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21/03/2016

Monstre bifrons de la consommation

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« Ne pas posséder d’automobile et ne pas être en couple, alors que tout le monde doit avoir une automobile et "doit" être en couple (monstre bifrons de la consommation), ne peut être considéré que comme un grand malheur, une intolérable frustration. Ainsi l’amour hétérosexuel — tellement permis qu’il en devient obligatoire — est devenu une sorte d’ "érotomanie sociale". »

Pier Paolo Pasolini, Ecrits Corsaires

 

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La viande à mitraille

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« Les majors à barbiches blanches et les édiles sourient. 1 m. 75, 63 kilos. Coeur et poumons excellents. Un peu mince, mais l'exercice l'étoffera vite. Bon service armé, apte à l'infanterie. Comme prévu. Cocasse que ce soient ces braves vieux toubibs débonnaires, costumés en officiers, qui choisissent la viande à mitraille, décident : "Celui-là se porte assez bien pour faire un mort." »

Lucien Rebatet, Les épis mûrs

 

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19/03/2016

Des images abstraites, des compositions géométriques

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« Les nouvelles agglomérations sont élaborées sur la planche à dessin et à partir de maquettes. Dans les deux cas, elles sont essentiellement présentées comme des images abstraites, des compositions géométriques, en relief ou non. Leur méthode d’engendrement occulte le fait qu’un espace urbain ne s’adresse pas à l’œil seulement mais concerne le corps tout entier et ne peut, sous peine de réduction, être traité dans le seul cadre d’un esthétique de la vision : l’espace de notre quotidienneté n’est pas "vu d’avion" mais vécu à ras de terre. Davantage, cette approche méconnait le fait qu’un espace urbain ne peut ainsi être perçu d’un coup, mais seulement dans la successivité de séquences fragmentaires, au gré des temps et des parcours. »

Françoise Choay, "Production de la ville, esthétique urbaine et architecture" in La ville aujourd’hui. Mutations urbaines, décentralisation et crise du citadin, ouvrage collectif sous la Direction de Marcel Roncayolo

 

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Ce qui trouble est ennemi de la Paix divine

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« C’est assez, pour moi, de savoir qu’il a inventé une religion. Prosterne-toi tant que tu voudras, au seuil du Vénusberg ou de la Walhalla, traîne-toi sur les marches du Graal qui est leur prolongement lyrique dans ce "crépuscule des Dieux". Omnes dii gentium dœmonia . Arrange tout ça avec les leçons de ton catéchisme dont tu me parais n’avoir gardé qu’un souvenir trouble. Mes genoux ne te suivront pas. Ils appartiennent à la sainte Église catholique, apostolique, romaine, exclusivement.

"Tout ce qui est en dehors d’elle vient du Mal, émane de l’Enfer, nécessairement, absolument, sans autre examen ni compromis oiseux, car ce qui trouble est ennemi de la Paix divine." C’est toi-même qui as écrit cela, dans un de tes jours lucides. L’aurais-tu oublié déjà ? Fût-on l’artiste le plus grand du monde, il n’est pas permis de toucher aux Formes saintes, et ce qui bouillonne dans le calice du Mont Salvat, j’en ai bien peur, ne serait-ce pas précisément l’élixir épouvantable dont tu nous as fait le poème ? Beethoven n’entreprit jamais de mettre à genoux les peuples et les rois et n’eut pas besoin d’autres forces que celles de son génie. Wagner, impatient de tout dompter, a prétendu faire de la Liturgie elle-même l’accessoire des combinaisons de ses prétendus chefs-d’œuvre. C’est la différence du légitime au bâtard. Pourquoi voudrais-tu que je me traînasse pieusement derrière ce brouillard sonore qui ne devrait paraître une colonne de nuées lumineuses qu’aux imaginatifs grossiers de la Germanie ? »

Léon Bloy, La femme pauvre

 

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Dans cinquante ans, on ne tiendra plus à rien

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« Qu’est-ce que la France de 1840 ? un pays exclusivement occupé d’intérêts matériels, sans patriotisme, sans conscience, où le pouvoir est sans force, où l’Élection, fruit du libre arbitre et de la liberté politique, n’élève que les médiocrités, où la force brutale est devenue nécessaire contre les violences populaires, et où la discussion, étendue aux moindres choses, étouffe toute action du corps politique ; où l’argent domine toutes les questions, et où l’individualisme, produit horrible de la division à l’infini des héritages qui supprime la famille, dévorera tout, même la nation, que l’égoïsme livrera quelque jour à l’invasion, On se dira : Pourquoi pas le tzar, comme on s’est dit : – Pourquoi pas le duc d’Orléans ? On ne tient pas à grand’chose ; mais dans cinquante ans, on ne tiendra plus à rien. »

Honoré de Balzac, Sur Catherine de Médicis

 

