29/12/2016
Les grandes foules agitées par le travail, le plaisir ou par la révolte
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« Nous chanterons les grandes foules agitées par le travail, le plaisir ou par la révolte ; les ressacs multicolores et polyphoniques des révolutions dans les capitales modernes ; la vibration nocturne des arsenaux et des chantiers sous leurs violentes lunes électriques ; les gares gloutonnes avaleuses de serpents qui fument ; les ponts aux bonds de gymnastes lancés sur la coutellerie diabolique des fleuves ensoleillés ; les usines suspendues aux nuages par des fils tordus de fumée, les paquebots aventureux flairant l’horizon ; les locomotives au grand poitrail, qui piaffent sur les rails tels d’énormes chevaux d’acier bridés de long tuyaux et le vol glissant des aéroplanes dont l’hélice a des claquements de drapeaux et des applaudissements de foule enthousiaste. »
Filippo Tommaso Marinetti, Manifeste du futurisme
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28/12/2016
Une nouvelle ère de violence et d'oppression
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« Nous entrions dans une nouvelle ère de violence et d'oppression. Il fallait être imbécile ou fou pour ne pas le pressentir, pour ne pas en avoir le cœur serré d'angoisse ? Nous devions dire adieu à notre avant-guerre. Commençait une révolution qui pourrait bien être fatale au goût que ma génération avait eu pour le bonheur. À vingt-six ans, nous n'étions plus la jeunesse. On nous avait volé notre temps de joie, tué nos amis, ruiné nos enthousiasmes. Nous ne pourrions plus jamais croire à la Justice, à la Vérité, à l'Honneur. »
Michel Déon, Les poneys sauvages
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26/12/2016
Le tocsin de la ruine prochaine
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« La guerre est la plus forte rencontre des peuples. Alors que commerce et circulation, compétitions et congrès ne font se joindre que les pointes avancées, la guerre engage l'équipe au complet, avec un objectif seul et unique : l'ennemi. Quels que soient les problèmes et les idées qui agitent le monde, toujours leur sort se décida par la confrontation dans le sang. Certes toute liberté, toute grandeur et toute culture sont issues du silence de l'idée, mais seules les guerres ont pu les maintenir, les propager ou les perdre. La guerre seule a fait des grandes religions l'apanage de la terre entière, a fait surgir au jour, depuis leurs racines obscures, les races les plus capables, a fait d'innombrables esclaves des hommes libres. La guerre n'est pas instituée par l'homme, pas plus que l'instinct sexuel ; elle est loi de nature, c'est pourquoi nous ne pourrons jamais nous soustraire à son empire. Nous ne saurions la nier, sous peine d'être engloutis par elle.
Notre époque montre une forte tendance au pacifisme. Ce courant émane de deux sources, l'idéalisme et la peur du sang. L'un refuse la guerre par amour des hommes, et l'autre parce qu'il a peur.
Le premier est de la trempe des martyrs. C'est un soldat de l'idée ; il est courageux : on ne peut lui refuser l'estime. Pour lui, l'humanité vaut plus que la nation. Il croit que les peuples, dans leur furie, ne font que frapper l'ennemi de plaies sanglantes. Et que lorsque les armes ferraillent, on cesse d'oeuvrer à la tour que nous voulons pousser jusqu'au ciel. Alors il s'arc-boute entre les vagues sanglantes et se fait fracasser par elles.
Pour l'autre, sa personne est le bien le plus sacré ; par conséquent il fuit le combat, ou le redoute. C'est le pacifiste qui fréquente les matchs de boxe. il s'entend revêtir sa faiblesse de mille manteaux chatoyants - celui du martyr de préférence -, et bon nombre d'entre eux ne sont que trop séduisants. Si l'esprit d'un peuple entier pousse dans ce sens, c'est le tocsin de la ruine prochaine. Une civilisation peut être aussi supérieure qu'elle veut - si le nerf viril se détend, ce n'est plus qu'un colosse aux pieds d'argile. Plus imposant l'édifice, plus effroyable sera le chute. »
Ernst Jünger, La guerre comme expérience intérieure
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Leur accomplissement dans la lutte...
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« Comme d'autres dans l'art ou dans la vérité, ils cherchaient leur accomplissement dans la lutte. Nos voies sont diverses, chacun porte en son coeur une autre boussole. Pour chacun, vivre veut dire autre chose, pour l'un le chant du coq au matin clair, pour l'autre l'étendue qui dort au midi, pour un troisième les lueurs qui passent dans les brumes du soir. Pour le lansquenet, c'était le nuage orageux qui couvre au loin la nuit, la tension qui règne au-dessus des abîmes. »
Ernst Jünger, La guerre comme expérience intérieure
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19/12/2016
Un autre sexe
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« Rien ne prouve mieux le défaut de besoins esthétiques de notre époque, que le fait qu'Alger ne soit pas plus renommée, pour la beauté de ses filles, que Madrid ou Rome, par exemple, ne le sont pour la joliesse des leurs. À Alger, j'en ai vu de divines, et les hommes, à la même table qu'elles, ne posaient jamais leurs yeux sur elles, quand moi j'aurais frappé mon front contre terre si elles m'avaient seulement regardé une fois.
