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08/10/2011

"Je boirai le calice jusqu’à la lie."

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« Le 21 janvier, avec le meurtre du Roi-prêtre, s’achève ce qu’on a appelé significativement la passion de Louis XVI. Certes, c’est un répugnant scandale d’avoir présenté, comme un grand moment de notre histoire, l’assassinat public d’un homme faible et bon. Cet échafaud ne marque pas un sommet, il s’en faut. Il reste au moins que, par ses attendus et ses conséquences, le jugement du roi est à la charnière de notre histoire contemporaine. Il symbolise la désacralisation de cette histoire et la désincarnation du Dieu Chrétien. Dieu, jusqu’ici, se mêlait à l’histoire par les Rois. Mais on tue son représentant historique, il n’y a plus de roi. Il n’y a donc plus qu’une apparence de Dieu relégué dans le ciel des principes.

Les révolutionnaires peuvent se réclamer de l’Evangile. En fait, ils portent au Christianisme un coup terrible, dont il ne s’est pas encore relevé. Il semble vraiment que l’exécution du Roi, suivie, on le sait, de scènes convulsives, de suicides ou de folie, s’est déroulée tout entière dans la conscience de ce qui s’accomplissait. Louis XVI semble avoir, parfois, douté de son droit divin, quoiqu’il ait refusé systématiquement tous les projets de loi qui portaient atteinte à sa foi. Mais à partir du moment où il soupçonne ou connaît son sort, il semble s’identifier, son langage le montre, à sa mission divine, pour qu’il soit bien dit que l’attentat contre sa personne vise le Roi-Christ, l’incarnation divine, et non la chair effrayée de l’homme. Son livre de chevet, au Temple, est l’Imitation de Jésus-Christ. La douceur, la perfection que cet homme, de sensibilité pourtant moyenne, apporte à ses derniers moments, ses remarques indifférentes sur tout ce qui est du monde extérieur et, pour finir, sa brève défaillance sur l’échafaud solitaire, devant ce terrible tambour qui couvrait sa voix, si loin de ce peuple dont il espérait se faire entendre, tout cela laisse imaginer que ce n’est pas Capet qui meurt mais Louis de droit divin, et avec lui, d’une certaine manière, la Chrétienté temporelle. Pour mieux affirmer encore ce lien sacré, son confesseur le soutient dans sa défaillance, en lui rappelant sa "ressemblance" avec le Dieu de douleur. Et Louis XVI alors se reprend, en reprenant le langage de ce Dieu : "Je boirai, dit-il, le calice jusqu’à la lie". Puis il se laisse aller, frémissant, aux mains ignobles du bourreau.  »

Albert Camus, L’homme révolté, La Pléïade

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07/10/2011

Le roman doit nous faire détester l'an 3000

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Il aimait la littérature mais exécrait son époque. Alors que débute la rentrée littéraire, l'essayiste Philippe Muray revient de l'au-delà pour évoquer l'utilité et la place des romans dans le monde contemporain. Entretien posthume.

 

Le Point : À quoi sert la littérature, à supposer qu'elle serve encore à quelque chose ?

Philippe Muray : À nous dégoûter d'un monde que l'on n'arrête pas de nous présenter comme formidablement désirable. La littérature que j'aime demande toujours, sous une forme ou une autre : Que se passe-t-il ? C'est la question originelle, en quelque sorte, de la littérature, et notamment de la littérature romanesque. Que se passe-t-il donc ? Qu'arrive-t-il donc à ce monde-ci, à notre monde humain ? Y a-t-il un moyen de rendre compte des transformations stupéfiantes, et pour la plupart abominables, dont on le voit affecté ? Toute personne non encore tout à fait changée en rhinocéros posthistorique sait, ou sent, qu'il se passe quelque chose de monstrueux. Poser cette question face à des choses, des discours qui se présentent comme allant de soi, qui essaient de passer comme des lettres à la poste, c'est cela, à mon sens, l'utilité de la littérature. Les invraisemblables phénomènes dont nous avons le malheur d'être les contemporains demeureront des mystères anthropologiques tant qu'un grand romancier ne s'en sera pas emparé.

Autrement dit, la littérature, c'est la guerre ?

S'il y a aujourd'hui un grand récit possible (au sens du roman à la Balzac ou à la Tolstoï, développant une idée globale de l'époque dans laquelle se résumeraient toutes les complexités de la réalité), il est dans cette sinistre épopée de l'éradication, par la corruption émotionnelle ou par la force, des dernières diversités, des dernières singularités, des dernières divergences, des dernières "dissidences". S'il y a bien une raison de faire de la littérature, elle ne peut résider que dans le désir de connaître cette nouvelle réalité. Puis de la discréditer de fond en comble. En discernant, pour commencer, à travers le rideau de brouillard des entreprises poétisantes, à travers la mystification lyrique de l'"information", la prose qui y est désormais bien escamotée ou refoulée. (...) L'affaire du roman a toujours consisté à voir la prose là où n'importe qui voit la poésie (c'est ça, la révélation balzacienne de la Comédie).

Ce qui rend la littérature nécessaire est aussi ce qui la rend impossible ? Pourquoi alors s'obstiner dans une impasse ?

Défendre la littérature comme la seule liberté précaire plus ou moins en circulation implique que l'on sache exactement ce qui la menace de partout. Ce n'est pas le réel, c'est le respect des écrivains envers la nouvelle réalité (...). Une société aussi idéale que la nôtre, aussi réussie, ensoleillée, ne saurait tolérer la moindre description critique. Même s'ils sont légion, les ennemis de la littérature sont également nommables et concrets. Les pires, bien sûr, logent aujourd'hui dans le coeur de la littérature (...), corrompant celle-ci de leur pharisaïsme besogneux, de leur lyrisme verdâtre, de leurs bonnes intentions gangstériques et de leur scoutisme collectiviste en prolégomènes à la tyrannie qu'ils entendent exercer sur tout ce qui, d'aventure, ne consentirait pas à s'agenouiller devant leurs mots d'ordre. Les livres qui ne sont pas le tombeau d'un des dieux de notre nouveau monde ne m'intéressent pas beaucoup.

D'où votre goût pour les écrivains "suspects" ?

