10/08/2014
Le romantisme, tant de fois mal défini, n'est, à tout prendre, et c'est là sa définition réelle, si l'on ne l'envisage que sous son côté militant, que le libéralisme en littérature
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« Dans ce moment de mêlée et de tourmente littéraire, qui faut-il plaindre, ceux qui meurent ou ceux qui combattent ? Sans doute, il est triste de voir, un poète de vingt ans qui s'en va, une lyre qui se brise, un avenir qui s'évanouit ; mais n'est-ce pas quelque chose aussi que le repos ? N'est-il pas permis à ceux autour desquels s'amassent incessamment calomnies, injures, haines, jalousies, sourdes menées, basses trahisons ; hommes loyaux auxquels on fait une guerre déloyale ; hommes dévoués qui ne voudraient enfin que doter le pays d'une liberté de plus, celle de l'art, celle de l'intelligence ; hommes laborieux qui poursuivent paisiblement leur oeuvre de conscience, en proie d'un côté à de viles machinations de censure et de police, en butte de l'autre, trop souvent, à l'ingratitude des esprits mêmes pour lesquels ils travaillent ; ne leur est-il pas permis de retourner quelquefois la tête avec envie vers ceux qui sont tombés derrière eux et qui dorment dans le tombeau ? Invideo, disait Luther dans le cimetière de Worms, invideo, quia quiescunt.
[...]
Qu'importe toutefois ? Jeunes gens, ayons bon courage ! Si rude qu'on nous veuille faire le présent, l'avenir sera beau. Le romantisme, tant de fois mal défini, n'est, à tout prendre, et c'est là sa définition réelle, si l'on ne l'envisage que sous son côté militant, que le libéralisme en littérature. Cette vérité est déjà comprise à peu près de tous les bons esprits, et le nombre en est grand ; et bientôt, car l'oeuvre est déjà bien avancée, le libéralisme littéraire ne sera pas moins populaire que le libéralisme politique. La liberté dans l'art, la liberté dans la société, voilà le double but auquel doivent tendre d'un même pas tous les esprits conséquents et logiques ; voilà la double bannière qui rallie, à bien peu d'intelligences près (lesquelles s'éclaireront), toute la jeunesse si forte et si patiente d'aujourd'hui ; puis, avec la jeunesse et à sa tête l'élite de la génération qui nous a précédés, tous ces sages vieillards qui, après le premier moment de défiance et d'examen, ont reconnu que ce que font leurs fils est une conséquence de ce qu'ils ont fait eux-mêmes, et que la liberté littéraire est fille de la liberté politique. Ce principe est celui du siècle, et prévaudra. Les Ultras de tout genre, classiques ou monarchiques, auront beau se prêter secours pour refaire l'ancien régime de toutes pièces, société et littérature ; chaque progrès du pays, chaque développement des intelligences, chaque pas de la liberté fera crouler tout ce qu'ils auront échafaudé. Et, en définitive, leurs efforts de réaction auront été utiles. En révolution, tout mouvement fait avancer. La vérité et la liberté ont cela d'excellent que tout ce qu'on fait pour elles et tout ce qu'on fait contre elles les sert également. Or, après tant de grandes choses que nos pères ont faites, et que nous avons vues, nous voilà sortis de la vieille forme sociale ; comment ne sortirions-nous pas de la vieille forme poétique ? A peuple nouveau, art nouveau. Tout en admirant la littérature de Louis XIV si bien adaptée à sa monarchie, elle saura bien avoir sa littérature propre et personnelle et nationale, cette France actuelle, cette France du dix-neuvième siècle, à qui Mirabeau a fait sa liberté et Napoléon sa puissance.
[...]
Il y avait péril, en effet, à changer ainsi brusquement d'auditoire, à risquer sur le théâtre des tentatives confiées jusqu'ici seulement au papier qui souffre tout ; le public des livres est bien différent du public des spectacles, et l'on pouvait craindre de voir le second repousser ce que le premier avait accepté. Il n'en a rien été. Le principe de la liberté littéraire, déjà compris par le monde qui lit et qui médite, n'a pas été moins complètement adopté par cette immense foule, avide des pures émotions de l'art, qui inonde chaque soir les théâtres de Paris. Cette voix haute et puissante du peuple, qui ressemble à celle de Dieu, veut désormais que la poésie ait la même devise que la politique : TOLÉRANCE ET LIBERTÉ.
[...]
En attendant, ce qu'il a fait est bien peu de chose, il le sait. Puissent le temps et la force ne pas lui manquer pour achever son oeuvre ! Elle ne vaudra qu'autant qu'elle sera terminée. Il n'est pas de ces poètes privilégiés qui peuvent mourir ou s'interrompre avant d'avoir fini, sans péril pour leur mémoire ; il n'est pas de ceux qui restent grands, même sans avoir complété leur ouvrage, heureux hommes dont on peut dire ce que Virgile disait de Carthage ébauchée :
Pendent opera interrupta, minæque
Murorum ingentes ! »
Victor Hugo, Préface à Hernani
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09/08/2014
Les français ont besoin d'une psychanalyse collective, pour exorciser leur état dépressif
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« En amont des débats de politique économique et sociale, il y a des idéologies dominantes, les mentalités collectives, "le politiquement correct". Ce sont ces pesanteurs, dans les esprits et dans les discours qui, en réalité - et ce d'autant plus que elles sont généralement inconscientes - déterminent les programmes d'action politique.
