30/07/2014
Nous ne sommes pas même des femmes d’Athènes
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« Affreuse caractéristique de ce temps ! Il n’ y a que la rapidité et la profondeur de l’oubli qui puissent y égaler la fureur des enthousiasmes imbéciles. Les grands hommes y durent vingt-quatre heures, et c’est vingt-quatre fois trop pour les grands hommes qu’on y fait... Nous passions pour légers autrefois, mais ce n’est plus légers que nous sommes, c’est inconsistants ! On nous appelaient des Athéniens modernes. Des Athéniens ? Mais nous ne sommes pas même des femmes d’Athènes ! En politique, nous ne sommes guère que des cocottes de Paris... »
Jules Barbey d'Aurevilly, Polémiques d’hier
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Joie de vivre
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« À l’origine, il y a un être comblé, un citoyen du paradis. Le "vide" ressenti suppose que le besoin qui en prend conscience, se tient déjà au sein d’une jouissance - fût-elle celle de l’air qu’on respire. Il anticipe la joie de la satisfaction qui est mieux que l’ataraxie. La douleur, loin de mettre la vie sensible en question, se place dans ses horizons et se réfère à la joie de vivre. D’ores et déjà la vie est aimée. Le moi peut, certes, se révolter contre les données de sa situation - car il ne se perd pas chez soi tout en y vivant, et reste distinct de ce dont il vit. Mais ce décalage entre moi et ce qui le nourrit, n’autorise pas la négation de la nourriture comme telle. Si dans ce décalage peut se jouer une opposition elle se maintient dans les limites de la situation même qu’elle refuse et dont elle se nourrit. Toute opposition à la vie, se réfugie dans la vie et se réfère à ses valeurs. Voilà l’amour de la vie, harmonie préétablie avec ce qui va seulement nous arriver. »
Emmanuel Levinas, Totalité et Infini
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Là demeurait le dernier espoir de l’Occident
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« S’il me paraissait nécessaire de défendre la conciliation de la justice et de la liberté, c’est qu’à mon avis là demeurait le dernier espoir de l’Occident. Mais cette conciliation ne peut se faire que dans un certain climat qui aujourd’hui n’est pas loin de me paraître utopique. Il faudra sacrifier l’une ou l’autre de ces valeurs ? Que penser, dans ce cas ? »
Albert Camus, Carnets
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Leur misère donnait à toutes une grâce florentine
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« J’ai vu la tribune aux harangues. Je me suis trouvé incapable d’y ressusciter Démosthène. Le contact des objets et la vue de ce petit canton hellénique, loin de servir mon imagination, la gênent, la désorientent. L’hellénisme, pour nous autres bacheliers, c’est un Olympe, un ciel, le pays des abstractions académiques. Nul moyen de camper, sous ce beau ciel, mon Démosthène des classes, qui était un type vague, un pâle esclave des professeurs. Au contraire, sans nul effort et presque malgré moi, je vois sur cette pierre, à la fois fat et généreux, Alphonse de Lamartine, tel qu’il s’y complut un soir d’août 1832, à comparer le sort de l’orateur avec le sort du poète. Il se promettait de réunir leurs deux destinées : "Hélas ! disait-il, les hommes, jaloux de toute prééminence, n’accordent jamais deux puissances à une même tête." Avidité d’une âme ardente à la vie ! Sur le tard, Lamartine paya cette vaine gloire de sa jeunesse. "Pourquoi ai-je réveillé l’écho qui dormait si bien dans les bois paternels ? Il me poursuit maintenant que je voudrais dormir à mon tour." On apprécie toutes les nuances d’une telle vie, et l’on aime Lamartine ; mais ses malheurs font à Démosthène une draperie de théâtre, aussi belle qu’indifférente.
Dans cette saisonoù les cerisiers en fleurs atténuent les rocailles, j'ai tenté quelques courtes promenades. J'aurai voulu retrouver à Karetea cette cabane d'Albanais où M. de Chateaubriand crut mourir de la fièvre ; dans son délire, il chantait la chanson d'Henri IV, il regrettait son ouvrage interrompu et Mme de N..., tandis qu'une jeune indifférente, de dix-sept ans et pieds nus, vaquait à ses travaux dans la pièce.
