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17/02/2019

Eurêka !

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« Avant toute chose, je dois vous faire un aveu, un aveu peut-être étrange mais sincère. Depuis que je suis monté dans l’avion pour venir ici, à Stockholm, recevoir le prix Nobel qui m’a été décerné cette année, je sens dans mon dos le regard scrutateur d’un observateur impassible ; et en cet instant solennel qui me place au centre de l’attention générale, je m’identifie plutôt à ce témoin imperturbable qu’à l’écrivain soudain révélé au monde entier. Et j’espère seulement que le discours que je vais prononcer pour cette occasion m’aidera à mettre fin à cette dualité, à réunir ces deux personnes qui vivent en moi.

Pour l’instant, moi-même, je ne comprends pas assez clairement l’aporie que je sens entre cette haute distinction et mon œuvre, ou plutôt ma vie. J’ai peut-être vécu trop longtemps dans des dictatures, dans un environnement intellectuel hostile et désespérément étranger, pour pouvoir prendre conscience de mon éventuelle valeur littéraire : la question ne valait tout simplement pas la peine d’être posée. De surcroît, on me faisait comprendre de toutes parts que le "sujet" qui occupait mes pensées, qui m’habitait, était dépassé et inintéressant. Voilà pourquoi(,) j’ai toujours considéré l’écriture comme une affaire strictement privée, ce qui rejoignait d’ailleurs mes plus intimes convictions.

Dire qu’il s’agit d’une affaire privée n’exclut nullement le sérieux, même si ce dernier semblait quelque peu ridicule dans un monde où seul le mensonge était pris au sérieux. Or, l’axiome philosophique définissait le monde comme réalité existant indépendamment de nous. Mais moi, en 1955, par un beau jour de printemps, j’ai compris d’un coup qu’il n’existait qu’une seule réalité, et que cette réalité, c’était moi, ma vie, ce cadeau fragile et d’une durée incertaine que des puissances étrangères et inconnues s’étaient approprié, avaient nationalisé, déterminé et scellé, et j’ai su que je devais la reprendre à ce monstrueux Moloch qu’on appelle l’histoire, car elle n’appartenait qu’à moi et je devais en disposer en tant que telle.

En tout cas, cela m’opposait radicalement à tout ce qui m’entourait, à cette réalité qui n’était peut-être pas objective, mais certainement indéniable. Je parle de la Hongrie communiste, du socialisme qui promettait un avenir radieux. Si le monde est une réalité objective qui existe indépendamment de nous, alors l’individu n’est qu’un objet – y compris pour lui-même, et l’histoire de sa vie n’est qu’une suite incohérente de hasards historiques qu’il peut certes contempler, mais qui ne le concernent pas. Il ne lui sert à rien de les ordonner en un ensemble cohérent, car son moi subjectif ne saurait assumer la responsabilité des éléments trop objectifs qui pourraient s’y trouver.

Un an plus tard, en 1956, a éclaté la révolution hongroise. Pour un seul et bref instant, le pays est devenu subjectif. Mais les chars soviétiques ont bien vite rétabli l’objectivité.

S’il vous semble que je fais de l’ironie, alors pensez, je vous prie, à ce que sont devenus la langue et les mots au cours du 20e siècle. Selon moi, il est vraisemblable que la plus importante, la plus bouleversante découverte des écrivains de notre temps est que la langue, telle que nous l’avons héritée d’une culture ancienne, est tout simplement incapable de représenter les processus réels, les concepts autrefois simples. Pensez à Kafka, pensez à Orwell qui ont vu la langue ancienne fondre dans leurs mains, comme s’ils l’avaient mise au feu pour ensuite en montrer les cendres où apparaissaient des images nouvelles et jusqu’alors inconnues.

Mais je voudrais revenir à mon affaire strictement personnelle, c’est-à-dire à l’écriture. Il y a là quelques questions que tout homme dans ma situation ne se pose même pas. Jean-Paul Sartre, par exemple, a consacré tout un opuscule à la question de savoir pour qui on écrit. La question est intéressante, mais elle peut également être dangereuse et je suis en tout cas reconnaissant à la vie de n’avoir jamais eu à y réfléchir. Voyons en quoi consiste le danger. Par exemple, si on vise une classe sociale qu’on voudrait non seulement divertir mais aussi influencer, il faut avant tout prendre en considération son propre style et se demander s’il est adapté à l’objectif qu’on s’est fixé. L’écrivain est bientôt assailli de doutes : le problème est qu’il est dès lors occupé à s’observer lui-même. De plus, comment pourrait-il savoir quelles sont les vraies attentes de son public, ce qui lui plaît vraiment ? Il ne peut tout de même pas interroger chaque individu. D’ailleurs, cela ne servirait à rien. En définitive, son seul point de départ possible est l’idée qu’il a lui-même de son public, les exigences que lui-même lui attribue, l’effet qu’aura sur lui-même l’influence qu’il souhaite exercer. Pour qui donc l’écrivain écrit-il ? La réponse est évidente : pour lui-même.

Moi au moins, je peux dire que j’étais arrivé à cette réponse sans aucun détour. Il est vrai que mon cas était plus simple : je n’avais pas de public et ne voulais influencer personne. Je n’avais pas de but précis quand j’ai commencé à écrire et ce que j’écrivais ne s’adressait à personne. Si mon écriture n’avait pas d’objectif clairement exprimable, elle consistait néanmoins à garder une fidélité formelle et linguistique à mon sujet, rien d’autre. Il importait de le préciser à cette époque ridicule mais triste où la littérature dite engagée était dirigée par l’Etat.

Il m’aurait en revanche été plus difficile de répondre à la question, posée à juste titre et non sans un certain scepticisme, de savoir pourquoi on écrit. A nouveau, j’ai eu de la chance, car je n’ai jamais eu l’occasion de trancher cette question. J’ai d’ailleurs relaté fidèlement cet événement dans mon roman intitulé Le refus. Je me trouvais dans le couloir désert d’un immeuble administratif et j’entendais des pas résonner dans un couloir perpendiculaire, c’est tout. J’ai été pris d’une sorte d’agitation particulière, les pas venaient dans ma direction, c’étaient ceux d’une seule personne que je ne voyais pas, et brusquement, j’ai eu l’impression d’en entendre marcher des centaines de milliers, une véritable colonne dont les pas retentissaient et alors j’ai saisi la force d’attraction de ce défilé, de ces pas. Là, dans ce couloir, j’ai compris en une seule seconde l’ivresse de l’abandon de soi, le plaisir vertigineux de se fondre dans la masse, ce que Nietzsche – dans un autre contexte, certes, mais avec pertinence – nomme l’extase dionysiaque. Une force quasi physique me poussait et m’attirait dans les rangs, je sentais que je devais m’appuyer et m’aplatir contre le mur, pour ne pas céder à cette attraction.

Je rends compte de cet instant intense comme je l’ai vécu ; la source d’où il avait jailli telle une vision semblait se trouver en dehors de moi et non en moi-même. Tout artiste connaît de tels instants. Autrefois, on les s’appelait des inspirations soudaines. Mais je ne mettrais pas ce que j’ai vécu au nombre des expériences artistiques. Je parlerais plutôt d’une prise de conscience existentielle, laquelle ne m’a pas donné la maîtrise de mon art, car j’ai dû encore longtemps en chercher les outils, mais celle de ma vie, alors que je l’avais presque perdue. Il y était question de la solitude, d’une vie plus difficile, de ce dont j’ai parlé au début : il s’agissait de sortir du cortège enivrant, de l’histoire qui dépouille l’homme de sa personnalité et de son destin. J’avais constaté avec effroi que dix ans après être revenu des camps nazis et avec pour ainsi dire un pied dans la fascination de la terreur stalinienne, il ne me restait plus de tout cela qu’une vague impression et quelques anecdotes. Comme si c’était arrivé à quelqu’un d’autre.

Il est évident que ces instants visionnaires ont une longue histoire que Sigmund Freud déduirait peut-être du refoulement de quelque traumatisme. Qui sait, peut-être aurait-il raison. Or moi aussi, je penche plutôt pour la rationalité et suis loin de tout mysticisme ou enthousiasme : quand je parle de vision, j’entends une réalité qui a pris la forme du surnaturel – à savoir la révélation soudaine, on pourrait dire révolutionnaire, d’une idée qui mûrissait en moi, une chose qu’exprime l’antique exclamation "eurêka !". "J’ai trouvé !" Certes, mais quoi ?

J’ai dit un jour que pour moi, ce qu’on appelle le socialisme avait la même signification qu’eut pour Marcel Proust la madeleine qui, trempée dans le thé, avait ressuscité en lui les saveurs du temps passé. Après la défaite de la révolution de 1956, j’ai décidé, essentiellement pour des raisons linguistiques, de rester en Hongrie. Ainsi j’ai pu observer, non plus en tant qu’enfant, mais avec ma tête d’adulte, le fonctionnement d’une dictature. J’ai vu comment un peuple est amené à nier ses idéaux, j’ai vu les débuts de l’adaptation, les gestes prudents, j’ai compris que l’espoir était un instrument du mal et que l’impératif catégorique de Kant, l’éthique, n’étaient que les valets dociles de la subsistance.

Peut-on imaginer liberté plus grande que celle dont jouit un écrivain dans une dictature relativement limitée, pour ainsi dire fatiguée voire décadente ? Dans les années soixante, la dictature hongroise était arrivée à un point de consolidation qu’on peut appeler consensus social et auquel le monde occidental donnerait plus tard, avec condescendance, le petit nom de "communisme de goulache" : après l’animosité du début, le communisme hongrois était devenu d’un coup le communisme préféré de l’Occident. Dans le bourbier de ce consensus, il ne restait qu’une alternative : ou bien renoncer définitivement au combat, ou bien chercher les chemins tortueux de la liberté intérieure. Un écrivain n’a pas de grands besoins, un crayon et du papier suffisent à l’exercice de son art. Le dégoût et la dépression avec lesquels je me réveillais chaque matin m’introduisaient vite dans le monde que je voulais décrire. Je me suis rendu compte que je décrivais un homme broyé par la logique d’un totalitarisme en vivant moi-même dans un autre totalitarisme, et cela a sans aucun doute fait de la langue de mon roman un moyen de communication suggestif. Si j’évalue en toute sincérité ma situation à cette époque-là, je ne sais pas si en Occident, dans une société libre, j’aurais été capable d’écrire le même roman que celui qui est connu aujourd’hui sous le titre d’Etre sans destin et qui a obtenu la plus haute distinction de l’Académie Suédoise.

Non, car j’aurais certainement eu d’autres préoccupations. Je n’aurais certes pas renoncé à chercher la vérité, mais c’eût été peut-être une autre vérité. Dans le marché libre des livres et des esprits, je me serais peut-être efforcé de trouver une forme romanesque plus brillante : j’aurais pu, par exemple, fragmenter la narration pour ne raconter que les moments frappants. Sauf que dans les camps de concentration, mon héros ne vit pas son propre temps, puisqu’il est dépossédé de son temps, de sa langue, de sa personnalité. Il n’a pas de mémoire, il est dans l’instant. Si bien que le pauvre doit dépérir dans le piège morne de la linéarité et ne peut se libérer des détails pénibles. Au lieu d’une succession spectaculaire de grands moments tragiques, il doit vivre le tout, ce qui est pesant et offre peu de variété, comme la vie.

Mais cela m’a permis de tirer des enseignements étonnants. La linéarité exige que chaque situation s’accomplisse intégralement. Elle m’a interdit, par exemple, de sauter élégamment une vingtaine de minutes pour la seule raison que ces vingt minutes béaient devant moi tel un gouffre noir, inconnu et effrayant comme une fosse commune. Je parle de ces vingt minutes qui se sont écoulées sur le quai du camp d’extermination de Birkenau avant que les personnes descendues des wagons ne se retrouvent devant l’officier qui faisait la sélection. Moi-même, j’avais un souvenir approximatif de ces vingt minutes, mais le roman m’interdisait de me fier à mes réminiscences. Presque tous les témoignages, confessions et souvenirs de survivants que j’avais lus étaient d’accord sur le fait que tout s’était déroulé très vite et dans la plus grande confusion : les portes des wagons s’ouvraient violemment au milieu des cris et des aboiements, les hommes étaient séparés des femmes, dans une cohue démentielle ils se retrouvaient devant un officier qui leur jetait un rapide coup d’œil, montrait quelque chose en tendant le bras, puis ils se retrouvaient en tenue de prisonnier.

