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01/01/2019

Plein le dos de la France, surtout plein le dos de l’Europe, plein le dos de la terre

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« 1er janvier 1945.

La tentation revient, très forte. Peut-être ai-je ce qu’il faut pour le faire : un peu de laudanum mélangé à quelques pilules de dialeate (?). Je le ferai dans un bois, ou près d’une rivière, et tomberai dans la rivière endormi. J’ai peur du froid de la rivière. Mais j’en ai plein le dos de ce nouveau roman, plein le dos de la maison, plein le dos de la France, surtout plein le dos de l’Europe, plein le dos de la terre. Je n’arrive plus à m’intéresser aux "choses", aux "gens", aux "problèmes".

Je lis un vieux manuel de psychopathie : Maniaques, fous, mélancoliques, vous êtes frères. Quelle petite différence entre vous et nous : peut-être dira-t-on que j’étais fou.

Et je suis si calme, si lucide.

— Il y a aussi un point d’honneur : "Quand on a commencé une telle chose, il faut la finir", dit le samouraï.

— À d’autres moments, je pense à mes "camarades" en prison. Pas un seul, au cours du procès, ne semble avoir montré de la fierté. Ils étaient abattus, nous l’étions tous : j’irais et je montrerais qu’il y avait des gens bien à avoir ces idées. Un et deux. 1 et 2 prouvent que je suis encore, dans mes parties les plus faibles, plein de pensées frivoles.

Je n’ai fait aucun progrès dans la concentration. La raison en est ce roman qui me distrait. Et, aussi, je ne suis pas un homme capable de se concentrer, je suis le dernier à pouvoir le faire. Je suis un homme de rêve, ce qui est autre chose. »

Pierre Drieu la Rochelle, Journal (1944-1945)

 

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19/11/2018

De Gaulle, Pétain, la France : Finkielkraut reçoit Eric Zemmour et Paul Thibaud

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05/11/2018

Un moyen d’abréger miséricordieusement le massacre en Orient

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« Jusqu’alors nous avions envisagé l’assaut de l’archipel nippon sous forme de bombardements aériens effroyables et de débarquements de très grandes armées. Nous nous attendions à ce que les Japonais résistent jusqu’à la mort, dans la tradition des samouraïs, non seulement lors de batailles rangées, mais aussi dans chaque souterrain et chaque fossé. J’avais toujours présent à l’esprit le spectacle de l’ile d’Okinawa, où des milliers de Japonais, refusant de se rendre, s’étaient alignés et suicidés avec des grenades après que leurs chefs eurent solennellement accompli les rites du hara-kiri. Réduire cette résistance homme par homme et conquérir le pays mètre par mètre pouvait coûter le sacrifice d’un million de soldats américains et d’un demi-million de Britanniques – voire davantage si nous pouvions les acheminer jusque-là, car nous étions résolus à partager l’épreuve. Or, voici que s’évanouissaient ces visions dantesques, remplacées par la perspective – apparemment séduisante et lumineuse – de mettre fin à la guerre en une ou deux violentes secousses. Je pensai immédiatement que le peuple japonais, dont j’avais toujours admiré le courage, pouvait trouver dans l’apparition de cette arme presque surnaturelle un prétexte pour sauver l’honneur et se libérer de l’obligation de se faire tuer jusqu’au dernier combattant.

De plus, nous n’aurions plus besoin des Russes : la fin de la guerre contre le Japon ne dépendait plus du déferlement de leurs armées pour participer au massacre final et sans doute prolongé ; nous n’avions plus de faveur à leur demander. L’ensemble des problèmes européens pouvait donc être traité indépendamment et conformément aux grands principes des Nations unies. Nous paraissions être soudainement entrés en possession d’un moyen d’abréger miséricordieusement le massacre en Orient et de voir s’ouvrir des perspectives bien plus souriantes en Europe. Je ne doutais pas que ces mêmes pensées habitaient l’esprit de nos amis américains. En tout cas la question de savoir s’il fallait ou non utiliser la bombe atomique ne se posa pas un seul instant ; prévenir une immense et interminable boucherie, terminer la guerre, apporter la paix au monde, imposer des mains apaisantes sur les blessures de ses populations torturées grâce à la démonstration de puissance irrésistible de quelques explosions, voilà qui apparaissait comme un miracle de délivrance survenant après tous nos tourments et tous nos périls.

Les Britanniques avaient donné leur consentement de principe à l’emploi de l’arme dès le 4 juillet, avant que l’essai n’eut été effectué. Il appartenait désormais au président Truman, qui disposait de l’engin, de prendre la décision définitive ; mais je ne doutais pas un seul instant de ce qu’elle serait, pas plus que je n’ai douté depuis lors de sa justesse. Il demeure historiquement établi, et il faudra en juger avec le recul, que la question de l’utilisation de la bombe atomique pour contraindre le Japon à capituler ne s’est pas même posée. Autour de notre table, l’accord fut unanime, automatique et incontesté, et je n’ai jamais entendu personne laisser entendre le moins du monde que nous aurions dû agir autrement. »

Winston Churchill, Mémoires de Guerre, 1941-1945

 

 

 

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03/11/2018

Couples...