Alger, c'est la France sans doute, à quelques heures de la France. Et cependant, de ce point de vue là comme de tant d'autres, c'est une autre planète.
À Alger, on reconnaît les Françaises de France :
À leurs talons hauts ;
À leur façon de s'habiller mal ;
À la médiocrité de leurs visages et surtout de leurs corps ;
Chez les Algéroises, au contraire, une race jeune, pleine de vitalité et de vigueur. La puissance de leurs épaules, cette sorte de beauté si rare en France. Leurs cheveux de nuit et de tempête. Leurs genoux pareils au soleil levant. Et "faites au tour". Une autre race que les Parisiennes. J'allais écrire : un autre sexe.
Les Arabes, et, à leur suite, les Algériens, classent les représentants du sexe fort en deux catégories : ceux qui sont, à leurs yeux, "des hommes", et ceux qui ne sont "pas des hommes".
Ce jugement simple et tranchant est le premier qui leur vienne à la bouche, quand on leur parle de quelqu'un. "Celui-là, c'est un homme. Celui-là, c'est pas un homme". Eh bien, les femmes [françaises] d'Alger peuvent être définies en deux syllabes : ce sont "des femmes".
Il y a deux étés, les jeunes filles d'Alger allaient les jambes nues, la chaussette roulée sur la cheville. Cet été, elles ont les pieds nus dans des sandalettes en cuir clair, sans talon, qui leur donne la marche des primitifs. Parfois à la cheville est enroulé un bandage, protégeant une blessure fictive : il s'agit de faire croire qu'elles ont été happées par des poulpes.
Leurs dents blanches, quand elles rient, leurs remplissent la bouche. Les petits poils blonds de leurs bras et de leurs mollets scintillent, clairs sur la peau sombre, comme les friselis d'écume sur la surface calme de la Méditerranée. Mais elles n'oçnt pas compris ce qu'il y a de sublime, pour une jolie fille, à avoir les bras, les poignets, les mains nus, – nus comme le sable adolescent, nus comme une plante marine : elles portent aux poignets toute une ferblanterie croassante, dont rient les délicats Gros-Becs [N.d.A : En langage algérois, les Gros-Becs sont les Parisiens. Il paraît que nous avons de grands pifs]. Enfin il sort d'elles je ne sais quelle chaleur, qui me rappelle une coutume familière aux Romains : ils mettaient un corps de femme pour dix corps d'hommes, dans leurs fosses communes, afin d'attiser la combustion, parce que le corps de la femme est plus chaud que celui de l'homme. Certaines jeunes filles, si je les suis un peu, j'avance sans plus toucher terre, d'émotion ; combien de fois, ainsi pareil à une bulle d'air, ai-je ballonné le long de la rue d'Isly ! D'autres me donnent un tel enthousiasme que je saute sur place, et au sommet du saut fais un piaffement, en criant d'une voix forte : "Je la mange !..." Maintenant vous savez ce que c'est qu'un poète lyrique.
Tout ce qui précède est la "vérité vraie", comme on dit ici (ou encore : la "franche vérité"). Expression profonde, qui si gentiment, sans y toucher, mange le morceau ! C'est, je crois, l'unique contribution de l'esprit algérien à une philosophie de grande allure, mais il faut reconnaître qu'elle est considérable.
En face les Facultés, et le Lycée de jeunes filles, on a placé un arrêt de tram, afin que les gens qui attendent une jeune fille puissent avoir l'air d'attendre le tram. Et un banc, pour qu'il vous donne, lui aussi, une contenance. Et un fleuriste, destiné à vous mettre au ton convenable, qui doit être un ton résolument poétique, tel, par exemple, que celui que nous employons ici. Alentour, les arbres, brûlés par le rayonnement des jeunes filles, sont roussis en toute saison. Un photographe, qui voulait photographier pour ce livre la sortie des jeunes filles, eut plaque sur plaque voilée par ce rayonnement ; il fallut renoncer. Les jeunes filles du Lycée à onze heures. À onze et quart tout est fini. Les portes ferment leurs deux battants, et c'est un instant pathétique : on dirait qu'il y a quelque chose qui meurt, et que ces portes se sont refermées pour l'éternité sur la grâce et la jeunesse du monde. C'est là un désespoir que nous pouvons savourer avec d'autant de finesse, que nous savons que ces portae aeternales, qui se sont fermées pour l'éternité à onze heures et quart, seront rouvertes à deux heures moins vingt. »
Henry de Montherlant, Jeunes filles d'Alger, in "Il y a encore des paradis"
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17/12/2016
Cela se paie le bonheur de ne pas aimer les médiocres...
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« Sentez-vous ce qu’il y a de dramatique à être une femme seulement un tout petit peu supérieure ? C’est tout mon drame. Cela se paie le bonheur de ne pas aimer les médiocres. Et aimer les médiocres se paie par la médiocrité du bonheur qu’on y goutte. Ah ! Comme j’aurais bien fait l’épouse d’un artiste ! Car pour être la femme d’un artiste, il faut aimer l’artiste encore beaucoup plus que l’homme, faire que le premier soit plus grand et le second soit heureux. Et puis entre soi se comprendre à demi mot. »
Henry de Montherlant, Les Jeunes filles
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La liberté...