Ainsi, au lendemain de la Libération, les Français étaient-ils massivement pour l'Etat-providence, la sécurité sociale, les services publics, la nationalisation des secteurs de base de la reconstruction. Au moment de l'expansion des Trente Glorieuses, ils étaient pour la croissance et la répartition de ses fruits. L'idéologie keynésienne régnait alors sur le monde, après s'être elle-même imposée sur les ruines du capitalisme discrédité par la Grande Dépression. Tous les gouvernements, qu'ils soient de droite ou de gauche, adoptaient des politiques de tendances sociale-démocrate, à quelques nuances près.
Puis advint, dans les années 1970, le choc pétrolier, la stagflation, l'hyperinflation, le chômage de masse, suivis, vingt ans plus tard, par la chute du contre modèle soviétique et du tiers-mondisme. Le prétendu "sens de l'histoire" s'inversa brutalement, avec comme figure de proue Milton Friedman, promu au rang de "gourou-successeur" de John Maynard Keynes. Née sur les rivages anglo-saxons, dans le sillage des ruptures engendrées par les élections de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, la révolution libéralo-monétariste se répandit ensuite en Europe et dans le monde entier - la Russie, l'Inde, la Chine, l'ancien bloc de l'Est n'étant pas les moins enthousiastes des nouveaux convertis. A tel point qu'on a pu évoquer la prétendue "fin de l'histoire", célébrée par la victoire universelle de la démocratie libérale et de l'économie de marché.
Dans ce contexte, la France demeure une exception : car son facteur commun, ce qu'il a réuni de la Gauche à la Droite en passant par leurs extrêmes respectives et par le Centre - c'est son quasi-unanimes consensus anti-libéral. Tout au moins en parole, à gauche, le social-libéralisme n'ose pas s'avouer tel, le néo-trotskisme, l'écologie-politique, l'alter-mondialisme, présents dans tous leurs points - comme hier la Parti Communiste, pour terroriser tout leader de la gauche française et l'empêcher de suivre la même voie. On se souvient douloureusement, des brefs succès, suivis des retentissants échecs, de Mendès-France et de Rocard. A droite, on reste tentés par le nationalisme, teinté de déclinisme ambiant, par le corporatisme des professions, et aujourd'hui par le populisme sécuritaire - afin de récupérer l'électorat lepéniste. L'expérience inédite du parti libéral ne dura que 4 ans et ne ressembla que 4 pour cent des suffrages à la présidentielle 2002...
A droite comme à gauche, le débat sur le libéralisme affleure, mais il n'est pas posé explicitement, tant est puissante la force des tabous. A la veille du mai 1968, on pouvait écrire que la France s'ennuyait : aujourd'hui elle est déprimée. Le moment est donc idéal pour sortir de notre exception nationale, qui nous handicape tant. En ce domaine, les français ont besoin d'une psychanalyse collective, pour exorciser leur état dépressif.
[...]
Il est bien vrai en effet, qu'au dictionnaire français des idées reçues, à la rubrique libéralisme, chacun lit : ultra ; Capitalisme : féroce ; Concurrence : sauvage. L'exception française est bien là : libéralisme est une insulte. Et ce alors que les français se déclarent tout aussi unanimement républicains et qu'ils considèrent la révolution libérale de 1789 comme notre événement fondateur.
[...]
Dans l'antilibéralisme supposé des français, vu et incompris de l'étranger, il y a surtout la révérence envers l'Etat que les Français considèrent comme libérateur alors que pour les Anglo-Saxons il est au contraire l'Etat oppresseur.
Or, l'Etat-nation moderne - autre invention française - n'est plus tant aujourd'hui l'Etat républicain jacobin laïc des origines : c'est-à-dire le protecteur de l'individu citoyen et de ses libertés contre les féodalités locales, les Eglises et le pouvoir de l'argent. L'Etat providence dirigiste, qui fut engendré par la grande crise, Vichy, la Libération et la reconstruction, est devenu taxateur, taillon bureaucratique. La encore, n'y a-t-il pas perversion du sens des mots ? Notre Etat contemporain, tel que l'ont modelé les troubles du XXè siècle est-il bien celui auquel notre mémoire collective demeure tellement attachée ? Sous l'argument du "social", notre Etat-Léviathan s'est en réalité mué à son corps défendant, certes-en créateur de marginalités sociales et d'exclusion durables, protecteur de corporatismes, défenseur de conservatismes au nom d'un égalitarisme de façade. »
Christian Stoffaës, Politique économique de droite, politique économique de gauche (Ouvrage Collectif)
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Il est avéré que l'État ne peut procurer satisfaction aux uns sans ajouter au travail des autres
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« Comme il est certain, d'un côté, que nous adressons tous à l'État quelque requête semblable, et que, d'une autre part, il est avéré que l'État ne peut procurer satisfaction aux uns sans ajouter au travail des autres, en attendant une autre définition de l'État, je me crois autorisé à donner ici la mienne. Qui sait si elle ne remportera pas le prix ? La voici :
L'État, c'est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde.
Car, aujourd'hui comme autrefois, chacun, un peu plus, un peu moins, voudrait bien profiter du travail d'autrui. Ce sentiment, on n'ose l'afficher, on se le dissimule à soi-même ; et alors que fait-on ? On imagine un intermédiaire, on s'adresse à l'État, et chaque classe tour à tour vient lui dire : "Vous qui pouvez prendre loyalement, honnêtement, prenez au public, et nous partagerons." Hélas! l'État n'a que trop de pente à suivre le diabolique conseil ; car il est composé de ministres, de fonctionnaires, d'hommes enfin, qui, comme tous les hommes, portent au cœur le désir et saisissent toujours avec empressement l'occasion de voir grandir leurs richesses et leur influence. L'État comprend donc bien vite le parti qu'il peut tirer du rôle que le public lui confie. Il sera l'arbitre, le maître de toutes les destinées : il prendra beaucoup, donc il lui restera beaucoup à lui-même ; il multipliera le nombre de ses agents, il élargira le cercle de ses attributions ; il finira par acquérir des proportions écrasantes.
