10/09/2018
Coopérer à l’œuvre de la Création ou de la Rédemption
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« En quoi diffèrent les "moines" de ceux que le langage courant appelle "religieux", mot qui recouvre en fait tous les membres des ordres récents (je veux dire fondés à partir du XIIIè siècle, tout étant relatif). Tous c’est bien évident, cherchent à mener une vie parfaitement évangélique – autant du moins qu’il est possible – et, pour ce faire, tous prennent l’engagement solennel des trois vœux de religion : pauvreté, chasteté, obéissance. Si les moines ont une formule un peu différente (stabilité, conversion des mœurs et obéissance), elle recouvre en fait celle des trois vœux classiques, et la différence ne peut donc être cherchée de ce coté.
Partons de ce qui est le plus simple à délimiter : les "religieux" se groupent généralement dans un but défini : ils sont enseignants ou hospitaliers, ou bien voués à l’apostolat, à la presse catholique, que sais-je encore ? Les grands ordres, eux, par le fait même de leur développement, sont appelés à répondre aux multiples besoins de l’Eglise, mais ils n’en restent pas moins orientés dans un sens également déterminé : les Dominicains sont frères prêcheurs et maîtres en doctrine sacrée – sans pour autant qu’ils en aient le monopole – ; les Franciscains, marqués par leur Père saint François, s’adressent plutôt à des auditoires populaires ; quant aux jésuites, les écoles et les missions occupent une bonne part de leurs activités, depuis l’origine de la Compagnie.
Mais les moines ? La question leur est souvent posée par des fidèles ou même par des religieux d’autres ordres, qui, habitués, à classer par spécialisation, se demandent quelle peut bien être la différence spécifique des moines. Beaucoup répondent alors que leur rôle propre dans l’Eglise est d’assurer la prière commune ou, comme on dit un peu drôlement, les "beaux offices" (car les Dominicains ou les Franciscains ont eux aussi l’office du cœur). Mais on sait, à présent, combien une telle réponse est peu recevable, encore qu’elle commence à nous aiguiller sur une voie plus juste : la vie monastique est en effet certainement une vie de prière, ou, si l’on veut utiliser cette terminologie dangereuse, une vie contemplative.
En réalité, ce qui rend si difficile toute réponse à une pareille question sur la "spécificité du monachisme", c’est que, par le fait même, on pose le problème dans une optique tout à fait différente de celle qui est à l’origine de l’institution monastique. En bref, une telle définition est un anachronisme.
Nous sommes en effet dans une ère de spécialisation. Or ce processus à peu près irréversible de notre civilisation a commencé à quelle époque ? Autour de l’an 1200. La naissance des ordres au sens moderne du mot, dans la première moitié du XIIIè siècle, manifeste précisément dans le domaine de la vie religieuse cette tendance nouvelle. L’institution monastique, elle, remonte à un âge antécédent ; il ne faut donc pas lui attribuer des préoccupation ultérieures. […].
Saint benoît, lui, n’appelle point ses disciples à une tâche donnée à l’avance. Il s’adresse dans le prologue de sa règle à tous ceux qui veulent comme lui plaire à Dieu seul, et chercher à le servir vraiment. En quoi, dira-t-on, un tel programme diffère-t-il de la vie la plus simplement, la plus universellement chrétienne ? En rien, c’est vrai. Il importe de comprendre ce point avant de faire les distinctions nécessaires. Un moine est d’abord un homme à tout faire. Certaines tâches semblent moins indiquées et la tradition monastique s’est bien souvent interrogée sur ce qui convenait ou non ; mais en fait, au cours de l’histoire, on a vu que les moines pouvaient servir à toutes chose dans l’Eglise : tour à tour, et selon les besoins, ils ont été défricheurs, agents de commerce, hommes d’industrie. Ils ont construits des églises par milliers, ouvert des routes, lancé des ponts, fondé foires et marchés. Ils ont été apôtres – convertissant une bonne partie de l’Europe – puis pasteur d’âmes, mais aussi maîtres d’école, humanistes auxquels nous devons la transmission de la culture antique, théologiens, exégètes, canonistes, historiens, mathématiciens, médecins ; à l’occasion même, ils ont joué le rôle de super-diplomates, conciliateurs entre les Etats ou bien encore entre le pape et l’empereur, artisan inlassables de l’unité dans une chrétienté qui n’était pas moins divisé que le monde d’aujourd’hui.
On a tellement répété tout cela que certaines expressions font l’effet de clichés : les "moines défricheurs", ou encore "les savants bénédictins". mais l’on ne remarque pas suffisamment que ces hommes ont été capables de remplir tant bien que mal toutes ces tâches seulement dans la mesure où leur vocation ne les rivait point à une œuvre déterminée qui aurait été exclusive des autres. Ils n’ont pu faire tout que parce qu’ils ne se sentaient faits spécialement de rien de tout cela.
Répétons-le : on n’entre dans un monastère que pour y trouver Dieu plus pleinement. Mais comme Dieu peut se trouver partout et en tout, aucune activité n’est donc exclue de la vie des moines, du moment qu’elle peut se concilier d’une part avec les exigences les plus générales du régime claustral, et qu’elle se trouve d’autre part correspondre à la volonté plus particulière de Dieu sur chaque âme (c'est-à-dire à ce que nous appellerions la destinée de chacun, au sens chrétien de ce mot). Quoi que fasse le moine, sa tâche lui parait toujours occasionnelle : c’est un moyen entre une infinité d’autres, mais c’est aussi le bon moyen puisqu’il lui est actuellement donné, pour s’unir à Dieu et coopérer à l’œuvre de la Création ou de la Rédemption. Le moment venu, il changera donc d’occupation sans regarder en arrière – pour autant du moins qu’il se conduit bien réellement comme un moine – montrant ainsi qu’il reste libre à l’égard de tout ce qui n’est jamais qu’une "occupation", le but de sa vie demeurant toujours au-delà, en Dieu. »
Claude Jean-Nesmy, Saint Benoit et la vie monastique
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Charité Chrétienne
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« Les monastères ont connu, à différentes époques, une richesse inouïe. Ceci n’était pas prévu par saint Benoît. [D’autant que là où séjournait saint Benoît,] au mont Cassin la bourse et les caves de l’abbaye pouvaient se trouver à peu près vide. La Règle au surplus prévoit que l’on ne cherche point à s’enrichir par des gains excessifs sur les produits du travail monastique. Mais il s’est trouvé que la foi des riches de ce monde, dans le haut Moyen Age surtout, a voulu doter les monastères. Fallait-il refuser ce don périlleux ? Les monastères préfèrent appliquer une autre règle traditionnelle de la pauvreté et du travail chrétien, que saint Benoit avait lui-même pratiquée et prescrite : le surplus, qu’on le donne aux pauvres, c'est-à-dire cette fois aux mendiants.