J'avais quelques dispositions au désaccord, ne serait-ce que par le goût très prononcé que j'ai nourri assez tôt, et alors que la plupart des gens de ma génération lisaient du Camus ou du Sartre, pour des écrivains comme Céline, Bloy, Péguy ou Bernanos. Il y avait là, m'a-t-il semblé, un courant de littérature bien plus excitante et infiniment moins bien élevée que celle des bonnes consciences de la gauche, une véritable puissance d'altérité ou d'antagonisme (...).

On dirait que ce néo-monde dont vous êtes l'impitoyable chroniqueur ne se laisse pas facilement dompter par les formes classiques du roman.

Céline ne s'est posé si puissamment la question du "comment écrire" que parce qu'il avait besoin d'un instrument qui le surprendrait lui-même pour dire à quel point le monde le surprenait. Comment jouer avec la réalité ou ses doubles quand ils sont confondus ? Comment rire de tout le comique qui court les rues sans faire rire personne ? Et comment voir tout cela sans en faire le roman ? (...) La réalité dépasse la fiction. Elle a pris sur cette dernière une avance considérable qui ne peut être rattrapée que par une exagération encore plus immodérée. (...) Seul le saugrenu a des chances d'être ressemblant. Sartre se demandait ce que pouvait la littérature dans un monde où les enfants meurent de faim. Il serait temps de se demander ce que peut le roman dans un monde où tout le monde devrait être mort de rire.

Justement, qu'écrirait aujourd'hui Balzac qui vous observe en train de travailler ?

Balzac, s'il vivait aujourd'hui, essaierait de comprendre ce monde concret devenu une espèce de messe noire quotidienne. Il essaierait de saisir, autre exemple pittoresque parmi des milliers, ce qu'il faut de misère, de solitude, de détresse, de difformité mentale pour tartiner dix mille signes, je ne plaisante pas, dix mille signes, sur le fait que les jouets sont "sexistes", que le Père Noël est un salaud, qu'à travers les jouets que le petit garçon reçoit "la fabrication du mâle continue de répondre à des critères traditionnels", ce qui est inouï, que les petites filles reçoivent des "poupons qui réclament maman", ce qui est atroce, que le "paradigme différentialiste" perdure, que les "différences socialement construites" se cramponnent, que le scandale persiste, que les marchands de jouets s'obstinent, à travers leurs productions, à dispenser des "messages avilissants et aliénants", etc. Balzac essaierait d'entrer dans la peau de ce sociologue, maître de conférences dans une université dont je préfère oublier le nom, il essaierait d'imaginer la vie quotidienne, les petites joies et les grandes anxiétés de ce type qui se vante d'opérer "depuis quinze ans une lecture critique des catalogues de jouets". Et ainsi de suite.

En attendant un nouveau Balzac, les grandes oeuvres du passé ne nous disent-elles rien sur nous-mêmes ?

La vie ne se ressemble plus et c'est alors que l'histoire révolue de la littérature ne peut plus guère nous informer, hélas ! sur ce qui nous arrive. Que dirait Cervantès devant un défilé de nouveaux êtres vivants toniques et connectifs ? Que penserait Kafka égaré dans une exposition d'art contemporain ou assistant à une parade techno dans une artère piétonne ? Que raconterait Balzac après une promenade sur un site déclaré zone de biotope ou classé Espace Natura 2000 ? (...) Toute la littérature du passé, même proche, même la plus sublime, ne peut plus en aucune façon servir de référence. Ni Balzac, ni Proust, ni Kafka, ni Faulkner, et pas davantage Dostoïevski ou Flaubert, ne peuvent servir à comprendre grand-chose à une humanité pour laquelle la fête est une solution, et peut-être la seule (...). Ainsi la littérature actuelle doit-elle nier la littérature du passé ; mais elle est seule aussi, parce qu'elle s'en écarte en la connaissant, à en conserver le sens. Et ainsi conserve-t-elle aussi Proust et Homère. En tout cas, ce sens n'est conservé nulle part ailleurs, et surtout pas dans les hectolitres de narcissisme malade à la Angot ou à la Nothomb.

Et pourtant, vous continuez à penser qu'il y a quelque chose à sauver. Il n'y aura jamais, dites-vous, de Printemps des romanciers, comme il y a un Printemps des poètes, parce que le roman n'est pas festivisable. Il faudrait savoir, cher Muray !

Le roman qui vient, s'il veut survivre, devra affronter les nouvelles formes épidémiques d'être-ensemble ou de faire-en-commun, qui se révèlent les héritières de tout le projet religieux de l'Histoire décomposée. Il faudrait distinguer la littérature d'empêchement de la littérature d'encouragement, être en mesure de repérer, dans la montagne de romans qui paraissent, ceux qui participent de la conspiration uniformisante et les autres, beaucoup plus rares, ceux qui parlent des êtres humains à la manière dont le Programme est en train de les rééduquer.

En somme, la littérature meurt mais ne se rend pas ?

La littérature, au moins, n'a plus le choix : les menaces mortelles qui pèsent sur elles l'obligent à se transformer en immunologie sauvage. Il a fallu du temps, dans le passé, pour délégitimer avec Tartuffe la fausse dévotion, pour rire avec Rabelais des autorités ecclésiastiques ou du charabia des juges, pour transformer avec d'autres encore toutes les idylles en farce, toutes les illusions lyriques et bucoliques en vaudeville, tous les sermons et les prédications idéologiques en pitoyables pitreries. Il en faudra sans doute davantage encore pour ridiculiser le réel actuel. Mais c'est le seul enjeu littéraire qui vaille. Les romans de l'avenir seront des rejets de greffe, des levées de boucliers, des émeutes d'anticorps. Cet univers ne peut plus se concevoir clairement sans être recraché. "Les histoires vraisemblables ne méritent plus d'être racontées", disait déjà Bloy. (...) Le vraisemblable est une récompense que notre non-réel ne mérite pas. Déconner plus haut que cette époque sera une tâche de longue haleine. (...) Nous allons vous faire détester l'an 3000.