Mais ce qu'il faut bien remarquer, c'est l'étonnant aveuglement du public en tout ceci. Quand des soldats heureux réduisaient les vaincus en esclavage, ils étaient barbares, mais ils n'étaient pas absurdes. Leur but, comme le nôtre, était de vivre aux dépens d'autrui ; mais, comme nous, ils ne le manquaient pas. Que devons-nous penser d'un peuple où l'on ne paraît pas se douter que le pillage réciproque n'en est pas moins pillage parce qu'il est réciproque ; qu'il n'en est pas moins criminel parce qu'il s'exécute légalement et avec ordre ; qu'il n'ajoute rien au bien-être public ; qu'il le diminue au contraire de tout ce que coûte cet intermédiaire dispendieux que nous nommons l'État ?
Et cette grande chimère, nous l'avons placée, pour l'édification du peuple, au frontispice de la Constitution. »
Frédéric Bastiat, L’Etat
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Deux passions politiques
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« Ceux qui ont étudié attentivement la France au XVIIIème siècle, ont pu voir naître et se développer dans son sein deux passions politiques. [...]
L'une, plus profonde et venant de plus loin, est la haine violente et inextinguible de l'inégalité. Celle-ci était née et s'était nourrie de la vue de cette inégalité même, et elle poussait depuis longtemps les français, avec une force continue et irrésistible, à vouloir détruire jusque dans leurs fondements tout ce qui restait des institutions de Moyen-Âge, et, le terrain vidé, à y bâtir une société ou les hommes fussent aussi semblables et les conditions aussi égales que l'humanité le comporte.
L'autre, plus récente et moins enracinée, les portait à vouloir vivre non seulement égaux, mais libres.
Vers la fin de l'Ancien Régime ces deux passions sont aussi sincères et paraissent aussi vives l'une que l'autre. A l'entrée de la Révolution, elles se rencontrent ; elles se mêlent alors et se confondent un moment, s'échauffent l'une l'autre dans le contact, et enflamment enfin à la fois tout le coeur de la France. C'est 89, temps d'inexpérience sans doute, mais de générosité[...]Alors les Français furent assez fiers de leur cause et d'eux-mêmes pour croire qu'ils pouvaient être égaux dans la liberté. [...]Ils réduisirent en poussière cette législation surannée qui divisait les hommes en castes, en classes, et rendaient leurs droits plus inégaux encore que leurs conditions.[...]
Mais [...] lorsque, [...] l'amour de la liberté se fut découragé et alangui au milieu de l'anarchie et de la dictature populaire, et que la nation éperdue commença à chercher comme à tâtons son maître, le gouvernement absolu trouva pour renaître et se fonder des facultés prodigieuses, que découvrit sans peine le génie de celui qui allait être tout à la fois le continuateur de la Révolution et son destructeur. »
Alexis de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution
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Le mal intérieur
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« Une double menace pèse sur l’homme : celle du fléau (je range sous ce vocable tous les maux qui s’abattent sur nous de l’extérieur : guerre, oppression, famine, épidémie, etc…) et celle de la maladie (j’appelle ainsi tous les maux de cause interne issus de la dégénérescence physique ou morale, depuis les affections chroniques du corps jusqu’à la corruption des moeurs et des institutions). Le « progrès » de l’humanité a surtout consisté jusqu’ici à juguler l’ennemi du dedans : moins d’épidémies mais plus de cancers, moins de guerres, mais plus de révolutions (et les guerres d’aujourd’hui sont encore des révolutions !), moins de famines mais plus d’estomacs gâtés, moins de coeurs brisés mais plus d’âmes taries… Ce progrès se ramène dans son ensemble à un processus d’intériorisation du mal. Au Moyen Age, on se représentait mal une grande souffrance d’origine purement interne : l’enfer était conçu comme une torture infligée du dehors, et le péché même apparaissait comme un raptus, un accident transitoire, et non comme l’expression d’une nécessité intérieure.
Le mal intérieur évolue d’une façon infiniment plus bénigne en apparence que les fléaux. Un cancer germe en nous plus lentement que la peste (il met peut-être toute notre vie à germer), et cet incurable ennui qui suinte des vies molles et gavées ne nous saisit pas à la gorge avec la brutalité d’une poigne de brigand. Mais la peste et le brigand sont des maux qui ne font pas partie de nous-mêmes, ils peuvent nous lâcher, et s’ils nous tuent, ils nous tuent franchement sans nous corrompre, tandis que le mal intérieur nous poursuit jusqu’à la tombe et nous dénature avant de nous tuer.
