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16/11/2011

Gellassenheit

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« Les organisations, appareils et machines du monde technique nous sont devenus indispensables, dans une mesure qui est plus grande pour les uns et moindre pour les autres. Il serait insensé de donner l’assaut, tête baissée, au monde technique ; et ce serait faire preuve de vue courte que de vouloir condamner ce monde comme étant l’œuvre du diable. Nous dépendons des objets que la technique nous fournit et qui, pour ainsi dire, nous mettent en demeure de les perfectionner sans cesse. Toutefois notre attachement aux choses techniques est maintenant si fort que nous sommes, à notre insu, devenus leurs esclaves. Mais nous pouvons nous y prendre autrement.

Nous pouvons utiliser les choses techniques, nous en servir normalement mais en même temps nous en libérer de sorte qu'a tout moment nous conservions nos distances à leur égard. Nous pouvons faire usage des objets techniques comme il faut qu'on en use. Mais nous pouvons en même temps laisser à eux mêmes comme ne nous atteignant pas dans ce que nous voulons de plus intime et de plus propre. Nous pouvons dire "oui" à l'emploi inévitable des objets techniques et nous pouvons en même temps lui dire "non" en ce sens que nous les empêchions de nous accaparer et ainsi fausser, brouiller et finalement vider notre être. Mais si nous disons ainsi à la fois "oui" et "non" aux objets techniques notre rapport au monde technique ne devient-il pas ambigu et incertain? Tout au contraire : notre rapport au monde technique devient merveilleusement simple et paisible. Nous admettons les objets techniques dans notre monde quotidien et en même temps nous les laissons dehors, c'est-a-dire que nous les laissons reposer sur eux-mêmes comme des choses qui n'ont rien d'absolu, mais qui dépendent de plus haut qu'elles. […]. Un vieux mot s’offre à nous pour désigner cette attitude du oui et du non dits ensemble au monde technique : c’est le mot Gellassenheit, sérénité, égalité d’âme. Elle permet de rester dans le monde technique mais à l’abri de sa menace. »

Martin Heidegger, Questions II & IV

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15/11/2011

Cette culture prospère de la médiocrité

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« Car je haïssais, je détestais, je maudissais tout ça du plus profond de moi : cette satisfaction, cette santé, ce bien-être, cet optimisme entretenu par le bourgeois, cette culture prospère de la médiocrité, de la normalité, de la moyenne. »

Hermann Hesse, Le Loup des Steppes

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Maintenant que tout est consommé, ou que rien n'a plus d'importance

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« C'est du dessous de ma paupière, c'est du fond de la rivière que ces mots sont venus au monde. Au commencement, oui était l'écriture, de hautes lettres trop serrées, disgracieuses, qui se disputent la place et entravent l'envol de la phrase. L'un dira que les mots ne se pressent guère d'atteindre le point, l'autre que quelque chose les retient, et tous diront, moi le premier, qu'en vérité ils voudraient pouvoir encore reculer, rebrousser chemin, mais qu'il n'est plus temps. Il faut leur offrir une dernière chance de remplir la ligne, de respirer à pleins poumons d'une marge à l'autre, maintenant que tout est consommé, ou que rien n'a plus d'importance. »

Marek Bienczyk, Tworki

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09/11/2011

Liberté sous l'Ancien Régime

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« L'Homme du XVIII ème siècle a vécu dans un pays tout hérissé de libertés. Les étrangers ne s'y trompaient pas. l'Anglais Dallington définit la France en 1772 : une vaste démocratie. "Toute ville chez nous, disait amèrement, deux cent ans plus tôt, Richelieu, non moins centralisateur que Robespierre, est une capitale. Chaque communauté française, en effet, ressemble à une famille qui se gouverne elle-même, le moindre village élit ses syndics, ses collecteurs, son maître d'école, décide de la construction des ponts, l'ouverture des chemins, plaide contre le Seigneur, contre le curé, contre un village voisin" -- car nos paysans furent toujours procéduriers. A l'exemple des villages, les villes élisent leur maire, leurs échevins, entretiennent leurs milices, décident souverainement des questions municipales. En 1670, sous le règne de Louis XIV, le prince de Condé, gouverneur de Bourgogne, convoque en assemblée générale LES HABITANTS DE CHALON-SUR-SAÔNE, et, prenant la parole, sollicite pour les Jésuites la permission de s'établir dans la ville. Après quoi, il se retire pour laisser à l'assemblée toute liberté de discussion. Sa requête est rejetée à une énorme majorité : les habitants de Chalon-sur-Saône n'aimaient pas les Jésuites. »

Georges Bernanos, La France contre les Robots

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08/11/2011

Ils trouvent la liberté belle, ils l’aiment, mais ils sont toujours prêts à lui préférer la servitude

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« Ils trouvent la liberté belle, ils l’aiment, mais ils sont toujours prêts à lui préférer la servitude qu’ils méprisent, exactement comme ils trompent leur femme avec des gourgandines. Le vice de la servitude va aussi profond dans l’homme que celui de la luxure, et peut-être que les deux ne font qu’un. Peut-être sont-ils une expression différente et conjointe de ce principe de désespoir qui porte l’homme à se dégrader, à s’avilir, comme pour se venger de son âme immortelle. »

