08/02/2007
Anarchiste... Fasciste...
=--=Publié dans la Catégorie "Franc-tireur"=--=
Les gros cons de droite me traitent d'Anarchiste...
Les gros cons de Gauche me traitent de Fasciste...
Qu'en pense Gabriel Matzneff ?
"Les anarchistes ont des idées de gauche et un tempérament de droite, au lieu que les fascistes ont des idées de droite et un tempérament de gauche.
L'anarchisme est aristocratique, et le fascisme plébéien.
L'anarchiste, qui ne croit pas en sa propre destinée, est byronien ; le fasciste, qui révère l'Etat, est hégélien.
L'anarchiste boit du vin de bourgogne et mange des truffes ; le fasciste boit de la bière et mange de la choucroute.
L'anarchiste soigne sa ligne et pèse à cinquante ans le même poids que quand il a passé le conseil de révision ; le fasciste, au-delà de trente ans, prend du bide.
Le fasciste aspire au pouvoir, et l'anarchiste au sublime.
Il y a du bourgeois dans le fasciste ; dans l'anarchiste, du dandy. Et du stoïcien."
Ma foi... à 41 ans, je suis encore svelte... et j'ai une large préférence pour un Sauternes bien frappé plutôt que pour une bière accompagnée de choucroute. J'ai pris un tout petit peu de bide, mais il paraît que ça se soigne... et j'emmerde les gros cons, fussent-ils de gauche ou de droite.
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C'était ma parenthèse du jour... je m'en retourne à mes fièvres antiques !
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07/02/2007
Ernst Jünger (1895-1998)
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« Notre espoir repose sur les jeunes gens qui souffrent de fièvre, parce que la purulence verte du dégoût les consume, sur ces âmes grandes dont nous voyons les possesseurs errer comme des malades à travers l'ordre des auges à porc. Il repose sur la révolte qui se dresse contre le règne du bon-garçonnisme, et qui exige les armes d'une destruction lancée contre le monde des formes, qui exige l'explosif, afin de balayer l'espace de la vie, au profit d'une hiérarchie nouvelle. »
Ernst Jünger
...dessin...Marie-Pierre CIRIC
« La résistance du Rebelle est absolue : elle ne connaît pas de neutralité, ni de grâce, ni de détention en forteresse. Il ne s'attend pas à ce que l'ennemi se montre sensible aux arguments, encore moins à ce qu'il s'astreigne à des règles chevaleresques, il sait aussi en ce qui le concerne que la peine de mort n'est pas abolie. »
Ernst Jünger
« Les actes de banditisme que la Campagna connaissait déjà se renouvelaient alors, et les habitants étaient enlevés à la faveur de la nuit et du brouillard. Nul n'en revenait. Ce que nous entendions chuchoter de leur destin parmi le peuple faisait songer aux cadavres des lézards que nous trouvions écorchés sous les falaises, et nous remplissait le cœur d'affliction. »
Ernst Jünger
Sur les falaises de marbre
« Paris, 30 juillet 1944 Une ondée me fait passer quelques instants au musée Rodin, que d'habitude je n'aime guère. (...) Les archéologues d'âges futurs retrouveront peut-être ces statues juste sous la couche des tanks et des torpilles aériennes. On se demandera comment de tels objets peuvent être si rapprochés, et on échafaudera des hypothèses subtiles. »
Ernst Jünger
Journal de Guerre
« Je suis alors pris de dégoût à la vue des uniformes, des épaulettes, des décorations, des armes, choses dont j'ai tant aimé l'éclat. »
Ernst Jünger
Journal de Guerre
« Prenons garde au plus grand danger qui soit : celui de laisser la vie nous devenir quotidienne. Quelle que soit la matière à dominer et les moyens dont on dispose - cette chaleur de sang qui permet le contact immédiat ne doit pas se perdre. L'ennemi qui la possède a plus de prix à nos yeux que l'ami qui l'ignore. La foi, la piété, l'audace, la capacité à s'enthousiasmer, à s'attacher avec amour, quel qu'en soit l'objet, tout ce que notre époque dénonce comme sottise radicale - partout où nous le rencontrons, nous respirons plus librement, fût-ce dans le cercle le plus restreint. Tout cela est lié à cette très simple expérience que j'appelle étonnement, cette ardeur à s'ouvrir au monde et cette immense envie de s'emparer de lui, comme un enfant qui aperçoit une boule de verre. »
Ernst Jünger
Le Coeur aventureux
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06/02/2007
Lever la tête...
=--=Publié dans la Catégorie "Parenthèse"=--=
Vous arrive-t-il de lever la tête ?
Kepler, photographié par la Nasa
Cassiopeia, photographié par la Nasa
"Insensés par nature tous les hommes qui ont ignoré Dieu, et qui n'ont pas su, par les biens visibles, voir Celui qui est, ni, par la considération de ses œuvres, reconnaître l'Ouvrier.
Mais ils ont regardé le feu, le vent, l'air mobile, le cercle des étoiles, l'eau impétueuse, les flambeaux du ciel, comme des dieux gouvernant l'univers.
Si, charmés de leur beauté, ils ont pris ces créatures pour des dieux, qu'ils sachent combien le Maître l'emporte sur elles ; car c'est l'Auteur même de la beauté qui les a faites.
Et s'ils en admiraient la puissance et les effets, qu'ils en concluent combien est plus puissant celui qui les a faites.
Car la grandeur et la beauté des créatures font connaître par analogie Celui qui en est le créateur.
Ceux-ci pourtant encourent un moindre reproche ; car ils s'égarent peut-être en cherchant Dieu et en voulant le trouver.
Occupés de ses œuvres, ils en font l'objet de leurs recherches, et s'en rapportent à l'apparence, tant ce qu'ils voient est beau !
D'autre part, ils ne sont pas non plus excusables ; car, s'ils ont acquis assez de science pour arriver à connaître le monde, comment n'en ont-ils pas connu plus facilement le Maître ?"
Bible - Ancien Testament
Sagesse 13, 1-9
"La contemplation de la vérité divine constitue l'élément principal de la vie contemplative. Cette sorte de contemplation est en effet la fin même de la vie humaine. "La contemplation de Dieu, écrit St Augustin, nous est promise commela fin de toutes nos actions et l'éternelle perfection de nos joies." Cette contemplation sera parfaite dans la vie future, quand nous verrons Dieu "face à face" ; elle nous rendra alors parfaitement heureux. Dans ce temps-ci, la contemplation de la vérité divine ne nous est possible que de façon imparfaite, dans un miroir, sous forme d'énigmes (1 Co 13, 12). Nous lui devons une béatitude imparfaite, qui commence ici-bas pour parvenir plus tard à sa consommation.C'est pourquoi Aristote a fait consister la félicité dernière de l'homme dans la contemplation du suprême intelligible.
Mais les œuvres divines nous mènent à la contemplation de Dieu, selon qu'il est écrit (Rm 1, 20) : "Les perfections invisibles de Dieu nous sont rendues accessibles et mises sous les yeux par le moyen des créatures." Il s'ensuit que la contemplation des œuvres de Dieu appartient aussi, en second lieu, à la vie contemplative, en tant que par elle l'homme se trouve acheminé à la connaissance de Dieu. D'où cette parole de St Augustin : "Dans la considération des créatures il ne s'agit pas de porter une vaine et périssable curiosité, mais de nous élever aux réalités immortelles et qui ne passent pas."
St Thomas d'Aquin
Somme de Théologie, II-II, q.180, a.4, c
"La nature n'enfreint jamais sa propre loi
Oh Necessité inexorable
Tu forces tous les effets à être le résultat direct de leurs causes
Et par une loi suprême et irrévocable
Chaque action naturelle t'obeit par le processus le plus court"
Léonard de Vinci (Cahiers)
"Comment ont-ils pu scinder le savoir et la beauté, la vérité de son jaillissement, de sa physique ? Ne se rendaient-ils pas compte de ce qu'ils faisaient, de ce qu'ils léguaient aux hommes du futur ?"
Maurice G. Dantec
Grande Jonction
C'était ma parenthèse du jour...
Je m'en retourne à mes contemplations crépusculaires...
16:15 Publié dans Parenthèse | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : 54-parenthèse : lever la tête | |
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05/02/2007
Yves Adrien III : MAGMA
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
Rock & Folk n° 54 - Juillet 1971
"La nouvelle œuvre de Magma… Comment exprimer le choc que j'ai ressenti, à l'écoute du second enregistrement de ce groupe qui est déjà l'un des meilleurs au monde et sera peut-être un jour le seul, l'ultime ?
Comment dire à quel point est magistrale la gifle que porte Magma à la médiocre musique française, celle qui adapte ou qui plagie ?
Comment ? … Christian Vander crée une musique chaque jour plus dure, plus belle, plus intelligente et nous, critiques, n'avons que nos pauvres mots pour tenter de rendre plus accessible, plus palpable la dimension de ce travail exceptionnel ; Vander a inventé un langage nouveau (c'est de la musique dont je parle, non du kobaïen) et nous, critiques, n'avons rien inventé, pas même la critique…
"Terre… Mange ton cœur, bois ton sang, brûle ton âme
Arbre flétri que déchirent les lames du soleil
…Tu fus ce brasier imaginaire dépourvu de passion
Qui se forgea son crématoire
Bruit silence, bruit silence
Le temps a passé
Bruit silence, bruit, silence
Son flot de vagues se déverse inlassablement
Il inonde l'univers, imperturbable,
Tandis que la sève de ta pauvre vie
Perle péniblement sur ton écorce avive
Bruit silence, bruit silence
Ta vie s'étire et le temps passe
Les dernières gouttes de ta sueur,
Fruit de ton angoisse constante, s'échappent de tes racines
Ta mort te salue
Bruit silence, bruit repos
Que tu n'attendais pas
…Flots du temps, flots du temps
Ne pardonnez pas
Vengez ces âmes pures aux veines translucides
Qui ne demandaient qu'à respirer
Tes parfums trompeurs de haine et d'hypocrisie
Terre, purge ce premier néant !
L'air du temps comme ton sort
Est prisonnier du cycle infini de la vie…"
(Fragments d'un poème rêvé par Christian Vander dans la nuit du 8 au 9 juillet 1970).
Elle est toujours là, la haine de Vander ; un jour, peut-être, elle se changera en une grande force tranquille, mais aujourd'hui il (Vander) continue, tel un Sun Râ en colère, à hurler des menaces à sa vieille ennemie, la Terre… Sa musique c'est le combat d'un homme contre une planète. II a été à maintes reprises traité de fasciste, le leader de Magma, parce qu'il y avait des croix gammées sur la pochette de son disque et que le ton de ses discours rappelait à certains un autre leader célèbre en son temps ; les gens se sont trompés : les croix gammées étaient détruites, tout comme les buildings, églises, avions et autres pourritures que nous offre la Terre ; quant aux discours, on pouvait très bien y trouver des origines dans le théâtre Nô ou ailleurs.
Au début de cette année, plusieurs membres de Magma, coup sur coup, partirent : Richard Rault, Claude Engel, Paco Charlery ; le groupe sembla un moment devoir éclater (sa séparation officielle fut même annoncée); pendant ce temps, Christian Vander sélectionnait de nouveaux musiciens qu'il emmena au début du mois d'avril aux studios de Michel Magne (Hérouville) pour y graver les morceaux du second album. Aujourd'hui, Magma est de retour, plus fort que jamais… Le groupe se compose désormais d'une "force rythmique" et d'un "peloton de cuivres" ; la force rythmique comprend Klaus Blasquiz (chant, percussions), François Cahen (piano et piano électrique Fender), Francis Moze (basse électrique) et Christian Vander (batterie de combat, percussions, voix); quant au peloton de cuivres, il regroupe Teddy Lasry (clarinette, saxe, flûte, voix), Jeff Seffer (saxe, clarinette basse), Louis Toesca (trompette) et Louis Sarkissian (régisseur stratégique). Tous ces gens, ainsi que Roland Hilda (réalisateur plénipotentiaire) et Dominique Blanc-Francard (ingénieur des sons) sont les artisans de cette splendide réussite qu'est Magma 2. Ce disque marque, chose incroyable, un immense progrès par rapport au précédent qui était pourtant lui-même un très grand moment musical…
Vander a maintenant réussi à dépasser ses deux plus fortes influences, Stravinsky et Coltrane ; il a su également éviter de refaire l'erreur du premier album (résumé du déroulement de l'action dans les notes de pochette) : cette fois-ci, pas de fil conducteur pour le lecteur, mais seulement un poème, au verso : la musique de Magma ne se raconte pas… Le sommet de Magma 2, c'est sans aucun doute "Rïah Sahïltaahk" qui occupe la totalité de la première face, 21'51" ; composé par Vander, "Rïah Sahïltaahk" est un morceau d'une richesse phénoménale: il est difficile d'imaginer qu'il soit possible de dire tant de choses en si peu de temps… Mais Christian Vander se joue du Temps, joue avec les temps, avec tout ce qui est musique et peut lui permettre d'exprimer la violence de ses sentiments : écoutez donc ces tempos hachés, ces rafales des cuivres ponctués de cris aigus et tranchants comme la lame du couteau dans la chair ; écoutez la voix chaude et majestueuse de Klaus qui sait si bien imiter le cri des grands oiseaux de nuit ; écoutez aussi la finesse des interventions de François Cahen (au piano électrique, il fait souvent penser à Don Preston dans "King Kong", les cuivres étant eux-mêmes parfois assez proches des Mothers) et la solidité du travail de Francis Moze qui, tel un roc, soutient de sa basse puissante l'édifice Magma. François Cahen et Teddy Lasry se sont partagés la face B ; le pianiste a composé "Ki Iahl O Lïahk", le saxophoniste "Iss" Lanseï Doïa ; ces deux morceaux (le premier surtout) sont certainement, du strict point de vue de l'écriture musicale, plus soignés que "Rïah Sahïltaahk" mais il leur manque cependant une qualité essentielle sans laquelle la démarche de Magma pourrait se trouver un jour gravement entravée : la violence…
Violence que détient Vander ; je ne dis pas que les autres membres n'ont pas les motivations ; je pense seulement qu'ils ne ressentent pas au même degré d'intensité ce besoin radical de hurler et de cracher dans lequel Vander est tellement à son aise. Magma est, je pense que ses membres le savent très bien, engagé dans les mécanismes de haine et de violence, SANS POSSIBILITÉS DE RETOUR : pour vivre, il doit cogner (j'espère aussi que ses membres savent où et contre qui), vite, très vite et fort, très fort… Si le groupe devait arriver à la plénitude sans avoir mené à bien le travail qu'il s'est fixé, ce serait une tragédie : Vander, s'il veut continuer à créer une musique aussi exceptionnelle, sera obligé de rester un individualiste forcené ; à lui de savoir s'il s'en sent le courage… "La nouvelle innocence, c'est le rêve maléfique devenant réalité. La subjectivité ne se construit pas sans anéantir ses obstacles ; elle puise dans l'intermonde la violence nécessaire à cette fin. La nouvelle innocence est la construction lucide d'un anéantissement" (Raoul Vaneigem. Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations). La plénitude tue plus vite et plus sûrement que le combat, et l'on souhaite très fort que Christian Vander reste vivant pour faire (entre autres choses) de superbes albums comme celui-ci ; on ne le dira jamais assez, la musique de Magma est PRIMORDIALE ; on ne le dira jamais assez… "
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TEXTE RÊVÉ PAR ADRIEN DANS LA NUIT DU 12 AU 13 JUILLET 1971… et plus particulièrement destiné à ceux qui n'ont pas encore compris que Magma était le meilleur groupe de ce système solaire.
" 1) A tous les rêveurs passés, présents… et à venir.
Par une lucarne ouvrant sa petite gueule affamée de lumière vers l'immensité glacée du Ciel, l'aube grisâtre prenait lentement possession de la pièce sans âme dans laquelle se terminait un trip qui s'était avéré fort éprouvant pour ses participants. L'ombre était peu à peu délogée de chacun des recoins où elle s'était imaginée pouvoir se réfugier et une fille pleurait de ne plus voir (" Something is happening here, and you dont know what it is… ") le visage de celui qui fit fortune en giflant l'Amérique se détacher sur les milliers de kilomètres de pylônes télégraphiques baignés de rosée.
" Aux fourmis-souvenirs
Qui font parfois frémir
Les murs roses et noirs
Et nus de ma mémoire… "
Le mauvais poète baudelairien s'était soudainement arrêté, prenant conscience que la peau blanche et parfumée de la femme blonde à laquelle il dédiait sa douleur bien ordonnée n'était plus en répit que pour quelques cinquante années : dans un rire déchiré de sanglots de dégoût, il se jura tout à coup, chassant de son esprit l'image de la charogne putréfiée que serait dans cinquante années la peau blanche et parfumée de la femme blonde (et maintenant presque enterrée) à laquelle il avait dédié sa douleur bien ordonnée, de ne plus jamais aimer. Dans cette pièce où gisaient effondrés quelques grands clowns tristes de l'underground parisien, un jeune homme à cheveux plus longs que les autres se morfondait, lassé par la sarabande que dansaient autour de lui les pantins et les putains " psychédéliques "; le Smart-Ass Rock'n'roll Critic (ainsi s'appelait le jeune homme à cheveux plus longs que les autres) voyait décroître son énergie qui n'était déjà plus que le vain mot qu'utilisent parfois pour se faire remarquer les freaks sans imagination ; il évoqua certaines images susceptibles de le ramener vers la pulsion originelle… Les immenses cités de pierre qu'H. P. Lovecraft avait imaginées au-delà de l'Au-Delà polaire ; la tâche rousse de cet écureuil trempé de soleil et de pluie le fixant étrangement dans les yeux (et dans le cœur)l'après-midi d'avril où l'orage avait agressé la forêt ; la nuit pendant laquelle, lors d'un trip aquatique, le gentil visage de Christelle s'était rapidement décomposé en une abominable outre suintante. Mais rien de tout cela ne pouvait arriver à le libérer de la torpeur qui le tenait cloué à ce vieux fauteuil de cuir; il repassa longtemps dans son esprit les instantanés démoniaques ou merveilleux de ses expéditions vers ce qui avait jadis été l'Inconnu mais il dut bien se rendre à l'évidence qu'il était prisonnier de l'apathie régnant parmi les ombres censées constituer son entourage… LA TRAGÉDIE DES SOLITUDES PARALLÈLES, pensa-t-il un instant, en refusant de caresser le pied qu'avait posé sur l'accoudoir du fauteuil, EleKtric Prune, une fillette de douze ans très, très envahissante ; c'est à ce moment qu'il s'aperçut qu'un sang plus vif battait à ses tempes : loin dans sa tête, un rythme sourd avait pris naissance et s'amplifiait de seconde en seconde… C'était un roulement sauvage, comme celui d'une armée en marche, entrecoupé de rafales de cuivres cinglantes et de cris haineux éclatant dans un langage qu'il lui était impossible de traduire, bien que familier ; les coups heurtés redoublaient maintenant d'intensité et l'impression fugitive qu'avait éprouvée le jeune homme aux cheveux plus longs que les autres se changeait rapidement en certitude : cette violence sans appel, ce ne pouvait être que son ami VANDER, et ce morceau… RIAH SAIHLTAAHK, la plus belle de ses compositions. Le Smart-Ass Rock'n'Roll Critic quitta sans même s'en apercevoir le vieux fauteuil de cuir qui chuta mollement sur un grand plateau de fruits tropicaux ; les visages des gens dont il avait partagé l'intimité lui semblèrent plus dérisoires encore : la petite EleKtric Prune s'était couchée près d'un vieil opiomane suédois et elle serrait contre son ventre la pochette de " Chelsea Girls "… La violence électrique déjà déchirait l'air épais ; le Smart-Ass Rock'n'Roll Critic se planta au milieu de la pièce et, de la musique de MAGMA plein la tête, hurla : " ÉTERNITÉ ".
L'opiomane eut un spasme, deux filles déchirèrent le satin noir de leurs longues robes et, les yeux révulsés, s'en fouettèrent sauvagement ; EleKtric Prune plaça le ventilateur entre ses cuisses et, reins cambrés, tête renversée elle se mit à pleurer doucement, la gorge tendue vers le lustre de cristal qui oscillait déjà de manière menaçante au plafond. Le Smart-Ass Rock'n'Roll Critic sortit définitivement de LEUR trip qu'il avait cassé.
2) Qui n'est là que pour permettre au Smart-Ass Rock'n'Roll Critic de retrouver son identité (le banal JE)… mais peut-être également considéré comme un moyen facile d'annoncer le 3).
Lorsque l'air frais vint caresser son visage, le jeune homme aux cheveux plus longs que les autres passa deux doigts distraits sur son cou et, réalisant tout à coup qu'il lui serait exquis d'écrire quelques lignes sur MAGMA, décida de localiser au plus vite sa machine à écrire. II y parvint après plusieurs heures d'un vagabondage infructueux qui l'amena jusqu'à la lourde porte chenue de son ancestrale demeure, le Smart-Ass Rock'n'Roll Critic's Territory ; il entra dans le jardin, s'assit au soleil, mangea un pamplemousse et, après avoir chassé du docile instrument un couple de retraités CGT qui y avaient élu domicile, il écrivit :
3) (qui devrait être le 1) mais devra pourtant bien se contenter de rester le 3) puisqu'il y a eu avant le 1) et le 2).
Un après-midi du mois de juin 1970, je remontais le boulevard Saint-Germain en pensant très fort à la façon dont j'allais pouvoir me rendre à Bath assister au concert de Frank Zappa et de ses nouveaux Mothers lorsque j'aperçus Klaus Blasquiz, chanteur de MAGMA, un groupe dont le premier double album venait juste de sortir, recueillant des critiques contradictoires de la presse spécialisée (dont j'étais alors très fier de ne pas faire partie). Klaus et moi nous arrêtâmes (ayant certains traits physiques communs, nous nous arrêtons toujours afin de vérifier si c'est bien à l'autre ou à soi-même que nous avons affaire) ; nous nous assîmes et parlâmes de musique ; la conversation tourna rapidement sur MAGMA ; Klaus me demanda si je connaissais le disque du groupe et, constatant que je ne l'avais jamais écouté (je n'étais pas encore un Smart-Ass Rock'n'Roll Critic à cette époque), il me proposa de passer chez lui un soir… Lorsque je me rendis à son invitation, ce fut plus à une initiation qu'à une écoute de disque que je participai : Klaus entreprit de m'expliquer méticuleusement les différentes phases du voyage vers Kobaïa, les sentiments éprouvés par les hommes à leur arrivée sur la planète, les réactions des occupants de ce sol, les sensations de joie et de terreur ; il me parla fréquemment de VANDER, de Claude Engel aussi et je revins plusieurs fois rue Jacob pour y discuter de MAGMA…
4) La rencontre avec VANDER.
A l'automne dernier, MAGMA donna un concert à l'Olympia ; il y avait peu de monde ce jour-là dans la salle ; je me trouvais en coulisses et je vis arriver VANDER, dur et solitaire dans son grand manteau de cuir noir, serrant à l'occasion une main qui lui était tendue, souriant avec la bouche mais ne cessant jamais de fixer de son regard clair et incisif les gens qui l'approchaient. Un homme sur la défensive, pensai-je en le voyant passer. Quelques semaines plus tard, un ami s'occupant d'un café-théâtre me proposa d'organiser des soirées pendant lesquelles j'inviterais une personnalité musicale de mon choix à venir se faire interviewer en public. L'image de VANDER traversant les coulisses de l'Olympia me revint aussitôt à l'esprit et j'acceptai cette offre, décidant de faire du leader de MAGMA le premier sujet de mes entretiens… Entrer en contact avec lui ne fut pas aussi difficile que je l'avais escompté ; après quelques coups de téléphone infructueux, j'arrivai à le joindre un matin et lui exposai ce que j'attendais de lui : à ma grande surprise, il accepta et un rendez-vous fut pris pour que nous puissions nous rencontrer avant la soirée proprement dite…
Chez lui, le dimanche matin, il ne fut pas très loquace : je le devinai tout d'abord tendu, puis, vers la fin de notre entrevue, je sentis qu'il abaissait un peu ses défenses ; cependant, quand je le quittai il me dévisagea du même air glacial que quand j'étais entré, une heure plus tôt… Le surlendemain, c'était l'interview au café-théâtre ; à 8 h 45, VANDER entra, vêtu du grand manteau de cuir noir et, sans regarder personne, se dirigea vers moi ; la salle s'emplissait doucement et je lui proposai de boire quelque chose : il accepta mais ne trempa pas ses lèvres dans le verre que je lui avais offert ; par contre il me demanda de l'accompagner chercher des cigarettes et, quand nous eûmes trouvé un bar ouvert, s'informa de ce que je voulais prendre, m'expliquant par la même occasion qu'il se méfiait des boissons qu'on lui offrait là où il était invité.
VANDER, ce soir-là, m'étonna beaucoup. Il se livra quasi totalement, résumant les circonstances parfois intimes dans lesquelles il en avait été amené à adopter certaines positions vis-à-vis des relations humaines ; il parla du travail qu'il avait entrepris en vue de perfectionner le kobaïen, s'installa au piano afin de mieux faire comprendre les explications strictement musicales. VANDER fut tour à tour attentif, ironique, provocateur, détaché selon que le public était sincère avec lui et que Francis Moze, le bassiste de MAGMA également présent, se chargeait de répondre ou non. Certains trouvèrent que VANDER était suffisant et prétentieux, d'autres furent touchés par celui qu'ils considéraient comme un idéaliste. Personne de toute manière ne resta indifférent… Quelques temps après, VANDER et moi eûmes nos problèmes respectifs à régler et nous nous perdîmes de vue jusqu'au début du mois de juillet.
5) L'interview de MAGMA.
Le jeudi 8 juillet à 15 h, le soleil écrasait Paris et je descendais les marches du Gibus afin de retrouver les membres de MAGMA avec lesquels j'avais rendez-vous ; le Gibus, c'était leur dernier engagement jusqu'au… 11 septembre, ce qui prouve que les propriétaires de clubs capables de reconnaître un bon groupe ne sont pas légion.
Tout d'abord, pourriez-vous nous faire un rapide résumé des raisons pour lesquelles est né MAGMA ?
Francis Moze : C'est très simple. En 1969, nous avons fait, Christian (VANDER) et moi, une tournée en Italie ; à notre retour nous avons ressenti un besoin pressant de faire quelque chose de personnel.
VANDER : cette tournée se passait dans des boîtes à champagne où les minettes sont plus intéressées par les chaussures du bassiste que par la musique.
Comment s'est opérée la sélection des musiciens?
Teddy Lasry : en partie grâce à des rencontres d'amis, des conversations.
Que devient Uniweria Zekt?
VANDER : Uniweria Zekt. D'abord ce n'est pas un hasard si on l'a appelée Uniweria Zekt et non pas Internationa Zekt. C'est une organisation fondée pour aider à l'épanouissement et à la propagation de créations de qualité, que ce soit dans des domaines artistiques musicaux, cinématographiques, picturaux ou bien scientifiques, voire même philosophiques. Le handicap aujourd'hui, c'est que nous n'avons pas d'argent…
François Cahen : mais la Secte de toute manière existe déjà à notre niveau… MAGMA, c'est la Secte.
Quelles sont les raisons pour lesquelles Richard Rault, Claude Engel et Paco Charlery sont partis?
François Cahen : peut-être vaudrait-il mieux le leur demander ?
Teddy Lasry : en ce qui concerne Richard, je crois que c'était purement esthétique. Pour Paco, c'est différent : il ne travaillait visiblement pas assez son instrument ; chez MAGMA, on ne peut pas se contenter de donner l'impression ; de plus il prenait comme des implications raciales le fait qu'on lui fasse remarquer qu'il arrivait en retard…
Francis Moze : pour Claude, je pense qu'il y avait un problème d'emploi, il sentait peut-être qu'il ne pouvait pas tellement s'exprimer au sein de MAGMA… Et puis il a eu d'autres propositions… les sessions… il fallait qu'il ait les mains libres. J'ai entendu dire qu'il préparait son premier album solo ; cela sera certainement intéressant…
Avez-vous eu des problèmes pour recruter de nouveaux musiciens?
VANDER : Non, aucun.
Et leur arrivée n'a-t-elle pas créé une certaine perte d'identité, une sorte d'affaiblissement de l'image du groupe ?
François Cahen : non, ils se sont très bien adaptés et on est vraiment heureux de les avoir avec nous…
Teddy Lasry : de toute façon, des musiciens, il en passera encore chez MAGMA.
Quels sont vos projets immédiats?
François Cahen : repos forcé jusqu'en septembre car nous n'avons aucun engagement d'ici là.
VANDER : nous allons enregistrer chacun un album en solo, plus commercial, pour Barclay ; nous travaillerons avec Laurent Thibault ; nous enregistrons pendant la première semaine d'août à Hérouville.
Avez-vous quelque chose à ajouter?
VANDER : oui. J'aime tout le monde. Et plus particulièrement le nommé Gilbert Rovère, qui joue chez Martial Solal et s'est permis un jour de juger Coltrane.
Ainsi parlait VANDER, le musicien le plus violent de sa génération.