Propos sélectionnés par Élisabeth Lévy

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Les citations sont extraites d'Essais (Les Belles Lettres, 2010, 1 800 pages, 33 euros, comporte Après l'Histoire I et II et Exorcismes spirituels I, II, III, IV) ; Festivus Festivus, conversations avec Élisabeth Lévy (Fayard, 2004, rééd. Flammarion "Champs").

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Philippe Muray

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05/10/2011

La technique prend des traits ambigus

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« Le développement technologique peut amener à penser que la technique se suffit à elle-même, quand l’homme, en s’interrogeant uniquement sur le comment, omet de considérer tous les pourquoi qui le poussent à agir. C’est pour cela que la technique prend des traits ambigus. Née de la créativité humaine comme instrument de la liberté de la personne, elle peut être comprise comme un élément de liberté absolue, liberté qui veut s’affranchir des limites que les choses portent en elles-mêmes. Le processus de mondialisation pourrait substituer la technologie aux idéologies, devenue à son tour un pouvoir idéologique qui expose l’humanité au risque de se trouver enfermée dans un a priori d’où elle ne pourrait sortir pour rencontrer l’être et la vérité. Dans un tel cas, tous nous connaîtrions, apprécierions et déterminerions toutes les situations de notre vie à l’intérieur d’un horizon culturel technocratique auquel nous appartiendrions structurellement, sans jamais pouvoir trouver un sens qui ne soit pas notre œuvre. Cette vision donne aujourd’hui à la mentalité techniciste tant de force qu’elle fait coïncider le vrai avec le faisable. Mais lorsque les seuls critères de vérité sont l’efficacité et l’utilité, le développement est automatiquement nié. En effet, le vrai développement ne consiste pas d’abord dans le “faire”. La clef du développement, c’est une intelligence capable de penser la technique et de saisir le sens pleinement humain du “faire” de l’homme, sur l’horizon de sens de la personne prise dans la globalité de son être. Même quand l’homme agit à l’aide d’un satellite ou d’une impulsion électronique à distance, son action reste toujours humaine, expression d’une liberté responsable. La technique attire fortement l’homme, parce qu’elle le soustrait aux limites physiques et qu’elle élargit son horizon. Mais la liberté humaine n’est vraiment elle-même que lorsqu’elle répond à la fascination de la technique par des décisions qui sont le fruit de la responsabilité morale. Il en résulte qu’il est urgent de se former à la responsabilité éthique dans l’usage de la technique. Partant de la fascination qu’exerce la technique sur l’être humain, on doit retrouver le vrai sens de la liberté, qui ne réside pas dans l’ivresse d’une autonomie totale, mais dans la réponse à l’appel de l’être, en commençant par l’être que nous sommes nous-mêmes. »

Benoit XVI, Caritas in veritate

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04/10/2011

La dualité constante de sa voix

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« Ce qui distingue Drieu La Rochelle dans l’amoncellement des livres sur cette guerre, français, allemands anglais, américains, c’est la dualité constante de sa voix. Une voix de tripes dit l’élan soudain, la fureur de vivre en mourant et la retombée dans l’angoisse après l’action. Et une voix de tête, un persiflage ironique tient à distance l’enthousiasme, l’émotion, et ce besoin de se prouver, de s’éprouver. Cependant l’ironie s’arrête avant la dérision. »

« "Je méprisais à jamais l’esprit étroit des droites, le contraste entre leur chaleur patriote et leur froideur sociale, mais j’appréciais la vague aspiration qu’elles gardent pour la tenue. Je méprisais le débraillé des gauches, leur méfiance devant toute fierté de leur corps, et pourtant je goutais leur amertume". Et dans cet Itinéraire il conclut : "Sous mon premier veston, portant les idées passionnées d’Interrogation, le recueil de mes poèmes de guerre, j’étais tout à fait fasciste sans le savoir". Poèmes de violence où le rythme se souvenait de Claudel, l’image de Rimbaud, la pensée de Nietzsche. »

« A Berlin, comme à Buenos Aires, la plus forte impression est produite sur Drieu par un écrivain. Ernst von Salomon a écrit Les Réprouvés, histoire de jeunes hommes sortis de la guerre et qui ne trouvent pas leur place dans la société. Est-ce en allemand ce Gilles futur auquel Drieu pense depuis longtemps et dont, de livre en livre, il approche ? Non : pas de salons, pas de brillance érotique ni de vernis littéraire, pas de high society.

Ce romancier mène Drieu à travers le Berlin populaire, le Berlin de l’Alexanderplatz, lieu où les communistes rassemblaient les révoltés et que les chemises brunes comptent récupérer. Le dur Allemand qui marche près du parisien n’a pas le baroque poétique de Borges. Quand ils rentrent dans un café, ce n’est pas pour entendre une guitare aux mains d’un ouvrier. Ici tout est âpre, tendu, rude. Ernst von Salomon a fait six ans de prison pour complicité de meurtre [...]. "Ma famille est originaire de France. Après trois ans au secret, on m’a autorisé à recevoir UN livre. J’ai demandé Le rouge et le Noir".

Drieu écrira à Beloukia : "J’ai passé la soirée avec l’écrivain allemand que j’aime le plus, Ersnt von Salomon, qui a été des années en prison pour avoir participé au meurtre de Rathenau. Il m’a parlé avec beaucoup de franchise et de force. C’est beau de voir un homme au dessus des événements. Il a tout fait pour créer ce régime et il refuse les honneurs : un vrai aristocrate". »

Dominique DESANTI, Drieu La rochelle

 

Une note personnelle, tout de même, Drieu se trompe sur un point. Ernst von Salomon méprisait les soudards de Hitler et leur "petit caporal" de chef. Il avait souhaité une Révolution Conservatrice et, en cela, avait été plus proche de l'esprit d'un Ernst Jünger, que de la basse vulgarité et de la cruelle violence des SA ou des SS.