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18/03/2016

Ce mal que Nietzsche appelait l’esprit de lourdeur

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« Ce monde est empoisonné de malheurs et semble s’y complaire. Il est tout entier livré à ce mal que Nietzsche appelait l’esprit de lourdeur. N’y prêtons pas la main. Il est vain de pleurer sur l’esprit, il suffit de travailler pour lui. Mais où sont les vertus conquérantes de l’esprit ? Le même Nietzsche les a énumérées comme les ennemis mortels de l’esprit de lourdeur. Pour lui, ce sont la force de caractère, le goût, le "monde", le bonheur classique, la dure fierté, la froide frugalité du sage. Ces vertus, plus que jamais, sont nécessaires et chacun peut choisir celle qui lui convient. Devant l’énormité de la partie engagée, qu’on n’oublie pas en tout cas la force de caractère. Je ne parle pas de celle qui s’accompagne sur les estrades électorales de froncements de sourcils et menaces, mais de celle qui résiste à tous les vents de la mer par la vertu de la blancheur et de la sève. C’est elle qui, dans l’hiver du monde, préparera le fruit. »

Albert Camus, Noces

 

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Le miel d’Assunta

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« Comme il étalait du miel sur son pain grillé, Beatrice sourit :

— C’est le miel d’Assunta. Elle a ses ruches à flanc de coteau, parmi le thym et la lavande. Quand les temps modernes, comme vous dites, tomberont sur nous, Assunta ne récoltera plus son miel. Elle l’achètera en pots. Nous aurons des microsillons, mais nous n’aurons plus de miel parfumé au thym et à la lavande. Qu’est-ce qui vaut mieux ?

— Vous n’avez pas le choix. On vous jettera de force dans les temps modernes. On vous oblige déjà à vous éclairer à l’électricité. Hier soir, en nous promenant, nous avons entendu des radios, et toutes captaient la même émission. Folco va au cinéma.

— C’est le curé qui choisit les films.

— Il ne les choisira pas toujours.

— Rien ne nous atteindra au fond du cœur. Varela est immuable.

— Il n’y a rien d’immuable. Entre 1939 et 1945 le monde a cassé sa tirelire. Nous dépenserons tout notre argent en quelques décennies. Dix siècles d’épargne partiront en fumée.

— Et après ?

— Je ne sais pas. Je ne suis ni économiste, ni astrologue. »

Michel Déon, Je vous écris d’Italie

 

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Un halluciné

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« L’homme moderne est un halluciné. L’hallucination a remplacé la croyance. L’homme moderne est un angoissé. L’angoisse s’est substitué à la foi. Tous ces gens là se disent réalistes, pratiques, matérialistes, enragés à conquérir les biens de ce monde, et nous sommes très loin de soupçonner la nature du mal qui les ronge, car nous n’observons que leur activité délirante, sans penser qu’elle est précisément la forme dégradée, avilie, de leur angoisse métaphysique. Ils ont l’air de courir après la fortune, mais ce n’est pas après la fortune qu’ils courent, c’est eux-mêmes qu’ils fuient.

Dans ces conditions, il est de jour en jour plus ridicule d’entendre de pauvres prêtres ignorants et paresseux tonner du haut de la chaire contre l’orgueil de ce perpétuel fuyard, l’appétit de jouissance de ce malade qui ne peut plus jouir qu’au prix des plus grands efforts, qui éprouve de la fringale pour tout, parce qu’il n’a plus réellement faim de rien. »

Georges Bernanos, La France contre les robots

 

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17/03/2016

Elle se donna au Sud

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« Hélène aimait les étrangers, ce qui n'était pas elle, la différence, l'Autre.

Elle s'en était fait une espèce de religion, bien à l'abri dans son quartier chic parisien, protégé par la caméra couleur qui filmait la rue devant son loft et sa porte blindée, design scandinave. Elle aimait les étrangers mais pas dans son quartier. Elle participait aux fêtes officielles, soutenait les sans-papiers, employait au black une femme de ménage ivoirienne — son principal lien avec l'Afrique, et voyageait dans le Sud, comme on allait jadis à l'Église — pétrie de recueillement, l'âme sensible ; elle se sentait coupable de tout.

Coupable de la colonisation, de la faim dans le monde, du racisme. De tout. Dans le souk, un homme l'approcha et lui parla. Il avait un beau sourire. Des dents blanches. Il sentait bon le Sud. Il n'était pas comme les parisiens un peu grisâtres et efféminés.

