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21/02/2016

Evacués dans des usines à décéder chromées

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« On ne décède pas, on est décédé […]. Nous sommes évacués dans des usines à décéder chromées. Nous n’y sommes pas à vrai dire tués (à l’inverse, notre décès y est même retardé par d’admirables manipulations), mais, dans ce délai, nous sommes si fermement insérés dans l’appareil que nous en devenons un élément, que notre décès devient une partie de ses fonctions. Notre mort devient un événement instantané interne à l’appareil. »

Günther Anders, L’Obsolescence de l’homme, 2

 

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Une espèce de voyeurisme mystique

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« — En effet, mais quelle est donc ma manière de faire l'amour ?

Elle me dévisage un moment, puis m'explique :

— Tu fais l'amour toujours de la même façon. Tu t'allonges sur le dos et tu veux que je te monte dessus. Tu vois, déjà en disant la façon dont nous faisons l'amour, j'en donne une idée fausse, incomplète et vulgaire. Mais continuons. Pourquoi veux tu que je sois dessus et toi dessous ?

Je me le suis souvent demandé et toi même tu me l'as expliqué : pour mieux me regarder, d'une manière plus détachée et plus contemplative. Et en effet, de temps à autre, tu me dis que, durant ces instants, mon visage te rappelle celui de la Vierge, dans une église où te conduisait ta mère quand tu étais enfant.

Qu'est ce que tout cela, sinon une espèce de voyeurisme, disons, mystique ? Moi, c'est tout à fait ce que je ressens, d'autant que cette idée, en un sens, religieuse que tu te formes de moi influe sensiblement sur mon comportement pendant l'amour. Car je me rends compte que tu "veux" que je ressemble à une Vierge et, pour cette raison, j'essaie de ne pas montrer le plaisir que j'éprouve et je m'efforce de donner à mon visage une expression sereine, immobile, impassible, et pourtant, si je me laissais aller, Dieu sait quelles grimaces je ferais, comme on en fait toujours pendant l'amour !

Quelle barbe de faire semblant d'être la Vierge pendant que l'homme qu'on aime vous baise ! »

Alberto Moravia, L'Homme qui regarde

 

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Tragédies

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« Sans qu’ils le veulent les gestes de ces gosses, leurs destins, sont tumultueux. Leur âme supporte une violence qu’elle n’avait pas désirée. Elle la domestiquait. Ceux dont la violence est l’habituel climat sont simples en face d’eux-mêmes. Des mouvements qui composent cette vie dévastatrice et rapide chacun est simple, droit, net comme le trait d’un grand dessinateur, mais dans la rencontre de ces traits en mouvement éclate alors l’orage, la foudre qui les tue ou me tue. Cependant, qu’est leur violence à côté de la mienne qui fut d’accepter la leur, de la faire mienne, de la vouloir pour moi, de la capter, de l’utiliser, de me l’imposer, de la connaître, de la préméditer, d’en discerner et d’en assumer les périls ? Mais qu’était la mienne, voulue et nécessaire à ma défense, à ma dureté, à ma rigueur, à côté de la violence qu’ils subissent comme une malédiction, montée d’un feu intérieur en même temps qu’une lumière extérieure qui les embrase et qui nous illumine. Nous savons que leurs aventures sont puériles. Eux-mêmes sont sots. Ils acceptent de tuer ou d’être tués pour une partie de cartes où l’adversaire ou eux-mêmes trichaient. Pourtant, grâce à des gars pareils sont possibles les tragédies. »

Jean Genet, Journal du voleur

 

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20/02/2016

Les pauvres se repaissent des ordures bourgeoises, s’en gavent

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« J’aurais voulu écrire un livre sur les pauvres ; je n’ai pas pu. D’abord, pour écrire sur les pauvres, il faut les observer, les voir. C’est un hideux spectacle. C’est la servitude, non seulement volontaire, mais quémandée, mais achetée par les esclaves. J’aurais voulu montrer aux pauvres ce qu’ils dépensent d’efforts et d’intelligence, à croupir dans l’ignorance. J’aurais voulu leur faire voir ce qu’il leur faut de courage pour être lâches. Mais leur abjection est trop énorme, en vérité. Cette chair étiquetée, à vendre, vendue, se méprise trop, me dégoûte trop. Dans tous les pays du monde, les pauvres sont des troupeaux d’êtres vils, aimant leurs chaînes de papier, vénérant leurs gardes-chiourmes, pleins d’estime et d’admiration pour les laquais de leurs gardes-chiourmes, pour leurs valets d’épée et de plume. Toute une immonde racaille bourgeoise, grimauds, cabotins, et rapins - tourbe d’assassins et d’empoisonneurs que je voue à la mort - vit, prospère et multiplie sur l’argent donné par les pauvres, avec plaisir. Les pauvres se repaissent des ordures bourgeoises, s’en gavent. Et quant aux hommes qui leur parlent de liberté et d’égalité, quant aux hommes qui leur consacrent leurs forces, leur talent, leur vie - les pauvres n’en ont cure; je suis sûr qu’ils les haïssent. »

