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30/09/2015

Les cœurs qui ne croient rien

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« Et voilà pourquoi les cœurs qui ne croient rien, qui traitent d'illusions les attachements de l'âme, et de folie les belles actions, qui regardent en pitié l'imagination et la tendresse du génie ; voilà pourquoi ces cœurs n'achèveront jamais rien de grand, de généreux : ils n'ont de foi que dans la matière et dans la mort, et ils sont déjà insensibles comme l'une, et glacés comme l'autre. »

François-René de Chateaubriand, Le Génie du christianisme

 

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La bataille devant être, il fallait que la bataille fût

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« Sans qu’elle eût versé elle-même une seule goutte de sang, cette vierge guerrière n’a cessé de vanter les vertus des batailles et l’honneur de l’épée. Elle était, dans l’âme, soldat. Pourtant la jeune fille en qui l’histoire libérale aime à louer la préfiguration certaine de la nation armée, n’a pas conçu un seul instant le réveil national comme une sorte de levée en masse, de jacquerie patriotique. Elle et le Grand Ferré sont deux ! Plus encore que guerrière, elle a la tête militariste et hiérarchique. Elle n’a pas ameuté les paysans de son village : elle est allée trouver le seigneur du pays. Encore s’est-elle gardée de le convier à lever la jeunesse du Bar et des provinces voisines : son sens de l’ordre est tel qu’il a volé droit au sommet ! Point de chef, point de peuple : point de Roi, point de France. Comme il n’y a point de roi, elle en fera un. Elle ne le créera pas de rien ; elle ne rêvera ni de nouvelle dynastie, ni de dictature féodale ou cabochienne, mais elle n’aura de cesse que le Dauphin ne soit le Roi.
Son amour de la paix et son horreur du sang ne la dressaient donc point contre les puissances du monde. La bataille devant être, il fallait que la bataille fût, non pour établir une pandémocratie dans la République chrétienne, mais pour que, sous le Roi du ciel, régnât très régulièrement un Roi de la terre, dans un royaume organisé en vue du minimum de faiblesse humaine et du maximum d’ordre naturel. »

Charles Maurras, Méditation sur la politique de Jeanne d’Arc

 

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Et nous sommes alors aliénés

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« Pour aimer et apprécier la culture des autres, il faut d’abord avoir la sienne propre ; ou bien c’est la culture des autres qui devient notre culture, et nous sommes alors aliénés. La culture est d’abord culture des ancêtres (...) il ne peut pas y avoir de culture mondialiste, mondialisée. »

Renaud Camus, Parti pris, Journal 2010

 

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29/09/2015

Exercice de haine

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« Les villes sont pour les jeunes gens un bon exercice de haine. »

Henri Michaux , Ecuador

 

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L’oeil rivé sur leur petit appareil

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« Tous ces hommes et ces femmes sont constamment à recevoir des appels ou à en donner, à tout instant ils ont l’oeil rivé sur leur petit appareil, on jurerait qu’ils ne peuvent pas un instant se détacher de lui. On croirait le président de la République, tous ! Cette dépendance à l’égard de ce petit objet, chez des hommes faits et des femmes mûres, les rend semblables à des enfants, à de petits enfants tenus en lisière du matin au soir, et qui béniraient la dépendance où ils sont soumis. C’est plus fort que moi, je les troupe grotesques - insupportables, odieux, haïssables, nuisibles, nocents au possible, mais surtout grotesques. »

Renaud Camus, Parti pris, Journal 2010

 

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Je me voyais baissant, baissant dans son estime