On se scandaliserait facilement de la fabuleuse richesse des grandes abbayes au Xè ou au XIIè siècle ; mais sait-on assez que Cluny nourrit en une seule année jusqu’à dix-sept mille pauvres, et il n’y eut guère de monastère qui n’entretînt chaque jour les indigents par centaines ? En un temps, de surcroît, où l’assistance sociale de l’Etat restait, et pour cause, à peu près nulle, les moines eurent non seulement à secourir indigents, orphelins, vieillards ou réfugiés, mais aussi à remplir les tâches couteuses dont se charge désormais l’administration publique. Si bien que, malgré leurs immenses ressources, on vit des abbés – en particulier saint Odilon de Cluny lui-même – aller jusqu’à vendre les pièces du trésor de la sacristie pour faire face aux besoins de leurs frères les pauvres, afin que "tout soit partagé à chacun selon ses besoins". »
Claude Jean-Nesmy, Saint Benoit et la vie monastique
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09/09/2018
Quelle heure est-il, Père ?
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« "Le Royaume des Cieux est comparé à un Roy, lequel voulut faire compte à ses serviteurs.
Et quand il eut commencé à faire compte, on luy en présenta un qui luy devoit dix mille talents.
Et d’autant qu’iceluy n’avoit de quoy payer, son Seigneur commanda que luy, et sa femme, et ses enfants, et tout ce qu’il avoit, fust vendu et que la debte fust payée.
Parquoy ce serviteur, se jettant à terre, le supplioit, disant : Seigneur, aye patience envers moy, et je payeray tout.
Adonc le Seigneur de ce serviteur, esmeu de compassion, le lascha, et luy quitta la debte. Mais quand ce serviteur fut party, il trouva un de ses compagnons en service, qui lui devoit cent deniers : lequel il saisit et l’estrangloit, disant : Paye-moy ce que tu dois.
Et son compagnon en service se jettant à ses pieds, le prioit en disant : Aye patience envers moy et je te payray tout.
Mais il n’en voulu rien faire, ains s’en alla et le mit en prison jusques à tant qu’il eust payé la debte.
Voyans ses autres compagnons ce qui avoit esté fait, furent fort marris : dont s’en vindrent, et narrèrent à leur Seigneur tout ce qui avoit esté fait.
Lors son Seigneur l’appela et lui dit : Meschant serviteur, je t’ay quitté toute ceste debte, pour tant que tu m’en a prié :
Ne te falloit-il pas aussi avoir pitié de ton compagnon en service, aisni que j’avoye eu pitié de toy ?
Adonc son Seigneur courroucé le bailla eux sergens, juqu’à ce qu’il luy eust payé tout ce qui luy estoit deu."
Quel texte à paraphraser, la veille du jour où on étrangle les pauvres diables ! Tous les amnistiés, tous les libérés, tous les propriétaires du pays sont là, et ils ne seraient peut-être pas absolument impossible d’atteindre la conscience de quelques uns. Mais le vicaire, qui est lui-même un pauvre diable et qui a la consigne générale de ménager les ventres pleins, tourne court sur "l’étranglement" et interprète la Parabole, si nette pourtant, si peu évasive, par le précepte infiniment élastique de pardonner les injures, noyant ainsi, dans la confiture sacerdotale de Saint Sulpice, l’indiscrète et désobligeante leçon du fils de Dieu.
Alors un nuage tombe sur Clotilde, qui s’endort. Maintenant, c’est un autre prêtre qui parle : - Voilà l’Evangile, mes frères, et voici vos cœurs. Du moins j’ose présumer que vous les avez apportés. Je veux être persuadé que vous ne les avez pas oubliés au fond de vos caisses ou de vos comptoirs, et que je ne parle pas seulement à des corps. Qu’il me soit donc permis de leur demander, à vos cœurs, s’ils ont compris quelque chose à la parabole qui vient d’être lue.
Absolument rien, n’est-ce pas ? Je m’en doutais. Il est probable que la plupart d’entre vous avaient assez à faire de compter l’argent qu’ils recevront ou qu’ils pourront recevoir demain de leurs locataires, et qui leur sera très probablement versé avec d’intérieures malédictions. Au moment où il est dit que le serviteur exonéré par son maître prend à la gorge le malheureux qui doit à lui-même une faible somme, les mains de quelques uns ou quelque uns ont dû se crisper instinctivement, à leur insu, ici même, devant le tabernacle du Père des pauvres. Et quand il l’envoie en prison, sans vouloir entendre sa prière, oh ! alors sans doute, vous avez été unanimes à vous écrier dans vos entrailles que c’était bien fait et qu’il est vraiment fâcheux qu’une pareille prison n’existe plus.
Voilà, je pense, tout le fruit de cet enseignement dominical que vos anges seuls ont écouté, avec tremblement. Vos Anges, hélas ! vos anges graves et invisibles, qui sont avec vous dans cette maison et qui, demain, seront encore avec vous quand vos débiteurs vous apporteront le pain de leurs enfants ou vous supplieront en vain de prendre patience. Les pauvres gens, eux aussi, seront escortés de leurs Gardiens, et d’ineffables colloques auront leu, tandis que vous les accablerez de votre mécontentement, ou de votre satisfaction plus cruelle, ces infortunés.
Le reste de la parabole n’est pas fait pour vous, n’est-ce pas ? L’éventualité d’un Seigneur qui vous jugerait à son tour est une invention des prêtres. Vous ne devez rien à personne, votre comptabilité est en règle, votre fortune, petite ou grande, a été gagnée le plus honorablement du monde, c’est bien entendu, et toutes les lois sont armés pour vous, même la Loi divine.