Georges Bernanos, La France contre les Robots

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07/11/2011

Tout nu devant ses maîtres

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« L’égalité absolue des citoyens devant la Loi est une idée romaine. A l’égalité absolue des citoyens devant la Loi doit correspondre, tôt ou tard, l’autorité absolue et sans contrôle de l’Etat sur les citoyens. Car l’Etat est parfaitement capable d’imposer l’égalité absolue des citoyens devant la Loi, jusqu’à leur prendre tout ce qui leur appartient, tout ce qui permet de les distinguer les uns des autres, mais qui défendra la Loi contre les usurpations de l’Etat ? ce rôle était jadis chez nous celui des Parlements. Il y avait treize Parlements dans le Royaume, et même dix-sept, si l’on compte les quatre Conseils supérieurs – Paris, Toulouse, Grenoble, Bordeaux, Dijon, Rouen, Aix, Rennes, Pau, Metz, Besançon, Douai, Nancy, Roussillon, Artois, Alsace et Corse. LE POUVOIR DE CHACUN DE CES PARLEMENTS ETAIT EGAL A CELUI DU ROI. Ils jugeaient en dernier ressort et recevaient l’appel de toutes les juridictions royales, municipales, seigneuriales, ecclésiastiques. Ils avaient le droit d’examen, d’amendement et de remontrance sur tous les actes publics. Les traités avec les puissances étrangères leur étaient soumis. "Telle est la loi du Royaume, écrit La Roche-Flavin, président du Parlement de Toulouse, que nul édit ou ordonnance royale n'est tenu pour édit ou ordonnance s'ils ne sont d'abord vérifiés aux Cours souveraines par délibération d'icelles." En son édit de 1770, Louis XV s'exprime en ces termes : "Nos Parlements élèvent leur autorité au-dessus de la nôtre, puisqu'ils nous réduisent à la simple faculté de leur proposer nos volontés, se réservant d'en empêcher l'exécution." Le gouvernement devait transmettre au Parlement les nominations faites par lui à la plupart des fonctions, et l'on vit plus d'une fois ces assemblées en refuser l'enregistrement, c'est-à-dire briser les promotions du roi. Pour plier cette magistrature indépendante, l'Etat ne disposait que d'un petit nombre de moyens si compliqués qu'il n'y avait recours que rarement, et même alors les magistrats pouvaient recourir à un procédé infaillible : ils négligeaient la loi enregistrée contre leur plaisir, n'en tenaient pas compte dans leurs arrêts, ou encore suspendaient l'administration de la Justice, ce qui risquait de jeter le royaume dans le chaos.

Si les Parlements disposaient d'un tel pouvoir de résistance à l'Etat, les magistrats qui les composaient et ne dépendaient de personne, puisqu'ils avaient la propriété de leur charge, pouvaient passer pour des privilégiés. Chaque citoyen bénéficiait pourtant de ce privilège, non qu'il fut tenu de soutenir le Parlement contre le Roi, ou le Roi contre le Parlement, mais tout simplement parce que cette rivalité donnait aux institutions ce que les mécaniciens appellent du "jeu". L’homme d’autrefois ne ressemblait pas à celui d’aujourd’hui. Il n’eût jamais fait partie de ce bétail que les démocraties ploutocratiques, marxistes ou racistes nourrissent pour l’usine et le charnier. Il n’eût jamais appartenu aux troupeaux que nous voyons s’avancer tristement les uns contre les autres, en masses immenses derrière leurs machines, chacun avec ses consignes, son idéologie, ses slogans, décidés à tuer, résignés à mourir, et répétant jusqu’à la fin, avec la même conviction mécanique : "C’est pour mon bien… c’est pour mon bien…" Loin de penser comme nous à faire de l’Etat son nourricier, son tuteur, son assureur, l’homme d’autrefois n’était pas loin de le considérer comme un adversaire contre lequel n’importe quel moyen de défense est bon, parce qu’il triche toujours. C'est pourquoi les privilèges ne froissaient nullement son sens de la justice ; il les considérait comme autant d'obstacles à la tyrannie, et, si humble que fût le sien, il le tenait -- non sans raison d'ailleurs -- pour solidaire des plus grands, des plus illustres. Je sais parfaitement que ce point de vue nous est devenu étranger, parce qu'on nous a perfidement dressés à confondre la justice et l'égalité. Ce préjugé est même poussé si loin que nous supporterions volontiers d'être esclaves, pourvu que personne ne puisse se vanter de l'être moins que nous. Les privilèges nous font peur, parce qu'il en est de plus ou moins précieux. Mais l'homme d'autrefois les eût volontiers comparés aux vêtements qui nous préservent du froid. Chaque privilège était une protection contre l'Etat. Un vêtement peut être plus ou moins élégant, plus ou moins chaud, mais il est nettement préférable d'être vêtu de haillons que d'aller tout nu. Le citoyen moderne, lorsque ses privilèges auront été confisqués jusqu'au dernier, y compris le plus bas, le plus vulgaire, le moins utile de tous, celui de l'argent, ira tout nu devant ses maîtres. »

Georges Bernanos, La France contre les Robots

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04/11/2011

Tout journal est comme une boutique

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« Le Journal au lieu d’être un sacerdoce est devenu un moyen pour les partis ; de moyen, il s’est fait commerce ; et comme tous les commerces, il est sans foi ni loi. Tout journal est, comme […] une boutique où l’on vend au public des paroles de la couleur dont il les veut. S’il existait un journal des bossus, il prouverait soir et matin la beauté, la bonté, la nécessité des bossus. Un journal n’est plus fait pour éclairer, mais pour flatter les opinions. Ainsi, tous les journaux seront dans un temps donné, lâches, hypocrites, infâmes, menteurs, assassins ; ils tueront les idées, les systèmes, les hommes, et fleuriront par cela même. Ils auront le bénéfice de tous les êtres de raison : le mal sera fait sans que personne en soit coupable. »

Honoré de BALZAC, Les illusions perdues

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03/11/2011

"J’ai travaillé pas mal. On travaille ou bien on regarde."

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« J’ai travaillé pas mal. On travaille ou bien on regarde. C’est l’un ou l’autre. Mais si vous travaillez, vous ne faites pas autre chose. Maintenant on ne sait plus ce que c’est, le travail. C’est encore un truc que j’ai comme ça, parce que je ne suis pas d’une génération où l’on rigolait. Ca n’existait pas. Les distractions, c’était des choses de gens riches. Quand on était pauvre, on travaillait jusqu’à crever. C’était le destin. Mais je vois maintenant qu’ils ne travaillent plus. Alors ils ne savent rien. Oh, ils ont tous une petite envie, comme ça, de s’exprimer. Mais quand vous les mettez devant une feuille de papier, devant un pinceau ou un instrument, on voit surtout la débilité, l’insignifiance. Du jour où l’on s’est mis à apprendre sans douleur, le latin sans thème, le grec en dormant, on ne sait plus rien. C’est la facilité qui tue tout. La facilité et la publicité. C’est fini. Il n’y a plus rien. Il manque quelque chose : l’effort. »

Louis-Ferdinantd Céline, entretien avec Jacques d’Arribehaude

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02/11/2011

Art Contemporain

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« Il n’y eut sans doute jamais d’époque où, comme de nos jours, tant de choses et tant de choses confuses furent dites et écrites à propos de l’art et où l’usage du mot fut si peu soumis à l’examen.