Je me suis promené sous les oliviers peu nombreux de Colone. Depuis longtemps, je m’étais promis d’y murmurer comme une formule magique le couplet de Sophocle : "Étranger, te voici dans une contrée célèbre par ses chevaux et le meilleur séjour qui soit sur la terre, c’est le sol du blanc Colone. Les rossignols font entendre leurs plaintes mélodieuses dans ces bois sacrés, impénétrables à la lumière ; les arbres chargés de fruits y sont respectés des orages, et dans ses fortes allégresses, Bacchus aime de promener ici le cortège de ses divines nourrices. Chaque jour, la rosée du ciel y fait fleurir le narcisse aux belles grappes et le safran doré, couronne antique des deux grandes déesses. La source du Céphise y verse à flots pressés une onde qui ne dort jamais..." La présence réelle des oliviers, des grèves où devrait couler la rivière et des pures montagnes d’Athènes, n’ajoutait rien à la force de Sophocle, mais plutôt me communiquait la tristesse d’une déception.
On me conseilla d’aller voir les danses qui, chaque année, le jour de Pâques, se déroulent en feston sur la colline aride de Mégare. Elles commémorent, dit-on, les exploits de Thésée et cherchent à figurer les replis du Minotaure.
À une heure et demie d’Athènes (par le chemin de fer de Corinthe), en face de l’île de Salamine, la misérable Mégare, d’aspect tout oriental, resserre six mille âmes dans des maisons blanches pareilles à des cubes de plâtre. Nous nous assîmes au café, sur l’antique Agora. Quel ennui de décrire ce rassemblement ! Le député portant beau, fumant et riant, distribuait des poignées de main à des hommes en fustanelle. Des vendeurs ambulans criaient et offraient des pistaches ou de la menthe. Des petites filles en costumes locaux s’approchèrent de nos tables. Plusieurs avaient de beaux yeux ; leur misère donnait à toutes une grâce florentine. Elles nous regardaient sans bouger. Au moindre geste, fût-ce si nous prenions nos verres, elles tressaillaient, tortillaient leurs doigts, cachaient leurs cheveux. Vous aurez idée de cette délicatesse par les oiseaux de nos jardins publics qui s’apprivoisent si l’on ne bouge pas. Aucune ne mendiait ; elles prirent seulement quelques pastilles de menthe avec des petits doigts si durs que je crus sentir dans le creux de ma main les coups de bec d’une poule.
La fête commença. Toutes les femmes de Mégare, jeunes ou vieilles, formaient d’étranges lignes de danse, de marche, plutôt, conduites par un musicien. Sous le vaste soleil, les couleurs franches de leurs costumes traditionnels donnaient à l’œil un plaisir net. Ni les tons, ni les gestes ne se brouillaient. Ces femmes faisaient trois pas en avant, deux pas en arrière, soutenues par ces lentes mélopées que nous appelons orientales. En vain attendait-on, il n’y avait à voir que ce remuement de leurs pieds et puis certaines manières incessamment variées d’enlacer leurs mains, cependant qu’un public mal discipliné encombrait tout le terrain.
Cette danse a quelque chose de religieux, de simple et de grave. On la nomme, je crois, tratta. Il est difficile de dégager l’impression qu’elle communique. Est-ce un néant d’intérêt ? ou bien notre goût, émoussé comme celui des lecteurs de romans forcenés, ne sait-il plus apprécier des effets délicats ?
Des jeunes filles anglaises mangeaient des sandwichs trop gros pour leur appétit et semblaient n’être venues que pour faire le bonheur des chiens de Mégare.
Les évolutions lentes et cadencées se succédèrent indéfiniment.Je me suis renseigné à l’École française d’Athènes. "Danses albanaises, m’a-t-on répondu. Mais un Athénien fort érudit m’affirme qu’elles appartiennent à la meilleure tradition grecque. »
Maurice Barrès, Un voyage à Sparte
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29/07/2014
Les hommes n'ont plus d'épée
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« Il se rappelait aussi un mot de Carentan. Il avait pris, dans un coin de son capharnaüm, une vieille épée rouillée et il la haussait dans sa grande main au poil roux.
- Tu comprends, autrefois, les hommes pensaient parce que penser, pour eux, c'était un geste réel. Penser, c'était finalement donner ou recevoir un coup d'épée... Mais, aujourd'hui, les hommes n'ont plus d'épée... Un obus, ça les aplatit comme un train qui passe. »
Pierre Drieu la Rochelle, Gilles
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La Joie...