Georges Darien, L’épaulette

 

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Oublier l'ouvrier lyonnais

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« Les libéraux aiment passionnément les peuples opprimés, sauf celui qu’ils oppriment. Secourir les Grecs, pleurer sur le Bulgare, on n’a pas inventé de meilleur moyen pour oublier l’ouvrier lyonnais et concilier une âme tendre avec le souci de ses intérêts. »

Roger Nimier, Le Grand d’Espagne

 

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La nostalgie des grands périls...

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« Élevés dans une ère de sécurité, nous avions tous la nostalgie de l'inhabituel, des grands périls. La guerre nous avait donc saisis comme une ivresse. C'est sous une pluie de fleurs que nous étions partis, grisés de roses et de sang. Nul doute que la guerre ne nous offrît la grandeur, la force, la gravité. Elle nous apparaissait comme l'action virile : de joyeux combats de tirailleurs, dans les près où le sang tombait en rosée sur les fleurs. Pas de plus belle mort au monde... Ah surtout, ne pas rester chez soi, être admis à cette communion ! »

Ernst Jünger, Orages d'acier

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19/02/2016

Ils croient que le monde est une bergerie dont ils seront les pasteurs humanistes

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« Ils sont sourds. Ils baptisent les lions moutons. Ils croient que le monde est une bergerie dont ils seront les pasteurs humanistes. Ils ne veulent plus savoir que toute vérité est une guerre, toute vie un combat, toute survie une âpre lutte. Ils ont oublié que la grandeur d'un peuple est d'abord faite de son égoïsme et que l'oubli de celui-ci le condamne à l'esclavage. Ils refusent de voir qu'on ne gagne jamais si on n'est pas habité par la rage de vaincre et que, pour être magnanime, il faut d'abord être vainqueur et qu'on est vainqueur que si l'on est fort. Ils sont sourds à ces simples cris. »

Jean Cau, La Barbe et la Rose

 

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La victoire seule s'enveloppe de fièvre

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« On ne comprend plus rien du jeu. On ne sait à quoi employer les avions, les tanks, la dame de pique… On la jette au hasard sur la table, après s’être creusé la tête pour lui découvrir un rôle efficace. Le malaise règne, et non la fièvre, la victoire seule s’enveloppe de fièvre. La victoire organise, la victoire bâtit. Et chacun s’essouffle à porter ses pierres. Mais la défaite fait tremper les hommes dans une atmosphère d’incohérence, d’ennui, et, par-dessus tout, de futilité. »

Antoine de Saint-Exupéry, Pilote de Guerre

 

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L'attrait de la destruction...

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« Anéantir donne un sentiment de puissance et flatte quelque chose d'obscur, d'originel en nous. Ce n'est pas en érigeant, c'est en pulvérisant que nous pouvons deviner les satisfactions secrètes d'un dieu. D'où l'attrait de la destruction et les illusions qu'elle suscite chez les frénétiques de tout âge. »

Emil Cioranr, De l'inconvénient d'être né

 

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17/02/2016

Un désir sauvage

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« Je sens brûler en moi un désir sauvage d'éprouver des sentiments intenses, des sensations ; une rage contre cette existence en demi-teinte, plate, uniforme et stérile ; une envie furieuse de détruire quelque chose, un grand magasin, par exemple, une cathédrale, ou moi-même ; une envie de commettre des actes absurdes et téméraires, d'arracher leur perruque à quelques idoles vénérées, de munir deux ou trois écoliers rebelles du billet tellement désiré qui leur permettrait de partir pour Hambourg, de séduire une petite jeune fille ou de tordre le cou à quelques représentants de l'ordre bourgeois. Car rien ne m'inspire un sentiment plus vif de haine, d'horreur et d'exécration que ce contentement, cette bonne santé, ce bien-être, cet optimisme irréprochable du bourgeois, cette volonté de faire prospérer généreusement le médiocre, le normal, le passable. »

