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13/11/2014

"Mais on dirait que pour vous Homère est vivant !"

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« Depuis les premiers contacts de missionnaires chrétiens aux XVIIe siècle, une véritable fascination pour l’Asie, la Chine et le Japon sont née en Occident dans la bonne société. Leibniz en a témoigné en son temps. Aux XXe siècle, la crise de la pensée européenne a amplifié l’ancien attrait qui s’est accompagné du déni d’une culture occidentale devenue hybride et infirme. Aux yeux d’Européens déboussolés, le bouddhisme et sa variante zen, ou le taoïsme, reposant sur le principe d’impermanence du monde, sont apparus comme des sagesses de substitution.

Le fait est que les "Extrêmes-Occidentaux", victimes de l’intense démoralisation consécutive aux deux guerres mondiales, ont souvent perdu foi dans les évidences enseignées à leurs aïeux. Ils avaient donc tendance à chercher ailleurs ce qu’ils ne trouvaient plus chez eux. Cet engouement pour l’exotisme reposait aussi sur un oubli de soi confinant souvent au mépris. Il y avait bien des raisons à cela. Parmi celles-ci, la fossilisation de nos plus anciens classiques par des générations de professeurs blasés. Je me souviens de la stupéfaction d’une étudiante en lettre classiques à la Sorbonne. Travaillant avec sincérité, elle ne songeait pas seulement aux examens, mais à ce que les textes étudiés pouvaient lui apporter pour comprendre le monde et conduire sa vie. Son professeur était surpris et presque indigné de la voir prendre au sérieux Homère : "Mais on dirait que pour vous Homère est vivant !". Pour lui bien entendu cet Homère donc il enseignait la traduction était une matière morte, comme l’étaient tous les auteurs antiques. C’est sans doute une différence majeure avec l’Asie qui, sauf pendant la période maoïste, n’a cessé d’étudier ses classiques pour en tirer des enseignements de vie.

Si l’on veut réfléchir de façon neuve à notre façon d’être des Européens, un détour par le Japon se révèle précieux. Tout d’abord, il permet de regarder autrement notre histoire, notre destin, nos valeurs et nos comportements. Par un exercice d’histoire comparée, il donne à notre esprit l’occasion de respirer. Le comparatisme modifie l’angle de vue, il élargit la vision et donne à penser autrement. Durant la longue période féodale, du XXe au XIXe siècle, à la différence de l’Europe, le Japon des shoguns a vécu fermé aux étrangers, se désintéressant volontairement du monde extérieur, se concentrant sur lui-même. C’est pourtant durant cette période que s’est perfectionnée sa haute civilisation autant que l’éthique martiale du Bushido et du Hagkuré. L’exemple du Japon montre que l’on peut, suivant les mots d’Ortega y Gasset, "commander" chez soi, sur soi, dans son propre monde, même en se détournant de toute conquête extérieure. A certaines conditions, il n’est pas impossible de maintenir "un régime de haute hygiène, de grande noblesse, de constants stimulants qui excitent la conscience de la dignité". »

Dominique Venner, Un samouraï d’Occident

 

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12/11/2014

Tout contre la mort

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« À quoi sert de vivre, si on ne se sert pas de sa vie pour la choquer contre la mort, comme un briquet ? Guerre - ou révolution, c’est-à-dire guerre encore - il n’y pas à sortir de là. Si la mort n’est pas au coeur de la vie comme un dur noyau - la vie, quel fruit mou et bientôt blet ? »

Pierre Drieu la Rochelle, La Comédie de Charleroi

 

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Le libéralisme n’a jamais été une idéologie, ni un dogme invariable et indépendant du cours des choses ou des résultats de l’action

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« Un malentendu fausse quasiment toutes les discussions sur les mérites respectifs du socialisme et du libéralisme : les socialistes se figurent que le libéralisme est une idéologie. Et, suivant une soumission mimétique souvent décrite dans ces pages, les libéraux se sont laissé inculquer cette vision grossièrement erronée d’eux-mêmes.

Les socialistes, élevés dans l’idéologie, ne peuvent concevoir qu’il existe d’autres formes d’activité intellectuelle. Ils débusquent partout cette systématisation abstraite et moralisatrice qui les habite et les soutient. Ils croient que toutes les doctrines qui les critiquent copient la leur en se bornant à l’inverser et qu’elles promettent, comme la leur, la perfection absolue, mais simplement par des voies différentes.

Si, par exemple, un libéral dit à un socialiste : "A l’usage, le marché semble être un moins mauvais moyen d’allocation des ressources que la répartition autoritaire et planifiée", le socialiste répond aussitôt : "Le marché ne résout pas tous les problèmes." Certes ! Qui a jamais soutenu pareille ânerie ? Mais, comme le socialisme, lui, a été conçu dans l’illusion de résoudre tous les problèmes, ses partisans prêtent à leurs contradicteurs la même prétention. Or tout le monde n’est pas mégalomane, heureusement. Le libéralisme n’a jamais eu l’ambition de bâtir une société parfaite. Il se contente de comparer les diverses sociétés qui existent ou ont existé et de retenir les leçons à tirer de l’étude de celles qui fonctionnent ou ont fonctionné le moins mal. Pourtant, de nombreux libéraux, hypnotisés par l’impérialisme moral des socialistes, acceptent la discussion sur le même terrain qu’eux. "Je crois à la loi du marché, mais elle ne suffit pas", déclare l’économiste américain Jeremy Rifkin (1). "Le marché libre ne peut tout résoudre", renchérit le spéculateur George Soros (2). Ces piètres truismes émanent d’un système de pensée figé, selon lequel le libéralisme serait une théorie opposée au socialisme par ses thèses mais identique à lui par ses mécanismes.