C'était un vrai homme. Ils couchèrent ensemble. Elle se donna au Sud, tenta quelques caresses osées qui confortèrent les fantasmes de l'homme sur les Occidentales, ces putes. Il éjacula vite et bien. Trop vite, peut-être. Puis, il la donna à ses amis, qui la baisèrent, sodomisèrent, corps contraints, chairs tordues, possessions. Puis, ils la donnèrent à l'Armée islamique de Libération, qui exigea une rançon. Elle fut décapitée dans une décharge, au milieu d'enfants qui cherchaient à bouffer. »

Jean-Luc Marret, Guerre totale

 

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Ecrivain, ennuyeux au possible, mais homme de grande conscience

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« Un sage très doux, de la "Revue des Deux Mondes", nommé M. Janet, — doux nom ! — personnage d’ailleurs important, appointé officiellement pour distribuer la sagesse, fait de charmants efforts en faveur de la Liberté de penser. Il voudrait délivrer cette aimable fille de ses accointances avec l’athéisme, qui induisent à mal parler d’elle ; et même il ne serait pas fâché de lui donner, s’il pouvait, une certaine figure chrétienne. Je dis une figure ! M. Janet ne tient pas à lui changer le caractère. il trouverait même un peu malheureux qu’elle eût autre chose de chrétien que la figure ; c’est à dire une partie de la figure, un profil par exemple. Car, toute la figure chrétienne, ce serait beaucoup ! Quelquefois, la figure engage plus qu’on en croit ; et la Liberté de penser, avec la figure toute, et toujours chrétienne, serait elle encore la liberté ? Mais un profil, à la bonne heure ! On a deux profils, pourquoi l’un des deux ne serait-il pas chrétien ? La Liberté de penser montrerait ce profil aux gens qui sont méticuleux sur la morale. M. Janet se croit lui-même un peu de ceux-là ; il signale des allures de la liberté qui l’importunent, qui lui feraient presque peur, qui pourraient l’empêcher de terrasser comme il faut les spiritualistes, les mystiques, les hargneux catholiques, ennemis jurés des expansions de l’esprit humain. Ces timorés crient beaucoup, et ne sont pas sans légitime crédit ; le profil chrétien leur fermerait la bouche. Que si pourtant c’est trop demander, et que la liberté ne puisse absolument pas prendre ce profil, alors qu’elle porte au moins une petite croix, — une croix "à la Jeannette" — sur sa gorge nue. Beaucoup de dames adoptent cet ornement ; il leur sert de profession de foi qui ne les gêne en rien. Elles vont ici et là, elles font ceci et cela ; mais, quoi que l’on puisse dire, puisqu’elles ont la croix au col, il y a toujours moyen de répondre qu’elles sont chrétiennes.

Ayant donné ce sage et doux conseil à la liberté, M. Janet se tourne du côté des moralistes et des catholiques, et, avec la même sagesse et la même douceur, il entreprend de les convaincre que la liberté de penser rend à la morale et à la religion des services tout à fait éminents, tout à fait incomparables, tout à fait indispensables. Dans cette vue, il leur pousse honnêtement plusieurs séries d’arguments variés. Si ce n’est pas ce qu’il y a de plus nouveau, c’est du moins ce qu’il a voulu ramasser de meilleur. Ecrivain, ennuyeux au possible, mais homme de grande conscience, et toujours sage, et toujours doux ! Enfin, il arrive à la conclusion de toutes ses majeures, de toutes ses mineures, de toutes ses définitions et de tous ses dévidages : à savoir que le doute, soumettant tout à la critique, procure la seule preuve possible des vérités qu’il faut croire. Et lui-même, M. Janet, n’a pas suivi d’autre méthode pour se procurer le soulagement de croire à l’existence de Dieu, comme toute la rédaction de la "Revue des Deux Mondes ».

Ils nous disent tous, et tous les jours, beaucoup de chansons que l’on sait ; mais ils les disent si ennuyeusement, si tortueusement, si obscurément ! On y est toujours pris ; on croit toujours que des gens qui se donnent tant de peine vont accoucher d’autre chose. »

Louis Veuillot, Les odeurs de Paris, Livre V, La science

 

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16/03/2016

L’amour exige certaines préparations

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« Je crains que, faute d’éducation, les jeunes filles d’aujourd’hui ne sachent pas aimer. L’amour exige certaines préparations, une retenue, des réserves, une rêverie préalable, comme une religion qui a été très tôt déposée dans le coeur.
Trop de rencontres, trop de facilité à se lier, gênent le choix, engourdissent l’instinct. C’est une concentration du sentiment qui fait découvrir dans un être ce qu’il peut donner. »

Jacques Chardonne, L'amour c'est beaucoup plus que l'amour

 

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Le chemin d’une résignation partielle

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« Je n’avais plus rien à manger, ni très envie d’aller au Géant Casino, le début de soirée était une mauvaise heure pour faire les courses dans ce quartier populeux, mais j’avais faim et plus encore j’avais envie d’acheter à manger, de la blanquette de veau, du colin au cerfeuil, de la moussaka berbère ; les plats pour micro-ondes, fiables dans leur insipidité, mais à l’emballage coloré et joyeux, représentaient quand même un vrai progrès par rapport aux désolantes tribulations des héros de Huysmans ; aucune malveillance ne pouvait s’y lire, et l’impression de participer à une expérience collective décevante, mais égalitaire, pouvait ouvrir le chemin d’une résignation partielle. »