Hermann Hesse, Le Loup des steppes

 

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Un esprit libre

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« Un esprit libre s'attire nécessairement l'hostilité des plus médiocres d'entre ses contemporains. Il doit néanmoins tenir bon, et demeurer véridique, donc naturel. Il ne doit pas avoir peur de ses singularités, de ses passions, de ce qui fait de lui un suspect. Il doit oser être supérieur à l'approbation. Certes, cela peut se terminer par la prison, l'asile ou la balle dans la tête. Mais comme, de toute manière, il lui faudra mourir un jour, il aurait bien tort, aussi longtemps qu'il est en vie, de ne pas vivre la vie qu'il a envie de vivre, de ne pas aimer les êtres qu'il a envie d'aimer, de ne pas écrire les livres qu'il a envie d'écrire. Sur tous ces points, et quels que soient les obstacles qu'il ait à surmonter, un libre esprit doit être inflexible. »

Gabriel Matzneff, Le Taureau de Phalaris

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16/02/2016

Le courage

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« Le courage est le vent qui nous porte vers les rivages les plus lointains ; c'est la clé de tous les trésors, le marteau qui forge les vastes empires, le bouclier sans lequel aucune civilisation ne saurait durer.

Le courage c'est l'enjeu illimité de sa propre personne, c'est l'assaut que l'idée livre à la matière sans se soucier des conséquences. Etre courageux, c'est être prêt a se faire crucifier, c'est affirmer, même dans le dernier frémissement des nerfs, même dans le dernier soupir, l'idée dont on vivait et pour laquelle on meurt.

Maudit soit le temps qui méprise le courage et les hommes courageux. »

Ernst Jünger, La guerre, notre mère

 

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15/02/2016

Aux putes...

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« Aller aux putes ? [...] Mais, les philosophes, comment les concevoir en train de se livrer sans défaillir à des rites où ni la cervelle, ni la culture, ni la dialectique, ni les diplômes, n’avaient leur part. Donner le « petit cadeau » sur une table branlante, se dévêtir, éviter surtout de vouvoyer la dame, choisir « un complet » et autre chose, se laisser nettoyer le kiki par des mains expertes, peut-être se voir prié de se gainer d’un ustensile en caoutchouc, oui, tout cela et, durant cette cérémonie rituelle, ne pas penser ? Être objet du désir anonyme contre argent comptant et, en échange, désirer ce tas de matière vivante qui ne se dénude qu’au rythme des billets raflés par une main aux griffes rouges ? [...] Comment s’arrêter de penser, comment oublier la philosophie, que l’on se chosifie en face d’une chose, que l’on sacrifie au rapport maître-esclave, que l’on achète un pour-soi ? Par-dessus le marché, il est avéré que toutes les putains sont réactionnaires ! »

Jean Cau, L'Ivresse des intellectuels. Pastis, Whisky et Marxisme

 

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Montherlant, tous les mensonges pulvérisés par une seule détonation

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« Il sera, lui, plus malin. Il se tirera, posément, une balle d'or dans une tête qu'il voulait de bronze. Salut ! Une orgueilleuse signature de sang, au bas de sa vie. La pièce est sauvée. Le comédien (le faux guerrier, le faux torero, le faux amant de mille et une Andrée et Solange) meurt vraiment foudroyé par une vraie balle, sur les tréteaux. Nunc plaudite omnes.

Tous les mensonges pulvérisés par une seule détonation. Une mort romaine puisque, ne l'oublions pas, à Rome, même les histrions savaient, à la bonne heure, mourir. Nous étions voisins. Je voyais un vieil homme, sans cou, la nuque épaisse, rose et rasée comme celle d'un général prussien, qui marchait pesamment le long du quai Voltaire, comme un toro déjà aveuglé par la mort, laqué de sang jusqu'au sabot, et qui marche en s'appuyant aux barrières, fleuri de banderilles comme cet homme l'était de gloire. Il ne regardait personne. Il ne me voyait pas - parce qu'il ne voyait plus rien - lorsque nous nous croisions et que j'étais prêt à un salut. Il arrive pourtant qu'on salue un aveugle, ce que je fis, parfois. Il marchait, le toro, vers un étrange corral où je m'étonnais qu'il engouffrât sa pesante masse : vers l'Académie française ! Quoi ! Montherlant allait assister à quelque séance ? Je n'en croyais pas mes yeux chagrinés et je veux encore assurer qu'il n'allait en ce lieu, lui, Henry de Montherlant, Grand d'imaginaires Espagnes, que parce qu'il se souvenait y avoir aperçu un jeune et triomphant huissier, beau comme Antinoüs, et pour y réjouir son regard épuisé, en devinant, comme à travers une brume, une chaîne qui brillait autour d'un cou musclé, telle une toison d'or. Je veux donc croire que Montherlant n'allait aux séances de l'Académie que par vice et volupté jamais éteints.