6) Le Smart-Ass Rock'n'Roll Critic reposa sa plume dans l'encrier et, tandis que la cendre de sa cigarette volait sans hâte vers le cendrier vieux de trois siècles, la demie d'une heure qu'il ne connaissait pas sonna au beffroi…
Yves ADRIEN
Rock & Folk n° 55 - Août 1971
Yves Adrien
05:25 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : 53-lectures : yves adrien iii : magma | |
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04/02/2007
Yves Adrien II
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
Et puis... lire :
Yves Adrien "2001, une apocalypse rock"
Editions Flammarion
"En essaims, Capricornides, Cygnides, Aquarides ou Perséides, les étoiles filantes étaient au rendez-vous d'août et les pollueurs de la FM, en meute sourde, à celui de la rentrée : engluement dans des play-lists calamiteuses, pouffements de concubines godillant trois annonces ânonnées, tutoiement pleutre de rigueur et fast-food d'oldies amollis, c'était, pesant, bruyant, borné, l'ordinaire radioteur 88 ; de ce morne assommoir pré-pubère et sénile, de ce vaste panorama de demeures Merlin sonorisées A-ha montait le chant des d-jay's version française, usuels cuistres prétendument félins dont les efforts viraient aux râles d'égoutiers gazés par leurs propres renvois méphitiques : à ces drôles sinistres, à ces bas exploiteurs privilégiant l'anesthésie et le plombage d'âme, pardonnerait-on ?
--L'on pardonnerait, en espérant pourtant, sans don-quichottisme ni douceur, la venue d'un Fabrice Emaer des fréquences, d'un joueur opposant l'argent à l'argent et la volupté à la veulerie : d'un maître es-fêtes viscontien jetant deux ou trois milliards au néant et inventant, pour autant de saisons, un Palace hertzien pareil à quelque radiant soleil d'ondes. "
"--Révérence aux mini-skirts mauves et splendeur des choses mûres, chaque été déclinant marquait le retour d'Abbey road : il fallait être là en 1969 dans le fracas des bus et l'habituel railway du ciel, être là, muet et seul à Hyde Park, à s'enivrer pour jamais des harmonies de Because et de Sun King, des vocaux impériaux laminés de Golden Slumbers, des rutilances de Couronnement éteint de cet ultime attelage conduit par le très anglais George Martin ; être là, oui, pour le serment d'allégeance à la plénitude : maçon failli, joueur de sitar incertain, jeune époux ayant balafré maint coeur de belette et fils-de-personne rêvant d'oblation domestique, les simples et souverains Beatles, en l'été dernier de la décennie, passaient sur l'autre rive.
--Mains dans les poches, silhouette léonine, le prophète Mersey en complet blanc ouvrait la marche, réinventant l'art de traverser dans les clous et ébauchant quelque chemin de croix vers la nuit rompue de Dakota Building : " Boy, you're gonna carry that weight, for a long time "
--Au seuil assourdi de septembre, les Beatles devenus classiques scellaient leur adieu d'un Lohengrin pour esthètes pop et racketteurs de restaurants pakistanais ; lassé, le proverbial cygne s'éloignait : sur ce gouffre gracieux, le temps ne se refermerait pas. "
"--" Vu de 2001, tout est égal
--" Du digital au mental, un autre transfert s'est opéré : bande-son de la révolution métanoïaque, le silence règne.
--" Baissons les yeux
--" 1968-88, morne sabbat d'agioteurs : c'est du Marcel L'Herbier, L'Argent, ramené aux dimensions d'un spot acrylique Mutuelle du Mans ; de la peur dans le rétroviseur, Alain Delon adulte et, sur la banquette arrière, autant de jetés battus médiatiques pour dire que rien ne change ; de fait, Dim diffère l'épilogue : " Pour voir des saints comme ça ", refrain.
--" Mais surtout il y a, s'autorisant du carrousel des raiders, cet aimable Dow Jones dont l'indice chaque soir répercuté met Wall Street aux portes de Villers-Cotterêts.
--" Le monde est-il captif ou captivant ?
--" Il fut un temps où le rock était indéfendable : une Justine à l'égard des fugueurs, virées en costume Régence juke-box, les cheveux teints au mercurochrome, dans la trouée diurne des ciels de banlieue : Ann Arbor, Montreuil, Saint Jean d'Acre, qui se souvient de l'arrogance et des baronnies wild ?
--" Now I'm looking for/The dum dum boys/The walls close in and/I need some noise "
--"A son apogée, le bruit a valeur de morale : mais certains demandent davantage : coloristes pyromanes et casseurs de légendes, les Stooges allèrent plus haut que le bruit : trouèrent la fournaise par trois fois et, 1-2-3, dépassant le voltage frénétique du surmonde, jetèrent trois LPs pareils à une promesse spatiale "
--Dans le plus pur style " Allez voir higher ci-gît suis ", Yves s'était arrêté là." "
--
" " Brian Wilson est de retour ", entendait-on.
--Un amateur d'errances, mentales ou autres, convoquerait ici Hölderlin écrivant au seuil de son Hypérion : " il est une éclipse (...), un silence de notre être où il nous semble avoir tout trouvé ", aveu dont l'auteur, trente-sept années durant, allait renvoyer l'écho : " Voyez-vous, gracieux seigneur, une virgule ! "
--Brian Wilson étant de retour, Orphan avait acheté son album bleu asile et marbre blond et, le confiant à un fauteuil d'ottoman, s'était promis de l'écouter au matin du 25 décembre, à l'heure où la lumière s'incarne ; puis, en avance chez le dentiste un vendredi d'automne, il revisitait Enzo Ferrari dans Match quand, tombé de l'industrieuse FM, Good Vibrations avait épandu son manteau d'ondes...
--Le dimanche suivant, entreprenant une fouille archéologique dans les possessions d'Yves, il exhumerait le single Capitol CLF 5676 Luxe, l'aérien Good Vibrations en face B duquel, joyau de Pet Sounds, l'attendait cette somme de 2'17, ce miracle orchestral digne d'un Gordon Jenkins arrangeant La Chanson De Sinatra Qui Ne Commence Jamais : Let's Go Away For A While.
--Orphan n'avait bientôt plus écouté que cela, ce Let's Go Away For A While d'où se débrumait toute l'enfance d'Yves : la blancheur intouchable de l'été 1957 à Biarritz, la distance des femmes goûtant Jalousie ou Confessions à 5 h au casino et la cigarette meurtrière sur laquelle, pieds nus, l'on se brûle ; il écoutait, réécoutait ce Let's Go Away For A While indicible, voyait passer les heures, les jours, savait qu'il n'y aurait pas de 2001 ce mois-ci et, piège ancien, s'arrêter une fois, n'est-ce pas s'arrêter toujours ?
--Puis, effaçant jusqu'à l'idée d'écrire, il rejouait les 2'17 addictives, ralliait l'Eden lumineux des hauts rouleaux et croisait Patrick, châtelain à l'âge où l'on apprend à lire ; tout ce qu'une première amitié entre fils uniques a de farouche était dans la photo (" A Biarritz, 1957 ") tombée l'hiver suivant : les chevilles cerclées d'écume et le futur aux lèvres, Patrick se tenait sous le ciel immense avec, surgi derrière l'épaule, dans un fracas laiteux d'océan, ce continent sombré qu'on nomme l'Atlantide.
--Let's Go Away... aidant, Orphan s'immergeait en l'enfance d'Yves et, revenant trois décennies plus tard à Brian Wilson, méditait l'"envoi " noyé de 1988 : " Cet album est dédié à ceux qui ne l'entendront pas : Dennis & Frieda." "
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"-- Yves Adrien : Je crois très fort à l’arrogance. Je hais l’idée de soumission, d’humilité. C’est l’une des idées majeures de ce mouvement "Ultra" : ne pas être soumis. Saint-Just était aussi aristocrate que ceux qu’il a guillotinés. Quant à moi, s’il faut subir une forme de contrainte ou de dictature, je préférerais toujours qu’elle soit exercée par l’élite plutôt que par la masse. On peut discuter avec l’élite. Avec la masse, c’est impossible, elle parle trop fort..."
(Entretien avec Alain Pacadis, Libération, 16/17 mai 1981, Pour un rock thermidor)
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C'était ma lecture du jour... je retourne à mes errances lumineuses...
01:05 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : 52-lectures : yves adrien ii | |
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03/02/2007
Yves Adrien
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
En 1973, j'avais 8 ans et je lisais "Rock & Folk" et "Karaté Magazine"... quand j'avais de l'argent de poche. Les temps étaient difficiles.
Je lisais les visions d'Yves Adrien auxquelles je n'entravais rien, mais que, déjà, je trouvais très jolies...
Plus tard... vers mes 16/17 ans, tout me remonta à la gueule comme un vieil acide oublié...
Yves Adrien, 1973
« JE CHANTE LE ROCK ÉLECTRIQUE
Rappel initial : Born To Be Wild
Il existe généralement, vers les 10 heures du matin, une énergie renaissante. C'est le moment où à Detroit, au coeur de Notting Hill Gate, dans le Lower East Side, à Montreuil ou à Montpellier, les amoureux des Stones et des Stooges ouvrent les yeux, se traînent nonchalamment jusqu'à leurs piles de disques et se penchent, songeurs, sur l'alignement des pochettes cartonnées ou glacées. Si le déclic est immédiat, les doigts courent, l'instinct dicte et wham bam thank you mam, la musique bientôt envahit la pièce. Alliance quotidienne du rock addict avec l'électricité. Mais la redécouverte de cette pulsion-là s'avère parfois moins aisée. Car un rythme pendant la nuit a été brisé : le corps se cherche, les désirs s'ignorent ou s'annihilent.
C'est pourquoi il convient de s'octroyer, à chaque journée nouvelle, un premier shoot de rockanroll soigneusement dosé : un album en public, "Got Live If You Want It", avec ses petites filles qui s'entre-déchirent pour approcher Mick et Brian; I Wanna Be Your Dog, Not Right, Real Cool Time, les plus violents morceaux du premier Stooges. Pour oublier l'odeur de cendre froide accrochée aux murs et briser l'ennui de s'ennuyer. Une série de singles des Who, une autre des Kinks ou des Pretty Things : la malice gourmande de Chuck Berry avalant les mots de Little Queenie. Se réapproprier ce que le sommeil avait volé, choisir ce que l'on va représenter dans les quinze ou vingt heures à venir; quel personnage l'on jouera. La rage du MC5, le Teenage Head des Flamin' Groovies. Pure joie physique de la tension qui monte. Et soudain... PUNK, c'est l'orgasme électrique, le satori dirty. Le corps volatilisé et les yeux clos, sentir chacune de ses cellules hurler son désir de vie. La petite pièce est devenue un coeur effroyablement puissant, un meteorock qui défie le soleil : I'm gonna booglarize you baby.
C'est cela le rockanroll : TIRER LA LANGUE, descendre les autoroutes, la nuit, dans un vieux bus crachant des chansons de Chuck Berry. Et, de toutes les parures adoptées par cette musique, il en est au moins une qui lui sied à ravir. Je veux parler de la Wild Thing et de sa vocation d'outrage. Le feu dans la poudrière américaine des fifties. La gorge brulante pour avoir oublié d'avaler sa salive. Dynamite !!! Cette "chose sauvage" fournit aux grands pionniers l'énergie initiale. Mais l'histoire ne s'arrêta pas là. Car on retrouve l'outrage, vers 1963-1964, dans la musique des Stones, Kinks, Who, Pretty Things. La seconde moitié des sixties verra d'immenses personnages - Jim Morrison, John Kay, Iggy Stooge - le revendiquer. Et, aujourd'hui, Alice Cooper, les New York Dolls ou les Flamin' Groovies le perpétuent. Les lignes qui suivent n'ont d'autre prétention que de refléter cette continuité. Pour ceux qui aiment leur rock violent, éphémère et sauvagement teenager...
1. Sweet little rock'n roller
Qu'est-ce que la culture des juke-box ? Le goût de révoltes justifiées mais absurdes et la paire de bas Nylon que Mary Lou empruntait à sa mère ? Du Coca, des bijoux de pacotille dans des sacs à main en simili beige et des costumes pailletés rivalisant avec le néon ? L'insulte aux nantis d'une poignée de beaux gosses blancs aimant la musique noire ? Ou bien encore une lune idyllique et idéalement jaune sous laquelle naissent, au coin des rues, dans les parkings, des groupes vocaux affublés de noms impossibles ? Avec, en prime, le glissement nocturne des Cadillac pastel.
Se méfier. De la nostalgie qui frappe et gagne à tous les coups. Des légendes dont on cimente les cultes et religions. Ne surtout pas oublier le gouffre qui sépare le vécu français de l'américain : des Cadillac, ici, nous n'en avons pas vu beaucoup... Et, Hallyday excepté, les beaux gosses sont devenus des Presley sans Las Vegas. Car hériter de l'obésité sans les milliards ne condamne pas, en France, à mourir dans du cuir noir. C'est là toute la différence entre Jean Dupont et Gene Vincent.
Mais, bien souvent, c'est l'ersatz qui vous donne le goût de la real thing: la valeur douteuse du premier disque que j'achetai - un super 45 tours de Vic Laurens et les Vautours - ne gêna en rien mon entrée dans ce que presse mobilisatrice et parents accablés s'accordaient alors à définir comme "le monde trouble de la délinquance juvénile". Wow ! Pour moi ce fut, vers le tout début des années soixante, un CEG nouvellement construit, au coeur d'une cité où les filles aimaient bien qu'on les caresse sous les jupes. Le vol de disques dans les Prisunic, les bouchons des réservoirs d'essence dérobés dans les parkings et les règlements de comptes sur les pelouses ou dans les caves des immeubles. Avec, aussi, l'ennui de ces longues journées d'été passées à vider des flacons de sherry sur les marches du centre commercial. Les jets de pierres anonymes, l'échange de photos arrachées à la hâte dans les Cinémonde du kiosquiste. Les paquets de Royale dont on se bourre les poches avant de retrouver la petite amie entrevue au cinéma. Et ponctuant tout cela, le vacarme des flippers sur le cliquetis des pièces tombant dans le juke-box.
Les fins d'enfance en banlieue grisâtre relèvent de si petits conflits qu'elles nécessitent des références constantes aux mythes qui sublimeront leur quotidien : les bijoux de Little Richard dans le port de Sydney, l'habit de cuir noir revêtu par Gene Vincent à la mort d'Eddie Cochran. Ainsi naissent les légendes, ces commodités exhumées quinze ans plus tard pour satisfaire la nostalgie d'une génération.
I said the joint was rockin'
Goin' round and round,
A reelin' and a rockin'
What a crazy sound.
And they never stopped rockin'
TilI the moon went down.
(Chuck Berry, Around And Around)
De tous les immenses personnages découverts par les enfants des cités, Bo Diddley et Chuck Berry sont ceux dont le rôle a été, au fil des années, le plus justement réévalué, valorisé. Chaque ère de l'aventure électrique résonne de leurs hymnes : en 1965, les gentils Beatles jouaient Rock And Roll Music ou Roll Over Beethoven; les méchants Stones Carol, Bye Bye Johnny, Mona; les répugnants Pretty Things Roadrunner, Mama Keep Your Big Mouth Shut, She's Fine, She's Mine; les énigmatiques Who I'm A Man, les succulents Kinks Beautiful Delilah, les vertueux Yardbirds Too Much Monkey Business et les joviaux Animals Memphis, Around And Around ou Story Of Bo Diddley, l'hommage de Burdon au Gladiateur noir... En 1970, rien n'avait changé Jim Morrison chantait Who Do You Love, gravé par Quicksilver sur "Happy Trails" (le plus bel album d'acid rock) où l'on trouvait aussi Mona, titre de la première et unique aventure solo de Mick Farren. Ce dernier s'était, notons-le, inspiré du MC5 dont le second LP s'intitulait "Back In The USA", une référence à Chuck Berry... Enfin, pour ceux qui s'obstineraient à croire aux coïncidences, précisons que la "tendance" ci-dessus évoquée se confirme en 1972 : les Flamin' Groovies interprètent sur scène un Little Queenie fabuleux; le B-side de Who Do You Love, I'm Bad, a donné son nom au nouvel album de Kim Fowley et les New York Dolls se réclament de... Bo Diddley. Chink-a-chink-chink-ca-chink.
And they never stopped rockin'
Till the moon went down.
Il est des soirs où l'on donnerait tout Burroughs pour que Chuck Berry, l'éternel écolier, revienne à Paris nous conter l'histoire de la "V-8 Fo'd" et du "coupe de ville".
2. My generation (the kids are alright...)
- Qu'est-ce que vous faites samedi?
- On va à la Loco voir les Pretty Things. Et toi?
- Je sais pas très bien encore. Les Pretty Things, tu dis ? C'est eux qui ont un chanteur dément, non?
- Ouais, Phil May il s'appelle. Leur batteur est pas mal non plus. Complètement dingue. La dernière fois qu'ils étaient à Paris, on leur a filé d'la prélu. Il en a pris quinze avant leur passage, et encore dix pendant. Complètement parti. Il a fini à genoux avec ses cymbales.
- Dément. Dis, Stone, elle est toujours avec toi?
- Non, j'l'ai larguée. Je sors avec sa soeur, Chris. Ah ! oui, j'oubliais d'te dire, Ronnie est rentré de Londres. ll a ramené des escarpins à boucles, tu sais, comme le chanteur des Kinks. On a écouté des disques déments l'autre soir. Les Who, tu connais?
- Les quoi?
- Les Who. C'est des Mods, mais ils sont vraiment très bien. Ronnie les a vus sur scène à Londres. Paraît qu'ils s'tapent dessus quand ils jouent
- Dément... Bon, j'vais raccrocher. Y a un vieux qu'est en train d'faire une scène dehors. On s'voit samedi-8 heures devant la Loco?
- D'accord, 8 heures. Salut.
Le samedi, les banlieues se vidaient de leurs mutants électriques et de très longs week-ends commençaient. Lorsque la nuit tombait sur Paris, en 1965, les kids à cheveux longs arrivaient par centaines à la Locomotive, un club de Pigalle où l'on pouvait voir les Kinks, les Pretty Things ou d'autres formations plus obscures tels les Koobas, les Sorrows, les Stormville Shakers. Et Ronnie Bird, dont toutes les filles ensuite parlaient pendant des semaines. L'acide n'était pas très connu alors (Phil May fut le premier en Europe à le chanter : LSD...) et tout le monde se gavait de préludine. C'était l'époque des ordonnances falsifiées et nous vivions sur une fabuleuse énergie que les 45 tours des nouveaux groupes anglais venaient sans cesse raviver : on restait trois nuits sans dormir et un soir, en allant s'écrouler chez un ami, on découvrait I Can't Explain des Who ou Gloria des Them. Craaazy !!! C'était cela, avoir 15 ans en 1965 : la guitare de Brian Joncs pointée vers la salle, les yeux cernés des filles dans les matins lugubres (elles s'appelaient toutes Stone, et nous Ronnie...), la joie de Mick Jagger dansant en tennis, les groupes anglais immanquablement photographiés devant des murs de briques, à l'angle de ruelles pluvieuses. Tout avait commencé avec les Stones, la vague beat ne correspondant ici qu'à une période de transition dont les seuls survivants seraient, dix-huit mois plus tard, les Beatles. Ce furent les Stones qui, les premiers, tirèrent la langue et vinrent hurler aux grilles des prisons adultes : Not Fade Away, Carol, It's All Over Now, le stuff dont on alimente ses révoltes. Là où la musique des Beatles avait réjoui / régénéré / rajeuni, celle de Jag & Co. libérait : nos Stones, précisaient leurs fans... Les premiers albums des Pierres étaient bourrés de classiques de Chuck Berry et Bo Diddley, maîtres swingers qu'une génération allait en l'espace de quelques mois (re)découvrir. Et tout cela coïncidait avec les premières parutions Tamla-Motown, le retour de Little Richard ("Bama lama, bama loo"), les débuts sur scène de Ronnie Bird et la nouvelle formule de Disco Revue ("Unissons-nous et appelons-nous LES ROCKERS ; à partir de là, tout ce qui nous semble impossible aujourd'hui ne le sera plus demain", n°1, 3 octobre 1964).
On était à la veille de la première venue en France des Stones et l'été avait révélé les Animals. Ceux-là au moins ne feraient pas s'évanouir les petites filles : leur trip les portait plutôt vers l'hommage à John Lee Hooker et à Ray Charles auxquels leur chanteur, un Geordie sans grâce mais plein de feeling, vouait une admiration illimitée et un amour immense. Ce fut donc The House Of The Rising Sun, avec l'infâme solo d'orgue d'Alan Price. I'm Crying, Boom Boom, une dizaine de hits et quelques albums fabuleux suivirent. Le fardeau, à cette époque, ne pesait pas encore trop lourd sur les épaules d'Eric.
Un automne nous apporta les délicieux Kinks, dans leurs vestes de chasse rehaussées de cols à jabot. Wow, You Really Got Me, Ray... Les Kinks venaient de Muswell Hill, un quartier peu reluisant, et ils niaient avec immensément de talent leurs origines plus que modestes. Une demi-décade avant Arthur, c'était déjà la même vision douce-amère que nous proposait Ray Davies : les enfants des rues se parant de dentelles pour aller filmer leur hit à Top of the Pops...
Sur scène, Ray et l'adorable Dave se montraient outrageusement charmants : il leur arrivait parfois de se gifler ou de mimer quelque fantaisie homosexuelle. Les Kinks furent sans nul doute les premiers décadents du rock anglais. Et l'aîné des deux frères avait une certaine facilité pour écrire des classiques de 2' 35" : You Really Got Me, All Day And All Of The Night, Tired Of Waiting For You, Set Me Free, A Well-Respected Man, Till The End Of The Day, Dedicated Follower Of Fashion, Sunny Afternoon, Dandy, Dead End Street, Mister Pleasant et, arrêtons-nous en 1967, le merveilleux Waterloo Sunset. N'oubliez jamais les Kinks : a mother of a rock'n fuckin' roll band...
Nous découvrîmes, vers le tout début de 1965, Les Plus Sauvages d'Entre Tous. Ils étaient originaires de Dartford, comme ces Stones avec lesquels leur guitariste avait joué, et s'appelaient les Pretty Things. Les Choses d'alors se composaient de Phil May (chanteur-harmoniciste), Dick Taylor (guitariste), Brian Pendleton (rythmique), John Stax (bassiste) et Viv Prince, premier d'une longue lignée de batteurs "fous" (Skip Allen, Twink, etc.). Rosalyn, Don't Bring Me Down, Honey I Need, Midnight To Six Man, Cry To Me et une multitude de classiques créés par Bo Diddley étaient les pièces maîtresses d'un répertoire que Phil May interprétait avec une folle sensualité. Jamais le chanteur des Things ne laissait indifférent. Et ce groupe à scandale reste, aujourd'hui encore, l'un des plus violents de l'histoire.
Vinrent ensuite les Who et les Them. Les Who étaient, avant Meher Baba et les longueurs de Tommy, des profanateurs au premier degré : ils attaquaient sans même le vouloir toute une conception aliénante de la musique. Le chanteur bégayait, le batteur semblait ignorer les temps. Et Townshend, à grand renfort de moulinets, reculait les limites du permis, pulvérisait la notion de bon goût. Tout cela dans la plus parfaite innocence, comme seuls quatre Mods de Sheperd's Bush pouvaient se le permettre... I Can't Explain, My Generation, The Kids Are Alright, Out In The Street, I'm A Boy, Instant Party. Faut-il encore insister?
Don't Start Crying Now, Philosophy, Baby Please Don't Go, Gloria : les Them arrivaient de Belfast, de ce Maritime Club où ils s'étaient, avec les marins et les prostituées, habitués à briser des bouteilles en jouant du rhythm'n blues. Leur chanteur, un jeune vieillard menaçant, avait fait son apprentissage en Allemagne, dans les casernes de Noirs américains. Van Morrison hurlait chaque mot, parfois chaque syllabe, et se consumait en solitaire. Mystic Eyes...
Il y eut aussi les Yardbirds (For Your Love, Heart Full Of Soul, Still I'm Sad), capables de remplacer leur légendaire premier guitariste par un second plus talentueux encore. Les Moody Blues (Go Now) qui ne donnaient pas à cette époque dans la pompe et le mellotron, mais préféraient électrifier des vieux classiques de Sonny Boy Williamson (Bye Bye Bird). Les Small Faces (Whatcha Gonna Do About It, Sha La La La Lee, Hey Girl, All Or Nothing), quatre autres Mods hargneux. Les Outsiders (Lying All The Time, Touch, That's Your Problem), un fabuleux groupe hollandais dans la lignée des Pretty Things. Ronnie Bird (Fais attention, Où va-t-elle ?), le seul en France à chanter le rock comme nous l'aimions. Et les Troggs, dont la voix métallique du leadsinger (Reg Presley) et le jeu sommaire/dépouillé du batteur (Ronnie Bond) préfiguraient assez étrangement... Alice Cooper. Les Troggs, une sexualité fruste, primaire: Wild Thing, With A Girl Like You, I Want You, I Can't Control Myself
Ce fut une époque riche, en musique et en bien d'autres choses. Personne alors ne parlait du marginal, mais chacun le vivait. Le rock était tout, ou il n'était rien. Et il régnait, chez les gens à cheveux longs, une complicité farouche. Se heurter à la haine des adultes dans les lieux publics, échapper aux rafles de police dans les gares, squares, cités et faire de la distribution de prospectus pour ne pas dépendre de la famille, tout cela créait des liens assez forts.
Mais le rock allait devenir un... art. Il allait naître une contre-culture pour ceux qui s'étaient jusque-là passés de culture. Jagger venait de se couper les cheveux et les enfants des banlieues savaient bien que tout devrait changer. On entrait dans une nouvelle ère, celle des acid trips et des questions sans réponses. Il redevenait urgent de falsifier le Réel, de le jeter à un chien nommé Hasard qui l'emporterait loin, très loin... À Paris nous étions, en cet automne 1966, une poignée à découvrir les premiers groupes punk Mitch Ryder & the Detroit Wheels, les Shadows of Knight, le Count Five, Question Mark and the Mysterians. Tout pouvait encore recommencer.
Intermède : la fonction teenager
(des mérites comparés du gauchisme, du twist et des bottes à semelles compensées)
Les teenagers préfèrent le bubblegum au marxisme. C'est heureux. En 1972, on a redécouvert le trip teen et son implication première, l'éphémère. Les mots "engagement", "rigueur", "lucidité " font bâiller leur utilisation/existence est désormais aussi désuète que l'était devenue celle du terme british blues il y a deux ou trois ans. Fatigués d'écouter des prêcheurs attardés (Mao-Mayall, même combat...), les Enfants électriques ont chaussé des bottes et escarpins à hauts talons dorés, gagnant ainsi en taille ce qu'ils avaient perdu en illusions. Et, dans les librairies de Saint-Michel, on se débarrasse vite fait des encombrants volumes d'analyses militantes pour se racheter les premiers Little Richard chez Specialty. Awopbopaloobopalopbam-boom. Le processus, on le sait, n'est pas neuf : une période de puritanisme (ici le gauchisme) engendre presque immanquablement une recherche outrancière de jouissance, d'éclatement, de "libération". La disgrâce actuelle dudit gauchisme résulte d'une méconnaissance des lois régissant le monde teen : elle est l'aboutissement normal de cette incapacité des militants à percevoir/devancer les fantaisies des kids. Â trop répéter que le rock était une musique aliénante, les vieillards en battle-dress se sont coupés de son public. Imposer ne suffit pas toujours à séduire. Il nous faudra, la prochaine fois, des politiciens érotiques.
Croire, en Phrance, à la vocation politique du rock c'est, si l'on refuse de s'associer aux trips autoritaires, se heurter:
a) aux naufragés du gauchisme et autres laissés-pour-compte d'une époque où distribution de frites et renversement de deux barrières métalliques prenaient immanquablement le nom de "fête sauvage". Chaque génération porte en elle ses anciens combattants;
b) à cette fraction (importante) du public qui associe la dénonciation du star system à une quelconque volonté d'empêcher les gens de "rêver en rond". Pourquoi brûler ce que l'on a aimé ? demandent les défenseurs du rêve.
R: Parce que c'est l'essence même du phénomène teenager que de brûler ce que l'on a aimé : qu'est-ce qu'un teen, sinon un juke-box dans lequel les 45 tours se chassent d'un mois à l'autre. L'innocence par l'excès, la réponse à ses impulsions tout cela relève de la plus élémentaire politique du jeu. Et le dégoût que l'on peut éprouver pour le star system provient de ce qu'il tue le jeu immensément plus qu'il ne l'enrichit : ses "étoiles" sont des institutions, de vulgaires cailloux/satellites prisonniers du système au coeur duquel ils se meuvent. Turn turn turn.
Si les stars étaient, au contraire, "originatrices" de nouveaux systèmes, les institutions disparaîtraient : elles seraient démesurées/dérisoires et, mieux encore, éphémères: on les jetterait comme les Kleenex qu'elles sont. Le rêve n'y perdrait pas grand-chose.
I'm just out a school
Like I'm real real cool
Goot shake, gotta jive
Got the message that I gotta be alive
I'm a wild one
Yeah... I'm a wild one.
La rock music n'a que faire des slogans ("Power to the people", "Crève salope", etc.). Lorsqu'elle est politique, c'est le plus souvent inconsciemment : Chuck Berry, les Stones de Satisfaction, les Who de My Generation, les Beach Boys (la quasi-répugnance qu'éprouve tout un chacun à parler des fabuleux BB est assez révélatrice des tares dont souffre la critique rock phrançaise...), Alice Cooper (Eighteen). Mots griffonnés pendant des heures de cours, inscriptions sur les murs des supermarchés. L'imagerie du vécu dépasse n'importe quelle logique fondée sur un raisonnement. C'est là la force du teenager.