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« La liberté à laquelle aspire l'homme moderne n'est pas celle de l'homme libre, mais celle de l'esclave un jour de fête. »
Nicolás Gómez Dávila, Le Réactionnaire authentique
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10/12/2016
Dans une France anonyme
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« – Tu crois vraiment que la France va mourir ? s’écria Gilles.
– Mais oui, la France meurt. Viens au village, à côté, je vais te montrer maison par maison, famille par famille, la mort de la France, viens. […]
C’était une charmante chapelle du XVe siècle, d’un jet sûr. À l’intérieur, il y avait quelques bons vieux bancs de chêne et toute l’ignoble pacotille du catholicisme décadent, Vierge fabriquée à la grosse, Saint-Joseph, Sacré-Cœur de Jésus, Jeanne d’Arc de patronage, drapeau français.
Sur un mur, la longue liste des morts de la guerre, plus grande que le village.
– Voilà tous ceux que les gens de Paris ont tués avec leur sale politique. Le député d’ici, c’est le comte de Falcourt, il pense exactement comme un radical-socialiste. La cervelle aussi vidée.
Ils étaient seuls dans l’église. Le vieux s’était incliné devant l’autel, faisait un grand signe de croix. Gilles se dit : “De ma part, ce serait une simagrée.”
Le vieux l’amena sur le côté de l’autel. Il lui montra une dalle funéraire. Deux géants, homme et femme, les seigneurs de Hoqueville. Deux longues silhouettes incisées dans la pierre.
– La vieille race noroise, noyée aujourd’hui dans une France anonyme.
– Mais après que ceux-ci étaient tombés en décadence, dès le XIIIe siècle, il y a eu des renaissances magnifiques.
– Oui, mais tant va la cruche à l’eau… C’est la source même de la vie qui est atteinte. Plus de foutre, ou il va au bidet. Les Français n’ont plus qu’une passion, de crever… Une jeune fermière me disait, l’autre jour : “Pensez-vous que je ferai des enfants ? Pour quoi faire ?” Si tu avais vu son regard. Une opacité, la taie du néant. Ils ont tout oublié, ils ne savent plus rien. Ils sont entièrement sortis du monde animal et du monde humain.
– Ils sont comme les Parisiens.
– La terre ne leur dit plus rien. Ils ne sentent plus la terre, ils ne l’aiment plus. Ils ont honte d’être restés ici. La seule excuse à leurs yeux, c’est qu’ils gagnent pas mal d’argent.
– Jusqu’où ça ira-t-il ?
– Ils seront envahis. Ils sont déjà envahis. Des Polonais, des Tchécoslovaques, des bicots. Mais leur vice dévore tout de suite l’envahisseur.
– Il y a une puissance de syphilis dans la France. »
Pierre Drieu la Rochelle, Gilles
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09/12/2016
Une cuisine bourgeoise
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« Tu avais en toi une image de la vie, une croyance, une exigence, tu étais prêt à des exploits, des souffrances, des sacrifices ; et puis, peu à peu, tu remarquas que le monde n'exigeait de toi aucun exploit et aucun sacrifice, que la vie n'est pas une épopée héroïque avec des rôles en vedette, mais une cuisine bourgeoise, où l'on se contente de boire et de manger, de prendre un café, de tricoter des bas, de jouer aux cartes et d'écouter la T.S.F. Et celui qui veut et qui a en lui autre chose : l'héroïque, le beau, l'adoration des grands poètes, la piété pour les saints, n'est qu'un imbécile et un don Quichotte. »
Herman Hesse, Le loup des Steppes
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20/11/2016
Cet empire macaronique et burlesque
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« Or donc, le pouvoir s’est transporté, comme tu sais, des Tuileries chez les journalistes, de même que le budget a changé de quartier, en passant du faubourg Saint-Germain à la Chaussée-d’Antin. Mais voici ce que tu ne sais peut-être pas ! Le gouvernement, c’est-à-dire l’aristocratie de banquiers et d’avocats, qui font aujourd’hui de la patrie comme les prêtres faisaient jadis de la monarchie, a senti la nécessité de mystifier le bon peuple de France avec des mots nouveaux et de vieilles idées, à l’instar des philosophes de toutes les écoles et des hommes forts de tous les temps. Il s’agit donc de nous inculquer une opinion royalement nationale, en nous prouvant qu’il est bien plus heureux de payer douze cents millions trente-trois centimes à la patrie représentée par messieurs tels et tels, que onze cents millions neuf centimes à un roi qui disait "moi" au lieu de dire "nous". En un mot, un journal armé de deux ou trois cent bons mille francs vient d’être fondé dans le but de faire une opposition qui contente les mécontents, sans nuire au gouvernement national du roi-citoyen. Or, comme nous nous moquons de la liberté autant que du despotisme, de la religion aussi bien que de l’incrédulité ; que pour nous la patrie est une capitale où toutes les idées s’échangent, où tous les jours amènent de succulents dîners, de nombreux spectacles ; où fourmillent de licencieuses prostituées, des soupers qui ne finissent que le lendemain, des amours qui vont à l’heure comme les citadines ; que Paris sera toujours la plus adorable de toutes les patries ! la patrie de la joie, de la liberté, de l’esprit, des jolies femmes, des mauvais sujets, du bon vin, et où le bâton du pouvoir ne se fera jamais trop sentir, puisque l’on est près de ceux qui le tiennent.