Moi, j’avais un autre souvenir de ces vingt minutes. En cherchant des sources authentiques, j’ai commencé par lire Tadeusz Borowski, ses récits limpides, d’une cruauté masochiste, dont celui qui s’intitule "Au gaz, messieurs-dames !" Ensuite, j’ai eu entre les mains une série de photos qu’un SS avait prises sur le quai de Birkenau lors de l’arrivée des convois et que les soldats américains ont retrouvées à Dachau, dans l’ancienne caserne des SS. J’ai été sidéré par ces photos : beaux visages souriants de femmes, de jeunes hommes au regard intelligent, pleins de bonne volonté, prêts à coopérer. Alors j’ai compris comment et pourquoi ces vingt minutes humiliantes d’inaction et d’impuissance s’étaient estompées dans leur mémoire. Et quand en pensant que tout cela s’était répété jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, durant de longues années, j’ai pu entrevoir la technique de l’horreur, j’ai compris comment on pouvait retourner la nature humaine contre la vie humaine.

J’avançais ainsi, pas à pas, sur la voie linéaire des découvertes ; c’était, si on veut, ma méthode heuristique. J’ai vite compris que les questions de savoir pour qui et pour quoi j’écrivais ne m’intéressaient pas. Une seule question me travaillait : qu’avais-je encore en commun avec la littérature ? Car il était clair qu’une ligne infranchissable me séparait de la littérature et de ses idéaux, de son esprit, et cette ligne – comme tant d’autres choses – s’appelle Auschwitz. Quand on écrit sur Auschwitz, il faut savoir que, du moins dans un certain sens, Auschwitz a mis la littérature en suspens. A propos d’Auschwitz, on ne peut écrire qu’un roman noir ou, sauf votre respect, un roman-feuilleton dont l’action commence à Auschwitz et dure jusqu’à nos jours. Je veux dire par là qu’il ne s’est rien passé depuis Auschwitz qui ait annulé Auschwitz, qui ait réfuté Auschwitz. Dans mes écrits, l’Holocauste n’a jamais pu apparaître au passé.

On dit à mon propos – pour m’en féliciter ou pour me le reprocher – que je suis l’écrivain d’un seul thème, l’Holocauste. Je ne trouve rien à y redire, pourquoi n’accepterais-je pas, avec quelques réserves, la place qui m’a été attribuée sur l’étagère idoine des bibliothèques ? En effet, quel écrivain aujourd’hui n’est pas un écrivain de l’Holocauste ? Je veux dire qu’il n’est pas nécessaire de choisir expressément l’Holocauste comme sujet pour remarquer la dissonance qui règne depuis des décennies dans l’art contemporain en Europe. De plus : il n’y a, à ma connaissance, pas d’art valable ou authentique où on ne sente pas la cassure qu’on éprouve en regardant le monde après une nuit de cauchemars, brisé et perplexe. Je n’ai jamais eu la tentation de considérer les questions relatives à l’Holocauste comme un conflit inextricable entre les Allemands et les Juifs ; je n’ai jamais cru que c’était l’un des chapitres du martyre juif qui succède logiquement aux épreuves précédentes ; je n’y ai jamais vu un déraillement soudain de l’histoire, un pogrome d’une ampleur plus importante que les autres ou encore les conditions de la fondation d’un Etat juif. Dans l’Holocauste, j’ai découvert la condition humaine, le terminus d’une grande aventure où les Européens sont arrivés au bout de deux mille ans de culture et de morale.

A présent il faut réfléchir au moyen d’aller plus loin. Le problème d’Auschwitz n’est pas de savoir s’il faut tirer un trait dessus ou non, si nous devons en garder la mémoire ou plutôt le jeter dans le tiroir approprié de l’histoire, s’il faut ériger des monuments aux millions de victimes et quel doit être ce monument. Le véritable problème d’Auschwitz est qu’il a eu lieu, et avec la meilleure ou la plus méchante volonté du monde, nous ne pouvons rien y changer. En parlant de "scandale", le poète hongrois catholique János Pilinszky a sans doute trouvé la meilleure dénomination de ce pénible état de fait ; et par là, il voulait à l’évidence dire qu’Auschwitz a eu lieu dans la culture chrétienne et constitue ainsi pour un esprit métaphysique une plaie ouverte.

D’anciennes prophéties disent que Dieu est mort. Il ne fait aucun doute, qu’après Auschwitz, nous sommes restés livrés à nous-mêmes. Il nous a fallu créer nos valeurs, jour après jour, par un travail éthique opiniâtre mais invisible qui finira par produire les valeurs qui donneront peut-être naissance à la nouvelle culture européenne. Que l’Académie Suédoise ait jugé bon de distinguer précisément mon œuvre prouve à mes yeux que l’Europe éprouve à nouveau le besoin que les survivants d’Auschwitz et de l’Holocauste lui rappellent l’expérience qu’ils ont été obligés d’acquérir. A mes yeux, permettez-moi de le dire, c’est une marque de courage, voire d’une certaine détermination ; car on a souhaité me voir venir ici tout en se doutant de ce que j’allais dire. Mais ce qui a été révélé à travers la solution finale et "l’univers concentrationnaire" ne peut pas prêter à confusion, et la seule possibilité de survivre, de conserver des forces créatrices est de découvrir ce point zéro. Pourquoi cette lucidité ne serait-elle pas fertile ? Au fond des grandes découvertes, même si elles se fondent sur des tragédies extrêmes, réside toujours la plus admirable valeur européenne, à savoir le frémissement de la liberté qui confère à notre vie une certaine plus-value, une certaine richesse en nous faisant prendre conscience de la réalité de notre existence et de notre responsabilité envers celle-ci.

C’est pour moi une joie particulière de pouvoir exprimer ces pensées en hongrois, ma langue maternelle. Je suis né à Budapest, dans une famille juive, ma mère était originaire de Kolozsvár en Transylvanie, mon père, du sud-ouest du Balaton. Mes grands-parents allumaient encore les bougies le vendredi soir pour saluer le sabbat, mais ils avaient déjà changé leur nom pour lui donner une consonance hongroise et il était naturel pour eux d’avoir le judaïsme comme religion et de considérer la Hongrie comme leur patrie. Mes grands-parents maternels ont trouvé la mort durant l’Holocauste, mes grands-parents paternels ont été anéantis par le pouvoir communiste de Rákosi, après que la maison de retraite des Juifs a été transférée de Budapest vers la frontière du nord. Il me semble que cette brève histoire familiale résume et symbolise à la fois les souffrances récentes de ce pays. Tout cela m’apprend que le deuil ne recèle pas que de l’amertume, mais aussi des réserves morales extraordinaires. Etre juif : je pense qu’aujourd’hui, c’est redevenu avant tout un devoir moral. Si l’Holocauste a créé une culture – ce qui est incontestablement le cas – le but de celle-ci peut être seulement que la réalité irréparable enfante spirituellement la réparation, c’est-à-dire la catharsis. Ce désir a inspiré tout ce que j’ai jamais réalisé.

Bien que mon discours touche à sa fin, j’avoue sincèrement que je n’ai toujours pas trouvé d’équilibre apaisant entre ma vie, mon œuvre et le prix Nobel. Pour l’instant, je ne sens qu’une profonde reconnaissance – pour l’amour qui m’a sauvé et me maintient encore en vie. Mais admettons que dans le parcours à peine visible, la "carrière", si j’ose m’exprimer ainsi, qui est la mienne, il y a quelque chose de troublant, d’absurde ; une chose qu’on peut difficilement penser sans être tenté de croire en un ordre surnaturel, une providence, une justice métaphysique, c’est-à-dire sans se leurrer, et donc s’engager dans une impasse, se détruire et perdre le contact profond et douloureux avec les millions d’êtres qui sont morts et n’ont jamais connu la miséricorde. Il n’est pas simple d’être une exception ; et si le sort a fait de nous des exceptions, il faut se résigner à l’ordre absurde du hasard qui, pareil aux caprices d’un peloton d’exécution, règne sur nos vies soumises à des puissances inhumaines et à de terribles dictatures.

Pourtant, pendant que je préparais ce discours, il m’est arrivé une chose très étrange qui, en un certain sens, m’a rendu ma sérénité. Un jour, j’ai reçu par la poste une grande enveloppe en papier kraft. Elle m’avait été envoyée par le directeur du mémorial de Buchenwald, M. Volkhard Knigge. Il avait joint à ses cordiales félicitations une autre enveloppe, plus petite, dont il précisait le contenu, pour le cas où je n’aurais pas la force de l’affronter. A l’intérieur, il y avait une copie du registre journalier des détenus du 18 février 1945. Dans la colonne "Abgänge", c’est-à-dire "pertes", j’ai appris la mort du détenu numéro soixante-quatre mille neuf cent vingt et un, Imre Kertész, né en 1927, juif, ouvrier. Les deux données fausses, à savoir ma date de naissance et ma profession, s’expliquent par le fait que lors de leur enregistrement par l’administration du camp de concentration de Buchenwald, je m’étais vieilli de deux ans pour ne pas être mis parmi les enfants et avais prétendu être ouvrier plutôt que lycéen pour paraître plus utile.

Je suis donc mort une fois pour pouvoir continuer à vivre – et c’est peut-être là ma véritable histoire. Puisque c’est ainsi, je dédie mon œuvre née de la mort de cet enfant aux millions de morts et à tous ceux qui se souviennent encore de ces morts. Mais comme en définitive il s’agit de littérature, d’une littérature qui est aussi, selon l’argumentation de votre Académie, un acte de témoignage, peut-être sera-t-elle utile à l’avenir, et si j’écoutais mon cœur, je dirais même plus : elle servira l’avenir. Car j’ai l’impression qu’en pensant à l’effet traumatisant d’Auschwitz, je touche les questions fondamentales de la vitalité et de la créativité humaines ; et en pensant ainsi à Auschwitz, d’une manière peut-être paradoxale, je pense plutôt à l’avenir qu’au passé. »

Imre Kertész, Discours de réception du prix Nobel, 2002

 

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16/02/2019

Brigitte Dutheil : L'Homme Superlumineux...

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13/02/2019

Renaud Camus & Philippe Muray - Entretien (En vivant en écrivant...)

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12/02/2019

Philippe Bilger soumet à la question Renaud Camus

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10/02/2019

Réchauffement climatique : le pavé dans la mare !

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Comment le GIEC s’y est-il pris pour calculer la température moyenne dont il prétend qu’elle a augmenté d’environ 1° C au cours du dernier siècle ?

Par Thierry Godefridi

 

Si vous vous êtes demandé pourquoi il est difficile de prédire la météo sous nos latitudes à plus de quelques jours alors qu’il serait possible de prévoir le climat à l’échéance de plusieurs siècles, voire seulement quelques dizaines d’années, sur la Terre entière, Jean-Marc Bonnamy vous rassure : vous avez raison de vous interroger et il explique pourquoi dans Réchauffement climatique : Le pavé dans la mare ! », innocentant au passage le CO2 de toute responsabilité dans un « réchauffement » – ou « changement », ou « dérèglement »… – de la planète, à l’encontre des allégations du GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, créé en 1988 pour se pencher sur la question.

La question du rôle du CO2 est emblématique de la tournure politique, idéologique, quasi-religieuse du débat climatique. Dans la foulée du GIEC, les réchauffistes interprètent la corrélation statistique entre la courbe de l’élévation des températures et celle de la teneur en CO2 de l’atmosphère comme une loi physique de cause à effet, le CO2 provoquant cette élévation.

Le rôle du CO2

Ne pourrait-on pas en déduire l’inverse, à savoir que la teneur en CO2 de l’atmosphère augmente en fonction de l’élévation de la température ? Une corrélation ne peut à elle seule servir de preuve. D’ailleurs, comment s’expliquent les périodes de décorrélation entre températures et teneurs en CO2 dans les données dont fait état le GIEC lui-même ?

Jean-Marc Bonnamy résume la thèse du GIEC comme suit : la Terre se réchauffe, ce réchauffement entraînera des catastrophes, il est dû à l’effet de serre du CO2 et ce dernier résulte du développement de l’activité humaine. Et il entreprend de démontrer, dans les premiers chapitres de son livre, qu’un phénomène physique de saturation de l’effet de serre, que personne ne nie, exonère le CO2, au-delà de ce qu’il accomplit déjà, de toute incidence dans un quelconque réchauffement climatique au sens dans lequel le GIEC l’entend et que, si tant est qu’il y a réchauffement de la Terre, c’est ailleurs qu’il faut en chercher la raison.