Et l'aventure gauchiste n'est pas, dans le contexte musical/électrique qui nous préoccupe, plus importante que la mode du twist ou des bottes à semelles compensées.
3. Punks
1967, année du regain americain...
À Monterey, Jimi "Wild Thing" Hendrix caresse de sa Stratocaster les bas-ventres californiens. L'outrage renaît, avec des groupes sensiblement en marge du mouvement hip : les Doors, Steppenwolf, deux des plus monstrueuses mécaniques que l'Amérique ait assemblées en son sein. Noblesse du cuir noir. Puissance. Viol. Et, sur la côte est, le Velvet. La viole de John Cale, comme le cri d'un ongle sur le tableau. Lou Reed, témoin nasillard d'une décadence feutrée il sera à David Bowie ce que Chuck Berry avait été aux Stones. Peel slowly and see, vous découvrirez une lumière et une chaleur blanches. Réverbères brisés, heavy vibes.
"Detroit, c'est le Grande Ballroom. Ça sent la sueur des chicks et tu prends des bouteilles dans les jambes, mais l'énergie est super high". (Phil, un punk du Michigan rencontré à Bath.)
Jouer du rockanroll à Detroit, cela signifie échapper aux chaînes de montage de la General Motors, oublier qu'il faut décrasser ses vitres chaque matin si l'on veut voir la lumière du jour. En 1969, le MC5 donna la mesure de cette réalité : un premier album de live, l'insurrectionnel "Kick Out The Jams". Dans la brèche ouverte par Rob Tyner et son gang, mille et un heavy-metal rockanroll hands s'engouffrèrent : Frost, SRC, les Amboy Dukes, les Rationals, le Bob Seger System, Frut, Brownsville Station, Cradle, Pride of Women, Up.
Et les Stooges, hurlant la punkitude des grands ensembles. Une musique devenue vertige, la plus belle/violente expression du rock urbain. Superbe arrogance d'Iggy crachant son ennui comme on déchire les affiches, lambeau par lambeau :
Well, it's 1969, OK
All across the USA
One more year for me and you
Another year with nothin' to do
(1969)
Autre personnage d'exception révélé par les Stooges : Ron Asheton. Réécoutez, sur le premier album, un morceau intitulé Not Right : vous y découvrirez la partie de guitare la plus rock, la plus "sale", la plus punk de l'histoire...
À cette époque, l'Angleterre s'essayait elle aussi à la High-Energy Music : Edgar Broughton et son légendaire Out Demons Out, les striptease de Twink (le batteur des Pink Fairies), la brutalité de Third World War. Les précurseurs de ce mouvement avaient été les Deviants, groupe profanateur assemblé par Mick Farren. Souvenir : un après-midi d'août 1972, à Wembley. Le Gladiateur noir est en scène. Il y a beaucoup de bière, deux chicks des White Panthers s'embrassant dans le soleil et des Teds qui dansent le bop. Tout à coup Mick Farren hurle "Bo Diddley is a lover..." Entre deux accords, le créateur de Mama Keep Your Big Mouth Shut tend le poing et sourit.
4.I'm bad
All the flat top cats
With their rock and roli queens
Just a-rockin' and rollin'
In their red & blue jeans
Rock and roll is all they play
All round the world.
(Little Richard, All Around The World)
1973 sera une année électrique. Alice Cooper a réintroduit l'éphémère (Eighteen, School's Out, Elected) dans un univers qui s'en passait difficilement. Mais Alice est un garçon très, très équilibré qui ignore les folies gratuites. Aucune confusion chez lui entre la scène et la vie : grand admirateur/observateur de Jim Morrison, il a su tirer les leçons qui s'imposaient, s'est fabriqué un masque fort pratique et ne dépassera jamais cette limite au-delà de laquelle le connu risquerait de s'effriter...
Ce pas, d'autres se décideront à le franchir. On pense aux New York Dolls dont le batteur (Billy Murcia, 18 ans) est mort il y a quelques semaines. Les Dolls semblent prêtes à pousser le jeu jusqu'à son extrême limite : elles exigent, avant même d'avoir enregistré un seul disque, deux Cadillac pour leurs déplacements. Si ces Poupées-là venaient à réussir leur coup, gageons qu'une génération entière s'éprendrait de leurs inspirations : Stones, Kinks, Pretty Things, Who... L'amour des Pierres ne nous avait-il pas, il y aura bientôt dix ans, fait découvrir Bo Diddley et Chuck Berry?
Les Flamin' Groovies, nous y reviendrons, sont de délicieux punks qui claquent sans cesse des doigts et possèdent chacun leur cran d'arrêt. I'm bad... Les Groovies ont su associer la musique des 50's, l'atmosphère des 60's et l'esprit des 70's en restant, ce qui ne gâche rien, de réels teenagers : demandez à Cyril, leur guitariste, comment il forçait l'entrée des concerts des Beach Boys, à Los Angeles, avec ses amis Kim Fowley et Rodney Bigenheimer.
À Londres c'est, depuis l'été dernier, la récréation nostalgique de la scène warholienne des mid-sixties : David Bowie et Roxy Music restent cependant les figures les plus représentatives de ce courant "cigarettes mentholées et camionneurs graisseux rêvant de Dorothy Lamour"... Lou Reed vient de sortir un nouvel album, "Transformer", et Iggy a terminé l'enregistrement du sien. Enfin, les Pretty Things reviennent, avec un Phil May aussi sensuel que par le passé.
Tout est possible, pour 1973. Flash Cadillac and the Continental Kids, les Sparks, Kim Fowley, Teenage Lust, il suffit d'oser... Du verre brisé, des cuirs flamboyants, et overdose sur overdose d'électricité. Laissez-vous porter, pendant un an, par cette rockanroll music (... It's got a back beat, you can't lose it) : get yer ya ya's out. Il n'est jamais trop tard pour tout recommencer. »
Yves Adrien, Rock & Folk, n° 72 - Janvier 1973.
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La Solitude De Brian Jones, par Yves Adrien
« Brian Jones, mort "à l'age de 26 ans ", en avait mille, vieille femme enceinte d'un ange mort-né, expérimentateur poly-instrumentiste payant le prix d'une vie d'exigence, d'égoisme et d'insatisfaction, Pop -Star affligée d'une horde d'enfants illégitimes auxquels il préférait ses chats, bref un coeur frigide: Mr.Heart of Stone, pour les fans.
"I see a red door/ And i want to paint it black": jeans de velours rouge et col roulé noir pour les séances du single menacant la lumière du monde ( " No colours anymore/ I want them to turn black" ), Brian Jones avait refermé chaque porte sur lui, remplacé ses relations par des sitars accordés à ses nerfs de cristal et goûté, en anti-cernes Estée Lauder et manteau d'hermine, ce cannibalisme autodestructeur que Poe nommait " démon de la perversité" et Sade " principe de délicatesse.
L'absolu entravé à sa source, le perfectionnisme menant à la suffocation et le bonheur borné des autres perçu comme un arrêt de mort, symptomes via lesquels le Rolling Stone blond se faisait l'héritier de Marylin Monroe: un Something's Got To Give inachevé, un Beggars Banquet d'où l'on sort seul, ultime acte d'Icône vieillissante entrevoyant le final façon silence-et- pharmacie, quand s'abat cette certitude que tout, décors et sentiments, sourires et soirées, ne fut que prétextes, leurres à l'usage de ceux qui ne demandent pas trop.
Pourtant, les Stars, au coeur stoppé eurent une enfance; dans Music Parade, éphémère revue anglaise de l'été 1965 promettant " Les Stones Par Celles Qui Savent", Mrs. Louisa Jones évoquait le jeune Brian,son fils: " A l'école, il était très tourné vers les sports, ping-pong et judo surtout, le plongeon, où il excellait. Nager ne l'intéressait pas particulièrement, mais c'était un habitué de l'échelle menant au grand plongeoir...."
Avec l'arrêt sur image du 3/7/1969, corolle argentée d'une chevelure buvant le chlore d'une piscine du Surrey, l'on lirait là la seule épitaphe digne de Brian Jones:
" Nager ne l'intéressait pas particulièrement." »
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« Et Iggy, deux soirs de suite, tendit ses muscles, les tendit à vide, prenant sur la scène du Palace une série de poses qu’on eu pu à plus d’un égard qualifier de plastiques : il y a des chansons abdominales et des chansons dorsales, un medley moins solaire qu’un plexus, un jeté battu synthétique, un « en garde de trois quarts » amnésique et, pour le final, un total assaut frontal du genre « portrait du junky repenti en gymnaste »...Pour certain(e)s, la démonstration fut captivante, pour d’autres déprimante et pour moi normale, juste normale. »
Yves Adrien (NovöVision)
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Je retourne à mes prières d'Agnostique...
03:20 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : 51-lectures : yves adrien | |
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02/02/2007
Conseils à un jeune écrivain...
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
Danilo Kis (Lire : Danilo Kich), écrivain Serbe (1935-1989) dispensait ses conseils au jeune écrivain selon les termes suivants :
Conseils à un jeune Écrivain
Cultive le doute à l’égard des idéologies régnantes et des princes.
Tiens-toi à l’écart des princes.
Veille à ne pas souiller ton langage du parler des idéologies.
Sois persuadé que tu es plus fort que les généraux, mais ne te mesure pas à eux.
Ne crois pas que tu es plus faible que les généraux mais ne te mesure pas à eux.
Ne crois pas aux projets utopiques, sauf à ceux que tu conçois toi-même.
Montre-toi aussi fier envers les princes qu’envers la populace.
Aie la conscience tranquille quant aux privilèges que te confère ton métier d’écrivain.
Ne confonds pas la malédiction de ton choix avec l’oppression de classe.
Ne sois pas obsédé par l’urgence historique et ne crois pas en la métaphore des trains de l’histoire.
Ne saute,donc, pas dans les « trains de l’histoire », c’est une métaphore stupide.
Garde sans cesse à l’esprit cette maxime : «Qui atteint le but manque tout le reste ».
N’écris pas de reportages sur des pays où tu as séjourné en touriste ; n’écris pas de reportages du tout, tu n’es pas journaliste.
Ne te fie pas aux statistiques, aux chiffres, aux déclarations publiques : la réalité est ce qui ne se voit pas à l’œil nu.
Ne visite pas les usines, les kolkhozes, les chantiers : le progrès est ce qui ne se voit pas à l’œil nu.
Ne t’occupe pas d’économie, de sociologie, de psychanalyse.
Ne te pique pas de philosophie orientale, zen-bouddhisme etc : tu as mieux à faire.
Sois conscient du fait que l’imagination est sœur du mensonge, et par là-même dangereuse.
Ne t’associe avec personne : l’écrivain est seul.
Ne crois pas ceux qui disent que ce monde est le pire de tous.
Ne crois pas les prophètes, car tu es prophète.
Ne sois pas prophète, car le doute est ton arme.
Aie la conscience tranquille : les princes n’ont rien à voir avec toi, car tu es prince.
Aie la conscience tranquille : les mineurs de fond n’ont rien à voir avec toi, car tu es mineur de fond.
Sache que ce que tu n’as pas dit dans les journaux n’est pas perdu pour toujours : c’est de la tourbe.
N’écris pas sur commande.
Ne parie pas sur l’instant, car tu le regretterais.
Ne parie pas non plus sur l’éternité, car tu le regretterais.
Sois mécontent de ton destin, car seuls les imbéciles sont contents.
Ne sois pas mécontent de ton destin, car tu es un élu.
Ne cherche pas de justifications morales à ceux qui ont trahi.
Garde-toi du « redoutable esprit de suite ».
Crois ceux qui paient cher leur inconséquence.
Ne crois pas ceux qui font payer cher leur inconséquence.
Ne prône pas le relativisme de toutes les valeurs : la hiérarchie des valeurs existe.
Reçois avec indifférence les récompenses que te décernent les princes, mais ne fais rien pour les mériter.
Sois persuadé que la langue dans laquelle tu écris est la meilleure de toutes, car tu n’en as pas d’autres.
Sois persuadé que la langue dans laquelle tu écris est la pire de toutes, bien que tu ne l’échangerais contre aucune autre.
« Parce que tu es tiède, et non froid ou bouillant, je vais te vomir de ma bouche » (Apocalypse 3, 16)
Ne sois pas servile, car les princes te prendraient pour valet.
Ne sois pas présomptueux, car tu ressemblerais aux valets des princes.
Ne te laisse pas persuader que la littérature est socialement inutile.
Ne pense pas que ta littérature est « utile à la société ».
Ne pense pas que tu es toi-même un membre utile de la société.
Ne te laisse pas persuader pour autant que tu es un parasite de la société.
Sois convaincu que ton sonnet vaut mieux que les discours des hommes politiques et des princes.
Sache que ton sonnet n’a aucun sens face à la rhétorique des hommes politiques et des princes.
Aie en toute chose ton avis propre.
Ne donne pas en toute chose ton avis.
C’est à toi que les mots coûtent le moins.
Tes mots n’ont pas de prix.
Ne parle pas au nom de ta nation, car qui es-tu pour prétendre représenter quiconque, si ce n’est toi-même ?
Ne sois pas dans l’opposition, car tu n’es pas en face, mais au-dessous.
Ne sois pas du côté du pouvoir et des princes, car tu es au-dessus d’eux.
Bats-toi contre les injustices sociales, sans en faire un programme.
Prends garde que la lutte contre les injustices sociales ne te détourne pas de ton chemin.
Apprends ce que pensent les autres, puis oublie-le.
Ne conçois pas de programme politique, ne conçois aucun programme : tu conçois à partir du magma et du chaos du monde.
Garde-toi de ceux qui proposent des solutions finales.
Ne sois pas l’écrivain des minorités.
Dès qu’une communauté te fait sien, remets-toi en question.
N’écris pas pour le « lecteur moyen » : tous les lecteurs sont moyens.
N’écris pas pour l’élite ; l’élite n’existe pas : tu es l’élite.
Ne pense pas à mort, mais n’oublie pas que tu es mortel.
Ne crois pas en l’immortalité de l’écrivain, ce sont là sottises de professeurs.
Ne sois pas tragiquement sérieux, car c’est comique.
Ne joue pas la comédie, car les boyards ont l’habitude qu’on les amuse.
Ne sois pas bouffon de cour.
Ne pense pas que les écrivains sont « la conscience de l’humanité » ; tu as vu trop de crapules.
Ne te laisse pas persuader que tu n’es rien ni personne : tu as vu que les boyards ont peur des poètes.
Ne va à la mort pour aucune idée et ne convainc personne de mourir.
Ne sois pas lâche, et méprise les lâches.
N’oublie pas que l’héroïsme se paie cher.
N’écris pas pour les fêtes et les jubilés.
N’écris pas de panégyriques, car tu le regretterais.
N’écris pas d’oraisons funèbres aux héros de la nation, car tu le regretterais.
Si tu ne peux pas dire la vérité – tais-toi.
Garde-toi des demi-vérités.
Lorsque c’est la fête, il n’y a pas de raison pour que tu y prennes part.
Ne rends pas service aux princes et aux boyards.
Ne demande pas de service aux princes et aux boyards.
Ne sois pas tolérant par politesse.
Ne défends pas la vérité à tout prix : « On ne discute pas avec un imbécile ».
Ne te laisse pas persuader que nous avons tous également raison, et que les goûts ne se discutent pas. « Etre deux à avoir tort ne veut pas dire qu’on soit deux à avoir raison » (Karl Popper )
« Admettre que l’autre puisse avoir raison ne nous protège pas contre un autre danger : celui de croire que tout le monde a peut-être raison ». (Popper)
Ne discute pas avec des ignorants de choses dont ils t’entendent parler pour la première fois.
N’aie pas de mission.
Garde-toi de ceux qui ont une mission.
Ne crois pas à la « pensée scientifique ».
Ne crois pas à l’intuition.
Garde-toi du cynisme, entre autres du tien.
Evite les lieux communs et les citations idéologiques.
Aie le courage de nommer le poème d’Aragon à la gloire du Guépéou une infamie.
Ne lui cherche pas de circonstances atténuantes.
Ne te laisse pas convaincre que dans la polémique Sartre-Camus les deux avaient raison.
Ne crois pas à l’écriture automatique ni au « flou artistique » - tu aspires à la clarté.
Rejette les écoles littéraires qui te sont imposées.
A la mention du « réalisme socialiste », tu renonces à toute discussion.
Sur le thème de la « littérature engagée », tu restes muet comme une carpe : tu laisses cela aux professeurs.
Celui qui compare les camps de concentration à la Santé, tu l’envoies valser.
Celui qui affirme que la Kolyma, c’est différent d’Auschwitz, tu l’envoies au diable.
Celui qui affirme qu’à Auschwitz on n’a exterminé que des poux, et non des hommes, tu le jettes dehors.
Celui qui affirme que tout cela représentait une « nécessité historique », même traitement.
« Segui il carro e lascia dir le genti ». (Dante)"
_______________________________________________________
En 1988, un Journaliste demandait à Danilo Kis :
« Si vous deviez condenser en un roman la réalité Yougoslave, avec ses profonds déchirements et le spectre de conflits fratricides, quels aspects en retiendriez-vous ? »
Et Danilo Kis de répondre : « Je décrirais des Gargantua et des Pantagruel, dévorés d’un énorme appétit, et une réunion de savants, de dirigeants communistes qui parlent, même entre eux, une langue incompréhensible et ne réussissent pas à communiquer avec la population ».
Danilo Kis ne vit pas l'implosion de son pays bien-aimé. Il mourut deux ans avant...
_________________
C'était ma parenthèse du jour... je retourne à mes lectures corrosives et mon écriture du Camp Mondial...
04:05 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : 50-lectures : conseils à un jeune écrivain... | |
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01/02/2007
Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
Isidore Ducasse, dit "Comte de Lautréamont" (1846-1870)
Isidore Ducasse naît à Montevideo, en Urugay, le 4 avril 1846, jour de la Saint Isidore. Son père y est chancelier au consulat de France. Sa mère meurt un an après sa naissance. On ne sait que très peu de choses sur Isidore Ducasse, autant dire presque rien.
Ses premières études se passent chez les Jésuites, puis il est envoyé pour ses études secondaires dans le sud-ouest de la France, en premier lieu au Lycée Impérial de Tarbes, en 1859, puis au Lycée Impérial de Pau de 1863 à 1865. Nous sommes en plein Second Empire. Napoléon III règne; La France se remet mal de la Révolution de 1848 et la Guerre avec la Prusse se profile à l'horizon.
Isidore n'obtient pas son baccalauréat ès lettres. Il tente le baccalauréat ès sciences, mais on ignore quel en fut le résultat. De mai à Octobre 1867 il retourne dans son pays natal. En France à nouveau, fin 1867, il loge à Paris dans un hôtel de la rue Notre-Dame-des-Victoires et entreprend des études supérieures dont on ne sait rien. Peut-être prépare-t-il le concours d'admission à l'École Polytechnique.
Mais en Août 1868, il publie à ses frais (il a 22 ans) et sans le signer, le premier Chant des Chants de Maldoror. Le Livre Complet ne sortira que durant l'été 1869. Imprimé en Belgique, le livre passe complètement inaperçu, bien qu'il fut imprimé par les presses d'Albert Lacroix, éditeur de Hugo. Imprimé en Belgique, alors que l'Ordre moral règne dans la France Bonapartiste, Les Chants de Maldoror ne comporte sur la couverture, outre le titre, que la signature suivante: Comte de Lautréamont. L'Éditeur, effrayé par le contenu du livre en suspend la diffusion. On sait que Ducasse rentre en contact avec Poulet-Malassis, l'ancien éditeur des "Fleurs du mal" de Charles Baudelaire, afin de tenter de sauver son livre, car celui-ci édite un Bulletin des publications défendues en France et y a signalé l'existence des "Chants de Maldoror". Mais sa demande demeura sans suite.
Très rapidement, Isidore Ducasse, sous son vrai nom cette fois, fait imprimer un premier fascicule chez Balitout, Questroy et Cie, chez lesquels il avait déjà sorti son premier Chant des Chants de Maldoror, d'un ouvrage nommé "Poésies". Puis, très vite encore, un deuxième fascicule de cette publication voit le jour. L'auteur considère alors ce travail de publication comme "permanent et sans prix", chaque souscripteur à la publication pouvant verser la somme que lui dicte son coeur.
Mais à l'été 1870 la guerre éclate entre la France et la Prusse. C'est bientôt la fin du second Empire et c'est dans un Paris assiégé par les prussiens et en proie à l'espoir et aux désordres de LA COMMUNE qu'Isidore Ducasse meurt le 24 Novembre 1870 d'une cause inconnue, en son domicile du 7, Faubourg-Montmartre. L'Épitaphe sur son tombeau aurait dit :"Ci-gît un adolescent qui mourut poitrinaire: vous savez pourquoi. Ne priez pas pour lui."
Sa mort passée, ses deux seules oeuvres, "Les chants de Maldoror" et "Poésies" vont véritablement commencer leur carrière ! D'abord, "Poésies", racheté par Jean-Baptiste Rozez (libraire et éditeur en Belgique) est réédité en 1874. Mais c'est en 1885 qu'il attire la curiosité de Max Waller, directeur de La Jeune Belgique. C'est là que la chaîne se met en place. Max Waller recommande le livre à quelques uns de ses amis, Iwan Gilkin, Albert Giraud, qui le conseillent à leur tour... et pas à n'importe qui : Joris Karl Huysmans, Léon Bloy.
Quant aux "Chants de Maldoror", Léon Genonceaux les réédite en 1890.
Rémy de Gourmont fait référence aux Chants de Maldoror dans Le Mercure de France en 1891, déjà. Valéry Larbaud en tente une analyse dés 1914. Et c'est finalement Louis Aragon et André Breton, jeunes surréalistes, qui en recopient intégralement l'unique exemplaire connu et conservé à la Bibliothèque Nationale et en font découvrir la teneur en deux fois, dans les numéros 2 et 3 (avril et mai 1919) de leur revue Littérature. André Breton affirmera sans relâche ce que le Surréalisme doit à Isidore Ducasse : "C'est au comte de Lautréamont qu'incombe peut-être la plus grande part de l'état de choses poétique actuel : entendez la révolution surréaliste."
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Poésies -I
EXERGUE
«Je remplace la mélancolie par le courage, le doute par la certitude, le désespoir par l'espoir, la méchanceté par le bien, les plaintes par le devoir, le scepticisme par la foi, les sophismes par la froideur du calme et l'orgueil par la modestie.»
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Les gémissements poétiques de ce siècle ne sont que des sophismes.
Les premiers principes doivent être hors de discussion.
J'accepte Euripide et Sophocle; mais je n'accepte pas Eschyle.
Ne faites pas preuve de manque des convenances les plus élémentaires et de mauvais goût envers le créateur.
Repoussez l'incrédulité: vous me ferez plaisir.
Il n'existe pas deux genres de poésies; il n'en est qu'une.
Il existe une convention peu tacite entre l'auteur et le lecteur, par laquelle le premier s'intitule malade, et accepte le second comme garde-malade. C'est le poète qui console l'humanité! Les rôles sont intervertis arbitrairement.
Je ne veux pas être flétri de la qualification de poseur.
Je ne laisserai pas des Mémoires.
La poésie n'est pas la tempête, pas plus que le cyclone. C'est un fleuve majestueux et fertile.
Ce n'est qu'en admettant la nuit physiquement, qu'on est parvenu à la faire passer moralement. O Nuits d'Young! vous m'avez causé beaucoup de migraines!
On ne rêve que lorsque l'on dort. Ce sont des mots comme celui de rêve, néant de la vie, passage terrestre, la préposition peut-être, le trépied désordonné, qui ont infiltré dans vos âmes cette poésie moite des langueurs, pareille à de la pourriture. Passer des mots aux idées, il n'y a qu'un pas.
Les perturbations, les anxiétés, les dépravations, la mort, les exceptions dans l'ordre physique ou moral, l'esprit de négation, les abrutissements, les hallucinations servies par la volonté, les tourments, la destruction, les renversements, les larmes, les insatiabilités, les asservissements, les imaginations creusantes, les romans, ce qui est inattendu, ce qu'il ne faut pas faire, les singularités chimiques de vautour mystérieux qui guette la charogne de quelque illusion morte, les expériences précoces et avortées, les obscurités à carapace de punaise, la monomanie terrible de l'orgueil, l'inoculation des stupeurs profondes, les oraisons funèbres, les envies, les trahisons, les tyrannies, les impiétés, les irritations, les acrimonies, les incartades agressives, la démence, le splëen, lesépouvantements raisonnés, les inquiétudes étranges, que le lecteur préférerait ne pas éprouver, les grimaces, les névroses, les filières sanglantes par lesquelles on fait passer la logique aux abois, les exagérations, l'absence de sincérité, les scies, les platitudes, le sombre, le lugubre, les enfantements pires que les meurtres, les passions, le clan des romanciers de cours d'assises, les tragédies, les odes, les mélodrames, les extrêmes présentés à perpétuité, la raison impunément sifflée, les odeurs de poule mouillée, les affadissements, les grenouilles, les poulpes, les requins, le simoun des déserts, ce qui est somnambule, louche, nocturne, somnifère, noctambule, visqueux, phoque parlant, équivoque, poitrinaire, spasmodique, aphrodisiaque, anémique, borgne, hermaphrodite, bâtard, albinos, pédéraste, phénomène d'aquarium et femme à barbe, les heures soûles du découragement taciturne, les fantaisies, les âcretés, les monstres, les syllogismes démoralisateurs, les ordures, ce qui ne réfléchit pas comme l'enfant, la désolation, ce mancenillier intellectuel, les chancres parfumés, les cuisses aux camélias, la culpabilité d'un écrivain qui roule sur la pente du néant et se méprise lui-même avec des cris joyeux, les remords, les hypocrisies, les perspectives vagues qui vous broient dans leurs engrenages imperceptibles, les crachats sérieux sur les axiômes sacrés, la vermine et ses chatouillements insinuants, les préfaces insensées, comme celles de Cromwell, de Mlle de Maupin et de Dumas fils, les caducités, les impuissances, les blasphêmes, les asphyxies, les étouffements, les rages, – devant ces charniers immondes, que je rougis de nommer, il est temps de réagir enfin contre ce qui nous choque et nous courbe si souverainement.
Votre esprit est entraîné perpétuellement hors de ses gonds, et surpris dans le piége de ténèbres construit avec un art grossier par l'égoïsme et l'amour-propre.
Le goût est la qualité fondamentale qui résume toutes les autres qualités. C'est le nec plus ultrà de l'intelligence. Ce n'est que par lui seul que le génie est la santé suprême et l'équilibre de toutes les facultés. Villemain est trente-quatre fois plus intelligent qu'Eugène Sue et Frédéric Soulié. Sa préface du Dictionnaire de l'Académie verra la mort des romans de Walter Scott, de Fenimore Cooper, de tous les romans possibles et imaginables. Le roman est un genre faux, parce qu'il décrit les passions pour elles-mêmes: la conclusion morale est absente. Décrire les passions n'est rien; il suffit de naître un peu chacal, un peu vautour, un peu panthère. Nous n'y tenons pas. Les décrire, pour les soumettre à une haute moralité, comme Corneille, est autre chose. Celui qui s'abstiendra de faire la première chose, tout en restant capable d'admirer et de comprendre ceux à qui il est donné de faire la deuxième, surpasse, de toute la supériorité des vertus sur les vices, celui qui fait la première. Par cela seul qu'un professeur de seconde a dit: «Quand on me donnerait tous les trésors de l'univers, je ne voudrais pas avoir fait des romans pareils à ceux de Balzac et d'Alexandre Dumas» , par cela seul, il est plus intelligent qu'Alexandre Dumas et Balzac. Par cela seul qu'un élève de troisième s'est pénétré qu'il ne faut pas chanter les difformités physiques et intellectuelles, par cela seul, il est plus fort, plus capable, plus intelligent que Victor Hugo, s'il n'avait fait que des romans, des drames et des lettres.
Alexandre Dumas fils ne fera jamais, au grand jamais, un discours de distribution des prix pour un lycée. Il ne connaît pas ce que c'est que la morale. Elle ne transige pas. S'il le faisait, il devrait auparavant biffer d'un trait de plume tout ce qu'il a écrit jusqu'ici, en commençant par ses Préfaces absurdes. Réunissez un jury d'hommes compétents: je soutiens qu'un bon élève de seconde est plus fort que lui dans n'importe quoi, même dans la sale question des courtisanes.
Les chefs-d'oeuvre de la langue française sont les discours de distribution pour les lycées, et les discours académiques. En effet, l'instruction de la jeunesse est peut-être la plus belle expression pratique du devoir, et une bonne appréciation des ouvrages de Voltaire (creusez le mot appréciation) est préférable à ces ouvrages eux-mêmes. – Naturellement!
Les meilleurs auteurs de romans et de drames dénatureraient à la longue la fameuse idée du bien, si les corps enseignants, conservatoires du juste, ne retenaient les générations jeunes et vieilles dans la voie de l'honnêteté et du travail.
En son nom personnel, malgré elle, il le faut, je viens renier, avec une volonté indomptable, et une ténacité de fer, le passé hideux de l'humanité pleurarde. Oui: je veux proclamer le beau sur une lyre d'or, défalcation faite des tristesses goitreuses et des fiertés stupides qui décomposent, à sa source, la poésie marécageuse de ce siècle. C'est avec les pieds que je foulerai les stances aigres du scepticisme, qui n'ont pas leur motif d'être. Le jugement, une fois entré dans l'efflorescence de son énergie, impérieux et résolu, sans balancer une seconde dans les incertitudes dérisoires d'une
pitié mal placée, comme un procureur général, fatidiquement, les condamne. Il faut veiller sans relâche sur les insomnies purulentes et les cauchemars atrabilaires. Je méprise et j'exècre l'orgueil, et les voluptés infâmes d'une ironie, faite éteignoir, qui déplace la justesse de la pensée.