Nous, véritables sectateurs du dieu Méphistophélès ! avons entrepris de badigeonner l’esprit public, de rhabiller les acteurs, de clouer de nouvelles planches à la baraque gouvernementale, de médicamenter les doctrinaires, de recuire les vieux républicains, de réchampir les bonapartistes et de ravitailler les centres, pourvu qu’il nous soit permis de rire "in petto" des rois et des peuples, de ne pas être le soir de notre opinion du matin, et de passer une joyeuse vie à la Panurge ou "more orientali", couchés sur de moelleux coussins. Nous te destinions les rênes de cet empire macaronique et burlesque ; ainsi nous t’emmenons de ce pas au dîner donné par le fondateur dudit journal, un banquier retiré qui, ne sachant que faire de son or, veut le changer en esprit. »
Honoré de Balzac, La Peau de chagrin
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11/11/2016
Je refuse la guerre et tout ce qu'il y a dedans
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« Je refuse la guerre et tout ce qu'il y a dedans. Je ne la déplore pas moi... Je ne me résigne pas moi... Je la refuse tout net avec tous les hommes qu'elle contient, je ne veux rien avoir à faire avec eux, avec elle. Seraient ils 995 même et moi tout seul, c'est eux qui ont tort et c'est moi qui ai raison car je suis le seul à savoir ce que je veux : je ne veux plus mourir. »
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit
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06/11/2016
L'inutilité de l'héroïsme
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« Pour être un héros, il faut avoir au moins une fois en sa vie senti l'inutilité de l'héroïsme et de quel poids infime pèse l'acte héroïque dans l'immense déroulement des effets et des causes, réconcilié son âme avec l'idée de la lâcheté, bravé par avance la faible, l'impuissante, l'oublieuse réprobation des gens de bien, senti monter jusqu'à son front la chaleur du plus sûr et du plus profond repaire, l'universelle complicité des lâches, toujours béante, avec l'odeur des troupeaux d'hommes. Qui n'a pas une fois désespéré de l'honneur ne sera jamais un héros. »
Georges Bernanos, Scandale de la vérité
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Plus chers que l'or
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« Le froid, le silence et la solitude sont des états qui se négocieront demain plus chers que l'or. Sur une terre surpeuplée, surchauffée, bruyante. »
Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie
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26/10/2016
La refonte générale de nos modes de gouvernement politique et de nos métaphysiques
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« Le nouveau slogan de cet attroupement de la vieille droite et de la nouvelle gauche "nationales-socialistes" est on ne peut plus clair : No Free trade. Stop Globalization.
C’est au moment où l’économie marchande de troisième type accouche enfin de sa production terminale, qui ne peut nous entraîner que dans la refonte générale de nos modes de gouvernement politique et surtout de nos métaphysiques, que l’on se dresse avec le plus de fougue contre le mouvement de cette révolution.
Plus grave encore, on veut désormais nous faire revenir à la situation d’avant Bretton Woods, on essaie de nous faire croire que le monde va pouvoir repartir en arrière, comme une vulgaire bobine vidéo, on veut rétablir des contrôle frontaliers, des contrôles nationaux, ces fameux contrôles "démocratiques", dont on invoque la préséance maintenant qu’ils sont dans l’impossibilité même d’exister.
Plutôt que d’aller faire le singe sur la façade du Palais des congrès où les grands banquiers du monde tiendront conseils, ne vaudrait-il pas mieux proclamer que le temps est venu de mettre en faillite le système onucratique et national qui nous "gouverne" depuis l’Apocalypse ? Plutôt que d’accuser la grande bourgeoisie transnationale de ne faire que ce pour quoi elle est faite, pourquoi ne pas créer ce gouvernement de la Terre que Nietzsche appelait de ses voeux il y a déjà plus d’un siècle, et pour commencer instituer cette Fédération européenne qui seule pourra montrer le chemin, oui, pourquoi ne pas vouloir entreprendre le nécessaire surpassement de nos minables institutions démocratiques et nationales, incapables d’inventer un cadre politique et philosophique à la hauteur des colossales baronnies financières qui s’édifient sans attendre sur le nouveau paradigme du monde ?
Oui, en effet, pourquoi ?
Mais parce que personne ne tient vraiment à ce que le système onucratique (Tiers État-nations impuissants et désormais virtuels + monopole stratégique des USA + explosion des microcommunautés socioculturelles + bureaucratie onuzie et bourgeoisie planétaire omnipotentes) s’effondre, ni même se réforme, cette fiction contente tout le monde, des patrons de l’OMC à ses plus féroces contempteurs de l’extrême-gauche ou de l’extrême-droite radicale. Comme à l’époque des papes et des antipapes, chacun y puise suivant ses aspirations et ses penchants, et il y en a vraiment pour tous les goûts ! Le différencialisme communautariste qui n’a eu de cesse depuis deux ou trois générations que de vouloir détruire toute idée d’État, en invoquant frauduleusement la liberté, toute idée de loi, en la minant de droits, qui a tué Dieu avec le positivisme, le néopaganisme, voire avec la Bible elle-même, qui a dégradé le concept de nation en l’égalisant à celui de simple tribu, inventé l’affirmative action, les gender studies et les micro-identités, tout autant que le suprématisme, l’afrocentrisme, l’écoterrorisme et une bonne centaine d’illuminismes concurrents, ce même différencialisme communautariste qui place le lapin ou le poulet sur la même échelle de valeurs que l’homme, lâche toutes les larmes de son pauvre corps, à l’unisson avec les dames-pleureuses de "la-République-à-la-Nation", maintenant qu’une nouvelle élite corporative et métanationale se constitue par-dessus leurs minuscules horizons, forclos dans le quadrillage sémantique du néopositivisme.