Mais, au fait, comment le GIEC s’y est-il pris pour calculer la température moyenne dont il prétend qu’elle a augmenté d’environ 1° C au cours du dernier siècle ? Il s’est servi de donnés relevées à des dates et endroits divers par des stations météorologiques disparates, données qu’il a traitées (sans en communiquer la manière) et dont il a établi une moyenne qui est une fiction puisqu’une moyenne de températures n’est pas une température moyenne.

Mépris des données scientifiques

Et les objectifs de limitation de ladite température qui en découlent sont absurdes, outre le fait que les échelles de température Celsius et Fahrenheit sont arbitraires. Si l’on entend parler scientifiquement, ne conviendrait-il pas de parler en Kelvins ?

Jean-Marc Bonnamy dit sa surprise d’avoir constaté dans les rapports du GIEC disponibles sur la toile combien le rapport pour les décideurs politiques s’affranchissait des rapports scientifiques qui étaient supposés lui servir de base. Quand bien même les scientifiques admettent qu’aucune donnée ne permet de confirmer la réalité d’un réchauffement climatique, ni d’attribuer ce réchauffement à l’activité humaine, cela devient dans le rapport destiné aux décideurs politiques « le réchauffement climatique ne fait aucun doute et son attribution à l’activité humaine est prouvée ». Qui convient-il de croire ? Le GIEC ou le GIEC ? « Il faut cesser de considérer le GIEC comme un établissement scientifique, conclut Jean-Marc Bonnamy, et le prendre pour ce qu’il est : un lobby politique. »

Un chiffre notoirement faux

C’est en ce sens que se comprend la décision du président américain Trump de retirer les États-Unis de l’Accord de Paris sur le réchauffement climatique.

Le chiffre de 0,6 °C de réchauffement de la planète sur un siècle avancé par le GIEC sans intervalle de précision dans son rapport initial signifiait que la donnée comportait une précision de l’ordre de l’arrondi de la décimale suivante, en d’autres mots que le GIEC prétendait à une précision de l’ordre de 0,05° – 5 centièmes de degré ! Mais, outre ce chiffre d’une précision invraisemblable, le GIEC en a avancé d’autres qui étaient notoirement faux. Jean-Marc Bonnamy en dresse une liste. Les constructivistes, quel que soit l’horizon idéologique auquel ils appartiennent, ne sont jamais à court de conjectures, ni d’aplomb.

Le problème fondamental n’est-il pas que le climat, comme la météo, est un phénomène chaotique, c’est-à-dire ni stationnaire, ni cyclique, qui dépasse les limites épistémologiques de la connaissance humaine car il comprend un nombre infini de variables connues et inconnues d’une précision infinie dont le déterminisme inhérent se manifeste sur des durées de plusieurs milliers, dizaines de milliers, centaines de milliers d’années et échappe totalement à l’entendement humain ?

Reste à écrire le livre sur la question de savoir à quoi servent et, surtout, à qui profitent le GIEC ainsi que les accords, les politiques et l’agit-prop écologiste qui s’en prévalent.

 

Réchauffement climatique : Le pavé dans la mare ! (Jean-Marc Bonnamy), 164 pages, Éditions L’Harmattan.

 

Sur le Web

 

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SOURCE : Contrepoints

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En dessous de nous, les hommes fourmillent, nus, ruisselant de sueur

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« Tout le camp allait nu. A vrai dire, nous venions de passer à l’épouillage et de récupérer nos vêtements plongés dans des bassins remplis de zyklon dilué, de quoi empoisonner à merveille les poux dans les habits et les hommes dans les chambres à gaz. Seuls les blocs séparés de nous par des chevaux de frise n’avaient pas encore touché leurs vêtements. Cependant, les uns et les autres allaient nus : il faisait une chaleur accablante. Le camp était hermétiquement clos. Aucun détenu, aucun pou n’aurait eu l’audace de se faufiler par la grille. Le travail des kommandos était interrompu. Toute la journée, des milliers d’hommes nus s’effondraient sur les chemins et les places d’appel, se détendaient, allongés le long des murs et sur les toits. On dormait à même les planches, car les paillasses et les couvertures étaient à la désinfection. Des derniers blocs, on voyait le FKL (1)  ; là-bas aussi, c’était l’épouillage. Vingt-huit mille femmes avaient été déshabillées et chassées de leurs blocs, elles se bouculaient sur les routes et les places.

Depuis le matin, on attend le déjeuner, on mange les colis, on rend visite aux amis. Les heures s’écoulent au ralenti, comme toujours par grande chaleur. Même notre distraction habituelle a disparu  : les larges routes menant aux crématoires sont désertes. Depuis plusieurs jours, il n’y a plus de convois. Une partie du Canada (2) a été supprimée et affectée à un kommando. Les hommes sont tombés dans l’un des plus pénibles, à Harmenze, parce qu’ils étaient bien gras et reposés. Il règne au camp une équité jalouse : lorsqu’un puissant déchoit, ses amis font en sorte qu’il déchoie le plus bas possible. Le Canada, notre Canada, n’embaume pas la résine mais les parfums français, et pourtant il pousse moins de grands pins dans le vrai Canada qu’il n’y a de diamants et d’argent cachés dans le nôtre, provenant de l’Europe entière.

Nous sommes assis à plusieurs sur un châlit, balançant les jambes avec insouciance. Nous procédons à la distribution d’un pain blanc cuit astucieusement, qui s’émiette et dont le goût irrite, mais qui, en revanche, peut se conserver pendant des semaines. Ce pain m’a été envoyé de Varsovie. Il y a huit jours de cela, ma mère le tenait dans ses mains. Mon Dieu, mon Dieu…

Nous sortons du lard, des oignons et une boîte de lait concentré. Henri, qui est grand et ruisselle de sueur, rêve à haute voix du vin français apporté par les convois de Strasbourg, de la région parisienne, de Marseille…

—   Ecoute, mon ami (3), lorsque nous retournerons au quai, je te rapporterai du vrai Champagne. Tu n’en as jamais bu, pas vrai  ?

—   Non. Mais tu ne lui feras pas passer la grille. Alors ne me raconte pas d’histoires. Organise-moi (4) plutôt des chaussures, tu sais, lacées, à double semelle  ; quant à la chemise, je n’en parle même plus ; il y a si longtemps que tu me la promets…

—   Patience, patience, dès qu’il arrivera des convois, je te rapporterai tout ça. On y retournera, au quai.

—   Et s’il n’y avait plus de convois pour la chambre à gaz  ? lançai-je méchamment. Tu as vu comment le régime du camp s’est adouci  ? Colis en quantité illimitée, défense de frapper les détenus. Vous venez même d’écrire chez vous… On raconte beaucoup de choses sur les nouvelles instructions ; toi le premier. Et puis, bon Dieu, ils vont bien finir par manquer de monde.

—   Dis pas d’âneries — le gros Marseillais, dont le visage semble inspiré comme ceux des miniatures de Cosway (il est mon ami, mais j’ignore son prénom), a la bouche déformée par un sandwich à la sardine. Dis pas d’âneries, répète-t-il en déglutissant péniblement ("C’est passé, putain"). Dis pas d’âneries, il ne faudrait pas qu’il manque de monde, sinon on crèverait tous, au camp. Nous vivons tous de ce qu’ils apportent.

—  Tous  ? Pas tous. Nous avons les colis…

—   Parle pour toi et ton copain, et une dizaine de tes copains ; vous en avez, vous, les Polonais, et encore, pas tous. Mais nous, les youpins, et les Ruskofs ? Et puis, si nous n’avions pas de quoi manger sans les convois, tu crois que vous les mangeriez tranquillement, vos colis  ? On vous laisserait pas faire.

—   Si, sinon vous crèveriez de faim, comme les Grecs. Au camp, c’est celui qui a la bouffe qui est le plus fort.

—   Vous en avez et nous aussi ; alors pourquoi se disputer  ?

Sûr, il n’y a pas de quoi se disputer. Vous avez ce qu’il vous faut, et moi aussi ; nous faisons table commune, nous dormons sur le même châlit. Henri coupe le pain, il fait une salade de tomates. Elle est délicieuse avec la moutarde de la cantine.

En dessous de nous, les hommes fourmillent, nus, ruisselant de sueur. Ils traînent dans le passage entre les châlits, le long de l’énorme poêle, intelligemment conçu, entre les embellissements qui, d’une écurie (sur la porte on voit encore un écriteau signalant que les verseuchte Pferde, les chevaux contagieux, doivent être isolés à tel et tel endroit), ont fait une agréable (gemütlich) maison pour plus d’un demi-millier de détenus. Ils nichent sur les couches du bas, à huit ou neuf, ils sont couchés, nus, osseux, puant la sueur et les excréments, les joues pendantes. En dessous de moi, tout en bas, il y a un rabbin ; il s’est couvert la tête d’un bout de couverture en lambeaux, et lit son livre de prières hébraïques (une lecture que l’on trouve ici…) en psalmodiant d’une voix forte et monotone.

  — Il n’y aurait pas moyen de le calmer ? Il gueule comme s’il avait attrapé le bon Dieu par les pieds.

—  Je n’ai pas envie de descendre. Laisse-le brailler, il n’en ira que plus tôt à la chambre à gaz.

—   La religion est l’opium du peuple. J’adore fumer de l’opium, ajoute sentencieusement le Marseillais, à gauche, qui est communiste et rentier.

—   S’ils ne croyaient pas en Dieu et en une vie dans l’au-delà, il y a belle lurette qu’ils auraient démoli les crématoires.

—   Et vous, pourquoi vous ne le faites pas  ?

Cette question a un sens métaphorique, mais le Marseillais répond  : " Idiot." Il enfourne une tomate dans sa bouche et esquisse un geste, comme pour dire quelque chose  ; cependant il continue de manger et se tait.

Nous finissions de nous remplir la panse lorsqu’un grand remue-ménage se fit à la porte du bloc  ; les "musulmans " (5) s’écartèrent et s’enfuirent précipitamment entre les châlits. Une estafette fit irruption dans la pièce du chef de bloc. Quelques minutes plus tard, le chef de bloc en sortit majestueusement.

—   Le Canada ! Antreten (6 ) ! Et vite  ! Un convoi arrive.

—   Grands dieux  ! hurla Henri en sautant du châlit.

Le Marseillais s’étouffa avec sa tomate. Il s’empara de sa veste, hurla "Raus  !" aux autres assis en bas, et les voilà déjà à la porte. Les autres châlits étaient en effervescence  : le Canada partait au quai.

—   Henri, les chaussures ! criai-je en guise d’au revoir.

—   Keine Angst (7)  ! me répondit-il, déjà dehors.

J’emballai la mangeaille, ficelai la valise où les oignons et les tomates du jardin de mon père à Varsovie voisinaient avec des sardines portugaises et du lard de l’entreprise Bacutil, à Lublin (un cadeau de mon frère), avec les plus authentiques fruits secs de Salonique. La valise ficelée, je remontai mon pantalon et descendis du châlit.

—   Platz  ! hurlai-je en me frayant un chemin parmi les Grecs.

Ils s’écartaient. A la porte, je me retrouvai nez à nez avec Henri.

— Allez, allez, vite, vite (8)  !

—   Was ist los (9)  ?

—   Tu veux aller au quai avec nous  ?

—   Je veux bien.

—   Alors, en route. Prends ta veste ! Il nous manque quelques hommes, j’en ai parlé au kapo.

Et il me poussa hors du bloc.

Nous nous mîmes en rang, quelqu’un releva nos numéros, un autre à la tête hurla "En avant, marche  ! " et nous courûmes vers la grille, accompagnés par les cris d’une foule polyglotte que l’on repoussait déjà vers les blocs à coups de cravache. Ce n’est pas n’importe qui que l’on envoie au quai… On dit au revoir aux hommes et nous voilà au portail. «  Links, zwei, drei, vier ! Mützen ab !  » (10) Droits comme des I, les bras tendus le long du corps, nous franchissons la grille d’un pas alerte, élastique, presque gracieux. Un SS somnolant, un grand tableau à la main, nous compte avec apathie, nous séparant du bout du doigt par groupes de cinq.