Or il n’est ni l’un ni l’autre. Le libéralisme n’a jamais été une idéologie, j’entends n’est pas une théorie se fondant sur des concepts antérieurs à toute expérience, ni un dogme invariable et indépendant du cours des choses ou des résultats de l’action. Ce n’est qu’un ensemble d’observations, portant sur des faits qui se sont déjà produits. Les idées générales qui en découlent constituent non pas une doctrine globale et définitive, aspirant à devenir le moule de la totalité du réel, mais une série d’hypothèses interprétatives concernant des événements qui se sont effectivement déroulés. Adam Smith, en entreprenant d’écrire La Richesse des nations constate que certains pays sont plus riches que d’autres. Il s’efforce de repérer, dans leur économie, les traits et les méthodes qui peuvent expliquer cet enrichissement supérieur, pour tenter d’en extraire des indications recommandables. Il procède ainsi comme Kant qui, dans la Critique de la raison pure, dit à ses confrères philosophes : depuis plus de deux mille ans, nous tentons d’élaborer des théories du réel valables pour l’éternité. Elles sont régulièrement rejetées dès la génération suivante faute de démonstration irréfutable. Or, depuis un siècle et demi, nous avons sous les yeux une discipline récente, qui est enfin parvenue avec certitude à établir quelques lois de la nature : c’est la physique. Au lieu de nous obstiner dans notre stérile dogmatisme métaphysique, observons donc plutôt comment s’y sont pris les physiciens pour réussir et inspirons-nous de leurs méthodes pour tâcher d’égaler leurs succès.

Il faut donc refuser l’affrontement entre socialisme et libéralisme comme étant l’affrontement de deux idéologies. Qu’est-ce qu’une idéologie ? C’est une construction a priori, élaborée en amont et au mépris des faits et des droits, c’est le contraire à la fois de la science et de la philosophie, de la religion et de la morale. L’idéologie n’est ni la science, pour laquelle elle a voulu se faire passer ; ni la morale, dont elle a cru détenir les clefs et pouvoir s’arroger le monopole, tout en s’acharnant à en détruire la source et la condition : le libre arbitre individuel ; ni la religion, à laquelle on l’a souvent et à tort comparée. La religion tire sa signification de la foi en une transcendance, et l’idéologie prétend rendre parfait ce monde-ci. La science accepte, je dirai même provoque, les décisions de l’expérience, et l’idéologie les a toujours refusées. La morale repose sur le respect de la personne humaine, et l’idéologie n’a jamais régné que pour la briser. Cette funeste invention de la face noire de notre esprit, qui a tant coûté à l’humanité, engendre en outre, chez ses adeptes, ce curieux travers qui consiste à prêter à autrui leur propre forme d’organisation mentale. L’idéologie ne peut pas concevoir qu’on lui oppose une objection si ce n’est au nom d’une autre idéologie.

Or toute idéologie est un égarement. Il ne peut pas y avoir d’idéologie juste. Toute idéologie est intrinsèquement fausse, de par ses causes, ses motivations et ses fins, qui sont de réaliser une adaptation fictive du sujet humain à lui-même — à ce "lui-même", du moins, qui a décidé de ne plus accepter la réalité, ni comme source d’information ni comme juge du bien-fondé de l’action.

C’est donc un non-sens, quand une idéologie est morte, de se dire qu’il faut de toute urgence la remplacer par une autre. Remplacer une aberration par une aberration, c’est de nouveau céder au mirage. Peu importe alors quel mirage se substitue au précédent, car ce n’est pas le contenu d’une illusion qui compte, c’est l’illusion même.