Quelques caractères, excessivement intelligents, il n'y a pas lieu que vous l'infirmiez par des palinodies, d'un goût douteux, se sont jetés, à tête perdue, dans les bras du mal. C'est l'absinthe, savoureuse, je ne le crois pas, mais, nuisible, qui tua moralement l'auteur de Rolla, Malheur à ceux qui sont gourmands! A peine est-il entré dans l'âge mûr, l'aristocrate anglais, que sa harpe se brise sous les murs de Missolonghi, après n'avoir cueilli sur son passage que les fleurs qui couvent l'opium des mornes anéantissements.
Quoique plus grand que les génies ordinaires, s'il s'était trouvé de son temps un autre poète, doué, comme lui, à doses semblables, d'une intelligence exceptionnelle, et capable de se présenter comme son rival, il aurait avoué, le premier, l'inutilité de ses efforts pour produire des malédictions disparates; et que, le bien exclusif est, seul, déclaré digne, de par la voix de tous les mondes, de s'approprier notre estime. Le fait fut qu'il n'y eut personne pour le combattre avec avantage. Voilà ce qu'aucun n'a dit. Chose étrange! même en feuilletant les recueils et les livres de son époque, aucun critique n'a songé à mettre en relief le rigoureux syllogisme qui précède. Et ce n'est que celui qui le surpassera qui peut l'avoir inventé. Tant on était rempli de stupeur et d'inquiétude, plutôt que d'admiration réfléchie, devant des ouvrages écrits d'une main perfide, mais qui révélaient, cependant, les manifestations imposantes d'une âme qui n'appartient pas au vulgaire des hommes, et qui se trouvait à son aise dans les conséquences dernières d'un des deux moins obscurs
problèmes qui intéressent les coeurs non-solitaires: le bien, le mal. Il n'est pas donné à quiconque d'aborder les extrêmes, soit dans un sens, soit dans un autre. C'est ce qui explique pourquoi, tout en louant, sans arrière-pensée, l'intelligence merveilleuse dont il dénote à chaque instant la preuve, lui, un des quatre ou cinq phares de l'humanité, l'on fait, en silence, ses nombreuses réserves sur les applications et l'emploi injustifiables qu'il en a faits sciemment. Il n'aurait pas dû parcourir les domaines sataniques.
La révolte féroce des Troppmann, des Napoléon Ier, des Papavoine, des Byron, des Victor Noir et des Charlotte Corday sera contenue à distance de mon regard sévère. Ces grands criminels, à des titres si divers, je les écarte d'un geste. Qui croit-on tromper ici, je le demande avec une lenteur qui s'interpose? Ô dadas de bagne! Bulles de savon! Pantins en baudruche! Ficelles usées! Qu'ils s'approchent, les Konrad, les Manfred, les Lara, les marins qui ressemblent au Corsaire, les Méphistophélès, les Werther, les Don Juan, les Faust, les Iago, les Rodin, les Caligula, les Caïn, les Iridion, les mégèresà l'instar de Colomba, les Ahrimane, les manitous manichéens, barbouillés de cervelle, qui cuvent le sang de leurs victimes dans les pagodes sacrées de l'Hindoustan, le serpent, le crapaud et le crocodile, divinités, considérées comme anormales, de l'antique Égypte, les sorciers et les puissances démoniaques du moyen âge, les Prométhée, les Titans de la mythologie foudroyés par Jupiter, les Dieux Méchants vomis par l'imagination primitive des peuples barbares, – toute la série bruyante des diables en carton. Avec la certitude de les vaincre, je saisis la cravache de l'indignation et de la concentration qui soupèse, et j'attends ces monstres de pied ferme, comme leur dompteur prévu.
Il y a des écrivains ravalés, dangereux loustics, farceurs au quarteron, sombres mystificateurs, véritables aliénés, qui mériteraient de peupler Bicêtre. Leurs têtes crétinisantes, d'où une tuile a été enlevée, créent des fantômes gigantesques, qui descendent au lieu de monter. Exercice scabreux; gymnastique spécieuse. Passez donc, grotesque muscade. S'il vous plaît, retirez-vous de ma présence, fabricateurs, à la douzaine, de rébus défendus, dans lesquels je n'apercevais pas auparavant, du premier coup, comme aujourd'hui, le joint de la solution frivole. Cas pathologique d'un égoïsme formidable. Automates fantastiques: indiquez-vous du doigt, l'un à l'autre, mes enfants, l'épithète qui les remet à leur place.
S'ils existaient, sous la réalité plastique, quelque part, ils seraient, malgré leur intelligence avérée, mais fourbe, l'opprobre, le fiel, des planètes qu'ils habiteraient la honte. Figurez-vous-les, un instant, réunis en société avec des substances qui seraient leurs semblables. C'est une succession non interrompue de combats, dont ne rêveront pas les bouledogues, interdits en France, les requins et les macrocéphales-cachalots. Ce sont des torrents de sang, dans ces régions chaotiques pleines d'hydres et de minotaures, et d'où la colombe, effarée sans retour, s'enfuit à tire-d'aile. C'est un entassement de bêtes apocalyptiques, qui n'ignorent pas ce qu'elles font. Ce sont des chocs de passions, d'irréconciliabilités et d'ambitions, à travers les hurlements d'un orgueil qui ne se laisse pas lire, se contient, et dont personne ne peut, même approximativement, sonder les écueils et les bas-fonds.
Mais, ils ne m'en imposeront plus. Souffrir est une faiblesse, lorsqu'on peut s'en empêcher et faire quelque chose de mieux. Exhaler les souffrances d'une splendeur non équilibrée, c'est prouver, ô moribonds des maremmes perverses! moins de résistance et de courage, encore. Avec ma voix et ma solennité des grands jours, je te rappelle dans mes foyers déserts, glorieux espoir. Viens t'asseoir à mes côtés, enveloppé du
manteau des illusions, sur le trépied raisonnable des apaisements. Comme un meuble de rebut, je t'ai chassé de ma demeure, avec un fouet aux cordes de scorpions. Si tu souhaites que je sois persuadé que tu as oublié, en revenant chez moi, les chagrins que, sous l'indice des repentirs, je t'ai causés autrefois, crebleu, ramène alors avec toi, cortége sublime, – soutenez-moi, je m'évanouis! – les vertus offensées et leurs impérissables redressements.
Je constate, avec amertume, qu'il ne reste plus que quelques gouttes de sang dans les artères de nos époques phtisiques. Depuis les pleurnicheries odieuses et spéciales, brevetées sans garantie d'un point de repère, des Jean-Jacques Rousseau, des Châteaubriand et des nourrices en pantalon aux poupons Obermann, à travers les autres poètes qui se sont vautrés dans le limon impur, jusqu'au songe de Jean-Paul, le suicide de Dolorès de Veintemilla, le Corbeau d'Allan, la Comédie Infernale du Polonais, les yeux sanguinaires de Zorilla, et l'immortel cancer, Une Charogne, que peignit autrefois, avec amour, l'amant morbide de la Vénus hottentote, les douleurs invraisemblables que ce siècle s'est créées à lui-même, dans leur voulu monotone et dégoûtant, l'ont rendu poitrinaire. Larves absorbantes dans leurs engourdissements insupportables!
Allez, la musique.
Oui, bonnes gens, c'est moi qui vous ordonne de brûler, sur une pelle, rougie au feu, avec un peu de sucre jaune, le canard du doute, aux lèvres de vermouth, qui, répandant, dans une lutte mélancolique entre le bien et le mal, des larmes qui ne viennent pas du coeur, sans machine pneumatique, fait, partout, le vide universel. C'est ce que vous avez de mieux à faire.
Le désespoir, se nourrissant avec un parti pris, de ses fantasmagories, conduit imperturbablement le littérateur à l'abrogation en masse des lois divines et sociales, et à la méchanceté théorique et pratique. En un mot, fait prédominer le derrière humain dans les raisonnements. Allez, et passez-moi le mot! L'on devient méchant, je le répète, et les yeux prennent la teinte des condamnés à mort. Je ne retirerai pas ce que j'avance. Je veux que ma poésie puisse être lue par une jeune fille de quatorze ans.
La vraie douleur est incompatible avec l'espoir. Pour si grande que soit cette douleur, l'espoir, de cent coudées, s'élève plus haut encore. Donc, laissez-moi tranquille avec les chercheurs. A bas, les pattes, à bas, chiennes cocasses, faiseurs d'embarras, poseurs! Ce qui souffre, ce qui dissèque les mystères qui nous entourent, n'espère pas. La poésie qui discute les vérités nécessaires est moins belle que celle qui ne les discute pas. Indécisions à outrance, talent mal employé, perte de temps: rien ne sera plus facile à vérifier.
Chanter Adamastor, Jocelyn, Rocambole, c'est puéril. Ce n'est même que parce que l'auteur espère que le lecteur sous-entend qu'il pardonnera à ses héros fripons, qu'il se trahit lui-même et s'appuie sur le bien pour faire passer la description du mal. C'est au nom de ces mêmes vertus que Frank a méconnues, que nous voulons bien le supporter, ô saltimbanques de malaises incurables.
Ne faites pas comme ces explorateurs sans pudeur, magnifiques, à leurs yeux, de mélancolie, qui trouvent des choses inconnues dans leur esprit et dans leurs corps!
La mélancolie et la tristesse sont déjà le commencement du doute; le doute est le commencement du désespoir; le désespoir est le commencement cruel des différents degrés de la méchanceté. Pour vous en convaincre, lisez la Confession d'un enfant du siècle. La pente est fatale, une fois qu'on s'y engage. Il est certain qu'on arrive à la méchanceté. Méfiez-vous de la pente. Extirpez le mal par la racine. Neflattez pas le culte d'adjectifs tels que indescriptible, inénarrable, rutilant, incomparable, colossal, qui mentent sans vergogne aux substantifs qu'ils défigurent: ils sont poursuivis par la lubricité.
Les intelligences de deuxième ordre, comme Alfred de Musset, peuvent pousser rétivement une ou deux de leurs facultés beaucoup plus loin que les facultés correspondantes des intelligences de premier ordre, Lamartine, Hugo. Nous sommes en présence du déraillement d'une locomotive surmenée. C'est un cauchemar qui tient la plume. Apprenez que l'âme se compose d'une vingtaine de facultés. Parlez-moi de ces mendiants qui ont un chapeau grandiose, avec des haillons sordides!
Voici un moyen de constater l'infériorité de Musset sous les deux poètes. Lisez, devant une jeune fille, Rolla ou Les Nuits, Les Fous de Cobb, sinon les portraits de Gwynplaine et de Dea, ou le Récit de Théramène d'Euripide, traduit en vers français par Racine le père. Elle tressaille, fronce les sourcils, lève et abaisse les mains, sans but déterminé, comme un homme qui se noie; les yeux jetteront des lueurs verdâtres. Lisez-lui la Prière pour tous, de Victor Hugo. Les effets sont diamétralement opposés. Le genre d'électricité n'est plus le même. Elle rit aux éclats, elle en demande davantage.
De Hugo, il ne restera que les poésies sur les enfants, où se trouve beaucoup de mauvais.
Paul et Virginie, choque nos aspirations les plus profondes au bonheur. Autrefois, cet épisode qui broie du noir de la première à la dernière page, surtout le naufrage final, me faisait grincer des dents. Je me roulais sur le tapis et donnais des coups de pied à mon cheval en bois. La description de la douleur est un contresens. Il faut faire voir tout en beau. Si cette histoire était racontée dans une simple biographie, je ne l'attaquerais point. Elle change tout de suite de caractère. Le malheur devient auguste par la volonté impénétrable de Dieu qui le créa. Mais l'homme ne doit pas créer le malheur dans ses livres. C'est ne vouloir, à toutes forces, considérer qu'un seul côté des choses. Ö hurleurs maniaques, que vous êtes!
Ne reniez pas l'immortalité de l'âme, la sagesse de Dieu, la grandeur de la vie, l'ordre qui se manifeste dans l'univers, la beauté corporelle, l'amour de la famille, le mariage, les institutions sociales. Laissez de côté les écrivassiers funestes: Sand, Balzac, Alexandre Dumas, Musset, Du Terrail, Féval, Flaubert, Baudelaire, Leconte et la Grève des Forgerons!
Ne transmettez à ceux qui vous lisent que l'expérience qui se dégage de la douleur, et qui n'est plus la douleur elle-même. Ne pleurez pas en public.
Il faut savoir arracher des beautés littéraires jusque dans le sein de la mort; mais ces beautés n'appartiendront pas à la mort. La mort n'est ici que la cause occasionnelle. Ce n'est pas le moyen, c'est le but, qui n'est pas elle. Les vérités immuables et nécessaires, qui font la gloire des nations, et que le doute s'efforce en vain d'ébranler, ont commencé depuis les âges. Ce sont des choses auxquelles on ne devrait pas toucher. Ceux qui veulent faire de l'anarchie en littérature, sous prétexte de nouveau, tombent dans le contresens. On n'ose pas attaquer Dieu; on attaque l'immortalité de l'âme. Mais, l'immortalité de l'âme, elle aussi, est vieille comme les assises du monde. Quelle autre croyance la remplacera, si elle doit être remplacée? Ce ne sera pas toujours une négation.
Si l'on se rappelle la vérité d'où découlent toutes les autres, la bonté absolue de Dieu et son ignorance absolue du mal, les sophismes s'effondreront d'eux-mêmes. S'effondrera, dans un temps pareil, la littérature peu poétique qui s'est appuyée sur eux. Toute littérature qui discute les axiomes éternels est condamnée à ne vivre que d'elle-même. Elle est injuste. Elle se dévore le foie. Les novissima Verba font sourire superbement les gosses sans mouchoir de la quatrième. Nous n'avons pas le droit d'interroger le Créateur sur quoi que ce soit.
Si vous êtes malheureux, il ne faut pas le dire au lecteur. Gardez cela pour vous.
Si on corrigeait les sophismes dans le sens des vérités correspondantes à ces sophismes, ce n'est que la correction qui serait vraie; tandis que la pièce ainsi remaniée, aurait le droit de ne plus s'intituler fausse. Le reste serait hors du vrai, avec trace de faux, par conséquent nul, et considéré,
forcément, comme non avenu.
La poésie personnelle a fait son temps de jongleries relatives et de contorsions contingentes. Reprenons le fil indestructible de la poésie impersonnelle brusquement interrompu depuis la naissance du philosophe manqué de Ferney, depuis l'avortement du grand Voltaire.
Il paraît beau, sublime, sous prétexte d'humilité ou d'orgueil, de discuter les causes finales, d'en fausser les conséquences stables et connues. Détrompez-vous, parce qu'il n'y a rien de plus bête! Renouons la chaîne régulière avec les temps passés; la poésie est la géométrie par excellence. Depuis Racine, la poésie n'a pas progressé d'un millimètre. Elle a reculé. Grâce à qui? aux Grandes-Têtes-Molles de notre époque. Grâce aux femmelettes, Châteaubriand, le Mohican-Mélancolique; Sénancourt, l'Homme-en-Jupon; JeanJacques Rousseau, le Socialiste-Grincheur; Anne Radcliffe, le Spectre-Toqué; Edgar Poe, le Mameluck-des-Rêves-d'Alcool; Mathurin, le Compère-des-Ténèbres; Georges Sand, l'Hermaphrodite-Circoncis; Théophile Gautier, l'Incomparable-Epicier; Leconte, le Captif-du-Diable; Goethe, le Suicidé-pour-Pleurer; Sainte-Beuve, le Suicidé-pour-Rire; Lamartine, la Cigogne-Larmoyante;
Lermontoff, le Tigre-qui-Rugit; Victor Hugo, le Funèbre-Echalas-Vert; Misçkiéwicz, l'Imitateur-de-Satan; Musset, le Gandin-Sans-Chemise-Intellectuelle; et Byron, l'Hippopotame-des-Jungles-Infernales.
Le doute a existé en tout temps en minorité. Dans ce siècle, il est en majorité. Nous respirons la violation du devoir par les pores. Cela ne s'est vu qu'une fois; cela ne se reverra plus.
Les notions de la simple raison sont tellement obscurcies à l'heure qu'il est, que, la première chose que font les professeurs de quatrième, quand ils apprennent à faire des vers latins à leurs élèves, jeunes poètes dont la lèvre est humectée du lait maternel, c'est de leur dévoiler par la pratique le nom d'Alfred de Musset. Je vous demande un peu, beaucoup! Les professeurs de troisième, donc, donnent, dans leurs classes à traduire, en vers grecs, deux sanglants épisodes. Le premier, c'est la repoussante comparaison du pélican. Le deuxième, sera l'épouvantable catastrophe arrivée à un laboureur. A quoi bon regarder le mal? N'est-il pas en minorité? Pourquoi pencher la tête d'un lycéen sur des questions qui, faute de n'avoir pas été comprises, ont fait perdre la leur à des hommes tels que Pascal et Byron?
Un élève m'a raconté que son professeur de seconde avait donné à sa classe, jour par jour, ces deux charognes à traduire en vers hébreux, Ces plaies de la nature animale et humaine le rendirent malade pendant un mois, qu'il passa à l'infirmerie. Comme nous nous connaissions, il me fit demander par sa mère. Il me raconta, quoique avec naïveté, que ses nuits étaient troublées par des rêves de persistance, Il croyait voir une armée de pélicans qui s'abattaient sur sa poitrine, et la lui déchiraient. Ils s'envolaient ensuite vers une chaumière en flammes. Ils mangeaient la femme du laboureur et ses enfants. Le corps noirci de brûlures, le laboureur sortait de la maison, engageait avec les pélicans un combat atroce. Le tout se précipitait dans la chaumière, qui retombait en éboulements. De la masse soulevée des décombres – cela ne ratait jamais – il voyait sortir son professeur de seconde, tenant d'une main son coeur, de l'autre une feuille de papier où l'on déchiffrait, en traits de soufre, la comparaison du pélican et celle du laboureur, telles que Musset lui-même les a composées. Il ne fut pas facile, au premier abord, de pronostiquer son genre de maladie. Je lui recommandai de se taire soigneusement, et de n'en parler à personne, surtout à son professeur de seconde. Je conseillai à sa mère de le prendre quelques jours chez elle, en assurant que cela se passerait. En effet, j'avais soin d'arriver chaque jour pendant quelques heures, et cela se passa.
Il faut que la critique attaque la forme, jamais le fond de vos idées, de vos phrases. Arrangez-vous.
Les sentiments sont la forme de raisonnement la plus incomplète qui se puisse imaginer.
Toute l'eau de la mer ne suffirait pas à laver une tache de sang intellectuelle."
00:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : 49-lectures : isidore ducasse, comte de lautréamont | |
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31/01/2007
Aux Modernes
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
"Aux Modernes
Vous vivez lâchement, sans rêve, sans dessein,
Plus vieux, plus décrépits que la terre inféconde,
Châtrés dès le berceau par le siècle assassin
De toute passion vigoureuse et profonde.
Votre cervelle est vide autant que votre sein,
Et vous avez souillé ce misérable monde
D'un sang si corrompu, d'un souffle si malsain,
Que la mort germe seule en cette boue immonde.
Hommes, tueurs de Dieux, les temps ne sont pas loin
Où, sur un grand tas d'or vautrés dans quelque coin,
Ayant rongé le sol nourricier jusqu'aux roches,
Ne sachant faire rien ni des jours ni des nuits,
Noyés dans le néant des suprêmes ennuis,
Vous mourrez bêtement en emplissant vos poches."
Charles-Marie LECONTE DE LISLE (1818-1894)
Poèmes barbares
09:45 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : 48-lectures : aux modernes | |
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30/01/2007
La souriante Garce
=--=Publié dans la Catégorie "Franc-tireur"=--=
Ségolène Royal veut la mort de ce pays... cette pétasse incompétente est dangereuse :
« Ne comptez pas sur moi pour parler de ce qui ne va pas. »
« Je ne veux plus entendre parler d'intégration. »
« Je veux un pays qui entende ce que lui dit Diam's dans Ma France à moi »... qui n'est pas la France.
Elle se tait sur Redeker qui vit toujours sous la menace d'une Fatwa et sous protection de la Police... mais lui note dans son journal qui vient de paraître :
« Plus les jours passent, plus je prends la mesure de l'étendue de la corruption intellectuelle et morale qui affecte la gauche de ce pays » Robert Redeker (Il faut tenter de vivre, Seuil)
Il rend hommage aux milliers de courriers reçus qui « n'acceptent pas que nos moeurs soient changées pour complaire à un islam politique qui effraie les élites ».
Voici les élections... économisez vos munitions. On va bien rire. Et pleurer, sûrement...
Certains vont se réveiller avec la gueule de bois...
C'était ma parenthèse du jour... je retourne à mes lectures empoisonnées et mon écriture nocive...
09:30 Publié dans Franc-tireur | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : 47-Franc-Tireur : La souriante Garce | |
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29/01/2007
Esclaves
=--=Publié dans la Catégorie "Friedrich Nietzsche"=--=
"Nous autres modernes avons sur les Grecs l'avantage de posséder deux concepts qui nous servent en quelque sorte de consolation face à un monde où tous se conduisent en esclaves et où pourtant le mot fait reculer d'effroi:nous parlons de la dignité de l'homme et de la dignité du travail. Tous s'échinent à perpétuer misérablement une vie de misère, et sont contraints par cette effroyable nécessité à un travail exténuant, qu'ensuite l'homme, ou plus exactement l'intellect humain, abusé par « la volonté », regarde ébahi, par moments, comme un objet digne de respect. Or pour que le travail puisse revendiquer le droit d'être honoré, encore serait-il nécessaire qu'avant tout l'existence elle même, dont il n'est pourtant qu'un instrument douloureux, ait un peu plus de dignité que ne lui en ont accordé jusqu'ici les philosophies et les religions qui ont pris ce problème au sérieux. Que pouvons-nous trouver d'autre dans la nécessité du travail de ces millions d'hommes, que l'instinct d'exister à tout prix, ce même instinct tout puissant qui pousse des plantes rabougries à étirer leurs racines sur la roche nue! De cette épouvantable lutte pour l'existence, seuls peuvent émerger les individus qui seront tout aussitôt absorbés par les nobles et illusoires productions d'une civilisation artistique afin qu'ils ne parviennent surtout pas à un pessimisme dans l'action, que la nature abhorre en tant qu'il est véritablement contre-nature."
L'Etat chez les Grecs. Nietzsche
"Nous autres modernes avons sur les Grecs l'avantage de posséder deux concepts qui nous servent en quelque sorte de consolation face à un monde où tous se conduisent en esclaves et où pourtant le mot fait reculer d'effroi : nous parlons de la dignité de l'homme et de la dignité du travail."
Il faut bien noter ici le caractère ironique du propos de Nietzsche. Car s'il y a bien une chose que Nietzsche savait de par sa solide formation, c'est que les Grecs aimaient et appréciaient le travail, quel qu'il soit, et le travail bien fait... celui du guerrier comme celui du paysan. Par exemple, pour Hésiode, le poète Des Travaux et des Jours, le meilleur genre de vie, fort pénible peut-être, mais qui assure pleinement la dignité de l'homme Libre, est celui du paysan propriétaire qui trouve sur son domaine de quoi nourrir et vêtir lui-même et les siens, de quoi satisfaire à tous les besoins de sa famille. Impensable pour un grec du temps de Périclès de dépendre d'un autre pour subvenir à ses besoins. C'est là une condition d'esclave. L'esprit aristocratique naît au sein même du peuple producteur, pas seulement chez les guerriers et, sur ce point, cela n'a pu que contribuer à une unicité de l'esprit grec, donc du peuple grec, ainsi que des castes plus perméables qu'on ne le pense. L'Areté Grecque, vertu des vertus, permet de considérer l'œuvre de l'individu, fut-elle productive ou guerrière, comme un moyen pour lui de s'élever, de franchir des étapes, de s'améliorer et de prendre date avec soi-même. Ce que les grecs abominaient, c'est le travail lucratif, l'argent pour l'argent. Ils ont érigé une civilisation sur une terre rocailleuse et peu fertile dont il a fallu tirer par le sacrifice du travail et de l'effort les fruits providentiels.
D'où l'ironie de Nietzsche, car il a du lire (dans le texte... en grec ancien... philologue de formation...) Des Travaux et des Jours d'Hésiode, passage obligatoire pour tout hélleniste qui se respecte. Car, entre les lignes, nous assistons à quelque chose de plus clair lorsqu'il affirme :
"Tous s'échinent à perpétuer misérablement une vie de misère, et sont contraints par cette effroyable nécessité à un travail exténuant, qu'ensuite l'homme, ou plus exactement l'intellect humain, abusé par « la volonté », regarde ébahi, par moments, comme un objet digne de respect. Or pour que le travail puisse revendiquer le droit d'être honoré, encore serait il nécessaire qu'avant tout l'existence elle même, dont il n'est pourtant qu'un instrument douloureux, ait un peu plus de dignité que ne lui en ont accordé jusqu'ici les philosophies et les religions qui ont pris ce problème au sérieux. "
J'aime à rappeler que le point culminant de ce type de conception du travail, que Nietzsche dénonce clairement, se trouve à l'entrée de je ne sais plus quel camp de concentration immonde au frontispice du quel était inscrit : "Le travail rend Libre" ! On ne peut, du coup, que comprendre l'énoncé d'un Guy Debord qui plus de 10 ans avant Mai 68 inscrivait sur les murs : "Ne travaillez jamais !" Lui, qui n'a pas arrêté d'écrire, de tourner, de penser. C'est là l'oisiveté authentique.
Les différentes religions ou philosophies n'ont fait qu'entériner sans cesse une "malédiction" liée à "la chute originelle" en indiquant que cela était de l'ordre du devoir que de souffrir pour gagner notre pain à la sueur de notre front. Or, le travail devrait être une bénédiction. Mais même pour l'entrepreneur bourgeois du 19ème Siècle, il ne s'agit même plus d'être dans une bénédiction de l'action, la seule bénédiction qui vaille pour lui consiste à faire rentrer du fric, de la maille, du flouze, du pognon. C'est Marx, n'est-ce pas, qui a très bien analysé l'irruption du travail comme "valeur marchande" au 19ème Siècle. Fait nouveau qu'il assimile à un progrès, il ne faut pas l'oublier... ou alors il faut relire Le Capital.
Nietzsche regrette, en fait, que ce qui nous est présenté comme de la dignité et du respect n'est, en vérité, que de l'esclavage. On est tenus par les couilles pour subsister et subvenir à nos besoins essentiels. Nous dépendons bien d'un autre pour pouvoir bouffer et c'est, selon lui, et selon tous les grecs tant pré-socratiques que post-platoniciens... une triste condition d'esclave :
"Que pouvons-nous trouver d'autre dans la nécessité du travail de ces millions d'hommes, que l'instinct d'exister à tout prix, ce même instinct tout puissant qui pousse des plantes rabougries à étirer leurs racines sur la roche nue! De cette épouvantable lutte pour l'existence, seuls peuvent émerger les individus qui seront tout aussitôt absorbés par les nobles et illusoires productions d'une civilisation artistique afin qu'ils ne parviennent surtout pas à un pessimisme dans l'action, que la nature abhorre en tant qu'il est véritablement contre-nature."
L'artiste seul peut s'en tirer car par le biais de l'artifice il transforme la nature en oeuvre d'art. C'est peut-être une illusion mais cela lui donne la force de vivre.
Ce texte de Nietzsche, est un texte, je crois me souvenir, de jeunesse... corrigez-moi, si je me trompe... il a nuancé par la suite son propos en imaginant et "une Grande Politique" et "une Grande Santé", inextricablement liées l'une à l'autre qui auraient autorisé l'émergence d'hommes qui, guerriers, économistes, philosophes, prêtres, ingénieurs, hommes d'état, manuels, etc... auraient tous été à leur niveau des artistes. Ce qui aurait permis à la Vie d'être supportable et de grandir...
Histoire d'enfoncer le clou :
"Fi ! avoir un prix auquel on cesse d'être une personne pour devenir un rouage ! Etes-vous complices de la folie actuelle des nations qui ne pensent qu'à produire le plus possible et à s'enrichir le plus possible ? Votre tâche serait de leur présenter l'addition négative : quelles énormes sommes de valeur intérieure sont gaspillées pour une fin aussi extérieure ! (...) Voilà l'état d'esprit qu'il conviendrait d'avoir : les ouvriers, en Europe, devraient déclarer désormais qu'ils sont une impossibilité humaine en tant que classe, au lieu de se déclarer seulement, comme il arrive d'habitude, les victimes d'un système dur et mal organisé ; ils devraient susciter dans la ruche européenne un âge de grand essaimage, tel qu'on n'en a encore jamais vu, et protester par cet acte de nomadisme de grand style contre la machine, le capital et l'alternative qui les place aujourd'hui : devoir choisir entre être esclave de l'Etat ou esclave d'un parti révolutionnaire. "
Aurore, §200 Nietzsche
Nietzsche par Edvard Munch
Les grecs ne concevaient pas la Terre comme une vallée de larmes, mais il ne faut pas les imaginer insouciants et nonchalants face à la dureté de l'existence. À bien lire les textes anciens (j'ai lu l'année dernière "La Paideïa, formation de l'homme grec" par l'estimé philologue Werner Jaeger) on voit des grecs plutôt combatifs, estimant que la vie est dure, que nous ne sommes que des mortels, et qu'il nous faut nous retrousser les manches pour lui faire face, car les dieux sont impitoyables, ils se jouent de nous, s'amusent de notre sort, et le seul bien inaliénable que nous pouvons posséder et cultiver toute notre vie durant c'est la magnanimité de l'esprit aristocratique que l'on retrouve aussi bien chez Achille le guerrier que chez Hésiode le paysan, cette magnanimité par laquelle on domine un sort contraire. L'Homme plus fort que son Destin, c'est cela le dernier mot de la sagesse grecque... et c'est celle qui manque aux esclaves salariés que nous sommes aujourd'hui...