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« Assis derrière un grand registre, un homme sans parti pris, sans malveillance, indifférent à tout et la plume à la main, lève vers moi le regard du fonctionnaire français qui n’est jamais assez payé :
— Vos nom, prénoms et qualités...
Ça continue ! Oui, mais, ici, c’est compréhensible. Et notre entretien vaut, je crois, la peine d’être rapporté mot pour mot.
— Votre nom ?
— Guitry.
— Vos prénoms ?
— Alexandre, Georges, Pierre.
— Ben, et Sacha ?
— Si vous voulez, mais ce n’est qu’un diminutif. C’est comme qui dirait Mimi ou Toto.
— Bon. Alors : nationalité ?
— Français.
— Né à ?
— Saint-Pétersbourg, Russie.
— Ah......... !
Et ce "Ah... ." signifiait : "Tout de même !"
— Vos qualités, maintenant.
— Bon, gentil, serviable, dévoué...
— Mais non, il ne s’agit pas de ça ! Vos qualités... enfin, ce que vous êtes.
— Auteur dramatique, Commandeur de la Légion d’Honneur, Académicien Goncourt.
Il me regarda fixement comme si je m’étais moqué de lui — puis, revenu de sa surprise, il dit :
— Alors, naturellement, licencié ès sciences, licencié ès lettres.
— Ma foi, non.
— Vous n’êtes pas licencié ?
— Pas encore.
— Bachelier, seulement ?
— Je ne suis pas non plus bachelier.
— Oh...
Je me voyais baissant, baissant dans son estime.
— Vous avez tout de même votre Brevet Élémentaire ?
— Non, je ne l’ai pas, Monsieur.
— Et votre Certificat d’Études ?
— On ne me l’a pas donné.
— Mais, alors, qu’est-ce que je vais mettre ?
— Mettez ce que vous voulez, Monsieur.
— Je vais mettre : Sait lire et écrire.
— Ça dit tout, en effet.
Il écrivit alors : "Sait lire et écrire."
(...)
Tandis que je m’éloignais, je l’entendis qui murmurait :
— Académicien Goncourt... Sait lire et écrire !
Et son impression n’était pas bonne.
Il ne faudra jamais s’aviser de demander à cet homme-là ce que c’est que l’Académie Goncourt, car je parierais bien qu’il répondrait alors :
— C’est un ramassis de Cancres ! »

Sacha Guitry, 60 jours de prison

 

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28/09/2015

Ils avaient en vérité souillé leur propre terre et jusqu'à leur ciel

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« Ce n'est pas une métaphore de dire qu'il fallait à ces hommes un ciel nouveau et une terre nouvelle ; car ils avaient en vérité souillé leur propre terre et jusqu'à leur ciel... Nous savons quelles sortes de visions sentimentales suscite en nous le mot "jardin", et qu'il évoque surtout le souvenir de romans mélancoliques et innocents... Or qui sait un peu de poésie latine se rappellera peut-être brusquement ce qui se fût dressé jadis, à la place du cadran solaire ou de la fontaine, et de quelle sorte était le dieu de leurs jardins... Il n'eût servi à rien d'exhorter ce peuple à se faire une religion naturelle ; il n'y avait pas une fleur ni même une étoile qui n'eût été souillée. »

Gilbert Keith Chesterton, Saint François d'Assise

 

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Une société qui ne sait plus rien de l'Ascète, ni du Guerrier

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« Dans une société qui ne sait plus rien de l'Ascète, ni du Guerrier ; dans une société où les mains des derniers aristocrates semblent faites davantage pour des raquettes de tennis ou des shakers de cocktails que pour des épées ou des sceptres ; dans une société où le type de l'homme viril – quand il ne s'identifie pas à la larve blafarde appelée "intellectuel" ou "professeur", au fantoche narcissique dénommé "artiste", ou à cette petite machine affairée qu'est le banquier ou le politicien – est représenté par le boxeur ou l'acteur de cinéma ; dans une telle société, il était naturel que la femme se révoltât.
Alors que l'éthique traditionnelle demandait à l'homme et à la femme d'être toujours plus eux-mêmes, d'exprimer par des traits de plus en plus nets ce qui fait de l'un un homme, de l'autre une femme – nous voyons la civilisation moderne se tourner vers le nivellement, vers l'informe, vers un stade qui, en réalité, n'est pas au-delà, mais en-deçà de l'individuation et de la différence entre sexes.
De même que la plèbe n'aurait jamais pu se répandre dans tous les domaines de la vie sociale et de la civilisation s'il y avait eu de vrais rois et de vrais aristocrates, ainsi dans une société gouvernée par des hommes vraiment virils, jamais la femme n'aurait voulu ni pu emprunter la voie sur laquelle elle chemine de nos jours.
Aussi la vraie réaction contre le féminisme et contre toute autre déviation féminine ne devrait-elle pas s'en prendre à la femme, mais à l'homme. »