Le libéralisme n’est pas le socialisme à l’envers, n’est pas un totalitarisme idéologique régi par des lois intellectuelles identiques à celles qu’il critique. Cette méprise rend absurde le dialogue entre socialistes et libéraux. Ainsi, dans l’entretien (relaté au chapitre précédent) avec Frédéric Martel, mon sympathique interlocuteur est, tout du long, hanté par l’idée que, vieux "viscéral", je n’ai combattu le communisme que pour promouvoir le libéralisme. La chute du communisme ayant rendu caduque ma panoplie guerrière, je dois donc maintenant, comme il le dit d’ailleurs plus tard dans son compte rendu de mes mémoires, faire mon autocritique en tant que sectateur du fanatisme libéral, devenu inutile. Mais, outre que le libéralisme n’a jamais été un fanatisme lancé contre un autre, je n’ai jamais lutté contre le communisme au nom du libéralisme, ou seulement au nom du libéralisme. J’ai lutté contre le communisme avant tout au nom de la dignité humaine et du droit à la vie. Que la faillite permanente et ridicule des économies administrées ne fût pas sans apporter quelques arguments aux économistes libéraux — encore que bien des socialistes le nient encore aujourd’hui farouchement — c’était incontestable, mais ce n’était pas l’essentiel. Quand on se trouve devant une prison doublée d’un asile de fous et d’une association de meurtriers, on ne se demande pas s’il faut les détruire au nom du libéralisme, de la social-démocratie, de la "troisième voie", du "socialisme de marché" ou de l’anarcho-capitalisme. De telles arguties sont même indécentes, et le débat sur libéralisme ou social-étatisme ne peut renaître légitimement que dans une société rendue à la liberté. J’ai combattu le communisme mû par la même "obsession" qui m’avait jadis fait combattre le nazisme : l’ "idée fixe", "viscérale" du respect de la personne humaine. Pas pour savoir qui a raison de Margaret Thatcher ou de Jacques Delors, d’Alain Madelin ou de Lionel Jospin, de Reagan ou de Palme. Cette deuxième question suppose le rétablissement préalable d’une civilisation de la liberté.

Les socialistes contemporains, totalitaires "light", au moins dans leurs structures mentales et verbales, s’égarent donc lorsqu’ils imaginent que les libéraux projettent, comme eux-mêmes, d’élaborer une société parfaite et définitive, la meilleure possible, mais de signe opposé à la leur. Là gît le contresens du débat postcommuniste. Ce n’est pas la peine d’applaudir Edgar Morin lorsqu’il recommande la "pensée complexe" contre la "pensée simpliste" si c’est pour ensuite renforcer le simplisme hors de toute mesure.

Articulons, dans un parallèle pédagogique, le constat suivant : "La liberté culturelle est plus propice à la création littéraire, plastique et musicale que le dirigisme étatique." Cet énoncé empirique, étayé par une vaste expérience passée et présente, ne signifie pas et ne comporte pas l’engagement que toutes les productions nées dans les conditions de la liberté (ou, au sein des régimes totalitaires, dans les conditions de la dissidence) ont été, sont ou seront toujours des chefs-d’œuvre. Or, c’est ce que comprend le socialiste ! Il citera aussitôt des milliers de livres, de tableaux, de pièces et de films médiocres ou nuls, éclos dans ce contexte de liberté. Il s’écriera : "Vous voyez bien que le libéralisme ne marche pas !" En d’autres termes, il prête au libéralisme son propre totalitarisme. Se croyant, lui, propriétaire d’un système qui résout tous les problèmes, y compris celui de la beauté, il croit suffisant de supprimer le marché pour supprimer la laideur. Le totalitarisme culturel n’a, pour sa part, jamais produit autre chose que de la laideur. Ce fait ne le gêne aucunement. L’étatisme n’a-t-il pas, du même coup, tué dans l’œuf les déchets de l’art capitaliste ? Qu’il ait, en se mêlant de le diriger, anéanti l’art même n’était-il pas le prix à payer pour cet assainissement ?

Bien entendu, et qu’on veuille bien me faire la grâce de penser que je ne l’ignore pas, il y a eu de tout temps des artistes que le marché à lui seul ne pouvait faire vivre et qui ont été pensionnés par des princes, subventionnés par des républiques ou aidés par des mécènes privés. Mais il y en a eu aussi d’immenses que leur succès auprès du public suffisait à nourrir, voire à enrichir. Cependant ne perdons pas de vue non plus que ni le marché ni la subvention ne garantissent le talent, ni, au demeurant, son absence. Le marché peut faire pleuvoir la fortune sur Carolus Durand comme sur Picasso. La subvention étatique peut aussi bien procurer la sécurité nécessaire à un vrai génie que l’argent facile à un faux créateur, dont les principaux mérites sont l’amitié du ministre, le copinage politique et le culot dans les relations publiques. Décréter que le marché est en soi réactionnaire et la subvention en soi progressiste relève donc de la pensée non seulement simpliste, mais intéressée, celle des virtuoses du parasitisme de l’argent public.

Lors de la visite du pape Jean-Paul II en Pologne, au mois de juin 1999, j’ai entendu un journaliste radiophonique de France Info "informer" ses auditeurs en disant, en substance : le pape sait que le retour des Polonais au capitalisme leur a apporté une certaine prospérité, mais au détriment de la justice sociale. Ce qui sous-entend donc que le communisme leur avait apporté la justice sociale. De nombreuses études ont montré quelle hypocrisie se cachait derrière ce mythe. Le capitalisme n’apporte certes pas l’égalité, mais le communisme encore moins, et, lui, sur fond de pauvreté générale. Mais voilà, une fois de plus, on le juge sur ce qu’il était censé apporter et le capitalisme sur ce qu’il apporte effectivement. Même pas, à vrai dire. Car, si on le faisait, on constaterait (là encore, l’analyse a été surabondamment faite) qu’en 1989, dernière année du communisme, un chômeur indemnisé à l’Ouest touchait entre cinq et dix fois plus, en pouvoir d’achat réel, qu’un ouvrier pourvu d’un prétendu "emploi" à l’Est. Autrement dit, ce sont les sociétés du capitalisme démocratiques qui ont mis en place les systèmes de protection sociale les plus correcteurs des inégalités et des accidents de la vie économique. Mais ce constat est rejeté lorsque l’on persiste à comparer la perfection de ce qui n’existe pas — l’utopie communiste — avec les imperfections de ce qui existe — le capitalisme démocratique. »

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(1) Le Monde, 20 avril 1999.