Qui, honnêtement, pourrait s’en plaindre ?
Pas moi en tout cas, car à choisir entre les jésuites et les Borgia, ma décision est prise depuis longtemps, vous l’aurez compris. »
Maurice G. Dantec, Manuel de survie en territoire zéro. Le Théâtre des opérations 1 : journal métaphysique et polémique, 1999
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Des puissances prophétiques sont proches
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« Chaque automne ramène l'ange de la Mélancolie. (...). Les fruits mûrissent et sont cueillis ; les feuilles se colorent et tombent. Les corneilles s'attroupent et tournoient en essaims au dessus des champs dégarnis. Les jours deviennent plus courts, la nuit survient de bonne heure ; on redécouvre le feu et les lumières. Voici que s'approche le temps des fêtes des Morts, des visites au cimetière, mais aussi des visitations nocturnes de divinités aux mains pleines de dons. Les rêves commencent à changer de teinte ; des traits prophétiques s'y entrelacent.
Nous allons vers le temps le plus mystérieux de l'année, celui des Douze nuits, et aussi des fêtes de la Lumière. On la protège, elle devient lumière des cavernes, lumière cachée, source de promesses. Au jardin, la première nuit de gel a ravagé les fleurs : la capucine, les dahlias, les derniers lys, les asters, les fritillaires impériales et les volubilis multicolores le long de la clôture. Seuls les chrysanthèmes persistent à fleurir, simples et multiples, en teintes diverses, et aussi des roses attardées, souvent jusqu'en décembre. Le pas froisse les feuilles jaunes des noisetiers, les feuilles de cuivre des hêtres, les feuilles lie-de-vin de la vigne vierge.
Les grives s'abattent sur le jardin, en quête des baies rouges, s'étant déjà gavées des baies noires du sureau. Elles s'élancent par vagues sur les pelouses et y traquent les vers. Les geais, eux-aussi, et les pics quittent les orées de forêts pour les jardins. Les verdiers s'agitent ; ils épluchent les petits cônes des thuyas. Le premier bouvreuil se pavane sur la barrière. Bientôt, le rouge de son vêtement brillera d'une vive lumière sur la neige.
Ce qui vient encore des fleurs a un double sens : l'adieu et le retour. (...). Le printemps place aussi ses avants-postes. Dans la forêt, la rose de Noël se somme de houppes vertes. Dans un angle de son jardin, le jardinier retourne le fumier, cependant que le brouillard dégoutte des branches. (...). Mais le lilas qui, en été, ombrageait cette place, a déjà gonflé ses bourgeons ; c'est justement ces derniers jours qu'ils ont grossi, rougeâtres. Ces runes annoncent ce qui va revenir, prophétisent les merveilles de mai. (...).
Voici les provisions engrangées ; les greniers et les caves s'emplissent des dons des champs et des jardins (...). Dans leurs trous dorment les musaraignes et les muscardins, le blaireau, le hamster ; ils ont bouché l'issue de leurs galeries et vivent sur ce qu'ils avaient emmagasiné durant l'été. La charpente de la grange abrite le sommeil du loir, et dans les hautes montagnes, la marmotte est entrée dans son long hivernage. (...).