Michel Houellebecq, Soumission

 

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15/03/2016

Un objet de croyance

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« En son "Dom Juan", Molière dit tout déjà de l’impossibilité de vaincre la crédulité. Sommé par Sganarelle de lui révéler ce en quoi il croit, Dom Juan finit par laˆcher cette réponse : "Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit." Et le valet, dépité, de rétorquer : "La belle croyance et les beaux articles de foi que voilà ! Votre religion, à ce que je vois, est donc l’arithmétique ?" S’il se sentait d’humeur à disputer avec Sganarelle, Dom juan lui ferait remarquer que, bien sûr, les énoncés arithmétiques ne sauraient être objets de croyance mais uniquement de connaissance : qu’ils s’imposent, si l’on maîtrise le calcul, comme des évidences objectives.

Que l’on croit ou non en Dieu, rien ni personne ne pourra faire que deux plus deux n’égalent quatre, ni que quatre plus quatre n’égalent huit – à commencer par Dieu lui-même dont le pouvoir se heurte aux limites du langage des mathématiques. Que croire et savoir renvoient à deux formes de pensée distinctes, Sganarelle, bien sûr, le conçoit bien. Sauf que cela le désole. Si Sganarelle fulmine contre l’impiété tranquille de son maître, c’est parce que la pensée dont ce dernier se contente, qui consiste à se conformer à la plate réalité et à la précision des chiffres, présente le défaut de contrarier le rêve vague d’une autre réalité qui, elle, se conformerait au désir de Sganarelle. En retour, si Dom Juan n’essaie même pas de dissuader son serviteur de gober toutes les croyances en vogue du moment, c’est parce qu’il voit bien le peu de crédit que l’intéressé lui-même, malgré sa ferveur, leur accorde. Sceptique, Dom Juan (ou Molière) tient pour lui que nul savoir ne parvient jamais à détruire la superstition – au contraire de certains savants qui se figurent que le croyant dispose d’un esprit semblable au leur, animé des mêmes mobiles de connaissance, mais dont, simplement, la curiosité et le bon sens font fausse route vers l’imaginaire et à qui il suffirait d’indiquer une méthode pour lui faire voir son erreur et rectifier son errance. Louable intention, sans doute – allant dans le sens de l’éthique de Descartes et des Lumières. L’ennui est que, à supposer que le croyant soit prêt à apprendre des savants, ceux-ci échoueraient dans leur mission pédagogique. Car l’imperméabilité du croyant au savoir ne procède pas tant d’un refus d’exercer sa raison ou son esprit critique, que du malheur de savoir déjà qu’il ne croit en rien et, pire encore, que rien n’est crédible – raison pourquoi, d’ailleurs, Sganarelle exige de Dom Juan qu’il lui fournisse, lui qui est savant, ou qu’il imagine tel, un objet de croyance, mais, cette fois, solide et fiable.

C’est un fait banal, bien que rarement relevé, que le croyant ne s’attache jamais longtemps à tel ou tel objet déclaré de croyance. Et pour cause, puisqu’il est le premier confronté à l’évidence que le quelque chose en quoi il prétend croire ne peut être ni pensé avec précision ni, donc, connu, et que seul le verbe – le mythe, l’incantation, le discours philosophique, la formule ésotérique, etc. – a vocation à le faire exister par les sortilèges de l’évocation et à lui conférer un air de réalité et de crédibilité. Piètre expédient, assurément, qui l’enjoint aussitôt à ne rien vouloir savoir de son incroyance, à l’instar de ces enfants convaincus que le Père Noël n’est qu’une fable mais qui n’osent se l’avouer franchement de peur de ne plus recevoir de cadeaux. Il en va de même pour la croyance en l’éthique.»

Frédéric Schiffter, Le bluff éthique

 

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Le contentement de se sentir justes, bon, indispensables

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« Les hyper-modernes ne font pas le bien au nom de la raison ou de la foi, mais par indignation contre le Mal — redéfinition de l’engagement des plus avantageuses, puisque, à la fierté de revendiquer l’initiative d’une bienfaisance sociale ou humanitaire, aussi symbolique soit-elle, s’ajoute le contentement de se sentir justes, bon, et, enfin, indispensables. »

Frédéric Schiffter, Le bluff éthique

 

