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05/04/2017

L'image agréable d'un bazar universel

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« Je pense que nous sommes beaucoup de gens à nous demander ainsi si la démocratie a un avenir.

Les Américains voient beaucoup moins l'avenir en rose qu'autrefois, et à bon droit. Le déclin de l'activité industrielle et la perte d'emplois qui en résulte ; le recul de la classe moyenne ; l'augmentation du nombre des pauvres ; le taux de criminalité qui monte en flèche ; le trafic de stupéfiants en plein essor ; la crise urbaine - on n'en finirait pas de peindre le tableau le plus noir. Personne n'a de solution vraisemblable à apporter à ces problèmes inextricables, et pour l'essentiel ce qui tient lieu chez nous de débat politique ne s'y intéresse même pas. On assiste à des batailles idéologiques furieuses sur des questions annexes. Les élites qui définissent ces questions ont perdu tout contact avec le peuple. Le caractère irréel et artificiel de notre vie politique reflète à quel point elle s'est détachée de la vie ordinaire, en même temps que la conviction secrète que les vrais problèmes sont insolubles. (...) Il y a toujours eu une classe privilégiée, mais elle n'a jamais été aussi dangereusement isolée de son environnement. (...)

Les ambitieux comprennent donc que le prix à payer pour l'ascension sociale est un mode de vie itinérant. C'est un prix qu'ils sont heureux de payer puisqu'ils associent l'idée de domicile fixe aux parents et aux voisins inquisiteurs, aux commérages mesquins et aux conventions hypocrites et rétrogrades. Les nouvelles élites sont en rébellion contre l' "Amérique du milieu" telle qu'elles se l'imaginent : une nation technologiquement arriérée, politiquement réactionnaire, répressive dans sa morale sexuelle, petite-bourgeoise dans ses goûts, repue et contente d'elle-même, ennuyeuse et ringarde. (...) On peut se demander s'ils se sentent encore Américains. Il est clair en tout cas que le patriotisme ne se situe pas très haut dans leur échelle de valeurs. D'un autre côté, le "multiculturalisme" leur convient parfaitement, car il évoque pour eux l'image agréable d'un bazar universel, où l'on peut jouir de façon indiscriminée de l'exotisme des cuisines, des styles vestimentaires, des musiques et de coutumes tribales du monde entier, le tout sans formalités inutiles et sans qu'il soit besoin de s'engager sérieusement dans telle ou telle voie. Les nouvelles élites sociales ne se sentent chez elles qu'en transit, sur le chemin d'une conférence de haut niveau, de l'inauguration de gale d'un nouveau magasin franchisé, de l'ouverture d'un festival international de cinéma, ou d'une station touristique encore vierge. Leur vision du monde est essentiellement celle d'un touriste - perspective qui a peu de chances d'encourager un amour passionné pour la démocratie. (...)

La démocratie demande un échange vigoureux d'idées et d'opinions. Comme la propriété, les idées doivent être distribuées aussi largement que possible. Pourtant, bon nombre des "gens de bien", selon l'idée qu'ils se font d'eux-mêmes, ont toujours été sceptiques quant à la capacité des citoyens ordinaires à saisir des problèmes complexes et à produire des jugements critiques. (...) Le journalisme a été façonné par des réserves assez semblables sur les facultés de raisonnement des femmes et des hommes ordinaires. (...) Ce qui nous rappelle que c'est le débat lui-même, et le débat seul, qui donne naissance au désir d'informations utilisables. En l'absence d'échange démocratique, la plupart des gens n'ont aucun stimulant pour les pousser à maîtriser le savoir qui ferait d'eux des citoyens capables. (...) Une fois que l'on a déclaré que savoir et idéologie étaient équivalents, il n'est plus nécessaire de débattre avec vos adversaires sur un terrain intellectuel ou d'entrer dans leur manière de voir. Il suffit de les diaboliser comme étant eurocentriques, racistes, sexistes, homophobes - autrement dit, politiquement suspect. (...)

Nous sommes devenus une nation de minorités ; il ne manque que leur reconnaissance officielle en tant que telles pour achever le processus. Cette parodie de "communauté" - terme fort à la mode mais qui n'est pas très bien compris - charrie avec elle le postulat insidieux selon lequel on peut attendre de tous les membres d'un groupe donné qu'ils pensent de la même manière. L'opinion devient ainsi fonction de l'identité raciale ou ethnique, du sexe ou de la préférence sexuelle. Des "porte-parole" auto-désignés de la minorité appliquent ce conformisme en frappant d'ostracisme ceux qui dévient de la ligne du parti - par exemple ces noirs qui pensent "blanc". Combien de temps encore l'esprit de libre examen et de débat ouvert peut-il survivre dans de telles conditions ? »