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03/10/2011

Mystique de l'abîme

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« On dit parfois que monter ou descendre, cela revient au même et qu’en allant à bout de voie, il est possible enfin qu’on se rencontre, on dit que les péchés où l’on se jette avec une fureur toujours nouvelle et toujours inlassable auraient le propre de nous avancer à l’égal des vertus et des renoncements, on dit que l’âme la plus sainte a des lumières qu’aurait l’âme la plus monstrueuse, que l’une et l’autre se répondent et qu’il vaut mieux leur ressembler que de languir à mi-chemin. N’est pas sublime qui le pense et n’est pas méchant qui le veut, on a beaucoup de fanfarons en la matière, les saints n’abonderont jamais ni les démons, à ce que je me persuade, et s’il fallait donner la préférence aux hommes les plus rares, on tremble de songer à qui les palmes seraient tôt remises.

La luxure et la mort conspirent dans les hommes nés atroces, élus, mais à rebours et qui s’acharnent après les ténèbres : ils perdent et se perdent, ils sèment le malheur, ils en jouissent, et les abîmes ouverts sous les pas de ceux qu’ils y dévouent ne manquent pas de les engloutir eux-mêmes, objets de leurs moyens qui les fascineront toujours et – malgré leur astuce – d’intelligence avec leur désolation, époux de la ruine et la cherchant dans les triomphes. Ces forts-là qu’on admire, ces bourreaux que l’on vante ou ces luxurieux que l’on méprise en s’alarmant de la folie qui les emporte, ils aiment, éperdus, ce qui les désassemble, ils marchent au néant qu’ils sollicitent dans les stupres ou les violences, leur fourbe ne les sauvant plus de cette rage qui les assassine. Ces monstres cherchent Dieu, ces monstres, nous les appelons mystiques et nous les appelons mystiques les méchants renforcés et les impurs que nulle volupté n’arrête : ils veulent échapper à l’évidence en descendant où la lumière ne les frappe, au sein de la confusion et de la mêlée des possibles, où veille ce qui n’a pris forme et les efface toutes, la liberté dans le chaos et l’équivoque dans la jouissance. Le Dieu qu’ils fuient, ils Le connaissent et Le prouvent, ils servent à Sa gloire et qui les juge La décèle, ils s’offrent délirant à ce qui les consume et jalousant ceux qu’ils tourmentent, ils rêvent d’un bourreau qui les déchire enfin ou d’une volupté qui les anéantisse, ils cherchent une mort multipliée en un mourir suprême, ils semblent des martyrs et qui s’ignorent, ils rampent vers la croix, ils courent s’y lier.

Au bout du mal, il semble que le mal n’est plus et ce qu’on trouve, on n’ose le nommer, cela dépasse nos moyens et notre jugement se brouille : on a beau s’enfoncer que l’on n’échappe à l’Eternel et c’est Dieu même qui parait armé de Sa colère au fond de la luxure et de la mort, elles nous acheminent à ce que l’on pensait fuir, Dieu veille où la mort cesse, Dieu veille où la luxure se consume, la mort Le glorifie et la luxure Le révèle, l’épuisement et la folie mesurent Sa constance et les ténèbres Sa lumière, Il a besoin de ce qu’on Lui refuse et nous oblige à l’abdiquer en la démence qu’Il suscite, Il nous enferme et nous Le rejoignons, les meilleurs sur les ailes de la Grâce, les pires attachés au poids qui les entraîne et pesant à la nuit qui les cache.

Les uns montent vers Dieu, plus légers à mesure ; les autres, abîmés dans un enfoncement qu’ils peuplent de leur haine, tombent en Dieu, lourds de l’atrocité qui les emplit : l’enfer est Dieu comme le ciel et l’horreur n’est pas moins divine que l’amour, il faut à Dieu les saints qu’Il déifie et les démons qu’Il tente, le bien ne serait plus si les ténèbres manquaient à sa gloire. Les monstres, Dieu les embesogne et plus eux-mêmes se croient libres, mieux ils Le servent : le dessein général les enveloppe et leur chaos ne saurait prévaloir sur l’harmonie qui les efface, Dieu les appelle au choix qu’ils ont formé, Dieu les punit de leur soumission rendue inévitable et plus féroce qu’eux, Il les emploie à seule fin de les anéantir. Si Dieu n’était que bon, Il ne serait plus Dieu, la bonté ne suffit à l’ordre et l’ordre vaut mieux que le bien, l’ordre est sublime et le bien non, le bien ne fut et ne sera jamais que désirable, la vastitude ignore la clémence et les suprêmes lois ne se dévient, toujours leur application sera cruelle et les victimes parfois innocentes. Dieu n’aime pas le monde et ne saurait l’abominer : il le régit, Il a comme nous tous une raison d’Etat, ce qui nous semble amour ou désamour est un effet des règles qu’Il s’impose, en vérité la source les ignore, Il est impersonnel et se rend personnel, nous L’obligeons en quelque sorte à devenir, mais l’homme ôté, Dieu n’a plus de miroir, la cohérence L’engloutit et pareil à Soi-même, Il demeure avec Soi pour être l’indivis que la pensée ne rompt. »

Albert Caraco, Texte inédit d'Albert Caraco - date inconnue

 


Wilhelm Lehmbruck - L'homme tombé (1916)

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02/10/2011

Ce système d’exploitation qui dépasse et détermine

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« La science et la technique ne sont pas neutres, comme on le prétend quelquefois, mais contiennent le principe qui permet de justifier toute domination, y compris l’exploitation de l’homme par l’homme. Il y a une continuité et une corrélation entre la nécessité de quantifier, d’instrumentaliser les forces de la nature pour la dominer et la nécessité de soumettre également l’homme à la quantification et à l’objectivation pour organiser rationnellement le travail et accroitre la productivité.
Une telle nécessité, découlant exclusivement de la science et de la technique, ne dépend donc absolument pas du régime politique capitaliste ou socialiste : l’un et l’autre, en se fondant sur la technologie, doivent nécessairement exploiter l’homme. La science et la technique obéissent en effet à une logique de la domination qui se prolonge sur la plan social par l’instrumentalisation et l’exploitation de l’homme, dont la force de travail sera calculée au plus juste.

D’ailleurs le seul fait qu’un autre mode de production, par exemple le mode de production préindustriel, artisanal, a donné un autre mode de société, prouve l’absence de neutralité "politique" de la technique.