L’homme le cultive pourtant ce mal suprême, il en chérit les causes, et tremble devant les fléaux qui pourraient l’en délivrer. Ces gens qui tremblaient hier devant la guerre, et qui tremblent aujourd’hui devant la vie dure ont peur de voir le fléau balayer en eux la maladie : ils redoutent plus que la mort une guérison blessante. L’instinct perverti qui habite en eux semble dire au fléau : nous sommes assez forts pour nous détruire nous-mêmes -et plus radicalement, plus sûrement que tu ne pourrais le faire- avec ce que nous croyons être le plaisir, la sécurité et le repos ! »
Gustave Thibon, L’échelle de Jacob
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08/08/2014
Le corps sait où il va dans les ténèbres, alors que l’esprit tatonne dans la lumière
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« "Il y a plus de raison dans ton corps que dans ta meilleure sagesse" (Nietzsche) – C’est vrai, non comme le croit Nietzsche, parce que la vie n’est qu’un accident physique, mais parce que la vie de l’esprit ne possède pas ici-bas la plénitude et l’infaillibilité de la vie organique. Le corps sait où il va dans les ténèbres, alors que l’esprit tatonne dans la lumière. Et c’est la tâche suprême de la philosophie et de la religion, que d’acheminer l’esprit débile et anarchique de l’homme vers une cohérence et une unité qui s’apparentent dans leur ordre, à la perfection de l’univers corporel. Tous les hommes possèdent un corps, à peu près normal, harmonieusement immergé dans la vie cosmique et dont tous els organes s’équilibrent et se soutiennent réciproquement, mais où sont les hommes doués d’une pensée organique, c’est à dire nourrie de toutes les richesses du réel et rattachée à son centre qui est Dieu ?
Quand je parle de pensée vitale, organique, je n’entends pas désigner par ces mots une pensée qui recevrait ses lois de la nature charnelle et sensible (le racisme par exemple), mais une pensée aussi cohérente, aussi reliée, aussi nourrie de réalité, dans l’ordre supérieur de la spiritualité, que la vie charnelle et sensible. Constater une analogie n’est pas établir une identité. Saint Paul serait-il matérialiste quand il parle du Corpus Christi mysticum ? En d’autres termes, je voudrais que l’esprit humain fût relié à l’univers spirituel des essences et des raisons dernières comme notre corps est relié à l’univers sensible. »
Gustave Thibon, L’échelle de Jacob
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L’illimité qui donne l’illusion de l’infini
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« Le pire ennemi de l’infini dans l’homme, c’est l’illimité qui donne l’illusion de l’infini, et qui le cache. Tant qu’un être peut aller de l’avant et que la borne de sa puissance, de son amour ou de sa liberté recule devant lui, il ignore l’infini et ne sait rien de Dieu. Ce n’est qu’en se heurtant contre sa propre limite qu’il découvre l’infini. Dieu est toujours derrière la porte impossible à franchir. »
Gustave Thibon, L’échelle de Jacob
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Quel déchirement, quel appel d’air !
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« L’homme est tiré du néant et il est l’image de Dieu. Quel abîme entre ces deux choses ! Et quel déchirement, quel appel d’air, quelles obligations cela crée ! Tout l’homme est là, mais quel est l’homme qui consent à être un homme ? On bouche cet abîme avec des ordures, avec des mensonges, avec n’importe quoi, pourvu qu’on ne voie plus ce néant que nous sommes et ce Dieu que nous devons être. Nous sommes trop orgueilleux pour accepter de n’être rien et trop lâches pour répondre à l’ appel qui nous enjoint de devenir tout. »
Gustave Thibon, L’échelle de Jacob
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L'éternité...
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« Si paradoxal que cela puisse paraitre, l’espérance surnaturelle consiste surtout à ne pas songer à l’avenir. Car l’avenir est la patrie de l’irréel, de l’imaginaire. Le bien que nous attendons de Dieu réside dans l’éternel, non dans l’avenir. Et le présent seul donne accès à l’éternel. Se réfugier dans l’avenir, c’est désespérer du présent, c’est préférer un mensonge à la réalité que Dieu nous envoie goutte à goutte chaque jour. Dieu tient ses promesse en même temps qu’il les fait. Hodie mecum eris in paraiso, telle est la devise de l’espérance surnaturelle. La fausse espérance, braquée uniquement sur l’avenir, se repaît de promesses : demain, on rasera gratis... »
« Pourquoi les saints peuvent-ils sans s’épuiser, travailler et souffrir mille fois plus que nous ? C’est parce qu’ils vivent dans un présent perpétuel, parce qu’ils incarnent le mot du Christ : à chaque jour suffit sa peine. Ce qui nous épuise, c’est que notre présent est rongé sans cesse de regrets, d’appréhensions et de craintes imaginaires. Comment nos possibilités d’action ne seraient-elles pas très limitées, dévorés que nous sommes par ce qui n’est plus, et par ce qui ne sera jamais ? Le saint élimine de sa vie le parasitisme du passé et de l’avenir : aussi, chaque instant est-il gonflé de plénitude et de vigueur éternelles. »
Gustave Thibon, L’échelle de Jacob
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Les hommes métamorphosés en chacals des camps
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« Pendant les années qu’il avait passées dans les camps, Ivan Grigoriévitch avait appris à connaître les faiblesses humaines. Maintenant, il voyait qu’elles étaient fort nombreuses des deux côtés des barbelés. Les souffrances ne faisaient pas que purifier. La lutte pour obtenir une gorgée supplémentaire de soupe ou pour se faire exempter d’une corvée était féroce et les faibles s’abaissaient à un niveau pitoyable. Maintenant qu’il était en liberté, Ivan Grogorévitch cherchait à deviner comment tel ou tel personnage hautain et fort soigné dans sa mise raclerait de sa cuiller les écuelles vides des autres ou trotterait autour des cuisines à la recherche d’épluchures et de feuilles de chou pourries, à la façon d’un chacal...
Foulés, écrasés par la violence, la sous-alimentation, le froid, la privation de tabac, les hommes métamorphosés en chacals des camps, cherchant de leurs yeux hagards des miettes de pain et des mégots couverts de bave, éveillaient en lui la pitié.
Les hommes des camps l’aidaient à comprendre les hommes en liberté. Il discernait chez les uns et chez les autres une même faiblesse, une même cruauté et une même peur.