Christopher Lasch, La Révolte des élites et la trahison de la démocratie

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04/04/2017

Les deux aspects d'une même imposture, l'envers et l'endroit d'un même mensonge

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« Le mot de pesimisme n'a pas plus de sens à mes yeux que le mot d'optimisme, qu'on lui oppose généralement. Ces deux mots sont presque aussi vidés par l'usage que celui de démocratie, par exemple, qui sert maintenant à tout et à tout le monde, à M. Staline comme à M. Churchill. Le pessimiste et l'optimiste s'accordent à ne pas voir les choses telles qu'elles sont. L'optimiste est un imbécile heureux, le pessimiste un imbécile malheureux. Vous pouvez très bien vous les représenter sous les traits de Laurel et Hardy. Après tout soyez justes, j'aurais bien le droit de dire que je ressemble plus au second qu'au premier... Que voulez-vous ? Je sais bien qu'il y a parmi vous des gens de très bonne foi, qui confondent l'espoir et l'optimisme. L'optimisme est un ersatz de l'espérance, dont la propagande officielle se réserve le monopole. Il approuve tout, il subit tout, il croit tout, c'est par excellence la vertu du contribuable. Lorsque le fisc l'a dépouillé même de sa chemise, le contribuable s'abonne à une Revue nudiste et déclare qu'il se promène ainsi par hygiène, qu'il ne s'est jamais mieux porté.

Neuf fois sur dix, l'optimiste est une forme sournoise de l'égoïsme, une manière de se désolidariser du malheur d'autrui. Au bout du compte, sa vraie formule serait plutôt ce fameux "après moi le déluge", dont on veut, bien à tort, que le roi Louis XV ai été l'auteur...

L'optimisme est un ersatz de l'espérance, qu'on peut rencontrer facilement partout, et même, tenez par exemple, au fond de la bouteille. Mais l'espérance se conquiert. On ne va jusqu'à l'espérance qu'à travers la vérit, au prix de grands efforts et d'une longue patience. Pour rencontrer l'espérance, il faut être allé au delà du désespoir. Quand on va jusqu'au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore.

Le péssimisme et l'optimisme ne sont à mon sens, je le dis une fois pour toutes, que les deux aspects d'une même imposture, l'envers et l'endroit d'un même mensonge. Il est vrai que l'optimisme d'un malade peut faciliter sa guérison. Mais il peut aussi bien le faire mourir, s'il l'encourage à ne pas suivre les prescriptions du médecin. Aucune forme d'optimisme n'a jamais préservé d'un tremblement de terre, et le plus grand optimiste du monde, s'il se trouve dans le champ de tir d'une mitrailleuse, — ce qui aujourd'hui peut arriver à tout le monde — est sûr d'en sortir troué comme une écumoire.

L'optimiste est une fausse espérance à l'usage des lâches et des imbéciles. L'espérance est une vertu, "virtus", une détermination héroïque de l'âme. La plus haute forme de l'espérance, c'est le désespoir surmonté.

Mais l'espoir lui-même ne saurait suffire à tout. Lorsque vous parlez de "courage optimiste", vous n'ignorez pas le sens exact de cette expression dans notre langue et qu'un "courage optimiste" ne saurait convenir qu'à des difficultés moyennes. Au lieu que si vous pensez à des circonstances capitales, l'expression qui vient naturellement à vos lèvres est celle de courage "désespéré", d'énergie "désespérée". Je dis que c'est précisément cette sorte d'énergie et de courage que le pays attend de nous. »

Georges Bernanos, La Liberté, pour quoi faire ?

 

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Une opération irréprochable du point de vue de la technique

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« Cette semaine encore, un officier, jadis déporté, me racontait le spectacle auquel il avait assisté en Allemagne, dans son camp. Deux trains chargés de soldats allemands mutilés étaient arrivés un matin. C'étaient des mutilés graves, désormais impropres à tout service social, bref, pour une raison ou une autre, jugés des bouches inutiles. On les avait rassemblés de gare en gare, accueillis chaque fois avec des fanfares, ravitaillés copieusement par la Croix-Rouge en cigarettes et en cigares. Au camp, les SS leur avaient rendu les honneurs, le commandant et l'état-major du camp assistant au garde à vous à leur défilé. Puis, sous prétexte de les rafraîchir, on les avait poussés par groupes de vingt-quatre dans la chambre à gaz, elle-même décorée de drapeaux. L'opération avait duré quatre heures. Le témoin de cette scène n'est pas loin. Quelques-uns d'entre vous ont peut-être déjà entendu le même récit. Je trouve pour ma part l'opération irréprochable du point de vue de la technique. Oh ! je sais bien, vous me direz : ce sont des Allemands ! Mais ces techniques-là sont dans l'air, puisque le principe qui les inspire et les justifie est déjà entré plus ou moins avant dans les consciences. »

Georges Bernanos, La Liberté, pour quoi faire ?

 

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03/04/2017

Comme un organisme se dévitaminise...

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« La déchristianisation de l'Europe s'est faite peu à peu. L'Europe s'est déchristianisée comme un organisme se dévitaminise. Un homme qui se dévitaminise peut garder longtemps les apparences d'une santé normale. Puis il manifeste tout à coup les symptômes les plus graves, les plus impressionnants. A ce moment-là, il ne suffit pas de lui donner ce qui lui manque pour le guérir du même coup. Certaines formes d'anémie spirituelle paraissent ausi graves que l'anémie profonde qui, en dépit de tous les soins, finissait par emporter, des mois après leur libération, les déportés de Buchenwald ou de Dachau. »

Georges Bernanos, La Liberté, pour quoi faire ?