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« Les philosophes qui ont spéculé sur la signification de la vie et sur la destinée de l’homme n’ont pas assez remarqué que la nature a pris la peine de nous renseigner là-dessus elle-même. Elle nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. Je dis la joie, je ne dis pas le plaisir. Le plaisir n’est qu’un artifice imaginé par la nature pour obtenir de l’être vivant la conservation de la vie ; il n’indique pas la direction où la vie est lancée. Mais la joie annonce toujours que la vie a réussi, qu’elle a gagné du terrain, qu’elle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal. Or, si nous tenons compte de cette indication et si nous suivons cette nouvelle ligne de faits, nous trouvons que partout où il y a joie, il y a création : plus riche est la création, plus profonde est la joie. La mère qui regarde son enfant est joyeuse, parce qu’elle a conscience de l’avoir créé, physiquement et moralement (…) celui qui est sûr, absolument sûr, d’avoir produit une oeuvre viable et durable, celui-là n’a plus que faire de l’éloge et se sent au-dessus de la gloire, parce qu’il est créateur, parce qu’il le sait, et parce que la joie qu’il éprouve est une joie divine. »
Henri Bergson, L’énergie spirituelle
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Ce que les hommes nomment amour est bien petit, bien restreint et bien faible
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« Ce que les hommes nomment amour est bien petit, bien restreint et bien faible, comparé à cette ineffable orgie, à cette sainte prostitution de l'âme qui se donne tout entière, poésie et charité, à l'imprévu qui se montre, à l'inconnu qui passe.
Il est bon d'apprendre quelquefois aux heureux de ce monde, ne fût-ce que pour humilier un instant leur sot orgueil, qu'il est des bonheurs supérieurs au leur, plus vastes et plus raffinés. Les fondateurs de colonies, les pasteurs de peuples, les prêtres missionnaires exilés au bout du monde, connaissent sans doute quelque chose de ces mystérieuses ivresses ; et, au sein de la vaste famille que leur génie s'est faite, ils doivent rire quelquefois de ceux qui les plaignent pour leur fortune si agitée et pour leur vie si chaste. »
Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris
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Français...
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« Elle jure que je suis un peu bête, pas vraiment méchant. Elle a raison. Ce n'est pas ma faute si je suis Français. »
Roger Nimier, Le hussard bleu
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Les optimistes...
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« Ne se suicident que les optimistes qui ne peuvent plus l'être. Les autres, n'ayant aucune raison de vivre, pourquoi en auraient-ils de mourir ? »
Emil Michel Cioran, Syllogismes de l'amertume
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Assassiner clandestinement et à distance
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« Si tout homme avait la possibilité d'assassiner clandestinement et à distance, l'humanité disparaîtrait en quelques minutes. »
Milan Kundera, La Valse aux adieux
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28/07/2014
Ce furent les citadins qui commencèrent à apprécier la terre en tant que "nature"
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« Des romantiques condamnent les théories économiques concernant le sol, comme entachées d'un esprit étroitement utilitaire. Les économistes, disent-ils, regardent la terre avec les yeux du spéculateur insensible qui dégrade toutes les valeurs éternelles en parlant de monnaie et de profits. Et pourtant, la glèbe est bien davantage qu'un simple facteur de production. Elle est la source intarissable de l'énergie humaine, de la vie humaine. L'agriculture n'est pas simplement une branche de production parmi bien d'autres. C'est la seule activité naturelle et respectable de l'homme, la seule condition digne d'une existence vraiment humaine. Il est inique d'en juger seulement en fonction des revenus nets que l'on peut extorquer au sol. La terre ne fait pas que porter les fruits qui nourrissent notre corps ; elle produit avant tout les forces morales et spirituelles de la civilisation. Les villes, les industries de transformation et le commerce sont des phénomènes de perversion et de décadence ; leur existence est parasitaire ; elle détruit ce que le laboureur doit sans cesse créer à nouveau.