Cet état de fait doit avoir ses raisons ; Nous en découvrons une dès l’instant où nous remarquons qu’au temps de l’art grec, il n’y eut rien de tel qu’une littérature sur l’art. Les œuvres d’Homère et de Pindare, d’Eschyle et de Sophocle, les éditeurs et les sculptures des grands maitres parlaient d’elles-mêmes. Elles parlaient, c’est-à-dire montraient où l’homme prenait place, elles laissaient percevoir d’où l’homme recevait sa détermination. Leurs œuvres n’étaient pas l’expression de situation existantes et surtout pas la description de vécus psychiques. [...]. L’art du sculpteur par exemple n’exigeait ni galerie ni exposition, l’art des Romains lui-même n’avait pas besoin de documenta [enseignements, explications]. »

Martin HEIDEGGER, Remarques sur art – sculpture – espace

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31/10/2011

Mobiles, ouverts à la transformation, disponibles, les employés modernes subissent un processus de dépersonnalisation

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« De prime abord et la plupart du temps, l’étant avec lequel je suis en rapport n’est certainement pas là, il est absent et échappe au lieu ouvert et configuré par l’existant. Il serait totalement anachronique de décrire l’environnement quotidien de l’homme d’aujourd’hui en terme d’outils, d’étants à portée de la main, de définir son monde comme un atelier d’artisan ; l’attitude moyenne de l’homme d’aujourd’hui n’est certainement pas le travail manuel ni la manipulation : l’homme est installé au milieu d’écrans, qui fournissent en continu les signaux déterminants ses réactions. Michel Houellebecq a parfaitement résumé ce rapport aux choses caractéristiques de la zone urbaine :

"… car que produisent ces employés et ces cadres, à la Défense rassemblés ? A proprement parler, rien ; le processus de production matérielle leur est même devenu parfaitement opaque. Des informations numériques leur sont transmises sur les objets du monde. ces informations sont la matière première de statistiques, de calculs ; des modèles sont élaborés, des graphes de décision sont produits ; en bout de chaîne des décisions sont prises, de nouvelles informations sont réinjectées dans le corps social. Ainsi la chair du monde est remplacée par son image numérisée ; l’être des choses est supplanté par le graphique de ses variations. Polyvalents, neutres et modulaires, les lieux modernes s’adaptent à l’infinité de messages auxquels ils doivent servir de support. Ils ne peuvent s’autoriser à délivrer une signification autonome, à évoquer une ambiance particulière ; dépouillés de tout caractère individuel et permanent, et à cette condition, ils seront prêt à accueillir l’indéfinie pulsion du transitoire. Mobiles, ouverts à la transformation, disponibles, les employés modernes subissent un processus de dépersonnalisation analogue". (Michel Houellebecq, Approches du désarroi, p. 64).

Un quartier d’affaires comme La Défense en banlieue parisienne est en effet emblématique de la zone urbaine, il se retrouve à l’identique dans toutes les zones urbaines du monde et constitue effectivement le centre même du dispositif de production : il n’est rien d’autre qu’une gare de triage de données numériques transmises par écrans. Et, dans son bâti lui-même, il manifeste cette fonction, en privilégiant le verre et l’acier, c'est-à-dire des matériaux réfléchissants qui constituent toute façade en surface de renvoi, c'est-à-dire en support de nouveaux messages et signaux. Construire des façades-miroirs, c’est précisément renoncer à bâtir, c'est-à-dire polariser et matérialiser un sens dans le bâtiment : l’architecture moderne a renoncé à matérialiser uns significativité déterminée – celle que l’on retrouve par exemple dans une ville médiévale blottie autour de sa cathédrale – pour installer l’infrastructure translucide et circulatoire de la signalétique. »

Jean VIOULAC, L’époque de la technique. Marx, Heidegger et l’accomplissement de la métaphysique

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29/10/2011

Je voulais voir le monde entier toucher le fond

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« Ce que disait Tyler, comme quoi nous sommes la merde et les esclave de l’histoire, c’est exactement ce que je ressentais. Je voulais détruire tout ce que je n’aurai jamais de beau. Brûler les forêts amazoniennes. Pomper les chlorofluocarbures droit vers le ciel pour gober tout l’ozone. Ouvrir les vannes de purge des superpétroliers et détacher les têtes des puits de pétrole en haute mer. Je voulais tuer tout le poisson que je ne pouvais me permettre de manger, et détruire sous les marées noires les plages françaises que je ne verrais jamais.
Je voulais voir le monde entier toucher le fond.
Ce que je voulais en pilonnant ce gamin, c’était en réalité coller une balle entre les deux yeux de tous les pandas qui refusaient de baiser pour sauver leur espèce en danger et de toutes les baleines ou dauphins qui renonçaient et venaient s’échouer sur la terre ferme. Ne pensez pas à cela comme à l’extinction d’une espèce. Prenez cela comme une remise en place, toutes proportions retrouvées.
Des milliers d’années durant, les êtres humains avaient baisé, déversé leurs ordures et leur merde sur cette planète, et aujourd’hui, l’histoire attendait de moi que je nettoie après le passage de tout le monde. Il faut que je lave et que je raplatisse mes boîtes de soupe. Et que je justifie chaque goutte d’huile moteur usagée.
Et il faut que je règle la note pour les déchets nucléaires et les réservoirs à essence enterrés et les boues toxiques étalées sur les champs d’épandage d’ordures une génération avant ma naissance.
Je tenais le visage de m’sieur l’angelot comme un bébé ou un ballon de rugby au creux de mon bras et je le tabassais de mes jointures, je l’ai tabassé jusqu’à ce que ses dents crèvent ses lèvres. Tabassé à coups de coude après ça jusqu’à ce qu’il s’effondre entre mes bras comme un tas.
Jusqu’à ce que la peau de ses pommettes, à force de martelage, soit si fine qu’elle vire au noir. Je voulais respirer la fumée.
Les oiseaux et les biches sont un luxe stupide, et tous les poissons devraient flotter.
Je voulais brûler le Louvre. Je me ferais les marbres Elgin à la masse et je m’essuierais le cul avec La Joconde. C’est mon monde, maintenant.
C’est mon monde, ici, mon monde, et tous ces gens anciens sont morts. »

Chuck Palahniuk, Fight Club

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28/10/2011

Seules les étoiles contemplent cette figure dans la touchante corbeille des visages humains.