Les hommes étaient partout les mêmes et il les plaignait. »
Vassili Grossman, Tout passe
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07/08/2014
L'Infini
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« Il ne faudra pas moins que l'éternité pour admirer la beauté absolue, indicible des choses que nous ne faisons pas nous-mêmes, et vous savez que nous ne faisons jamais notre destin. Voilà bien des années que je suis le spectateur pantelant de ma propre vie, comme je serais le spectateur d'une tragédie surnaturelle. Etant aussi lâche que tous mes frères, je me suis plaint de n'être pas confortablement assis. Je m'en plains encore et c'est une grande pitié, je le sais, de ne pas mieux reconnaître le don de Dieu. Si scires Donum Dei! dit Jésus, à la Samaritaine. Ah! oui, si on savait, décidément, qu'il n'y a pas de petites choses et combien tout ce qui se passe est grand, ce serait à mourir de ravissement.
Songes-tu, mon pauvre Marchenoir, que lorsque tu prononces le nom de Jésus, tout fléchit le genou, au ciel, sur la terre et dans les enfers, et que c'est l'Esprit-Saint qui dit cela ? Lorsque tu accomplis un acte bon ou mauvais, rappelle-toi qu'il y a des âmes sans nombre, des âmes des vivants et des âmes de prétendus morts qui correspondent mystérieusement à la tienne - âmes d'esclaves ou d'empereurs ayant pu animer des corps, il y a cinq mille ans ou les animant, à cette heure, lesquelles ont un besoin infini de toi. Si donc ton acte est mauvais, cette multitude est refoulée; si ton acte est bon, tu la ramènes comme par la main. La catastrophe de la Martinique, par exemple, a pu être déterminée par un refus d'obéissance, ou une transgression vénielle dont se rendra coupable, dans un demi-siècle, une misérable créature éternellement désignée pour lancer ainsi l'étincelle au fond de ce gouffre. Et il se peut tout aussi bien que tel sauvage de la Tasmanie ou de l'Angola qui s'abstint d'une atrocité au siècle dernier, ait déterminé la crise heureuse qui sauvera, je ne sais quand, tel moribond dans un hôpital de Londres. Lorsque les lieutenants exaspérés, de Grouchy, le pressaient avec fureur d'aller au secours de Napoléon, je me représente fort bien des millions de bras invisibles retenant cet imbécile devenu, un instant, le pivot du monde. Tout cela, c'est ce qu'on nomme la Communion des Saints, l'article neuvième du Symbole, la Solidarité de toutes les créatures, de tous les mondes et de tous les temps,- l'infini ! »
Léon Bloy, Journal I, 1892 - 1907
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Les morts passent à une existence de splendeur, qui est un "retour"
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« En fait de doctrine post-portem, les Védas considèrent essentiellement la même solution qui fut propre au plus antique esprit aryano-hellénique : images de ténèbres ou d'enfers sont presque totalement absentes dans les parties les plus anciennes des Védas. La crise de la mort est à peine ressentie comme telle – dans l'Atharva-Véda, elle est même conçue comme l'effet d'une force ennemie et démoniaque, qui peut être combattue avec des rites opportuns. Les morts passent à une existence de splendeur, qui est un "retour", où ils se conjoignent nouvellement à leur forme primordiale : "ayant déposé tous les défauts, retourne chez toi : unis-toi, plein de splendeur avec [ta] forme – et encore : "Buvons le Soma, devenons immortels, rejoignons la lumière". »
Julius Evola, La doctrine de l'Éveil
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Heureux l'homme de la bonne conscience !
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« Heureux l'homme de la bonne conscience ! Il consacre ses jours ouvrables aux besognes d'un égoïsme bien entendu, ses dimanches et ses jours fériés aux oeuvres pies et aux mendiants ; elle règne, cette heureuse bonne conscience, sur un temps harmonieusement aménagé où deux horaires successifs sont réservés, l'un aux exercices du corps, l'autre à la charité. »
Vladimir Jankélévitch, Le paradoxe de la morale
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Un homme qui se tenait solidement sur ses pieds
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« Ce fut une soirée remarquable, un tournant. Inger s'était écartée longtemps du droit chemin, et il avait suffi de la soulever un instant pour l'y faire rentrer. Ils ne parlèrent pas de ce qui s'était passé. Isak s'était senti honteux d'avoir agi de la sorte à cause d'un thaler, qu'il finirait par donner parce qu'il serait lui-même content de l'envoyer à Eleseus. Et puis, cet argent, n'était-il pas à Inger aussi bien qu'à lui ? Au tour d'Isak de se sentir humble !