"Le processus de la rationalité technologique est un processus politique" écrit Marcuse, ce qui signifie en un sens large, qu’il touche et informe toute la vie sociale de l’homme. Le concept d’une nature universellement objective, calculable, exploitable, implique que ce contrôle et cette exploitation puissent être étendus également à l’homme, réduit au rôle d’instrument à l’intérieur du système global d’exploitation.

"L’homme et la nature deviennent des objets d’organisation interchangeables" : le caractère universel de la raison exige que le rôle de l’homme soit défini et exploité aussi objectivement que celui de telle ou telle force naturelle à l’intérieur de ce projet. Les organisateurs eux-mêmes doivent se soumettre à ce système d’exploitation qui les dépasse et les détermine.

Il n’est pas étonnant si dans cette "administration totale" toute dimension différente, toute conception des relations entre l’homme et la nature non fondée sur la recherche de la domination, se trouvent éliminées. »

Michel Haar, L’homme unidimensionnel de Marcuse

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01/10/2011

Car nous en sommes là

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« Le sentiment de l’honneur est ce qui manque le plus aux survivants dégénérés de la Chrétienté chevaleresque. J’ai payé cher, plus cher qu’on ne pense, le droit d’écrire que je ne compte sur eux pour rien. Pour rien. J’attends que de jeunes chrétiens français fassent, entre eux, une fois pour toutes, le serment de ne jamais mentir, même et surtout à l’adversaire, de ne mentir sous aucun prétexte et moins encore, s’il est possible, sous le prétexte de servir des prestiges qui en sont d’ailleurs compromis que par le mensonge. Car nous en sommes là. Il ne suffit plus de dire un chrétien. Il faut dire « un chrétien qui ne ment pas », même par omission, qui donne la vérité toute entière, ne la donne pas mutilée. Que cette seconde chevalerie commence par sauver l’honneur. Et puisque le mot lui-même à perdu son sens, qu’elle sauve l’honneur de l’Honneur. »

Georges Bernanos, Scandale de la vérité

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30/09/2011

L’idée du Progrès leur apporte l’espèce de pain dont ils ont besoin

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« L’idée de grandeur n’a jamais rassuré la conscience des imbéciles. La grandeur est un perpétuel dépassement, et les médiocres ne disposent probablement d’aucune image qui leur permette de se représenter son irrésistible élan (c’est pourquoi ils ne la conçoivent que morte et comme pétrifiée, dans l’immobilité de l’Histoire). Mais l’idée du Progrès leur apporte l’espèce de pain dont ils ont besoin. La grandeur impose de grandes servitudes. Au lieu que le progrès va de lui-même où l’entraîne la masse des expériences accumulées. Il suffit donc de ne lui opposer d’autre résistance que celle de son propre poids. C’est le genre de collaboration du chien crevé avec le fleuve qu’il descend au fil de l’eau. »

Georges Bernanos, Les grands cimetières sous la lune

 

 

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28/09/2011

Mai 68, la France en crève encore. Surtout depuis 1981...

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« Quatorze ans de Mitterrand, dix ans de Chirac ! Un quart de siècle où le déclin s'est emballé !
Au cours de ces années-là, j'ai vraiment compris que ma France était en train de "ficher le camp" et que je risquais, de plus en plus, d'apparaître comme un dinosaure, un homme d'une espèce préhistorique comme on n'en fait plus.
Peut-être ne suis-je plus en phase avec cette époque, à moins que ce ne soit elle qui ne corresponde plus à l'idée que je me suis toujours faite de la vie et de la dignité de l'homme.
L'expansion économique, qui s'accélère à partir des années cinquante, marque un changement radical de société, aussi radical qu'a pu l'être l'apparition de l'électricité, de l'eau courante ou du téléphone. Changement radical parce qu'il apporte une prospérité, un confort matériel dont, enfant, dans ma ville de Lorraine, je ne pouvais même pas rêver.
Mais il y le revers de la médaille. Avec ce développement économique à marche forcée, qui a vraiment fait entrer la France dans le xxe siècle, apparaissent des symptômes inquiétants.
L'individualisme, le règne du fric, le profit à toute force, le chacun pour soi, une société où seuls les loisirs comptent et détournent beaucoup d'entre nous, les jeunes notamment, des valeurs d'effort et de combat.
Une société qui se contente d'être matérialiste, d'où l'esprit est absent, et qui donne comme but suprême à nos concitoyens l'accumulation de biens de toutes sortes. C'est ce que l'on appelle la société de consommation.
Dans ma jeunesse, à Toul, dans les années trente, l'achat était un acte réfléchi, pensé, souvent même exceptionnel. Les marchandises ne s'étalaient pas aux devantures des magasins, offertes à la vue de tous dans l'unique but de les tenter, les provoquer.
Les commerces, beaucoup moins nombreux qu'aujourd'hui, étaient modestes, très loin du clinquant actuel. Et ce que l'on venait y chercher, il fallait en quelque sorte le mériter, dans des magasins qui, de nos jours, passeraient pour des musées dignes d'être jetés aux oubliettes.
Je repense à ces papeteries, par exemple, dont l'odeur mêlée d'encre et de papier me poursuit encore. Sombre, en désordre, peut-être, mais où le patron connaissait parfaitement l'emplacement de la moindre gomme, du moindre crayon.
Que sont devenues les merceries que fréquentait ma mère ? Des merceries ! En trouve-t-on encore beaucoup aujourd'hui ? J'en doute. Pour le moindre bobinot de fil, il faut aller dans des grands magasins où on vous vend un lot de six bobines de couleurs différentes, dont vous n'avez pas besoin !
Ceux qui n'ont pas connu l'avant-guerre ne peuvent pas se faire une idée du choc qu'a représenté, pour des hommes de ma génération, le développement de ces commerces en tous genres, l'apparition des hypermarchés, où l'on trouve tout et en toute saison. L'expression choisie pour définir cette évolution, "société de consommation", est vraiment adéquate.
Seulement notre société y a perdu une partie de son âme et on a parfois l'impression que l'acte de vie le plus important, pour beaucoup de nos contemporains, c'est l'acte d'achat.
Aujourd'hui la sortie du week-end n'est plus le pique-nique en famille au bord de la rivière ou en forêt, ou la visite chez la grand-mère. Non, c'est plutôt la razzia à l'hypermarché bâti à la sortie de la ville dans un immense complexe de gros commerces et de fast-foods.
Ce n'est pas ce qu'on m'a enseigné, ce n'est pas dans ces valeurs-là que j'ai été élevé.
Ce bouleversement social, sans précédent, a provoqué un contrecoup: Mai 68. À en croire les jeunes leaders étudiants, on allait changer de société, jeter à bas tout ce saint-frusquin "petit-bourgeois".
Et on a vu ce qu'on a vu. Des illuminés, loin des réalités, coupés du pays dont les préoccupations étaient encore celles du travail pour profiter dans sa courte vie de la récompense méritée de ses efforts.
J'étais loin de France en 68. Mais je n'allais pas tarder à constater les ravages causés dans les esprits par ce printemps où cette "révolte" étudiante d'un nouveau genre allait transformer les esprits pour accéder, soi-disant, à toutes les prétendues libertés; liberté de ne rien faire, liberté de ne plus respecter la République et ses représentants, à commencer par ceux chargés du maintien de l'ordre.
Or, sans discipline, sans ordre, il n'y a plus de démocratie possible, donc plus de liberté !
C'est avec Mai 68 que, pour la première fois, des idées de subversion ont pu s'infiltrer dans la société avec une absence de réaction quasi totale de la part de cette même société qui paraissait tétanisée, assommée !
Les gauchistes prétendaient avoir le monopole de la liberté, de l'avenir, de la jeunesse et de l'intelligence. Ils jouissaient du prestige un peu romantique de tous les révoltés. Alors peu à peu, mais rapidement tout de même, un consensus mou s'est installé dans la société française. Pas touche à 68 ! Ce mois de mai est devenu un peu comme la Grande Guerre, ou comme la Résistance. Une référence obligée, qu'on ne peut contester sans passer pour un vieux réactionnaire, pour un "fasciste", pour employer l'insulte la plus prisée à cette époque.
Mai 68, la France en crève encore. Surtout depuis 1981, depuis l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand. C'est à ce moment-là que les quelques "résistants", bien faibles d'ailleurs, que notre société avait réussi à sauver, contre l'esprit de mai 68, ont baissé les bras et ont abandonné la bataille, donc abandonné la France.
1981 a pris la relève de Mai 68 pour l'installer comme la seule pensée officielle, bénéficiant de l'autorité du pouvoir. Mais quand on réfléchit un peu, on s'aperçoit que la plupart des meneurs de l'époque sont revenus en masse au conformisme social le plus traditionnel, ne rêvant que d'influence, de pouvoir, d'argent et de plaisir sans effort. Voilà le véritable héritage de 1968, quand on le passe au crible de l'observation et de l'expérience du temps.
Et même après les deux septennats de François Mitterrand, l'empreinte était profonde. Et Jacques Chirac n'est pas homme à lutter contre ce raz de marée des mentalités. Depuis sa première élection à la présidence de la République, il aura même plutôt contribué, par son immobilisme, à ancrer encore plus durablement et profondément cet état d'esprit dans la tête de nombreux Français, de plus en plus désemparés. »