 

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02/04/2017

L'instinct des ouvriers de Lyon

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« On répète volontiers que ce monde moderne dénoncé par Péguy est, en réalité, le monde des mécaniques, et qu'en le dénonçant à mon tour j'ai l'air de céder au même mouvement de haine aveugle qui fit jadis se ruer les ouvriers de Lyon sur la première machine à tisser. Oh ! pardon ! Haine aveugle est vite dit ! Mais si, comme on le craint, comme il est permis de le craindre avec Einstein ou Juliot-Curie, une expérience de désintégration, plus concluante que les autres, fait sauter la planète, l'instinct des ouvriers de Lyon les aura-t-il tellement trompés ? Il est vain d'objecter qu'aucune force au monde n'eût été capable d'empêcher les développement des sciences physiques et les inventions qui en furent la conséquence, comme si les machines s'étaient multipliées d'elles-mêmes, dans un climat devenu brusquement favorable, comme les bêtes. L'esprit de l'homme n'a plus su contrôler les ouvrages de ses mains, voilà plutôt ce qu'il faut dire. »

Georges Bernanos, La Liberté, pour quoi faire ?

 

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30/03/2017

Une vie tout animale

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« J'ai besoin de solitude, j'ai besoin d'espace ; j'ai besoin d'air. J'ai si peu d'énergie. J'ai besoin d'être entourée de champs nus, de sentir mes jambes arpenter les routes ; besoin de sommeil et d'une vie tout animale. Mon cerveau est trop actif. »

Virginia Woolf, Journal intégral (1915-1941)

 

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Le monde des livres serait alors le monde authentique

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« J'ai du mal à me représenter un jour sans lecture, et je me demande souvent si je n'ai pas au fond vécu en lecteur. Le monde des livres serait alors le monde authentique pour lequel le vécu ne représenterait que la confirmation espérée et cette espérance serait sans cesse déçue. »

Ernst Jünger, Soixante-dix s'efface - vol. IV (1986-1990), 1995

 

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20/03/2017

les lois sont sans vigueur, le gouvernement reconnaît son impuissance pour les faire exécuter

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« Cependant les lois sont sans vigueur, le gouvernement reconnaît son impuissance pour les faire exécuter ; les crimes les plus infâmes se multiplient de toutes parts : le démon révolutionnaire relève fièrement la tête, la constitution n'est qu'une toile d'araignée, et le pouvoir se permet d'horribles attentats. Le mariage n'est qu'une prostitution légale ; il n'y a plus d'autorité paternelle, plus d'effroi pour le crime, plus d'asile pour l'indigence. Le hideux suicide dénonce au gouvernement le désespoir des malheureux qui l'accusent. Le peuple se démoralise de la manière la plus effrayants ; et l'abolition du culte, jointe à l'absence totale d'éducation publique, prépare à la France une génération dont l'idée seule fait frissonner. »

Joseph de Maistre, Considérations sur la France - 1796

 

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18/03/2017

"EXTINCTIONS DES FEUX ! " hurlait mon père.

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« Je lus tous les livres de D.H. Lawrence. Cela m'amena à d'autres. Cela m'amena à H.D. la poétesse. Et puis à Huxley - le plus jeune, l'ami de Lawrence. Tous ces livres qui m'arrivaient dessus ! Un livre conduisait à un autre. Arriva Dos Passos. Pas très bon, non, vraiment, mais assez bon quand même. Il me fallut plus d'une journée pour avaler sa trilogie sur les U.S.A. Dreiser ne me fit rien. Mais Sherwood Anderson, alors là, si ! Et puis ce fut Hemingway. Quels frissons ! En voilà un qui savait pondre ses lignes. Quel plaisir ! Les mots n'étaient plus ternes, les mots étaient des choses qui pouvaient vous faire chantonner l'esprit. Il suffisait de les lire et de se laisser aller à leur magie pour pouvoir vivre sans douleur et garder l'espoir, quoi qu'il arrive.

Mais retour à la maison.

"EXTINCTIONS DES FEUX ! " hurlait mon père.

C'était les Russes que je lisais maintenant, Gorki et Tourgueniev. Mon père avait pour règle que toutes les lumières devaient être éteintes à huit heures du soir : il voulait pouvoir dormir pour être frais et dispo au boulot le lendemain. A la maison il ne parlait que de ça. Il en causait à ma mère dès l'instant où il franchissait la porte et jusqu'au moment où ils s'endormaient enfin. Il était fermement décidé à monter dans la hiérarchie.

"Bon alors, maintenant, ça suffit, ces putains de bouquins ! Extinction des feux !"

Pour moi, tous ces types qui débarquaient dans ma vie du fin fond de nulle part étaient la seule chance que j'avais d'en sortir. C'étaient les seuls qui savaient me parler.

"D'accord ! D'accord !" lui répondais-je.

Après quoi, je prenais la lampe de chevet, me faufilait sous la couverture, y ramenais l'oreiller et continuais de lire mes dernières acquisitions en les appuyant contre l'oreiller, là, en plein sous la couvrante. Au bout d'un moment, la lampe se mettait à chauffer, ça devenait étouffant et j'avais du mal à respirer. Je soulevais la couverture pour reprendre un bol d'air.

"Mais qu'est-ce qui se passe ? Ca serait-y que je verrais de la lumière ? Henry, tu m'éteins tout ça !"