Julius Evola, Révolte contre le monde moderne

 

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S'estimer la raison ou l'excuse de l'univers

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« Après avoir régenté les deux hémisphères, les Occidentaux sont en passe d'en devenir la risée : des spectres subtils, des fins de race au sens propre du terme, voués à une condition de parias, d'esclaves défaillants et flasques, à laquelle échapperont peut-être les Russes, ces derniers Blancs. C'est qu'ils ont encore de l'orgueil, ce moteur, non, cette cause de l'Histoire. Quand une nation n'en possède plus, et qu'elle cesse de s'estimer la raison ou l'excuse de l'univers, elle s'exclut elle-même du devenir. »

Emil Cioran, Écartèlement

 

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21/09/2015

La forme en laquelle notre vie profonde doit s'accomplir

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« Il est des temps de décadence, où s'efface la forme en laquelle notre vie profonde doit s'accomplir. Arrivés dans de telles époques, nous vacillons et trébuchons comme des êtres à qui manque l'équilibre. Nous tombons de la joie obscure à la douleur obscure, le sentiment d'un manque infini nous fait voir pleins d'attraits l'avenir et le passé. Nous vivons ainsi dans des temps écoulés ou dans des utopies lointaines, cependant que l'instant s'enfuit. »

Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre

 

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18/09/2015

Les postillons

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« Ce n'est plus le sang perdu sur un champ de bataille qui fait la valeur des hommes mais les postillons déversés derrière un micro. »

Roger Nimier, Le Grand d'Espagne

 

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On oblitérait l'image de Dieu dans l'homme

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« En introduisant la civilisation occidentale dans sa patrie, l'empereur voulut importer également les vêtements, les manières, les usages de l'Occident, souvent par voie d'oukazes, et en dépit d'une forte opposition. Le fameux rasage des barbes symbolise encore de nos jours cet aspect du règne. Le gouvernement l'exigeait "pour la gloire et la bienséance de l’État et de la profession des armes" ; les traditionalistes prétendaient, de leur côté, qu'en se rasant, on oblitérait l'image de Dieu dans l'homme, et que les Russes ressembleraient à des créatures aussi méprisables que les Luthériens, les Polonais, les Kalmouks, les Tatars, les chats, les chiens et les singes. »

Nicholas V. Riasanovsky, Histoire de la Russie

 

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L’écœurante mollesse des bons sentiments

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« L’écœurante mollesse des bons sentiments fabrique des bourreaux à la chaîne, car ne vous y trompez pas, les bourreaux sont pleins d’idéalisme et d’humanité. C’est toujours au nom de l’humanisme et de l’humanité que se font les génocides. [...] Crevez la panse de l’idéalisme, tordez le cou aux bons sentiments, videz les émotions les plus généreuses, faites exploser le message de l’humanisme, apprenez à regarder la vérité en face, pratiquez le scepticisme ascétique, alors peut-être aurez-vous rendu quelques services, dont vous ne serez récompensé que par les insultes des braves gars du monde. »

Jacques Ellul, Exégèse des nouveaux lieux communs

 

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17/09/2015

Matzneff - Migrants, émigrés, immigrés

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Les mots ont un sens et une histoire. Gabriel Matzneff, fils d'exilés, recommande un usage modéré du mot "migrant" utilisé à tort et à travers.

Quand nous sommes dans le doute, l'incertitude et en quête d'une réponse, nous ouvrons, si nous sommes d'humeur religieuse, la Bible (ou le Coran, à la mode ces temps derniers), si nous sommes d'humeur philosophique, Sénèque, nous en lisons une page au hasard et dans l'un et l'autre cas nous sommes éclairés.

Il existe cependant une troisième source de lumière, qui n'est ni monothéiste, ni polythéiste, mais résolument laïque (vous le voyez, je ne perds pas une occasion de faire ma cour à notre vénéré Premier ministre Manuel Valls), ce sont les dictionnaires.

Un ami, le libraire Bernard Le Borgne, éminent spécialiste de manuscrits rarissimes et de livres anciens, m'a récemment offert, dans la belle édition de 1849, les quatre tomes du Dictionnaire universel de la langue française de Bescherelle.