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« La France est morte ? Vive la France. La France vient encore de mourir en Touraine : une maison ferme à jamais ses persiennes, comme tant d'autres, dans ces campagnes qui font entendre partout le même claquement funèbre : les vieux s'enfouissent dans la terre, les jeunes, quand il y en a, s'en vont quelques années de reste, traîner des noms fanés sur le bitume.

Mais ce n'est qu'une France qui vient de mourir, il y en a plusieurs, il y en a qui naissent, étranges et terribles. Dans le siècle : une France comme un Far-West brut, pleine d'étrangers inquiétants, de mines de fer, d'autos et d'avions, avec des millions de n....s et un avenir de Byzance battue et fortifiée par la barbarie - hors du siècle : une poésie française qui éclate dans la peinture, qui gronde inentendue depuis cinquante ans, dans plusieurs livres téméraires, merveilleux, austères.

Et par là-dessus, il y a une France éternelle, qui a été et qui sera, comme une amoureuse qu'on oublie pas, même si, éventrée, crevée par une invasion, elle expire son âme personnelle, mais nous ne la connaissons pas, et personne n'a le droit d'en appeler parmi nous, que nous soyons vivants ou morts, car si depuis toujours sa figure fut tracée tout entière d'un trait foudroyant, nous ne sommes qu'un des imperceptibles siècles dont elle est issue, et seules les étoiles contemplent cette figure dans la touchante corbeille des visages humains. »

Pierre Drieu La Rochelle, Ne nous la faites pas à l'oseille

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27/10/2011

Précision

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« Ce qui prouve que la dictature fasciste n'est pas totalitaire, c'est que les condamnations politiques y furent très peu nombreuses et relativement légères. Pendant les années, particulièrement actives qui vont de 1926 à 1932, les tribunaux spéciaux prononcèrent 7 condamnations à mort, 257 condamnations à dix ans de prisons ou plus, 1360 à moins de dix ans, et beaucoup plus de sentences d'exil ; 12000 personnes furent arrêtées et déclarées innocentes, procédure inconcevable sous la terreur nazie ou bolchévique. »

Hannah ARENDT, Le système totalitaire

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26/10/2011

Drieu, Aragon, Malraux

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« Cet effacement des origines, ce même besoin de recouvrir ses traces animera – sans exception et jusqu’au bout – un ami de vie, un modèle d’écriture, un adversaire politique intime de Drieu : André Malraux. Son enfance, il n’en parle jamais par écrit et mal volontiers dans la conversation. Aucun humain n’étant conséquent il fondera, lui, plusieurs familles et, de deux femmes aura, en tout, trois enfants. Etrangement, il demandera à Drieu – en pleine Occupation – d’être le parrain d’un de ses fils. L’autre intime de Drieu dont l’enfance sera la tunique d’orties, le cilice, la couronne d’épines, c’est Aragon. Lui et Drieu ont-ils échangé leurs secrets de famille ? Ils ont rompu en 1927, donc Drieu s’était déjà publiquement délesté d’Etat civil, mais Aragon se taisait – se taira encore longtemps – sur le chemin de croix de son apprentissage.

Tous trois auront de communes admirations premières : Nietzsche, Barrès, d’Annunzio. Tous trois s’engageront – différemment – dans le grand affrontement communisme-fascisme. Deux d’entre eux – Aragon et Drieu – ont puisé dans le danger du front la certitude, que Malraux plus jeune partagera, que l’esthétisme ne suffit pas, que l’écrivain doit être un combattant des luttes de son époque. »

Dominique DESANTI, Drieu La Rochelle ou le séducteur mystifié,

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25/10/2011

On ne peut exiger des uns et piétiner les autres

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« La façon dont l’homme traite l’environnement influence les modalités avec lesquelles il se traite lui-même et réciproquement. C’est pourquoi la société actuelle doit réellement reconsidérer son style de vie qui, en de nombreuses régions du monde, est porté à l’hédonisme et au consumérisme, demeurant indifférente aux dommages qui en découlent. Un véritable changement de mentalité est nécessaire qui nous amène à adopter de nouveaux styles de vie "dans lesquels les éléments qui déterminent les choix de consommation, d’épargne et d’investissement soient la recherche du vrai, du beau et du bon, ainsi que la communion avec les autres hommes pour une croissance commune". Toute atteinte à la solidarité et à l’amitié civique provoque des dommages à l’environnement, de même que la détérioration de l’environnement, à son tour, provoque l’insatisfaction dans les relations sociales. À notre époque en particulier, la nature est tellement intégrée dans les dynamiques sociales et culturelles qu’elle ne constitue presque plus une donnée indépendante. La désertification et la baisse de la productivité de certaines régions agricoles sont aussi le fruit de l’appauvrissement et du retard des populations qui y habitent. En stimulant le développement économique et culturel de ces populations, on protège aussi la nature. […] 
Une sorte d’écologie de l’homme, comprise de manière juste, est nécessaire. La dégradation de l’environnement est en effet étroitement liée à la culture qui façonne la communauté humaine: quand l’ "écologie humaine" est respectée dans la société, l’écologie proprement dite en tire aussi avantage. De même que les vertus humaines sont connexes, si bien que l’affaiblissement de l’une met en danger les autres, ainsi le système écologique s’appuie sur le respect d’un projet qui concerne aussi bien la saine coexistence dans la société que le bon rapport avec la nature.

