ne s’éloigne pas d’un morceau de sucre. »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

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22/10/2020

Dominer les hommes et caresser les femmes...

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« Sturel ne se coucha pas ; il relut les passages préférés de "La Nouvelle Héloïse". Les événements de cette nuit avaient éveillé en lui l’ambition et l’amitié ; Rousseau l’entretenait d’amour et de sensualité. Il devenait plus vivant. L’univers s’élargissait. Des lueurs sur tout ce qui fait jouir ou souffrir venaient guider ou prolonger sa raison. Fier de cet agrandissement intérieur, il pensait avec pitié qu’il y a des vies sans initiation. Mais entre lui-même et les objets de son désir il sentait un voile léger. Il aurait voulu dominer les hommes et caresser les femmes ; il y prévoyait des obstacles, petit étudiant, qui n’avait pas même une lettre pour un salon parisien. »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

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