Depuis que j'ai reçu ce magnifique cadeau, c'est sans remords que je fais de fréquentes infidélités à mon bien aimé Littré. Avoir plusieurs dictionnaires, c'est comme avoir plusieurs amantes : immoral mais diablement agréable. Et la supériorité des dictionnaires sur les jeunes personnes, c'est qu'ils souffrent silencieusement ; ne nous font jamais de scènes de jalousie.

Migrant, mot né en 1960

Bref, c'est en me plongeant dans Bescherelle que j'ai appris que cet hideux mot de migrant que depuis quelques jours la presse écrite et parlée nous sert à toutes les sauces est un néologisme récent. Pour Bescherelle, migration, oui, migratoire, oui, mais migrant est inconnu au bataillon. Je ne suis pas hostile aux néologismes lorsqu'ils sont beaux, ou drôles ; mais ce migrant, qu'un autre dictionnaire, le Petit Robert, fait naître en 1960, est irrémédiablement affreux.

L'utiliser est d'autant plus idiot que la langue française a d'autres mots, plus élégants et poétiques, pour exprimer la même réalité. Je sais ce dont je parle. Petit-fils et fils de Russes qui durent quitter leur patrie après la révolution de 1917, les horreurs de la guerre civile, la victoire de l'armée bolchevique sur l'armée impériale, je n'ai jamais dans mon enfance entendu utiliser ni le mot migrants ni le mot immigrés pour désigner ceux-ci. Les journalistes, les écrivains, lorsqu'ils évoquaient ces nouveaux venus sur le sol français, ont toujours dit l'émigration russe, ou les émigrés russes, où les exilés russes, ou les Russes blancs, ou encore la colonie russe de Paris (ou de Nice, ou de Menton).

Mes grands-parents, mes parents étaient des exilés, des émigrés, non des immigrés, et moins encore des migrants. Voici l'excellente définition que donne Bescherelle du mot émigration : « Action de quitter son pays pour aller s'établir dans un autre. Émigration volontaire. Émigration forcée. L'émigration des nobles et des prêtres pendant la Révolution française. L'invasion de l'empire de Byzance par les Turcs causa l'émigration d'une foule de Grecs. » Cette invasion de Byzance par les Turcs peut être appelée une immigration, mais l'exil des Grecs en Italie, en France, en Russie est, elle, une émigration.

Vive la précision du vocabulaire !

Le jour où les troupes du vaillant calife de l'État islamique envahiront la molle Europe et planteront leur drapeau noir sur la coupole de Saint-Pierre, ce sera une immigration. De ce mot, Bescherelle donne cet exemple : « Les Germains sont arrivés successivement en Europe, et par trois immigrations distinctes. » En revanche, les infortunés Syriens qui, fuyant leur pays en guerre, ayant tout perdu, le cul nu, se réfugient en 2015 à Paris, comme, dans les années vingt du siècle dernier, le firent les infortunés Russes, ont le droit d'être appelés des émigrés, des exilés.

On m'objectera que je chicane, que cette querelle de mots n'a aucune importance. Moi, je crois au contraire que la précision du vocabulaire est une des plus puissantes armes que la civilisation possède pour résister à la barbarie. La droite se gargarise avec l'identité française, grand bien lui fasse, mais je lui signale que l'usage du charabia, du baragouin qu'aujourd'hui on lit partout, on entend partout, menace l'âme et le génie de la France de manière infiniment plus pernicieuse que l'accueil des malheureux qui frappent à notre porte.

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SOURCE : LE POINT

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11/09/2015

Les hommes ne peuvent rien faire au monde que mourir

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« Terrible insuffisance de nos cœurs et de nos esprits devant le cri, la prière qu’était la tienne. Je te voyais jeté à la rue avec la valise vide et qu’est-ce que je t’offrais pour la remplir. Je te reprochais de ne rien trouver dans le monde si riche, si plein pour te faire un viatique. Mais je ne te donnai rien. Car enfin peut-être ceux qui ne trouvent rien et qui restent là, ne sachant quoi faire, il faut avouer qu’ils demandent, et il n’y a qu’une chose à faire c’est de leur donner. J’ai pleuré quand une femme au téléphone a dit : "Je vous téléphone pour vous dire que Gonzague est mort." Hypo­crisie infecte de ces larmes. Toujours la lâcheté de l’aumône. On donne deux sous et on se sauve. Et demain matin avec quelle facilité je me lèverai à 5 heures pour aller à ton enterre­ment. Je suis toujours si gentil aux enterrements.