Inger avait encore changé. Elle renonçait à ses manières raffinées et redevenait sérieuse : une femme de paysan, sérieuse et réfléchie, comme elle était auparavant. Penser que la rude poigne d'un homme pouvait accomplir de telles métamorphoses ! Il devait en être ainsi ! Une femme robuste et saine, mais gâtée par un long séjour dans une atmosphère artificielle, s'était heurtée à un homme qui se tenait solidement sur ses pieds. Il ne s'était pas laissé écarter un instant de sa place naturelle sur la terre, de son lopin. »
Knut Hamsun, L'éveil de la glèbe
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Heidegger le renard
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« Heidegger déclare avec fierté : "Les gens disent que Heidegger est un renard." Telle est la véritable histoire de Heidegger le renard : Il était une fois un renard si dépourvu de ruse que non seulement il ne cessait de se faire prendre au piège mais qu'il ne savait même pas faire la différence entre ce qui était un piège et ce qui ne l'était pas. Ce renard souffrait aussi d'une autre faiblesse. Sa fourrure était en mauvais état, si bien qu'il se trouvait complètement démuni de protection naturelle contre les épreuves d'une existence de renard. Après avoir passé toute sa jeunesse à tomber dans les pièges des autres, maintenant qu'il ne lui restait plus, pour ainsi dire, une seule touffe intacte de fourrure sur le dos, le renard décida de se retirer du monde des renards et de se fabriquer un terrier. Dans sa cruelle ignorance de la différence entre ce qui était un piège et ce qui n'en était pas un, en dépit de son expérience considérable des pièges, il lui germa dans l'esprit une idée totalement nouvelle et inconnue des renards. Il allait se fabriquer un piège en guise de terrier. Il s'installa à l'intérieur, comme dans un terrier normal - non par ruse, mais parce qu'il avait toujours cru que les pièges des autres étaient leurs terriers -, puis il décida de devenir sournois et d'adapter aux autres le piège qu'il avait conçu pour lui et qui ne convenait qu'à lui. Voilà qui à nouveau démontrait sa grande ignorance des pièges : personne ne voulait pénétrer dans son piège, car il y était lui-même installé. Il s'en agaça. Après tout, personne n'ignore qu'en dépit de leur habileté tous les renards, de temps en temps, se laissent prendre au piège. Pourquoi un piège de renard - surtout conçu par un renard ayant plus d'expérience des pièges qu'un autre - ne rivaliserait-il pas avec les pièges des êtres humains et des chasseurs ? De toute évidence parce que ce piège ne montrait pas assez clairement le piège qu'il était ! Il vint donc à l'idée de notre renard de décorer son piège et d'accrocher des écriteaux sans équivoque qui annonçaient clairement : "Venez tous ; ceci est un piège, le plus beau piège du monde." A partir de ce moment, il était certain qu'aucun renard ne s'aventurerait dans ce piège par erreur. Néanmoins beaucoup vinrent. Car ce piège était le terrier de notre renard, et si vous désiriez lui rendre visite quand il était chez lui, il fallait pénétrer dans son piège. Tout le monde, à l'exception de notre renard, pouvait, bien sûr, en ressortir. Il était littéralement taillé à sa mesure. Mais le renard qui habitait le piège disait fièrement : "Ils sont si nombreux à me rendre visite dans mon piège que je suis devenu le roi de tous les renards." Et il y avait du vrai dans son propos, aussi, car personne ne connaît mieux la nature des pièges que celui qui y demeure toute sa vie durant. »
Hannah Arendt, Journal de pensée
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06/08/2014
Aussi la vie de la plupart des hommes est-elle courte et calamiteuse
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« Sortie des ténèbres de l'inconscience pour s'éveiller à la vie, la volonté se trouve, comme individu, dans un monde sans fin et sans bornes, au milieu d'une foule innombrable d'individus, tous occupés à faire effort, à souffrir, à errer ; et comme emportée au travers d'un rêve anxieux, elle se hâte de rentrer dans son inconscience primitive. Jusque-là cependant ses désirs sont infinis, ses prétentions inépuisables, et l'assouvissement de tout appétit engendre un appétit nouveau. Aucune satisfaction terrestre ne pourrait suffire à apaiser ses convoitises, à mettre un terme définitif à ses exigences, à combler l'abîme sans fond de son coeur. Considérez maintenant en regard ce que l'homme, en règle générale, obtient en satisfactions de ce genre : ce n'est presque jamais rien de plus que la misérable conservation de cette existence même, conquise au prix d'efforts journaliers, de fatigues incessantes et de soucis perpétuels dans la lutte contre le besoin, et avec cela toujours la mort au fond du tableau. Tout dans la vie nous enseigne que le bonheur terrestre est destiné à être empêché ou reconnu pour illusoire. Et ces dispositions prennent leur racine dans l'essence intime des choses. Aussi la vie de la plupart des hommes est-elle courte et calamiteuse. Les gens comparativement heureux ne le sont presque toujours qu'en apparence, ou ce sont, comme ceux qui vivent longtemps, de rares exceptions, dont la possibilité devait subsister comme appât. La vie se présente comme une duperie qui se poursuit, dans le détail aussi bien que dans l'ensemble. A-t-elle promis, elle ne tient pas sa promesse, à moins de vouloir montrer combien peu désirable était la chose désirée par nous : nous voilà donc trompés tantôt par l'espérance même, tantôt par l'objet de notre espoir. A-t-elle donné, c'était alors pour nous demander à son tour. Le mirage attrayant du lointain nous montre des paradis qui s'évanouissent, semblables à des illusions d'optique, une fois que nous nous y sommes laissés prendre. Le bonheur réside donc toujours dans l'avenir, ou encore dans le passé, et le présent paraît être un petit nuage sombre que le vent pousse au-dessus de la plaine ensoleillée : devant lui et derrière lui tout est clair ; seul il ne cesse lui-même de projeter une ombre. Aussi est-il toujours insuffisant, tandis que l'avenir est incertain, et le passé irrévocable. Avec ses contrariétés petites, médiocres et grandes de chaque heure, de chaque jour, de chaque semaine et de chaque année, avec ses espérances déçues et ses accidents qui déjouent tous les calculs, la vie porte l'empreinte si nette d'un caractère propre à nous inspirer le dégoût, que l'on a peine à concevoir comment on a pu le méconnaître, et se laisser persuader que la vie existe pour être goûtée par nous avec reconnaissance et que l'homme est ici-bas pour vivre heureux.