Vous n’avez pas d’idole chez vous, c'est-à-dire vous ne brûlez pas d’encens devant des images de bois ou de pierre, en les adorant. Vous ne blasphémez pas. Le Nom du Seigneur est si loin de vos pensées qu’il ne vous viendrait même pas à l’esprit de le "prendre en vain". Le dimanche, vous comblez Dieu de votre présence dans son Eglise. C’est plus convenable qu’autre chose, c’est un bon exemple pour les domestiques et cela ne fait, au demeurant, ni chaud ni froid. Vous honorez vos pères et mères, en ce sens que vous ne leur lancez pas, du matin au soir, des paquets d’ordure au visage. Vous ne tuez ni par le fer ni par le poison. Cela déplairait aux hommes et pourrait effaroucher votre clientèle. Enfin vous ne vous livrez pas à de scandaleuses débauches, vous ne faites pas des mensonges gros comme des montagnes, vous ne volez pas sur les grandes routes où on peut si facilement attraper un mauvais coup, et vous ne pillez pas non plus les caisses publiques toujours admirablement gardées. Voilà pour les commandements de Dieu.
Il est à peu près inutile de rappeler ceux de l’Eglise. Quand on est "dans le commerce", comme vous dites, on a autre chose à faire que de consulter le calendrier ecclésiastique, et il est universellement reconnu que "Dieu n’en demande pas tant". C’est une de vos maximes les plus chères. Donc, vous êtes irréprochables, vos âmes sont nettes et vous n’avez rien à craindre…
… Dieu, mes frères est terrible quand il lui plait de l’être. Il y a ici des personnes qui se croient des âmes d’élite, qui s’approchent souvent des sacrements, et qui font peser sur leur frères un fardeau plus lourd que la mort. La question est de savoir si elles seront précipitées aux pieds de leur Juge, avant d’être sorties de leur épouvantable sommeil… Les impies se croient héroïques de résister à un Tout-puissant. Ces superbes, dont quelques unes ne sont pas inaccessibles à la pitié, pleureraient de honte, s’ils pouvaient voir la misère, la désolation infinie de Celui qu’ils bravent et qu’ils outragent. Car Dieu, qui s’est fait pauvre en se faisant homme, est, en un sens, toujours crucifié, toujours abandonné, toujours expirant dans les tortures. Mais que penser de ceux-ci qui ne connurent jamais la pitié, qui sont incapables de verser des larmes, et qui ne se croient pas impies ? Et que penser enfin de ceux-là qui rêvent la vie éternelle, en bras de chemise et en pantoufles, au coin du feu de l’enfer ?
… Je vous ai parlé des locataires pauvres dont cette paroisse est suffisamment approvisionnée, et qui tremblent déjà en songeant à ce que vous pouvez leur faire souffrir demain. Ai-je parlé à une seule âme vraiment chrétienne ? Je n’ose le croire.
Ah ! que ne puis-je crier en vous ! sonner l’alarme au fond de vos cœurs charnels ! vous donner l’inquiétude salutaire, la sainte peur de trouver votre Rédempteur parmi vos victimes ? Ego sum Jesus quem tu persequeris ! est-il dit à Saint Paul fumant de rage contre les chrétiens, qui étaient alors comme les locataires de la cité du Démon et qu’on pourchassait de gîte en gîte, l’épée ou la torche dans les reins, jusqu’à ce qu’ils payassent de tout leur sang le logis permanent des cieux. Je suis Jésus que tu persécutes !
On sait que ce Maître s’est souvent caché au milieu des indigents, et quand nous faisons souffrir un homme plein de misère, nous ne savons pas quel est celui des membres du Sauveur que nous déchirons. Nous avons appris du même Saint Paul qu’il y a toujours quelque chose qui manque aux souffrances de Jésus-Christ, et que ce quelque chose doit être accompli dans les membres vivants de son Corps.
- Quelle heure est-il, Père ? disent à Dieu ses pauvres enfants, tout le long des siècles, car nous veillons "sans savoir ni le jour ni l’heure". Quand finira-t-on de souffrir ? Quelle heure est-il à l’horloge de votre interminable Passion ? Quelle heure est-il ? …
- C’est l’heure de payer son terme, ou d’aller crever dans les rue, parmi les enfants des chiens ! répond le Propriétaire…
Ah ! Seigneur ! Je suis un très mauvais prêtre. Vous m’avez confié ce troupeau dormant et je ne sais pas le réveiller. Il est si abominable, si puant, si totalement affreux pendant son sommeil !
Et voici que je m’endors à mon tour, à force de les voir dormir ! Je m’endors en lui parlant, je m’endors en priant pour lui, je m’endors au lit des agonisants et sur le cercueil des morts ! Je m’endors, Seigneur, en consacrant le Pain et le Vin du Sacrifice redoutable ! Je m’endors au Baptême, je m’endors à la Pénitence, je m’endors à l’Extrême-onction, je m’endors au sacrement de Mariage ! Quand j’unis, pour votre éternité, deux de vos images engourdies par le sommeil, je suis moi-même si appesanti que je les bénis du fond d’un songe et que c’est à peine si je ne roule pas au pied de votre autel !…
Clotilde se réveilla au moment où l’humble prêtre descendait de la chaire. Leurs regards se rencontrèrent et parce qu’elle avait le visage baigné de larmes, il dut croire que c’était son prône qui les avait fait couler. Il avait raison, sans doute, car cette voyante était tombée à un si profond sommeil qu’elle pouvait bien avoir entendu les vraies paroles qu’il n’avait osé prononcer que dans son cœur. »
Léon Bloy, La femme pauvre
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06/09/2018
La fleur et le fruit d’une civilisation
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« Notre langue est précisément la fleur et le fruit d’une civilisation absolument différente de la civilisation des Machines. Il est inutile de déranger Rabelais, Montaigne, Pascal, pour exprimer une certaine conception sommaire de la vie, dont le caractère sommaire fait précisément toute l’efficience. La langue française est une oeuvre d’art, et la civilisation des machines n’a besoin pour ses hommes d’affaires, comme pour ses diplomates, que d’un outil, rien davantage. »
Georges Bernanos, La France contre les robots
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05/09/2018
Ce trou qu'elle avait au bas du ventre
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« Je le savais, elle avait tellement besoin d'être "tronchée". Ce trou qu'elle avait au bas du ventre devait lui apparaître bien inutile. Une bite, on peut toujours la sectionner ; mais comment oublier la vacuité d'un vagin ? »
Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte
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Les juifs et les "chinetoques"...