—  Hundert (11)  ! cria-t-il lorsque le dernier passa devant lui.

—  Stimmt  ! lui répondit un cri rauque à l’avant.

Nous marchons rapidement, presque au pas de course. Il y a beaucoup de gardes, des jeunes armés de mitraillettes. Nous dépassons tous les secteurs du camp II B et le Lager C des Tchèques, inhabité, en quarantaine. Nous disparaissons entre les poiriers et les pommiers du Truppen-lazaret (12), au milieu d’une végétation inconnue, d’aspect lunaire, qui a curieusement jailli pendant ces quelques jours de soleil. Nous contournons des baraques, traversons les limites de la grande Postenkette (13) et débouchons en courant sur la route. Nous voici arrivés. Encore quelques dizaines de mètres et l’on aperçoit, parmi des arbres, le quai.

C’était un quai rustique, comme on en trouve souvent dans les gares perdues de province. La petite place, encadrée par le feuillage vert des grands arbres, était semée de gravier. En retrait, en bordure de la route, se nichait une minuscule baraque en bois, plus laide et plus branlante que la plus sale et la plus branlante de toutes les baraques de chemins de fer. Plus loin se trouvaient de hautes piles de rails, des traverses, des tas de planches, des éléments de baraques, des briques, des pierres, des tuyaux. C’est ici qu’on charge la marchandise pour Birkenau : les matériaux de construction pour le camp, et les gens pour les chambres à gaz. Une journée de travail comme les autres : les camions arrivent, chargent des planches, du ciment, des gens.

Les gardes prennent position sur les rails, sur les traverses, à l’ombre des marronniers de Silésie. Ils forment un cercle serré autour du quai. Ils essuient la sueur de leur front, boivent à leurs gourdes. Il fait une chaleur torride, le soleil est au zénith, immobile. «  Dispersez-vous  !  » Nous nous asseyons dans les parcelles d’ombre, contre les rails. Les Grecs affamés (quelques-uns ont réussi à se glisser parmi nous, Dieu seul sait comment) furètent entre les voies ; l’un d’eux déniche une boîte de conserve, des petits pains moisis, des restes de sardines. Ils mangent. Un garde, un grand jeune à l’épaisse chevelure fauve, et aux yeux bleus rêveurs, crache sur eux  :

—   Schweinedreck (14), dans cinq minutes vous allez avoir à bouffer plus que vous ne pourrez en avaler. A vous en faire passer l’envie pour longtemps.

Il rectifie sa mitraillette et s’éponge la figure avec son mouchoir.

—  C’est un abruti, décidons-nous unanimement.

—   Toi, le gros. » La botte de la sentinelle touche légèrement la nuque d’Henri. « Pass mal auf (15), tu as soif  ?

—   Oui, mais je n’ai pas de marks, répond le Français, au courant des usages.

—   Schade, dommage.

—   Mais, Herr Posten, est-ce que ma parole n’a plus de valeur ? Vous n’avez jamais fait d’affaires avec moi ? Wieviel (16)  ?

—   Cent. Gemacht (17)  ?

—   Gemacht.

Nous buvons une eau fade, insipide, sur le compte d’un argent et de gens qui ne sont pas encore là.

—  Et toi, fais gaffe, me dit le Français en jetant la bouteille vide qui va éclater plus loin sur les rails, ne prends pas de fric, il peut y avoir une fouille. D’ailleurs, à quoi il te servirait, t’as de quoi manger. Ne prends pas d’habits non plus ; on te soupçonnerait de vouloir t’évader. Tu peux prendre une chemise, mais seulement en soie et avec un col. A mettre en dessous, de gymnastique. Et si tu trouves quelque chose à boire, ne m’appelle pas. Je me débrouillerai. Et fais gaffe, si tu ne veux pas écoper.

—   Ils cognent  ?

—   Evidemment. Faut avoir des yeux dans le dos, des Arschaugen.

Autour de nous sont assis les Grecs. Ils travaillent activement des mâchoires, comme de grands insectes. Ils se bourrent avec voracité de pain pourri. Ils sont préoccupés, ils se demandent quel travail on attend d’eux. Les poutrelles et les rails les inquiètent. Ils n’aiment pas porter.

—   Was wir arbeiten  ? demandent-ils.

—   Niks. Convoi kommen. Alles crématoire, compris  ?

—   Alles verstehen, répondent-ils dans l’espéranto des crématoires.

Ils sont rassurés  : ils n’auront ni à charger des rails sur des camions ni à porter des poutrelles.

Pendant ce temps, sur le quai, se pressait une foule de plus en plus grouillante et bruyante. Les Vorarbeiter (18) avaient réparti les groupes, affectant les uns à l’ouverture et au déchargement des wagons, et plaçant les autres au bas des marchepieds de bois en leur en expliquant l’usage. Ces marchepieds étaient amovibles, pratiques, et aussi larges que les gradins d’une tribune. Des motocyclettes arrivaient en pétaradant, amenant des sous-officiers SS couverts de l’argent de leurs décorations, des hommes gras, bien nourris, avec des bottes reluisantes et des visages de rustres épanouis. Certains portaient des sacoches, d’autres maniaient de souples baguettes de roseau. Cela leur donnait un air officiel et énergique. Ils se rendaient dans la cantine. La minable baraque, en effet, leur servait de cantine. L’été, ils y buvaient de l’eau minérale — Sudetenquelle — et, l’hiver, s’y réchauffaient avec du vin chaud. Ils se saluaient du salut officiel, en tendant le bras à la romaine, puis se serraient cordialement la main droite, échangeaient de chaleureux sourires, parlaient des lettres, des nouvelles qu’ils avaient reçues de chez eux, de leurs enfants ; ils se montraient des photographies. Certains se promenaient dignement sur la place, le gravier crissait, les bottes grinçaient, les carrés d’argent étincelaient sur les cols et les badines de bambou fouettaient l’air nerveusement.

La foule en pyjamas rayés était couchée près des rails, dans les étroites bandes d’ombre. Elle respirait péniblement, parlait dans ses multiples langues, regardait avec paresse et indifférence les hommes majestueux en uniformes verts, la verdure des arbres, proche et inaccessible, le clocher d’une petite église lointaine où l’on sonnait l’angélus, avec retard.

—   Voilà le convoi, fit quelqu’un, et tous se levèrent, dans l’attente.

A la sortie du virage apparurent des wagons de marchandise  : le train avançait en marche arrière ; un cheminot, debout sur le tampon d’arrêt, se pencha, agita le bras, siffla. La locomotive lui répondit par un coup de sifflet strident et haleta bruyamment. Le train s’engagea lentement le long du quai. Derrière les barreaux des petites lucarnes, on apercevait des têtes chiffonnées, pâles, mal réveillées, hirsutes  : des femmes effrayées, des hommes qui, détail exotique, avaient encore des cheveux. Ils nous dépassaient lentement, observant la gare en silence. C’est alors qu’à l’intérieur des wagons quelque chose commença à s’agiter et à résonner contre les parois de bois. Des appels sourds et désespérés fusèrent.

—   De l’eau  ! De l’air  !

Aux fenêtres se penchaient des visages ; des bouches aspiraient désespérément l’air. Après quelques gorgées, les gens disparaissaient des fenêtres et d’autres les prenaient d’assaut, puis disparaissaient de la même manière. Les cris et les râles s’amplifiaient.

Un homme en uniforme vert, plus couvert d’argent que les autres, eut une grimace de dégoût. Il tira sur sa cigarette et la jeta brusquement, passa sa sacoche de sa main droite dans sa main gauche et fit un signe à l’un des gardes. Ce dernier épaula lentement sa mitraillette et lâcha une rafale sur les wagons. Le silence se rétablit. Pendant ce temps les camions s’étaient avancés, l’on avait installé les marchepieds et l’on s’était placé comme il fallait près des wagons.

Le géant à la sacoche fit un signe de la main.

—   Gare à ceux qui prennent de l’or, ou quoi que ce soit d’autre, à l’exception de la nourriture. Ils seront fusillés pour avoir volé la propriété du Reich. Compris  ? Verstanden  ?

—   Jawohl  ! hurla-t-on avec plus ou moins de force, chacun pour soi, mais avec de la bonne volonté.

—   Also los  ! Au travail  !

Les verrous grincèrent, on ouvrit les wagons. Une vague d’air frais s’abattit à l’intérieur, frappant les gens comme de l’oxyde de carbone. Courbaturés, comprimés par une quantité monstrueuse de bagages, de malles, de valises, de mallettes, de sacs à dos, de ballots en tout genre (ils avaient emporté tout ce qui constituait leur ancienne existence et devait fonder la nouvelle), ils étaient terriblement entassés, ils s’évanouissaient sous l’effet de la chaleur, étouffaient et étouffaient les autres. Ils se massèrent près des portes ouvertes, haletant comme des poissons hors de l’eau.

—   Achtung, descendez avec vos bagages. Ne laissez rien. Déposez toutes ces hardes en tas près du wagon. Donnez vos manteaux. Nous sommes en été. Dirigez-vous vers la gauche. Compris  ?

—   Monsieur, que va-t-on faire de nous  ?

Ils sautent déjà sur le gravier, inquiets, très énervés.

—   D’où venez-vous  ?

—   De Sosnowiec, de Bedzin. Monsieur, que va-t-il nous arriver  ?

Ils répètent obstinément les mêmes questions, fixant ardemment les yeux fatigués de leurs interlocuteurs.

—   Je ne sais pas, je ne comprends pas le polonais.

Une loi du camp veut que ceux qui vont à la mort soient abusés jusqu’à la dernière minute. C’est la seule forme acceptable de pitié. La chaleur est insupportable. Le soleil est au zénith. Le ciel embrasé frémit, l’air vibre, par moments le vent souffle sur nous, un air fluide et brûlant. Nos lèvres sont déjà crevassées, on sent dans la bouche le goût salé du sang. Nos corps, restés trop longtemps au soleil, sont affaiblis et rétifs. A boire, oh  ! à boire  !

Une vague bigarrée se déverse de chaque wagon, chargée, semblable à un fleuve aveugle, perdu, qui se chercherait un nouveau lit. Mais avant que ces malheureux aient repris conscience, frappés par la fraîcheur de l’air et l’odeur de la nature, déjà on leur arrache leurs paquets des mains, on leur retire leurs manteaux, on arrache leurs sacs à main aux femmes, on confisque les parapluies.

—   Monsieur, monsieur, c’est pour le soleil, je ne peux pas…

—   Verboten, aboie-t-on entre ses dents en sifflant bruyamment.

Dans notre dos se tient un SS, calme, maître de lui, un professionnel.

—   Meine Herrschaften, mesdames et messieurs, ne jetez pas vos affaires n’importe comment. Montrez donc un peu de bonne volonté.

Il parle avec gentillesse, mais sa fine cravache se tord nerveusement dans ses mains.

—   Oui, oui, répondent-ils en passant devant nous, longeant les wagons d’un pas un peu plus alerte.

Une femme se penche rapidement pour ramasser son sac. La cravache siffle, la femme crie, elle trébuche et s’effondre sous les pieds de la foule. Un enfant court derrière elle et piaille  : "Mamele", une toute petite fille aux cheveux ébouriffés…

Le tas d’affaires grandit  : valises, balluchons, sacs à dos, plaids, vêtements, des sacs à main qui en tombant s’ouvrent et répandent des billets de banque de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, de l’or, des montres. Devant les portes des wagons s’amoncellent des morceaux de pain, s’entassent des pots de confitures, des marmelades diverses ; les tas de jambons, de saucissons s’enflent. Du sucre se répand sur le gravier. Les camions bondés partent dans un bruit d’enfer, accompagnés des lamentations et des hurlements des femmes qui pleurent leurs enfants, et du silence ahuri des hommes soudain esseulés. Ceux qui sont partis à droite — les jeunes, les bien-portants —, iront au camp. Le gaz ne les épargnera pas, mais ils devront d’abord travailler.

Les camions vont et viennent, sans répit, comme à la chaîne, une chaîne monstrueuse. L’ambulance de la Croix-Rouge fait des allers et retours incessants. L’immense croix de sang sur le capot fond au soleil. L’ambulance de la Croix-Rouge va et vient inlassablement : c’est elle qui transporte le gaz, ce gaz avec lequel on asphyxie ces gens.