Pour préserver la nature, il n’est pas suffisant d’intervenir au moyen d’incitations ou de mesures économiques dissuasives, une éducation appropriée n’y suffit pas non plus. Ce sont là des outils importants, mais le point déterminant est la tenue morale de la société dans son ensemble. Si le droit à la vie et à la mort naturelle n’est pas respecté, si la conception, la gestation et la naissance de l’homme sont rendues artificielles, si des embryons humains sont sacrifiés pour la recherche, la conscience commune finit par perdre le concept d’écologie humaine et, avec lui, celui d’écologie environnementale. Exiger des nouvelles générations le respect du milieu naturel devient une contradiction, quand l’éducation et les lois ne les aident pas à se respecter elles-mêmes. Le livre de la nature est unique et indivisible, qu’il s’agisse de l’environnement comme de la vie, de la sexualité, du mariage, de la famille, des relations sociales, en un mot du développement humain intégral. Les devoirs que nous avons vis-à-vis de l’environnement sont liés aux devoirs que nous avons envers la personne considérée en elle-même et dans sa relation avec les autres. On ne peut exiger des uns et piétiner les autres. C’est là une grave antinomie de la mentalité et de la praxis actuelle qui avilit la personne, bouleverse l’environnement et détériore la société. »

Benoit XVI, Caritas in veritate, §51

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24/10/2011

Les formes de réception de la kabbale dans le Romantisme Allemand

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Est-il surprenant de découvrir combien Gershom Scholem, historien et philosophe juif, spécialiste en Kabbale et en mystique juive en général, fut influencé, dans sa jeunesse, et inspiré par le Romantisme Allemand ?

Dans "LE MESSIANISME HETERODOXE DANS L'OEUVRE DE JEUNESSE DE GERSHOM SCHOLEM", Michael Löwy affirme non sans raison :

« Scholem appartient aussi à la catégorie des intellectuels modernes - aussi bien juifs que non-juifs - qui ressentent cruellement le désenchantement du monde, la entzauberung der Welt caractéristique, selon Max Weber, de la modernité. Pour cette raison, il est profondément attiré par la critique romantique de la modernité, la protestation romantique - au nom de valeurs culturelles ou religieuses du passé - contre la rationalité instrumentale (la Zweckrationalität dont parle Weber), la quantification et la réification produites par la civilisation bourgeoise/industrielle moderne. Il fait partie de ce vaste courant de critique moderne de la modernité qui trouve son inspiration dans la tradition romantique allemande, et qui cherche dans le mythe, l'histoire ou la religion un antidote à la perte de sens.
Comme d'autres romantiques, Scholem est trop moderne pour désirer un retour pur et simple au passé : il ne peut plus croire à la Kabbale, où à l'avénément iminent du Messie, comme ses ancêtres. Sa stratégie de ré-enchantement du monde se situe à l'intérieur de la modernité : il deviendra l'historien de la Kabbale et du messianisme, et c'est par la médiation de l'historiographie qu'il fera révivre la fascinante magie spirituelle de la mystique juive des siècles passés. L'oeuvre de Gershom Scholem est non seulement un monument inégalé d'historiographie moderne, mais apporte aussi un regard nouveau sur la tradition religieuse juive, en lui restituant sa dimension messianique et apocalyptique escamoté par la lecture rationaliste/libérale de la Wissenschaft des Judentums et de la sociologie allemande. Max Weber et Werner Sombart n'ont vu dans la spiritualité juive que rationalisme calculateur : Scholem a mis en évidence les courants religieux souterrains, mystiques, hérétiques, messianiques et utopiques de l'histoire du judaïsme.
Né dans une famille de la petite bourgeoisie juive assimilée de Berlin, Gerhard Scholem sera d'abord nourri de culture allemande ; pendant sa jeunesse, les écrivains romantiques ou néo-romantiques seront parmi ses favoris : Jean Paul, Novalis, Eduard Mörike, Stefan George, Paul Scheerbart. »

Scholem dira du théosophe chrétien et romantique allemand, Franz Joseph Molitor, et précisément de son oeuvre "Philosophie der Geschichte oder über die Tradition (1827-1857), combien ses "intuitions profondes" et "l'effet fascinant" de son livre eurent un impact considérable sur lui. Si Scholem refusa les spéculations cristologiques de ce "disciple des philosophes romantiques Schelling et Baader", il proclame néanmoins que Molitor "comprennait mieux la Kabbale que les plus grandes autorités religieuses juives de son époque."

Michael Löwy précise : « Suite à la lecture d'un roman d'Eichendorff, Scholem proclame : "On voit ici combien profondément nous appartenons au romantisme : dans le fait que nous sommes capables d'absorber en nous-mêmes de forme achévée et intégrale les vibrations et les émotions du romantisme, avec toute leur multiplicité de couleurs et avec la grande auréole de saintété de la joie (Heiligenschein der Freude) , qui s'étend sur lui".»

Car les ponts entre la Kabbale Juive et le Romantisme allemand ne manquent pas, tant en transmission directe qu'en transmission indirecte. En tout cas, les notions Kabbalistiques ont eu une influence sur le Romantisme. Quelques extraits pour vous mettre l'eau à la bouche avant de vous livrer le lien vers un fichier PDF fort intéressant.

« Dans son accueil de la kabbale, le romantisme se caractérise, tant chez les chrétiens que chez les juifs, par un nouvel intérêt porté à la langue. La phrase de Hamann dans une lettre à Jacobi selon laquelle la langue serait "la mère de la raison et de la révélation, son alpha et oméga" marque le point de convergence des romantiques face à la raison pure de l’Aufklärung. »

« L’accueil réservé à la kabbale dans le romantisme allemand a été si varié et si complexe qu’il est nécessaire d’indiquer ici en introduction les différents éléments de cette « réception » — d’ailleurs une des significations du mot hébreu kabbala. »

« Schelling est le paradigme de la "réception" romantique indirecte de la kabbale : ce qu’il en sait et en utilise, il ne le tient pas d’un maître juif, mais de Jacob Boehme, Giordano Bruno, Knorr von Rosenroth, Oetinger, Jacobi et Molitor ou bien alors du trop fameux pamphlet antisémite Entdecktes Judenthum [Le judaïsme dévoilé] (Königsberg, 1711) de Johann Andrés Eisenmenger (1654-1704), une autre source importante du "savoir" romantique sur le judaïsme et la kabbale. »

« Goethe : à peine âgé de vingt ans, il avait lu en 1769, dans le cercle piétiste de Susanna Katharina von Klettenberg, à côté des œuvres de Paracelse et Basilius Valentinus, le Opus magocabbalisticum et theosophicum (Homburg vor der Höhe, 1735 ; seconde édition 1760) de Georg von Welling. Dans le huitième volume de Dichtung und Wahrheit, écrit en 1811, il reconstitue de mémoire comment il s’était construit toute une théogonie et cosmogonie à partir des manuels alchimistes et gnostiques les plus divers et d’œuvres ésotériques juives et chrétiennes, auxquels "l’hermétisme, la mystique et la kabbale" apportèrent leur contribution. »