De longues années s'étaient écoulées depuis le jour où il m'avait reçu dans son appartement qui sentait la souris, le célibataire et le musée abandonné. Mais, Dieu ! comme elle était bizarre la position des deux fauteuils, celui qu'il me désigna, et celui dans lequel il cala, droite, sa personne. Je m'interrogeais puis, enfin, je compris. Le Maître avait étudié la chose afin de ne me présenter toujours que son profil trois quarts aux viriles arêtes et doucement irisé, comme un buste - par la lumière dispensée avec mesure par la haute fenêtre donnant sur le quai. A partir de là, évidemment, ma curiosité s'éteignit et mon propos, et en retour le sien, se traîna, lamentable. J'étais mal assis. Le "sujet" ne m'intéressait plus.

L'acteur utilisait de trop grosses ficelles. Adieu, Alban de Bricoules, adieu Costals ! Éteints les solstices et épuisés les équinoxes. J'étais au théâtre. Et en rage légère d'amant dupé qui voit tomber au pied du lit corset, faux cul, perruque; et s'éteindre les fards de la beauté naguère adorée aux bougies pendant que, dans le restaurant, coulait le Champagne et que miaulaient les violons. Et je pensais, entre colère et déception : "Pourquoi cette vanité ? Cette pose ? Serait-ce une angoisse ? Mais provoquée par quoi ? Par la volonté, devenue mécanique et seconde nature, de plaire? Par poursuite traquée, à tout prix, de la séduction à cause de l'âge rendue difficile ?" Questions vaines. Depuis, j'ai appris que tous les homosexuels sont "comme ça". Ça ne décroche jamais, un homosexuel. Ça lutte, ça se bat, ça donne des coups de corne à la vie jusqu'au dernier souffle. Banderille, piqué, estoqué, pissant le sang, ça "cabecea", comme on dit dans les arènes, ça cherche la cape qui tourbillonne et la muleta qui effleure le mufle. Ça refuse de tomber sur le sable souillé. Jusqu'au descabello. Mais celui-ci, Montherlant n'attendit pas qu'il le foudroyât et il s'empala, de lui-même, sur le fer. Au fond, il y a donc, chez les grands homosexuels (Mishima, Lawrence, Montherlant…), comme chez les toros de caste, une bravoure. Sur le trottoir du quai Voltaire, congé pris de M. de Montherlant, comme je n'avais pas encore compris cela, souffrez, cher Costals, que je présente à vos mânes de respectueuses excuses. Oui, vous étiez brave. »

Jean Cau, Croquis de mémoire

 

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Un homme qui s'avance

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« Rien n’est plus beau qu’un homme lorsqu’il s’avance. Le soldat qui sort du rang et déclare qu’il est volontaire. Le torero qui s’arrache hors du burladero, chasse ses péones et déploie sa cape. Et, en image naïve, le cow-boy qui entre dans le saloon, fend l’assistance pétrifiée et se dirige vers le bar. Tout craque dans le cœur des autres hommes, lorsque l’un des leurs avance de deux pas, se détache du rang et forge ainsi tout autour de lui la barrière infranchissable du respect. »

Jean Cau, Le chevalier, la mort et le diable

 

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13/02/2016

Les humanités du pauvre

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« 20 juillet 1906

Somme toute, que reproche-t-on à l'orthographe usuelle ? D'être difficile à apprendre ? Que propose-t-on de lui substituer ? Une orthographe simplifiée et mise à la portée des instructions les plus négligées ?

C'est ici que réside ce qui n'est pas seulement une erreur mais une sottise. Qui ne voit aussitôt que, si l'on raisonne pour les paresseux ou pour les pauvres d'esprit, il n'y aura jamais de simplification suffisante ?