Le mois des grisailles amène les adieux à la Nature. Dans sa suite, surviennent la tristesse, les fêtes des morts, la mélancolie. Pourtant, des puissances prophétiques sont proches, et germe une gaieté plus silencieuse et plus secrète que celle des fêtes de la moisson et de la vendange. »
Ernst Jünger, Graffiti/Frontalières
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23/10/2016
L'œuvre de Satan
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« Il est rare que les mouvements de foule spontanés ne soient pas, en fait, plus ou moins manipulés. Et l'on imagine aussitôt une sorte de chef d'orchestre tout-puissant, grand manipulateur en chef tirant sur des milliers de ficelles dans tous les pays du monde et secondé par des solistes de génie. Il semblerait que rien n'est plus faux. Dans ce monde en proie au désordre de l'esprit, certains parmi les plus intelligents, généreux ou pernicieux, s'agitent spontanément. C'est leur façon à eux de combattre le doute et de s'échapper d'une condition humaine dont ils refusent l'équilibre séculaire. Ignorant ce que réserve l'avenir, ils s'y engagent néanmoins dans une course folle qui est une fuite en avant et, sur leur chemin, font sauter toutes les voies de repli, celles de la pensée, évidemment. Ils tirent chacun les propres ficelles liées aux lobes de leurs cerveaux et c'est précisément là que réside le mystère contemporain : toutes ces ficelles se rejoignent et procèdent, sans concertation, du même courant de pensée. Le monde semble soumis, non pas à un chef d'orchestre identifié, mais à une nouvelle bête apocalyptique, une sorte de monstre anonyme doué d'ubiquité et qui se serait juré, dans un premier temps, la destruction de l'Occident. La bête n'a pas de plan précis. Elle saisit les occasions qui s'offrent, la foule massée au bord du Gange n'étant que la dernière occasion en date et sans doute la plus riche de conséquences. Peut-être est-elle d'origine divine, plus certainement démoniaque ? Ce phénomène peu vraisemblable, né il y a plus de deux siècles, a été analysé par Dostoïevski. Il l'a été aussi par Péguy, sous d'autres formes, dans sa dénonciation du "parti intellectuel". Et encore par l'un de nos précédents papes, Paul VI, ouvrant enfin les yeux au déclin de son pontificat et reconnaissant l'œuvre de Satan. Rien n'arrête la bête. Chacun le sait. Ce qui engendre, chez les initiés, le triomphalisme de la pensée, tandis que ceux qui luttent encore en eux-mêmes sont saisis par l'inutilité du combat. Archange déchu, Ballan reconnut aussitôt les serviteurs de la bête et leur offrit ses services. C'est aussi une explication. »
Jean Raspail, Le camp des saints
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Il reste aux hommes à jouir dans l’instant de leur irresponsabilité
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« Pour apprécier à sa juste valeur la part du gauchisme dans la création du novhomme et dans la réquisition de la vie intérieure, il suffit de se souvenir qu’il s’est caractérisé par le dénigrement des qualités humaines et des formes de conscience liées au sentiment d’une continuité cumulative dans le temps (mémoire, opiniâtreté, fidélité, responsabilité, etc.) ; par l’éloge, dans son jargon publicitaire de "passions" et de "dépassements", des nouvelles aptitudes permises et exigées par une existence vouée à l’immédiat (individualisme, hédonisme, vitalité opportuniste) ; et enfin par l’élaboration des représentations compensatrices dont ce temps invertébré créait un besoin accru (du narcissisme de la "subjectivité" à l’intensité vide du "jeu" et de la "fête"). Puisque le temps social, historique, a été confisqué par les machines, qui stockent passé et avenir dans leurs mémoires et scénarios prospectifs, il reste aux hommes à jouir dans l’instant de leur irresponsabilité, de leur superfluité, à la façon de ce qu’on peut éprouver, en se détruisant plus expéditivement, sous l’emprise de ces drogues que le gauchisme ne s’est pas fait faute de louer.
La liberté vide revendiquée à grand renfort de slogans enthousiastes était bien ce qui reste aux individus quand la production de leurs conditions d’existence leur a définitivement échappé : ramasser les rognures de temps tombées de la mégamachine. Elle est réalisée dans l’anomie et la vacuité électrisée des foules de l’abîme, pour lesquelles la mort ne signifie rien, et la vie pas davantage, qui n’ont rien à perdre, mais non plus rien à gagner. »
Jaime Semprun, L'Abîme se repeuple
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Perfectionnements techniques
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« Parmi les choses que les gens n'ont pas envie d'entendre, qu'ils ne veulent pas voir alors même qu'elles s'étalent sous leurs yeux, il y a celles-ci : que tous ces perfectionnements techniques, qui leur ont si bien simplifié la vie qu'il n'y reste presque plus rien de vivant, agencent quelque chose qui n'est déjà plus une civilisation ; que la barbarie jaillit comme de source de cette vie simplifiée, mécanisée, sans esprit ; et que parmi tous les résultats terrifiants de cette expérience de déshumanisation à laquelle ils se sont prêtés de si bon gré, le plus terrifiant est encore leur progéniture, parce que c'est celui qui en somme ratifie tous les autres. C'est pourquoi, quand le citoyen-écologiste prétend poser la question la plus dérangeante en demandant : "Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ?" il évite de poser cette autre question, réellement inquiétante : "À quels enfants allons-nous laisser le monde ?" »
Jaime Semprun, L'Abîme se repeuple
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La Gauche est un incendie qui dévore et consume sombrement...
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« Jubilation. Les vrais amateurs de traditions sont ceux qui ne les prennent pas au sérieux et se marrent en marchant au casse-pipe, parce qu’ils savent qu’ils vont mourir pour quelque chose d’impalpable jailli de leurs fantasmes, à mi-chemin entre l’humour et le radotage. Peut-être est-ce un peu plus subtil : le fantasme cache une pudeur d’homme bien né qui ne veut pas se donner le ridicule de se battre pour une idée, alors il l’habille de sonneries déchirantes, de mots creux, de dorures inutiles, et se permet la joie suprême d’un sacrifice pour carnaval. C’est ce que la Gauche n’a jamais compris et c’est pourquoi elle n’est que dérision haineuse. Quand elle crache sur le drapeau, pisse sur la flamme du souvenir, ricane au passage des vieux schnoques à béret et crie "woman’s lib !" à la sortie des mariages en blanc, pour ne citer que des actions élémentaires, elle le fait d’une façon épouvantablement sérieuse, "conne" dirait-elle si elle pouvait se juger. La vraie Droite n’est pas sérieuse. C’est pourquoi la Gauche la hait, un peu comme un bourreau haïrait un supplicié qui rit et se moque avant de mourir. La Gauche est un incendie qui dévore et consume sombrement. En dépit des apparences, ses fêtes sont aussi sinistres qu’un défilé de pantins à Nuremberg ou Pékin. La Droite est une flamme instable qui danse gaiement, feu follet dans la ténébreuse forêt calcinée. »
Jean Raspail, Le camp des saints
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16/10/2016
L’homme européen ne se trouve pas éminemment en Europe, ou n’y est pas éveillé. Il est, paradoxe et scandale, en Israël...