Je rabaissais la couverture à toute vitesse et attendais le moment où mon père se mettait à ronfler.

Tourgueniev était un mec très sérieux mais qui arrivait à me faire rire parce qu'une vérité sur laquelle on tombe pour la première fois, c'est souvent très amusant. Quand en plus la vérité du monsieur est la même que la vôtre et qu'il vous donne l'impression d'être en train de la dire à votre place, ça devient génial. Je lisais mes livres la nuit, comme ça, sous la couverture et à la lumière d'une lampe qui chauffait. Tous ces bons passages, je les lisais en suffoquant. Pure magie. »

Charles Bukowski, Souvenirs d'un pas grand-chose

 

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17/03/2017

Un très curieux suicide

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« Notre société se prépare un très curieux suicide : elle est trop lâche pour se battre sur les fronts où on l'attaque et elle délègue à la défense de ses bastions, en un combat qu'elle renie secrètement, les derniers de ses fils qu'elle n'a pas contaminés. Elle les couvre de breloques, elle leur bâtit une légende en même temps qu'elle négocie en tapinois leur abandon. »

Michel Déon, Les poneys sauvages

 

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Trouver un endroit où me cacher, un endroit où il n'était pas obligatoire de faire quoi que ce soit

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« La route que j'avais devant moi, j'aurais presque pu la voir. J'étais pauvre et j'allais le rester. L'argent, je n'en avais pas particulièrement envie. Je ne savais pas ce que je voulais. Si, je le savais. Je voulais trouver un endroit où me cacher, un endroit où il n'était pas obligatoire de faire quoi que ce soit. L'idée d'être quelque chose m'atterrait. Pire, elle me donnait envie de vomir. Devenir avocat, conseiller, ingénieur ou quelque chose d'approchant me semblait impossible. Se marier, avoir des enfants, se faire coincer dans une structure familiale, aller au boulot tous les jours et en revenir, non. Tout cela était impossible. Faire des trucs, des trucs simples, prendre part à un pique-nique en famille, être là pour la Noël, pour la Fête nationale, pour la Fête des Mères, pour... les gens ne naissaient-ils donc que pour supporter ce genre de choses et puis mourir ? »

Charles Bukowski, Souvenirs d'un pas grand-chose

 

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16/03/2017

Avenir bouché...

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« Quant à ma vie, elle était toujours aussi lamentable qu'au jour de ma naissance. Une seule chose avait changé : maintenant, et ce n'était jamais assez souvent, je pouvais boire de temps en temps. Boire était la seule chose qui permettait de ne pas se sentir à jamais perdu et inutile. Tout le reste n'était qu'ennuis qui ne cessaient de vous démolir petit à petit. Sans compter qu'il n'y avait rien, mais alors ce qui s'appelle rien d'intéressant dans l'existence. Les gens vivaient en-deçà d'eux-mêmes, les gens étaient prudents, les gens étaient tous pareils. "Et dire qu'il va falloir continuer à vivre avec tous ces connards jusqu'au bout", pensais-je (...).

Il était évident que je ne serais jamais capable de me marier et d'avoir des enfants. Et pourquoi l'aurait-il fallu alors que je n'étais même pas foutu de me trouver un boulot de plongeur dans un restaurant ?

Mais peut-être que je serais pilleur de banques ! Un truc d'enfer ! Quelque chose qui auraut du panache, de la gueule. On ne tentait sa chance qu'une fois. Pourquoi être laveur de vitres ?

J'allumai une cigarette et continuai de descendre la colline. Etais-je donc la seule personne que cet avenir bouché rendait fou ? »

Charles Bukowski, Souvenirs d'un pas grand-chose

 

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03/03/2017

Devant la vraie vie, ils ne sont que des nains...

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« (22 septembre 1945)

Ils ne connaissent ni les mythes grecs ni l’éthique chrétienne ni les moralistes français ni la métaphysique allemande ni la poésie de tous les poètes du monde. Devant la vraie vie, ils ne sont que des nains. Mais ce sont des Goliaths techniciens – donc des géants dans toute œuvre de destruction, où se dissimule finalement leur mission, qu’ils ignorent en tant que telle. Ils sont d’une clarté et d’une précision inhabituelles dans tout ce qui est mécanique. Ils sont déroutés, rabougris, noyés dans tout ce qui est beauté et amour. Ils sont titans et cyclopes, esprits de l’obscurité, négateurs et ennemis de toutes forces créatrices. Eux qui peuvent réduire à rien des millions d’années (de cristallisation organique, ndt) par quelques maigres efforts, sans laisser aucune œuvre derrière eux qui puisse égaler le moindre brin d’herbe, le moindre grain de blé, la plus modeste aile de moustique. Ils sont loin des poèmes, du vin, du rêve, des jeux, empêtrés sans espoir dans des doctrines fallacieuses, énoncées à la façon des instituteurs prétentieux. Néanmoins, ils ont leur mission à accomplir. »

Ernst Jünger, Journal

 

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24/02/2017

Nous regrettons tout

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« Le passé est toujours beau et tendre et on le regrette, on s’en aperçoit trop tard. Il nous faut une certaine perspective, cela n’a pas d’importance que l’on soit ministre ou gratte-papier, milliardaire ou clochard. Mais oui, mais oui, le monde ensoleillé nous l’avons en nous mêmes, la joie pourrait éclater à tout instant continuellement, si on savait, je veux dire si on savait à temps. Qu’elle est belle la laideur, quelle est joyeuse la tristesse, comme l’ennui n’est dû qu’à notre ignorance ! Le froid le plus glacial ne peut résister à la chaleur du coeur. A condition de savoir sur quel bouton appuyer pour qu’elle s’allume. En somme nous regrettons tout, cela prouve bien que ce fut beau. »

Eugène Ionesco, Le solitaire

 

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23/02/2017

On n’a donc pas de mérite particulier à faire bouger les choses, car elles bougent toutes seules...