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« — Cher Maître, dit Roger Nimier, j'ai le plaisir de vous présenter mon frère de lait, Jean Namur, qui vous admire énormément.
— Ah, répond Céline en ricanant, vous êtes venu voir la vedette !
— Cher Maître, reprend Nimier, c'est au médecin que j'aimerais m'adresser… Il s'agit d'un mal assez particulier…
— Ah oui ? fait Céline, toujours intéressé par un cas médical qui se présente. De quoi souffre-t-il ?
— Eh bien, voilà. Ce pauvre Jean est gravement atteint d'onanisme… Pouvez-vous faire quelque chose pour lui ?
— Combien de fois par jour ? Au moins dix fois, dites-vous ? Oui, c'est vraiment abusif. Il faut agir au plus vite. Un instant…
Emmitouflé dans trois épaisseurs de laine et de drap, le cou entouré d'un foulard d'un blanc douteux, Céline s'extrait de son fauteuil d'osier, chasse au passage deux chats endormis sur une table, fait crier le perroquet qui a fourré son bec dans une boîte de sardines, enfonce le bras dans un mur de papiers et revient, tenant à la main son Vidal, dont il feuillette les pages :
-— Voilà… Onanisme… Avez-vous des tremblements ?
Namur prend un air modeste et s'apprête à répondre, mais Nimier le devance :
— Oui, absolument. Le pauvre Jean est pris, par moments, de terribles tremblements.
— Je vais vous faire une ordonnance. Ne vous inquiétez pas, le rassure Céline, d'une voix très douce, comme chargée d'affection. Vous commencerez par vous tremper trois fois par jour les parties dans l'eau froide, ensuite vous appliquerez l'onguent que je vais vous indiquer et vous prendrez pendant trois mois des pilules, extrêmement efficaces.
Le plus souvent, Nimier fait le pèlerinage de Meudon le dimanche, en compagnie de Marcel Aymé et d'Antoine Blondin. Cette fois, privé de voiture, il a demandé à Namur de le conduire, le chargeant d'apporter un pot de confiture d'orange dont Céline est friand, et c'est sans doute en chemin que lui est venue l'idée de cette mystification, dont son ami Namur, qui en a l'habitude, va faire les frais.
Une autre fois, ce sera mon tour, m'attribuant un priapisme persistant, certes flatteur, mais dont il décrivit au docteur Destouches, plus connu sous le nom de Louis-Ferdinand Céline, le caractère extrêmement douloureux, avec un accent de sincérité comme seul le mensonge le plus énorme savait lui en inspirer.
(…)
Le moment est venu, d'ailleurs, de le laisser se reposer, car il commence à donner des signes de fatigue. Avant de partir, je lui transmets le salut de Marcel Aymé que j'ai vu l'avant-veille :
— Ah, cette grosse vache de Marcel… soupire-t-il, utilisant cette expression qui lui est familière.
À présent, avec Aymé, tout baigne dans l'huile. Ça n'est plus comme lorsqu'il le traitait de "petit plumaillon"… Il faut dire que Marcel Aymé a été fantastique pour lui. Quand Céline était exilé au Danemark, il a été le premier à se démener en sa faveur. "C'est le plus grand écrivain français et, sans doute, le plus grand lyrique que nous ayons jamais eu", s'épuisait-il à répéter à tous vents, afin de convaincre les juges et la presse de réviser leur conviction toute faite. Cela n'a pas empêché l'impossible Céline, lors d'une visite de Marcel Aymé, à Meudon, de lui sortir une énormité. À savoir qu'il avait "une sale tête de juif" ! Ils sont restés brouillés quinze jours. Céline, heureusement, n'en veut jamais bien longtemps à ceux à qui il fait, verbalement, du mal…
À propos des "sales têtes de juif", Frédéric Vitoux, auteur de la magnifique et insurpassable "Vie de Céline" (Grasset) où il a réussi l'exploit de fourrer le bonhomme tout entier dans un livre et de l'y conserver vif, me racontera, près de quarante ans plus tard, deux anecdotes, tenues de la bouche même d'un témoin, qui éclairent l'antisémitisme obsessionnel de Céline, d'un jour particulier, à la limite de la parodie volontaire.
Céline qui, durant toute l'Occupation, n'a quasiment pas fréquenté les Allemands — en tout cas infiniment moins que l'éminent Claudel ou le charmant Cocteau — s'est laissé convaincre, tout à la fin, par Jacques Benoist-Méchin, d'assister à un dîner à l'ambassade d'Allemagne chez Otto Abetz, qui recevait quelques collaborateurs notoires et des personnalités nazies.
Comme Céline restait silencieux, Otto Abetz entreprit de lui poser quelques questions anodines, du genre : "Que faites-vous en ce moment ?" — "Eh bien, répondit Céline, je me pose une question à propos d'Hitler : comment se fait-il qu'on laisse un juif à la tête de l'Allemagne ?"
On imagine le silence qui s'ensuivit et l'épouvantable embarras d'Abetz qui savait qu'à coup sûr, on allait répéter en haut lieu ce propos insensé et que, d'une manière ou d'une autre, on l'en tiendrait responsable. Alors, très finement, le diplomate fit un signe au majordome et dit à haute voix : "M. Céline est pris d'un malaise. Appelez vite une voiture et qu'on le ramène d'urgence à son domicile !"
Pris de court, Céline, sans réagir, se laissa embarquer, et son hôte put enfin respirer.
L'autre "célinade" — dont Ramon Fernandez avait été le témoin — intervint après le débarquement, alors que les soldats allemands — de tous âges et en pleine déconfiture — traversaient la capitale. Alors que son compagnon avec qui il marchait rue de Rivoli relevait leur triste allure, Céline se pencha vers lui et lui dit, sur le ton de la confidence : "Mais regardez-les ! Vous n'avez pas remarqué ? Ce sont tous des juifs !"
Mais retournons à l'instant où Nimier et moi allons prendre congé. À peine Céline vient-il de dire de Marcel Aymé : "Ah, ce vicieux, quel véritable ami !" que je prononce innocemment le nom de Gen Paul.
Aussitôt, Céline entre dans une fureur noire : "Ah, le pourri ! La bête à fric !", etc. Son vieil ami Gen Paul, qui était prudemment parti visiter les États-Unis à la fin de la guerre, ne lui avait pas pardonné de l'avoir "mouillé" avec l'Occupant. Et, depuis lors, il s'abstenait soigneusement de tout contact avec le "pestiféré".