Il y a des milliers d'années, lorsque les tribus de pêcheurs et de chasseurs commencèrent à cultiver la terre, la rêverie romantique était inconnue. Mais s'il y avait eu alors des romantiques, ils auraient célébré les nobles valeurs morales de la chasse et auraient stigmatisé la culture de la terre comme un symptôme de dépravation. Ils auraient blâmé le laboureur, profanateur du sol que les dieux avaient donné aux hommes comme terrain de chasse, en le rabaissant au rang d'instrument de production.
Aux époques d'avant le romantisme, personne en agissant ne considérait le sol comme autre chose qu'une source de bien-être humain, comme un moyen pour promouvoir une vie aisée. Les rites magiques et observances concernant la terre ne visaient à rien d'autre que d'améliorer la fertilité du sol, et d'augmenter la quantité de fruits à récolter. Les gens ne recherchaient pas une union mystique avec les mystérieux pouvoirs et forces cachées dans le sol. Tout ce qu'ils voulaient, c'étaient des récoltes plus abondantes et meilleures. Ils recouraient à des rites magiques et des supplications, parce que dans leur idée c'était la méthode la plus efficace pour parvenir aux buts recherchés. Leurs descendants raffinés se sont trompés en interprétant ces cérémonies d'un point de vue "idéaliste". Un vrai paysan ne se livre pas à des bavardages extatiques à propos du sol et de ses pouvoirs mystérieux. Pour lui, la terre est un facteur de production, non un objet d'émotions sentimentales. Il en convoite davantage parce qu'il souhaite augmenter son revenu et améliorer son niveau de vie. Les agriculteurs achètent de la terre et empruntent en l'hypothéquant ; ils vendent le produit du sol, et s'indignent très fort quand les prix ne sont pas aussi élevés qu'ils l'auraient voulu.
L'amour de la nature et l'appréciation des beautés du paysage étaient étrangers à la population rurale. Les habitants des villes les ont apportés à la campagne. Ce furent les citadins qui commencèrent à apprécier la terre en tant que "nature", alors que les ruraux l'évaluaient seulement à raison de sa productivité pour la chasse, l'abattage, les moissons et l'élevage. De temps immémorial, les rochers et les glaciers des Alpes n'étaient aux yeux des montagnards que des espaces stériles. C'est seulement quand les citadins s'aventurèrent à escalader les pics, et apportèrent de l'argent aux vallées, qu'ils changèrent d'idée. Les pionniers de l'alpinisme et du ski furent pour les indigènes des personnages ridicules, jusqu'au moment où ils se rendirent compte des gains qu'ils pouvaient tirer de cette excentricité.
Ce ne furent pas des bergers, mais des aristocrates et des bourgeois raffinés qui s'adonnèrent à la poésie bucolique. Daphnis et Chloé sont la création de l'imagination, et fort éloignés des soucis terre à terre. Il n'y a pas de rapports non plus entre ce qu'est la terre et le mythe politique qu'en ont fait les modernes. Ce mythe ne s'est pas développé dans la mousse des forêts et le limon des champs, mais sur le pavé des villes et le tapis des salons. Les cultivateurs s'en servent parce qu'ils y trouvent un moyen pratique pour obtenir des privilèges politiques qui font monter le prix de leurs produits et de leurs fermes. »
Ludwig von Mises, L'Action Humaine
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La patrie est une réalité de chair qui n’est la propriété d’aucun parti
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« La patrie est une réalité de chair qui n’est la propriété d’aucun parti. Dans les crises graves de la vie d’un peuple, c’est ce patrimoine sacré, le peuple et la vie de la France, comme des hommes et des femmes embarqués sur un bateau en danger, qu’il s’agit de conduire au port. Il ne s’agit pas de crier "Vive la France" comme des Polonais ivres: la vie et le salut de la France est la vie et le salut du peuple de France, et ceci est une tâche politique impérieuse, et non une phrase, car l’enfer, ou plutôt l’entrepôt des nations détruites, est pavé de belles phrases et de bonnes exclamations. »
Maurice Bardèche, Lettre à François Mauriac
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J’ai le plus profond mépris envers ceux et celles qui renient, ou affectent de renier, les maîtres de leur adolescence
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« J’ai horreur des renégats et des renégates. J’ai le plus profond mépris envers ceux et celles qui renient, ou affectent de renier, les maîtres de leur adolescence, les écrivains, les peintres, les cinéastes, les compositeurs, qui, dans leur jeunesse, les ont émus, éclairés.