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« Le changement, autrement dit, a changé de place et de nature. Le progrès n’est plus un arrachement à la tradition, il est notre tradition même. Il ne résulte plus d’une décision, il vit sa vie, automatique et autonome. Il n’est plus maîtrisé, il est irrépressible. Il n’est pas prométhéen, il est destinal. On n’a donc pas de mérite particulier à faire bouger les choses, car elles bougent toutes seules. Dans un monde voué au mouvement et à l’innovation permanente, innover vraiment serait ralentir, agir contre l’ordre établi, ce serait faire un pas de côté, la subversion et la transgression consisteraient non plus à continuer tête baissée mais à regarder le paysage, le parti du changement serait celui de la préservation et, comme le disait Benjamin, seule l’interruption des processus en cours mériterait le nom de révolution.
Mais qui parle aujourd’hui d’interrompre ? Qui lève la tête ou le pied, qui secoue la routine de la puissance et l’inertie de l’activisme ? »

Alain Finkielkraut, L'ingratitude

 

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19/02/2017

Nos vies sont terriblement courtes...

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« Nos vies sont terriblement courtes et ne nous laissent pas le temps d'achever une seule phrase. Car ce balbutiement est une brume d'illusion, recommencée sans cesse au même point pour se perdre, chaque fois, dans la brume indécise, c'est le langage des hommes ; il n'y a pas autre chose à en dire. Mais arracher la phrase tout entière à cet au-delà de nous-mêmes pour venir, comme un trophée, la déposer parmi nous : la phrase entière, vous entendez ! Voilà le travail des poètes. Au milieu de l'indifférence et pour la consolation de tous. Il n'y a pas autre chose à en dire. Mais si la mort en foule de tous les hommes complète à mesure la grande tapisserie, la mort de l'un de ces singuliers phraseurs y laisse un trou irréparable : un trou d'ombre par où s'engouffre éternellement le dangereux torrent de l'air qui fait communiquer les lieux hauts et les lieux bas ; la respiration du ciel et la respiration de l'enfer. »

Armel Guerne, Le verbe nu

 

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17/02/2017

Orphelin de toute grâce, veuf de toute vertu, de toute force, de tout élan

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« Pour courir sur celui du mouvement, et, s'y précipitant, s'être précépité : le monde a perdu le sens de la vie. Aussi a-t-il perdu le goût de la mort et meurt-il sans savoir, impersonnellement, orphelin de toute grâce, veuf de toute vertu, de toute force, de tout élan. Flétri dans son bourgeon. Il s'agite comme un forcené ; il gesticule comme un démon ; mais il est mort. Et dans les mâchoires de son agonie, il ne la reconnaît même pas !

Or, le niveau de l'enfer ne cesse de monter ; vous savez bien : ce lieu ignoble où la tiédeur fermente, où brûlent tous les froids ; et déjà : il ferait seul les splendeurs de la terre avec ses monstres mous, bêtes sans souffle, hideusement voraces -- n'était cette ultime respiration que les silencieux et les graves, par la prière et par le chant, crucifiés et agonisants maintiennent le monde. Ils le font silencieusement, par leur silence même, avec douleur et n'en pouvant plus, gémissants et hagards, ces quelques hommes qui agonisent pour le monde entier, ces voyants qui le voient périr et qui espèrent encore, malgré tout, lui conquérir au moins une mort, sa mort, au lieu de le laisser pourrir sur pied pour la plus grande gloire des imbéciles.

L'enfer est déjà parmi nous, je le répète, il affleure partout. A force de tomber, le monde est parvenu un jour à l'étage de l'immonde. Nous y voici. Les polices, les armées dans notre monde fracassant et bientôt fracassé, ce ne sont plus les anges de la mort -- ce qui serait trop peu dire -- ce sont les miliciens du néant, les faiseurs de trous. Politiciens, philosophes, penseurs, à votre santé ! »

Armel Guerne, Le verbe nu

 

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16/02/2017

La civilisation occidentale, avec ou sans la foi, est une civilisation chrétienne

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« Que l'Occident soit à l'occident, et que l'Orient soit à l'orient, c'est une vérité dans l'esprit, qui ne s'arrête pas à la seule géographie. Chacun y est chez soi, tout au bout d'une civilisation qui a cheminé et qui chemine encore d'un autre pas, et qui ne peut atteindre au même point qu'en marchant dans un autre sens.
La civilisation occidentale, avec ou sans la foi, est une civilisation chrétienne beaucoup plus qu'on ne croit : nos molécules sont chrétiennes, nos forêts, nos paysages, nos arts, nos sentiments, nos crimes, même, sont chrétiens par-delà toutes les convictions religieuses. Tout ce que nous faisons ou ne faisons pas reste et demeure pétri, ne s'agitant jamais ailleurs que dans les mailles de ce filet que les siècles ont tissé entre le ciel et la terre. »