Mais le lait bouillant retombe aussi vite qu'il avait monté et, d'une voix bien calme, Céline nous dit, en guise d'adieu: "De toute façon, on en a rien à foutre. Les Chinetoques viendront bientôt régler tout ça".
Le 4 juillet 1961, devant le caveau provisoire, au cimetière de Meudon, il n'y aura pas foule autour du cercueil de Louis-Ferdinand Céline. Il y aura beaucoup mieux que cela : une cinquantaine de vrais amis, au premier rang desquels Marcel Aymé et Roger Nimier. À côté du "désastreux épicier", Gaston Gallimard, profondément ému.
Il n'y aura pas non plus de vibrant discours. C'est dans Paris-Presse, du même jour, que Kléber Haedens écrira la plus belle épitaphe qui pouvait honorer "le Breton qui rêvait du grand large et était resté ligoté à la terre, le marin des traversées fantômes, perdu enfin de l'autre côté de la vie" : "Depuis ce matin, la voix de Céline écrase les puissances liguées, cette voix formidable que l'on a voulu étouffer sous les cendres et qui va résonner jusqu'à la fin des temps." »
Christian Millau, Au galop des Hussards
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04/09/2018
Un total retour sur soi-même
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« A la fin de la première guerre mondiale, la révolution communiste était une menace immédiate pour toute l’Europe. Le danger détermine toujours un mouvement de défense : les mouvements fascistes en profitèrent. Seule force capable de s’opposer à la violence des rouges, le fascisme reçut de puissants appuis et l’adhésion massive de partisans. Aujourd’hui, le "Soir du Grand Soir", les soviets d’usine, les tchékas appartiennent au passé. Les communistes d’Occident se sont embourgeoisés, ils font partie du décor, ils sont les plus fermes défenseurs du régime. L’homme-au-couteau-entre-les-dents n’est plus le communiste mais l’activiste. Quant à la Russie, les capitalistes y voient un nouveau marché. Au contraire de la première moitié du XXème siècle, la satisfaction des besoins matériels élémentaires semble à portée de main de tous. Les soupes populaires, les grèves sauvages sont oubliées. Hormis quelques catégories minoritaires menacées, la grande masse des salariés est convaincue d’avoir plus à perdre qu’à gagner à vouloir arracher par la violence ce que les revendications pacifiques et le temps lui donneront inéluctablement. Le carcan des lois sociales et le chantage au crédit font le reste pour lui retirer toute combativité. Le sens de l’intérêt général, le courage civique et politique sont aujourd’hui le fait d’une très petite minorité, injuriée, dont on a limité systématiquement les moyens d’expression légaux. Cela nous éloigne fort de l’Italie des années 20. Le génie personnel de Mussolini pouvait suffire à grouper une masse passionnée, disponible, et à conquérir un Etat incapable de se défendre.
Telle n’est plus la situation en Europe et en France. Puisque la puissance appartient à l’adversaire, il faut une ruse supérieure. Puisque le "grand homme" (inexistant d’ailleurs) s’est par trop déprécié, il faut miser sur l’équipe. Qualité des combattants, combat méthodique et raisonné, direction collégiale, imposent : enseignement, doctrine. Depuis 1947, l’armée française engagée à défendre les terroristes d’outremer, est victorieuse, sur le terrain et contrainte aux capitulations successives par l’ensemble des forces politiques et économiques qui constitue le régime. Il a fallu attendre le mois d’Avril 1961, quatorze années, pour qu’un nombre infime de cadres entrevoient leur véritable ennemi. Un ennemi qui se trouvait moins sur le terrain, sous l’aspect du Viet ou du fellagha, qu’en France même, dans les conseils d’administration, les banques, les salles de rédaction, les assemblées et les bureaux ministériels. Encore ce sentiment hostile à une mythique Métropole décadente qu’à la réalité du régime. Cette prise de conscience limitée fut sans lendemain. Pour vaincre, il faut comprendre ce qu’est le régime, découvrir ses méthodes, débusquer ses complices, ceux qui se camouflent en patriotes. Il faut se déterminer les solutions positives qui permettront de construire la société de demain. Cela nécessite un total retour sur soi-même, une totale révision des vérités apprises, une conscience révolutionnaire. »
Dominique Venner, Pour une critique positive
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Ils vont seuls, avec lenteur...
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« Les internautes naviguent dans les corridors virtuels du cyberworld, des hordes en rollers transhument dans les couloirs de bus. Des millions de têtes sont traversées par les particules ondulatoires des SMS. Des tribus de vacanciers pareils aux gnous d'Afrique migrent sur les autoroutes vers le soleil, le nouveau dieu !
C'est en vogue : on court, on vaque. On se tatoue, on se mondialise. On se troue de piercings pour avoir l'air tribal. Un touriste s'envoie dans l'espace pour vingt millions de dollars. "Bougez-vous !" hurle la pub. "À fond la forme !" On se connecte, on est joignable en permanence. On s'appelle pour faire un jogging. L'État étend le réseau de routes : la pieuvre de goudron gagne. Le ciel devient petit : il y a des collisions d'avions. Pendant que les TGV rusent, les paysans disparaissent. "Tout fout le camp", disent les vieux qui ne comprennent rien. En fait, rien ne fout le camp, ce sont les gens qui ne tiennent plus en place. Mais ce nomadisme-là n'est qu'une danse de Saint-Guy.
C'est la revanche d'Abel. Selon la Bible, Caïn, le paysan, a tué son frère Abel, le berger, d'un coup de pierre à la tête. Ce geste fut à l'origine de l'hostilité entre les cultivateurs et les nomades. Depuis, l'ordre du monde reposait sur la puissance des premiers : la charrue était supérieure au bâton du pâtre. Mais les temps du néo-nomadisme sont arrivés !
Le nomadisme historique, lui, est une malédiction de peuples éleveurs poussant leurs bêtes hors de la nuit des temps et divaguant dans les territoires désolés du monde, à la recherche de pâturages pour leur camp. Ces vrais nomades sont des errants qui rêveraient de s'installer. Il ne faut pas confondre leurs lentes transhumances, inquiètes et tragiques, avec les tarentelles que dansent les néo-agités du XXIe siècle, au rythme des tendances urbaines.