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et
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« L’homme européen ne se trouve pas éminemment en Europe, ou n’y est pas éveillé. Il est, paradoxe et scandale, en Israël […] En quoi, pourquoi Israël est-il l’Europe ? Certes par l’origine de ceux qui ont bâti son État, imposé les conditions du rassemblement de son peuple. Mais cela ne suffirait pas, si l’Europe historique, d’où étaient revenus ces revenants, n’avait été elle-même modelée sur l’histoire du peuple hébreu, n’avait repris la mission du peuple de Dieu dans une "chrétienté". La couronne du Saint Empire portait l’effigie de David et celle de Salomon, la politique de nos rois en France – avant Bossuet, de l’aveu même de Machiavel – était "tirée de l’écriture sainte", et les nations, jusque dans l’hérésie jacobine et révolutionnaire, imitaient un dialogue immortel entre la naissance et l’obéissance au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. [1]
L’échec final de la Chrétienté en Europe, et de sa "mission" sur les autres continents, rendant apparemment vaine la diaspora, la dispersion du peuple juif, permettant à de modernes empires de prétendre que la croix elle-même avait été vaine, restituait nécessairement aux Juifs leur charge originelle, l’idée de cette charge, transformée par l’aventure de vingt siècles. Échec déjà évident autour de la première guerre mondiale qui justifia la première entreprise sioniste, mais combien plus éclatant et terrible avec la seconde et l’entreprise démoniaque du germanisme hitlérien. Toute l’Europe en fut victime, mais nul peuple, nulle communauté comme les Juifs ; s’ils avaient espéré que l’échec du Christ et de la Chrétienté les libérerait, les assimilerait, si les "libéraux" ou "révolutionnaires", parmi eux avaient contribué puissamment à cet échec selon le monde, bref s’ils étaient souvent restés "Juifs charnels" selon Saint Paul, à mesure que les chrétiens le devenaient, l’atroce massacre désabusait à jamais les survivants, autant que les chrétiens antisémites : la croix gammée avait bien élevé sa prétention abominable contre la croix du Christ, et c’est d’un même Dieu, le Dieu judéo-chrétien qu’elle avait proclamé la mort, avec un sérieux pratique supérieur à toutes les mythologies du marxisme ou de l’existentialisme athées.
La création de l’État d’Israël fut la seule rançon, la seule création positive répondant à l’horreur infinie de la seconde guerre mondiale. Cette guerre finalement "victorieuse", libérant quelques-unes des nations opprimées, consacrant ou renouvelant la servitude de beaucoup d’autres, n’a symboliquement et directement produit que cette liberté-là. Elle a donné aux "Européens" qui avaient le plus souffert de l’entreprise contre ce qui restait de la Chrétienté (paradoxalement aux Juifs qui, dispersés, étaient, dans la vraie conception du monde ancien, une part significative de cette Chrétienté, même quand ils étaient persécutés par elle), le droit à exister comme État et dans l’histoire.
Oui l’Europe qui avait, par la première guerre mondiale, perdu sa primauté réelle, devait, par la seconde, en perdre jusqu’aux restes et aux apparences. Et les perdre au profit de deux images d’elle-même accomplies en cauchemar, des deux puissances issues de deux "diasporaï" de l’ancienne Chrétienté, celle des "pères fondateurs" de l’Amérique, pèlerins du Mayflower, et celle des prophètes de la révolution accomplissant, ou abolissant, leur rêve dans la nouvelle Russie.
Quelque puissance limitée, au niveau des nations, et quelque ferment de son ancienne grandeur selon l’esprit, lui restaient ; mais non comme Europe, et nullement comme effet de la "victoire". L’unique nouveauté qui eût son visage, qui ressemblât à ses douleurs, qui réunît ses espérances, ce fut Israël. L’extraordinaire (hors d’un ordre chrétien qui n’avait pas réussi à modeler l’histoire, mais fidèle à l’origine même de cet ordre) n’était pas demeuré impossible. Et les chrétiens de nos antiques nations ne pouvaient voir en ce retour une contradiction à leur espérance en la conversion finale du dernier Juif, qui doit précéder la "parousie" : d’abord parce que l’État d’Israël ne rassemblerait jamais tous les Juifs ; ensuite parce que la nature fondamentalement théocratique de cet État, son enracinement dans le sacré, en dépit de toutes les grimaces laïques et démocratiques, constituaient par eux-mêmes une sorte de "conversion", et une promesse de retour à la source première, où la naissance et le Christ ne s’opposent pas, mais fondent ensemble la "nation", pour les autres peuples enracinés dans l’histoire chrétienne. »
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[1] : « L’homme européen ne se trouve pas éminemment en Europe, ou n’y est pas éveillé. Il est, paradoxe et scandale, en Israël. » : « Cette proposition, elle-même “scandaleuse”, ne surprendra pas ceux qui nous lisent depuis douze ans » – écrivait encore Boutang dans le numéro 598 de "La Nation Française" – « je l’ai développée l’autre mercredi (N°597 du 25 mai 1967), mais elle n’a cessé de mûrir en nous depuis longtemps, malgré les réticences et les préjugés. L’événement de l’automne 1956 et ses suites avaient permis de la pressentir. La répétition tragique d’aujourd’hui en apporte la preuve » (1er juin 1967, à la veille de la guerre des Six Jours).