C'était ma parenthèse du jour... je retourne à mes lectures néfastes et mon écriture empoisonnée...
18:15 Publié dans Friedrich Nietzsche | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : 46-Friedrich Nietzsche : Esclaves | |
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24/01/2007
Dans le Cochon y'a que du bon !
=--=Publié dans la Catégorie "Franc-tireur"=--=
"Mangez du cochon... ... parce que le cochon... ...c'est tellement bon ! En particulier le Jambon... ... sans oublier le saucisson... ... et bien entendu, la soupe aux lardons !"
Voilà... c'était ma déclaration Politique du moment... Parce que dorénavant, manger du cochon sera un acte politique !
J'étais en train d'écrire divers trucs et de lire diverses choses depuis quelques jours lorsque la nouvelle est tombée comme une masse du haut du ciel...
Libération :
Le Conseil d'Etat interdit la distribution de «soupe au cochon»
Le ministère de l'Intérieur avait déposé un recours devant la plus haute juridiction administrative qui a refusé à l’association d’extrême-droite SDF-Solidarité des Français de distribuer de la soupe au lard aux sans domiciles fixes • Le gouvernement a argué du caractère discriminatoire de la distribution envers les juifs et les musulmans •
Le Conseil d'Etat a refusé vendredi la distribution à Paris par une association d'extrême droite d'une «soupe au cochon» aux sans-abri en annulant une décision du tribunal administratif de Paris qui l'avait autorisée.
La plus haute juridiction administrative a rejeté la demande de l'association Solidarité des Français qui voulait la suspension d'un arrêté du préfet de police du 28 décembre interdisant la distribution à Paris de cette soupe.
Saisi par l'association Solidarité des Français (SDF), organisatrice de ces distributions de soupes à base de porc, le juge des référés du tribunal administratif de Paris avait rendu mardi une ordonnance suspendant un arrêté d'interdiction pris le 28 décembre 2006 par le préfet de police de Paris.
Saisi de l'appel formé par le ministre de l'Intérieur, le juge des référés du Conseil d'Etat a annulé vendredi cette ordonnance, estimant qu'en interdisant les distributions, le préfet de police n'avait pas porté une «atteinte grave et manifestement illégale» à la liberté de manifestation.
Devant Christian Vigouroux, juge des référés au Conseil d'Etat, le représentant du ministère de l'Intérieur, Me Jean-François Boutet, a estimé que ces distributions de soupe étaient «discriminatoires» et donc susceptibles de troubler l'ordre public.
Me Boutet a cité une phrase du site internet de SDF ("Pas de soupe, pas de dessert, les nôtres avant les autres"), ajoutant que la Haute Autorité de lutte contre les discriminations (Halde) s'était émue de l'aspect discriminatoire de ces "soupes au cochon" ainsi que deux délibérations du Conseil municipal de Paris.
Bertrand Delanoë, le maire de Paris, souhaitait un appel contre la distribution de la «soupe au cochon». Le ministère de l’Intérieur avait saisi jeudi le Conseil d’Etat afin qu’il revienne sur la décision du tribunal administratif de Paris permettant à l’association d’extrême droite SDF-Solidarité des Français de reprendre sa distribution de soupe au lard aux sans domiciles fixes. Une «recette» qui exclut juifs et musulmans, dont la religion interdit le porc.
Le tribunal administratif avait pourtant reconnu que «l’association poursuit un but manifestement discriminatoire à l’encontre des personnes auxquelles leur confession interdit la consommation de viande de porc» mais n’avait pas pour autant confirmé les arrêtés de décembre 2006 interdisant cette distribution, considérant qu’elle ne constituait pas un trouble à l’ordre public.
Bertrand Delanoë avait été le premier à s’indigner de cette décision mardi et avait demandé expressément au Préfet de Police de Paris de saisir le Conseil d’Etat en espérant que l’institution aura «une interprétation différente des principes républicains». Face à l’«initiative aux relents xénophobes» de Solidarité des Français, le maire a exprimé «à nouveau la volonté de la municipalité de dénoncer et de combattre toute forme de discrimination, de racisme et d’antisémitisme».
Le maire socialiste a été entendu par le ministère de l’Intérieur qui a saisi le Conseil d’Etat jeudi, considérant cette distribution xénophobe et raciste à l’égard des personnes de confession juive et musulmane. L’appel sera examiné ce vendredi. Décision connue à 16 heures.
Article de Libération : http://www.liberation.fr/actualite/societe/226860.FR.php
Voilà... par contre, je n'ai aucune accointance avec le groupuscule du Bloc Identitaire (ex-Unité Radicale) qui est derrière cette provoc' socio-politique amusante. Cependant, ce que l'article de Libération oubli de stipuler c'est que les barbus de l'UOIF (financés par les frères musulmans) distribuent des repas hallal. Et les Frères musulmans sont loins d'être des exemples de respect de la différence, ou des vertueux en matière démocratique ! Des Nazislamistes masqués. À quand l'interdiction de l'UOIF ? À quand l'interdiction dans ce pays des petits merdeux qui sous couvert de vertu religieuse en appellent dans leurs prêchi-prêcha à la mort de nos valeurs et de la république ? That is the fucking question !
Ce que, probablement, ce groupuscule d'extrème-droite, a voulu démontrer et il vient d'y parvenir magistralement, c'est qu'on est plus chez nous en France, dans le sens où distribuer de la cochonnaille gratuitement, ben ça va plus être possible. Bientôt le moindre mangeur de jambon beurre passera pour être un dangereux fasciste, raciste et islamophobe ! Ma bonne humeur vient de tomber d'un bon cran. C'est quoi ce pays ? Interdire de distribuer gratuitement de la soupe aux sdf parce qu'elle est au cochon ?!!!?!!! Alors là je suis scié.
Les barbus de l'UOIF distribuent des repas hallal... Et les frères musulmans ou l'extrème-droite, c'est blanc bonnet et bonnet blanc ! Le politiquement correct s'empare définitivement de tout le monde, de plus en plus.
Il y a 30 ans en arrière cet interdit n'aurait même pas été imaginable ! Il aurait fait rire tout le monde !
Le pire, c'est qu'on les oblige pas à en manger du porc. Et mieux, le coran dit que si le musulman n'a que ça à manger, rien d'autre, et bien il peut en manger. On est où là ? Dans une République Islamique ? Dans une monarchie de la péninsule Arabe ? Si ça continue on y va tout droit !
Et cette fiente de Delanoë qui vient se répandre là-dessus...
"Sans moi" (extrait)
"Delanoë damné et sa gueule de tramway
Ses trottoirs à poussettes et ses complots pluriels
Son bétail culturel destiné à rester
Sa fabrique de plage et ses Verts criminels
Sans moi ni moi ni moi
Ni moi ni moi ni moi
L'infime Delanoë sans honte et sans remords
Ses projets infamants son sourire de pendu
Son existence même qui sans cesse déshonore
De la simple raison les derniers détritus
Sans moi ni moi ni moi
Ni moi ni moi ni moi
Encore Delanoë qui parle de l'attente
De tous ces morts-vivants qu'on appelle Parisiens
Et qui n'existent plus depuis des temps anciens
Qui virera ce con et sa connerie glaçante"
(Philippe MURAY - in "Minimum Respect")
À Paris on distribue des soupes Casher et Hallal et personnellement je ne trouve aucun mal à en dire... mais qu'on en tombe là... au lieu d'en rire, simplement, je trouve ça pitoyable pour la justice, pitoyable pour la République Laïque... il y a quelque chose de bien plus malsain dans l'interdiction de la distribution de soupe au cochon aux SDF que dans la provoc' à laquelle se sont livrés les identitaires en question. Point final !
Il y a quelque chose de pourri au Royaume de Chiraquie ! Va falloir aérer.
J'ai 41 berges, je n'ai jamais voté de ma vie... mais là je me suis inscrit sur les listes en Décembre dernier, j'attends ma carte censée arriver en Mars... et je vais pas aller voter à "GÔCHE", laissez-moi vous le dire... je comptais vachement sur Chevènement, mais comme il s'est couché comme une merde devant la Royal de Ségo, je vais bifurquer vers la "DROUATE"... il y a bien plus important que ma petite condition de magasinier avec mon modeste salaire... là ce qui se passe, de manière larvée, c'est pire que le FN ou De Villiers parce que eux ils annoncent la couleur, on sait à quoi s'en tenir... là on est en plein délire Kafkaïen Cauchemardesque ! C'est mon opinion, mais je me comprends.
Écoutez-moi bien les gôchos et drouatos à la mord moi le noeud... aujourd'hui, 24 Janvier 2007... on est en Bosnie-Herzégovine vers 1985/90... comprenne qui peut... et laissez de côté les bons sentiments mitterrandiens...
Éviterons-nous un Srebrenica à grandeur Européenne ?... Il va falloir nous y atteler.
Plus que jamais il faut Hurler en faisant une spéciale dédicace à Tariq Ramadan et à toute sa Clique de barbus fascistes :"Mangez du cochon... ... parce que le cochon... ...c'est tellement bon ! En particulier le Jambon... ... sans oublier le saucisson... ... et bien entendu, la soupe aux lardons ! "
C'était ma parenthèse du jour...
18:55 Publié dans Franc-tireur | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : 45-Franc-Tireur : Dans le Cochon y'a que du bon ! | |
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22/01/2007
Trois Photos du Général
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
"La politique ne m’intéresse que lorsqu’elle est située sur le terrain tragique et qu’elle met aux prises un individu, l’histoire et le destin. Autant dire que, né en 1959, je n’ai jamais eu l’occasion de me passionner pour les péripéties qui ont conduit au pouvoir un banquier matois, un inspecteur des finances arrogant, un avocat véreux et un énarque impulsif, tous complices de ceux qui ont installé l’histoire dans le registre hystérique et décérébré de la comédie de boulevard.
Lorsque le Général de Gaulle disparaît, j’ai onze ans et subis la pédagogie de prêtre salésiens dans un orphelinat fonctionnant sur les principes du siècle précédent : perversions, coups, brimades, sadisme à la petite semaine, saleté. Passons . La mort du connétable a signifié, pour moi, une journée de congé, le jour des obsèques. Ceux qui avaient des parents dignes de ce nom sont rentrés chez eux, quittant le pensionnat où nous sommes restés une poignée, une dizaine sur les six-cent élèves que comptaient l’école.
Dans cette prison où tout était vu, su, encadré dans de rigoureux emplois du temps, décidé par des curés perclus de complexes et de ressentiments à l’endroit de la vie, nous avons été abandonnés à nous-mêmes, laissés-pour-compte, considérés comme absents : le Général était mort, quelque chose d’exceptionnel se passait, et les règlements de l’orphelinat n’existaient plus. Alors que les prêtres devaient suivre les évènements à la télévision, nous en avons profité, à deux ou trois, pour visiter la salle des professeurs où nous avons retourné toutes les paperasses possibles et inimaginables. Nous avons mangé deux ou trois gâteaux qui traînaient là, volé des cartes postales et des livres, fait bombance et régné comme des rois.
Après cette fête de l’âne, à notre manière, nous avons décidé de dormir à la belle étoile, non loin du Belvédère, un endroit dans un bois proche, qui dominait le cour de l’Orne et les champs alentours. Nous avions des cigarettes, un peu d’alcool et de quoi transformer une bâche en toile de tente : la nuit, froide, les bruits du lieu, les cris d’animaux, les chiens au loin, et d’autres bestioles hululantes ou sifflantes dont nous ignorions tout, on entamé nos ardeurs. Nous rentrâmes au dortoir sans que personne nous ai vu, ni se soit aperçu de notre escapade car tous les adultes avaient déserté les postes de combat : la guérite de surveillance dans le dortoir aux cent-vingt lits, les couloirs habituellement hantés par des cerbères tout de noir vêtus, le bureau du préfet de discipline ou les chambres de surveillants. Tout était mort, la liberté était à nous, je ne savais quoi en faire.
De Gaulle, pour moi, c’était la cause des inscriptions faites en blanc sur la fromagerie de mon village : non . « Non à quoi ? » Mes parents m’avaient bien répondu : « Non à De Gaulle », mais je n’en comprenais pas plus. J’était soucieux, à l’époque, des faveurs d’une jeune et jolie parisienne qui venait en vacances dans le bourg et à qui j’écrivais des lettres enflammées : elle me répondait des inepties, mais je crois bien que j’étais amoureux. En même temps, je tenais scrupuleusement mon journal et remplissais des carnets d’histoire que j’inventais et transformais en romans. La vie paraissait simple, mes parents sur leur plan ète, moi sur la mienne et De Gaulle au milieu de tout ça. J’ai bien souvenir, vaguement, qu’à la télévision, où je ne comprenais rien des Perses d’Eschyle, apparaissait parfois un vieil homme, une fois en costume sombre, une autre en habit militaire, et qu’il parlait après qu’une musique royale l’avait précédé au générique. Mais je n’ai jamais eu soucis de ce qu’il disait. Et voilà qu’il était mort.
Par la suite, j’ai compris de manière viscérale que les humiliations supportées par les pauvres devraient interdire à tout jamais qu’ils deviennent de droite, comme on dit. Donc, souscrivant à la vulgate, j’ai cru plusieurs années que De Gaulle était un homme de droite, parce que ceux de gauche le disaient, certes, mais aussi parce que ceux de droite, parfois, s’en réclamaient. C’est en lisant Les chênes qu’on abbat que j’ai compris que les choses n’étaient pas aussi simples. Je venais d’avoir vingt ans et j’ai souligné, dans la marge, ces commentaires de Malraux que je retrouve aujourd’hui : « Le Général ne pouvait affronter que des évènements historiques —ou la mort —ou le secret. » Puis : « Il n’est évidemment pas un défenseur du capitalisme, mais pas d’avantage du prolétariat. » Enfin : « Sa pensée ombrageuse ne se confond pas avec un système. » Et, par la suite, je n’ai cessé d’aimer cet homme installé dans l’épique et le mythe, le tragique et la souveraineté, passionné de liberté et d’indépendance. Il me plaisait également qu’il fut lecteur de Bergson et de Nietzsche, homme d’action à la volonté trempée comme un glaive, visionnaire et, parce que j’aime tout particulièrement ce trait, ombrageux. En feuilletant aujourd’hui le livre de Malraux, je redécouvre ces vers de Victor Hugo :
Oh ! quel farouche bruit font dans le crépuscule
Les chênes qu’on abat pour le bûcher d’Hercule !
Comment puis-je concilier un goût pour De Gaulle l’austère et en même temps aimer Antisthène ou Diogène ? Comment apprécier l’action d’un général quand on est antimilitariste ? Comment soutenir un homme que la gauche honnit, que la droite récupère quand on se sent plus chez soi chez Stirner ou Proudhon, Nietzsche ou Baudelaire ? Comment s’enthousiasmer pour un catholique pratiquant quand on est d’un athéisme radical ? Je me suis souvent posé ces questions, craignant pour mon compte les pires contradictions avant de trouver la réponse : j’ai plaisir à cette individualité forte tout simplement parce que j’aime les figures singulières, les destins sans duplication, les monades rebelles et audacieuses qui assument le tragique à l’œuvre dans l’antinomie radicale entre l’individu et la société, les styles à l’œuvre, les visionnaires qui agissent, les solitaires qui s’impliquent dans l’action comme on se jette la tête la première dans un abyme ou un brasier.
Le grand homme n’est pas seulement ce que Hegel en dit, une construction de l’esprit, une ruse de la raison prise par l’histoire, une incarnation transformant un sujet en objet, il est surtout un sculpteur d’énergie, un démiurge, un artiste ou un poète au sens grec, un producteur de forme et de sens. Il faut lire Carlyle et Scheler, sinon Bergson pour se souvenir de la parenté entre le Saint, le Génie et le Héros, pointes d’une civilisation, éminences d’un ordre au milieu du chaos. Le trait distinctif de ces figures d’exception est la solitude dans l’expression de leur destin, dans le déroulement de l’anankè, la nécessité. Et je comprends soudain pour quelles raisons, dans l’iconographie du général de Gaulle, trois photographies font partie de mon musée imaginaire : toutes elles montrent un homme seul face à son destin, une fois en mer de Manche en 1941, une autre sur la pelouse de Baden-Baden en 1968, une dernière sur les plages d’Irlande en 1970.
Sur ces trois clichés, De Gaulle est personnage de tragédie, un acteur échappé des pièces de Corneille : confronté au pouvoir, l’homme est une fois rebelle, une autre fois solitaire, une dernière fois exilé, trois états familiers des héros cornéliens qui évoluent dans le désir de grandeur, et cheminent travaillés par la volonté d’être à la hauteur, debout, majestueux. Le héros cornélien a l’âme fière, le sens de l’honneur et de la gloire, du destin et de la nécessité, il sait la puissance et la force du devoir. En politique, il vise le sublime, catégori e esthétique par excellence, à partir de laquelle il ordonne le réel. Du vieil homme, Malraux écrivait : « Il a toujours dit que son idéologie courrait mal en terrain plat. » Et chez lui comme chez Nietzsche, on trouve souvent des métaphores de cimes, de montagnes, de crêtes et de pics. A la Boisserie, il dira : « quand tout va mal et que vous cherchez votre décision, regardez vers les sommets ; il n’y a pas d’encombrements. » Les géographies gaulliènes sont les déserts et les pleines mers, les rocs et les embruns, les landes et les escarpements. D’autres se satisfont de mornes plaines et de fondrières aux eaux croupissantes.
La pleine mer, donc, avec cette photographie qui le représente en ciré, képi sur le chef, ganté, dépassant d’une tête ceux des marins qui l’accompagnent. Derrière lui, la mer, devant, les câbles du navire sur lesquels il croise, filins d’acier qui strient le cliché en diagonale. Son regard est perdu au loin, fixe sur un point que personne d’autre ne regarde, le visage paraît grave, tendu, sinon inquiet, du moins soucieux : il est au large des côtes anglaises à bord d’un bâtiment des forces françaises libres. La date est 1941. C’est déjà l’homme qui descendra les Champs-Elysées, mieux, c’est déjà le rebelle qui dira non aux américains et refusera l’Amgot, dont personne n’aura parlé l’année du cinquantenaire du Débarquement et la Libération. Et pourtant, faut-il rappeler qu’après avoir dit non au fascisme de Pétain, non à Staline et au totalitarisme soviétique, il lui fallut également dire non au projet américain de transformer la France en pays sous tutelle avec monnaie d’occupation US et administration US ?
Faut-il rappeler que les américains avaient imprimé des billets et formé succinctement du personnel pour occuper les préfectures et sous-préfectures françaises de conserve avec les vichystes qu’outre-Atlantique on entendait ménager ? Faut-il rappeler que le général Giraud était le Pétain de ce projet-là et que De Gaulle fut une fois encore le résistant de ce nouveau camouflet néo-vichiste ?
J’aime cet homme qui regarde la mer comme Hercule les travaux qui l’attendent et dira non au totalitarisme d’où qu’il vienne, antifasciste par essence, républicain de conviction, démocrate dans l’âme. Il ne voulait rien d’autre que l’indépendance, la liberté, l’autonomie : ni une nouvelle Révolution nationale, ni le bolchévisme, ni l’american way of life. Qui ne souscrirait à pareil programme ? Nous avons échappé aux deux premiers fléaux, le troisième nous a rattrapé : dès le départ de De Gaulle, avec l’arrivée du banquier de Montboudif au pouvoir, l’amérique entrait de plain-pied dans les modèles et références explicites de la France. Nous sommes depuis sous ses hospices-là, sacrifiant aux mythologies qu’ils nous font payer en dollars. Au regard des échouages qui caractérisent notre époque grégaire, j’aime la solitude de cet homme-là, convaincu qu’il faut dire non, tenir, résister et s’affranchir des modèles, justement pour être soi-même un modèle. J’ai de la sympathie pour son isolement en mer de Manche quand il lui faut lutter contre tout et tous pour imposer son idée —qui est la bonne.
Dès 1905, il est alors âgé de quinze ans, évidemment encore lycéen, par encore dans la carrière des armes, il écrit sur un cahier d’écolier un scénario de fiction : en 1930, la France est envahie, les armées allemandes pénètrent sur le territoire national par les Vosges. Mais la riposte ne se fait pas attendre et on confie au … général de Gaulle une armée de deux cent milles hommes qui lui permettra de bouter les occupants. Presque quarante ans plus tard, il est dans ce cas de figure et sa fiction a été rattrapée par le réel —ou l’inverse. Oracles ou invocations ? Auspices ou divinations ? Toujours est-il qu’on ne peut guère être mieux antihégélien qu’en manifestant ce nietzschéisme du destin et de la nécessité incarnés dans le réel, l’œuvre, l’action, l’histoire, manifestés par une figure d’exception, habitée, hantée. « La plus grande gloire du monde, celle des hommes qui n’ont pas cédé », confiera-t-il à Malraux.
Je ne suis pas d’âge à appréhender cette période autrement que sur le terrain métaphysique, sinon mystique, mais je veux respecter la mémoire d’un homme qui n’a pas voulu de l’antisémitisme, du collaborationnisme, du défaitisme de Pétain ; je veux honorer la pensée d’un être qui a refusé les camps soviétiques, l’idéologie totalitaire communiste, l’optimiste délirant et religieux des lendemains qui chantent pour l’humanité entière ; je veux célébrer l’action d’une personne qui a décliné l’invitation d’un mode de vie induit pas le dollar, le seul papier imprimé que vénèrent les Américains. Pour autant, je ne me sens pas de droite, car depuis un demi siècle, soit elle a célébré les vertus pétainistes, soit elle a invité à faire de la France une étoile de plus sur le drapeau US, quand elle n’a pas fait les deux en même temps.
La solitude du Général en mer de Manche, au large des côtes de Weymouth, me touche autant que celle du souverain de la cinquième république qui ne sait pas comment lire les évènements de mai 68, donc comment y réagir, y répondre. Certes, il y a ceux qui en profitent pour avancer leurs pions, utilisent l’histoire comme un marchepied, tentent le tout pour le tout ayant pour dessein leur seule carrière politique. De Gaulle, lui, voulait comprendre, mais n’y parvenait pas. Mai 68, à Paris, c’était l’écho, dans le Quartier Latin, des secousses sismiques et ondes de choc venues des Etats-Unis, de Hollande, d’Italie, d’Allemagne, d’Inde, du Japon, de Pologne —Malraux l’a souligné, on l’oublie bien souvent. L’esprit de 68 paraît encore suffisamment indéchiffrable aujourd’hui, quand colloques, dossiers de revue, numéros spéciaux commémoratifs essayent d’en déterminer l’essence, pour qu’on n’en veuille pas à un homme de soixante dix-sept ans d’avoir eu besoin de quelques heures de réflexion pour décider de ce qu’il convenait de faire en pareil moment.
Acteurs et spectateurs se perdent en conjecture : explosion sociale, brèche poétique, débordement nihiliste, crise de société, ébranlement des valeurs bourgeoises, refus de la société de consommation, embrasement politique, grondements syndicaux, mouvement revendicatif —tout est dit pour culminer dans l’idée que l’esprit de 68 est dans la contestation. Refus du Père, pour le dire en termes freudiens, refus de l’autorité, de la hiérarchie, de la discipline, des modèles, refus des repères bourgeois. Et pour l’ensemble, je souscris à la phase négatrice, encore aujourd’hui, alors que l’esprit de 68 a été sinon étranglé, du moins fort mis à mal, par le recyclage massif auquel ont consenti les anciens combattants de cette époque dans l’appareil d’Etat socialiste, mitterrandien à partir de 1981.
N’ayant pas eu à m’impliquer dans cette histoire —mon soucis était alors de passer en cours moyen deuxième année !— , je n’ai pas de complexe à me réclamer maintenant d’un esprit dont j’ai senti les effets au cours des années qui suivirent dans ma vie quotidienne : modification des relations avec l’autorité, qu’elle soit familiale, professionnelle, amoureuse. Cette part de 68 est un héritage que je veux reprendre à mon compte, parce qu’elle fonde un certain type de modernité sur laquelle je veux asseoir mon travail d’écriture aujourd’hui —critique des valeurs bourgeoises, de l’idéologie libérale, de la société spectaculaire, de la société de consommation, de la technicisation au service du capital, éloge de l’hédonisme, de la contestation, de l’esprit libertaire, de l’indépendance, de l’existence esthétique, de la puissance de la critique, de la résistance à l’endroit de tous les pouvoirs.
En revanche, l’autre versant de Mai 68, c’est la tentative de récupération de cette formidable négation par des organisations avançant leurs propositions positives toutes inspirées de la Chine de Mao, de la IVème Internationale de Trotski, de l’expérience soviétique du marxisme-léninisme, de l’optimisme néochrétien des anarchistes ou gauchistes qui visaient le paradis demain, via les conseils ouvriers ou l’abandon de tout le pouvoir aux travailleurs. Je n’ai jamais pensé qu’il y eu vertus dans le Petit Livre rouge ou Leur morale et la nôtre , bréviaires de cynisme politique écrits avec le sang des peuples. Jamais je n’ai cru qu’on puisse trouver là autre chose que matière à exploiter, opprimer, dominer : ceux de Cronstadt avaient payé le prix fort, massacrés par l’Armée rouge inventée par Trotski, maniée par Lénine inspirée par Marx, le tout servant plus ou moins de modèle au Grand Timonier.
Le versant nihiliste de Mai 68, De Gaulle l’a compris et peut-être le voyage à Baden-Baden lui aura-t-il servi de temps pour méditer, tacher de comprendre, tenter de saisir les raisons de l’explosion sociale, même s’il paraît évident qu’il lui faudra plus longtemps que ce que l’on dit mais moins que ce que l’on croit. La photo qui retient mon attention est celle du vieil homme un peu las, venant de sortir de l’une des Alouettes qui lui a permis, avec sa femme, de survoler la France, en rase-mottes, pour échapper aux radars, en direction du quartier général des Forces françaises en Allemagne. Certes, les commentaires vont toujours bon train : abandonnait-il la France pour quelques temps ou pour toujours ? Echappait-il à ses responsabilités en laissant le pouvoir en vacance ? Etait-ce une nouvelle fuite de Varennes ? Voulait-il créer un psychodrame, décidant de l’ensemble, ou obéissait-il à des pulsions dépressives, jouet de son tempérament cyclothymique ? Tous ont leurs hypothèses, des protagonistes aux témoins, des acteurs au spectateur de ce qui allait devenir un coup de force après avoir été un coup de théâtre.
De Gaulle confiera que dans l’hélicoptère qui lui fait traverser la France à quelques mètres d’altitude, dans un appareil dont les pales et la tuyère font un bruit épouvantable, dont les vibrations sont éprouvantes, il aura compris qu’il ne pouvait laisser le pays à l’abandon, en proie aux forces nihilistes et destructrices. Sur la pelouse de Baden-Baden, il est seul. Que se passe-t-il alors dans sa tête ? Tout lâcher ? il en eut la tentation. Tout reprendre ? Certes, mais comment ? Pas de démonstration de force ou de violence, pas d’autorité militaire, pas de brutalité. Dans l’action, il sait trouver la solution : son départ, la mise en scène, l’installation des évènements sur le terrain de la tragédie, tout contribue à la formulation du problème, donc au début de sa résolution. Seul, il demande à l’action de lui épargner une méditation trop vaine. On pourrait lui prêter alors la formule de Picasso : je ne cherche pas, je trouve. Et il trouve la solution : le retour, les mots qui apaisent la tempête en promettant un combat singulier. Dissolution de l’Assemblée nationale, élections. On connaît le résultat : la formulation d’une confiance majoritaire dans les urnes. De Gaulle retrouve la légitimation du contrat social qu’il veut pratiquer directement avec le peuple, le contraire d’une pratique d’affidé du coup d ‘état.
Solitude de l’homme qui est aussi le chef de l’Etat, solitude de celui qui fut de combats plus lourds devant un monôme qu’il ne comprend pas, solitude de ce qui se voit contesté, vacillant, sur des revendications dont il ne saisit pas la nature symptomatique, solitude du vieil homme qui n’entend pas la voix des jeunes et qui surprend l’hostilité plus ou moins travestie de son entourage politique, solitude, enfin, du vieillard qui a traversé le siècle entre Première et Seconde Guerre mondiale, entre guerre d’Algérie et décolonisation et qui trébuche sur des murs annonçant qu’il faut jouir sans entraves et vivre sans temps morts. Que reste-t-il à l’homme du 18 Juin pour rebondir une dernière fois ? Le génie politique. Et il en manifeste.