(2) Jeune Afrique, 1« juin 1999. Repris de la New York Review of Books.

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Jean-François Revel, La Grande Parade

 

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11/11/2014

C’est là signe certain de barbarie

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« La véritable tare de Mlle de Bauret, qui était en partie la tare de son âge, et en partie celle de son époque, était que pour elle nouveauté était synonyme de valeur. C’est là signe certain de barbarie : dans toute société, ce sont toujours les éléments d’intelligence inférieure qui sont affamés d’être à la page. Incapables de discerner par le goût, la culture et l’esprit critique, ils jugent le problème automatiquement d’après ce principe, que la vérité est la nouveauté. »

Henry de Montherlant, Les Célibataires

 

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L’individu français est mort. Ou moribond.

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« Voulez-vous connaître notre secret ? Parcourez nos faubourgs et regardez les antennes plantées en forêt très dense sur les immeubles. L’individu français est mort. Ou moribond. Il ne reste que la masse française, qui, chaque jour, reçoit sa vérité courant sur les ondes. De son réveil à l’heure du sommeil, elle est plongée dans un bain de propagande, sans posséder les connaissances, ni l’esprit critique qui lui permettraient de se défendre. »

Pierre Gaxotte, Le nouvel Ingénu

 

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Vous faites vraiment pitié, à défendre un Etat qui vous ignore, une société qui vous méprise, une culture qui vous hait

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« De tous les "humains" qui cohabitent dans leur connerie institutionnalisée, vous, les flics, êtes les seuls dont je pourrai avoir pitié, à la rigueur. Car vous faites vraiment pitié, à défendre un Etat qui vous ignore, une société qui vous méprise, une culture qui vous hait. On vous attribue un salaire d’ouvrier agricole brésilien pour passer votre temps à recevoir les crachats des diverses foules animées par le ressentiment qui, seul désormais, est capable de les mouvoir quelque peu. Les uniques fonctionnaires dont la situation est encore moins enviable que la vôtre, ce sont les militaires. Cependant, eux, au moins, peuvent déverser des tonnes de napalm et de munitions à fragmentation au mètre carré d’abrutis, cela doit aider à endurer la situation. Tandis que vous, pauvres techniciens de surface du désordre public, tristes gardiens du ridicule instruit, prévôts de la pédanterie néo-bourgeoise, vous, c’est tout juste si vous avez le droit de tirer une grenade lacrymogène contre un rassemblement de tarés habités par la haine dont on nous dit qu’il faut "tolérer la différence". »

Maurice G. Dantec, Artefact

 

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10/11/2014

De la congestion religieuse

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« Internet, par soi-même, n'est rien. Rien. Rien comme la voiture, comme le téléphone, comme la roue, comme la pilule, comme la télévision à coins carrés, comme la machine à laver, comme le bouton à bascule, comme le fil à découper le beurre. Je veux dire que c'est une de ces inventions extraordianires qui, au cours des siècles, ont amélioré la vie de la ménagère et du ménager. Comme toutes les inventions extraordinaires, celle-ci a une valeur d'usage indéniable. Ce qui la différencie des autres, néanmoins, de toutes les autres, c'est qu'elle a été en proie, dés son apparition, et avant même que l'on sache vraiment à quoi elle pouvait servir, à un déluge d'éloges délirants, assourdissants et compacts, dont le résultat est de la nier comme "instrument" afin de l'affirmer comme "mystique". L'objet de mes préoccupations étant beaucoup moins le monde tel qu'il va que la manière dont on le loue, et la façon dont ses panégyristes s'égosillent à nous convaincre qu'il fourmille de merveilles et de bienfaits à n'en plus pouvoir, il est évident qu'Internet est un sujet de choix, en effet, comme déclencheur de bouillie délirante majeure.

(...)

Et rien ne terrifie plus le haut et le bas clergé du cyberavenir que la perspective de voir les populations "se servir", simplement, d'Internet, sans en faire tout un plat spiritualiste.

(...)

[Internet] c'est pire que de l'extase, c'est de la "congestion religieuse", pour employer une expression de Chateaubriand. Quant à ceux qui se montreraient plus ou moins incrédules ou rétifs, ou même seulement agnostiques, vis-à-vis de cette fabuleuse religion et des "évangiles" grotesques qui la célèbrent, on leur réserve l'intimidation, la menace, le chantage au "ringard". Et qu'est-ce qui fait plus peur au pauvre vivant d'aujourd'hui que d'être soupçonné de ringardisme ? Le "moderne" est le seul pays que les populations actuelles, qui ont à peu près tout abdiqué, ont l'énergie de défendre. Mais là, alors, elles sont féroces. Tous les mauvais coups de notre époque sont commis au nom du moderne, et en agitant le spectre du ringard. Le soucis de la modernité et celui de la respectabilité sont désormais confondus. C'est donc en jouant sur ce velours que le nouveau Parti devot des "réseaux" et toutes les grenouilles des hyperbénitiers fulminent leurs excommunications vis-à-vis des cybersceptiques, des mécréants de la connexion, des libres penseurs qui réclament un droit d'examen à propos des félicités de la "World Philosophie" et de ceux qui bouffent du Web comme jadis on bouffait du curé. »