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14/03/2016

Carcel Modelo

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« La ville moderne n’a pas de forum. Elle n’a point d’arènes pour les spectacles et les joies de ses foules. Elle n’a point de maisons d’enfants. Elle n’a point, parmi tous ses caravansérails, de maisons pour le travail, la méditation, le repos de tous les hommes. En Amérique, ses gratte-ciel, création mécanique du génie financier, renferment à la fois, dans une confusion savamment ordonnée, sous une façade unique complètement anonyme et muette, des habitations, des banques, des cinémas, des hôpitaux, des écoles, des églises. Ses architectes n’ont presque rien ajouté aux legs du passé, si ce n’est pour ses victimes, ce rucher scientifiquement imperfectible de crimes, de vices et d’iniquités.
La prison moderne - les Espagnols disent avec candeur Carcel Modelo, prison modèle — résout victorieusement le problème de l’économie d’espace, de travail et de surveillance. Habitée d’une foule, elle réalise l’isolement total de chaque individu dans cette foule. Plus active qu’une ruche, elle sait accomplir en silence, avec méthode, autant de tâches différentes qu’on a jeté d’existences dans ses engrenages. Les chances d’évasion, elle les réduit à des proportions infinitésimales. On s’évadait de la Bastille. On s’évadait de Nouméa, malgré l’océan peuplé de squales. On s’évade de la Guyane, à travers la forêt vierge. On ne s’évade pas de la geôle moderne.
La prison moderne est imperfectible, étant parfaite. On ne peut plus que la détruire. »

Victor Serge, Les Hommes dans la prison

 

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Le Mythe du Sang et de la Race

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« Prenez garde, Vénérables Frères, qu’avant toute autre chose la foi en Dieu, premier et irremplaçable fondement de toute religion, soit conservée en Allemagne, pure et sans falsification. […]
Quiconque identifie, dans une confusion panthéistique, Dieu et l’univers, abaissant Dieu aux dimensions du monde ou élevant le monde à celles de Dieu, n’est pas de ceux qui croient en Dieu.
Quiconque, suivant une prétendue conception des anciens Germains d’avant le Christ, met le sombre et impersonnel Destin à la place du Dieu personnel, nie par le fait la Sagesse et la Providence de Dieu…
Quiconque prend la race, ou le peuple, ou l’État, ou la forme de l’État, ou les dépositaires du pouvoir, ou toute autre valeur fondamentale de la communauté humaine – toutes choses qui tiennent dans l’ordre terrestre une place nécessaire et honorable,- quiconque prend ces notions pour les retirer de cette échelle de valeurs, même religieuses, et les divinise par un culte idolâtrique, celui-là renverse et fausse l’ordre des choses créé et ordonné par Dieu : celui-là est loin de la vraie foi en Dieu et d’une conception de la vie répondant à cette foi. […]
Notre Dieu est le Dieu personnel, surnaturel, tout-puissant, infiniment parfait, unique dans la Trinité des Personnes, et tripersonnel dans l’unité de l’Essence divine, le Créateur de tout ce qui existe, le Seigneur et Roi et l’ultime consommateur de l’histoire du monde, qui n’admet ni ne peut admettre à côté de lui aucun autre dieu. Ce Dieu a, en Souverain Maître, donné ses commandements. Ils valent indépendamment du temps et de l’espace, du pays et de la race. […]
Seuls des esprits superficiels peuvent tomber dans l’erreur qui consiste à parler d’un Dieu national, d’une religion nationale ; seuls ils peuvent entreprendre la vaine tentative d’emprisonner Dieu, le Créateur de l’univers, le Roi et le Législateur de tous les peuples, devant la grandeur duquel les Nations sont "comme une goutte d’eau suspendue à un seau" (Is., XL, 15) dans les frontières d’un seul peuple, dans l’étroitesse de la communauté de sang d’une seule race. […]
Le point culminant de la Révélation atteint dans l’Évangile de Jésus-Christ est définitif, il oblige pour toujours. Cette Révélation ne connaît pas de complément apporté de main d’homme, elle n’admet pas davantage d’être évincée et remplacée par d’arbitraires "révélations" que certains porte-parole du temps présent prétendent faire dériver de ce qu’ils appellent le Mythe du Sang et de la Race.
Depuis que le Christ, l’Oint du Seigneur, a accompli l’oeuvre de la Rédemption, et que, brisant le règne du péché, Il nous a mérité la grâce de devenir enfants de Dieu, depuis ce temps aucun autre nom sous le ciel n’a été donné aux hommes par lequel ils puissent être sauvés, que le Nom de Jésus (Act., IV, 12).
Aucun homme, quand même toute la science, tout le pouvoir, toute la force extérieure du monde seraient incarnés en lui, ne peut poser un fondement autre que celui qui a déjà été posé : le Christ (I Cor., III, 11). Celui qui, dans une sacrilège méconnaissance des différences essentielles entre Dieu et la créature, entre l’Homme-Dieu et les enfants des hommes, ose dresser un mortel, fût-il le plus grand de tous les temps ; aux côtés du Christ, bien plus, au-dessus de Lui ou contre Lui, celui-là mérite de s’entendre dire qu’il est un prophète de néant, auquel s’applique le mot effrayant de l’Ecriture : "Celui qui habite dans les cieux se moque d’eux." (Ps., 4) »