Le Canada, près des marchepieds, n’a pas un moment pour souffler. Les hommes séparent ceux qui vont au gaz et ceux qui vont au camp ; ils poussent les premiers sur les marchepieds, les entassent dans les camions, à soixante par véhicule, grosso modo.

Sur le côté se tient un jeune monsieur rasé de près, un SS. Il tient un carnet à la main. Chaque camion est figuré par un bâton : seize camions sont partis, cela fait mille, grosso modo. Le monsieur semble équilibré et méticuleux. Aucun camion ne peut partir sans qu’il le sache, sans son bâton : Ordnung muss sein. Les bâtons s’enflent en milliers, les milliers en convois entiers, dont on dit brièvement "de Salonique ", "de Strasbourg ", "de Rotterdam". De celui-ci, on dira dès aujourd’hui "de Bedzin", mais son nom définitif sera  : "de Bedzin-Sosnowiec ". Les personnes de ce convoi qui iront au camp recevront les numéros 131-132. En milliers, s’entend, mais en abrégé, on dira justement les 131-132.

Le nombre des convois augmente au fil des semaines, des mois, des années. Après la guerre, on comptera ceux qui auront été réduits en cendres ; on en dénombrera quatre millions cinq cent mille. Le combat le plus sanglant de la guerre, la plus grande victoire de l’Allemagne unie et solidaire. Ein Reich, ein Volk, ein Führer — et quatre crématoires. Des crématoires, il y en aura seize à Auschwitz, pouvant brûler cinquante mille personnes par jour. Le camp sera agrandi jusqu’à ce que ses barbelés électrifiés atteignent la Vistule ; trente mille hommes en pyjamas rayés l’habiteront ; on l’appellera la Verbrecherstadt — la ville des criminels. Non, les victimes ne manqueront pas. Brûleront des Juifs, brûleront des Polonais, brûleront des Russes puis viendra le tour des hommes de l’Ouest et du Sud, du continent et des îles. Viendront des hommes en pyjamas rayés, ils reconstruiront les villes allemandes détruites, ils laboureront les terres en friche et, quand ils seront épuisés par un travail impitoyable, par le sempiternel "Bewegung  ! Bewegung  ! ", alors s’ouvriront devant eux les portes des chambres à gaz. Celles-ci seront améliorées, plus économiques, plus habilement camouflées. Comme celles de Dresde, déjà entrées dans la tragique légende.

Les wagons sont enfin vides. Un SS maigre, grêlé, jette un coup d’œil tranquille à l’intérieur, hoche la tête avec dégoût, nous embrasse du regard et désigne le train  :

—   Rein. Nettoyez  !

On saute à l’intérieur. Dispersés dans les coins, parmi les excréments et les montres perdues, il y a des bébés étouffés, piétinés, des petits monstres nus aux têtes énormes et aux ventres gonflés. On les attrape comme des poulets, plusieurs à la fois.

—   Ne les mets pas dans le camion. Rends-les aux femmes, me dit le SS en allumant une cigarette.

Son briquet s’est enrayé, ce qui le préoccupe beaucoup.

—   Prenez ces bébés, pour l’amour de Dieu.

J’explose, car les femmes me fuient avec terreur, rentrant la tête dans leurs épaules.

Que vient faire ici le nom de Dieu  ? Les femmes comme les enfants iront dans les camions. Tous. Sans exception. Nous savons tous parfaitement ce que cela veut dire et nous nous regardons avec haine et terreur.

—   Quoi, vous ne voulez pas les prendre  ? dit d’une voix à la fois étonnée et chargée de reproche le SS grêlé, qui commence à dégainer son revolver.

—   Inutile de tirer, je les prends.

Une grande femme aux cheveux gris me prit les bébés des mains et, un instant, me regarda droit dans les yeux.

—   Un enfant, un enfant, chuchota-t-elle en souriant.

Elle s’éloigna en trébuchant sur le gravier.

Je m’appuyai contre la paroi du wagon. J’étais très fatigué.

Quelqu’un me secoue par le bras.

—   Viens, je vais te donner à boire. Tu as l’air d’avoir envie de dégueuler. En avant (19), près des rails, viens  !

Je regarde, un visage danse devant mes yeux, puis se dissipe, se confond, immense, transparent, avec les arbres immobiles, noirs, allez savoir pourquoi  ; avec la foule qui se répand… Mes yeux papillotent.

—   Ecoute, Henri, est-ce que nous sommes des hommes bons  ?

—   Pourquoi tu me poses cette question idiote  ?

—   Ecoute, mon vieux, je sens en moi une haine totalement incompréhensible pour ces gens à qui je dois d’être ici. Je n’ai pas du tout pitié d’eux quand je pense qu’ils vont au crématoire. Si la terre pouvait s’ouvrir sous leurs pieds  ! Je les battrais à coups de poing. Ce doit être pathologique, je n’y comprends rien.

—   Ah  ! c’est tout le contraire, c’est normal, prévu, calculé. Le quai est une torture pour toi, tu te révoltes et c’est plus facile de soulager ta colère sur plus faibles que toi. C’est même une bonne chose que tu le fasses. Voilà ce que te dit ma petite tête, compris (20)  ? me répond le Français, quelque peu ironique, en s’allongeant confortablement contre les rails. Regarde les Grecs, en voilà qui savent en profiter ! Ils bouffent tout ce qui leur tombe sous la main. Il y en a un qui a mangé devant moi tout un pot de marmelade.

—   Les imbéciles. Demain, la moitié d’entre eux crèvera de la chiasse.

—   Des imbéciles  ? Toi aussi, tu as eu faim.

—   Des imbéciles, répété-je avec entêtement.

Je ferme les yeux, j’entends des cris, je sens la terre qui tremble et l’air lourd sur mes paupières. J’ai la gorge complètement desséchée.

Les gens passent, passent, les camions grondent comme des chiens furieux. Sous mes yeux défilent les cadavres tirés des wagons, les enfants piétinés, les infirmes entassés avec les morts, et la foule, la foule, la foule… Des wagons viennent s’immobiliser ; les hardes, les valises et les sacs à dos s’amoncellent ; les gens descendent, observent le soleil, respirent, mendient de l’eau, montent dans les camions et partent. Arrivent de nouveaux wagons, de nouvelles gens… Toutes les images se brouillent en moi, je ne sais plus si cet événement a réellement lieu ou si je rêve. Je vois soudain le vert des arbres qui se balancent avec toute la rue, avec la foule colorée, mais, ce sont les Allées (21)  ! J’ai la tête qui tourne, je sens que je vais vomir.

Henri me secoue par le bras.

—   Réveille-toi, on va charger ces oripeaux.

Il n’y a plus personne. Les derniers camions sont déjà loin sur la route, ils soulèvent d’énormes nuages de poussière, le train est parti. Des SS arpentent dignement le quai désert, l’argent scintille sur leurs cols. Leurs bottes reluisent. Leurs visages rouges, bouffis, brillent. Parmi eux, une femme. Je prends conscience seulement maintenant qu’elle est là depuis le début, sèche, plate, osseuse. Elle a coiffé en arrière ses cheveux ternes et clairsemés, noués en nœud « nordique ». Elle a les mains enfouies dans une large jupe-culotte. Elle arpente le quai, un sourire de rongeur implacable collé sur ses lèvres desséchées. Elle hait la beauté féminine de toute la haine d’une femme laide et qui se sait l’être. Oui, je l’ai déjà vue plusieurs fois, je me souviens parfaitement d’elle : c’est le commandant du FKL ; elle est venue examiner ses nouvelles recrues car une partie des femmes n’ont pas été conduites aux camions, elles partent à pied, au camp. Nos gars, les coiffeurs de la zauna (22), leur tondent les cheveux et la pudeur que ces femmes gardent encore du monde de la liberté les amuse beaucoup.

Nous chargeons donc les hardes, nous soulevons de lourdes valises, grandes et belles, que nous jetons avec effort sur un camion où on les empile, on les tasse, on les entaille, avec ce qu’on peut, au couteau, pour le plaisir et dans l’espoir de trouver de la vodka et des parfums, qu’on répand directement sur soi. Une des valises s’ouvre  ; il en tombe des vêtements, des chemises, des livres… Je m’empare d’un petit paquet, il pèse. Je l’ouvre  : de l’or, deux bonnes poignées  ; des boîtiers de montre, des bracelets, des bagues, des colliers, des diamants…

—   Gib hier, dit tranquillement un SS en me présentant sa sacoche ouverte, pleine d’or et de billets de banque étrangers de toutes les couleurs.

Il la referme et la tend à un officier, puis il en prend une autre, vide, et va faire le guet auprès d’un camion plus loin. Cet or partira pour le Reich.

Il fait très chaud, une chaleur torride. L’air est comme un pilier immobile, brûlant. Les gorges sont sèches, chaque mot prononcé provoque une douleur. A boire  ! Fébrilement, pour en finir le plus vite possible, pour aller nous reposer à l’ombre, nous terminons le chargement. Les derniers camions s’éloignent, nous ramassons soigneusement tous les papiers qui traînent sur la voie, nous grattons dans le gravier fin chaque saleté qui n’est pas de chez nous, qui vient du convoi, "afin qu’il ne reste aucune trace de cette horreur ", mais au moment où le dernier camion disparaît derrière les arbres, au moment où nous nous dirigeons, enfin ! vers les rails, pour nous reposer et boire (peut-être que le Français va acheter autre chose au garde  ?), de derrière le tournant on entend le coup de sifflet du cheminot. Avec une lenteur infinie, des wagons arrivent, la locomotive répond par un coup de sifflet strident ; aux fenêtres apparaissent des visages fripés et pâles, plats comme des découpages, aux yeux immenses brûlants de fièvre. Voici déjà les camions, voici déjà le monsieur calme avec son carnet, déjà les SS sont sortis de la cantine avec leurs sacoches pour l’or et l’argent. Nous ouvrons les wagons.

Non, on ne peut plus se maîtriser. On arrache brutalement leurs valises aux gens, on les secoue pour leur prendre leur manteau. "Allez, allez, passez  ! " Ils vont, ils passent. Hommes, femmes, enfants. Certains d’entre eux savent.

Une femme avance vite, sa hâte est imperceptible mais fébrile. Un enfant de trois ou quatre ans, au visage rose et joufflu de chérubin, court derrière elle, il ne parvient pas à la rattraper, il tend ses menottes en pleurant  : "Maman  ! Maman  ! "

—   Hé, la femme  ! Prends ton gosse dans tes bras  !

—   Monsieur, mais monsieur, ce n’est pas mon enfant, il n’est pas à moi  ! crie-t-elle avec hystérie, et elle s’enfuit en se cachant le visage dans les mains.

Elle veut se dissimuler, elle veut arriver parmi les autres qui ne partiront pas en camion, qui partiront à pied, qui vivront. Elle est jeune, jolie  ; elle veut vivre.

Mais l’enfant court derrière elle et hurle à pleins poumons  :

—   Maman, maman, ne te sauve pas  !

—   Il n’est pas à moi, pas à moi, non  !

Mais Andreï, un marin de Sébastopol, l’a rattrapée. Il a les yeux troublés par la vodka et la chaleur. Il la fait vaciller d’un seul coup d’épaule, la retient dans sa chute en la saisissant par les cheveux et la remet debout. La colère lui tord le visage.

—   A, ty ïebi tvoïa mat’, blad ievreïskaïa (23)  ! C’est comme ça que tu fuis en laissant ton gosse  ! Je vais te montrer, salope  !

Il la saisit à bras-le-corps, étrangle de sa lourde paluche la gorge qui veut crier, et la balance de toutes ses forces comme un lourd sac de blé sur un camion.

—   Tiens  ! Et prends ça  ! Chienne  ! dit-il en lançant l’enfant à ses pieds.

—   Gut gemacht, voilà comment il faut punir les mères dénaturées, dit le SS près du camion. Gut, gut Ruskof.

—   Moltchi (24)  ! grogne Andreï qui s’éloigne vers les wagons.

Il prend sa gourde cachée sous un tas de hardes, dévisse le bouchon et la porte à ses lèvres, puis me la tend. L’alcool me brûle la gorge. Ma tête tourne, mes jambes fléchissent, je suis à deux doigts de vomir.

Soudain, de toute cette vague humaine qui se pressait aveuglément vers les camions comme un fleuve mû par une force invisible surgit une jeune fille. Elle sauta du wagon avec souplesse, sur le gravier, et regarda autour d’elle d’un œil scrutateur, avec un étonnement infini.