Philippe Muray, Exorcisme Spirituels III - "Toute la vérité sur Internet"

 

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09/11/2014

Je ne vais pas toujours seul au fond de moi-même

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« Je ne vais pas toujours seul au fond de moi-même
Et j’entraîne avec moi plus d’un être vivant.
Ceux qui seront entrés dans mes froides cavernes
Sont-ils sûrs d’en sortir, même pour un moment ?
J’entasse dans ma nuit, comme un vaisseau qui sombre,
Pêle-mêle, les passagers et les marins,
Et j’éteins la lumière aux yeux, dans les cabines,
Je me fais des amis des grandes profondeurs. »

Jules Supervielle, Un poète, in "Les Amis inconnus"

 

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Treizième poésie verticale

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« Muet parmi les mots,
presque aveugle parmi les regards,
au-delà du coude de la vie,
sous l’emprise d’un dieu qui est absence pure,
je déplace l’erreur d’être un homme
et corrige avec patience cette erreur.

Ainsi je ferme à demi les fenêtres du jour,
j’ouvre les portes de la nuit,
je creuse les visages jusqu’à l’os,
je sors le silence de sa caverne,
j’inverse chaque chose
et je m’assieds de dos à l’ensemble.

Je ne cherche désormais ni ne trouve,
je ne suis ici ni ailleurs,
je me refais au-delà du souci,
je me consacre aux marges de l’homme
et cultive en un fond qui n’existe pas
l’infime tendresse de ne pas être. »

Roberto Juarroz, Treizième poésie verticale, in "Poésie verticale"

 

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Les nouveaux Tartuffes du droit d'intrusion

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« C'est chaque jour, et jusque dans les domaines les plus insignifiants, que les nouveaux Tartuffes du droit d'intrusion mènent d'obscènes campagnes de boycott et font régner la terreur par le biais de leurs milices bien-pensantes sans que leurs exactions rencontrent jamais d'obstacles. Bien au contraire, c'est en général dés les premières sommations que ceux qu'ils choisissent comme victimes se plient à leurs exigences. Ainsi, tout récemment, et tandis que se multipliaient les frappes célestes sur les Balkans, n'a-t-il fallu que huit jours aux Galeries Lafayette pour qu'elles cessent de montrer dans leurs vitrines de ravissants mannequins en sous-vêtements parce qu'une coalition de persécuteurs professionnels en ressentait de l'indignation et le faisait savoir. Les féministes du coche de l'association Mix-Cité décelèrent, dans cette exhibition innocente, la présence des "stéréotypes sexistes les plus réactionnaires" ; et il y a toujours un vif plaisir à voir dénoncer des stéréotypes par des bouches littéralement congelées, mortifiées, vitrifiées de stéréotypes. Ségolène Royal, héroïne bien connue de la guerre contre le bizutage dans les grandes écoles crut également bon de ramener sa fraise vertuiste et de déclarer que tout cela était "contraire aux valeurs que les femmes veulent voir progresser dans notre pays". Un ahurissant conglomérat d'associations, la LCR, la CFDT, FO, SUD-PTT, les Verts comme de juste, et même le mouvement anti-Front National Ras-l'front, en chômage technique humiliant depuis que son adversaire s'est décomposé sans qu'il y soit pour rien, constituèrent un choeur hétéroclite d'aigres vierges choquées par de si graves débordements. Il s'est aussi trouvé quelques "écrivaines" pour perdre leur temps à dénoncer, dans une pétition, le spectacle de femmes en train de se vernir les ongles ; et il semble, contre toute raison, qu'elles aient considéré cette occupation comme plus futile que celle qui consistait à rédiger et à signer leur pétition cafarde ; ainsi, peut-être, que les ouvrages dont elles tirent ce qu'elles pensent être leur notoriété.
Dans toute cette misérable histoire, bien entendu, il n'était question que de l' "image de la femme", et des outrages que le spectacle des Galeries Lafayette faisait subir à cette image. Ces gens qui n'ont certainement plus rencontré un "être", homme ou femme, depuis des éternités, ne peuvent plus batailler qu'à propos d'eux-mêmes, c'est-à-dire d' "images", c'est-à-dire de rien. »

Philippe Muray, Après l'Histoire II, "Du règne sans partage des punaises de Sacristie" - Mai 1999

 

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08/11/2014

Traiter le soleil en ennemi équivaudrait à suivre le troupeau...