Un (ou une) adulte qui déclare, sur un ton affecté de désinvolture, de dédain : “Oui, *** (tel écrivain), *** (tel cinéaste), je les ai beaucoup aimés quand j’avais seize ans, vingt ans, mais aujourd’hui voilà longtemps que je ne lis plus ses livres, que je ne vois plus ses films”, vous savez ce qu’il (ou elle) mérite ? Qu’on lui foute une bonne paire de claques, ou qu’on lui crache à la gueule.
Un pareil reniement est en effet le révélateur d’une âme médiocre et basse, d’un affligeant manque d’intelligence, de délicatesse, de sensibilité, de courtoisie, de coeur.
J’ai l’âge que j’ai et n’ai jamais cherché à me rajeunir, le temps passe, fugit irraparabile tempus, mais aujourd’hui comme hier je ne tolérerais pas qu’on dît en ma présence le moindre mal des écrivains, des peintres, des compositeurs, des cinéastes, qui, dans ma brûlante, tourmentée, révoltée adolescence, m’ont guidé, soutenu, accouché de moi-même, aidé à devenir celui que je suis. »
Gabriel Matzneff, Séraphin, c’est la fin !
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Il n’y aura plus de littérature française après cette guerre
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« Il n’y aura plus de littérature française après cette guerre. Claudel et Valéry sont morts. On verra trop le jeu de Mauriac et de Giraudoux, la perfidie sexuelle de l’un, l’ambiguité morale de l’autre. Et la jeune génération est nulle.
Effondrement de la "virilité" de Montherlant, de Drieu.
Bernanos, Céline ne sont que des sentimentaux exaspérés, Giono aussi, des chaotiques. Malraux rebondira dans quelque reportage de guerre, je suppose qu’il y est enfin parti...
Je suis dans mon 9ème étage, dans mon pigeonnier au dessus de Paris et je regarde une agonie... Où sont les amis ? Boyer dans un régiment de réserve générale d’artillerie, Petitjean dans les chasseurs à pied, Malraux est-il parti ? Que fait Montherlant ? »
Pierre Drieu la Rochelle, Journal, à la date du 18 mai 1940
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Le simulacre
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« Pauvre enfance, qui en même temps que devant les vrais hommes, les artistes, les hommes de naïveté et de nécessité, est jetée dans les bras des critiques, des professeurs, de tous ceux qui n'ont jamais su, qui ne savent pas, qui ne sauront jamais la vie, mais qui en ont appris le simulacre et le font apprendre. »
Pierre Drieu la Rochelle, Sur les écrivains
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Il est très naturel de ne pas aimer Céline
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« Son pessimisme chargé de vitalité, son cynisme appuyé (mais les événements appuient plus fort encore), ses grandes gueulantes, ses bonnes ou mauvaises raisons, son double aspect de petit bourgeois râleur et d'aventurier correspondent à un aspect évident du monde moderne. Son génie littéraire en aurait fait un poète dans une autre époque. (...) Encore une fois, il est très naturel de ne pas aimer Céline. Lui non plus n'aime pas tout le monde. Le Diable et Le Bon Dieu se disputent très fort à son sujet »
Roger Nimier, Journées de lecture
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Vivante à n’en plus finir
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« Vivante à n’en plus finir
Ou morte incarnation de la mémoire
De ton existence sans moi.