Marcel Bigeard, Adieu ma France

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27/09/2011

Ce qui est vraiment épouvantable, c'est l'immondicité des esprits

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« Les catholiques modernes, sont devenus, en France, un groupe si fétide que, par comparaison, la mofette maçonnique ou anticléricale donne presque la sensation d'une paradisiaque buée de parfums.

Il est vrai qu'on n'a pas encore abattu toutes les croix, ni remplacé les cérémonies du culte par des spectacles antiques de prostitution. On n'a pas non plus tout à fait installé des latrines et des urinoirs publics dans les cathédrales transformées en tripots ou en salles de café-concert.

Évidemment, on ne traîne pas assez de prêtres dans les ruisseaux, on ne confie pas assez de jeunes religieuses à la sollicitude maternelle des patronnes de lupanars de barrière. On ne pourrit pas assez tôt l'enfance, on n'assomme pas un assez grand nombre de pauvres, on ne se sert pas encore assez du visage paternel comme d'un crachoir ou d'un décrottoir... Sans doute.

Nous descendons spiralement, depuis quinze années, dans un vortex d'infamie, et notre descente s'accélère jusqu'à perdre la respiration. Rabâchage de séculaires rengaines, recopie sempiternelle de farces immémorialement décrépites, remâchement de salopes facéties dégobillées par d'innumérables générations de gueules identiques, parodies éculées depuis deux mille ans, on n'imagine rien de plus.

Ce qui est vraiment épouvantable, c'est l'immondicité des esprits.

Il est vrai que les catholiques ont pris eux-mêmes à forfait leur propre ignominie, et voilà ce qui supplante un nombre infini de venimeuses gueules. C'est l'enfantillage voltairien d'accuser ces pleutres de scélératesse. La surpassante horreur, c'est qu'ils sont médiocres. »

Léon Bloy, Le Désespéré

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26/09/2011

Il est une manière élégante d'être prodigue

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« Une certaine façon de gâcher l'argent prouve uniquement qu'on était indigne d'en posséder. Le nouveau riche, par tout ce qu'il fait, nous démontre que jamais il n'aurait dû être riche. Ses dépenses sont des violences qu'il fait à des choses qu'il n'aurait pas dû avoir. Il est une manière élégante d'être prodigue, mais qui ne s'attrape pas facilement. Il faut des qualités assez peu communes pour jouir de la vie de façon à donner un joli spectacle à ceux qui regardent. Là où un lourdaud gâche l'argent, un délicat le dissipe. Toutes les fois qu'une grande dépense fait penser à la somme qu'on y a mise, c'est qu'elle est manquée. L'argent doit s'évanouir dans les résultats qu'il procure. On ne pense pas plus à lui, dans une dépense bien faite, qu'on ne se soucie, en jouissant d'une oeuvre d'art, du travail et de la fatigue de l'ouvrier. »

Abel Bonnard, L'Argent

 