Ses cheveux abondants se répandaient en une vague souple sur ses épaules, elle les secoua avec impatience. D’un geste machinal, elle passa ses mains sur son corsage, redressa sa jupe un peu courte. Elle resta ainsi un instant. Enfin, elle détacha son regard de la foule et ses yeux glissèrent sur nous. Elle nous observa, comme à la recherche de quelqu’un. A mon insu, je cherchai son regard et nos yeux se rencontrèrent.

—   Ecoute, dis-moi où ils nous emmènent  !

Je la regarde. Devant moi se tient une jeune fille aux cheveux blonds magnifiques, à la poitrine ravissante, prise dans un léger corsage de batiste, au regard intelligent et mûr. Elle est là, elle me regarde droit dans les yeux, elle attend. D’un côté la chambre à gaz  : la mort commune, horrible et répugnante. De l’autre, le camp : le crâne rasé, un pantalon matelassé soviétique pour la chaleur, l’odeur fétide, abominable, des corps de femmes sales et transpirants, une faim bestiale, un travail inhumain et, pour finir, la même chambre à gaz, mais pour une mort encore plus abominable, encore plus répugnante, encore plus épouvantable. Qui entre ici n’emportera même pas ses cendres au-delà de la Postenkette, il ne retournera pas dans l’autre vie.

"Pourquoi l’a-t-elle apportée  ? On va la lui prendre, de toute façon", pensai-je en apercevant à son poignet une jolie montre au fin bracelet en or. Tuska avait la même, mais elle était attachée par un étroit ruban noir.

—   Ecoute, réponds-moi.

Je me taisais. Elle pinça les lèvres.

— Je sais, fit-elle avec une note de mépris hautain dans la voix et en rejetant la tête en arrière.

Elle partit courageusement vers les camions. Quelqu’un voulut l’arrêter, elle l’écarta sans peur et escalada le marchepied pour monter dans le camion presque plein. Je n’aperçus plus que de loin ses beaux cheveux blonds éparpillés dans sa course.

Je montais dans les wagons, je sortais les bébés, je lançais les bagages. Je touchais les cadavres, mais ne pouvais vaincre ma peur panique. Je les fuyais, mais il y en avait partout, rangés côte à côte sur le gravier, sur la bordure en ciment du quai, dans les wagons. Des bébés, des femmes nues horribles, des hommes tordus dans des convulsions… Je fuis le plus loin possible. Quelqu’un me cingle le dos d’un coup de cravache : du coin de l’œil, je distingue un SS qui m’injurie, je lui échappe et me fonds dans le groupe rayé du Canada. Enfin, je me traîne près des rails. Le soleil est très bas sur l’horizon et inonde le quai de la lumière sanglante du couchant. Les ombres des arbres s’allongent avec des allures de spectres ; dans le silence qui envahit la nature vers le soir, le cri des hommes monte dans le ciel, de plus en plus fort, de plus en plus pressant.

C’est seulement d’ici, des rails, que l’on voit vraiment l’enfer grouillant du quai. Là, un couple est tombé à terre, uni dans une étreinte désespérée. L’homme a convulsivement enfoncé ses doigts dans le corps de la femme, il s’est agrippé à ses habits avec les dents. Elle pousse des cris hystériques, jure, blasphème, avant de gémir et de se taire, étouffée par une botte. On les sépare comme on fend un arbre et on les pousse comme des bêtes sur des camions. Ailleurs, quatre hommes du Canada portent un cadavre : une énorme bonne femme boursouflée ; ils sacrent et transpirent sous l’effort, repoussent à coups de pied les enfants égarés qui errent aux quatre coins du quai en hurlant à la mort comme des chiens. Alors ils les empoignent par le cou, la tête et les mains, et les jettent en tas sur les camions. Mais ces quatre-là ne parviennent pas à hisser la grosse femme, ils font appel à des camarades et unissent leurs forces pour pousser cette montagne de viande sur la plate-forme. Sur tout le quai on ramasse des cadavres grands, gonflés, ballonnés. Au milieu, on jette les infirmes, les paralysés, les étouffés, les évanouis. Le tas de cadavres grouille, glapit, hurle. Le chauffeur met le moteur en marche et part.

—   Hait  ! Hait  ! crie de loin un SS. Arrête-toi, nom de Dieu  !

On traîne un vieillard en frac, avec un brassard. Le vieillard heurte le gravier, les cailloux, de la tête  ; il gémit et répète sans relâche, comme une litanie  : " Ich will mit dem Herrn Kommandanteten sprechen, je veux parler au commandant. " Il répète cette phrase tout le long du chemin, avec un entêtement sénile. Lancé sur un camion, piétiné, étouffé, il geint encore  : "Ich will mit dem…"

—   Calme-toi, bonhomme, ah mais  ! lui crie un jeune SS qui part d’un rire sonore. Dans une demi-heure tu causeras avec le commandant suprême  ! Et n’oublie pas de lui dire  : "Heil Hitler  ! "

D’autres portent une fillette qui a perdu une jambe. Ils la tiennent par les bras et par la jambe qui lui reste. Des larmes coulent sur son visage, elle murmure plaintivement  : "Messieurs, ça fait mal, ça fait mal…" Ils la jettent sur le camion, parmi les cadavres. Elle brûlera vive avec eux.

Le soir tombe, frais et étoilé. Nous sommes couchés sur les rails, dans un grand silence. Au sommet des poteaux brillent des ampoules anémiques ; au-delà du cercle de lumière s’étend l’ombre impénétrable. Un pas, et l’on y disparaît sans retour. Mais les yeux des gardes sont attentifs, les mitraillettes sont prêtes à tirer.

—   Tu as changé tes chaussures  ? me demande Henri.

—   Non.

—   Pourquoi  ?

—   Mon vieux, j’en ai marre, plus que marre  !

—   Dès le premier convoi  ? Pense un peu, moi, depuis Noël, j’ai dû voir passer entre mes mains un million de personnes. Le pire, ce sont les convois en provenance de la banlieue parisienne : je tombe toujours sur des connaissances.

—   Et qu’est-ce que tu leur dis  ?

—   Qu’ils vont se doucher et qu’on se reverra plus tard au camp. Et toi, qu’est-ce que tu leur dirais  ?

Je me tais. Nous buvons du café et de l’alcool à brûler ; quelqu’un ouvre une boîte de cacao, y mélange du sucre. On se sert avec la main, le cacao colle dans la bouche. On alterne café et alcool.

—   Henri, qu’est-ce qu’on attend  ?

—   Il va y avoir un autre convoi. Mais ce n’est pas encore sûr.

—   S’il en arrive un, je n’irai pas décharger. Je ne tiendrai pas le coup.

—   Ça te fait quelque chose, hein  ? C’est beau, le Canada  ?

Henri me sourit gentiment et disparaît dans l’obscurité. Il revient au bout d’un moment.

—   Bon. Seulement fais attention qu’un SS ne te prenne pas. Tu peux rester ici tout le temps. Pour les chaussures, je vais me débrouiller pour t’en avoir.

—   Fiche-moi la paix avec les chaussures.

J’ai envie de dormir. Il fait nuit noire.

Nouvel Antreten, nouveau convoi. De l’ombre surgissent des wagons qui traversent la bande de lumière et s’évanouissent dans l’obscurité. Le quai est petit, mais le cercle lumineux est plus petit encore. Nous allons les décharger les uns après les autres. Quelque part les camions ronronnent, fantomatiques, sombres. Ils viennent se placer devant les marchepieds ; leurs phares éclairent les arbres. "Wasser  ! Luft  ! " Ça recommence, la dernière séance du même film  : les SS tirent une rafale de mitraillette, les wagons s’apaisent. Juste une fillette penchée à demi par une lucarne qui perdit l’équilibre et tomba sur le gravier. Un moment étourdie, elle se releva enfin et se mit à tourner en rond, de plus en plus vite, les bras tendus comme à un cours de gymnastique, aspirant l’air bruyamment et hurlant d’une voix monotone et aiguë. Le manque d’air lui avait fait perdre la raison. Ce spectacle portait sur les nerfs. Un SS accourut et lui donna un coup de botte ferrée dans le dos : elle tomba. Il la piétina, dégaina son revolver puis tira deux fois, coup sur coup  : elle laboura la terre de ses pieds avant de s’immobiliser. On commença à ouvrir les wagons.

Je me retrouvais près des wagons. Il en sortait une odeur chaude, douceâtre. Une montagne humaine emplissait le wagon jusqu’à mi-hauteur, inerte, affreusement enchevêtrée mais encore fumante.

—   Ausladen  ! retentit la voix d’un SS émergeant de l’ombre.

Il avait sur la poitrine un projecteur portatif. Il éclaira l’intérieur du wagon.

—   Qu’est-ce que vous attendez, imbéciles  ? Déchargez-moi ça  !

Et il fit siffler sa cravache sur nos dos. J’attrapai un cadavre : une main s’enroula convulsivement autour de la mienne. Je me dégageai en poussant un cri et m’enfuis. Mon cœur battait à tout rompre, ma gorge se serrait. Je fus pris tout à coup de nausées. Je vomis, accroupi sous le wagon. Titubant, je me glissai près des rails.

Couché sur le métal d’un froid délicieux, je rêvai à mon retour au camp, au châlit sur lequel il n’y avait pas de paillasse, à des bribes de sommeil parmi des camarades qui cette nuit ne passeraient pas à la chambre à gaz. Soudainement le camp me parut un havre de grâce. Ce sont toujours les autres qui meurent. Pour ma part, je suis encore en vie, tant bien que mal, j’ai de quoi manger, j’ai des forces pour travailler, j’ai une patrie, un foyer, une amie…

Les lumières ont des scintillements fantomatiques, la même vague humaine afflue, interminable, trouble, enfiévrée, abrutie. Ces gens s’imaginent qu’ils commencent une nouvelle existence dans le camp et ils se préparent psychologiquement à la dure lutte pour la vie. Ils ignorent qu’ils vont bientôt mourir et que l’or, l’argent, les diamants que, prévoyants, ils dissimulent dans les plis et les coutures de leurs vêtements, dans les semelles de leurs souliers, dans les orifices de leurs corps, ne leur seront plus d’aucune utilité. Des professionnels routiniers fouilleront leur intimité, extrairont l’or caché sous la langue, les diamants dans le vagin et l’anus. Ils leur arracheront leurs dents en or. Puis ils expédieront le tout à Berlin, dans des caisses hermétiquement closes.

Les silhouettes noires des SS vont et viennent, calmes, compétentes. Le monsieur au carnet trace les derniers bâtons, complète le nombre : quinze mille.

Beaucoup, beaucoup de camions sont allés au crématoire.

Enfin ils terminent. Les cadavres empilés sur le quai sont emportés par le dernier camion ; on charge les hardes qui restent. Le Canada, chargé de pains, de confitures, de sucre, embaumant le parfum et le linge propre, se prépare à rentrer. Le kapo finit de bourrer la marmite du thé avec de l’or, de la soie et du café noir. C’est pour les sentinelles du portail, à l’entrée du camp : ils laisseront passer le kommando sans contrôle. Pendant quelques jours, le camp va vivre de ce convoi : il va manger ses jambons et ses saucissons, ses confitures et ses fruits, boire sa vodka et ses liqueurs ; il se promènera dans son linge ; il fera du commerce avec son or et ses ballots. Beaucoup de choses seront emportées par les civils hors du camp, dans la Silésie, à Cracovie et plus loin. Ils rapporteront des cigarettes, des œufs, de la vodka et des lettres de la maison.

Pendant quelques jours, le camp parlera du convoi de "Sosnowiec-Bedzin". C’était un bon convoi, riche.

Tandis que nous regagnons le camp, les étoiles commencent à pâlir, le ciel devient de plus en plus transparent, il s’élève au-dessus de nous, la nuit s’éclaircit. Une journée radieuse, torride, s’annonce.

Des crématoires montent de puissantes colonnes de fumée qui se rejoignent en haut, en un énorme flot noir qui déferle avec une infinie lenteur dans le ciel au-dessus de Birkenau et disparaît derrière la forêt, du côté de Trzebinia. Le convoi de Sosnowiec brûle déjà.

Nous croisons un détachement de SS, la mitraillette au poing, qui vient relever la garde. Ils vont d’un pas égal, coude à coude ; ils ne forment qu’une masse, une seule volonté.