Pape Pie XI, Encyclique "Mit brennender Sorge", publiée le 14 mars 1937

 

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13/03/2016

Prendre parti corporellement pour l’image que suscitaient et irradiaient les mots

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« Compte tenu que les mots, en accréditant mon existence, en avaient énoncé les conditions, il s’ensuivait que les mesures propres à acquérir une autre existence impliquaient de prendre parti corporellement pour l’image que suscitaient et irradiaient les mots : autant dire passer d’un être créateur de mots à une créature des mots. »

Yukio Mishima, Le Soleil et l’Acier

 

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Toute blessure assez sérieuse pour troubler les nerfs met fin aux hostilités pour ce jour-là…

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« Art. 4. Lorsque la première offense est un démenti, l’offenseur doit demander pardon en terme exprès, ou échanger deux coups avant toute excuse, ou trois avant toute explication ; ou sinon continuer à faire feu jusqu’à tant que l’une des parties essuie une blessure légère.
Art. 21. Les seconds doivent tenter une conciliation avant la rencontre, ou bien après un échange de feu ou de coups jugé suffisant.
Art. 22. Toute blessure assez sérieuse pour troubler les nerfs et nécessairement, faire trembler la main, met fin aux hostilités pour ce jour-là.
Art. 25. Si les seconds se querellent et résolvent eux aussi de se battre, ce doit être en même temps que les principaux duellistes, et perpendiculairement à eux ; ou bien côte à côte, à distance de cinq pas, s’ils se battent à l’épée. »

Code irlandais du duel, Assises de Clonmell (1777), tel que cité par Ben Schott dans "Les Miscellanées de Mr Schott"

 

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12/03/2016

Faire sortir la servitude d’une somme de libertés

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« On se tromperait étrangement en croyant que les méfaits du mathématisme ne se soient fait sentir que dans l’ordre métaphysique ; ils ont atteint jusqu’à la morale, et par elle, la sociologie. Ici, ce n’est plus Descartes qui est l’initiateur, mais Thomas Hobbes, dont Descartes n’était d’ailleurs pas sans estimer la philosophie politique beaucoup plus que la métaphysique. Ce qui nous est donné dans la réalite, c’est une complexité concrête, dont les éléments s’entretiennent. L’homme n’est pas seulement un animal raisonnable, c’est encore un animal politique, parce que l’Etat est la condition nécessaire du parfait développement de sa rationalité. C’est pourquoi l’individu ne nous est jamais donné que dans un Etat, hors duquel il ne saurait réaliser pleinement son essence ni même vivre, bien que l’état lui-même ne subsiste jamais que dans les individus, qui en sont la substance même. Il est donc également vrai de dire qu’on ne trouve rien dans l’individu qui ne lui vienne de la société, et qu’il n’y a rien dans la société qui ne lui vienne des individus, puisqu’elle les forme et qu’ils la composent.

Supposons au contraire cette réalité complexe décomposée en idées dont chacune définirait une substance, l’individu deviendrait une chose en soi, l’Etat en deviendrait une autre et un nouveau problème de la communication des substances se poserait aussi insoluble que le premier. C’est a quoi Hobbes a conduit la pensée moderne en définissant les hommes comme des individus isolables et sensiblement égaux, soit corporellement, soit spirituellement. Par ce cartésianisme politique, l’individu se trouvait érigé en un être par soi, et par conséquent en une fin en soi, dont la subordination à l’Etat comme fin plus haute devenait difficile, sinon impossible. Dès ce moment, le problème politique devient ce qu’il sera encore pour Rousseau : trouver dans l’individu, en tant que tel, une raison de le subordonner à autre chose qu’à lui-même, ce qui est plus difficile encore que de prouver la quadrature du cercle par la règle et le compas. Il est clair que pour un atome social, tel que l’individu de Hobbes, le droit de nature n’est que la liberté d’user de tous les moyens qu’il juge bons pour assurer son propre bien ; chaque homme, dit "Le Léviathan", a droit, par nature sur toute chose. Comment, dés lors, recomposer un corps social avec de telles libertés ? Comment faire que, au nom de mon propre droit, ce qui m’appartient cesse de m’appartenir ? De la toutes les théories de "contrat social" qui, par des artifices différents, s’efforcent d’obtenir des droits, posés d’abord comme absolus, qu’ils se renoncent eux-mêmes, ce qui revient à faire sortir la servitude d’une somme de libertés.