Refusant les solutions marxistes aux problèmes posés par Mai 68, De Gaulle va dire qu’il a bien entendu un malaise et qu’il entend s’y attaquer, qu’il a compris la fracture et se propose de la combler. Soucieux de dire sa prise en compte des revendications, il avance la participation, une idée politique qui montre à l’envi le bien-fondé de l’idée de Malraux selon laquelle le général de Gaulle est toujours là où on ne l’attend pas, déjouant les prévisions courtes de la droite et de la gauche. C’est d’ailleurs la droite et la gauche qui, sur ce sujet, le feront tomber.
Pompidou et Giscard d’Estaing, également Chirac et Balladur, à l’époque au cabinet du Premier ministre, ne veulent pas d’un soutien franc et massif au projet du chef de l’Etat. On a prétexté que, la date du référendum étant prise, les textes sur la participation ne pouvant être rédigés dans les temps impartis, il fallait maintenir la consultation populaire dans le délai, mais proposer un autre objet de réforme, par exemple le projet Sénat-régions. Pompidou avait dit de la participation qu’elle signalait la sénilité du Général, qu’elle montrait la sénescence du vieil homme : on lui prête d’ailleurs le geste du doigt porté à la tempe qui signifie le déphasage, la folie.
Avec ce projet politique et social, De Gaulle visait l’introduction des salariés et des syndicats dans les conseils de gestion des entreprises, de sorte qu’il se mettait à dos le capital, la bourgeoisie, les patrons et la gauche qui ne voulaient pas entendre parler de ce que pas même en son sein elle n’aurait oser proposer —ni ne proposera en quatorze années de pouvoir. Le référendum se fit sur un autre projet, De Gaulle tablait malgré tout sur cette consultation pour réitérer son lien et son contrat avec le peuple afin de savoir si il pouvait compter une fois encore sur une assise populaire pour ses desseins réformistes. Il avait entendu la demande de 68 et croyait de la sorte y répondre : Giscard appela à voter contre, les pompidoliens soutinrent mollement, la gauche vota contre, le vieil homme fut congédié. Il partit. On porta au pouvoir son antithèse, il fallait bien que la phrase de Marx fut vraie qui disait que l’histoire se manifestait toujours deux fois, la première sous forme de tragédie, la seconde sous forme de bouffonnerie, de comédie. La Vème République commençait avec Corneille, elle se poursuivait avec Labiche : après Andromaque ou Mithridate, l’heure était venue de Champignol et Monsieur Berrichon. Rideau pour la grandeur, la pièce était terminée. Le Général parti pour l’Irlande afin de ne pas assister au changement de décor : on emballait les temples romains, les colonnes cannelées, les cellas furent vidées de leurs statues et l’on replia les toges viriles pour apporter les treilles, les chapeaux de paille, les panamas, les chaises longues et les fauteuils confortables. Pompidou pouvait entrer en scène et avec lui les rôles de boulevard tenus par les porteurs d’eau, les seconds couteaux qui avaient perpétré le régicide et allaient essuyer leurs larmes de crocodiles. Avec la participation, ils avaient craint, selon leurs mots, les soviets et les régimes d’assemblée, ils avaient également mal accepté le pouvoir donné aux étudiants et à leurs enseignants dans les universités réformées, ils avaient écarté le péril et allaient pouvoir gérer la France comme une Petite et Moyenne entreprise.
La dernière photo qui me touche montre l’exilé sur une plage d’Irlande, non loin de Heron’s Cove, dans une petite anse. De Gaulle se repose, lit les Mémoires d’outre-tombe et le Mémorial de Sainte-Hélène. Au sommet des dunes de Derrynane, les journalistes le guettent et photographient ses promenades sur la plage : il est en compagnie de sa femme et de son aide de camp, mais on le sait seul. Les deux proches qui l’accompagnent sont derrière ou devant, à côté, dans son sillage ou dans son ombre, mais ailleurs, sur une autre planète que celle du vieux roi déchu, renié, abandonné. La lande est grillée par l’air venu de l’Océan, le vent souffle, la mer paraît déchaînée, l’écume paraît voler sur la crête des vagues. Le Général a ses lunettes, la tête nue, une canne à la main, un grand imperméable sur le dos. Solitude, là encore, sur le sol de ses ancêtres, retour sur des terres de mémoire et de symbole. Sur le sable, il paraît souffrir mentalement l’un des supplices de l’Enfer de Dante. Pour quelles fautes ? Avoir proposé la grandeur à ceux qui ne savent pas ou plus ce que c’est ? Avoir cru que les choix se feraient sur des idées, pour le bien d’une nation dont le tissu s’était déchiré quand tous se sont évertués à en faire un échéance partisane et carriériste ? Avoir imaginé qu’un projet de société plus solidaire puisse être entendu par tous quand la plupart s’étaient déjà transformés en sourds ? Son seul péché fut d’être présomptueux en imaginant que tous étaient comme lui désireux d’un grand projet de rassemblement au-delà des partis et de la politique de boulevard, pour un destin qui engage la nation et le peuple dans un entreprise valant pour œuvre d’art .
Sur l’exemplaire des Mémoires de guerre que lui présentera l’ambassadeur de France en Irlande, De Gaulle écrira une phrase de Nietzsche : « Rien ne vaut rien. Il ne se passe rien, et cependant tout arrive. Mais cela est différent. » De retour en France, il accomplira son destin. Sur un livret scolaire datant de l’époque où il était saint-cyrien, l’un de ses maîtres avait écrit : attitude de roi en exil. Il se contentera d’illustrer la prédiction. Déjà mort pour la France, il attendait la fin en écrivant ses Mémoires, en faisant des réussites aux cartes, en recevant deux ou trois fidèles, pas plus. Il succomba, comme on sait : tel un chêne qu’on abat.
J’ai compris depuis que l’art politique français avait perdu son dernier poète et qu’aucun des suivants ne dépassa jamais la figuration dans des pièces de boulevard. Ceux qui, aujourd’hui, se succèdent sur le trône ont tous voulu sa mort politique, ils l’ont eue. L’un des plus fielleux se servi du socialisme pour étancher une volonté de puissance extraordinaire qui, le jour où elle pu s’exercer, ne produisit d’excellence que dans la bouffonnerie là où le Général avait sublimé dans la tragédie. Marx avait bien raison. Restent ceux qui, à droite, s’en réclament : les pires, qui ne l’ont jamais lu —savent-ils d’ailleurs qu’on peut le lire ?—, qui oublient qu’ils ont encore dans leur poche le couteau avec lequel ils ont saigné le vieil homme et sont d’autant plus nains qu’ils parlent de grandeur. Et puis, à droite, ceux qui déjà le combattaient : ils sont avec les ennemis de toujours du Général, les néofascistes, les pétainistes et vichyssois de tous ordres, les anciens de l’Algérie française, les libéraux qui s’offrent aux plus offrants des Américains. Tous sont là, fascinés par l’Elysée. Baudelaire déjà écrivait que les « morts ont de grandes douleurs »."
Michel Onfray
Le désir d’être un volcan - 1996
14:55 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : 44-lectures : trois photos du général (michel onfray) | |
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21/01/2007
Le Sexe des mots
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
"Byzance tomba aux mains des Turcs tout en discutant du sexe des anges. Le français achèvera de se décomposer dans l'illettrisme pendant que nous discuterons du sexe des mots. La querelle actuelle découle de ce fait très simple qu'il n'existe pas en français de genre neutre comme en possèdent le grec, le latin et l'allemand. D'où ce résultat que, chez nous, quantité de noms, de fonctions, métiers et titres, sémantiquement neutres, sont grammaticalement féminins ou masculins. Leur genre n'a rien à voir avec le sexe de la personne qu'ils concernent, laquelle peut être un homme. Homme, d'ailleurs, s'emploie tantôt en valeur neutre, quand il signifie l'espèce humaine, tantôt en valeur masculine quand il désigne le mâle. Confondre les deux relève d'une incompétence qui condamne à l'embrouillamini sur la féminisation du vocabulaire. Un humain de sexe masculin peut fort bien être une recrue, une vedette, une canaille, une fripouille ou une andouille. De sexe féminin, il lui arrive d'être un mannequin, un tyran ou un génie. Le respect de la personne humaine est-il réservé aux femmes, et celui des droits de l'homme aux hommes ? Absurde ! Ces féminins et masculins sont purement grammaticaux, nullement sexuels.
Certains mots sont précédés d'articles féminins ou masculins sans que ces genres impliquent que les qualités, charges ou talents correspondants appartiennent à un sexe plutôt qu'à l'autre. On dit: «Madame de Sévigné est un grand écrivain» et «Rémy de Gourmont est une plume brillante». On dit le garde des Sceaux, même quand c'est une femme, et la sentinelle, qui est presque toujours un homme. Tous ces termes sont, je le répète, sémantiquement neutres. Accoler à un substantif un article d'un genre opposé au sien ne le fait pas changer de sexe. Ce n'est qu'une banale faute d'accord.
Certains substantifs se féminisent tout naturellement : une pianiste, avocate, chanteuse, directrice, actrice, papesse, doctoresse. Mais une dame ministresse, proviseuse, médecine, gardienne des Sceaux, officière ou commandeuse de la Légion d'Honneur contrevient soit à la clarté, soit à l'esthétique, sans que remarquer cet inconvénient puisse être imputé à l'antiféminisme. Un ambassadeur est un ambassadeur, même quand c'est une femme. Il est aussi une excellence, même quand c'est un homme.
L'usage est le maître suprême. Une langue bouge de par le mariage de la logique et du tâtonnement, qu'accompagne en sourdine une mélodie originale. Le tout est fruit de la lenteur des siècles, non de l'opportunisme des politiques.
L'Etat n'a aucune légitimité pour décider du vocabulaire et de la grammaire. Il tombe en outre dans l'abus de pouvoir quand il utilise l'école publique pour imposer ses oukases langagiers à tout une jeunesse.
J'ai entendu objecter: «Vaugelas, au XVIIe siècle, n'a-t-il pas édicté des normes dans ses remarques sur la langue française?». Certes. Mais Vaugelas n'était pas ministre. Ce n'était qu'un auteur, dont chacun était libre de suivre ou non les avis. Il n'avait pas les moyens d'imposer ses lubies aux enfants. Il n'était pas Richelieu, lequel n'a jamais tranché personnellement de questions de langues. Si notre gouvernement veut servir le français, il ferait mieux de veiller d'abord à ce qu'on l'enseigne en classe, ensuite à ce que l'audiovisuel public, placé sous sa coupe, n'accumule pas à longueur de soirées les faux sens, solécismes, impropriétés, barbarismes et cuirs qui, pénétrant dans le crâne des gosses, achèvent de rendre impossible la tâche des enseignants.
La société française a progressé vers l'égalité des sexes dans tous les métiers, sauf le métier politique. Les coupables de cette honte croient s'amnistier (ils en ont l'habitude) en torturant la grammaire.
Ils ont trouvé le sésame démagogique de cette opération magique : faire avancer le féminin faute d'avoir fait avancer les femmes."
Jean François Revel
15:35 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : 43-lectures : le sexe des mots (jean françois revel) | |
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20/01/2007
Le sourire à visage humain
=--=Publié dans la Catégorie "Franc-tireur"=--=
"Le sourire à visage humain
Notre époque ne produit pas que des terreurs innommables, prises d’otages à la chaîne, réchauffement de la planète, massacres de masse, enlèvements, épidémies inconnues, attentats géants, femmes battues, opérations suicide. Elle a aussi inventé le sourire de Ségolène Royal. C’est un spectacle de science-fiction que de le voir flotter en triomphe, les soirs électoraux, chaque fois que la gauche, par la grâce des bien-votants, se trouve rétablie dans sa légitimité transcendantale. On en reste longtemps halluciné, comme Alice devant le sourire en lévitation du Chat de Chester quand le Chat lui-même s’est volatilisé et que seul son sourire demeure suspendu entre les branches d’un arbre.
On tourne autour, on cherche derrière, il n’y a plus personne, il n’y a jamais eu personne. Il n’y a que ce sourire qui boit du petit-lait, très au-dessus des affaires du temps, indivisé en lui-même, auto-suffisant, auto satisfait, imprononçable comme Dieu, mais vers qui tous se pressent et se presseront de plus en plus comme vers la fin suprême.
C’est un sourire qui descend du socialisme à la façon dont l’homme descend du cœlacanthe, mais qui monte aussi dans une spirale de mystère vers un état inconnu de l’avenir où il nous attend pour nous consoler de ne plus ressembler à rien. C’est un sourire tutélaire et symbiotique. Un sourire en forme de giron. C’est le sourire de toutes les mères et la Mère de tous les sourires.
Quiconque y a été sensible une seule fois ne sera plus jamais pareil à lui-même. Comment dresser le portrait d’un sourire ? Comment tirer le portrait d’un sourire, surtout quand il vous flanque une peur bleue ? Comment faire le portrait d’un sourire qui vous fait mal partout chaque fois que vous l’entrevoyez, mal aux gencives, mal aux cheveux, aux dents et aux doigts de pieds, en tout cas aux miens ?
Comment parler d’un sourire de bois que je n’aimerais pas rencontrer au coin d’un bois par une nuit sans lune ?
Comment chanter ce sourire seul, sans les maxillaires qui devraient aller avec, ni les yeux qui plissent, ni les joues ni rien, ce sourire à part et souverain, aussi sourd qu’aveugle mais à haut potentiel présidentiel et qui dispose d’un socle électoral particulièrement solide comme cela n’a pas échappé aux commentateurs qui ne laissent jamais rien échapper de ce qu’ils croient être capables de commenter ? C’est un sourire qui a déjà écrasé bien des ennemis du genre humain sous son talon de fer (le talon de fer d’un sourire ? la métaphore est éprouvante, j’en conviens, mais la chose ne l’est pas moins) : le bizutage par exemple, et le racket à l’école. Ainsi que l’utilisation marchande et dégradante du corps féminin dans la publicité. Il a libéré le Poitou-Charentes en l’arrachant aux mains des Barbares. Il a lutté contre la pornographie à la télé ou contre le string au lycée. Et pour la cause des femmes. En reprenant cette question par le petit bout du biberon, ce qui était d’ailleurs la seule manière rationnelle de le reprendre ; et de la conclure par son commencement qui est aussi sa fin.
On lui doit également la défense de l’appellation d’origine du chabichou et du label des vaches partenaires. Ainsi que la loi sur l’autorité parentale, le livret de paternité et le congé du même nom. Sans oublier la réforme de l’accouchement sous X, la défense des services publics de proximité et des écoles rurales, la mise en place d’un numéro SOS Violences et la promotion de strustures-passerelles entre crèche et maternelle. C’est un sourire près de chez vous, un sourire qui n’hésite pas à descendre dans la rue et à se mêler aux gens. Vous pouvez aussi bien le retrouver, un jour ou l’autre, dans la cour de votre immeuble, en train de traquer de son rayon bleu des encoignures suspectes de vie quotidienne et de balayer des résidus de stéréotypes sexistes, de poncifs machistes ou de clichés anti-féministes. C’est un sourire qui parle tout seul. En tendant l’oreille, vous percevez la rumeur sourde qui en émane et répète sans se lasser : « Formation, éducation, culture, aménagement du territoire, émancipation, protection, développement durable, agriculture, forums participatifs, maternité, imaginer Poitou-Charentes autrement, imaginer la France autrement, imaginer autrement autrement. »
Apprenez cela par cœur, je vous en prie, vous gagnerez du temps. Je souris partout est le slogan caché de ce sourire et aussi son programme de gouvernement. C’est un sourire de nettoyage et d’épuration. Il se dévoue pour en terminer avec le Jugement terminal. Il prend tout sur lui, christiquement ou plutôt ségolènement. C’est le Dalaï Mama du IIIe millénaire. L’Axe du Bien lui passe par le travers des commissures. Le bien ordinaire comme le Souverain Bien. C’est un sourire de lessivage et de rinçage. Et de rédemption. Ce n’est pas le sourire du Bien, c’est le sourire de l’abolition de la dualité tuante et humaine entre Bien et Mal, de laquelle sont issus tous nos malheurs, tous nos bonheurs, tous nos évènements, toutes nos vicissitudes et toutes nos inventions, c’est-à-dire toute l’Histoire. C’est le sourire que l’époque attendait, et qui dépasse haut la dent l’opposition de la droite et de la gauche, aussi bien que les hauts et les bas de l’ancienne politique.
Un sourire a-t-il d’ailleurs un haut et un bas ? Ce ne serait pas démocratique. Pas davantage que la hiérarchie du paradis et de l’enfer. C’est un sourire qui en finit avec ces vieilles divisions et qui vous aidera à en finir aussi. De futiles observateurs lui prédisent les ors de l’Élysée ou au moins les dorures de Matignon alors que l’affaire se situe bien au-delà encore, dans un avenir où le problème du chaos du monde sera réglé par la mise en crèche de tout le monde, et les anciens déchirements de la société emballés dans des kilomètres de layette inusable.
Quant à la part maudite, elle aura le droit de s’exprimer, bien sûr, mais seulement aux heures de récréation. Car c’est un sourire qui sait, même s’il ne le sait pas, que l’humanité est parvenue à un stade si grave, si terrible de son évolution qu’on ne peut plus rien faire pour elle sinon la renvoyer globalement et définitivement à la maternelle. C’est un sourire de salut public, comme il y a des gouvernements du même nom. C’est évidemment le contraire d’un rire. Ce sourire-là n’a jamais ri et ne rira jamais, il n’est pas là pour ça. Ce n’est pas le sourire de la joie, c’est celui qui se lève après la fin du deuil de tout.
Les thanatopracteurs l’imitent très bien quand ils font la toilette d’un cher disparu."
Philippe Muray – septembre 2004 (Moderne contre moderne. Exorcismes spirituels IV)
Philippe Muray... Repose en Paix !
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Oeuvres lues de Philippe Muray au moment de cette note :
-L'empire du Bien
-Chers Djihadistes
+ butinages divers...
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23:45 Publié dans Franc-tireur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : 42-Franc-Tireur : Le sourire à visage humain | |
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There's some rockin' tonite !
=--=Publié dans la Catégorie "Parenthèse"=--=
"Ernst Nolte disait que la seconde guerre mondiale était la première guerre civile européenne. En ce sens nous pouvons dire que la guerre qui vient de commencer est la première guerre civile planétaire." Maurice G. Dantec
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Oeuvres lues de Maurice G. Dantec, au moment de cette note :
-Le théâtre des opérations, 2000 : Journal Métaphysique et polémique (Vol. 1),
-Le théâtre des opérations, 2001 : Le Laboratoire de Catastrophe Générale (Vol. 2)
-Le théâtre des opérations, 2002-2006 : American Black Box (Vol. 3)
-Grande Jonction (Roman)
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Bande son du moment : « Live all Over The Place » par King's X
Lecture du moment : En parallèle : « Grande Jonction » et « American Black Box » de Maurice G. Dantec
Citation du jour : « L'homme est si grand, que sa grandeur paraît surtout en ce qu'il ne veut pas se connaître misérable. Un arbre ne se connaît pas grand. C'est être grand que de se connaître grand. C'est être grand que de ne pas vouloir se connaître misérable. Sa grandeur réfute ces misères. Grandeur d'un roi.
(...)
Le phénomène passe. Je cherche les lois.
Les révolutions des empires, les faces des temps, les nations, les conquérants de la science, cela vient d'un atome qui rampe, ne dure qu'un jour, détruit le spectacle de l'univers dans tous les âges.» Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont - (Poésies) - 1870
Humeur du moment : Jubilation exacerbée !
00:30 Publié dans Parenthèse | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : 41-Parenthèse : There's some rockin' tonite ! | |
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16/01/2007
Conservateur
=--=Publié dans la Catégorie "Humeurs Littéraires"=--=
«L’histoire, ce témoin des siècles, cette lumière de la vérité, cette vie de la mémoire, cette maîtresse de la vie.» Cicéron
Ce jour, suite à quelques sujets de discussions rapidement lâchés, dans la salle de pause, au travail, vous savez… l’intervention américaine en Irak… l’avortement… l’euthanasie… la peine de mort… le pape… à peine 3 ou quatre phrases sorties de ma bouche pour chaque sujet… bref, j’ai eu droit à la sentence banale à laquelle je suis habitué depuis plus de 20 ans : « Tu as des propos de réac’. T’es franchement conservateur ! » La personne en question, qui m’a chié cette phrase, vote à gôche, tendance Ségolène Royal et elle pense que si la France devait envoyer l’armée en Irak ce serait pour s’interposer entre l’armée américaine et la « résistance » irakienne… que l’avortement honore la femme… que l’euthanasie, ma grand-mère nous l’aurait demandé si elle avait pu, mais elle pouvait pas à cause de son semi-coma et nous sommes des égoïstes, ma mère et moi, nous l’avons gardé jusqu’au bout pour nous et uniquement pour nous… que Saddam Hussein, ben on n’aurait jamais du le pendre, parce que la peine de mort (même pour crime contre l’humanité) ben que c’est pas bien… et que le pape pourrait faire un effort, merde, c’est vrai quoi, il pourrait penser à l’Afrique, merde alors, et aider à la propagation du préservatif… par la même occasion, qu’il officialise des prêtres pédés… « On est en 2007 tout de même ! » Aux temps messianiques probablement.
Bon, je ne vais pas expliquer ce que je pense et de l’affaire Irakienne, et des petro dollars, et de la situation géopolitique de la mondialisation en cours, et de l’avortement, et de l’euthanasie, et de la peine de mort (en particulier pour crime de guerre et crime contre l'humanité), et de Benoît XVI. J’ai pas la tête à ça. Je me suis promis, dans un autre de mes posts, de sourire et porter le masque de circonstance. Non ?
En vérité je ne veux pas faire partie de la poulaille. La basse-cour pue. D’un bout à l’autre ça caquette et ça se tient chaud, plumes contre plumes et culs dans la fiente. Mon « trip » c’est d’être d’une race particulière, de celle qui est inévitablement détestée et abominée de beaucoup, mais gratifiée par quelques-uns. Cela me va comme un gant de velours recouvrant une poigne de fer. Et chemise en soie, s’il vous plaît, avec vouvoiement à la lettre, histoire de faire monter l’acidité gastrique dans l’œsophage du bobo contrit. Le tutoiement survient comme un couronnement… pour ceux qui le méritent.
« Je n'ai pas une minute à perdre
J'écris
Il est cinq heures et je précède
La nuit
Mon feutre noir sur le papier
Va vite
Pendant que ma lucidité
Me quitte
J'écris c'que j'ai vu
Diagramme des détresses
Le collier, la laisse
Je n'supporte plus
Vinyle de la rue
Fantôme de la vitesse
Tous ceux que je blesse
Je n'm'en souviens plus
J'ai atteint la date limite
Pour le suicide idéal
La date que j'avais inscrite
A quinze ans dans mon journal
Je croyais, la vie passe vite
Je croyais, je n'crois plus en rien
Es-tu prêt à mourir demain ?
Es-tu prêt à partir si vite ?
Les yeux baissés tu ne dis rien
J'ai atteint la date limite
Je ne suis plus de votre race
Je suis du clan Mongol
Je n'ai jamais suivi vos traces
Vos habitudes molles
J'ai forgé mon corps pour la casse
J'ai cassé ma voix pour le cri
Un autre est là qui prend ma place
Un autre dicte et moi j'écris
L'autre
Je suis l'autre
Venez entendre la fissure
Le cri
De la sensibilité pure
Celui
Qui se dédouble et qui s'affronte
La nuit
Celui du sang et de la honte
Folie
Folie que j'ai vue
A l'angle des stress
Dans la jungle épaisse
Des mots inconnus
Je vois ou j'ai vu
Hôpital silence
Tout ce que je pense
Je n'm'en souviens plus
J'ai dépassé la limite
Du scénar original
Rien à voir avec le mythe
Etalé dans le journal
Tu croyais, la vie passe vite
Tu croyais, tu n'crois plus en rien
Je suis prêt à mourir demain
Je suis prêt à partir très vite
Regard d'acier je ne dis rien
J'ai dépassé la limite
Je ne suis plus de votre race
Je suis du clan Mongol
Je n'ai jamais suivi vos traces
Vos habitudes molles
J'ai forgé mon corps pour la casse
J'ai cassé ma voix pour le cri
Un autre est là qui prend ma place
Un autre dicte et moi j'écris
L'autre
Je suis l'autre »
Le Clan Mongol (Bernard Lavilliers)
Il me convient de faire partie de ces clowns métaphysiques qui ne craignent pas d’affirmer différence, originalité et individualité, d’indiquer les hiérarchies dans les pensées et les actes en dédaignant le déroulement des péripéties quand celui-ci s’écarte un peu trop du discernement et de l’entendement. L’effronterie et l’impertinence piquent au vif les crétins, les stupides, les débiles, les idiots, les sots, les bornés, les bêtes, les cons, les ineptes et les niais naïfs. Une pensée qui s’assume et assume la réalité est une menace pour ces petites larves qui se chient dessus dés qu’elles doivent faire face à quelque personne pourvue d’une devanture de dandy et d’une profondeur de l’Être.
Certes, ma dégaine brouille les pistes. Mes goûts musicaux entachent cette chiquenaude : « Conservateur » ! Le Rock and roll est pourtant, à bien y réfléchir, une musique qui, de par son parcours sinueux, est à la fois révolutionnaire et… conservatrice.
« Je reste persuadé que le rock a atteint son ultime apogée vers le milieu des années 1990, moment où sa FORME TERMINALE s’est définitivement cristallisée : la chanson Kowalsky de Primal Scream, ou le D’You Know What I Mean, d’Oasis par exemple sont des concentrés quintessenciels de ce que fut la musique électrique du XX ème siècle.
Depuis, malgré les talents indéniables de quelques auteurs et musiciens, le rock ne peut plus que RÉPÉTER, avec quelques variantes accessoires, les formules inventées pendant quarante-cinq années de révolution permanente.
Il n’y a rien de plus CONSERVATEUR qu’un groupe de rock-music. »
Maurice G. Dantec (Le théâtre des opérations : 2002-2006 American Black Box)
Je ne sais pas si ça va en rassurer quelques-uns qui, se grattant la nuque ou le front (peut-être même le cul), se demandent sur quel pied ils se doivent de danser pour aborder d’une façon ou d’une autre le phénomène paradoxal que je suis. Mais j’émets surtout cette citation histoire d’emmerder les quelques gauchistes qui considèrent que le rock est une affaire de révolutionnaires anti-occidentaux. Alors que, précisément, le rock and roll (avec le Jazz bien entendu, dans sa version bop, cool, free ou fusion) est l’exemple même de ce que l’occident a accouché de plus beau, artistiquement, ces 50 dernières années. Se reposant sur l’apport essentiel de la négritude afro-américaine dans ce qu’elle a de plus altier, de plus digne, sur la volonté blanche de s’arracher aux habitudes bourgeoises que la société de consommation était en train d’installer. La noble négritude électrifiée par la fureur blanche. Bon, ok, je ne suis fan ni de Primal Scream, ni d’Oasis, mais j’entrevois très bien ce que le sieur Dantec a voulu nous signifier. J’ y reviendrai. Et je précise qu’il faut aimer la vie pour être un descendant d’esclave et oser hurler dans un micro avec une détermination rageuse convaincue : « I Feel Good ! ». Paix à toi James Brown, godfather du Rhythm ‘n’ Blues, de la Soul et du Funk !
« Conservateur ».
Ce qui emmerde avant tout, c’est le langage qui va à contre courant de la chienlit nombriliste. Il faut, vaille que vaille, être d’un groupe, d’une formation, d’un rassemblement. Éventuellement chrétien, tendance calviniste ou catho cool orienté Vatican II. UMPS. Sainte Chiraquie valeureuse. Alter mondialiste convaincu. Anti-américain, surtout. Faut être à la page. Le conformisme nauséabond de notre temps tient de la nausée la plus suintante. De toutes parts ça dégouline et personne ne voit rien, ou alors, mieux, ou pire, tout le monde le voit et trouve ça normal et joli. C’est définitivement l’exception, quand elle surgit, qui vient confirmer la règle de ce nouveau parc humain : la haine de la particularité, de l’irrégularité, de l’anomalie, de la parole et de l’acte hors pair. Et la vengeance immédiate, d’une manière ou d’une autre, à son encontre.
« Conservateur ».
J’aime la douceur et l’écoute, le dialogue (dans le sens ou David Bohm l’a exprimé), la compagnie des femmes, le rire des enfants… ok… ok… ne sortez pas les violons… car pour tenir debout, j’aime surtout ce qui est dur et taillé pour le corps des athlètes, j’aime ce qui scintille et bruit comme « les bijoux sonores » de Baudelaire, j’aime les décorations de guerre quand elles sont méritées, et je méprise la grisaille, la pauvreté, l’avachissement, la mollesse, les échecs, la médiocrité crasse. J’aime le luxe, le calme et la volupté (voir le même Baudelaire). Bref, j’aime tout ce que notre époque déteste. Mon cœur vibre à l’évocation de Nietzsche. Mon âme se tasse quand on me parle de Sartre. Beaucoup me dépeignent comme un être désenchanté, sombre et triste. C’est exact. Mais c’est ne voir qu’un côté de la médaille. Tentez de la retourner, ça vaut le coup d’œil. Rires. Vins délicats. Viande blanche en sauce. Verbe léger et charmeur. Danse de l’esprit et des corps. Fraternité. J’aime l’idée que je danse au-dessus du cratère, non sans crainte, mais avec une peur mesurée. Avec de la bravoure, non de la « bravitude ». Chants et rires. Rires et chants. Insolence au programme. Tant pis pour les frileux. Une pensée leste et claire devient fatale pour les gueux. Lueur dans la nuit. Obscénité crue des propos. Mais pudeur calculée et consciente. La pudeur mène vers la raillerie et le persiflage. Épée. Plus précis : errance solaire, fleuret, plume et marteau. Art des masques dont les contours torturés inquiètent uniquement les chiens qu’ils sont sensés inquiéter, c’est-à-dire presque tout le monde. Ainsi, on pénètre l’arène en gladiateur libre d’avance et on use des termes qu’il faut avec qui il faut. La confrontation, de toute façon, est déséquilibrée dés le départ, il faut de la stratégie pour se faufiler au milieu de la meute. Le calme, la froideur, le détachement qui me caractérisent sont une manière de cacher la confusion, la pagaille, le bordel, les troubles de mon cœur, le chaos de mon âme, et de les distiller, à ma convenance, comme des poisons ou des contre-poisons afin d’imposer un agencement, une ordonnance, une économie, une organisation dans l’échange sous le couvert de la clarté et de l’élégance.