Il est cependant une autre catégorie de nomades. Pour eux, ni tarentelle ni transhumance. Ils ne conduisent pas de troupeaux et n'appartiennent à aucun groupe. Ils se contentent de voyager silencieusement, pour eux-mêmes, parfois en eux-mêmes. On les croise sur les chemins du monde. Ils vont seuls, avec lenteur, sans autre but que celui d'avancer. »
Sylvain Tesson, Petit traité sur l'immensité du monde
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03/09/2018
Diversité
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« Qui détruit l’identité d’un autre ne renforce pas la sienne, mais la rend plus vulnérable, plus menacée encore dans un monde qui a perdu un peu plus de sa diversité. »
Alain de Benoist, Vu de droite
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02/09/2018
Fou
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« Autant être fou parmi les hommes, ainsi que je le suis, plutôt que de partager la moindre parcelle des sentiments abjects qui animent les hommes sensés ! »
Jean Raspail, Moi, Antoine de Tounens, Roi de Patagonie
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Habiter l'instant
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« Je dois à mon enfance la conscience de la nature. Il me suffit de fermer les yeux pour revoir ces images transparentes de pur bonheur qui n'ont pas été effacées par mes années de braises. […] La magie de l'enfance repose beaucoup sur cette capacité à vivre et ressentir dans le même mouvement, à habiter l'instant de tout son être. »
Hélie de Saint Marc, Les Sentinelles du soir
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01/09/2018
L'habileté du système...
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« L'habileté du système, il faut le reconnaître, à été de compenser l'assèchement de la vie personnelle et l'évaporation des solidarités communautaires par de la consommation, de la bureaucratie, des spectacles et du sexe. »
Dominique Venner, Le Siècle de 1914
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31/08/2018
Une masse d'insignifiance
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« Trop d'objets, trop d'images, trop de signes se neutralisant en une masse d'insignifiance, qui n'a cessé d'envahir le paysage pour y opérer une constante censure par l'excès.
Le fait est qu'il n'aura pas fallu longtemps pour que ce "trop de réalité" se transforme en un "trop de déchets". Déchets nucléaires, déchets chimiques, déchets organiques, déchets industriels en tous genres, mais aussi déchets de croyances, de lois, d'idées dérivant comme autant de carcasses et de carapaces vides dans le flux du périssable. Car s'il est une caractéristique du siècle commençant, c'est bien ce jetable qu'on ne sait plus ni où ni comment jeter et encore moins penser.
De là, un enlaidissement du monde qui progresse sans que l'on y prenne garde, puisque c'est désormais en-deçà des nuisances spectaculaires, que, d'un continent à l'autre, l'espace est brutalisé, les formes déformées, les sons malmenés jusqu'à modifier insidieusement nos paysages intérieurs. »
Annie Le Brun, Ce qui n'a pas de prix - Beauté, laideur et politique
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La beauté et la laideur constituent un enjeu politique
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« C’est la guerre, une guerre qui se déroule sur tous les fronts et qui s’intensifie depuis qu’elle est désormais menée contre tout ce dont il paraissait impossible d’extraire de la valeur. S’ensuit un nouvel enlaidissement du monde. Car, avant même le rêve ou la passion, le premier ennemi aura été la beauté vive, celle dont chacun a connu les pouvoirs d’éblouissement et qui, pas plus que l’éclair, ne se laisse assujettir.
Y aura considérablement aidé la collusion de la finance et d’un certain art contemporain, à l’origine d’une entreprise de neutralisation visant à installer une domination sans réplique. Et comme, dans le même temps, la marchandisation de tout recours à une esthétisation généralisée pour camoufler le fonctionnement catastrophique d’un monde allant à sa perte, il est évident que beauté et laideur constituent un enjeu politique.
Jusqu’à quand consentirons-nous à ne pas voir combien la violence de l’argent travaille à liquider notre nuit sensible, pour nous faire oublier l’essentiel, la quête éperdue de ce qui n’a pas de prix ? »
Annie Le Brun, Ce qui n'a pas de prix - Beauté, laideur et politique
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30/08/2018
Les bailleurs de fonds de la Presse aux ordres
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« Je sais la réponse des anarchistes :
— Eh bien, on le saura et on le dira ; l'Opinion libre fournira des armes contre l'Opinion achetée. L'Intelligence se ressaisira. Elle va flétrir cet Argent qu'elle vient de subir. Ce n'est pas d'aujourd'hui que la ploutocratie aura tremblé devant les tribuns. Nouvelle illusion d'une qualité bien facile !
Si des hommes d'esprit ne prévoient aucune autre revanche contre l'Argent que la prédication de quelque Savonarole laïque, les gens d'affaires ont pressenti l'événement et l'ont prévenu. Ils se sont assuré la complicité révolutionnaire. En ouvrant la plupart des feuilles socialistes et anarchistes et nous informant du nom de leurs bailleurs de fonds, nous vérifions que les plus violentes tirades contre les riches sont soldées par la ploutocratie des deux mondes. À la littérature officielle, marquée par des timbres et des contre-seings d'un État qui est le prête-nom de l'Argent, répond une autre littérature, qui n'est qu'officieuse encore et que le même Argent commandite et fait circuler. Il préside ainsi aux attaques et peut les diriger. Il les dirige en effet contre ce genre de richesses qui, étant engagé dans le sol ou dans une industrie définie, garde quelque chose de personnel, de national et n'est point la Finance pure. La propriété foncière, le patronat industriel offrent un caractère plus visible et plus offensant pour une masse prolétaire que l'amas invisible de millions et de milliards en papier. Les détenteurs des biens de la dernière sorte en profitent pour détourner contre les premiers les fières impatiences qui tourmentent tant de lettrés. Mais le principal avantage que trouve l'Argent à subventionner ses ennemis déclarés provient de ce que l'Intelligence révolutionnaire sort merveilleusement avilie de ce marché. Elle y perd sa seule source d'autorité, son honneur ; du même coup, ses vertueuses protestations tombent à plat.