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« Tout affrontement entre une chair faible et flasque et la mort est inadéquat jusqu'à l'absurde. »

« La chose qui finalement épargne à la chair d'être ridicule, c'est l'élément de mort qui réside dans un corps vigoureux, en pleine santé ; je comprenais que c'était là ce qui soutenait la dignité de la chair. »

« Comme l'on trouverait comiques l'éclat et l'élégance du toréador si son métier n'avait aucun commerce avec la mort ! »

« Le cynisme, qui estime comique tout culte des héros, s'accompagne toujours du sentiment d'une infériorité physique. Invariablement, c'est celui qui se croit lui-même dépourvu d'attributs héroïques qui parle du héros avec dérision [...] Le cynisme facile va de pair [...] avec des muscles mous ou l'obésité, tandis que le culte des héros et un nihilisme puissant s'accompagnent toujours d'un corps puissant et de muscles bien trempés. »

« Traiter le soleil en ennemi équivaudrait à suivre le troupeau. »

« Le but de ma vie fut d'acquérir les multiples attributs du guerrier, ressusciter le vieil idéal japonais, où se combinaient les lettres et les actes guerriers, l'art et l'action. »

Yukio Mishima, Le Soleil et l'Acier

 

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Le XXI ème siècle sera despotique...

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« Le XXI ème siècle sera imaginatif, chicanier, intolérant et procédurier ou ne sera pas.

Il sera bien sûr aussi despotique. Devenu culte universel, le victimisme commandera de placer légalement et constitutionnellement les anciennes victimes de l'Histoire à l'abri des propos offensants, des impertinences, des invectives ou, d'une façon générale, hors de portée de l'esprit critique et de ses malfaisances. C'est déjà la signification de l'ensemble des lois qui n'ont cessé de proliférer ces derniers temps, depuis celles qui concernent le prétendu "harcèlement" (dit sexuel, celui-là) jusqu'à celles qui, sous l'influence de mouvements revendicatifs et d'associations militantes, se proposent de châtier l' "homophobie" ou les propos "sexistes". Dans tous ces cas, il s'agit d'abord d'expurger le langage et d'en chasser, au nom de la lutte sacrée contre les discriminations, ce qui ressemblerait encore à de la divergence d'opinion, à du désaccord, à de la fantaisie, à de l'opposition, à du dissentiment, c'est-à-dire à des manifestations de la liberté de pensée ou d'expression, donc à des indices de survie de l'humanité trop humaine d'autrefois. »

Philippe Muray, Exorcismes Spirituels III, "Gonzessland"

 

 

 

 

 

 

 

 

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07/11/2014

Un ventre en brioche ou une poitrine plate

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« Peut-il être pire défaite que lorsqu'on est corrodé, brûlé de l'intérieur par les sécrétions acides de la sensibilité jusqu'à perdre finalement sa silhouette, jusqu'à se dissoudre, se liquéfier ; ou quand la chose se produit dans la société alentour et qu'on y accommode son propre style »

« Des signes individuels tels qu'un ventre en brioche (signe de relâchement spirituel) ou une poitrine plate où percent les côtes (signe d'une sensibilité par trop inquiète) sont des exemples d'indécence éhontée, comme si leur propriétaire avait exposé à l'extérieur de son corps son sexe spirituel. »

Yukio Mishima, Le Soleil et l'Acier

 

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06/11/2014

La sentimentalité a un ventre flasque

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« Passe qu’un penseur au teint blême jongle avec des idées nocturnes dans le secret de son bureau. Mais quoi de plus hâve, de plus glacé pour ses élèves s’il se mettait à parler du corps pour distribuer la louange ou le blâme ? Je connaissais si bien cette sorte de dénuement qu’un beau jour, brusquement, l’idée me vint de me forger des muscles généreux. [...] Une charpente puissante et tragique, une musculature sculpturale sont indispensables à une mort noblement romantique. [...] À l'âge de dix-huit ans, impatient d'un trépas prochain, je m'y sentais inapte. Me manquaient en bref les muscles qui conviennent à une mort tragique. Et ma fierté romantique se trouvait profondément blessée du fait que c'était cette incapacité qui m'avait permis de survivre à la guerre. »

« À un muscle dur correspond la force de caractère. [...] La sentimentalité a un ventre flasque. »

Yukio Mishima, Le Soleil et l'Acier

 

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Drieu La Rochelle, Aragon, Malraux : D'une guerre à l'autre

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et

 

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Nous sommes les échos de ceux qui ont depuis la nuit des temps mêlé leurs sangs

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« Je me retire de ce seuil : la vie n’est pas dans la gestion plus ou moins raisonnable et heureuse de moments qui se succèdent comme des nuages, mais une série d’actes souvent obscurs, incompréhensibles à autrui, sinon à nous-mêmes, que nous passerons notre vie non pas à essayer d’éclaircir mais à en mesurer l’ombre portée sur un futur où nous ne serons plus. Nous sommes les échos de ceux qui ont depuis la nuit des temps mêlé leurs sangs ; et, autant que du sang, ce qui coule en nous est l’invisible éclat d’une puissance qui nous dépasse et qui se nomme amour, mélancolie, folie ou destin. »

Richard Millet, Petit éloge d'un solitaire

 

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05/11/2014

La femme est faite pour un homme, l’homme est fait pour la vie, et notamment pour toutes les femmes