« Conservateur ».
Je sais, il est beaucoup de conservateurs qui dorment comme des chiens, le nez au chaud entre leurs couilles. Ils muséifient dans la poussière croyant protéger et promouvoir. Nécropoles intestinales. Ils appellent de leurs vœux le retour d’un passé qui est mort et enterré depuis longtemps. Mais, vous l’aurez compris, j’espère, je ne me réclame pas de ces insignifiants.
« Conservateur ». On devine aussi le terme « Fasciste » qui, parfois, tombe comme le marteau du juge. C’est vite évacué. ON est vite évacué. Le débat est vite évacué. Refus de complexifier la vie qui est pourtant bien complexe. Car si je suis, entre autre, « conservateur », c’est parce que je me sens dépositaire d’un legs et que je me dois, à ma modeste échelle, d’en assumer la succession. Je veux garder un œil ouvert sur le phare tandis que je m’aventure entre les récifs. Les falaises me parlent, là-bas, fouettées par les vagues, éternelles dans leur écrin de nacre et de sel, même si l’horizon inconnu m’appelle comme une obsession. Les empreintes de notre passage, là, devant ces falaises, je veux les conserver. Je veux me souvenir. Je refuse l’extinction de la mémoire. C’est bien d’un Acte dont il s’agit ici, non d’une réaction se rongeant le frein, arrêtée sur elle-même. Conserver ce qui se doit d’être préservé c’est faire un bras d’honneur à la mort, au temps, aux opinions terre-à-terre. Fi de la soumission éternelle. Je préfère l’éternité insoumise. Les racines tissant en voluptueux rhizomes le sens du glébeux que nous sommes. Le mouvement constant, le changement n’est possible qu’avec un sens de la Fondation. « Conservateur ». Pour aller sur Mars : la rage antique contre la peste moderne. « Conservateur ». C’est l’Ordre profond qui m’intéresse. La sentinelle de l’Humanité. Le gardien du lieu Saint que plus personne ne désire honorer. S’il y a des « rockers » parmi vous, peut-être comprennent-ils à présent la citation de Dantec.
Et un Jack Daniel's... un.
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Bande son du moment : « The Isle Of View » par The Pretenders
Lecture du moment : En parallèle : « Grande Jonction » et « American Black Box » de Maurice G. Dantec
Citation du jour : « On ne conserve pas des valeurs. On les transcende sans cesse. Sinon, elles meurent d'elles-mêmes. » Christian Boiron
Humeur du moment : Méditatif
23:10 Publié dans Humeurs Littéraires | Lien permanent | Commentaires (45) | Tags : 40-humeurs littéraires : conservateur | |
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14/01/2007
Pour Noël prochain ?
=--=Publié dans la Catégorie "Parenthèse"=--=
Pendant que tous mes voisins débiles installeront leur père noël à leurs balcons, mon épouse me suggère que nous installions cette sale bestiole là... c'est mon fils qui trouverait ça chouette.
En tout cas ça nous changerait des effluves faussement cordicoles habituelles !
21:20 Publié dans Parenthèse | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : 39-parenthèse : pour noël prochain ? | |
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13/01/2007
Toi et la Mort
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« En premier, c’est toi que j’aime, et la mort en second,
car elle m’aime plus que toi quand tu n’es pas là.
Elle s’assied en face de moi,
aiguise sa faux.
Nous nous adressons plein de mots sages,
aussi sages que les derniers mots peuvent être.
Tiens, on frappe à la porte :
"C’est elle", dit la mort, "Alors je m’en vais."
"C’est ça", je lui dis, autrement distrait.
Ton sourire, découvrant à peine tes dents,
plus luisant que l’acier de la sinistre faux,
brille de mille éclats. Nous nous embrassons.
Nous nous roulons sur le plancher.
Ce craquement de planches,
comme si l’on brisait et quittait un cercueil,
c’est l’amour qui se relève et ne meurt pas. »
Visar Zhiti, Toi et la mort
02:53 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |
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08/01/2007
Vivre et Écrire II
=--=Publié dans la Catégorie "Humeurs Littéraires"=--=
« ENIVREZ-VOUS
Il faut être toujours ivre, tout est là ; c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous !
Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge; à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est. Et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront, il est l'heure de s'enivrer ; pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise. »
(Les petits poèmes en prose) Charles Baudelaire
Je n'aime pas perdre de temps en matière de lecture... et je ne souhaite plus ouvrir de livre pour simplement me distraire, puis faire un amalgame entre une certaine légèreté que je revendique (et ne confond nullement avec la frivolité) et le Nihilisme qui consiste à être vain... Je ne parviens pas du tout à rester devant un film de série B à la télévision, avec ou sans cacahuètes... avec ou sans bière... et lorsque j'ai besoin de légèreté, quelques biographies simplistes mais intéressantes mises à part ("La Fièvre de la Ligne Blanche" par exemble, par LEMMY KILMISTER, bassiste-chanteur du fabuleux groupe Mötörhead et baroudeur Rock 'n' Rollesque depuis une quarantaine d'années...)
(... ou encore, "Mort aux Ramones", par Dee Dee Ramone, bassiste et compositeur principal pendant les plus belles années du combo Punk The Ramones... Lemmy et Dee Dee, deux cramés de la tête, l'âme écorchée vive et le rire nihisliste comme unique voie de sortie... mais couronnée par quelques superbes chansons dont l'énergie nourricière n'a de cesse de me requinquer depuis les hautes heures sombres et lumineuses de mon adolescence.)
...des lectures "coca-cola" (selon l'expression d'une amie) qui aèrent la tronche, favorisent la purge et contribuent à faire fonctionner les zygomatiques avant l'explosion salvatrice du rire.
Hormis ce genre d'exception, quand j'ai besoin de légèreté, c'est encore vers la littérature que je me tourne : de Djian à D’Ormesson... l'éventail est large... Car simplement me distraire, sans rien apprendre, ce n'est pas du tout ce que j'attends de l'énergie déployée dans la lecture d'un livre. Ce vers quoi j'aspire, par le biais de la littérature, c'est d'être secoué, perturbé, renversé, avant que de pouvoir déployer des ailes... plus fort... plus serein... plus sage. Plus souverain aussi. Si il y a maint styles et moult écrivains, il n'y a, à mes yeux, qu'une seule Littérature... un seul Verbe... avec tout ce que cela peut impliquer en terme symbolique.
Si la définition basique et banale de la littérature de notre abominable époque (comme me le soutenait une de mes connaissances) consiste de plus en plus à ne considérer la littérature uniquement que comme un domaine comprenant les oeuvres écrites à finalité esthétique (pour quelques unes qui surnagent péniblement du lot nauséabond) ou ayant pour but unique de raconter une petite histoire (nombriliste et agrémentée de quelques thèses conspirationnistes étouffantes, excluant du coup tous les écrits comprenant des thèmes philosophiques, politiques, historiques ou religieux) j'en arrive à comprendre très vite pourquoi "Le Diable s'habille en Prada" ou le "Da Vinci Code" sont considérés comme de la Littérature. De la Littérature de gare disent quelques esprits sur la défensive. La littérature de gare, fut un temps, était signé Simenon ou Féval, autrement dit, même la classe populaire lisait quelque chose de palpable, de concret, avec de la consistance. La petite histoire esthétique personnelle, définition tellement basique qui semble sortir d'un Larousse, précisément le type de définition qui ferait se hérisser les pics de n'importe quel écrivain. C'est tellement réducteur, qu'en effet, n'importe quel scribouillard doté d'un peu d'imagination et sachant manipuler quelques phrases peut être catapulté écrivain pour son plus grand bonheur... et pour notre malheur à tous.
Bah, me direz-vous... il y a tellement de choses plus graves ici-bas, sur ce pauvre caillou bleu perdu dans l'infini, qu'à quoi bon se prendre la tête pour une histoire de définition littéraire ? Hmm ? Après tout, mes contemporains ont peut-être raison... je me prends la tête tout seul... je devrais, probablement, me laisser glisser dans l'alcôve universelle, dans l'érection de la Métastructure Machinique à laquelle tout le monde consent sans trop se poser de questions. Surfing is good. Et nous sommes loin du Surfing Bird des Trashmen, repris avec verve et fureur par les Ramones que j'évoquais plus haut. Non, le Surf sauvage, aristocrate et psychédélique a laissé place à un surf idéel, faussement idéal, virtuel et désincarné, déguisé par des artifices qui ne tiennent rien du dandy, mais plutôt de l'autruche s'enfonçant la tête dans le sable et présentant son cul masqué pour une enculade au sens propre et au sens figuré que le "théâtreuh" que nous jouons au quotidien nous empêche de considérer de face. La Vérité pose des problèmes.
Pourtant, le rôle de la Littérature, et de l'Art en général, par extension, est des plus simple. Il consiste à dire la Vérité, à regrouper en faisceaux communs les forces éclatées pour honorer l'Intelligence, faire voler en éclats les masques de l'autruche, et si l'artifice culturel nous distingue tous du troglodyte moyen il ne doit pas être utilisé pour nous masquer nos rides : notre passage ici-bas est bel et bien éphémère. Il faut disséquer. Sans crainte. Mais les craintes sont grandes. Et le poids de la Vie considérable.
Les coups que je reçois, à force de dévoiler le fond de mes pensées, dans ce Blog comme dans la Vie réelle, me laissent toujours perplexe car je trouve les coups en question, les justifications, les arguments, inutiles. Pourquoi ? Parce qu'en ce qui me concerne l'affaire est entendue : je sais ce qui est de la Littérature et ce qui n'en est pas. Point. Je sais, indiscutablement, ce qui est de la Pensée et ce qui n'en est pas. Mais envers et contre tout on cherche à me convaincre... de quoi ? D'être futile et vain. « Le péché n’est pas que les locomotives soient mécaniques, il est que les hommes le soient. » G. K. Chesterton
Et ça me fatigue de plus en plus la justification ad nauseam que je vais finir par me dissimuler. J’ai quelques talents de comédien. Je sais, aussi, acquiescer et sourire bêtement. La résistance passe d’abord par l’acte qui consiste à sauver sa peau en passant inaperçu. Dois-je cacher mes élans ? Arrêter de sortir mes grandes phrases, mes théories pleines d'emphase, mon souffle parfumé ou fétide ? Je vais me planquer. Je vais enfin dire des banalités, ça finira par en rassurer plus d’un et, ainsi, peut-être parviendrai-je par rentrer dans le rang de leur estime. Pour vivre heureux, il faut savoir planquer son cul. C'est ça ? Et pour vivre caché il faut parvenir à être heureux pour puiser la force adéquate en soi qui met à l'écart par le biais du masque qui cache sans rien révéler. Un peu d'hypocrisie ne me fera pas de mal, un peu d'hypocrisie orientée selon mon plein vouloir et non par cette moraline puante qui caractérise tellement notre époque de lâches.
Mais la vérité est autre. Laissez-moi soupirer.
Je me lève tous les matins vers 7h30 et je suis incapable de me coucher avant 1h30/2h00 du matin. Le travail de magasinier vaut son pesant d'insomnies. Je rêve de traverser toutes les nuits du monde, passer de l'autre côté de la ténèbres. « Break on through to the other side ! » Pendant que les écrans des Mac et PC scintillent de leur banalités tellement vaines, je termine « Carnet de nuit » de Sollers... « L'évangile de Nietzsche » de Sollers encore (avec, entre autre, un magnifique chapitre consacré à Venise, ce qui enchante le guitariste du groupe VENICE que je suis)... et je poursuis ma descente Cancérigène vers l'antidote salvateur en lisant lentement « Grande Jonction » de Maurice G. Dantec. C'est mon affaire, voyez-vous ? Le pire c'est que j'en souris, même lorsque c'est amer, alors qu'à 20 ans j'en aurais pleuré de dégoût. Et il me faudrait lire le « Da Vinci Code » et ses théories fumeuses pour bonnes femmes puritaines en pleine descente de névrose ou en pleine montée d’hystérie… parce que ça les rassure de se dire que Jésus aurait baisé Marie-Madeleine, aurait vécu « normalement », comme un homme avec une bite ? Oui, ça les rassure de se persuader que Jésus ait laissé une descendance, féminine par dessus le marché. Notre époque est spécialisée dans le tassement, le rabaissement. La Guillotine selon d'autres moyens. Impossible de leur faire comprendre que Jésus avait, sûrement, des érections parfaites (ce n’est rien de le dire) mais que le fond du problème n’était pas là, même circoncis et Juif par sa mère, sa situation dépasse le Freudisme de Prisunic.
« Virgina Madre, filia del tuo filio » écrivait Dante dans sa « Divine Comédie », ce qui n’arrange pas les choses pour les dégarnis du bulbe. « Vierge Mère, fille de ton fils ». De quoi méditer quelque temps au lieu de se complaire dans la vulgarité rassurante, ne fut-elle que, prétentieusement, « romanesque ».
Selon Philippe Sollers :
« Effets du "spectaculaire intégré" :
1. Ils ont tous tendance à dire la même chose en même temps, au point que le phénomène paraîtrait mystérieux s'il n'était purement technique. Comprendre : Pavlovien...
2. La perception rétinienne est hypertrophiée (somnambulisme inversé), d'où l'importance de la perception physique, immédiate et quantitative. La grande affaire : grossi ou maigri ?
3. Dévalorisation sans précédent de l'activité intellectuelle et littéraire. »
(Carnet de Nuit)
Oui. Ils, elles, se posent des questions banales. Ils, elles, dorment debout. Le sommeil qui les possède les rassure. Le gouffre est une abomination qu’ils ne souhaitent nullement affronter et cette attitude est l’abomination de l’abomination, ce qui est pire. Pourtant j’ai croisé parmi eux, parmi elles, des esprits brillants, intelligents mais qui ont fini par s’aplatir, par rendre les armes. Mais « même les élus seront séduits » affirment les Évangiles. Ces résonances sont bien singulières. « Parce que tu n'es ni froid ni brûlant, mais tiède, je te vomirai de ma bouche » affirme le Seigneur. Résonnances bien singulières, en effet.
Car la Littérature c’est une autre histoire, voyez-vous. Toujours de Sollers : « Chaque fois, les phrases se sont mises à fonctionner avant que je sois là, ou plutôt leur espace, leur air. J'ai continué, ce qui veut dire : garder le commencement, sans cesse. » Le Verbe nous rend esclave. Esclave Joyeux et Souverain.
La littérature, comme toute création artistique (oui je sais, c'est une histoire de prétendants présomptueux) est une affaire qui nous mets en contact direct avec le réel (qui n'est pas la réalité), avec le réel de l'Être. Mais le réel en question, par strates progressives se trouve d'abord bousculé sens dessus dessous avant que d'être... transcendé... même si c'est à un niveau d'immanence insoupçonnable par les somnambules. (Voir plus haut). L'Homme (terme, ici, générique) est confronté à la même rengaine éternelle que nous connaissons tous : Je viens d'où ? Je vais où ? Qu'est-ce que je branle ici ? À quoi qu'ça sert tout ce cirque individuel ou collectif ? Usons donc d'un peu de Style. « Ton Style c'est ton cul ! » gueulait Léo Ferré, un peu énervé, je dois dire, le vieil anar. On cherche à mettre en scène, donc, par la manière la plus évidente à nos yeux, on cherche à représenter ce pauvre Réel qui nous fait tourner en rond comme des loups affamés dans une cage. Style et Stylet ont la même racine étymologique, voyez-vous, et un Stylet n'est jamais qu'un poignard à petite lame aiguë. Mais c'est aussi, en zoologie, la partie saillante et effilée de certains organes. Autrement dit, la littérature a toujours consisté à mettre à nu, à montrer le fond des choses, à révéler les aspects rugueux et les angles tranchants du Réel de notre Être confronté à la réalité.
Expression sur un support d'un sentiment qui s'impose par lui-même, la littérature pose des questions, tente des réponses, élabore un équilibre précieux qui autorise l'émergence de valeurs nouvelles. Tout le reste, vain ou pas, c'est du blah-blah, même si ça en soulage plus d'un de se trouver "cool" et "détendu". User du Stylet, amis, c'est trouver le point de rupture qui donne le souffle de l'évocation, fait grandir la force de ce souffle, accouche d'une structure particulière, d'une musique dans la langue, offre la perspective d'un point de vue, dessine une synesthésie (Trouble sensoriel caractérisé par le fait qu’un seul stimulus entraîne plusieurs perceptions... ainsi on se met à entendre la peinture, à sentir les mots, à toucher les idées... la musique devient sculpture... une symphonie devient une peinture épique... etc...). Voyez ou revoyez « Les Illuminations » de Rimbaud... par exemple... ou méditez, longuement, sur les « Correspondances » de Baudelaire.
Le Style, la langue, les mots qui finissent par guérir les maux, c'est là la première réponse immédiate à la situation dont je parlais quelques lignes au-dessus, car l'action qui est en cours dans cette curieuse incarnation Verbale (le Logos n'en finit plus de s'incarner et s'incarner encore et encore) permet une autre perception de la situation en question. Cette action est la Littérature en personne : un rapport profond avec la texture même du Réel qui nous fait pénétrer par des portails d'Or et d'Ivoire dans un Royaume que peu comprennent. Un peu comme avec la musique : on joue une seule note, au piano ou à la guitare, un simple "la"... et si l'oreille est sensible, on entend soudain la quinte (mi)... la tierce (majeure ou mineure, selon notre état d'esprit... do... ou do#). La Réalité banale du "la"donnera une chansonnette... si on perce son réel (ô vives harmoniques) on devient un artiste... car harmonisations et orchestrations qui en découlent ne se peuvent d'être banales, même si elles sont parfois simples. Il s'agit bien de CAPTIVER, CHARMER, CONQUÉRIR, ÉMERVEILLER, ENSORCELER, ENVOÛTER, FASCINER, RAVIR, SÉDUIRE, SUBJUGUER, SAISIR... non pas le lecteur mais la réalité qui, explosant, mène au RÉEL. À la question « que peut-on faire ? » y'a-t-il une réponse universelle ? : AGIR. La Littérature c'est le Verbe qui ne se prostitue pas... mais qui agit... « SOIT ! »... et celà EST !
Et pour agir, il faut se donner les moyens du langage. Il faut se doter d'une réponse car notre condition l'exige. Ce n'est pas, comme le croyait Sartre, une Action sur la réalité, mais c'est une action sur le Réel de notre Être, sur le Réel de l'ÊTRE en tant que tel. Le Réel de l'Être changeant... la perception de la réalité devient vivable. Il paraît que nous sommes faits à l'Image de Dieu. Que de stupeurs en perspective. Il me faudrait m'amuser à vous expliquer la "naissance" de Dieu... le Tsimtsoum... et le sens de Bereshit... mais vous avez GOOGLE
, soyez débrouillards un peu, ça ne vous fera pas un deuxième trou au cul... en tout cas ça risque de contribuer à vous nettoyer le sphincter... Je m'adresse ici à quelques détracteurs qui se reconnaîtront.
Il faut une constitution forte pour affronter la médiocrité ambiante, grandissante, conquérante, aux hordes gigantesques. Légion. C’est que Nous sommes dans un hôpital psychiatrique généralisé, organisé selon le schéma objectif d’un camp concentrationnaire. Actifs dans notre sommeil. Actifs pour le sommeil. La prise de Conscience, en semblable circonstance, est une balle d’argent pénétrant notre cervelle. Une Croix et son chemin qui mène vers le Golgotha.
« Cette douleur plantée en moi comme un coin, au centre de ma réalité la plus pure, à cet emplacement de la sensibilité où les deux mondes du corps et de l'esprit se rejoignent, je me suis appris à m'en distraire par l'effet d'une fausse suggestion.
L'espace de cette minute que dure l'illumination d'un mensonge, je me fabrique une pensée d'évasion, je me jette sur une fausse piste indiquée par mon sang. Je ferme les yeux de mon intelligence, et laissant parler en moi l'informulé, je me donne l'illusion d'un système dont les termes m'échapperaient. Mais de cette minute d'erreur il me reste le sentiment d'avoir ravi à l'inconnu quelque chose de réel. Je crois à des conjurations spontanées. Sur les routes où mon sang m'entraîne il ne se peut pas qu'un jour je ne découvre une vérité. »
Antonin Artaud (à André Gaillard) - Fragments d'un Journal d'Enfer (1926)
C’est une sacrée affaire, je vous le dis, une fois la balle d’argent illuminant les neurones que de parvenir à porter au lecteur le diamant salvateur qui sera sensé l’illuminer à son tour. Cristal. Feu qui consume sans brûler. L’écrivain, également lecteur, procède de par ses mots, malgré lui souvent, au dénombrement, à l’énumération, au recensement de tout ce que la Littérature se doit de tenir comme promesse pour clamer la Présence du Réel. La Langue est expérimentation alternative, réalisme, classicisme, Romantisme, Futurisme, mais elle veut passer le Temps et porter une œuvre par-delà la mort de l’auteur. Son souffle est de tous les temps, de toutes les époques passée et à venir. Le but est de porter cette illumination vers un seul individu peut-être qui se sentira dépositaire et transmetteur à son tour. La Langue veut le frisson, les fièvres, la scission du désespoir qui sème un champ particulier pour des moissons d’espoir. La fiction parvient, c’est là sa singularité, à rendre efficace dans les synapses du lecteur exalté la perception du Réel, à la rendre active. Blanchot : « Le mot agit, non pas comme une force idéale, mais comme une puissance obscure, comme une incantation qui contraint les choses, les rend réellement présentes hors d’elles-mêmes. » Car le Verbe ne qualifie pas cette piteuse action qui consiste à parloter et palabrer entre une coupe de champagne et un boudoir, ou à scribouiller une petite histoire pour nous persuader que le diable s’habille en Prada, ce dont je n’ai jamais douté. J’ajoute même qu’il a un sourire d’enfant innocent, le Diable, pendant qu’il tue. Le conte, la fable, l’illusion, la chimère, l’invention dialectique, le mirage qu’élabore l’écrivain, est RÉEL. Le RÉEL est de la sphère de l’entendement, de la raison, de la pensée, de l’intellect, de la raison, de l’esprit, de l’âme du monde pour ne pas dire de l’Univers. Mais il s'INCARNE. Le RÉEL n’est pas du domaine fini et arrêté, uniquement social, des phénomènes quotidiens, des évènements et situations banals « à la p’tite semaine ». Si les faits sociaux peuvent être un point de départ, il ne convient pas uniquement de les décrire, il faut aller se vautrer un peu dans le fumier, mettre son nez dans les plaies de la chair et de l’âme pour découvrir que l’Univers entier est peut-être une Pensée jouissante. Car décrire la réalité sociale ce n’est rien d’autre que se confronter à l’opacité des symptômes. Surface. Aspect. Dehors. Apparence. Brisures. Obscénité dont personne ne voit la pornographie sous-jacente. Réécoutez l’album « Pornography » de Cure.
« A hand in my mouth
A life spills into the flowers
We all look so perfect
As we all fall down
In an electric glare
The old man cracks with age
She found his last picture
In the ashes of the fire
An image of the queen
Echoes round the sweating bed
Sour yellow sounds inside my head
In books
And films
And in life
And in heaven
The sound of slaughter
As your body turns
But it's too late
But it's too late
One more day like today and I'll kill you
A desire for flesh
And real blood
I'll watch you drown in the shower
Pushing my life through your open eyes
I must fight this sickness
Find a cure
I must fight this sickness »
Revenons à nos moutons. Plus qu’une formulation argumentée, logique, raisonnée de la réalité, la Littérature est la projection visible, et par la même occasion : transmission, d’un contenu, d’une essence, mieux : d’une quintessence. Elle nous fait pénétrer dans le nœud des questions. Elle devient une arme pour combattre.
« I must fight this sickness
Find a cure
I must fight this sickness »
La Littérature ouvre au Royaume caché des évidences indicibles qui font de nous ce que nous sommes. Ce qui est indubitable et manifeste, concret et effectif, tangible, sensible, substantiel se dévoile, se divulgue, apparaît, consume. Car la Vérité peut être mortelle. Lorsque l’auteur parvient à toucher le nerf à vif, le point sensible, il fait se coïncider la pulsion de Mort et la Vie lumineuse dans ce qu’elle a de plus noble, de plus altier. Elle révèle l’union des deux antinomies qui se conjuguent en nous depuis la nuit des temps en une bataille Sainte et nécessaire pour nous accoucher à nous-même de cet excédent de force captée, de cette surcharge d’énergie, ce surcroît de volonté. Et la liesse va de pair avec le désespoir sublime. Euphorie. Allégresse. Jubilation. Ivresse. Or, il faut s’enivrer, tout est là.
Nabokov, cité par Sollers dans son « Carnet de Nuit » : « Dans une oeuvre d'imagination de premier ordre le conflit n'est pas entre les personnages, mais entre l'auteur et le lecteur. »
Je vous souhaite donc de bonnes guerres... ou de tristes paix... vous êtes libres de choisir.
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Citation du jour : « O Vierge mère, et fille de ton Fils, humble et plus haute qu'aucune créature, terme fixé d'un Éternel Conseil, c'est par Toi que fut l'humaine nature si ennoblie, que son grand Ouvrier ne dédaigna de se faire son oeuvre. En tes entrailles se ralluma l'amour dont la chaleur en l'éternelle paix a fait germer cette céleste fleur. Tu es ici pour nous, brûlant flambeau de charité ; et, parmi les mortels, là-bas, Tu es d'espoir fontaine vive. Dame, Tu es si grande et si puissante, que qui veut grâce, et à Toi ne recourt, il veut que son désir vole sans ailes. » (Alighieri Dante, La Divine Comédie, traduite par André Perate, Librairie de l'art Catholique, Paris, chapitre XXXIII)
Humeur du moment : Stimulé
23:25 Publié dans Humeurs Littéraires | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : 38-Humeurs Littéraires : Vivre et Écrire II | |
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25/12/2006
Aurore - VIII
=--=Publié dans la Catégorie "Ecriture en Acte"=--=
Il faut du chemin pour parvenir à une assurance et une confiance intérieures au sein des circonstances qui sont les nôtres, afin d’être dans un détachement qui n’accorde aux choses guère plus d’importance que celle qu’il y a à leur accorder. Une fois dans ce point que nous quêtons et qui finit par nous aspirer, nous regardons, alors, le monde avec un œil tranquille. C’est là l’espérance de la seule Rédemption accessible, superbe et éblouissante. Nos pires ennemis ne le sont plus. Les oppositions les plus acides se résolvent. Certes, peut-être que cela ne parvient à fonctionner que pour soi-même et non pas pour nos ennemis. « Pardonne leur Père, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » Mais on se retrouve saisi, en ce cas, par une totale bienveillance désintéressée et même la sabre à la main, pour défendre ce qu’il y a à défendre, l’humilité nous étreint et nous n’avons pas de haine.
J’ai éprouvé en certains rares instants ces épanchements malgré moi, comme si un visage se présentait à moi m’invitant à aimer. Moi, esprit faible, humain tellement humain, je me devais d’honorer ce visage abstrait qui me conviait très concrètement à l’honorer. Chimie mystérieuse du cerveau, mémoire affective du Corps, incarnation qui manifeste un au-delà de soi ici présent.
À la vue de ce Visage, yeux clos, en le cœur, ô âme, les yeux tremblent d’une joie pure. Ave doux Instant. Je deviens l’Instrument curieux de ta Valse, mais en rien cela ne me dérange.
Nous vivons la fin des temps. Leurs prémices sont là, ils nous encerclent et encadrent chacun de nos actes. C’est un cancer inéluctable qui se propage avec une ferme certitude et nous n’y pouvons rien, car les dés sont jetés, les jeux sont faits. Rien n’arrêtera la fin amère des choses en cours depuis la nuit des temps et se préparant, dorénavant, à atteindre son sanglant paroxysme.
Pourtant… Que d’œuvres voluptueuses avons-nous aussi accomplies ! Au milieu des désastres, comme pour les couronner en même temps que de les exorciser et les anéantir par le Verbe, nous avons élevé des Instants de Sacre, des Moments d’extases dessus les charniers, des Larmes d’espérance sur des cadavres fratricides, des mots d’Amour conjurant notre sort néfaste.
La Musique, ces rêves suspendus aux Sonates de Schubert sur le doigté de Brendel, ce sourire lumineux dans les notes de Mozart, cette prière incarnée dans le saxophone de John Coltrane, cette grimace existentielle dans le chant et les mots de Jim Morrison, ces nappes Cosmiques dans le blues de Jimi Hendrix, ce cynisme rédempteur dans les orchestrations de Frank Zappa, cette manne tellurique dans la plainte Céleste de Robert Johnson ou Son House, ce corps faisant fusion spirituelle et matérialiste par la voix extatique de Glenn Gould en symbiose avec ses notes sur les partitions réinventées de Bach –piano mobile d’ici-bas tournant avec l’empyrée. L'hypnose de MAGMA, porté par un Christian Vander extatique.