Posé en ces termes, le problème était si difficile que les essais de solution ne pouvaient manquer de foisonner ; mais ils devaient logiquement conduire à reconnaître le caractère contradictoire du problème et à dresser l’une contre l’autre ces deux réalités antinomiques, impossible a concilier. D’une part, l’individu pris à l’état pur ; et comme la définition de l’individu en tant que tel est d’exister par soi, on aboutit à l’individualiste de Max Stirner ou à l’individualisme esthétique de Nietzsche. L’Unique, et sa propriété. Rien de plus logique, et Stirner s’est montré philosophe en cela qu’il a su conduire une idée jusqu’a la pureté de son essence. Si l’individu n’est qu’individu, l’illogique est de vouloir faire sortir le collectif de l’individuel ; la logique, c’est l’élimination radicale de l’Etat comme force contraignante. Mais si l’on prend d’autre part le collectif comme tel, puisque son essence même est la négation de l’individuel, il devient contradictoire de le fabriquer avec des individus, et ce sont alors Comte et Durkheim qui deviennent les vrais philosophes. "L’homme n’est rien, c’est l’Humanité qui est tout." Ici encore, rien de plus cohérent, car dans un être collectif en tant que tel, l’individu comme tel ne saurait trouver place ; il se trouve donc éliminé, réduit, nié, d’avance et comme par définition. En tant qu’elle s’efforce de se réformer sur le modèle de ses doctrines, la société moderne est donc condamnée à osciller perpétuellement entre l’anarchisme et le collectivisme, ou à vivre empiriquement d’un compromis honteux, qui n’a pas de quoi se justifier. »

Etienne Gilson, Le réalisme méthodique

 

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L’espace et le silence pèsent d’un seul poids sur le cœur

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« A midi, sous un soleil assourdissant, la mer se soulève à peine, exténuée. Quand elle retombe, sur elle-même, elle fait siffler le silence.

(...)

Seuls aussi avec l'horizon. Les vagues viennent de l'Est invisible, une à une, patiemment ; elles arrivent jusqu'à nous et, patiemment, repartent vers l'Ouest inconnu, une à une. Long cheminement, jamais commencé, jamais achevé... La rivière et le fleuve passent, la mer passe et demeure. C'est ainsi qu'il faudrait aimer, fidèle et fugitif. J'épouse la mer.

(...)

A chaque vague, une promesse, toujours la même. Que dit la vague ? Si je devais mourir, entouré de montagnes froides, ignoré du monde, renié par les miens, à bout de forces enfin, la mer, au dernier moment, emplirait ma cellule, viendrait me soutenir au-dessus de moi-même et m’aider à mourir sans haine.

(...)

L’espace et le silence pèsent d’un seul poids sur le cœur. Un brusque amour, une grande œuvre, un acte décisif, une pensée qui transfigure, à certains moments donnent la même intolérable anxiété, doublée d’un attrait irrésistible. Délicieuse angoisse d’être, proximité exquise d’un danger dont nous ne connaissons pas le nom, vivre, alors, est-ce courir à notre perte ? A nouveau, sans répit, courons à notre perte.

J’ai toujours eu l’impression de vivre en haute mer, menacé, au cœur d’un bonheur royal. »

Albert Camus, Noces

 

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11/03/2016

La bonne foi

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« C'est une bien grande sottise de dire et de croire que "la mauvaise foi est l'âme des polémiques". C'est là un de ces dictons imbéciles que répètent de prétendus malins, et qui rappellent le "débarrassez-moi de mes amis, je me charge de mes ennemis". La première condition de la polémique, qu'il s'agisse de personnes ou d'idées, ou d'idées portées par des personnes, c'est la bonne foi. Si vous ne pensez pas fortement ce que vous écrivez, si ce n'est pas votre sincérité et votre réflexion qui parlent, vous n'ébranlez pas l'adversaire et vous perdez votre temps. Par ailleurs, vos lecteurs s'aperçoivent vite que vous escamotez la difficulté, ou que vous prêtez à l'adversaire un raisonnement qui n'est pas le sien. L'autorité d'un écrivain digne de ce nom est proportionnelle à sa bonne foi. »

Léon Daudet, Vers le roi 

 

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Excellent et atrabilaire, compatissant et féroce, railleur et quinteux