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25/09/2011

Cette espèce de morsure concrète qui comporte toute sensation vraie

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« Notre idée pétrifiée du théâtre rejoint notre idée pétrifiée d'une culture sans ombres, où de quelque côté qu'il se retourne notre esprit ne rencontre plus que le vide, alors que l'espace est plein.
Mais le vrai théâtre parce qu'il bouge et parce qu'il se sert d'instruments vivants, continue à agiter des ombres où n'a cessé de trébucher la vie. L'acteur qui ne refait pas deux fois le même geste, mais qui fait des gestes, bouge, et certes il brutalise des formes, mais derrière ces formes, et par leur destruction, il rejoint ce qui survit aux formes et produit leur continuation.
Le théâtre qui n'est dans rien mais se sert de tous les langages : gestes, sons, paroles, feu, cris, se retrouve exactement au point où l'esprit a besoin d'un langage pour produire ses manifestations.
Et la fixation du théâtre dans un langage : paroles écrites, musique, lumières, bruits, indique à bref délai sa perte, le choix d'un langage prouvant le goût que l'on a pour les facilités de ce langage ; et le dessèchement du langage accompagne sa limitation. Pour le théâtre comme pour la culture, la question reste de nommer et de diriger des ombres : et le théâtre, qui ne se fixe pas dans le langage et dans les formes, détruit par le fait les fausses ombres, mais prépare la voie à une autre naissance d'ombres autour desquelles s'agrège le vrai spectacle de la vie.
Briser le langage pour toucher la vie, c'est faire ou refaire le théâtre ; et l'important est de ne pas croire que cet acte doive demeurer sacré, c'est-à-dire réservé. Mais l'important est de croire que n'importe qui ne peut pas le faire, et qu'il y faut une préparation.»

« Nous voulons faire du théâtre une réalité à laquelle on puisse croire, et qui contienne pour le cœur et les sens cette espèce de morsure concrète qui comporte toute sensation vraie.»

Antonin Artaud, Le théâtre et son double

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24/09/2011

C’est le christianisme qui a créé la civilisation occidentale

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« C’est le christianisme qui a créé la civilisation occidentale. Si ceux qui suivaient Jésus étaient demeurés une obscure secte juive, la plupart d’entre vous n’auriez pas appris à lire et les autres liraient des rouleaux copiés à la main. Sans une théologie engagée en faveur de la raison, du progrès et de l’égalité morale, le monde entier en serait aujourd’hui là ou en étaient les sociétés non occidentales aux environs de 1800 ce serait un monde plein d’astrologues et d’alchimistes mais sans scientifiques. Un monde de despotes manquant d’universités, de banques, d’usines, de paires de lunettes, de cheminées et de pianos. Un monde ou la plupart des bébés n’atteindraient pas l’âge de 5 ans et où de nombreuses femmes mourraient en couches, un monde vivant véritablement à "un âge des ténèbres".

Le monde moderne a pris son essor seulement dans les sociétés chrétiennes. Pas en terre d’Islam. Pas en Asie. Pas dans une société « sécularisée », il n’y en avait pas. Et toute la modernisation qui a depuis gagné l’extérieur de la chrétienté a été importée d’Occident, souvent amenée par les colonisateurs et les missionnaires. Malgré tout, de nombreux apôtres de la modernisation présument qu’étant donné l’exemple que donne l’Occident, des progrès similaires peuvent aujourd’hui être obtenus non seulement sans christianisme mais même sans liberté ni capitalisme, que la mondialisation va pleinement répandre les connaissances scientifiques, techniques et commerciales sans qu’il y ait le moindre besoin de recréer les conditions sociales ou culturelles qui leur ont donné le jour. (…)

Il parait douteux qu’une économie moderne efficace puisse être crée sans adopter le capitalisme, comme cela a été démontré par l’échec des économies dirigées de l’Union soviétique et de la Chine. Les soviets ont pu placer des fusées sur orbite mais ils ne pouvaient pas assurer de façon fiable l’approvisionnement en oignons de Moscou. Quant à la Chine, il a fallut que meurent des millions de gens pour prouver que l’agriculture collectiviste est improductive.  Aujourd’hui que le capitalisme prospère dans nombre de nations récemment libérées de l’oppression communistes, il reste à voir si ces nations peuvent offrir la liberté sans laquelle un capitalisme efficace est impossible.

A dire vrai, faute à la fois de liberté et de capitalisme, les nations musulmanes restent à l’état de semi féodalité, incapables de produire la plupart des objets qu’elles utilisent dans la vie quotidienne. Leur niveau de vie exige des importations massives réglées avec l’argent du pétrole, exactement comme l’Espagne a joui des fruits de l’industrie d’autres pays tant que l’or et l’argent du Nouveau monde l’ont maintenue à flots. Sans droits de propriété assurés ni liberté individuelle substantielle, il ne peut pas pleinement émerger de sociétés modernes. Mais si la modernisation a encore besoin du capitalisme et de la liberté, qu’en est-il du christianisme ? D’un côté, on peut solidement arguer que bien que le christianisme ait été nécessaire pour l’émergence de la science, la science est à présent si bien institutionnalisée qu’elle peut se passer du parrainage du christianisme. Il en va de même de la foi dans le progrès. (…) D’un autre côté, si le christianisme n’a désormais plus de rapports avec la modernisation, pourquoi continue-t-il de se répandre si rapidement ? Le fait est que le christianisme est bien plus rapidement en passe de mondialisation que la démocratie, le capitalisme ou la modernité. (…) L’Afrique est en train de devenir chrétienne si rapidement qu’il y a bien plus d’Anglicans au sud du Sahara qu’en Grande-Bretagne ou en Amérique du Nord.