A travers une banlieue - les banlieues c’est la fin du monde - puis une campagne d’automne vert de légume cuit et or pâle de chambre à coucher, sous une pluie battante, avec un chauffeur qui me parlait de son moteur, je suis arrivé dans une de ces terribles pensions de famille où l’on voit que la mélan­colie et la folie peuvent faire bon ménage avec toute la médiocrité.

Elle était là, sous ton lit, la valise béante où tu ne pouvais finalement mettre qu’une chose, la plus précieuse qu’ait un homme: sa mort. (...) Tu es mort pour rien mais enfin ta mort prouve que les hommes ne peuvent rien faire au monde que mourir, que s’il y a quelque chose qui justifie leur orgueil, le sentiment qu’ils ont de leur dignité - comme tu l’avais ce sentiment-là toi qui as été sans cesse humilié, offensé - c’est qu’ils sont toujours prêts à jeter leur vie, à la jouer d’un coup sur une pensée, sur une émotion. »

Pierre Drieu la Rochelle, L’adieu à Gonzague

 

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L'imagination condensée du siècle

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« Le tombeau de l'Empereur, pour des Français de vingt ans, ce n'est point le lieu de la paix, le philosophique fossé où un pauvre corps qui s'est tant agité se défait ; c'est le carrefour de toutes les énergies qu'on nomme audace, volonté, appétit. Depuis cent ans, l'imagination partout dispersée se concentre sur ce point. Comblez par la pensée cette crypte où du sublime est déposé ; nivelez l'histoire, supprimez Napoléon : vous anéantissez l'imagination condensée du siècle. On n'entend pas ici le silence des morts, mais une rumeur héroïque ; ce puits sous le dôme, c'est le clairon épique où tournoie le souffle dont toute la jeunesse a le poil hérissé. »

Maurice Barrès, Les Déracinés

 

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10/09/2015

Il n’est rien dont l’homme ait aussi peur que la liberté

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« On voit s’élever une race de bûcheurs, des gens qui n’ont jamais le temps de rien. Or, tout type supérieur se reconnaît à ce qu’il a du temps, donc est maître souverain des heures. Placé devant ce dilemme, il préfèrera l’existence de raté à celle de cuistre. Au reste, le règne des cuistres est sans cesse à nouveau interrompu par la révolte des ratés de génie. C’est l’une des révolutions qui se reproduisent toujours, et, fait remarquable, dans une totale indépendance envers les arguments qui se trouvaient être à la mode. Ainsi s’expliquent l’aristocrate parmi les jacobins, et d’autres types que chacun connaît. [...] Pour ceux qui sont grandement doués, l’échec dans le métier fait bien plutôt partie des débuts favorables, pour autant que, traversant le rideau de la société, ils peuvent se colleter avec la liberté [...]. Au fond, il n’est rien dont l’homme ait aussi peur que la liberté - d’où l’affluence qui règne devant les casernes de notre époque. »

Ernst Jünger, Le contemplateur solitaire

 

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Il serait vain de se détourner du passé pour ne penser qu'à l'avenir...

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« Il serait vain de se détourner du passé pour ne penser qu'à l'avenir. C'est une illusion dangereuse de croire qu'il y ait même là une possibilité. L'opposition entre l'avenir et le passé est absurde. L'avenir ne nous apporte rien, ne nous donne rien ; c'est nous qui pour le construire devons tout lui donner, lui donner notre vie elle-même. Mais pour donner il faut posséder, et nous ne possédons d'autre vie, d'autre sève, que les trésors hérités du passé et digérés, assimilés, recréés par nous. De tous les besoins de l'âme humaine, il n'y en a pas de plus vital que le passé. »

Simone Weil, L'enracinement

 

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Quand tu recevras cette lettre je me sentirai bien mieux qu'avant...