Armel Guerne, Le verbe nu

 

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14/02/2017

La déportation universelle

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« Au mystère de la vie, que nous partageons avec toutes les créatures autour de nous, et aux mystères du langage et de l’écriture, qui nous en distinguent, serions-nous devenus si monstrueusement étrangers, que nous en usions sans plus savoir seulement qu’ils existent ? Notre époque est évidemment tombée très bas dans le simulacre, et notre temps se signale entre tous les temps par sa gesticulation insensée, son vacarme et le poids accablant de sa machinerie. Et pourtant, oui, elle se signale aussi par une angoisse sourde, un sang serré, une sève contrite, comme si toute la nature avec nous gémissait silencieusement dans l’ombre d’une certaine joie perdue. Qu’est-ce à dire ? sinon que notre pauvre humanité, pour s’être un peu trop cherchée depuis un siècle ou deux, s’est beaucoup trop trouvée, hélas ! enjambant dans sa hâte les distances et les différences, gagnant furieusement du temps sur le temps qui passe, envahissant d’autres espaces que son espace, et n’ayant en commun, finalement, qu’une épouvante inavouée et féroce, une sorte de halètement d’agonie où l’on peut voir déjà la vie, dans son indifférence, ne plus se modeler que sur les figures pâles de la mort, et la mort ; plus atrocement, singer tout le vocabulaire et les figures de la vie. Le mauvais rêve se poursuit, dont plus personne n’aura bientôt la force même de vouloir sortir, tant la tristesse et la lassitude, qui sont toujours le fruit des mauvais calculs qu’on ne peut pas reprendre, trahissent la déspiritualisation des corps : des corps qui s’ennuient dans toutes les langues du monde, et qui s’en vont de moins en moins à la recherche de quelque chose, n’importe quoi, qui puisse remplacer leurs âmes si terriblement absentes. Bientôt, c’est aujourd’hui déjà, les hommes ne sauront même plus que leurs âmes leur manquent. Robots : voilà le confort, que d’aucuns, déjà, préconisent ; n’être plus qu’une viande forte, c’est l’idéal des grandes nations.

L’esprit, néanmoins, ne meurt pas aussi vite et ne se résigne pas, pour autant, à la déportation universelle. On a beau le chasser : il revient. C’est là le propre des esprits. Sous forme d’inquiétude dans l’abêtissement, sous forme d’angoisse dans le confort, sous forme de silence, tragique tout à voup dans le fracas, car il ouvre sur l’immensité, sur l’antérieur et le futur, alors que le présent, pour vivre seul ainsi qu’il le prétend, doit se serrer sur soi, se concentrer sur son actualité la plus infime, et surtout ne jamais ouvrir les yeux sur rien de tout ce qui l’entoure. Entre un passé qui s’allonge sans cesse, et s’alourdit, devant un avenir qui s’écourte sans cesse, et s’amincit, ce rien qui court, cette bulle d’air chassée, où les hommes sont pris, voici qu’elle se retourne contre l’un et l’autre pour s’affirmer, hurler et se prouver que l’existence est là. »

Armel Guerne, Le verbe nu

 

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05/02/2017

Théorie du Genre, la Papesse déboulonnée

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et

 

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 Publié dans Le Point n°: 2315, du 12 Janvier 2017

 


Sabine Prokhoris

Pilori. Un Livre démonte l'oeuvre de la philosophe américaine Judith Butler, pourtant célébrée pour ses travaux sur les minorités.

Avec son ouvrage phare, Trouble dans le genre, publié en 1990 aux Etats-Unis et traduit pour la première fois en France en 2005, la philosophe américaine Judith Butler est devenue la représentante la plus connue et la plus subversive des gender studies, ce courant des sciences humaines qui vise à distinguer le sexe physiologique de l’identité sociale et psychique. Elle-même lesbienne militante, la chercheuse récuse la norme biologique et invite à s’interroger sur les comportements sexuels marginaux — transgenre, transsexualisme, bisexualité, travestisme — pour mieux bousculer l’ordre hétérosexuel supposé culturellement établi. Epouvantail de La Manif pour tous, mais largement célébrée par une certaine gauche non seulement pour son travail sur le genre mais aussi pour sa défense résolument antiuniversaliste de toutes les minorités, Butler est, en France, une figure incontournable dont on débat des options de fond mais rarement de la légitimité intellectuelle. Or la psychanalyste et philosophe Sabine Prokhoris, qui a lu attentivement la prolifique œuvre butlérienne, ose aujourd’hui dénoncer une imposture. Dans un ouvrage extrêmement critique, Au bon plaisir des « docteurs graves » (PUF), elle relève les approximations, raisonnements tautologiques, contresens et fausses citations qui jalonnent, selon elle, les ouvrages de Judith Butler et s’interroge sur leur réception fascinée en France. Les défenseurs enamourés de la philosophe américaine l’ont-ils vraiment lue ? Interview.

Le Point : Comment vous-êtes-vous intéressée à Judith Butler ?