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« À quel point le registre des caresses est limité, cela est lugubre. Ces couples, aussi identiques l’un à l’autre dans ce qu’ils ressentaient, qu’ils l’étaient dans leur posture, finirent par l’excéder, avec leur conviction qu’il n’y avait qu’eux au monde, les sourires qu’ils vous adressaient pour vous convier à admirer leur bonheur, tout cela pour finir par le vitriol et les intraveineuses. Vraiment, une masse cyclopéenne de vulgarité (littérature, cinéma, journaux, romances…) pesait sur ce pauvre couple homme-femme ; il était amer de ne pouvoir sortir de là. »

Henry de Montherlant, Les jeunes filles

 

 

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02/11/2018

Il rend les hommes idolâtres d'eux-mêmes

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« L’amour-propre est l’amour de soi-même et de toutes choses pour soi (*1*) ; il rend les hommes idolâtres d'eux-mêmes, et les rendrait les tyrans des autres, si la fortune leur en donnait les moyens. Il ne se repose jamais hors de soi, et ne s’arrête dans les sujets étrangers que comme les abeilles sur les fleurs, pour en tirer ce qui lui est propre. Rien n’est si impétueux que ses désirs ; rien de si caché que ses desseins, rien de si habile que ses conduites ; ses souplesses ne se peuvent représenter, ses transformations passent celles des métamorphoses, et ses raffinements ceux de la chimie. On ne peut sonder la profondeur, ni percer les ténèbres de ses abîmes : là il est à couvert des yeux les plus pénétrants; il y fait mille insensibles tours et retours ; là il est souvent invisible à lui-même; il y conçoit, il y nourrit et il y élève, sans le savoir, un grand nombre d’affections et de haines; il en forme de si monstrueuses que, lorsqu’il les a mises au jour, il les méconnaît, ou il ne peut se résoudre à les avouer. De cette nuit qui le couvre naissent les ridicules persuasions qu’il a de lui-même : de là viennent ses erreurs, ses ignorances, ses grossièretés et ses niaiseries sur son sujet ; de là vient qu’il croit que ses sentiments sont morts lorsqu’ils ne sont qu’endormis, qu’il s’imagine n’avoir plus envie de courir dès qu’il se repose, et qu'il pense avoir perdu tous les goûts qu'il a rassasiés. Mais cette obscurité épaisse qui le cache à lui-même, n’empêche pas qu’il ne voie parfaitement ce qui est hors de lui : en quoi il est semblable à nos yeux, qui découvrent tout et sont aveugles seulement pour eux-mêmes. »

(*1*) Pascal (Pensées, article II, 8) : "La nature de l'amour-propre et de ce moi humain est de n’aimer que soi et de ne considérer que soi " — Meré (maxime 531) : "C’est quelque chose de si commun et de si fin que l’intérêt, qu’il est toujours le premier mobile de nos actions, le dernier point de vue de nos entreprises..."

François de La Rochefoucauld, Réflexions ou sentences et maximes morales

 

 

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29/10/2018

Athènes et Jérusalem

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« Les Grecs sont, avec les Juifs, la race du monde la plus férue de politique. Si désespérée que soit leur situation, si grave que soit le péril menaçant leur pays, ils restent divisés en maints partis, avec de nombreux chefs qui se combattent avec acharnement. On a dit très justement que partout où il y avait trois Juifs, on trouve deux premiers ministres et un chef de l’opposition ; il en est de même pour cette autre race ancienne et célèbre, dont la lutte pour la vie, tumultueuse et sans fin, remonte aux origines de la pensée humaine. Il ne s’est pas trouvé deux autres races pour marquer le monde d’une empreinte si profonde. Elles ont montré toutes deux une capacité de survie, malgré les périls incessants et les souffrances infligées par des oppresseurs étrangers, qui n’avait d’égale que leur pouvoir de fomenter éternellement des vengeances, des discordes et des convulsions intestines.

Le passage des millénaires n’a en rien modifié leur caractère ni diminué leurs épreuves ou leur vitalité ; elles ont survécu en dépit de toute l’hostilité du monde à leur égard, de tout le mal qu’elles ont pu s’infliger, et l’une comme l’autre, sous des aspects si différents, nous a légué l’héritage de son génie et de sa sagesse. Il n’y a pas deux autres cités qui aient compté autant pour l’humanité qu’Athènes et Jérusalem ; leurs messages religieux, philosophiques et artistiques ont été les phares dominants de la foi et de la culture modernes. Malgré des siècles de domination étrangère et d’une oppression aussi indescriptible qu’inimaginable elles restent dans le monde moderne des collectivités et des forces vivantes, actives, se disputant entre elles avec une insatiable ardeur. Pour ma part, j’ai toujours pris le parti de l’une comme de l’autre et je crois à leur invincible pouvoir de survivre à toutes les querelles internes et à toutes les tourmentes du monde qui menacent de les anéantir. »

Winston Churchill, Mémoires de Guerre, 1941-1945

 

 

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23/10/2018

Eric Zemmour : La France (Sud Radio)

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22/10/2018

Stéphane Zagdanski sur l'antisémitisme de Louis-Ferdinand Céline

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19/10/2018

André Bercoff reçoit Michel Onfray

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15/10/2018

Conférence de Laurent Obertone à Orange

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11/10/2018

Éric Zemmour : "Destin français"

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07/10/2018

Laurent Obertone lève le tabou de l'immigration !

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06/10/2018

Maxence Caron, "L'Homo Festivus de Philippe Muray"

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05/10/2018

Eric Zemmour, brillant...