Je me suis brisé sur les rochers de mon corps »
Paul Éluard, L’Amour la poésie
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27/07/2014
Les hommes dignes de ce nom respirent toujours dans une atmosphère tragique
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« Mais pourquoi parler seulement d’un problème européen ? Il y a un problème mondial : le trouble de la culture et de l’esprit humains. Un Américain de vieille souche anglo-saxonne qui se voit débordé dans son pays par le flot montant des races, un Allemand de Weimar, un Anglais d’Oxford, un Chinois de la vieille civilisation chinoise, connaissent la même angoisse que le Français qui voit s’effriter ses traditions séculaires. Nous vivons un drame planétaire. Tous, nous en éprouvons l’obscure conscience. Les plus lucides d’entre nous essaient d’en découvrir les conditions. Pour ma part, j’attendais de la révolution russe, il y a huit ou dix ans, une délivrance, un retour à l’esprit. Hypothèse simpliste : la Russie essaie hardiment de jumeler le mouvement de la machine et le mouvement de l’esprit, seule direction possible. Nous assistons de toutes parts à la disparition des vieilles cultures et à l’avènement de quelque chose d’inconnu qui les remplacera et que nous sommes encore incapables de définir : l’effet produit est celui d’une décadence, d’une décomposition complètes. Spengler prétend que chaque civilisation est un organisme vivant qui naît, croît, décroît et meurt, selon les lois biologiques. Je crois, en effet, que nous assistons à l’agonie de la civilisation occidentale, mais ses derniers moments peuvent être bien étranges, bien curieux. Le dernier jour de la vie est aussi passionnant que le premier ; les hommes dignes de ce nom respirent toujours dans une atmosphère tragique. »
Pierre Drieu La Rochelle, Entretien paru dans la revue "Comœdia", le 5 septembre 1928
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Une expression humaine
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« "Pourquoi as-tu tiré, dit un officier ? Tu le sais bien, pourquoi me le demandes-tu ?", répond l’enfant. Calme, intrépide devant la mort à laquelle il échappe seulement à cause d’une réponse encore plus téméraire faite à une seconde question. "J’ai un œil en verre, lui dit l’officier. Si tu peux me dire tout de suite, sans réfléchir, lequel des deux, je te laisse partir." "L’œil gauche" répond aussitôt le garçon. "Comment as-tu fait pour t’en apercevoir ?", demande, surpris, l’officier, fier d’être le citoyen d’un pays ou "l’on fabrique les plus beaux yeux de verre du monde". Et l’enfant de dire tranquillement, sereinement : "Parce que, des deux, c’est le seul qui ait une expression humaine." »
Curzio Malaparte, Kaputt
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L'école ne convient qu’aux médiocres, dont elle assure le triomphe
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« La laideur des collèges n’est pas accidentelle. C’est celle-même du régime. L’architecture de nos "palais scolaires" symbolise d’une façon frappante ce qu’il y a de schématique et de monotone dans la conception démocratique du monde. Entrons, c’est pire encore.
"Les examens faussent complètement l’esprit de l’enseignement", lit-on jusque sous la plume de divers maîtres primaires et secondaires. Ils n’en sont pas moins devenus le but même de l’instruction ; la fin justifie les moyens et à quoi l’on subordonne tout, plaisir, goût du travail, qualité du travail, santé, liberté, sens de la justice et autres balivernes, instruction véritable et autres plaisanteries de gros calibre, car à la vérité ce n’est pas d’enseigner qu’il s’agit, mais de soumettre les esprits au contrôle de l’Etat, voyons donc, – n’avez-vous pas honte de vous faire rappeler sans cesse des vérités aussi élémentaires.
Le bon sens voudrait qu’on étudie d’abord la science dans sa réalité, puis qu’on se réfère au résumé comme à un aide-mémoire. Mais l’école veut qu’on commence par apprendre le résumé. D’ailleurs elle s’arrête là.
Les manuels ne correspondent à aucune réalité. Ils ne renferment rien qui soit de première main, rien qui soit authentique. Ils négligent toutes les particularités, toutes les « prises » où pourrait s’accrocher l’intérêt. Ils dispensent de tout contact direct avec ce dont ils traitent. Or la valeur éducative des choses n’apparaît qu’à celui qui entre en commerce intime avec elles. On apprend plus de deux que de mille, dit un sage oriental dont j’ai oublié le nom.
La discipline primaire forme des gobeurs et des inertes, fournit des moutons aux partis.
Ce ne sont pas seulement les meilleurs qui sont sacrifiés. Voici ce que M. E. Duvillard dit des enfants peu doués pour les disciplines scolaires : "Les épaves scolaires, faute d’un traitement pédagogique approprié, tombent dans une apathie intellectuelle qui les conduit souvent à l’imbécillité et au vice."
Je crois à l’absurdité de fait de l’instruction publique. Je crois aussi qu’on ne peut réformer l’absurde. Je demande seulement qu’on m’explique pourquoi il triomphe et se perpétue ; de quel droit il nous écrase.
La réponse est simple, terriblement simple : du droit de la Démocratie.