La Presse est devenue une dépendance de la finance. Un révolutionnaire, M. Paul Brulat, a parlé récemment de sauver l'indépendance de la Pensée humaine. Il la voyait donc en danger. "La combinaison financière a tué l'idée, la réclame a tué la critique." Le rédacteur devient un "salarié", "son rôle est de divertir le lecteur pour l'amener jusqu'aux annonces de la quatrième page." "On n'a que faire de ses convictions. Qu'il se soumette ou se démette. La plupart, dont la plume est l'unique gagne-pain, se résignent, deviennent des valets." Aussi, partout "le chantage sous toutes ses formes, les éloges vendus, le silence acheté… Les éditeurs traitent ; les théâtres feront bientôt de même. La critique dramatique tombera comme la critique littéraire."
M. Paul Brulat ne croit pas à la liberté de la Presse, qui n'existe même point pour les bailleurs de fonds des journaux : "Non, même pour ceux-ci, elle est un leurre. Un journal, n'étant entre leurs mains qu'une affaire, ne saurait avoir d'autre soucis que de plaire au public, de retenir l'abonné 30." Sainte-Beuve, en observant, dès 1839, que la littérature industrielle tuerait la critique, commençait à sentir germer en lui le même scepticisme que M. Paul Brulat. Une même loi "libérale", disait-il, la loi Martignac, allégea la Presse "à l'endroit de la police et de la politique", mais "accrut la charge industrielle des journaux".
Ce curieux pronostic va plus loin que la pensée de celui qui le formulait. Il explique la triste histoire de la déconsidération de la Presse en ce siècle-ci. En même temps que la liberté politique, chose toute verbale, elle a reçu la servitude économique, dure réalité, en vertu de laquelle toute foi dans son indépendance s'effaça, ou s'effacera avant peu. Cela à droite comme à gauche. On représentait à un personnage important du monde conservateur que le candidat proposé pour la direction d'un grand journal cumulait la réputation de pédéraste, d'escroc et de maître-chanteur : "Oh !" murmura ce personnage en haussant les épaules, "vous savez bien qu'il ne faut pas être trop difficile en fait de journalistes !" L'auteur de ce mot n'est cependant pas duc et pair ! Il peignait la situation. On discuta jadis de la conviction et de l'honorabilité des directeurs de journaux. On discute de leur surface, de leur solvabilité et de leur crédit. Une seule réalité énergique importe donc en journalisme : l'Argent, avec l'ensemble des intérêts brutaux qu'il exprime. Le temps paraît nous revenir où l'homme sera livré à la Force pure, et c'est dans le pays où cette force a été tempérée le plus tôt et le plus longtemps, que se rétablit tout d'abord, et le plus rudement, cette domination. »
Charles Maurras, "L'esprit révolutionnaire et l'argent" in L'avenir de l'intelligence
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L'État-Argent administre, dore et décore l'Intelligence ; mais il la musèle et l'endort
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« Heureux donc les peuples modernes qui sont pourvus d'une puissance politique distincte de l'Argent et de l'Opinion ! Ailleurs, le problème n'est peut-être que d'en retrouver un équivalent. Mais ceci n'est pas très facile en France, et l'on voit bien pourquoi.
Avant que notre État se fût fait collectif et anonyme sans autres maîtres que l'Opinion et l'Argent, tous deux plus ou moins déguisés aux couleurs de l'Intelligence, il était investi de pouvoirs très étendus sur la masse des citoyens. Or, ces pouvoirs anciens, l'État nouveau ne les a pas déposés, bien au contraire. Les maîtres invisibles avaient intérêt à étendre et à redoubler des pouvoirs qui ont été étendus et redoublés en effet. Plus l'État s'accroissait aux dépens des particuliers, plus l'Argent, maître de l'État, voyait s'étendre ainsi le champ de sa propre influence. Ce grand mécanisme central lui servait d'intermédiaire ; par là, il gouvernait, il dirigeait, il modifiait une multitude d'activités dont la liberté ou l'extrême délicatesse échappent à l'Argent, mais n'échappent point à l'État. Exemple : une fois maître de l'État, et l'État ayant mis la main sur le personnel et sur le matériel de la religion, l'Argent pouvait agir par des moyens d'État sur la conscience des ministres des cultes et, de là, se débarrasser de redoutables censures. La religion est, en effet, le premier des pouvoirs qui se puisse opposer aux ploutocraties, et surtout une religion aussi fortement organisée que le catholicisme ; érigée en fonction d'État, elle perd une grande partie de son indépendance et, si l'Argent est maître de l'État, elle y perd son franc-parler contre l'Argent. Le pouvoir matériel triomphe sans contrôle de son principal antagoniste spirituel.
Si l'État vient à bout d'une masse de plusieurs centaines de milliers de prêtres, moines, religieux et autres bataillons ecclésiastiques, que deviendront devant l'État les petites congrégations flottantes de la pensée dite libre ou autonome ? Le nombre et l'importance de celles-ci sont d'ailleurs bien diminués, grâce à l'Université, qui est d'État. Avec les moyens dont l'État dispose, une obstruction immense se crée dans le domaine scientifique, philosophique, littéraire. Notre Université entend accaparer la littérature, la philosophie, la science. Bons et mauvais, ses produits administratifs étouffent donc, en fait, tous les autres, mauvais et bons. Nouveau monopole indirect au profit de l'État. Par ses subventions, l'État régente ou du moins surveille nos différents corps et compagnies littéraires ou artistiques. Il les relie ainsi à son propre maître, l'Argent. Il tient de la même manière plusieurs des mécanismes par lesquels se publie, se distribue et se propage toute pensée. En dernier lieu, ses missions, ses honneurs, ses décorations lui permettent de dispenser également des primes à la parole et au silence, au service rendu et au coup retenu. Les partis opposants, pour peu qu'ils soient sincères, restent seuls en dehors de cet arrosage systématique et continuel. Mais ils sont peu nombreux, ou singulièrement modérés, respectueux, diplomates ; ce sont des adversaires qui ont des raisons de craindre de se nuire à eux-mêmes en causant au pouvoir quelque préjudice trop grave. L'État français est uniforme et centralisé ; sa bureaucratie atteignant jusqu'aux derniers pupitres d'école du dernier hameau, un tel État se trouve parfaitement muni pour empêcher la constitution de tout adversaire sérieux, non seulement contre lui-même, mais contre la ploutocratie dont il est l'expression.