Sabine Prokhoris : Ayant travaillé sur les mêmes questions et connaissant ses positions sur les droits LGBT, j’avais un a priori plutôt favorable. J’avais déjà lu, plus ou moins attentivement, la plupart de ses ouvrages, mais je dois dire qu’ils ne m’avaient guère convaincue. Et puis j’ai découvert sa tribune publiée dans Libération au lendemain des attentats du 13 novembre (« Une liberté attaquée par l’ennemi et restreinte par l’État » - Libération, 19 novembre 2015), et j’ai senti monter alors une forte colère, mêlée de consternation intellectuelle. Traiter du deuil collectif que nous étions en train de vivre comme elle le faisait — en le soupçonnant d’exprimer un partage entre les vies « dignes d’être pleurées » (les nôtres, ici, en Occident) et celles qui ne les seraient pas, en assénant des absurdités sur les bénéfices que les Parisiens auraient tirés ce soir-là de leur soumission supposée à l’état d’urgence —, j’ai trouvé cela obscène et stupide. Or j’ai eu le sentiment que ce qu’elle disait là n’était pas un accident, mais résonnait au contraire avec l’ensemble de ses travaux. Il m’a donc semblé nécessaire d’aller y voir de plus près. D’où ce travail, qui fut très ingrat à mener.

Le Point : Pourquoi ?

Sabine Prokhoris : Parce qu’elle est le plus souvent illisible, qu’elle jargonne en permanence, et je pense que beaucoup de gens, lisant Judit Butler, en concluent qu’ils sont trop bêtes pour comprendre, alors que sa prose est réellement absconse. Cela fait partie du tour de passe-passe : vous ne saisissez pas, c’est donc que tout cela est très intelligent. Et surtout parce que ses raisonnements théoriques sont précieux, donc compliqués à suivre. Mais elle est le chevalier blanc des « minorités » la cible de la droite conservatrice. La Manif pour tous en tête, et cela semble lui conférer une légitimité intellectuelle et politique automatique.

Le Point : Vous parlez d’imposture, c’est fort…

Sabine Prokhoris :Oui, mais les falsifications qu’elle inflige aux textes qu’elle utilise pour ses démonstrations — la plus flagrante étant celle qu’elle fait subir au philosophe Emmanuel Levinas, à qui elle attribue d’ignobles propos — sont un signe. Il y a des règles au débat intellectuel, et elle ne les respecte pas.

Le Point : Freud, avec sa théorie du complexe d’Œdipe, serait d’après Judith Butler l’un des grands artisans de la domination hétérosexuelle.

Sabine Prokhoris : Que la vulgate psychanalytique, qui véhicule une version figée et simpliste de ce fameux complexe d’Œdipe, soit au service d’un discours normalisateur, c’est un fait indéniable, et je n’ai cessé de le critiquer moi-même. Mais, malgré le conservatisme bien réel de la corporation, je crois, au contraire de ce qu’affirme Butler, que la psychanalyse freudienne a beaucoup contribué à dissoudre les supposées « évidences » sur la question sexuelle.

Le Point : Pourquoi le féminisme de Judit Butler vous semble-t-il problématique ?

Sabine Prokhoris : Pour répondre de façon très sommaire, parce qu’une Afghane qui prétendrait, dans le contexte de l’après-11 Septembre, jeter aux orties sa burqa (une tenue traditionnelle issue d’une culture patriarcale rigoriste et qui fut imposée par le régime taliban), sera considérée, dans le « féminisme » butlérien qui est antiuniversaliste, comme une complice de l’impérialisme « occidental »…

Le Point : Si sa pensée est aussi faible que vous le dénoncez, comment expliquer l’estime dont elle jouit, aux Etats-Unis et aujourd’hui en France ?

Sabine Prokhoris : L’adhésion à un discours, fût-elle parée du plus chatoyant plumage académique, ne constitue pas à mes yeux une preuve de validité. Et ce succès planétaire demeure pour moi une énigme. Mais il est vrai qu’en philosophie une ère « post-vérité » prospère depuis plusieurs décennies, notamment outre-Atlantique. On y postule, à la suite de Roland Barthes et des quelques autres, que le réel est tout entier réductible à des discours et à des constructions rhétoriques. La critique « radicale » que met en œuvre la pensée de Butler, qui consiste juste à « déconstruire » ce qui n’est qu’un « récit », au moyen d’une rhétorique concurrente plus puissante, plus autoritaire, plus habile, plus intimidante en somme, se suffirait en quelque sorte à elle-même. Dès lors, peu importe la vérité, la force du discours butlérien tient à sa réception fascinée. Moins vulgaire que Trump, certes. Mais pas moins inquiétant dans la production de maîtres à ne pas penser.