Ces livres. Saints et malsains. Tous éructée par une Sainteté Supérieure qui nous dépasse et nous surpasse, nous oblige malgré nous à la clameur des joies et des calamités, des rires et des fléaux, des jouissances et des névroses. La crasse, la peur, la mort et l’espoir sournois. Ces prophètes en fuite dans le désert rencontrant l’Être. Ces mal-aimé(e)s, ces bien- aimé(e)s, cherchant les épousailles ultimes, à la fois Séraphiques et Charnelles… parce que sachant bien que tous ceci est la même chose dans le creuset de la main de Dieu. Saint Jean, les yeux emplis d’angoisse face à ses visions, la gorge gonflée de foi, le cœur affermi d’abandon à la Volonté, l’âme balafrée par le sourire Divin. Molière, géant dansant au milieu des nains. Poe saisi de delirium tremens devant sa feuille blanche. Baudelaire fouillant au scalpel dans les replis des nerfs. Rimbaud voyant, hors sa Saison enragée dans l’Enfer « Humain trop Humain », poindre le Paradis des Illuminations Verbales Sacrées et Rédemptrices, la fleur, la peau, l’Océan et la Terre, le Ciel et l’Infini réconciliés avec nous-mêmes. Lautréamont, ô Jeunesse pourfendant le simulacre.
Ces sculptures. Ces toiles. Ces films. Incarnation tangible de la pensée en action et en devenir. « J’aime l’odeur du napalm au petit matin », affirme Robert Duval dans « Apocalypse Now » en chien de garde halluciné de la soldatesque Américaine. La Porte de l’Enfer par Rodin est une pensée saisissante qui danse malgré tout. Georges Mathieu fiévreux devant sa Bataille de Bouvines. Picasso relisant la guerre devant son Guernica avec une insaisissable Liberté. Foudroyants élans disant la Nécessité de l’Être qui n’est pas seulement constituée de pain et d’eau.
Ces penseurs. Absent du monde car tellement présent en lui-même. Profondément enlacés à l’existence. Cherchant à la scruter avec précision, en sculptant, eux aussi, la compréhension, faisant émerger sa complexité par la danse des concepts. Nietzsche en marche, un livre de Montaigne à la main. Spinoza polissant son verre en même temps que ses idées. Saül devenant Saint-Paul sur son chemin vers Damas. Retz, La Rochefoucauld fixant avec attention l’âme humaine. Ces stances. Ces éclairs.
Ces authentiques prières de saints et d’ordures.
Nous nous arrangeons avec ça et le challenge est de ne pas rentrer complètement dans le moule. Être une Singularité si nous sommes enfants des étoiles, le Big-Bang fut une Singularité et le politiquement correct m’interdit d’écrire « si nous sommes faits à l’image de Dieu ».
Ce que le système entretient avec une réelle passion, c’est l’équilibre délicat de la Violence et de l’Ennui. Les dérivatifs utilisés maintiennent dans leurs justes limites ces deux phénomènes. Insouciant face aux vrais problèmes qui se posent, l’Homme post-moderne ne doit pas sombrer dans l’Insouciance qui peut être révélatrice d’un autre monde. La légèreté est un danger ambulant pour les rouages de notre jolie société. Car lorsque l’individu se laisse aller à un peu de Grâce, un peu de rêves, un peu de poésie et que l’existence binaire et monotone lui apporte soudain une bonne dose de dégoût, de lassitude, de contrariété, de poisse et de mélancolie, tout ce qu’il a construit au cours de sa dérive depuis sa venue au monde lui semble être un immense, un gigantesque embarras. Cet état peut rapidement déboucher sur la prémonition d’un territoire imprécis, ignoré, indéterminé, vaporeux qui advient au-devant de nous et ne demande que la fibre courageuse et possédée d’un explorateur. Manifestation qui devance, signal avant-coureur, appel insistant de l’étrangeté qui s’avance. Le système se doit de faire en sorte que le cher citoyen ne s’y arrête point.
Alors, submergeons-le de messages, d’images, de niaiseries authentiques, pour que ni l’ennui, ni la violence qu’il porte en lui ne nous menacent. S’il passe le palier, progressivement, de l’hypnose et de la soumission, nous le maintiendrons dans sa phase passive et assujettie longtemps… en tout cas jusqu'à la névrose, la maladie mentale ou la pure et complète folie. Nous avons les établissements prévus pour traiter ces symptômes. Prisons. Hôpitaux psychiatriques. Ou bien, programmes télévisés totalement Totalitaires et Débiles. Dans la routine mortuaire que nous entretenons avec constance et emphase, certes, il y aura quelques accidents. Le manque de stimuli sensoriels naturels, l’intellect s’appauvrissant, il y aura des « Clash » inévitables. Un ouvrier travaillant à la chaîne perdra un doigt, ou un bras. La fatigue et la nervosité amèneront leurs lots d’accidents de la route. De temps en temps un serial-killer fera son apparition. Une Cité brûlera à cause de son ghetto. Parfois même un attentat aura lieu qui accouchera d’une bonne guerre. Nos philosophes et nos sociologues analyseront tout ça. Les chroniqueurs dans les journaux s’empareront de l’affaire. La Droite et la Gauche pourront s’affronter en abondantes polémiques quant à la gestion des affaires. Comprendre : la gestion de leurs affaires. Des livres seront publiés. Des manifestations auront lieu. La Routine Démocratique. Le monde continuera de tourner selon notre Volonté. Nos chiens de garde y veillent. Et tout ça va vers le paroxysme. Longue et lente descente rapide vers les limbes noirâtres de la bestialité, de l’oubli de Soi et de l’Autre. C’est encore un paradoxe évident. Lente et longue descente, car elle semble n’avoir pas de fin. Rapide descente, car tout s’accélère et nous entraîne vers le vide de l’Être et vers l’Absence de Soi au monde.
Et toutes ces analyses Socio-Philosophiques, toutes ces décisions politiques s’avèrent être des actions parfaitement ridicules, incapables d’appréhender la substance de leurs études car elles ne se proposent jamais, par leurs actes, de percer le nœud du problème afin de transformer en profondeur, et radicalement, notre piteuse existence en fontaine de Vie. Tout participe à la pérennisation de la Mort lente et de son système concentrationnaire doux.
Car une fontaine de Vie appelle le changement, la Joie de l’Instant, le Jeu de l’Être, la Jouissance du Temps Présent, la saisie saisissante d’Instants hors le temps sur la trame d’un Passé débarrassé de toute muséification mais projetés vers l’Avenir et l’à-venir immédiat. La Créativité y est Reine, la répétitivité secondaire. Mais même la répétitivité se trouve, alors, dépourvue de redondance, de reproduction aveugle, de recommencement banal. Ces instants sont rares en notre Village Global.
Oui. Toute Critique avant qu’elle ne mène à la compréhension par tous les hommes des conditions d’exploitation dont ils sont les sujets, compréhension qui ne débouchera que sur le désir de distraction, de relâchement, de récréation et de recréation doit être entreprise et menée dans ces temps difficiles où l’oppression est omniprésente dés les informations radiophoniques matinales par quelques francs tireurs indépendants qui prennent tout juste conscience des réseaux parallèles qu’ils se doivent de tisser. Leur but est clair, même si une stratégie générale est pour l’instant absente, ils veulent semer la ruine dans les sphères de ces conditions d’oppression.
Pour l’instant le prolétariat se tasse et se résigne. Les sirènes qui le maintienne de leurs chants néfastes sont puissantes et effectives. Il en est qui affirment même que ce monde, finalement, leur convient, à la condition qu’ils puissent toucher une modeste part des miettes du gâteau qui leur fait accepter leur funeste condition. Il en est d’autres qui se séparent, non pas des esclaves que j’évoque ici, mais de cette classe (au sens marxiste du terme), se voulant artistes, membres d’associations diverses qui se disent actives et conscientes. Les uns et les autres n’ont pas conscience que ce qui figure le Prolétariat du troisième millénaire n’est plus le gavroche sortant de la mine et travaillant 12 heures par jour, six jours sur sept. Ce qui figure le Prolétariat en 2007, après le 11 Septembre 2001, c’est la masse globale et globalisée des producteurs et consommateurs. Autant dire : tout le monde.
Quand, donc, les Zartistes et autres Bobos en mal de Révolte geignent à propos du Nouvel Ordre Mondial, érigeant leur conflit intellectualiste à l’encontre de la Mondialisation en œuvre, mais qu’ils s’efforcent, d’autre part, de n’y opposer que d’indigentes ambitions, de faux espoirs, de tristes aspirations, ils sont en fait tenus en laisse par l’Ordre en question et rattachés à lui. Ils en épousent le profond principe, la substance même. Si cet Ordre s’abattait demain ils perdrait tout en perdant leur fond de commerce. Tristes intellectuels qui stigmatisent sans se dresser contre et cautionnent sans comprendre.
Triste complicité, parfois inconsciente, je le concède.
Faux litige fait bon mariage avec l’argent roi.
Il nous faut redéfinir les concepts politiques que Marx, Proudhon et Bakounine ont élaborés en leurs temps. Prolétariat, pauvreté ont changé de nature et d’envergure, même si le résultat est le même : nous sommes tenus en laisse. Avec douceur, certes, mais tenus en laisse. « Étouffer en embrassant : perfidie abominable. » disait Diderot. Et aussi : « Il ne faut de la morale et de la vertu qu´à ceux qui obéissent.»
Il ajoutait : « Frapper juste.»
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Bande son du moment : "Bananas" par Deep Purple
Lecture du moment : ...pas de lecture particulière... butinages divers...
Citation du jour : « Le spectacle est une guerre de l'opium permanente pour faire accepter l'identification des biens aux marchandises ; et de la satisfaction à la survie augmentant selon ses propres lois. Mais si la survie consommable est quelque chose qui doit augmenter toujours, c'est parce qu'elle ne cesse de contenir la privation. S'il n'y a aucun au-delà de la survie augmentée, aucun point où elle pourrait cesser sa croissance, c'est parce qu'elle n'est pas elle-même au delà de la privation, mais qu'elle est la privation devenue plus riche.» Guy Debord (La Société du Spectacle)
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21/12/2006
Aurore - VII
=--=Publié dans la Catégorie "Ecriture en Acte"=--=
Les Zartistes et penseurs de nos jours se plaisent à parler d’ineffable et d’intraduisible, d’innommable. On en est arrivé au point où on ne peut plus rien dire, mais aussi, où on ne sait pas ou plus quoi dire. Ainsi, l’Art et la pensée se trouvent réduits au silence glacial mortuaire de l’absence même d’angoisse. Les situations qui pourraient être crées pour nourrir l’imaginaire collectif ne sont qu’agitations névrotiques au sein desquelles le pathos n’est même pas utilisé de manière constructive. Mode. Habits. Décoration. Certes. SURFACE ! Et ce n’est pas la Surface Aristocratique d’un Oscar Wilde, cette Surface qui, selon le mot de Nietzsche, est identique à la profondeur. Silence ou borborygmes et onomatopées. Voilà où l’on en est dans l’Art. Et dans la Vie. Les Zartistes les plus novateurs aiment à déterrer la charogne pour lui donner la mort une seconde fois. Grandes phrases toutes faites. Œil sombre. Les pauvres gugusses ne peuvent pas même imaginer un court instant ce que pourrait être la Vie dans l’au-delà de ce cap à passer. La Vie et, donc, l’Art. Ils ne souhaitent même pas passer le cap en question. Mais, comme je le disais, symptomatiques, ils disent très bien la maussade époque dans laquelle nous évoluons : explosions techno-scientifiques à l’extérieur, morale faisandée dix-neuvièmiste en dedans. L’Horreur. Ils rêvent grandement, par contre, d’un au-delà utopique qu’ils appellent de leurs vœux les plus profonds et les plus chères. L’Absurdité organisée et calculée. L’aveuglement assuré par la surenchère de la communication générale nous connectant tous les uns aux autres. Festivités et commémorations. Sourires. Analphabétisme générale intronisé quotidiennement par la Radio, la télévision, l’Université, les entreprises et usines, la presse, internet. Films débiles. Best sellers plats. Les moyens de communication de masse sont… écrasants. Le mensonge est adoubé par la science elle-même. L’Histoire, bien-sûr, est écrite par les intérêts des uns et des autres. Des vainqueurs surtout. En découle ce spectacle du village planétaire, meurtrier et hilarant.
Le Spectacle met en scène la fin du monde même. Il nous invite à sa représentation malade. Nous nous devons de déployer de singulières ailes pour prendre un envol qui est retardé depuis trop longtemps. Nous lâcher du conforme comme du non conforme. De l’affirmation comme de la négation. Ces principes, en ce monde, n’ont plus grand sens. De l’Art d’aujourd’hui nous pouvons conserver, outre l’explosion des formes, la volonté d’une vaste communication, profonde et déterminée. Par quels moyens échapper à la noyade dans le flux constant et tendu des informations d’aujourd’hui, cela reste à déterminer au fur et à mesure que l’avancée se précise. Il faut une bonne dose de Stratégie pour se faufiler dans ce merdier. Il ne faut pas, de même, négliger le sens esthétique, l’équilibre de la forme et du fond qui parvient à porter ce qui se doit d’être dit impérativement.
La Drouate est soi réactionnaire, soit Capitaliste, quand elle n’est pas les deux à la fois.
La Gôche est devenue Libérale, ayant abandonné toute critique radicale, toute pensée et toute action. Perdurent, ça et là, sous une forme ou une autre, quelques désirs de soviets et de conseils ouvriers.
La Drouate, c'est là le paradoxe, s'est également Gôchisée...
Morne paysage.
Tout cela sans exception est désormais Spectacularisé à outrance pour nous maintenir dans nos positions de spectateurs aigris ou enchantés. Les experts de la pensée y travaillent. La spécialisation de chaque domaine de la vie est en cours. Séparations et moulage général.
Il nous faut récupérer ce qu’il y a de récupérable dans la sphère culturelle, non pour entreprendre de ressusciter les morts (qu’ils reposent en paix) selon les paradigmes en cours… laissons la religion de substitution festoyer comme bon lui semble.
L’analyse précise, l’examen du Spectacle oppressant est l’exigence liminaire et supérieure de toute critique.
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Bande son du moment : "Private Eyes" par Tommy Bolin
Lecture du moment : ...pas de lecture particulière... butinages divers...
Citation du jour : « Et sans doute notre temps... préfère l'image à la chose, la copie à l'original, la représentation à la réalité, l'apparence à l'être... Ce qui est sacré pour lui, ce n'est que l'illusion, mais ce qui est profane, c'est la vérité. Mieux, le sacré grandit à ses yeux à mesure que décroît la vérité et que l'illusion croît, si bien que le comble de l'illusion est aussi pour lui le comble du sacré. » Feuerbach (Préface à la deuxième édition de L'Essence du christianisme)... mis en exergue, par Guy Debord, en ouverture de son livre,"La Société du Spectacle".
Humeur du moment : Mort de Fatigue
20:20 Publié dans Écriture en Acte | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : 36-Ecriture en Acte : Aurore - VII | |
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19/12/2006
Aurore - VI
=--=Publié dans la Catégorie "Ecriture en Acte"=--=
Le désordre est tel que parallèlement à la montée en puissance de l’« Artiste Augure », l’artiste décorateur ou amuseur est promu comme un Artiste à part entière alors qu’il n’a rien à faire avec le troubadour ou l’artisan d’antan. De part et d’autre, il s’agit d’être enivré soit de niaiseries soit de cul-cul-culture castrée et castratrice à son tour. La bourgeoisie dominante doit semer la confusion. C’est, pour elle, très rassurant.
De la sorte, l’ambition et le dessein d’un créateur, aujourd’hui, sont proportionnels avec l’amoindrissement fonctionnel et pragmatique de sa sphère d’effort, de mouvement et d’entreprise véritables.
L’Artiste véritable sait bien que son mode d’expression, une fois utilisé, est aussitôt dépassé, désuet et inactuel. Ce qui lui importe en premier lieu c’est de trouver les débordements nécessaires et la profusion d’Être qui pourraient contribuer à construire la Vie. Et avancer, en fonction des circonstances, en créant des situations de désarrois et de fêtes.
Dans chaque émergence révolutionnaire artistique et/ou philosophique se trouve un combat, une opposition, un antagonisme entre les démarches visant à promouvoir une fonction nouvelle de la Vie et une évasion, débandade réactionnaire, hors de la Réalité, mais sans pour autant parvenir, par cette fuite, à toucher au Réel de l’Être. Ainsi du Romantisme. Ainsi du Surréalisme. Ainsi du nouveau Roman. Ainsi de l’existentialisme. Toutes ces manifestations ne permettent qu’une seule chose : elles nous autorisent, si nous savons regarder, à voir et distinguer très nettement l’absence d’un horizon solaire, hors l’Enfer que, par ailleurs, les artistes se plaisent à explorer de fonds en combles en s’en réjouissant même. Un Rimbaud passa par là et disparut aussitôt, étranger à tout ce cirque. Saint mille fois.
Car il nous faut sortir de l’Enfer.
On nous implore, oblige ou brusque de nous incorporer dans une conception de l’Art Spectacularisé qui ne nous correspond nullement. Le seul plan de cette affaire étant de nous précipiter dans un tourbillon aveuglant en agitant les maracas de la réussite sous nos yeux aveuglés, nous abrutir à ce point, que croyant que par l’ensemble de dispositions que nous prendrions pour dire les choses, les faits, le manque, nous serions sur la voie du Logos, du Sens. Nous soumettant, nous ne faisons que perpétrer l’esclandre de notre abomination propre, dont se complaisent les Za-Zartistes, car hors de cette abomination il n’y a point de salut pour leurs créations néfastes. Il leur faut préserver à tout prix les conditions de notre misère morale, intellectuelle et sociale. Comprenez-les. Cela leur donne la possibilité de geindre, de se révolter, de promouvoir leurs merdeuses actions caritatives. Et tout est en place et tourne comme une machine bien huilée.
Curieusement, en même temps que cette mise en scène est déployée pour que tout le monde puisse y trouver bonne conscience, il apparaît clairement que l’explosion des formes de l’Art, en peintures, photographies, vidéos, écriture est concomitante à une crise générale qui refuse cette Réalité étouffante qui nous soumet mais que nous consolidons. Nous ne parvenons pas, par contre, à toucher au Réel de l’Être dont nous pleurons le manque. Nous ignorons le Réel de la Révolte croyant la connaître. Normal : « Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation. » Et : « Les images qui se sont détachées de chaque aspect de la vie fusionnent dans un cours commun, où l'unité de cette vie ne peut plus être rétablie. La réalité considérée partiellement se déploie dans sa propre unité générale en tant que pseudo-monde à part, objet de la seule contemplation. La spécialisation des images du monde se retrouve, accomplie, dans le monde de l'image autonomisé, où le mensonger s'est menti à lui-même. Le spectacle en général, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non-vivant. » Comment se révolter en de telles conditions ? Il faut aller loin. Regarder les choses en profondeur. Guy Debord, dés ses deux premiers postulats ouvrant La Société du Spectacle en 1967 l’avait bien compris. La Révolte désormais devrait aller à l’essentiel.
Re-convoquons Rimbaud et Lautréamont sans hésiter un seul instant.
« Le spectacle en général, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non-vivant. » Se répéter cela plusieurs fois par jour.
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Bande son du moment : "Déjà Voodoo" par Gov't Mule
Lecture du moment : ...pas de lecture particulière... butinages divers...
Citation du jour : « Les spectateurs ne trouvent pas ce qu'ils désirent, ils désirent ce qu'ils trouvent. » Guy Debord (Réfutation de tous les jugements, tant élogieux qu'hostiles, qui ont été jusque ici portés sur le film "La société du spectacle")
Humeur du moment : Mort de Fatigue
02:15 Publié dans Écriture en Acte | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : 35-Ecriture en Acte : Aurore - VI | |
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16/12/2006
Aurore V
=--=Publié dans la Catégorie "Ecriture en Acte"=--=
À présent que je regarde les créateurs de mon temps, je vois beaucoup d’incapacité et d’inaptitude dans le domaine essentiel de la pensée. Tous se complaisent dans leur ignorance crasse et plutôt que de se taire face au néant de leur méconnaissance et inculture, il leur faut à tout prix placer leur mot, leur émotion malade dans la fournaise du débat. Ils participent donc à un abaissement du niveau général de connaissance et cherchent à ridiculiser la moindre intelligence qui s’attaquerait à leur fonds de commerce de carriéristes en mal de gloire. Car là où le Capital a, pour l’instant, largement gagné la partie, c’est bien dans le talent qu’il a su mettre en branle pour convertir tout l’occident à sa vision du confort et de l’essentielle niaiserie qui nous détourne de tout désir de grandeur et d’épanouissement. Le Sud, pauvre et affamé, contemple la civilisation bourgeoise Nordiste la bave de la faim aux lèvres. C’est un modèle. C’est la direction. C’est ça la modernité. C’est la démocratie. La démocratie c’est Coca-Cola. Le bien matériel, le bien de consommation transformés en Jouissance Absolue. Les créateurs de mon temps adhèrent pleinement à cette optique, même s’il leur arrive de prendre des postures de révoltés pour que les consciences séduites par leur jeu en viennent à s’exalter du nombrilisme que leurs œuvres portent.
La Mondialisation, en progression constante, étend comme modèle indépassable le critère bourgeois basique. Posséder un bien et en faire la couronne de sa vie. Se repaître de ses acquis matériels, s’en délecter jusqu’à la disparition de toute tension. La publicité est là pour nous créer des tensions nouvelles, les seules tensions qui comptent. L’assouvissement doit se prolonger toute notre vie durant. La Vie elle-même se doit d’être prise dans la gangue de la marchandisation à présent normalisée, acceptée, par tout le monde !
Les créateurs sont embarqués dans cette galère car ils sont la cible privilégiée de la marchandisation bourgeoise. L’idée fixe des hautes sphères financières, l’obsession qui les taraude jusqu’à la psychose c’est de tomber sur de singuliers personnages sachant remettre en question cette culture de masse qu’elles ont su déployer comme LA Sainte Panacée Universelle. Ce ne serait ni plus ni moins que la remise en question de leur culture, enfin, ce qu’ils osent nommer ainsi. C’est bien à l’heure paradoxale où les moyens de créations sont plus abordables que jamais, c’est bien à l’instant où les frontières limitatives ont volé en éclats dans le domaine des Arts, que l’Art se convulse au sol dans une morbide transe de future charogne. Mais tout le monde joue le jeu et s’y complait avec sérieux, espérant juste que la décomposition en cours ne se précipite pas trop vite. Leur gagne pain est en question dans cette affaire.
Lautréamont, Nietzsche, Artaud ont déjà pratiqué les autopsies nécessaires.
La formulation artistique, la locution exacte, l’émanation de l’Être, la transe inspirée qui s’incarne… plus rien de tout cela n’est plus une authentique expression intérieure, un accomplissement de soi, une concrétisation visionnaire. Ou, lorsque c’est bel et bien, au moins, une expression intérieure, ce n’est plus qu’un miasme symptomatique. Certains artistes n’ont d’ailleurs d’intérêt à mes yeux que dans l’émergence de certains symptômes qu’ils parviennent à afficher dans leurs œuvres avec un panache assuré.
Par un développement au long cours, l’Artiste, jadis troubadour, jongleur du verbe, artisan, a fini par pénétrer le territoire des prévisions, des lectures de l’à-venir. Oracle et Vaticination. C’est que progressivement, le flux du temps déployant la mondialisation vers son avènement toujours plus clairement confirmé, et ce depuis 1492 et la découverte du nouveau monde, notre liberté s’est trouvée en apparence de plus en plus confirmée alors que, précisément, elle est de plus en plus muselée par notre usurpation de la nature et de ses prérogatives ! La seule question qui se doit d’être posée, et fouillée, est celle de l’utilisation, de la destination, du rôle et de l’usage de la Vie.
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Bande son du moment : "Revelations" par Audioslave
Lecture du moment : ...pas de lecture particulière... butinages divers...
Citation du jour : « La culture, devenue intégralement marchandise, doit aussi devenir la marchandise vedette de la société spectaculaire.» Guy Debord (La Société du Spectacle)
Humeur du moment : Mort de Fatigue
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14/12/2006
Aurore - IV
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Yeux clos, guetter les résonances végétales du sommet des arbres que le vent balaie. Être là. Pleinement.
Par les temps qui courent cela demande une force d’esprit doublée d’un caractère rude, ainsi qu’une détermination de premier ordre. Sois présent à toi-même, lecteur, seul moyen d’être pleinement présent à l’autre, et tu te retrouveras cerné de toutes parts par les envoyés de la grande machine à broyer de l’Être : à peu près tout le monde. Et les rouages de la machine en question sont bien huilés.
Souvent ça crie en nous. Ça hurle. Ça quémande avec insistance une porte dérobée dans le Vestibule des aléas quotidiens. Le déséquilibre est conséquent. Quelque chose nous le spécifie avec empressement. Le Corps (cette Raison Supérieure) étouffe. Le Bonheur ne semble pas être de ce monde et pourtant l’Incarnation entière le réclame. Et envers et contre tout nous demeurons sourds à l’appel. La Mère Supérieure veille au grain. Et papa ne bande plus. Le Langage, tellement associé, à présent, à la Mort, à la mortification, au froid Nihilisme d’une époque désinvolte, psalmodie quelques burlesques onomatopées mais ne DIT plus rien. Alors ? Alors, quand une voix s’élève de la fange en Stances Salvatrices Salutaires personne n’y prête la moindre attention. Voici la Rose noyée dans l’obscur brouhaha général.
Au début de l’histoire, le Corps, sublime ouvrage, dans le flux abyssal des profondeurs amniotiques, se forge en sa matière intime, se travaille dans le feu maternel. Il s’agite, remue, réagit, minuscule se déplace. Il grossit, gonfle, s’allonge. Il se contracte et se raidit. Son gabarit change. Ces 9 mois permettent une phylogenèse palpable, mais la filiation de l’être intérieur, l’aventure interminable de ces jours d’errances liquide en la mer intérieure, s’abîment avec le premier cri, puis se perdent aux fils des jours et des nuits que la Vie nous accorde. L’esprit conscient est fluctuant, mais le corps, lui, se souvient et réveille à l’occasion, malgré nous, des douleurs enfouies, des caresses, des jouissances et des morsures.
Quel Voyage est entrepris dans ce flottement jouissif ? Quelle signature s’incarne déjà pour produire, rédiger, inscrire, consigner, par la suite, ce qui se fonde dans le fluide protecteur ? L’Origine du Bonheur se trouve dans l’Onde pure, chaude et nourricière de cette gestation qui ne demande qu’à se poursuivre dans l’apesanteur du monde. C’est un désir qui s’alimente déjà, confronté au voile des multiples apparences, de l’essence des questions qui seront plus tard formulées par lui ; pour l’instant le grain en l’être réclame son expansion pour elle-même. Le probable en-soi à l’état pur qui s’écrit aussitôt dit aussitôt fait, déjà, dans le moment même, se projette, s’épanouit, n’attend plus qu’une seule occasion : celle de se penser et de penser l’Univers afin d’être. Le flottement jouissif instruit d’un puissant écoulement et déborde l’entrelacement et le dédale des nerfs qui se connectent. L’alcôve d’un Ciel primordial aux douces heures de la gestation est définitivement la première école de notre venue au monde.
Ensuite surviennent les plaies, l’action des substances corrosives. Le laminoir qui réduit. Portes de l’Enfer qui nous avalent chaque jour. La Fascination. L’Hypnose. Le Spectacle quotidien qui nous diminue et nous scinde. La dispersion. La fracture. Très vite : dés les seins de maman et les genoux de papa. Puis, de temps à autre : l’Appel. Pour peu d’élus, les rivières entraperçues dans l’embrun de l’enfance sont un guide minéral et végétal vers l’Océan. Le Départ. La Porte Dérobée au temps présent. La très vaste majorité demeurera pétrifiée dans la statue de sel de la femme de Loth. Le terroir et la race, le sang des ancêtres immobilisé (c’est-à-dire : mort. C’est-à-dire non fertile), le nombril maternel glacé et statique, l’arrêt sur soi dans l’auto-enculade satisfaisante jusque dans la mortification déterminée. Parmi les élus, des destins basculent, le Corps éprouve des influences inexplicables, cherche des stimulations et des paroxysmes pour résoudre ce nœud dans le gosier, dans les entrailles, dans le cœur… ou la cervelle. « Je mourrai demain, qu’importe ! Je veux les rires, la Joie, la Jouissance, la Vivacité, l’Allégresse sous un haut soleil béni mille fois et bénissant mille fois à son tour. Je veux l’éternité et le luxe et l’infinie plénitude sur cette terre finie ici-bas. Ici et Maintenant dans ce point que nous sommes. »
La prise de position est un Impératif. Quitter l’Asile de fous. Prendre la route qui ressemble à un long serpent sans fin.
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Bande son du moment : "Mafia" par Black Label Society
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Citation du jour : « Il faut une science politique nouvelle à un monde tout nouveau. » Alexis de Tocqueville (De la démocratie en Amérique)
Humeur du moment : Mort de Fatigue
18:45 Publié dans Écriture en Acte | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : 33-Ecriture en Acte : Aurore - IV | |
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