L'État-Argent administre, dore et décore l'Intelligence ; mais il la musèle et l'endort. Il peut, s'il le veut, l'empêcher de connaître une vérité politique et, si elle voit cette vérité, de la dire, et, si elle la dit, d'être écoutée et entendue. Comment un pays connaîtrait-il ses besoins, si ceux qui les connaissent peuvent être contraints au silence, au mensonge, ou à l'isolement ? »
Charles Maurras, "L'État esclave, mais tyran" in L'avenir de l'intelligence
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29/08/2018
Le commerçant reste commerçant, le poète, poète
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« On me dit que le socialisme arrangera tout.
Lorsque le mineur deviendra propriétaire de la mine, l'homme de lettres recevra la propriété des instruments de publicité qui sont affectés à son industrie. Il cessera d'être exploité par son libraire ; son directeur de journal ou son directeur de revue ne s'engraisseront plus du fruit de ses veilles, le produit intégral lui en sera versé.
Devant ce rêve, il est permis d'être sceptique ou d'être inquiet. Je suis sceptique, si la division du travail est maintenue ; car, de tout temps, les Ordres actifs, ceux qui achètent, vendent, rétribuent et encaissent, se sont très largement payés des peines qu'ils ont prises pour faire valoir les travaux des pauvres Ordres contemplatifs. S'il y a des libraires ou des directeurs dans la chiourme socialiste, ils feront ce qu'ont fait leurs confrères de tous les temps ; avec justice s'ils sont justes, injustement dans l'autre cas, qui n'est pas le moins naturel.
Mais, si l'on m'annonce qu'il n'y aura plus ni libraires ni directeurs, c'est pour le coup que je me sentirai inquiet ; car qu'est-ce qui va m'arriver ? Est-ce que le socialisme m'obligera à devenir mon propre libraire ? Serai-je en même temps écrivain, directeur de journal, directeur de revue, et, dieux du Ciel ! maître-imprimeur ? J'honore ces professions. Mais je ne m'y connais ni aptitude, ni talent ni goût, et je remercie les personnes qui veulent bien tenir à ma place ces fonctions et s'y faire mes intendants pour l'heureuse décharge que leur activité daigne me procurer ; la seule chose que je leur demande, quand traités sont signés et comptes réglés, est de faire au mieux leurs affaires, pour se mêler le moins possible de la mienne qui n'est que de mener à bien ma pensée ou ma rêverie.
Ces messieurs ne feraient rien sans nous assurément ! Mais qu'est-ce que nous ferions sans eux ? L'histoire entière montre que, sauf des exceptions aussi merveilleuses que rares, les deux classes, les deux natures d'individus sont tranchées et irréductibles l'une à l'autre. Ne les mêlons pas. Un véritable écrivain doué pour faire sa fortune sera toujours bien distancé par un bon imprimeur ou un bon marchand de papier également doué pour le même destin. Le régime socialiste ne peut pas changer grand-chose à cette loi de la nature ; il y a là, non point des quantités fixées qui peuvent varier avec les conditions économiques et politiques, mais un rapport psychologique qui se maintient quand les quantités se déplacent.
Qu'espèrent les socialistes de leur système ? Un peu plus de justice, un peu plus d'égalité ? Je le veux. Mais, que la justice et l'égalité abondent ou bien qu'elles se raréfient dans la vie d'un État, le commerçant reste commerçant, le poète, poète ; pour peu que celui-ci s'absente dans son rêve, il perd un peu du temps que l'autre continue d'utiliser à courir l'or qu'ils cherchent ensemble. L'or socialiste reste donc aux doigts du commerçant socialiste dont le poète socialiste reste assez démuni.
Il faut laisser la conjecture économique, qui ne saurait changer les cœurs, en dépit des braves prophéties de Benoît Malon. Il faut revenir au présent. »
Charles Maurras, "Le socialisme" in L'avenir de l'intelligence
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28/08/2018
Ces chairs se gâtent vite...
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« Être passé de la chair à canon à la chair à consensus et à la pâte à informer est certes un progrès. Mais ces chairs se gâtent vite : la matière première consensuelle se transforme en une unanimité populiste des majorités silencieuses qui n'est jamais innocente. À ce populisme classique se greffe désormais un nouveau populisme yuppie – un techno-populisme – qui entend bien afficher sa post-modernité carnassière, prompte à digérer le best of des biens et des services de la planète. »
Gilles Châtelet, Vivre et penser comme des porcs
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Inféodé à la commande sociale
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« Promouvoir un travail sans temporalité propre, totalement inféodé à la commande sociale – qu'elle vienne du fouet ou de la faim pour le travail-corvée ou d'une psychologie mutilée de cyber-zombie pour la Surclasse –, incapable de s'articuler avec une intensification de l'individuation pour de grandes masses humaines, bref, se contenter de faire proliférer les cas particuliers d'une espèce : serait-ce tout ce qu'il reste à espérer de l'humanité ? »
« Le travail est écartelé entre le travail-corvée de la survie et le travail-performance de la surclasse. C’est négliger que seul le travail-patience entraine une amplification inouïe de la liberté à la fois en extension, par le développement de la puissance d’agir de chacun, et en intensité, par la découverte d’une plasticité propre à l’individualité humaine. »
Gilles Châtelet, Vivre et penser comme des porcs
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27/08/2018
Sous-préfecture
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« La République n'est plus orgueilleuse : elle accepte enfin un destin adapté à ses moyens — celui de sous-préfecture "démocratique" du Nouvel Ordre mondial. »
Gilles Châtelet, Vivre et penser comme des porcs
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Gens d'inclémence...
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« Obéissez à vos porcs qui existent. Je me soumets à mes dieux qui n’existent pas.
Nous restons gens d’inclémence. »
René Char, La Parole en archipel
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26/08/2018
Avilissement
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« Le Progrès se réduit finalement à voler à l’homme ce qui l’ennoblit, pour lui vendre au rabais ce qui l'avilit. »
Nicolás Gómez Dávila, Les horreurs de la démocratie
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Historiquement Show : Spéciale Maurras Charles
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25/08/2018
L'espérance d'une nouvelle floraison de l'Occident
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« Le nazisme n'a pas été coupable seulement des atrocités qu'il a commises.
En se prétendant proche de certains nobles thèmes de la méditation germanique, il a en même temps assassiné l'espérance d'une nouvelle floraison de l'Occident. »
Nicolás Gómez Dávila, Le Réactionnaire authentique
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24/08/2018
Charles Maurras et ses héritiers
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Par Alain Finkielkraut. Avec Olivier Dard et François Huguenin.
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