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Revue germanique internationale, Numéro 5 (1996) -- Germanité, judaïté, altérité : Les formes de réception de la kabbale dans le romantisme allemand.PDF

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 En tout cas, Scholem, pour en revenir à lui, a eu une admiration sans restrictions à l'égard d'Hölderlin - passion qu'il partagea avec son ami Walter Benjamin - qu'il n'a pas craint, dans les "Tagebuchaufzeichnungen" de 1918-19 , de comparer avec la Bible elle-même : « La vie sioniste a été vécue dans le peuple Allemand par Friedrich Hölderlin. L'être-là (Dasein) de Hölderlin est le canon de toute vie historique. Cela constitue le fondement de l'autorité absolue de Hölderlin (...) [et de] sa place aux côtés de la Bible. La Bible est la canon de l'écriture, Hölderlin, le canon de l'être-là (Dasein). Hölderlin et la Bible sont les deux seules choses dans le monde, qui ne peuvent jamais se contredire. Le canonique doit être defini comme la pure possibilité d'interprétation (Deutbarkeit). »

Michael Löwy : « Il est possible que ce paragraphe se réfère à l'Hypérion de Hölderlin, dont l'image exaltée et lyrique de la renaissance nationale grecque aurait pu inspirer à Scholem ce surprennant paralèlle avec le sionisme. »

Et Löwy ajoute plus loin :

« Scholem ne partage pas moins - comme Benjamin - la critique romantique de l'idée de progrès. Cette critique inspire ses féroces attaques contre le liberalisme de la bourgeoisie juive et son fruit intellectuel, la Wissenschaft des Judentums, dans les "Tagebuchaufzeichnungen" : "La Wissenschaft des Judentums et le capitalisme juif se trouvent dans un rapport fondamental (wessensmässiger Verbindung)."
Dans une référence implicite au positivisme comtien, il ajoute cette étonnante diatribe pimentée d'images sarcastiques : "Une révolution et une compétition métaphysiques se sont mis en place en vue d'accomplir l'identification dont on avait besoin : Ordre/Progrès. Depuis ce moment a commencé la grande re-interprétion du Judaïsme et sa transformation en haut lieu du Libéralisme, accomplie par la science et la théologie juives grâce à un horrible inceste dans la doctrine : le messianique devint le progrès infini dans le temps".
Les doctrines du progrès sont aux yeux de Scholem une misérable contrefaçon de la tradition messianique juive, dont est responsable la philosophie des Lumières. Il met en cause, avec une virulence particulière, l'école néo-kantienne de Marburg, dont Hermann Cohen était le principal réprésentant : "Le royaume messianique et le temps mécanique ont conçu, dans la tête des hommes des Lumières (Aufklärer), l'idée - batârde et digne de malédiction - du Progrès. Parce que, si l'on est un Aufklärer ...) la perspective des temps messianiques doit nécéssairement se déformer en Progrès. (...) Ici se trouvent les erreurs les plus fondamentales de l'école de Marburg : la distorsion légale et passible de déduction (die gesetzmässige, deduzierbare Verzerrung) de toutes les choses en une tâche infinie dans le sens du Progrès. Ceci est la plus pitoyable interpretation que le prophétisme a dû jamais supporter". »

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23/10/2011

antisionisme, antisémitisme même combat...

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« Depuis la tragédie hitlérienne, l'antisémitisme politique a pratiquement disparu de la surface du globe. Non pas, bien sûr, qu'on ait cessé comme par enchantement de détester les Juifs. Mais la malveillance demeure à l'état diffus. Le préjugé ne se constitue pas en vision du monde. Ce qui lui manque pour sauter le pas ? La peur.

(...) L'idéologie raciste n'a pas résisté au naufrage du nazisme. Unanimement rejetée de la sphère politique, elle n'apparaît, avec une violence d'ailleurs redoutable, que dans le domaine privé. Nous sommes habitués à cette dichotomie : les hommes politiques parlent le langage de la justice et de l'égalité, et c'est aux particuliers qu'il revient d'exprimer brutalement leurs allergies ou leurs préventions raciales. Parions même que nombre de racistes n'aimeraient pas voir ministres et députés utiliser à la tribune les mots qu'ils emploient, eux, dans l'intimité. Ils seraient sincèrement choqués par cette intrusion soudaine, dans le vocabulaire politique, d'une violence ou d'un mépris qui n'ont rien à y faire.

(...) Ainsi, l'hostilité contre les Juifs n'est plus politisable : leur nom même y fait obstacle, parce qu'il désigne une ethnie et qu'il évoque un martyre. De là, l'importance essentielle du mot : sionisme. Les sionistes, en effet, ne sont pas les membres d'une nation ou d'une race, mais les partisans d'un système. Et l'expérience historique n'interdit pas de trouver ce système nuisible, ni même de hisser ses dirigeants à la hauteur de personnages occultes et tout-puissants qui manipulent l'opinion et qui influent sur le destin mondial. L'antisémitisme doctrinal ne pouvait guère se perpétuer qu'en se débaptisant : il l'a fait, et ce remplacement du “juif” par le “sioniste” est plus qu'un artifice rhétorique ; ce qui se révèle c'est la mutation de la pensée totalitaire. De nos jours, on persécute des idéologies et non des peuples, il n'y a plus de sous-hommes, mais des valets de l'impérialisme, des fascistes sous l'égide de l'étoile bleue, des militants, pour tout dire, d'un “nouveau type de nazisme”. Bref, le racisme n'a droit de cité dans le langage politique contemporain que sous la forme de son contraire. »