Cette illusion et cette désillusion persistantes, comme aussi la nature générale de la vie, ne semblent-elles pas bien plutôt créées et calculées en vue d'éveiller la conviction que rien n'est digne de nos aspirations, de nos menées, de nos efforts ; que tous les biens sont chose vaine, que le monde est de toutes parts insolvable, que la vie enfin est une affaire qui ne couvre pas ses frais – et tout cela pour que notre volonté s'en détourne ? »
Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation
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De brillants écrivains
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« Aucune faction politique n’avait encore été, comme la nôtre, soutenue par autant de brillants écrivains collaborant à nos journaux, nous faisant savoir leur approbation : Drieu La Rochelle, engagé sans réserve dans notre bataille, Paul Morand qui allait être ambassadeur de la France occupée à Bucarest, Marcel Aymé qui nous donnait pour "Je Suis Partout" ses meilleurs contes, Jean Giono emprisonné pour antibellicisme en 1939 et dont un de ses romans était publié dans "La Gerbe", Jacques Benoist-Méchin, le profond historien de l’armée allemande et le créateur à Vichy de la Légion Tricolore, Henry de Montherlant qui nous avait devancé avec son "Solstice de Juin", Marcel Jouhandeau qui nous avait révélé son antisémitisme inattendu, Jacques Chardonne (...), Pierre Mac Orlan qui rédigeait le feuilleton littéraire des "Nouveaux Temps", Jean Anouilh, Edmond Jaloux, le plus ouvert, le plus sensible des critiques. Céline, je l’ai dit, ne partageait pas notre optimisme, mais il n’avait pas pour cela changé de camp, restait notre prophète, notre drapeau. N’étaient pas négligeables non plus le proustien Ramon Fernandez, inscrit au P.P.F (...), René Barjavel, mon ami de chez Denoël, qui avait choisi "Je Suis Partout" pour y faire ses débuts avec deux excellents romans fantastiques, "Ravages" et "Le Voyageur imprudent". A tous ces noms s’ajoutaient une bonne quinzaine d’académiciens. Et si j’étais fort peu guitryste, Sacha (...) ne dissimulait guère ses opinions.
Léon-Paul Fargue ne dédaignait pas de s’asseoir à notre table chez Lipp pour boire son quart Vichy chambré dans un sceau d’eau bouillante. (...) Nous avons bêtement écarté Jean Cocteau, qui n’aurait pas eu à se forcer pour célébrer la jeune virilité des Waffen S.S : si les gouines étaient gaullistes – on les retrouverait sous le calot et l’uniforme des A.F.A.T- la pédale était fort collaboratrice. (...)
Jean-Paul Sartre, dont le nom commençait à circuler, ne s’estimait pas déshonoré de publier à la N.R.F collaboratrice son premier ouvrage important, "L’Etre et le Néant", où les initiés découvraient un disciple des existentialistes allemands qui professaient dans les universités du Troisième Reich. (...) Marcel Arland, Simenon, Henri Mondor, Jean Giraudoux, Maurice Genevoix, Colette, qui avait demandé que je lui fusse présenté (...) pour me dire que "Les Décombres" l’amusaient beaucoup (...), Edouard Bourdet bien qu’il eût été nommé par le Front Populaire administrateur de la Comédie-Française, cinquante autres moins empanachés ne répugnaient pas à se faire imprimer ou jouer. »
Lucien Rebatet, Les Mémoires d’un fasciste
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Le mystère du sacré
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« La liturgie n'est pas un show, un spectacle qui ait besoin de metteurs en scène géniaux, ni d'acteurs de talent. La liturgie ne vit pas de surprises sympathiques, de trouvailles captivantes mais de répétitions solennelles. Elle ne doit pas exprimer l'actualité et ce qu'elle a d'éphémère, mais le mystère du sacré. »
Roger Nimier, Entretien sur la Foi
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Je n'ai jamais encore, à 72 ans, découvert aucun sens à tout cela
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« Je suis maintenant un vieil homme, et, comme beaucoup d'habitants de notre vieille Europe, la première partie de ma vie a été assez mouvementée : j'ai été témoin d'une révolution, j'ai fait la guerre dans des conditions particulièrement meurtrières (j'appartenais à l'un de ces régiments que les états-majors sacrifient froidement à l'avance et dont, en huit jours, il n'est pratiquement rien resté), j'ai été fait prisonnier, j'ai connu la faim, le travail physique jusqu'à l'épuisement, je me suis évadé, j'ai été gravement malade, plusieurs fois au bord de la mort, violente ou naturelle, j'ai côtoyé les gens les plus divers, aussi bien des prêtres que des incendiaires d'églises, de paisibles bourgeois que des anarchistes, des philosophes que des illettrés, j'ai partagé mon pain avec des truands, enfin j'ai voyagé un peu partout dans le monde... et cependant, je n'ai jamais encore, à 72 ans, découvert aucun sens à tout cela, si ce n'est, comme l'a dit, je crois, Barthes, après Shakespeare, que "si le monde signifie quelque chose, c'est qu'il ne signifie rien - sauf qu'il est". »
Claude Simon, Discours de Stockholm (Discours de réception du prix Nobel de littérature, 1985)
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Il faut fuir, autant qu’il est possible, comme un écueil très acéré et dangereux, l’affectation
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« Mais j’ai déjà souvent réfléchi sur l’origine de cette grâce, et, si on laisse de côté ceux qui la tiennent de la faveur du ciel, je trouve qu’il y a une règle très universelle, qui me semble valoir plus que tout autre sur ce point pour toutes les choses humaines que l’on fait ou que l’on dit, c’est qu’il faut fuir, autant qu’il est possible, comme un écueil très acéré et dangereux, l’affectation, et pour employer peut-être un mot nouveau, faire preuve en toute chose d’une certaine sprezzatura, qui cache l’art et qui montre que ce que l’on a fait et dit est venu sans peine et presque sans y penser. »
Baldassare Castiglione, comte de Novellata, Le Livre du courtisan
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05/08/2014
La Ronde...