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L'action

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« Lassé des mots, lassé des livres,
Qui tiédissent la volonté,
Je cherche, au fond de ma fierté,
L’acte qui sauve et qui délivre.

Lassé des mots, lassé des livres,
Je veux le glaive enfin qui taille
Ma victoire, dans la bataille.
La vie, elle est là-bas violente et féconde,
Qui mord, à galops fous, les grands chemins du monde,
Dans le tumulte et la poussière ;
Les forts se sont pendus à sa crinière
Et soulevés, par elle et par ses bonds,
De prodige en prodige,
Ils ont gravi, à travers pluie et vent, les monts
Des démences et des vertiges.

J’en sais qui la dressent dans l’air
Les crins volant, sur ciel d’orage,
Avec des bras en sang et des affres de rage.

D’autres qui la rêvent profonde,
Comme une mer,
Dont l’abîme repousse et rejette les ondes.

J’en sais qui la veulent froide, mais obstinée,
Jaugeant, à coup de calculs clairs,
Le vague amas des destinées.

J’en sais qui l’espèrent vêtue
Du silence charmeur des fleurs et des statues.

J’en sais qui l’évoquent, partout,
Où la douleur se crispe, où la colère bout.

J’en sais qui la cherchent encore,
Après la nuit, pendant l’aurore,
Lorsque déjà elle est assise, au seuil
Abandonné de leur orgueil.

La vie en cris ou en silence,
La vie en lutte ou en accord,
Avec la vie, avec la mort,
Avec le bruit ou le silence,
Elle est là bas, sous des pôles de cristal blanc,
Où l’homme innove un chemin lent ;
Elle est, ici, dans la ferveur ou dans la haine,
De l’ascendante et rouge ardeur humaine ;
Elle est, parmi les flots des mers et leur terreur,
Sur des plages, dont nul n’a exploré l’horreur,
Elle est dans les forêts, aux floraisons lyriques,
Dont s’exaltent les monts et les fleuves d’Afrique,
Elle est, où chaque effort grandit
Onde à onde, vers l’infini,
Où le génie extermine les gloses,
Criant les faits, montrant les causes
Et préparant l’élan des géantes métamorphoses.

Lassé des mots, lassé des livres,
Je cherche en ma fierté,
L’acte qui sauve et qui délivre.

Et je le veux puissant et entêté,
Lucide et pur, comme un beau bloc de glace ;
Sans crainte et sans fallace,
Digne de ceux
Qui n’arborent l’orgueil silencieux
Loin du monde, que pour eux-mêmes.

Et je le veux trempé, dans un baptème
De nette et claire humanité,
Montrant à tous sa totale sincérité
Et reculant, en un geste suprême,
Les frontières de la bonté.

Ô vivre et vivre et se sentir meilleur
À mesure que bout plus violent mon cœur ;
Vivre plus clair, dès qu’on marche, en conquête,
Vivre plus haut encor, dès que le sort s’entête
À dessécher la force et l’audace des bras ;
Rêver, les yeux hardis, à tout ce qu’on fera
De pur, de grand, de juste, en ces Chanaans d’or,
Qui surgiront, quand même, au bout du saint effort,
Ô vivre et vivre, éperdument,
En ces heures de solennel isolement,
Où le désir attise, où la pensée anime,
Avec leurs espoirs fous, l’existence sublime.

Lassé des mots, lassé des livres,
Je veux le glaive enfin qui taille
Ma victoire, dans la bataille.

Et je songe, comme on prie, à tous ceux
Qui jaillissent, héros ou Dieux,
À l’horizon de la famille humaine ;
Comme des arcs-en-ciel prodigieux,
Ils se posent, sur les domaines
De la misère et de la haine ;
Les effluves de leur exemple
Pénètrent l’air, les murs, les clos, les temples,
Si bien que la foule, soudain,
Voulant aimer, voulant connaître
Le sens nouveau qu’impose, avec hauteur, leur être,
Aux attitudes du destin,
Déjà sculpte son âme à leur image,
Pendant que disputent et s’embrouillent encor,
À coups de textes morts
Et de dogmes, les sages.

Alors, on voit les paroles armées
Planer sur les luttes et les exploits
Et, clairs, monter les fronts et vibrantes, les voix
Et — foudre et or — voler au loin les Renommées ;
Alors, aussi, ceux qui réchauffent leur âme,
À l’incendie épars des souvenirs,
Tendent les mains et saisissent l’épée en flamme
Et en éclairs vers l’avenir ! »

Émile Verhaeren, "L'action" in Les visages de la vie

 

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04/10/2018

Ma race

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« Je suis le fils de cette race
Dont les cerveaux plus que les dents
Sont solides et sont ardents
Et sont voraces.

Je suis le fils de cette race
Dont les desseins ont prévalu
Dans les luttes profondes
De monde à monde,
Je suis le fils de cette race
Tenace
Qui veut, après avoir voulu,
Encore, encore et encore plus !

Races d'Europe et des soudaines Amériques,
- Ma race ! - Oh ! que vos pas sont beaux
Quand ils portent sur les sommets lyriques
Toujours plus haut
Les feux maintenus clairs des antiques flambeaux !

Le monde entier est ce jardin des Hespérides
Où vous cueillez, parmi des arbres tors,
Avec des bras fougueux, avec des mains torrides,
La force et le savoir, la volonté et l'or.