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« La femme est faite pour un homme, l’homme est fait pour la vie, et notamment pour toutes les femmes. La femme est faite pour être arrivée, et rivée ; l’homme est fait pour entreprendre, et se détacher : elle commence à aimer, quand, lui, il a fini ; on parle d’allumeuse, que ne parle-t-on plus souvent d’allumeurs ! L’homme prend et rejette ; la femme se donne, et on ne reprend pas, ou reprend mal, ce qu’on a une fois donné. La femme croit que l’amour peut tout, non seulement le sien, mais celui que l’homme lui porte, qu’elle s’exagère toujours ; elle prétend avec éloquence que l’amour n’a pas de limites ; l’homme voit les limites de l’amour, de celui que la femme a pour lui, et de celui qu’il a pour elle, dont il connait toute la pauvreté. »

Henry de Montherlant, Les Jeunes filles

 

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Il n'y aura pas plus d'homme, au XXIè siècle, que d'Histoire

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« Pourquoi devrait-il forcément y avoir un homme du XXIè siècle ? Il n'y aura pas plus d'homme, au XXIè siècle, que d'Histoire. Les deux étaient liés et ils ont fait leur temps. L'homme n'est même plus quelque chose qui doit être surmonté, comme ne le disait pas tout à fait Nietzsche ; c'est une vieille erreur en train d'être corrigée, un antique dérapage en cours d'effacement, une sorte d'hérésie qui rentre dans le rang. Son rôle est terminé, sa cause entendue, et par lui-même pour commencer.

[...]

Pétrifié de remords, l'homme sort du XXè siècle par la porte de la Honte. De repentance en repentance, de mortifications en déplorations, de coulpes battues comme plâtre en confessions à rebondissements, c'est les genoux en sang, les mains vides et le cerveau en bouille qu'il aborde l'aube du troisième millénaire. Socialement et mondialement inutilisable pour les nouvelles grandes aventures qui se préparent. L'homme est une affaire classée.

[...]

Il n'y aura pas d'homme du XXIè siècle. S'il doit y avoir quelque chose, ou plutôt quelqu'un, ce sera une femme ; et même un femme, comme je propose de l'écrire pour marquer la mutation. Le femme du XXIè siècle. La femme n'est plus l'avenir de l'homme, elle est le présent d'un monde qui n'a pas encore de nom.

[...]

Une Conslusion ? Le XXI ème siècle sera infréquentable ou ne sera pas.
Il sera. »

Philippe Muray, Exorcismes Spirituels III, "Gonzessland"

 

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La condition funèbre des renaissances

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« C'était en hiver. Il y était allé en voiture. Qui ne connaît pas la campagne l'hiver ne connaît pas la campagne, et ne connaît pas la vie. Traversant les vastes étendues dépouillées, les villages tapis, l'homme des villes est brusquement mis en face de l'austère réalité contre laquelle les villes sont construites et fermées. Le dur revers des saisons lui est révélé, le moment sombre et pénible des métamorphoses, la condition funèbre des renaissances. Alors, il voit que la vie se nourrit de la mort, que la jeunesse sort de la méditation la plus froide et la plus désespérée et que la beauté est le produit de la claustration et de la patience. »

Pierre Drieu la Rochelle, Gilles

 

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03/11/2014

On se vide l’esprit

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« Le mot zen dérive du mot sanscrit Dhyâna qui signifie méditation. Son enseignement serait venu d’Inde en Chine vers l’an 600 et introduit au Japon au XIIe siècle, époque qui coïncide avec l’instauration d’une version nippone de la féodalité. Parler de méditation est impropre. Ce mot suggère de la pensée. Or il n’y a pas de pensée, mais refus de la pensée dans la pratique du zen, au profit de la création d’un état de réflexe par la répétition à l’infini des mêmes gestes ou des mêmes formules, pratique que l’on retrouve dans la plupart des religions avec des invocations ou les prières répétitives. Ainsi on ne pense pas. Au contraire ! On se vide l’esprit. On le met au repos, ce qui comporte des effets bienfaisants. On fait le vide en récitant indéfiniment les mêmes prières ou mantras : "Béni soit le nom du Bouddha [ou de Dieu]."

Le zen n’est ni un système d’idées, ni une philosophie, ni une religion. Il est dépourvu de dogmes et de croyances, mêmes si l’on s’y adonne en des lieux de “méditation” ou d’exercice. Ses adeptes proposent la méthode du koan qui heurte  l’esprit occidental en rejetant  toute intervention de la raison. Le plus vieux poème  zen commence ainsi : "Les conflits avec le juste et le non-juste, avec vérité et non-vérité, sont la maladie de l’esprit." Cela surprend sans doute un esprit rationaliste habitué à des joutes théoriques. Mais en évitant les débats d’école sans réponse, cette affirmation ne semble pas dépourvue de sens. »

Dominique Venner, Un samouraï d’Occident

 

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02/11/2014

Ces maladies de l’âme

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« La puissance, d’ailleurs, n’est pas tout. Elle est nécessaire pour exister dans le monde, être libre de son destin, échapper à la soumission des impérialismes politiques, économiques, mafieux ou idéologiques. Mais elle n’échappe pas aux maladies de l’âme qui ont le pouvoir de détruire les nations et les empires.