Il faut aller tout de suite à l'extrémité, et l'extrémité c'est l'orthographe phonétique, le droit donné à chacun d'écrire comme son oreille entend. Du moment qu'il y a une orthographe, elle sera toujours trop compliquée, il faudra toujours l'apprendre.

On voit mal où est l'avantage. Pour le voir, pour soutenir qu'il existe et que les simplifications proposées abrégeraient des études inutiles, il faut admettre que les enfants ont un mal considérable à retenir la figure de chaque mot. Les réformateurs proposent, par exemple, de terminer uniformément par les lettre èle tous les mots qui contiennent ce son. On écrira hirondèle, èle, quèle, èle, je me rappèle comme stèle et fidèle.

Vous souvenez-vous d'avoir eu la moindre peine à retenir qu'on devait mettre : hirondelle, aile, quelle, elle, rappelle ? Tel n'est pas mon cas. Et j'imagine qu'on apprendrait fort vite à ne pas confondre l'èle de l'oiseau avec èle, pronom personnel. Mais il faudrait l'apprendre encore, et je ne vois donc pas trop où est l'avantage, sinon de rendre obscure et lointaine l'origine du second mot et difficilement compréhensibles les dérivés (je ne sais en ce moment s'il en existe de très usuels, mais il y en a à coup sûr) où se retrouve la forme originale du latin ala.

S'il s'agit d'apprendre pour apprendre, mieux vaut continuer d'enseigner ce qui est conforme à la fois aux habitudes et à l'étymologie. Aile, c'est ala, comme elle c'est illa. S'il y a difficulté, au moins est-elle logique et permet-elle de se débrouiller, tant bien que mal, dans la forêt des mots savants. L'orthographe actuelle est, à y bien regarder, plus utile que nuisible aux personnes médiocrement instruites : son accord, même quelquefois un peu lâche, avec l'étymologie, ce sont les humanités du pauvre, c'est le latin des études primaires. L'orthographe compliquée est par là plus "démocratique" que l'orthographe simplifiée.

Il est surprenant que les réformateurs n'aient pas pensé à cela. »

Jacques Bainville, Journal, Tome I (1901-1918)

 

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11/02/2016

Cancer de qualité

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10/02/2016

Rimbaud, lui, hurlait à la vie

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« Rimbaud, c'est comme quelqu'un qui a fait un casse. Il fait un casse dans le ciel. Rien ne lui a jamais suffi, même une fortune, pourtant, il n'y a que l'or qui compte pour lui. D'abord l'or spirituel, ensuite l'or matériel. D'un coup de poing, il fait éclater la vitre derrière laquelle étaient les plus beaux joyaux, il rafle tout ça et il le laisse tomber un peu plus loin. Il a la terrible négligence du voyou qui n'a même pas l'idée du partage, et jette ses diaments comme des bouts de ferraille. Il y a un grand principe de déception chez Rimbaud : son impatience discrédite tout ce qu'il peut trouver. Ce n'est jamais ça. On dit que les chiens hurlent à la mort. Rimbaud, lui, hurlait à la vie. Il n'y a que Dieu qui soit à la taille du don et de l'impatience d'un tel jeune homme. On dirait que les autres avaient le temps de se tromper et que lui ne l'avait pas. »

Christian Bobin, La lumière du monde

 

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Le feu de l'esprit

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« C'est le feu qui décide, le feu de l'esprit, et il passe où il veut. Il n'a besoin pour prendre que d'un bois sec, c'est-à-dire d'un coeur ferme. D'ailleurs, le Christ n'a rien écrit. La lumière du monde ne vient pas du monde : elle vient de l'embrasement de ces coeurs purs, épris plus que d'eux-mêmes de la simplicité radicale du ciel bleu, d'un geste généreux ou d'une parole fraîche. Ce n'est pas uniquement affaire d'écriture (sainte ou non) et j'irai même jusqu'à dire que certains illetrés peuvent avoir dans ce domaine une supériorité de vision sur la tribu myope des lettrés. »

Christian Bobin, La lumière du monde

 