Alain Finkielkraut, Le Juif imaginaire

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22/10/2011

L’urbanisation contemporaine est décentralisation, dé-localisation et zonage

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« Le phénomène contemporain de l’urbanisation ne peut pas se penser dans l’opposition entre ville et campagne, ni comme passage d’un "monde rural" à un "monde citadin", mais disparition des deux dans leur fusion et leur indifférenciation. L’urbanisation contemporaine du monde constitue un phénomène nouveau, irréductible à la ville ancienne ; sa caractéristique la plus immédiate est précisément la suppression de la limite : la ville cesse d’être une entité spatiale bien délimitée, et se métastase indéfiniment dans ses territoires environnants. La question de la définition de la ville est d’ailleurs devenue une question insoluble, et il a fallu au XXè siècle créer des termes nouveaux tels "conurbation", "agglomération" ou "mégapole", pour désigner ces réalités nouvelles : la définition est alors toujours artificielle, et doit introduire des distinctions administratives au sein d’un continuum urbain qui se développe indépendamment d’elles ; la part du centre dans l’ensemble de la zone de peuplement se réduit ainsi sans cesse, au profit d’un accroissement continu de la banlieue. L’urbanisation du monde n’est donc pas en réalité une généralisation du modèle de la ville, mais une extension à l’infini de la banlieue, phénomène urbain majeur de notre époque, dans lequel il faut intégrer la prolifération massive du bidonville (Le constat de l’urbanisation contemporaine du monde doit tenir compte du fait que plus du tiers des citadins vit aujourd’hui en réalité dans des bidonvilles : plus de 920 millions d’hommes vivaient dans des bidonvilles en 2001, plus de 1 milliard en 2007 ; ils seront selon les projections 1,4 milliard en 2020).

Ce processus s’avère fondamental en ce qu’il met à nu la véritable nature de l’urbanisation du monde, qui n’est plus installation de l’homme dans le site de la ville, c'est-à-dire dans un centre, un pole à partir duquel le monde puisse se déployer et faire sens. La banlieue se définit par l’absence de pole, elle est un espace urbain qui a rompu les amarres avec son ancien centre sans pour autant se reconstituer elle-même à partir d’un centre. La ban-lieue est bannie de tout lieu, elle est le bannissement même du lieu (le mot « banlieue » désigne originairement le territoire d’environ une lieue autour d’une ville sur lequel s’étendait le ban, c'est-à-dire la loi du suzerain : mais la banlieue contemporaine se définit au contraire à la fois par son extension indéfinie, sur des dizaines de lieues, et par son indépendance par rapport à la loi du centre. D’où cette interprétation, fausse quant à l’étymologie mais vraie quant au sens), elle n’est pas site, mais zone, c'est-à-dire étendue urbaine non aménagée : la banlieue est hors-lieu, dé-centréen dé-localisée – elle est l’apolis redoutée par Sophocle. Le règne de l’urbain est en réalité la mort de la ville ; c’est la conclusion que Françoise Choay a tiré de sa longue réflexion sur l’urbanisme contemporain : "Nous assistons à la dédifférenciation et à l’effacement du type d’agglomération que l’Occident a appelé ville et dont, en dépit de ses banlieues, la métropole de la seconde moitié du XXè siècle fut le dernier avatar. Support mouvant de sociétés mobiles, cet espace indifférencié qui refuse centrement et circonscription, demeure inassumé par ses producteurs, méconnu tant par ceux qui le peuplent que par les analystes professionnels." (F. Choay, "Le règne de l’urbain et la mort de la ville", Pour une anthropologie de l’espace, Paris, 2006, p. 165 sq.). La technique est originairement production et configuration de lieu, de ces lieux ainsi édifiés et bâtis qui ont pris le nom de ville, mais l’urbanisation contemporaine est essentiellement décentralisation et dé-localisation, elle est un zonage à l’infini qui n’institue plus de lieux mais étend de l’espace. »

Jean VIOULAC, L’époque de la technique. Marx, Heidegger et l’accomplissement de la métaphysique

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21/10/2011

Prière à la Vie

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« Certes, comme on aime un ami

Je t’aime, vie énigmatique -

Que tu m’aies fait exulter ou pleurer,

Que tu m’aies apporté bonheur ou souffrance.


Je t’aime avec toute ta cruauté,

Et si tu dois m’anéantir,

Je m’arracherai de tes bras

Comme on s’arrache au sein d’un ami.



De toutes mes forces je t’étreins !

Que tes flammes me dévorent,

Dans le feu du combat permets-moi

De sonder plus loin ton mystère.



Être, penser durant des millénaires !

Enserre-moi dans tes deux bras :

Si tu n’as plus de bonheur à m’offrir -

Eh bien - il te reste tes tourments. »

Lou Andreas-Salomé, Ma Vie

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20/10/2011

La puissance d’annihilation porte directement sur l’être-au-monde

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« Si quotidiennement c’est l’homme qui est consommateur, il ne l’est qu’en tant que fonctionnaire d’une machinerie de consommation qui lui impose de remplir cette fonction. Or la consommation est destruction, l’usure est dégradation : non seulement la machination opère la démondanéisation du monde ambiant, c'est-à-dire qu’elle fait voler en éclat la structure de la mondanéité qui constitue le tout de l’étant en monde, mais elle est la destruction systématisée de l’étant. […].

L’époque de la technique est celle de la fin du monde, et il ne s’agit pas là d’une prévision catastrophiste mais d’un simple constat : de même qu’il n’y a plus de ville, mais une zone urbaine indéfinie, il n’y a plus de contrée mondaine, mais l’espace infini de l’univers. Dans la vaste machinerie de l’univers, la terre ne peut apparaître que comme planète, c'est-à-dire une sphère rocheuse errant dans le vide, un astre errant parmi d’autres. L’homme n’est plus au monde – ce qui rend possible l’habitation – il est sur une planète, en cela condamné à l’errance. Sa situation fondamentale peut alors être définie : « L’homme, devenu animal rationale,  ce qui veut dire le vivant qui travaille, ne peut plus qu’errer à travers les déserts de la terre dévastée ». (Heidegger, Dépassement de la métaphysique, GA 7, p. 70).