L’instruction publique et la Démocratie sont sœurs siamoises. Elles sont nées en même temps. Elles ont crû et embelli d’un même mouvement. Morigéner l’une c’est faire pleurer l’autre. Écouter ce que dit l’une, c’est savoir ce que l’autre pense. Elles ne mourront qu’ensemble. Il n’y aura qu’une oraison. Laïque.
Car il faut bien se représenter qu’elle [l'instruction publique] n’était encore au XVIIIe siècle qu’une utopie de partisans. Il ne serait guère plus fou aujourd'hui qu’on répande universellement et obligatoirement l’art du saxophone ou de la balalaïka.
A peine capable de nous instruire, l’Ecole prétend ouvertement nous éduquer. D'ailleurs elle y est obligée dans la mesure où elle réalise son ambition : soustraire les enfants à l’Eglise et à la famille. L’école exige donc que les meilleurs ralentissent et que les plus faibles se forcent. Elle ne convient donc qu’aux médiocres, dont elle assure le triomphe.
L’école s’attaque impitoyablement aux natures d’exception, et les réduit avec acharnement à son commun dénominateur.
Il n’y a pas d’égalité réelle possible tant que la loi est la même pour tous. »
Denis de Rougemont, Méfaits de l’Instruction publique
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26/07/2014
Dans sa nonchalance affectée, peu de femmes avaient autant de grâce qu’elle
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« Elle était belle, mais d’une beauté majestueuse, qui même, sans le sérieux qu’elle affectait, pouvait aisément se faire respecter. Mise sans coquetterie, elle ne négligeait pas l’ornement. En disant qu’elle ne cherchait pas à plaire, elle se mettait toujours en état de toucher ; et réparait avec soin ce que près de quarante ans, qu’elle avait, lui avaient enlevé d’agréments : elle en avait même peu perdu, et si l’on excepte cette fraîcheur qui disparaît avec la première jeunesse, et que souvent les femmes flétrissent avant le temps en voulant la rendre plus brillante, Madame de Lursay n’avait rien à regretter. Elle était grande et bien faite ; et, dans sa nonchalance affectée, peu de femmes avaient autant de grâce qu’elle. Sa physionomie et ses yeux étaient sévères forcément ; et lorsqu’elle ne songeait pas à s’observer on y voyait briller l’enjouement et la tendresse. »
Claude-Prosper Jolyot de Crébillon, dit Crébillon fils, Les égarements du cœur et de l’esprit
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L’esprit de la vieille Europe
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« L’enjeu : rappeler à l’existence la mentalité aristocratique, ressusciter l’esprit de la vieille Europe. Il ne s’agit pas d’un retour en arrière. Il ne s’agit pas de réanimer artificiellement des choses mortes. Mais de reprendre conscience d’un héritage pour le recréer sous des formes nouvelles. »
Louis Pauwels, Comment devient-on ce que l’on est ?
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Le sabotage et la double désertion
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« Le parti politique socialiste est entièrement composé de bourgeois intellectuels. Ce sont eux qui ont inventé le sabotage et la double désertion, la désertion du travail, la désertion de l’outil. (...) Ce sont eux qui ont fait croire que c’était cela le socialisme et que c’était cela la révolution. »
Charles Péguy, L’Argent
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Zèle moral
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« Il est un critère quasiment infaillible pour savoir si quelqu’un vous veut du bien : la manière dont il rapporte les déclarations inamicales ou hostiles à votre égard. Le plus souvent de tels ragots sont inutiles, simples prétextes à laisser transpirer la malveillance sans en assumer la responsabilité, voire même au nom du bien. (...) Par son zèle moral, l'homme aux bonnes intentions devient un destructeur. »
Theodor W. Adorno, Minima Moralia
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Recéleuse du réel
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« Recéleuse du réel,
La crise et son rire de poubelle,
Le crucifiement hystérique
Et ses sentiers brûlés,
Le coup de cornes du feu,
Les menottes de la durée,
Le toucher masqué de pourriture,
Tous les bâillons du hurlement
Et des supplications d’aveugle.
Les pieuvres ont d’autres ordres à leur arc,
D’autres arcs-en-ciel dans les yeux.
Tu ne pleureras pas,
Tu ne videras pas cette besace de poussière
Et de félicités.
Tu vas d’un concret à un autre
Par le plus court chemin : celui des monstres. »
Paul Éluard, L’Amour la poésie
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