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09/02/2016

C'est quelqu'un qui nettoie le désert

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« L'oeuvre de Cioran est précieuse, mais elle est souvent incomprise. Cioran est quelqu'un qui par un côté serait le meilleur des amis, parce qu'il traque d'une manière quasiment maniaque toute chimère, toute illusion. Croyant parfois parler contre toute espérance, il libère en réalité le champ de l'espérance réelle parce qu'il en a chassé toutes les ivresses faciles. Un vrai livre, c'est toujours quelqu'un qui entre dans notre solitude. Cioran est un bienfaiteur, non pas, comme le disent ses faux disciples, parce qu'il désenchante le monde, mais parce qu'il ne laisse aucun faux désenchantement. C'est quelqu'un qui nettoie le désert. Avec un petit balai, il enlève tous les déchets des consolations faciles, et c'est pour moi après ce travail que commence la consolation vraie. Il fait le travail de l'hiver : il enlève les branches mortes : cela s'appelle préparer le printemps. Et puis il a cette grâce qui s'appelle l'humour et qui manque fâcheusement à la plupart des philosophes. C'est comme de préparer un voyage singulier que de le lire. Au lieu de remplir notre valise il la vide. Il ouvre la valise et il dit : "ça c'est inutile, ça c'est encombrant, ça je n'en ai pas besoin." A la fin la valise est vide et le voyage peut commencer vraiment. »

Christian Bobin, La lumière du monde

 

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08/02/2016

Les éboulis de la vie

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« Tous les bébés naissent en temps de guerre et dans des villes en ruine. Sitôt qu'on naît, on reçoit les éboulis de la vie. A peine nés, on se trouve sous les pylônes électriques des bruits, des conventions, du peu d'amour. La seule chance qu'on aurait, ce serait d'être élevés par des dieux. C'est effarant de voir qu'on tombe à la naissance entre des mains si peu expérimentées, tremblantes, si peu sûres. Je ne suis pas une exception. »

Christian Bobin, La lumière du monde

 

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06/02/2016

Une curiosité universelle

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« Le principe qui règne aujourd'hui est une curiosité universelle : chacun montre sa belle âme, raconte ses secrets. Qui a le malheur de ne pas s'y intéresser est un monstre. Il faut se passionner pour les ennuis de sa concierge, sinon douze balles dans la peau. L'humanité, ça ne transige pas. »

Roger Nimier, Le Grand d’Espagne

 

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Le sens des grands devoirs

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Ernst Jünger, Arno Breker, 1982

« Ainsi voyaient-ils plus tôt et plus clairement que les autres le sens des grands devoirs se pervertir chez les hommes : le travail et les sciences se mettre au service de la mort ; l'épée protéger l'injustice ; le juge - dans une grossière parodie de justice - ravaler le droit au rang d'un instrument de tribuns ; les maîtres, au lieu de donner l'exemple, détruire l'image de Dieu dans l'âme des enfants, et les médecins, loin de guérir, estropier les faibles et tuer les malades. »

Ernst Jünger, La Paix

 

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01/02/2016

Des poisons presque mortels

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« La sécurité est un besoin essentiel de l'âme. La sécurité signifie que l'âme n'est pas sous le poids de la peur ou de la terreur, excepté par l'effet d'un concours de circonstances accidentelles et pour des moments rares et courts. La peur ou la terreur, comme états d'âme durables, sont des poisons presque mortels, que la cause en soit la possibilité du chômage, ou la répression policière, ou la présence d'un conquérant étranger, ou l'attente d'une invasion probable, ou tout autre malheur qui semble surpasser les forces humaines.
Les maîtres romains exposaient un fouet dans le vestibule à la vue des esclaves, sachant que ce spectacle mettait les âmes dans l'état de demi-mort indispensable à l'esclavage. »

Simone Weil, L’Enracinement 

 

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Lorsque le journalisme se confond avec l'organisation du mensonge, il constitue un crime

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« Le public se défie des journaux, mais sa défiance ne le protège pas. Sachant en gros qu'un journal contient des vérités et des mensonges, il répartit les nouvelles annoncées entre ces deux rubriques, mais au hasard, au gré de ses préférences. Il est ainsi livré à l'erreur.
Tout le monde sait que, lorsque le journalisme se confond avec l'organisation du mensonge, il constitue un crime. Mais on croit que c'est un crime impunissable. Qu'est-ce qui peut bien empêcher de punir une activité une fois qu'elle a été reconnue comme criminelle ? D'où peut bien venir cette étrange conception de crimes non punissables ? C'est une des plus monstrueuses déformations de l'esprit juridique. »

Simone Weil, L’Enracinement 

 

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