—   Und morgen die ganze Welt (25)… chantent-ils à tue-tête.

Un ordre tombe à l’avant  :

—   Rechts ran  ! Droite  !

Nous leur cédons le passage. »

Tadeusz Borowski, Le monde de pierre

 

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Notes

1. Le camp des femmes de Birkenau (N.d.T.).

2. On appelait Canada à Auschwitz la partie du camp où les détenus étaient dépouillés à leur arrivée. Les membres des kommandos chargés de ce travail étaient autorisés à garder certains produits de consommation (N.d.T.).

3. En français dans le texte original.

4. Argot du camp. "Organiser ", c’est se procurer, honnêtement ou non, différentes choses susceptibles d’améliorer l’ordinaire (N.d.T.).

5. Les prisonniers les plus amoindris physiquement et moralement (N.d.T.).

6. Le rassemblement.

7. N’ayez pas peur.

8. En français dans le texte original.

9. Que se passe-t-il  ?

10. Gauche, deux, trois, quatre. Otez vos calots  !

11. Cent.

12. Hôpital pour les SS situé entre la première et la seconde enceinte du camp (N.d.T.).

13. Second périmètre de sécurité (N.d.T.).

14. Sale fumier.

15. Eh, toi là-bas.

16. Combien  ?

17. D’accord  ?

18. "Ordonnance " des kapos.

19. En français dans le texte original.

20. En français dans le texte original.

21. Les Allées de Jérusalem, l’artère la plus importante de Varsovie (N.d.T.).

22. Le bloc de l’épouillage (N.d.T.).

23. Toi, fille de pute. Putain de Juive.

24. La ferme  !

25. Et demain le monde entier…

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07/02/2019

Répliques : Le mystère Houellebecq

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Emission du 2 Février 2019... Que signifie être houellebecquien ? Alain Finkielkraut s'entoure d'Agathe Novak-Lechevalier et Frédéric Beigbeder pour l'éclairer.

 

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06/02/2019

Répliques : Demeurer ou partir

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Emission du 24/11/2018... Alain Finkielkraut recevait François-Xavier Bellamy et Sylvain Tesson

 

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31/01/2019

Je crois aux nuits...

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« Obscurité d’où je naquis,
je t’aime plus que cette flamme
qui limite le monde
en éclairant
quelque orbe
hors duquel nul ne la connaît.

Mais l’obscurité retient tout :
les formes et les flammes, les bêtes et moi-même,
tels qu’elle s’en saisit,
les êtres, les puissances…

Et il se peut que quelque grande force
Se meuve à mes côtés.

Je crois aux nuits.

***

Ma vie n’est pas cette heure abrupte
vers quoi tu me vois me hâter.
Je suis arbre devant mon décor,
ne suis que l’une de mes bouches,
celle qui se clôt la première.

Je suis la pause entre deux notes
qui s’harmonisent mal :
la note de la mort veut monter à l’aigu.

Mais dans la nuit de l’intervalle
toutes deux frémissantes
s’accordent.
Et le chant reste beau. »

Rainer Maria Rilke, Œuvres 2 Poésie

 

 

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30/01/2019

Ces bons à rien sont la cause de tous les Hitler et les Mussolini

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« 16 février 1939

Mon adorable Nick, mon enfant,

Je t’écris depuis mon lit d’Hôpital américain. […]

En plus de cette maudite maladie, je n’ai vraiment pas eu de chance depuis que je suis ici. D’abord, l’exposition est un sacré bazar. Quand je suis arrivée, les tableaux étaient encore à la douane, parce que ce fils de pute de Breton n’avait pas pris la peine de les en sortir. Il n’a jamais reçu les photos que tu lui as envoyées il y a des lustres, ou du moins c’est ce qu’il prétend ; la galerie à lui. Bref, j’ai dû attendre des jours et des jours comme une idiote, jusqu’à ce que je fasse la connaissance de Marcel Duchamp (un peintre merveilleux), le seul qui ait les pieds sur terre parmi ce tas de fils de pute lunatiques et tarés que sont les surréalistes. Lui, il a tout de suite récupéré mes tableaux et essayé de trouver une galerie. Finalement, une galerie qui s’appelle "Pierre Colle" a accepté cette maudite exposition. Et voilà que maintenant Breton veut exposer, à côté de mes tableaux, quatorze portraits du XIXe siècle (mexicains), ainsi que trente-deux photos d’Alvarez Bravo et plein d’objets populaires qu’il a achetés sur les marchés du Mexique, un bric-à-brac de vieilleries, qu’est-ce que tu dis de ça ? La galerie est censée être prête pour le 15 mars. Sauf qu’il faut restaurer les quatorze huiles du XIXe et cette maudite restauration va prendre tout un mois. J’ai dû prêter à Breton 200 biffetons (dollars) pour la restauration, parce qu’il n’a pas un sou. (J’ai envoyé un télégramme à Diego pour lui décrire la situation et je lui ai annoncé que j’avais prêté cette somme à Breton. Ça l’a mis en rage, mais ce qui est fait est fait et je ne peux pas revenir en arrière.) J’ai encore de quoi rester ici jusqu’à début mars, donc je ne m’inquiète pas trop.

Bon il y a quelques jours, une fois que tout était plus ou moins réglé, comme je te l’ai expliqué, j’ai appris par Breton que l’associé de Pierre Colle, un vieux bâtard et fils de pute, avait vu mes tableaux et considéré qu’il ne pourrait en exposer que deux parce que les autres sont trop "choquants" pour le public !! J’aurais voulu tuer ce gars et le bouffer ensuite, mais je suis tellement malade et fatiguée de toute cette affaire que j’ai décidé de toute envoyer au diable et de me tirer de ce foutu Paris avant de perdre la boule. Tu n’as pas idée du genre de salauds que sont ces gens. Ils me donnent envie de vomir. Je ne peux plus supporter ces maudits "intellectuels" de mes deux. C’est vraiment au-dessus de mes forces. Je préférerais m’asseoir par terre pour vendre des tortillas au marché de Toluca plutôt que de devoir m’associer à ces putains d’ "artistes" parisiens. Ils passent des heures à réchauffer leurs précieuses fesses aux tables des "cafés", parlent sans discontinuité de la "culture", de l’ "art", de la "révolution" et ainsi de suite, en se prenant pour les dieux du monde, en rêvant de choses plus absurdes les unes que les autres et en infectant l’atmosphère avec des théories et encore des théories qui ne deviennent jamais réalité.

Le lendemain matin, ils n’ont rien à manger à la maison vu que pas un seul d’entre eux ne travaille. Ils vivent comme des parasites, aux crochets d’un tas de vieilles peaux pleines aux as qui admirent le "génie" de ces "artistes". De la merde, rien que de la merde, voilà ce qu’ils sont. Je ne vous ai jamais vu, ni Diego ni toi, gaspiller votre temps en commérages idiots et en discussions "intellectuelles" ; voilà pourquoi vous êtes des hommes, des vrais, et pas des "artistes" à la noix. Bordel ! Ça valait le coup de venir, rien que pour voir pourquoi l’Europe est en train de pourrir sur pied et pourquoi ces gens — ces bons à rien sont la cause de tous les Hitler et les Mussolini. Je te parie que je vais haïr cet endroit et ses habitants pendant le restant de mes jours. Il y a quelque chose de tellement faux et irréel chez eux que ça me rend dingue.

Tout ce que j’espère, c’est guérir au plus vite et ficher le camp.

Mon billet est encore valable longtemps, mais j’ai quand même réservé une place sur l’Isle-de-France pour le 8 mars. J’espère pouvoir embarquer sur ce bateau. Quoi qu’il arrive, je ne resterai pas au-delà du 15 mars. Au diable l’exposition et ce pays à la noix. Je veux être avec toi. Tout me manque, chacun des mouvements de ton être, ta voix, tes yeux, ta jolie bouche, ton rire si clair et sincère, TOI. Je t’aime mon Nick. Je suis si heureuse de penser que je t’aime — de penser que tu m’attends — et que tu m’aimes.

Mon chéri, embrasse Mam de ma part. Je ne l’oublie surtout pas. Embrasse aussi Aria et Lea. Et pour toi, mon coeur plein de tendresse et de caresses, un baiser tout spécialement dans ton cou, ta

Xochitl. »

Frida Kahlo, Frida Kahlo par Frida Kahlo - Lettres 1922 - 1954

 

 

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19/01/2019

Radioscopie : Jacques Chancel reçoit Gustave Thibon

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18/01/2019

Nous sommes contre le rien

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« [Nous les chrétiens] nous ne sommes ni de droite, ni de gauche, nous ne sommes même pas d’en haut, nous sommes de partout. Nous sommes las de mutiler l’homme ; que ce soit pour l’accabler comme à droite ou pour l’adorer comme à gauche, nous sommes las de le séparer de Dieu. Nous n’abandonnerons pas un atome de la vérité totale qui est la nôtre. Au nom de quoi nous attaque-t-on ? Nos adversaires sont-ils pour le peuple ? Nous le sommes. Pour la liberté ? Nous le sommes. Pour la race, pour l’Etat, pour la justice ? Nous sommes pour tout cela, mais pour chaque chose à sa place. On ne peut nous frapper qu’en nous arrachant nos propres membres. Nous sommes pour chaque partie, étant pour le tout. Nous ne voulons rien diviniser de la réalité humaine et sociale parce que nous avons déjà un Dieu ; nous ne voulons rien repousser non plus parce que tout est sorti de ce Dieu. Nous ne sommes contre rien. Ou plutôt, car le néant est agissant aujourd’hui, nous sommes contre le rien. Devant chaque idole, nous défendons la réalité que l’idole écrase. Sous quelque fard qu’ils se présentent, nous disons non à tous les visages de la mort. »

Gustave Thibon, Retour au réel

 

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14/01/2019

Philippe Sollers, l’éclaireur : cinq entretiens avec Martin Quenehen (France Culture)

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0:00 - 1er entretien : Tout ce que j’écris est vrai
Premier entretien, entre promesse et mensonge… Où Philippe Sollers nous entraîne dans l’exploration de son bureau des éditions Gallimard, un bureau “unique au monde”, dans la compagnie de Montaigne et Voltaire, mais aussi d’un empereur de Chine, de Pablo Picasso et de quelques autres doubles de Philippe Joyaux… Dans ce premier entretien, on parle latin, mais aussi de musique, d’histoire et d’“augmenter” la vie.

27:54 - 2ème entretien : Les femmes existent
« Le monde appartient aux femmes. C'est-à-dire à la mort. Là-dessus tout le monde ment. » Voici comment débute le fameux roman “Femmes”… Où Philippe Sollers nous chante sa “Curieuse solitude” avec une ravissante femme d’âge mûr, mais aussi la beauté et les dangers du mariage, et les délices de la guerre des sexes…

55:18 - 3ème entretien : La poésie, c’est la guerre
Des énigmes poétiques de Radio Londres, qu’il écoutait enfant dans le grenier de la maison familiale à Bordeaux, jusqu’à “La Guerre du goût”, Philippe Sollers fait la guerre… et l’amour. Où Philippe Sollers bataille en compagnie de Clausewitz et Sun-Tzu, mais aussi de Guy Debord et Monteverdi, pour mieux dire sa Guerre d’Algérie, ses souvenirs de Mai 68 et la violence de notre époque, éblouie par l’argent et la vulgarité…

1:21:37 - 4ème entretien : Folie française
“La France moisie” : il y a dix-huit ans, Philippe Sollers écrivait une tribune “violemment patriotique” qui reste d’une inquiétante actualité… Où Philippe Sollers, écrivain fou de Le Nôtre, Molière… et Céline, nous invite à comploter voluptueusement avec lui, pour la plus grande gloire de la France et de la langue française.