S'ils furent lourds, vos coups, dans les luttes fatales,
Du moins votre oeuvre immortelle et mentale
Recouvre, avec ses ailes de clarté,
L'oeuvre basse de cruauté.

Vos noms ? Qu'importent ceux dont l'histoire vous nomme ;
Vous vous reconnaissez toutes, au même sceau
Empreint sur vos berceaux,
D'où se lèvent les plus purs des hommes.

Avec des regards nets, puissants et ingénus,
Vous explorez la terre entière ;
Toute lueur qui filtre, à travers l'inconnu,
Devient, entre vos mains, une énorme lumière.

L'urgence d'innover vous étreint le cerveau
Et vous multipliez les escaliers mobiles
Et les rampes et les paliers nouveaux,
Là-haut, autour des vérités indélébiles.

Trouver, grouper, régler, choisir et réformer.
Vos voyages, vos recherches, votre science,
Tout se ligue pour vous armer
D'une plus lucide conscience.

Vous vous servez de l'air, de l'eau, du sol, du feu,
Vous les exorcisez de leurs terreurs dardées ;
Ceux qui furent, aux temps liturgiques, les Dieux,
S'humanisent et ne sont plus que vos idées.

Tout se règle, tout se déduit, tout se prévoit.
Le hasard, fol et vieux, sous vos calculs, se dompte ;
L'action vibre en vous, mais sans geste, sans voix,
Et ne fait qu'un avec l'intelligence prompte.

Ô les races magnifiques ! L'Est, l'Ouest, le Nord,
Terre et cieux, pôles et mers sont vos domaines.
Régnez : puisque par vous la volonté du sort
Devient de plus en plus la volonté humaine. »

Émile Verhaeren, "Ma race" in Les Forces tumultueuses

 

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Méditation

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« Heureux, ceux-là, Seigneur, qui demeurent en toi,
Le mal des jours mauvais n’a point rongé leur âme,
La mort leur est soleil et le terrible drame
Du siècle athée et noir n’entame point leur foi.

Obscurs pour nos regards, ils sont pour toi les lampes,
Que les anges sur terre, avec leurs doigts tremblants,
Allument dans les soirs mortuaires et blancs
Et rangent comme un nimbe à l’entour de tes tempes.

Heureux le moine doux, pour qui l’orgueil n’est point,
Dont les yeux n’ont jamais, si ce n’est en prière,
Comme des braises d’or avivé leur lumière
Et dont l’amour retient le cœur à ton cœur joint.

Son esprit lumineux, telle une aube pascale,
Jette des feux pieux comme des fleurs de ciel ;
Il marche sans péché, ni désir véniel,
Comme en une fraîcheur de paix dominicale.

Heureux le moine saint s’abattant à genoux,
Devant ta croix, dressant au ciel ses larges charmes,
Et qui lave ton nom avec les mêmes larmes
Que nous prostituons à nos douleurs à nous.

Son cœur est tel qu’un lac dans la montagne blanche,
Qui réverbère en ses pâles miroirs dormants
Et ses vagues de prisme emplis de diamants
Toute clarté de Dieu qui sur terre s’épanche.

Heureux le moine rude, ardent, terrible, amer,
Dont le sang se déperd aux larmes des supplices,
Dont la peau se lacère aux griffes des cilices
Et qui traîne vers toi les loques de sa chair.

Pour en tordre le mal, ses mains tortionnaires
Ont d’un si noir effort étreint son corps pâmé,
Qu’il n’est plus qu’âme enfin et qu’il vit sublimé,
Tout seul, comme un rocher meurtri par les tonnerres.

Heureux les moines grands, heureux tous ceux qui vont
Là-bas, en des chemins de paix et de prière,
Les regards aimantés par la vague lumière
Qui se fait deviner par delà l’horizon. »

Émile Verhaeren, "Méditation" in Les moines

 

 

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20/09/2018

De plus en plus difficile de ne pas être un salaud

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« Plus que jamais on n'est "motivé" dans son travail que quand on est ambitieux socialement, quand on a envie de faire gagner beaucoup d'argent à son entreprise, et d'en gagner beaucoup soi-même. Pour les autres, ceux qui ne sont pas spontanément acquis à la cause de l'Economie déchaînée, il n'est pas facile d'échapper au constat que travailler sans contribuer d'une façon plus ou moins intolérable au scandale qu'est notre société relève de l'exploit. Il y a dans notre génération comme une conscience diffuse et douloureuse qu'il est de plus en plus difficile de ne pas être un salaud, dans ce qu'on fait au quotidien et qui nous fait vivre. »

Matthieu Amiech, Le cauchemar de Don Quichotte. Sur l'impuissance de la jeunesse d'aujourd'hui

 

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12/09/2018

Finkielkraut : A la recherche du temps présent

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Merci à Paglop...

 

Qu'est ce que le roman en particulier, et la littérature en général, ont à dire sur le monde contemporain qui ne peut se résumer aux enquêtes et statistiques des sciences sociales.

Sans les sciences sociales nous ne saurions pas comment la société fonctionne. Elle nous ouvre les yeux sur le monde dans lequel nous baignons et nous évoluons. Elle nous révèle en outre notre propre fonctionnement. Elle montre, impitoyable, ce qui pense en nous quand nous croyons naïvement agir et penser par nous même. On peut leur savoir gré de cette démystification salutaire sans leur abandonner pour autant tout le terrain. Le mot de science est certes intimidant mais il ne confère pas aux sciences sociales le monopole du vrai. Il y a d'autres accès à la réalité que celui que leurs enquêtes et leurs statistiques nous ménagent. L'étude du temps est aussi affaire de la littérature.