On venait de célébrer le dixième anniversaire du traité de Rome, et Boutang ne croyait guère aux acquis de cette Europe-là : « Rien, absolument rien, ne permet de dire qu’au cours de cette décennie, l’homme “européen” aura fondé ou esquissé un avenir, qu’il aura mieux compris sa destinée. Il y a même de fortes raisons pour supposer le contraire. Et la première, la plus tragique, risque d’être l’attitude de l’ "homo europæus" en face d’Israël et de la menace d’aujourd’hui. »
Pierre Boutang avait fondé l’hebdomadaire "La Nation Française" en 1955, avec Michel Vivier, et il en fut le directeur politique et le ponctuel chroniqueur jusqu’à son six cent quatrième et dernier numéro (13 juillet 1967).
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Pierre Boutang, La guerre de six jours
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Ce châtiment mystérieux, ce signe de contradiction ineffable
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« La raison d'être de la "nation arabe" c'est la destruction d'Israël. Sans ce mythe elle n'est rien... il n'y a pas entre la "nation arabe" et Israël de "logique" du rapport de leurs forces, mais une dialectique, selon laquelle cette nation arabe ne vit que de l'image de la mort de l'autre. »
« La décadence et les crimes de notre Europe anciennement chrétienne ont conduit à ce châtiment mystérieux, ce signe de contradiction ineffable comme tout ce qui tient à Israël : nous Chrétiens, en un sens, avec nos nations cruellement renégates, avons pris le rang des Juifs de la diaspora, sommes devenus plus "Juifs charnels" qu’eux ; et le jeune et vieil État d’Israël a pris la place de la monarchie franque de Jérusalem. N’oublions pas que cette monarchie, dès le premier Baudouin, comte de Boulogne, se référa spontanément à la monarchie du livre des rois, à David et à Salomon. N’oublions pas surtout qu’elle se constitua contre la fausse internationalisation (contre une principauté cléricale qui eût été emportée par le premier rezzou ) ; mais qu’elle s’inscrivit dans le pays islamisé, noua des alliances, se fit reconnaître par ses voisins arabes. »
Pierre Boutang, La guerre de six jours
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25/09/2016
Le Temps sacré
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« Le Temps sacré est par sa nature même réversible, dans le sens qu’il est, à proprement parler, un Temps mythique primordial rendu présent. Toute fête religieuse, tout Temps liturgique, consiste dans la réactualisation d’un événement sacré qui a eu lieu dans un passé mythique, "au commencement". Participer religieusement à une fête implique que l’on sort de la durée temporelle "ordinaire" pour réintégrer le Temps mythique réactualisé par la fête même. Le Temps sacré est par suite indéfiniment récupérable, indéfiniment répétable. D’un certain point de vue, on pourrait dire de lui qu’il ne "coule" pas, qu’il ne constitue pas une "durée" irréversible. C’est un Temps ontologique par excellence, "parménidien" : toujours égal à lui-même, il ne change ni ne s’épuise. »
Mircea Eliade, Le sacré et le profane
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12/09/2016
Les pôles opposés de l'être et du néant
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« La nature de cet humanisme qui, en d'autres temps, se présentait si pur et si élevé, est mise à nu et démasquée. Si Dieu n'est pas, alors l'homme n'est pas non plus, voilà ce que notre temps découvre de façon expérimentale. La nature du socialisme est mise à nu et démasquée, ses limites dernières sont manifestes ; de même, est mis à nu et démasqué le fait que l’irréligion, la neutralité religieuse n'existent pas, qu'à la religion du Dieu Vivant est seulement opposée la religion du diable, qu'à la religion du Christ est seulement opposée la religion de l'Antéchrist, le royaume de l'humanisme neutre qui voulait s'installer dans la sphère moyenne, entre ciel et enfer, se décompose, et alors se découvre l'abîme supérieur et inférieur. Au Dieu-Homme est opposé non pas l'homme du royaume neutre et moyen, mais l'homme-dieu, l'homme qui s'est mis lui-même à la place de Dieu. Les pôles opposés de l'être et du néant se découvrent. »
Nicolas Berdiaev, Un nouveau Moyen Âge
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Summer Reading...
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Relâcher et briser tous les liens qui attachent l’homme à sa terre
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« On s’attache comme à plaisir à relâcher, à briser tous les liens qui attachent aujourd’hui l’enfant, et demain l’homme, à sa terre. Leur langue maternelle, ils ne la parlent plus. On leur apprend à la mépriser. Ce faisant, on ne s’aperçoit pas que ce ne sont pas les mots qu’on détruit, mais des affections vivaces et des manières profondes de sentir. »
Maurice Barrès, La colline inspirée
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