La machination est l’universelle fragmentation du tout, qui réduit l’étant en pièces de son propre fonctionnement, lequel se déploie dans la puissance déchainée de la dévastation. Le déchaînement de cette puissance est « annihilation totale [vollständige Vernichtung] » (Heidegger, GA 79, p. 48), et la machination n’est finalement rien d’autre qu’annihilation. La machine d’annihilation tourne aujourd’hui à plein régime et dévaste la planète quotidiennement ; (l’époque industrielle a inauguré une extinction massive du vivant, dans des proportions et une rapidité jamais atteinte aux cours des âges géologiques, même à la fin du Cétacé : d’après E. O. Wilson, L’avenir de la vie, Paris, 2003, la moitié de toutes les espèces en vie sur la terre aura disparu avant la fin du XXIè siècle ; un rapport de l’ONU (GIEC, 2007) donne un taux d’extinction compris entre 40 et 70 %. A titre d’exemple : les réserve halieutiques mondiales ont baissé de 75 % depuis le début de la révolution industrielle, et seront totalement épuisées à l’horizon 2050 (United Nation Environnement Programme, GEO, 2007)) ; pour en être le phénomène le plus visible la désertification du monde n’est pourtant pas l’essentiel.

La puissance d’annihilation porte en effet directement sur l’être-au-monde, sur la transcendance de l’existance, qui constitue l’essance même de l’homme historial : l’homme court alors aujourd’hui « le danger de l’annihilation de son essance » (Heidegger, Nietzsche II, GA 6.2, p. 356). A l’époque de la technique l’homme est non seulement condamné  à l’errance dans un désert illimité, mais il est plus profondément condamné à l’annihilation, et c’est ainsi que Heidegger définit sa condition aujourd’hui : « La bête de labeur est abandonnée au vertige de ses fabrications, afin qu’elle se déchire elle-même, qu’elle se détruise et s’annihile dans la nullité du néant » (Heidegger, Dépassement de la métaphysique, GA 7, p. 71). »

Jean VIOULAC, L’époque de la technique. Marx, Heidegger et l’accomplissement de la métaphysique

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18/10/2011

Le lieu d'un combat spirituel

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« Tout autour de lui, dans l'immensité et le désordre, s'étendait le pays pour lequel il souffrait. Il allait lui donner sa vie. Mais ce grand pays, qu'il était prêt à contester au point de se détruire lui-même, ferait-il seulement attention à sa mort ? Il n'en savait rien ; et tant pis. Il mourait sur un champ de bataille sans gloire, un champ de bataille où ne pouvait s'accomplir aucun fait d'armes : le lieu d'un combat spirituel. »

Yukio Mishima, Patriotisme

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17/10/2011

Quand nous avançâmes, une fureur guerrière s'empara de nous

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« Le grand moment était venu. Le barrage roulant s'approchait des premières tranchées. Nous nous mîmes en marche... Ma main droite étreignait la crosse de mon pistolet et la main gauche une badine de bambou. Je portais encore, bien que j'eusse très chaud, ma longue capote et, comme le prescrivait le règlement, des gants. Quand nous avançâmes, une fureur guerrière s'empara de nous, comme si, de très loin, se déversait en nous la force de l'assaut. Elle arrivait avec tant de vigueur qu'un sentiment de bonheur, de sérénité me saisit.

L'immense volonté de destruction qui pesait sur ce champ de mort se concentrait dans les cerveaux, les plongeant dans une brume rouge. Sanglotant, balbutiant, nous nous lancions des phrases sans suite, et un spectateur non prévenu aurait peut-être imaginé que nous succombions sous l'excès de bonheur. »

Ernst Jünger, Orages d'acier

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16/10/2011

Feu d'artifice de pierre

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« Je l'avais vu d'abord de Cancale, ce château de fées planté dans la mer. Je l'avais vu confusément, ombre grise dressée sur le ciel brumeux.  Je le revis d'Avranches, au soleil couchant. L'immensité des sables était rouge, l'horizon était rouge, toute la baie démesurée était rouge; seule, l'abbaye escarpée, poussée là-bas, loin de la terre, comme un manoir fantastique, stupéfiante comme un palais de rêve, invraisemblablement étrange et belle, restait presque noire dans les pourpres du jour mourant.
J'allai vers elle le lendemain dès l'aube, à travers les sables, l’œil tendu sur ce bijou monstrueux, grand comme une montagne, ciselé comme un camée et vaporeux comme une mousseline. Plus j'approchais, plus je me sentais soulevé d'admiration, car rien au monde peut-être n'est plus étonnant et plus parfait.
Et j'errai, surpris comme si j'avais découvert l'habitation d'un dieu à travers ces salles portées par des colonnes légères ou pesantes, à travers ces couloirs percés à jour, levant mes yeux émerveillés sur ces clochetons qui semblent des fusées parties vers le ciel et sur tout cet emmêlement incroyable de tourelles, de gargouilles, d'ornements sveltes et charmants, feu d'artifice de pierre, dentelle de granit, chef-d’œuvre d'architecture colossale et délicate »

Guy de Maupassant, La légende du Mont Saint Michel

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12/10/2011

Je me rappelai soudain une rencontre

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« Je me rappelai soudain une rencontre, faite un an auparavant, dans une gare quelque part dans le centre. J’étais dans un train de blessés – on m’avait évacué parce que j’étais devenu sourd, mais sourd comme un pot ; sur un autre quai, il y avait un bataillon de Marocains qui montait. Des hommes superbes, jeunes, forts, au visage clair. Ils étaient neufs et dans leur force intacte, ils regardaient tout autour d’eux avec des yeux blessés. Ils se tenaient craintivement serrés derrière leurs officiers. Imaginez ce que pouvait être pour eux cette gare de novembre, battue de pluie, glacée, et ce train d’où émergeaient des visages du nord, pâles, sanglants et ironiques. J’avais été ému par le spectacle de cette force sauvage, attristée. »

Pierre Drieu la Rochelle, La comédie de Charleroi

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11/10/2011

Relent de pensées

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J'avais pensé naïvement que nous avions, sur le tard, eu la révélation de l'amitié après notre Passion qui n'était pas de l'Amour. En tout cas je l'avais éprouvée. J'avais saisi que celle-ci pouvait éclater ente deux personnes avec le même bonheur violent, que le reste du monde ne reconnaît qu'à la révélation de ce qu'il pense être de l'amour. Mais si notre Passion avait été vécue à deux, pleinement, cette révélation finale ne fut vécue que par moi seul.

On n'en finit pas de découvrir, au détour de la vie, des bribes de réponses quant à notre passé qui n'en n'a jamais terminé de nous régler notre compte, revenant à la charge... mais des charges bien inutiles lorsque le Temps a fait son oeuvre.

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