Avec Benoît Duteurtre, pour son livre "Pourquoi je préfère rester chez moi" et Patrice Jean pour "L'homme surnuméraire"...

 

 


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11/09/2018

La force

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« La peur du péché semble à beaucoup, par une dangereuse illusion, la peur d’une responsabilité, le refus de courir un risque, comme s’il fallait plus de courage pour commettre le péché que pour y renoncer. En vérité le péché tente, il attire, on y tombe. La force demanderait plutôt que l’on surmonte la tentation. »

Claude Jean-Nesmy, Saint Benoit et la vie monastique

 

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L’option fondamentale entre Dieu et Satan.

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« Qui éprouverait à présent de l’angoisse à l’idée qu’il se bat réellement contre Satan ? Tel est pourtant un des aspects essentiels d’une spiritualité qui n’est pas seulement celle de Saint Benoit, mais de tous les Pères du désert, et de Saint Paul lui-même qui, le premier, nous parle du dur combat contre le Prince de ce monde. Est-il d’ailleurs tellement inattendu qua la paix soit le prix d’une lutte sans concession ? La sagesse des nations nous l’enseigne autant que l’existence du Patriarche des moines : la véritable paix ne résulte jamais d’une démission ou d’une fuite devant nos responsabilité ; elle s’achète au prix d’un choix. Que l’on prenne avec Saint Augustin l’image des deux cités, ou avec Saint Ignace celle des deux étendards, c’est toujours, plus simplement, l’option fondamentale entre Dieu et Satan.


 
 L’illusion serait pourtant d’imaginer que l’on puisse prendre parti une fois pour toutes, en entrant au monastère par exemple. Ainsi pense naïvement tous ceux qui voit dans cette décision la fin du combat et l’établissement dans une paix désormais inaltérable. Que l’on en félicite les moines ou que l’on leur reproche comme une trahison, et comme l’acquisition à trop bon compte d’une félicité sans ombre, c’est la même erreur. Quiconque, au contraire, se jette résolument à la poursuite des réalités surnaturelles, doit bientôt sentir s’affronter en lui Dieu et le diable. Tout engagement pour Dieu entraîne ainsi la nécessité de s’armer contre l’ange déchu. Cela est bien visible dès le premier engagement chrétien, que sanctionne le sacrement du baptême : la renonciation à Satan va de pair avec l’enrôlement dans l’Eglise. Il n’en est point autrement dans la vie monastique. »

Claude Jean-Nesmy, Saint Benoit et la vie monastique

 

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10/09/2018

Coopérer à l’œuvre de la Création ou de la Rédemption

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« En quoi diffèrent les "moines" de ceux que le langage courant appelle "religieux", mot qui recouvre en fait tous les membres des ordres récents (je veux dire fondés à partir du XIIIè siècle, tout étant relatif). Tous c’est bien évident, cherchent à mener une vie parfaitement évangélique – autant du moins qu’il est possible – et, pour ce faire, tous prennent l’engagement solennel des trois vœux de religion : pauvreté, chasteté, obéissance. Si les moines ont une formule un peu différente (stabilité, conversion des mœurs et obéissance), elle recouvre en fait celle des trois vœux classiques, et la différence ne peut donc être cherchée de ce coté.

Partons de ce qui est le plus simple à délimiter : les "religieux" se groupent généralement dans un but défini : ils sont enseignants ou hospitaliers, ou bien voués à l’apostolat, à la presse catholique, que sais-je encore ? Les grands ordres, eux, par le fait même de leur développement, sont appelés à répondre aux multiples besoins de l’Eglise, mais ils n’en restent pas moins orientés dans un sens également déterminé : les Dominicains sont frères prêcheurs et maîtres en doctrine sacrée – sans pour autant qu’ils en aient le monopole – ; les Franciscains, marqués par leur Père saint François, s’adressent plutôt à des auditoires populaires ; quant aux jésuites, les écoles et les missions occupent une bonne part de leurs activités, depuis l’origine de la Compagnie.

Mais les moines ? La question leur est souvent posée par des fidèles ou même par des religieux d’autres ordres, qui, habitués, à classer par spécialisation, se demandent quelle peut bien être la différence spécifique des moines. Beaucoup répondent alors que leur rôle propre dans l’Eglise est d’assurer la prière commune ou, comme on dit un peu drôlement, les "beaux offices" (car les Dominicains ou les Franciscains ont eux aussi l’office du cœur). Mais on sait, à présent, combien une telle réponse est peu recevable, encore qu’elle commence à nous aiguiller sur une voie plus juste : la vie monastique est en effet certainement une vie de prière, ou, si l’on veut utiliser cette terminologie dangereuse, une vie contemplative.

En réalité, ce qui rend si difficile toute réponse à une pareille question sur la "spécificité du monachisme", c’est que, par le fait même, on pose le problème dans une optique tout à fait différente de celle qui est à l’origine de l’institution monastique. En bref, une telle définition est un anachronisme.