Avant d’être menacés par divers dangers très réels et par des opposition d’intérêts et d’intentions qui ne font que s’accentuer, les Européens de notre temps sont d’abords victimes de ces maladies de l’âme. C’est bien la cause décisive de leur faiblesse. À en croire ceux qui parlent en leur nom, ils seraient sans passé, sans racines, sans destin. Ils ne sont rien. Et pourtant, ce qu’ils ont en commun est unique. Ils ont en privilège le souvenir et les modèles d’une grande civilization attestée depuis Homère et ses poèmes fondateurs. Mais il ne le savent pas. Ils ne mesurent pas non plus la nouveauté des menaces imposées par l’époque. »

Dominique Venner, Un samouraï d’Occident

 

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Hors de l’histoire pour plusieurs générations

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« Et le lecteur méditatif songera que la tentation est forte, pour l’Européen lucide de se réfugier dans la posture de l’anarque. Ayant été privé de son rôle d’acteur historique, il s’est replié sur la position du spectateur froid et distancié. L’allégorie est limpide. L’immense catastrophe des deux guerres mondiales a rejeté les Européens hors de l’histoire pour plusieurs générations. Les excès de la brutalité les ont brisés pour longtemps. Comme les Achéens après la guerre de Troie, un certain nihilisme de la volonté, grandeur et malédiction des Européens, les a fait entrer en dormition. A la façon d’Ulysse, il leur faudra longtemps naviguer, souffrir et beaucoup apprendre avant de reconquérir leur patrie perdue, celle de leur âme et de leur tradition. »

Dominique Venner, Ernst Jünger, Un autre destin européen

 

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31/10/2014

Avec son regard, je me regardai : j'étais belle et menteuse

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« Pendant que je me déshabillais, je vis Antoine qui fixait mon dos. Il me convoitait, encore, toujours, et il se méfiait de moi. Avec son regard, je me regardai : j'étais belle et menteuse. Je ne me regardai pas au visage, je regardai mon corps. J'avais un beau corps, je l'ai encore. Peu de femmes ont de beaux seins : je suis de ces femmes. Encore moins de femmes ont des seins beaux et émouvants : je suis de ce peu de femmes. Mon corps avait des liens avec cet appartement, et avec Antoine ; il s'était façonné à tout cela. J'avais le corps soigné, aisé, épanoui, d'une belle femme riche, de plus flattée par les caresses d'un homme qui avait de belles dents, de la fougue, de l'adresse. »

Pierre Drieu la Rochelle, Rêveuse Bourgeoisie

 

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Toujours la lâcheté de l’aumône

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« Terrible insuffisance de nos cœurs et de nos esprits devant le cri, la prière qu’était la tienne. Je te voyais jeté à la rue avec la valise vide et qu’est-ce que je t’offrais pour la remplir. Je te reprochais de ne rien trouver dans le monde si riche, si plein pour te faire un viatique. Mais je ne te donnai rien. Car enfin peut-être ceux qui ne trouvent rien et qui restent là, ne sachant quoi faire, il faut avouer qu’ils demandent, et il n’y a qu’une chose à faire c’est de leur donner. J’ai pleuré quand une femme au téléphone a dit : "Je vous téléphone pour vous dire que Gonzague est mort." Hypo­crisie infecte de ces larmes. Toujours la lâcheté de l’aumône. On donne deux sous et on se sauve. Et demain matin avec quelle facilité je me lèverai à 5 heures pour aller à ton enterre­ment. Je suis toujours si gentil aux enterrements.
A travers une banlieue - les banlieues c’est la fin du monde - puis une campagne d’automne vert de légume cuit et or pâle de chambre à coucher, sous une pluie battante, avec un chauffeur qui me parlait de son moteur, je suis arrivé dans une de ces terribles pensions de famille où l’on voit que la mélan­colie et la folie peuvent faire bon ménage avec toute la médiocrité.
Elle était là, sous ton lit, la valise béante où tu ne pouvais finalement mettre qu’une chose, la plus précieuse qu’ait un homme: sa mort. (...) Tu es mort pour rien mais enfin ta mort prouve que les hommes ne peuvent rien faire au monde que mourir, que s’il y a quelque chose qui justifie leur orgueil, le sentiment qu’ils ont de leur dignité - comme tu l’avais ce sentiment-là toi qui as été sans cesse humilié, offensé - c’est qu’ils sont toujours prêts à jeter leur vie, à la jouer d’un coup sur une pensée, sur une émotion. »

Pierre Drieu la Rochelle, L’adieu à Gonzague

 

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Rien ne se fait que dans le sang...

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« Il tourna dans l'escalier. Un blessé, sur les marches, gémissait :

- Santa Maria.

Oui, la mère de Dieu, la mère de Dieu fait homme. Dieu qui crée, qui souffre dans sa création, qui meurt et qui renaît. Je serai donc toujours hérésiarque. Les dieux qui meurent et qui renaissent : Dionysos, Christ. Rien ne se fait que dans le sang. Il faut sans cesse mourir pour sans cesse renaître. Le Christ des cathédrales, le grand dieu blanc et viril. Un roi, fils de roi.

Il trouva un fusil, alla à une meurtrière et se mit à tirer, en s'appliquant. »

Pierre Drieu la Rochelle, Gilles

 

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