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Le 22 février 1942, Stefan Zweig, ne voyant plus ce qu'il pouvait encore faire dans un monde livré à la barbarie nazie, préfère le quitter, en compagnie de son épouse, en absorbant du Véronal.

On retrouva leurs corps sans vie dans la petite maison qu'ils habitaient, quartier de Valparaiso à Petrópolis, dans l'État de Rio de Janeiro. La lettre qu'il laissa avant de se donner la mort, donne une idée de son extrême désarroi...

« Avant de quitter la vie de ma propre volonté et avec lucidité, j'éprouve le besoin de remplir un dernier devoir : adresser de profonds remerciements au Brésil, ce merveilleux pays qui m'a procuré ainsi qu'à mon travail, un repos si amical et si hospitalier. De jour en jour, j'ai appris à l'aimer davantage et nulle part ailleurs je n'aurais préféré édifier une nouvelle existence, maintenant que le monde de mon langage a disparu pour moi et que ma patrie spirituelle, l'Europe, s'est détruite elle-même. Mais à soixante ans passés il faudrait avoir des forces particulières pour recommencer sa vie de fond en comble. Et les miennes sont épuisées par les longues années d'errance. Aussi, je pense qu'il vaut mieux mettre fin à temps, et la tête haute, à une existence où le travail intellectuel a toujours été la joie la plus pure et la liberté individuelle le bien suprême de ce monde. Je salue tous mes amis. Puissent-ils voir encore l'aurore après la longue nuit ! Moi je suis trop impatient, je pars avant eux. »

 

Écrite le même jour : Lettre à Friderike Maria Zweig (sa précédente épouse)...

 

« Petropolis 22.11.1942

Chère Friderike,

Quand tu recevras cette lettre je me sentirai bien mieux qu'avant. Tu m'as vu à Ossining, et après une bonne période paisible, ma dépression est devenue bien plus aiguë — je souffrais tant que je ne pouvais plus me concentrer. Et puis, la certitude — la seule que nous ayons eue — que cette guerre allait prendre des années, qu'il faudrait une éternité avant que nous, dans notre position spécifique, nous puissions nous installer à nouveau dans notre maison, était trop déprimante, j'aimais beaucoup Petropolis, mais je n'avais pas les livres que je voulais et la solitude, qui dans un premier temps avait un tel effet apaisant, a commencé à devenir oppressante — l'idée que mon travail central, le Balzac, ne serait jamais terminé sans deux années de vie paisible et que tous les livres aient été très difficiles à obtenir, et puis cette guerre, cette guerre éternelle qui n'est pas encore à son apogée. J'étais trop fatigué pour tout cela (et pauvre Lotte… elle n'avait pas une belle vie avec moi, en particulier parce que sa santé n'était pas des meilleures). Toi tu as tes enfants et avec eux le devoir de tenir bon, tu as un vaste champ d'intérêts et une activité intacte. Je suis sûr que tu verras encore une époque meilleure et que tu me donneras raison de ne pas avoir attendu plus longtemps, moi qui ai le « foie noir ». Je t'envoie ces lignes dans les dernières heures, tu ne peux imaginer à quel point je suis heureux depuis que j'ai pris cette décision. Dis toute mon affection à tes enfants et ne me plains pas — rappelle-toi ce bon Joseph Roth et Rieger, combien j'étais heureux pour eux qu'ils n'aient pas eu à traverser ces épreuves. Avec toute mon affection et mon amitié, et courage, tu sais que je suis paisible et heureux. »

Stefan Zweig, Correspondance 1932-1942

 

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09/09/2015

Vos "âmes éclairées"

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« Pour la fumée qui sort d’une chaudière, vous avez renié toutes les croyances que tant de millions de héros, de penseurs et de martyrs vous avaient léguées depuis plus de six mille années, vous qui ne datez que d’un sempiternel Demain dont le soleil pourrait fort bien ne se lever jamais.