Nous sommes en effet dans une ère de spécialisation. Or ce processus à peu près irréversible de notre civilisation a commencé à quelle époque ? Autour de l’an 1200. La naissance des ordres au sens moderne du mot, dans la première moitié du XIIIè siècle, manifeste précisément dans le domaine de la vie religieuse cette tendance nouvelle. L’institution monastique, elle, remonte à un âge antécédent ; il ne faut donc pas lui attribuer des préoccupation ultérieures. […].

Saint benoît, lui, n’appelle point ses disciples à une tâche donnée à l’avance. Il s’adresse dans le prologue de sa règle à tous ceux qui veulent comme lui plaire à Dieu seul, et chercher à le servir vraiment. En quoi, dira-t-on, un tel programme diffère-t-il de la vie la plus simplement, la plus universellement chrétienne ? En rien, c’est vrai. Il importe de comprendre ce point avant de faire les distinctions nécessaires. Un moine est d’abord un homme à tout faire. Certaines tâches semblent moins indiquées et la tradition monastique s’est bien souvent interrogée sur ce qui convenait ou non ; mais en fait, au cours de l’histoire, on a vu que les moines pouvaient servir à toutes chose dans l’Eglise : tour à tour, et selon les besoins, ils ont été défricheurs, agents de commerce, hommes d’industrie. Ils ont construits des églises par milliers, ouvert des routes, lancé des ponts, fondé foires et marchés. Ils ont été apôtres – convertissant une bonne partie de l’Europe – puis pasteur d’âmes, mais aussi maîtres d’école, humanistes auxquels nous devons la transmission de la culture antique, théologiens, exégètes, canonistes, historiens, mathématiciens, médecins ; à l’occasion même, ils ont joué le rôle de super-diplomates, conciliateurs entre les Etats ou bien encore entre le pape et l’empereur, artisan inlassables de l’unité dans une chrétienté qui n’était pas moins divisé que le monde d’aujourd’hui.

On a tellement répété tout cela que certaines expressions font l’effet de clichés : les "moines défricheurs", ou encore "les savants bénédictins". mais l’on ne remarque pas suffisamment que ces hommes ont été capables de remplir tant bien que mal toutes ces tâches seulement dans la mesure où leur vocation ne les rivait point à une œuvre déterminée qui aurait été exclusive des autres. Ils n’ont pu faire tout que parce qu’ils ne se sentaient faits spécialement de rien de tout cela.

Répétons-le : on n’entre dans un monastère que pour y trouver Dieu plus pleinement. Mais comme Dieu peut se trouver partout et en tout, aucune activité n’est donc exclue de la vie des moines, du moment qu’elle peut se concilier d’une part avec les exigences les plus générales du régime claustral, et qu’elle se trouve d’autre part correspondre à la volonté plus particulière de Dieu sur chaque âme (c'est-à-dire à ce que nous appellerions la destinée de chacun, au sens chrétien de ce mot). Quoi que fasse le moine, sa tâche lui parait toujours occasionnelle : c’est un moyen entre une infinité d’autres, mais c’est aussi le bon moyen puisqu’il lui est actuellement donné, pour s’unir à Dieu et coopérer à l’œuvre de la Création ou de la Rédemption. Le moment venu, il changera donc d’occupation sans regarder en arrière – pour autant du moins qu’il se conduit bien réellement comme un moine – montrant ainsi qu’il reste libre à l’égard de tout ce qui n’est jamais qu’une "occupation", le but de sa vie demeurant toujours au-delà, en Dieu. »

 

Claude Jean-Nesmy, Saint Benoit et la vie monastique

 

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Charité Chrétienne

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« Les monastères ont connu, à différentes époques, une richesse inouïe. Ceci n’était pas prévu par saint Benoît. [D’autant que là où séjournait saint Benoît,] au mont Cassin la bourse et les caves de l’abbaye pouvaient se trouver à peu près vide. La Règle au surplus prévoit que l’on ne cherche point à s’enrichir par des gains excessifs sur les produits du travail monastique. Mais il s’est trouvé que la foi des riches de ce monde, dans le haut Moyen Age surtout, a voulu doter les monastères. Fallait-il refuser ce don périlleux ? Les monastères préfèrent appliquer une autre règle traditionnelle de la pauvreté et du travail chrétien, que saint Benoit avait lui-même pratiquée et prescrite : le surplus, qu’on le donne aux pauvres, c'est-à-dire cette fois aux mendiants.

On se scandaliserait facilement de la fabuleuse richesse des grandes abbayes au Xè ou au XIIè siècle ; mais sait-on assez que Cluny nourrit en une seule année jusqu’à dix-sept mille pauvres, et il n’y eut guère de monastère qui n’entretînt chaque jour les indigents par centaines ? En un temps, de surcroît, où l’assistance sociale de l’Etat restait, et pour cause, à peu près nulle, les moines eurent non seulement à secourir indigents, orphelins, vieillards ou réfugiés, mais aussi à remplir les tâches couteuses dont se charge désormais l’administration publique. Si bien que, malgré leurs immenses ressources, on vit des abbés – en particulier saint Odilon de Cluny lui-même – aller jusqu’à vendre les pièces du trésor de la sacristie pour faire face aux besoins de leurs frères les pauvres, afin que "tout soit partagé à chacun selon ses besoins". »

Claude Jean-Nesmy, Saint Benoit et la vie monastique

 

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09/09/2018

Quelle heure est-il, Père ?