EXTRAIT

« Vous n’y comprenez goutte ? Cela vous paraît quelque peu embrouillé ? Vous saisisssez mal comment la sexualité (celle qui est minoritaire) et la religion (celle supposée des "dominés") se trouvent mises sur le même plan ? Vous ne saisissez pas vraiment non plus en quoi la laïcité en France et la condamnation par le pape de l’homosexualité vont de pair (d’autant que, soit dit en passant, le pape considère, tout comme J. Butler, que "la France exagère la laïcité") ? Vous avez même peut-être l’impression que l’auteure a sélectionné quelques notions en débat aujourd’hui, les a fourrées pêle-mêle dans un chapeau, a vigoureusement secoué le tout, pour ensuite piocher là-dedans et les assembler ensuite au petit bonheur ? Vous n’y êtes pas. Le rouleau compresseur idéologique de l’amalgame est ici un outil nécessaire, et tant pis si la mixture est indigeste. L’idée générale de ces lignes, qui viennent conclure un texte extraordinairement confus — une confusion qui n’est pas imputable à une mauvaise traduction —, est somme toute assez simple, sinon simpliste : que les "minorités", qu’une seule et unilatérale entreprise d’assujettissement discriminent, s’allient au lieu de se laisser dresser les unes contre les autres par le pouvoir qui les constitue comme telles (c’est bien toujours la même histoire). »


Judith Butler (Cliquez sur la photo)

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SOURCE : par Violaine de Montclos pour LE POINT

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16/01/2017

La conquête du nord

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« Ceux qui avaient grimpé jusqu’au sommet des immeubles découvrirent autour d’eux l’étendue de leur conquête. A perte de vue s’offrait un pays qui leur parut le plus beau, le plus riche, le plus accueillant du monde.

La densité des habitations ne nuisait pas à la nature, elle en était même enveloppée et la multiplicité des toits donnait confiance : autre chose qu’un désert ! Plus loin, au pied des collines boisées, les guetteurs émerveillés découvraient d’immenses champs plantés d’arbres fleuris, d’autres qui verdissaient sous d’épaisses moissons.

Ils le firent savoir, chantant la bonne nouvelle comme des muezzins ou des crieurs publics. De bouche en bouche, elle parcourut la foule.

Cette foule épuisée avait retrouvé tout bonnement le moral. Un moral de fer. De conquérant. Si bien que plus des trois quarts, les plus valides, les plus entreprenants, décidèrent de poursuivre leur route. Plus tard, les historiens firent de cette migration spontanée une épopée qu’ils baptisèrent : "La conquête du nord."

On n’a pas oublié le premier volet du diptyque : la fuite vers le nord, l’exode lamentable des vrais propriétaires du pays, leur déchéance avouée, leur répugnant renoncement, l’anti-épopée. »

Jean Raspail, Le Camp des Saints

 

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15/01/2017

Destin hideux...

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« Avec la rupture du système médiéval, les Dieux du Chaos, de la Démence et du Mauvais Goût prirent le dessus. La roue de la Fortune avait tourné, écrasant la nuque de l'humanité, lui fracassant le crâne, tordant son torse, crevant son bassin et endommageant son âme. Tout ce qui avait été dédié à l'âme se consacrait désormais au commerce.
Marchands et charlatans prirent le contrôle de l'Europe, baptisant "Les Lumières" leur insidieux Evangile.
Le nouveau destin de Pierre serait désormais tissé de mort, de destruction, d'anarchie, de progrès, d'ambition et d'amélioration personnelle.
Destin hideux s'il en fut, il devait désormais affronter l'ultime perversion : ALLER AU TRAVAIL. »

John Kennedy Toole, La conjuration des imbéciles

 

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Des névrosés et des psychopates en quantité

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« Il est des journalistes qui tonnent, sur le papier, contre le matriarcat américain — ce qui est bien — ce qui l'est moins c'est qu'ils le font en compensation d'une humiliation matrimoniale personnelle. D'autres font du virilisme spartiate, mais ont peur d'un coup de poing dans une bagarre politique. Certains font même du racisme à base sexuelle en souvenir d'une infortune conjugale. Lorsqu'on a déblayé tous ces gens complexés, il ne reste que peu d'éléments susceptibles de former une classe dirigeante politique. Aux extrêmes, à gauche et à droite, on trouve des névrosés et des psychopates en quantité et au centre quelque chose de plus équilibré mais aussi de plus sordide, l'homme du petit profit: l'épicier politique. »

Jean Thiriart, Europe Communautaire

 

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13/01/2017

Une espèce de poésie que j’ai peur d’abîmer

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« Mais elle est si jeune, si pauvre, tellement sans défense, que j’éprouve avant tout, auprès d’elle, une grande douceur. Je la berce, je la pelote, c’est plus sensuel que tout. Mais en même temps, ça m’attendrit, j’ai scrupule d’aller plus loin. Ce n’est qu’une petite sauvageonne, qui ne sait que lire et que j’emmène voir des films imbéciles. Pourtant, je savoure auprès d’elle une espèce de poésie que j’ai peur d’abîmer en la carambolant. »

Lucien Rebatet, Les Deux Etendards

 

 

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Je t’ai mal payé de retour…

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Un jour, avec ses mots à elle, elle avait eu le culot de me dire quelque chose de cet ordre...

 

 

« C’est toi qui m’a fait connaître la véritable intelligence, celle de la beauté, comme celle des esprits. Ma foi même t’est redevable. Tu as été plus qu’aucun autre mon "éveilleur". C’est toi qui a imprimé son style à ma jeunesse, cette impétuosité, cette accoutumance aux grandes tempêtes, ce cravachage. Tout ce que je pourrai mettre de grandeur esthétique dans ma vie aura eu en toi son origine. Je t’ai mal payé de retour… »

Lucien Rebatet, Les Deux Etendards

 

 

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