À quoi donc avez-vous préféré, depuis hier à peine, les prétendus principes immuables de vos devanciers, sur la planète, ― rois, dieux, famille, patries ? À ce peu de fumée qui les emporte, en sifflant, et les dissipe, au gré du vent, sur tous les sillons de la terre, entre toutes les vagues de la mer ! En vingt-cinq années, cinq cent mille haleines de locomotives ont suffi pour plonger vos "âmes éclairées" dans le doute le plus profond de tout ce qui fut la foi de plus de six mille ans d’Humanité.

Souffrez que je me défie quelque peu des subites et prétendues clairvoyances d’un être collectif dont l’erreur aurait si longtemps duré ! »

Auguste Villiers de l'Isle-Adam, L'Eve future

 

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La seule vie réellement vécue

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« La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature. »

Marcel Proust, Le temps retrouvé

 

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Celui qui versera son sang avec moi sera mon frère

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« Et la Saint-Crépin ne reviendra jamais, d'aujourd'hui à la fin du monde, sans qu'on se souvienne de nous, de notre petite bande, de notre heureuse petite bande de frères !
Car celui qui aujourd'hui versera son sang avec moi sera mon frère ; si vile que soit sa condition, ce jour l'anoblira. »

William Shakespeare, Henry V

 

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08/09/2015

Une chose solennelle et grandiose

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« Tout cela nous a fait de la guerre une chose solennelle et grandiose. Nous nous sentions les héritiers et les supports d'idées transmises à travers les siècles, portées de génération en génération vers leur accomplissement. Sur toute pensée, sur tout acte pesait l'obligation la plus lourde, honneur suprême et terme radieux : la mort pour son pays et sa grandeur. »

Ernst Jünger, La guerre comme expérience intérieure

 

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Ce retour au réel leur est scandale

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« Ce sont les enfants du rock débile, les écoliers de la vulgarité pédagogique, les béats nourris de soupe infra idéologique cuite au show-biz, ahuris par les saturnales de "Touche pas à mon pote". Ils ont reçu une imprégnation morale qui leur fait prendre le bas pour le haut. Rien ne leur paraît meilleur que n’être rien, mais tous ensemble, pour n’aller nulle part.

Leur rêve est un monde indifférencié où végéter tièdement. Ils sont ivres d’une générosité au degré zéro, qui ressemble à de l’amour mais se retourne contre tout exemple ou projet d’ordre. L’ensemble des mesures que prend la société pour ne pas achever de se dissoudre : sélection, promotion de l’effort personnel et de la responsabilité individuelle, code de la nationalité, lutte contre la drogue, etc., les hérisse.

Ce retour au réel leur est scandale. Ils ont peur de manquer de mœurs avachies. Voilà tout leur sentiment révolutionnaire. C’est une jeunesse atteinte d’un sida mental. Elle a perdu ses immunités naturelles ; tous les virus décomposant l’atteignent. Nous nous demandons ce qui se passe dans leurs têtes. Rien, mais ce rien les dévore.

Il aura suffi de cinq ans pour fabriquer dans le mou une telle génération. Serait-ce toute la jeunesse ? Certainement pas. Osons dire que c’est la lie avec quoi le socialisme fait son vinaigre. »

Louis Pauwels, Le Monome des zombies. Éditorial du Figaro Magazine, 6 décembre 1986

 

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07/09/2015

Dans l’ignorance des choses

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« De ce dîner par un beau soir profond sous les arbres des Champs-Élysées, Sturel emporta le pressentiment que jusqu’alors il avait vécu dans une convention dans l’ignorance des choses. C’est un thème banal, l’opposition qu’il y a entre la vie, telle qu’on se l’imagine, et sa réalité, mais cette banalité soudain pour Sturel devint douloureusement vivante et agissante. Elle infecta toutes les opinions qu’il s’était composé des hommes et des choses. Chaque jour de cette semaine, il fut plus déniaisé, mais plus sombre. Il apprit que si toutes les convictions ne sont pas déterminées par l’argent, presque toutes du moins en rapportent, ce qui atténua leur beauté à ses yeux. Il constata que si certains hommes prenant certaines attitudes sans subvention, certains autres sont subventionnés pour les prendre, et qu’ainsi le plus désintéressé, toujours suspect aux malveillants, n’a même pas la pleine satisfaction de se savoir en dehors des combinaisons pécuniaires : sans en profiter, il les sert. »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

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