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« "Le Royaume des Cieux est comparé à un Roy, lequel voulut faire compte à ses serviteurs.
Et quand il eut commencé à faire compte, on luy en présenta un qui luy devoit dix mille talents.
Et d’autant qu’iceluy n’avoit de quoy payer, son Seigneur commanda que luy, et sa femme, et ses enfants, et tout ce qu’il avoit, fust vendu et que la debte fust payée.
Parquoy ce serviteur, se jettant à terre, le supplioit, disant : Seigneur, aye patience envers moy, et je payeray tout.
Adonc le Seigneur de ce serviteur, esmeu de compassion, le lascha, et luy quitta la debte. Mais quand ce serviteur fut party, il trouva un de ses compagnons en service, qui lui devoit cent deniers : lequel il saisit et l’estrangloit, disant : Paye-moy ce que tu dois.
Et son compagnon en service se jettant à ses pieds, le prioit en disant : Aye patience envers moy et je te payray tout.
Mais il n’en voulu rien faire, ains s’en alla et le mit en prison jusques à tant qu’il eust payé la debte.
Voyans ses autres compagnons ce qui avoit esté fait, furent fort marris : dont s’en vindrent, et narrèrent à leur Seigneur tout ce qui avoit esté fait.
Lors son Seigneur l’appela et lui dit : Meschant serviteur, je t’ay quitté toute ceste debte, pour tant que tu m’en a prié :
Ne te falloit-il pas aussi avoir pitié de ton compagnon en service, aisni que j’avoye eu pitié de toy ?
Adonc son Seigneur courroucé le bailla eux sergens, juqu’à ce qu’il luy eust payé tout ce qui luy estoit deu."

Quel texte à paraphraser, la veille du jour où on étrangle les pauvres diables ! Tous les amnistiés, tous les libérés, tous les propriétaires du pays sont là, et ils ne seraient peut-être pas absolument impossible d’atteindre la conscience de quelques uns. Mais le vicaire, qui est lui-même un pauvre diable et qui a la consigne générale de ménager les ventres pleins, tourne court sur "l’étranglement" et interprète la Parabole, si nette pourtant, si peu évasive, par le précepte infiniment élastique de pardonner les injures, noyant ainsi, dans la confiture sacerdotale de Saint Sulpice, l’indiscrète et désobligeante leçon du fils de Dieu.

Alors un nuage tombe sur Clotilde, qui s’endort. Maintenant, c’est un autre prêtre qui parle : - Voilà l’Evangile, mes frères, et voici vos cœurs. Du moins j’ose présumer que vous les avez apportés. Je veux être persuadé que vous ne les avez pas oubliés au fond de vos caisses ou de vos comptoirs, et que je ne parle pas seulement à des corps. Qu’il me soit donc permis de leur demander, à vos cœurs, s’ils ont compris quelque chose à la parabole qui vient d’être lue.

Absolument rien, n’est-ce pas ? Je m’en doutais. Il est probable que la plupart d’entre vous avaient assez à faire de compter l’argent qu’ils recevront ou qu’ils pourront recevoir demain de leurs locataires, et qui leur sera très probablement versé avec d’intérieures malédictions. Au moment où il est dit que le serviteur exonéré par son maître prend à la gorge le malheureux qui doit à lui-même une faible somme, les mains de quelques uns ou quelque uns ont dû se crisper instinctivement, à leur insu, ici même, devant le tabernacle du Père des pauvres. Et quand il l’envoie en prison, sans vouloir entendre sa prière, oh ! alors sans doute, vous avez été unanimes à vous écrier dans vos entrailles que c’était bien fait et qu’il est vraiment fâcheux qu’une pareille prison n’existe plus.

Voilà, je pense, tout le fruit de cet enseignement dominical que vos anges seuls ont écouté, avec tremblement. Vos Anges, hélas ! vos anges graves et invisibles, qui sont avec vous dans cette maison et qui, demain, seront encore avec vous quand vos débiteurs vous apporteront le pain de leurs enfants ou vous supplieront en vain de prendre patience. Les pauvres gens, eux aussi, seront escortés de leurs Gardiens, et d’ineffables colloques auront leu, tandis que vous les accablerez de votre mécontentement, ou de votre satisfaction plus cruelle, ces infortunés.

Le reste de la parabole n’est pas fait pour vous, n’est-ce pas ? L’éventualité d’un Seigneur qui vous jugerait à son tour est une invention des prêtres. Vous ne devez rien à personne, votre comptabilité est en règle, votre fortune, petite ou grande, a été gagnée le plus honorablement du monde, c’est bien entendu, et toutes les lois sont armés pour vous, même la Loi divine.

Vous n’avez pas d’idole chez vous, c'est-à-dire vous ne brûlez pas d’encens devant des images de bois ou de pierre, en les adorant. Vous ne blasphémez pas. Le Nom du Seigneur est si loin de vos pensées qu’il ne vous viendrait même pas à l’esprit de le "prendre en vain". Le dimanche, vous comblez Dieu de votre présence dans son Eglise. C’est plus convenable qu’autre chose, c’est un bon exemple pour les domestiques et cela ne fait, au demeurant, ni chaud ni froid. Vous honorez vos pères et mères, en ce sens que vous ne leur lancez pas, du matin au soir, des paquets d’ordure au visage. Vous ne tuez ni par le fer ni par le poison. Cela déplairait aux hommes et pourrait effaroucher votre clientèle. Enfin vous ne vous livrez pas à de scandaleuses débauches, vous ne faites pas des mensonges gros comme des montagnes, vous ne volez pas sur les grandes routes où on peut si facilement attraper un mauvais coup, et vous ne pillez pas non plus les caisses publiques toujours admirablement gardées. Voilà pour les commandements de Dieu.