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« Je suppose qu’un triste jour, par je ne sais quelle aberration, ils s’étaient laissé tenter au passage du bazar ambulant. Dès lors, ils avaient perdu le contact qui leur avait fait traverser les siècles. Le peuple guanaqui n’existe plus. Il n’y a plus que des individus. Entendons-nous bien : ils ne sont pas morts. Sans doute même plus nombreux qu’avant, transplantés dans une ville ou une autre, mêlés à la grande foule moderne, anonyme, ignorante du passé et de l’avenir. Petits mecs, en quelque sorte, qui ont rejoint la ronde. »
Jean Raspail, La hache des steppes
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Une justice et une société meurent toujours de ce qui se tait
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« On était peut-être en train de glisser dans une société de cauchemar. Peut-être. En tout cas, Fénimore savait que ça ne déclencherait pas ce haut-le-cœur de catastrophe qui monte à lire un roman d'anticipation. Le mal ne surgit pas comme un lapin hors du chapeau. On ne sombre pas dans l'erreur, on y glisse sans s'en rendre compte.Trompeurs sont les avertissements et trompeuses les colères. Une justice et une société meurent toujours de ce qui se tait. Un totalitarisme réussi, c'est comme un crime parfait. On ne sait même pas qu'il a eu lieu. »
Julien Capron, Match aller
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Paris dans sa majorité attendait pour choisir son opinion de voir de quel côté pencherait la balance de la guerre
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« Je ne fais pas ce récit par vantardise, comme les vieux ténors déchus qui radotent : "Ah ! si vous m’aviez entendu en 1935, au Capitole, dans Werther !" J’ai suffisamment, dans la suite, subi d’insuccès et d’avanies à Paris pour juger à leur prix les toquades de cette ville. Mais je veux rappeler qu’un collaborateur extrémiste était loin de vivre en 1942 dans une solitude amère et déshonorée, que s’il provoquait des curiosités comme un phénomène zoologique, ses plus tonitruantes extravagances lui attiraient des émules, innombrables ma foi ! Ma photographie, plutôt rogue, en grand format, au milieu des feuilles de mon manuscrit, orna jour et nuit durant plusieurs semaines la vitrine de "Rive gauche", au coeur de ce Quartier Latin que l’on disait si cocardier, sans que le plus petit caillou fût lancé contre elle, qu’elle excitât la moindre inscription vengeresse. Paris dans sa majorité attendait pour choisir son opinion de voir de quel côté pencherait la balance de la guerre. Si nous nous trouvions à l’épilogue sur le bon plateau, sans aucun doute une belle foule de partisans nous rejoindrait avec empressement. Déjà, la rhétorique péremptoire d’un fasciste d’avant-garde tel que moi ébranlait bien des indécis : "Après tout, ces garçons disent beaucoup de vérités. Les politiciens de la défunte IIIème ont été des criminels imbéciles. Les Allemands ne sont pas tellement intraitables. Et qu’est ce qui nous tomberait sur le dos si les Russes gagnaient ?" »
Lucien Rebatet, Les Mémoires d’un fasciste - II
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Qui "déshonorera" la souffrance ?
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« Qui proclamera une bonne fois que souffrir ne sert à rien, que cela est perdu, totalement perdu ? Qui "déshonorera" la souffrance ? Il y a bien quelques êtres qui connaissent le secret de ne pas souffrir, secret qui raisonnablement devrait être l’apanage des dieux. Ce secret, ils voudraient le dire, mais ils savent qu’un homme qui s’avoue heureux est tenu pour un benêt, ou pour un poseur, ou pour un égoïste qui insulte au malheur du genre humain ; ils craignent que même le don qu’ils feraient de ce secret ne suffît pas pour qu’on leur pardonnât de le détenir. Alors ils se retirent dans des solitudes délicieuses, qu’ils ne partagent qu’avec le plaisir, et ces préceptes que leur cœur brûle de dispenser à leurs semblables, ils les écrivent sur le vent qui passe et sur les feuilles qui meurent dans les bois. »
Henry de Montherlant, Service inutile
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Quand nous allions par les champs mortuaires et les villages brûlés
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En 1919, Henri Béraud, journaliste reporter, assiste à la Conférence de Paix de Paris...
« Pendant que ces voix paisibles de doyens assermentés bourdonnaient à mes oreilles, je pensais aux heures de la guerre et, un instant, j’ai quitté le palais aux dorures arrogantes pour me retrouver dans ce noir abri du Soissonnais où, durant les nuits d’insomnie et de bombardement, j’évoquais ce congrès que j’avais présentement sous mes yeux. On nous avait tant dit que nous nous battions pour un monde nouveau... Quand nous allions par les champs mortuaires et les villages brûlés, nous ne pensions pas, nous, que le compte de nos travaux serait établi par d’autres que nous. Il nous arrivait de croire que l’ère des vieillards était accomplie et que notre génération avait acquis le droit de parler au nom des aînés…
Je rouvris les yeux. Les lustres resplendissaient. Les soixante plénipotentiaires, assis bien sagement devant leurs soixante buvards, avaient l’air de somnoler.
Et je pensais encore à d’autres choses : aux conseils d’administration qui siègent au-dessus des mines, aux assemblées plénières d’armateurs, qui font, barèmes en main, le solde et le bilan des bateaux en détresse... »
Henri Béraud, Le flâneur salarié
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