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« Huysmans était excellent et atrabilaire, compatissant et féroce, railleur et quinteux. Il ressemblait, avec son large front ridé, à un vieux vautour, désabusé et philosophe, perché sur l'huis de la misanthropie. Quand on lui demandait : "Que pensez-vous d'un tel ?" il répondait, le plus fréquemment, d'une voix lasse, en baissant ses yeux gris : "Ah ! quel déconcertant salaud ! ..." ou "quelle triste vomissure !", ou quelque chose d'approchant. Le contraste de cet accent feutré, mitonné, semi-poussiéreux, et de ces affirmations péjoratives, éfait d'un comique irrésistible.
Gourmet célèbre, chipoteur de petits plats, maudissant à bon droit la cuisine pour tous d'hôtel et de palace, l'auteur d' "En Route" et de "Là-Bas" lançait un regard de bourreau chinois aux mets que nous présentait le serveur et murmurait entre ses dents : "Voilà une étrange mixture !" Il en goûtait un peu, faisait la grimace, déposait sa fourchette, son couteau et riait pour lui seul, comme Bas-de-Cuir. Tout vin, selon lui, sentait "la vesse", ou "le crottin", comme tout fromage fleurait "le pied de pauvre" et toute sauce "la colle cadavérique" ou "l'encaustique à goût de sapin". Il abondait en définitions gastronomiques, d'une exactitude vireuse et parfois tragique, qui plongeaient dans la consternation les maîtres d'hôtel. Il me déclara un jour qu'il n'appréciait que le pot au feu, idéal, sucré à l'aide des seules carottes, et le poulet uniquement au beurre. Ceci est d'un véritable maître. Je l'approuvais d'autant plus que mon enfance a été bercée par les recommandations, concernant le poulet rôti, de mon grand-père Allard, fin connaisseur : "Pas de jus, au moins ! Rien que du beurre !" »

Léon Daudet, Vers le roi 

 

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10/03/2016

Coquille...

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« Personnellement, je m'accuse d'une certaine tendance à la routine. J'aime bien recommencer, le lendemain, ce que j'ai déjà fait la veille ou insister, le lendemain, sur ce que j'ai déjà exposé la veille. La répétition, en variant la forme, parbleu, est un procédé de polémique dont je me suis souvent bien trouvé ; vu que l'attention du lecteur est toujours plus fragile qu'on ne le suppose. Maurras en use aussi, à sa façon, qui est de varier les sujets, au cours d'un même article, et de servir, chaque matin, en plusieurs paragraphes, un menu politique presque complet. Bainville, au contraire, déclare que son idéal serait de modifier complètement la physionomie et l'allure du journal d'un jour sur l'autre, quant aux dehors, bien entendu.

(...)

Maurras revoit plusieurs fois ses épreuves. En mettant bout à bout ses corrections, on obtient ce qu'il appelle "le toenia" , un ruban de plusieurs mètres d'imprimé. Je ne change rien à mon texte, trop heureux de n'avoir plus à y penser. Ceci compense cela et prouve que la nature et la providence nous avaient destinés là-dessus à collaborer. Mon écriture est presque aussi peu lisible, ou difficilement lisible que la sienne, ce qui fait que notre vieil ami et collaborateur Bartoli a bien du mal à nous corriger. J'ai un certain goût pour les coquilles, toujours pittoresques. Une des plus belles, demeurée célèbre chez nous, est celle qui fit insérer, dans un article de Maurras, bien en vue et en italiques, comme une citation latine importante, ces deux mots mystérieux : "Nacus compum". Maurras avait écrit : "Chacun comprend" ! »

Léon Daudet, Vers le roi 

 

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L’abîme qui les séparait du reste du monde les unissait

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« Plus encore que leur communauté d’âme, l’abîme qui les séparait du reste du monde les unissait. Tous deux avaient la même aversion pour tout ce que l’homme contemporain a de fatalement typique, pour son enthousiasme de commande, pour son emphase criarde et pour cette mortelle absence d’envolée que répandent avec tant de zèle les innombrables travailleurs des sciences et des arts afin que le génie continue de rester une grande rareté. »

Boris Pasternak, Le docteur Jivago

 

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09/03/2016

L'aiguillon de l'énergie sexuelle

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« Le voyage dissipe le trop-plein énergétique. Le mouvement est la soupape de la fièvre sexuelle. Si le corps brûle trop, il suffit de rajouter à l'étape quelques kilomètres pour l'éteindre. Les nomades, comme les "wanderers", vivent dans un parfait apaisement intérieur. Non pas que la nature "désélectrise" leur moelle, mais parce qu'un bel usage du monde permet de dépenser avec juste mesure le trop-plein vital sur le sable des pistes. Lorsque je chemine par les travées du monde, je me sens comme ce voyageur de Knut Hamsun, qui murmure sous l'étoile d'automne : "Je n'ai pas lu les journaux et je vis tout de même, je vais bien, je fais de grands progrès en calme intérieur, je chante, je me pavane, je vais tête nue, contemplant le ciel, le soir."
Mais la plongée soudaine dans les villes réveille les mauvaises fièvres. En milieu urbain, plus moyen de les étouffer par l'effort. Le voyageur retombe sous l'aiguillon de l'énergie sexuelle sitôt qu'il gagne les faubourgs. En ville, tout s'étiole, sauf les pulsions. »

Sylvain Tesson, Eloge de l'énergie vagabonde

 

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