1:48:46 - 5ème entretien : L’infini
« Je ne vois pas l’apocalypse, je vois l’aurore… » écrit Philippe Sollers, fondateur de la revue L’Infini et de la collection du même nom… Où Philippe Sollers répond à l’appel de l’infini, et pour ce faire se shoote aux amphétamines et au haschisch afghan, pratique le Yi King, fréquente assidûment Homère et Pindare…

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03/01/2019

Mal­gré moi

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« Quand je me réveille c’est mal­gré moi. »

« La plus belle fille du monde ne peut me don­ner que ce que j’ai. »

« Il y a des gens qui font de l’argent, d’autres de la neurasthénie, d’autres des enfants. Il y a ceux qui font de l’esprit. Il y a ceux qui font l’amour, ceux qui font pitié. Depuis le temps que je cherche à faire quelque chose ! Il n’y a rien à y faire. »

« Il n’y a de pro­grès, de décou­verte que vers la mort, il n’échappe à per­sonne que l’adage tous les chemins mènent à Rome est une sorte de calem­bour, Rome ne pou­vant sig­ni­fier que mort que l’on a retourné. »

« Essayez, si vous le pou­vez, d’arrêter un homme qui voy­age avec son sui­cide à la boutonnière. »

Jacques Rigaut, Le jour se lève, ça vous appren­dra

 

 

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Fatalité

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« Les dragons sont vulnérables et mortels. Les héros et les dieux peuvent toujours revenir. Il n’y a de fatalité que dans l’esprit des hommes. »

Dominique Venner, Le cœur rebelle

 

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02/01/2019

C'est probablement là qu'il faudrait chercher

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« "Je n'arrive pas à saisir ce que l'enfance a laissé en chacun d'entre nous, ni même si elle a laissé quelque chose. Et pourtant, elle ne cesse de nous faire avouer à nous-mêmes ce qu'à la vérité, nous sommes..." C'est probablement là qu'il faudrait chercher. Laideurs, lâcheté, promesses non tenues à soi-même, camouflages commodes, attitudes usurpées, j'avais dû souvent me conduire à l'opposé de mes fiertés et comme je n'avais pas voulu en changer pour me conserver une flatteuse image de moi-même, j'oubliais... »

Jean Raspail, L’île bleue

 

 

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Sortir de l'enfance...

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« Sortir de l’enfance, c’est franchir un mur. On se hisse plus ou moins adroitement. On passe la tête. On découvre un paysage différent et saute de l’autre côté parce qu’il n’y a rien d’autre à faire que de sauter. On se reçoit plus ou moins bien. Certains se blessent et s’en remettent mal. D’autres peuvent même en mourir, au propre ou au figuré. »

Jean Raspail, L’île bleue

 

 

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01/01/2019

L'un est blanc et l'autre noir

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« Aucun remède : on ne change pas l'homme blanc, on ne change pas l'homme noir tant que l'un est blanc et l'autre noir et que tout, absolument tout ne s'est pas fondu dans du café au lait. L'un détestait. L'autre méprisait. Égaux, ils se haïssent. »

Jean Raspail, Le Camp des saints

 

 

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Plein le dos de la France, surtout plein le dos de l’Europe, plein le dos de la terre

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« 1er janvier 1945.

La tentation revient, très forte. Peut-être ai-je ce qu’il faut pour le faire : un peu de laudanum mélangé à quelques pilules de dialeate (?). Je le ferai dans un bois, ou près d’une rivière, et tomberai dans la rivière endormi. J’ai peur du froid de la rivière. Mais j’en ai plein le dos de ce nouveau roman, plein le dos de la maison, plein le dos de la France, surtout plein le dos de l’Europe, plein le dos de la terre. Je n’arrive plus à m’intéresser aux "choses", aux "gens", aux "problèmes".

Je lis un vieux manuel de psychopathie : Maniaques, fous, mélancoliques, vous êtes frères. Quelle petite différence entre vous et nous : peut-être dira-t-on que j’étais fou.

Et je suis si calme, si lucide.

— Il y a aussi un point d’honneur : "Quand on a commencé une telle chose, il faut la finir", dit le samouraï.

— À d’autres moments, je pense à mes "camarades" en prison. Pas un seul, au cours du procès, ne semble avoir montré de la fierté. Ils étaient abattus, nous l’étions tous : j’irais et je montrerais qu’il y avait des gens bien à avoir ces idées. Un et deux. 1 et 2 prouvent que je suis encore, dans mes parties les plus faibles, plein de pensées frivoles.

Je n’ai fait aucun progrès dans la concentration. La raison en est ce roman qui me distrait. Et, aussi, je ne suis pas un homme capable de se concentrer, je suis le dernier à pouvoir le faire. Je suis un homme de rêve, ce qui est autre chose. »

Pierre Drieu la Rochelle, Journal (1944-1945)

 

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19/11/2018

De Gaulle, Pétain, la France : Finkielkraut reçoit Eric Zemmour et Paul Thibaud

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05/11/2018

Un moyen d’abréger miséricordieusement le massacre en Orient

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« Jusqu’alors nous avions envisagé l’assaut de l’archipel nippon sous forme de bombardements aériens effroyables et de débarquements de très grandes armées. Nous nous attendions à ce que les Japonais résistent jusqu’à la mort, dans la tradition des samouraïs, non seulement lors de batailles rangées, mais aussi dans chaque souterrain et chaque fossé. J’avais toujours présent à l’esprit le spectacle de l’ile d’Okinawa, où des milliers de Japonais, refusant de se rendre, s’étaient alignés et suicidés avec des grenades après que leurs chefs eurent solennellement accompli les rites du hara-kiri. Réduire cette résistance homme par homme et conquérir le pays mètre par mètre pouvait coûter le sacrifice d’un million de soldats américains et d’un demi-million de Britanniques – voire davantage si nous pouvions les acheminer jusque-là, car nous étions résolus à partager l’épreuve. Or, voici que s’évanouissaient ces visions dantesques, remplacées par la perspective – apparemment séduisante et lumineuse – de mettre fin à la guerre en une ou deux violentes secousses. Je pensai immédiatement que le peuple japonais, dont j’avais toujours admiré le courage, pouvait trouver dans l’apparition de cette arme presque surnaturelle un prétexte pour sauver l’honneur et se libérer de l’obligation de se faire tuer jusqu’au dernier combattant.

De plus, nous n’aurions plus besoin des Russes : la fin de la guerre contre le Japon ne dépendait plus du déferlement de leurs armées pour participer au massacre final et sans doute prolongé ; nous n’avions plus de faveur à leur demander. L’ensemble des problèmes européens pouvait donc être traité indépendamment et conformément aux grands principes des Nations unies. Nous paraissions être soudainement entrés en possession d’un moyen d’abréger miséricordieusement le massacre en Orient et de voir s’ouvrir des perspectives bien plus souriantes en Europe. Je ne doutais pas que ces mêmes pensées habitaient l’esprit de nos amis américains. En tout cas la question de savoir s’il fallait ou non utiliser la bombe atomique ne se posa pas un seul instant ; prévenir une immense et interminable boucherie, terminer la guerre, apporter la paix au monde, imposer des mains apaisantes sur les blessures de ses populations torturées grâce à la démonstration de puissance irrésistible de quelques explosions, voilà qui apparaissait comme un miracle de délivrance survenant après tous nos tourments et tous nos périls.

Les Britanniques avaient donné leur consentement de principe à l’emploi de l’arme dès le 4 juillet, avant que l’essai n’eut été effectué. Il appartenait désormais au président Truman, qui disposait de l’engin, de prendre la décision définitive ; mais je ne doutais pas un seul instant de ce qu’elle serait, pas plus que je n’ai douté depuis lors de sa justesse. Il demeure historiquement établi, et il faudra en juger avec le recul, que la question de l’utilisation de la bombe atomique pour contraindre le Japon à capituler ne s’est pas même posée. Autour de notre table, l’accord fut unanime, automatique et incontesté, et je n’ai jamais entendu personne laisser entendre le moins du monde que nous aurions dû agir autrement. »

Winston Churchill, Mémoires de Guerre, 1941-1945

 

 

 

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03/11/2018

Couples...

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« À quel point le registre des caresses est limité, cela est lugubre. Ces couples, aussi identiques l’un à l’autre dans ce qu’ils ressentaient, qu’ils l’étaient dans leur posture, finirent par l’excéder, avec leur conviction qu’il n’y avait qu’eux au monde, les sourires qu’ils vous adressaient pour vous convier à admirer leur bonheur, tout cela pour finir par le vitriol et les intraveineuses. Vraiment, une masse cyclopéenne de vulgarité (littérature, cinéma, journaux, romances…) pesait sur ce pauvre couple homme-femme ; il était amer de ne pouvoir sortir de là. »

Henry de Montherlant, Les jeunes filles

 

 

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02/11/2018

Il rend les hommes idolâtres d'eux-mêmes

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« L’amour-propre est l’amour de soi-même et de toutes choses pour soi (*1*) ; il rend les hommes idolâtres d'eux-mêmes, et les rendrait les tyrans des autres, si la fortune leur en donnait les moyens. Il ne se repose jamais hors de soi, et ne s’arrête dans les sujets étrangers que comme les abeilles sur les fleurs, pour en tirer ce qui lui est propre. Rien n’est si impétueux que ses désirs ; rien de si caché que ses desseins, rien de si habile que ses conduites ; ses souplesses ne se peuvent représenter, ses transformations passent celles des métamorphoses, et ses raffinements ceux de la chimie. On ne peut sonder la profondeur, ni percer les ténèbres de ses abîmes : là il est à couvert des yeux les plus pénétrants; il y fait mille insensibles tours et retours ; là il est souvent invisible à lui-même; il y conçoit, il y nourrit et il y élève, sans le savoir, un grand nombre d’affections et de haines; il en forme de si monstrueuses que, lorsqu’il les a mises au jour, il les méconnaît, ou il ne peut se résoudre à les avouer. De cette nuit qui le couvre naissent les ridicules persuasions qu’il a de lui-même : de là viennent ses erreurs, ses ignorances, ses grossièretés et ses niaiseries sur son sujet ; de là vient qu’il croit que ses sentiments sont morts lorsqu’ils ne sont qu’endormis, qu’il s’imagine n’avoir plus envie de courir dès qu’il se repose, et qu'il pense avoir perdu tous les goûts qu'il a rassasiés. Mais cette obscurité épaisse qui le cache à lui-même, n’empêche pas qu’il ne voie parfaitement ce qui est hors de lui : en quoi il est semblable à nos yeux, qui découvrent tout et sont aveugles seulement pour eux-mêmes. »

(*1*) Pascal (Pensées, article II, 8) : "La nature de l'amour-propre et de ce moi humain est de n’aimer que soi et de ne considérer que soi " — Meré (maxime 531) : "C’est quelque chose de si commun et de si fin que l’intérêt, qu’il est toujours le premier mobile de nos actions, le dernier point de vue de nos entreprises..."

François de La Rochefoucauld, Réflexions ou sentences et maximes morales

 

 

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29/10/2018

Athènes et Jérusalem

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« Les Grecs sont, avec les Juifs, la race du monde la plus férue de politique. Si désespérée que soit leur situation, si grave que soit le péril menaçant leur pays, ils restent divisés en maints partis, avec de nombreux chefs qui se combattent avec acharnement. On a dit très justement que partout où il y avait trois Juifs, on trouve deux premiers ministres et un chef de l’opposition ; il en est de même pour cette autre race ancienne et célèbre, dont la lutte pour la vie, tumultueuse et sans fin, remonte aux origines de la pensée humaine. Il ne s’est pas trouvé deux autres races pour marquer le monde d’une empreinte si profonde. Elles ont montré toutes deux une capacité de survie, malgré les périls incessants et les souffrances infligées par des oppresseurs étrangers, qui n’avait d’égale que leur pouvoir de fomenter éternellement des vengeances, des discordes et des convulsions intestines.

Le passage des millénaires n’a en rien modifié leur caractère ni diminué leurs épreuves ou leur vitalité ; elles ont survécu en dépit de toute l’hostilité du monde à leur égard, de tout le mal qu’elles ont pu s’infliger, et l’une comme l’autre, sous des aspects si différents, nous a légué l’héritage de son génie et de sa sagesse. Il n’y a pas deux autres cités qui aient compté autant pour l’humanité qu’Athènes et Jérusalem ; leurs messages religieux, philosophiques et artistiques ont été les phares dominants de la foi et de la culture modernes. Malgré des siècles de domination étrangère et d’une oppression aussi indescriptible qu’inimaginable elles restent dans le monde moderne des collectivités et des forces vivantes, actives, se disputant entre elles avec une insatiable ardeur. Pour ma part, j’ai toujours pris le parti de l’une comme de l’autre et je crois à leur invincible pouvoir de survivre à toutes les querelles internes et à toutes les tourmentes du monde qui menacent de les anéantir. »

Winston Churchill, Mémoires de Guerre, 1941-1945

 

 

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23/10/2018

Eric Zemmour : La France (Sud Radio)

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