Il est à peu près inutile de rappeler ceux de l’Eglise. Quand on est "dans le commerce", comme vous dites, on a autre chose à faire que de consulter le calendrier ecclésiastique, et il est universellement reconnu que "Dieu n’en demande pas tant". C’est une de vos maximes les plus chères. Donc, vous êtes irréprochables, vos âmes sont nettes et vous n’avez rien à craindre…

… Dieu, mes frères est terrible quand il lui plait de l’être. Il y a ici des personnes qui se croient des âmes d’élite, qui s’approchent souvent des sacrements, et qui font peser sur leur frères un fardeau plus lourd que la mort. La question est de savoir si elles seront précipitées aux pieds de leur Juge, avant d’être sorties de leur épouvantable sommeil… Les impies se croient héroïques de résister à un Tout-puissant. Ces superbes, dont quelques unes ne sont pas inaccessibles à la pitié, pleureraient de honte, s’ils pouvaient voir la misère, la désolation infinie de Celui qu’ils bravent et qu’ils outragent. Car Dieu, qui s’est fait pauvre en se faisant homme, est, en un sens, toujours crucifié, toujours abandonné, toujours expirant dans les tortures. Mais que penser de ceux-ci qui ne connurent jamais la pitié, qui sont incapables de verser des larmes, et qui ne se croient pas impies ? Et que penser enfin de ceux-là qui rêvent la vie éternelle, en bras de chemise et en pantoufles, au coin du feu de l’enfer ?

… Je vous ai parlé des locataires pauvres dont cette paroisse est suffisamment approvisionnée, et qui tremblent déjà en songeant à ce que vous pouvez leur faire souffrir demain. Ai-je parlé à une seule âme vraiment chrétienne ? Je n’ose le croire.

Ah ! que ne puis-je crier en vous ! sonner l’alarme au fond de vos cœurs charnels ! vous donner l’inquiétude salutaire, la sainte peur de trouver votre Rédempteur parmi vos victimes ? Ego sum Jesus quem tu persequeris ! est-il dit à Saint Paul fumant de rage contre les chrétiens, qui étaient alors comme les locataires de la cité du Démon et qu’on pourchassait de gîte en gîte, l’épée ou la torche dans les reins, jusqu’à ce qu’ils payassent de tout leur sang le logis permanent des cieux. Je suis Jésus que tu persécutes !

On sait que ce Maître s’est souvent caché au milieu des indigents, et quand nous faisons souffrir un homme plein de misère, nous ne savons pas quel est celui des membres du Sauveur que nous déchirons. Nous avons appris du même Saint Paul qu’il y a toujours quelque chose qui manque aux souffrances de Jésus-Christ, et que ce quelque chose doit être accompli dans les membres vivants de son Corps.

- Quelle heure est-il, Père ? disent à Dieu ses pauvres enfants, tout le long des siècles, car nous veillons "sans savoir ni le jour ni l’heure". Quand finira-t-on de souffrir ? Quelle heure est-il à l’horloge de votre interminable Passion ? Quelle heure est-il ? …

- C’est l’heure de payer son terme, ou d’aller crever dans les rue, parmi les enfants des chiens ! répond le Propriétaire…

Ah ! Seigneur ! Je suis un très mauvais prêtre. Vous m’avez confié ce troupeau dormant et je ne sais pas le réveiller. Il est si abominable, si puant, si totalement affreux pendant son sommeil !

Et voici que je m’endors à mon tour, à force de les voir dormir ! Je m’endors en lui parlant, je m’endors en priant pour lui, je m’endors au lit des agonisants et sur le cercueil des morts ! Je m’endors, Seigneur, en consacrant le Pain et le Vin du Sacrifice redoutable ! Je m’endors au Baptême, je m’endors à la Pénitence, je m’endors à l’Extrême-onction, je m’endors au sacrement de Mariage ! Quand j’unis, pour votre éternité, deux de vos images engourdies par le sommeil, je suis moi-même si appesanti que je les bénis du fond d’un songe et que c’est à peine si je ne roule pas au pied de votre autel !…

Clotilde se réveilla au moment où l’humble prêtre descendait de la chaire. Leurs regards se rencontrèrent et parce qu’elle avait le visage baigné de larmes, il dut croire que c’était son prône qui les avait fait couler. Il avait raison, sans doute, car cette voyante était tombée à un si profond sommeil qu’elle pouvait bien avoir entendu les vraies paroles qu’il n’avait osé prononcer que dans son cœur. »

Léon Bloy, La femme pauvre

 

 

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06/09/2018

La fleur et le fruit d’une civilisation

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« Notre langue est précisément la fleur et le fruit d’une civilisation absolument différente de la civilisation des Machines. Il est inutile de déranger Rabelais, Montaigne, Pascal, pour exprimer une certaine conception sommaire de la vie, dont le caractère sommaire fait précisément toute l’efficience. La langue française est une oeuvre d’art, et la civilisation des machines n’a besoin pour ses hommes d’affaires, comme pour ses diplomates, que d’un outil, rien davantage. »

Georges Bernanos, La France contre les robots

 

 

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