Il existe de nombreuses raisons pour que les gens adoptent le christianisme, y compris sa capacité à nourrir une foi profondément émotionnelle et existentiellement satisfaisante. Mais un autre facteur significatif est le fait qu’il fasse appel à la raison et qu’il soit si indissolublement lié à l’essor de la civilisation occidentale. Pour beaucoup de non européens, devenir chrétien revient intrinsèquement à devenir moderne. Il est ainsi tout à fait plausible que le christianisme reste un élément essentiel dans la mondialisation de la modernité. »

Rodney Starck, Le triomphe de la raison

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23/09/2011

Un chant qui nie les ténèbres

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« La foi n'est peut-être même pas une lumière, mais un chant qui s'élève dans la nuit et qui nie les ténèbres. »

Auguste Valensin, Sermon de Carême

 

Merci à Cougar

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22/09/2011

Une religion nouvelle

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« Et Mouret regardait toujours son peuple de femme, au milieu de ces flamboiements. Les ombres noires s’enlevaient avec vigueur sur les fond pâles. De longs remous brisaient la cohue, la fièvre de cette journée de grande vente passait comme un vertige, roulant la houle désordonnée des têtes. On commençait à sortir, le saccage des étoffes jonchait les comptoirs, l’or sonnait dans les caisses ; tandis que la clientèle, dépouillée, violée, s’en allait à moitié défaite, avec la volupté assouvie et la sourde honte du désir contenté au fond d’un hôtel louche. C’était lui qui les possédait de la sorte, qui les tenait à sa merci, par son entassement continu de marchandises, par la baisse des prix et des rendus, sa galanterie et sa réclame. Il avait conquis les mères elles-mêmes, il régnait sur toutes avec la brutalité d’un despote, dont le caprice ruinait des ménages. Sa création apportait une religion nouvelle, les églises que désertait peu à peu la foi chancelante étaient remplacée par son bazar, dans les âmes inoccupées désormais. La femme venait passer chez lui les heures vides, les heures frissonnantes et inquiètes qu’elle vivait jadis au fond des chapelles : dépense nécessaire de passion nerveuse, lutte renaissante d’un dieu contre le mari, culte sans cesse renouvelé du corps, avec l’au-delà divin de la beauté. S’il avait fermé les portes, il y aurait eu un soulèvement sur le pavé, le cri éperdu des dévotes auxquelles on supprimerait le confessionnal et l’autel. »

Emile Zola, Au bonheur des dames

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21/09/2011

Ils assouvissaient leurs passions, ils ne les divinisaient pas

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« Les hommes du Moyen Age n’étaient ni très pitoyables ni très chastes, mais il ne serait venu à l’esprit d’aucun d’entre eux d’honorer la luxure ou la cruauté à l’exemple des Anciens, de leur dresser des autels. Ils assouvissaient leurs passions, ils ne les divinisaient pas. Ils étaient rarement capables peut-être d’imiter Saint Louis ou même le bon sire de Joinville, et cependant le plus grossier, si dur que fût son cœur, n’eût point douté qu’un roi juste fût supérieur à un roi puissant, que le service de l’État ne saurait justifier aucun manquement à la loi de l’honneur commune aux chevaliers comme aux princes et qu’un seul misérable, pour les basses besognes indispensables, jouit d’une espèce d’abjecte immunité : le bourreau. Sérieusement, on ne voit pas très bien la place d’un Saint Louis ou d’un Joinville dans l’Europe totalitaire. Ni celle de la France. »

Georges Bernanos, Les grands cimetières sous la lune

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20/09/2011

Vous avez faim et moi je chante

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« Les vagabonds vont par les routes, je ne les vois pas.
Les prisonniers hurlent, je ne les entends pas.
Les affamés cherchent du pain, les gueux montrent leurs loques,
les hommes floués cherchent la vérité.
Et la terre couverte d’ivraie, la terre belle et fière,
défend sa dignité
par une souffrance obstinée.

O hommes affamés, loqueteux, floués !
Je sais bien qu’un jour
le pain sera partagé avec les songes
et la tristesse de la terre, entre nous tous
qui passons par la rivière vers un ciel nouveau
de pluies et de grains.
Viendra le moment où chaque pas du monde
fera pousser du pain. Les broussailles et l’ivraie
seront du pain et le sang deviendra du pain.
Nos coeurs seront le blé
et nos chants la pluie. Et le bruit de la meule
sera notre ultime parole.

Vagabonds du monde, vous ai-je offensés ?
Vous avez faim, et moi je chante.
Mais si je cesse de chanter la tristesse
de ce feuillage lié à nous
de toute éternité par un bon
et patient dévouement,

si je cesse de chanter les branches qui naissent
les branches qu’il faut sauver,
si je cesse de chanter l’effort
par lequel il faut préserver chaque arbre
sous ce soleil, chaque cri
dans ce corps, de chanter l’effort
pour sauver la beauté,

alors seront oubliées, frères,
la fatigue du chasseur et la peine du laboureur,
seront oubliées la main
qui forgeait et la main
qui retenait les torrents,
si je cesse de chanter la tendresse,
nul homme ne connaîtra plus, frères,
le secret de l’arbre qu’on a planté,
le conte de la fleur qui a poussé
au milieu des prairies désertes.
Nul homme ne saura plus
pourquoi il est là et qui a sauvegardé
ses yeux, pour qu’ils soient le feu du monde.

Qui dira alors à l’homme
qu’il a eu faim, qu’il a été nu,
qu’il fut soldat, qu’il fut infirme,
qu’il fut malheureux,

si nous ne forçons pas la mer à hurler notre pensée
si nous ne forçons pas la terre à chanter notre soif.
Si nous ne sauvons pas notre chant du mépris de ceux
qui n’ont pas besoin de la pureté du monde.

Affamés et nus, chantez avec moi
mon chant! C’est aussi votre chant.
Si nous cessons de le chanter
le pain deviendra de nouveau ivraie
qui pousse sans pitié.

Le pain deviendra ivraie,
ivraie et sang du monde.»

Vesna Parun, "La pluie maudite"

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19/09/2011

Les arts sont en train de mourir parce qu'ils se sont vidés de toute signification

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« Les arts sont en train de mourir parce qu'ils se sont vidés de toute signification. Ils périssent d'inutilité. Les architectes ne savent plus bâtir que d'horribles églises parce qu'ils ont perdu le sens de l'universel et ne savent plus comment toucher Dieu au coeur avec une pierre. Une cathédrale était une construction utile. Elle ne pouvait pas être construite n'importe comment. Il fallait connaître les lignes efficaces. C'était une usine à prières. Chaque élément de la chaîne devait se trouver bien à sa place pour que la production fût bonne... Posez un violon à côté d'un poste de T.S.F. Pourquoi le premier est-il si beau et l'autre si affreux? Parce que les formes du violon sont nécessaires. Chacune de ses courbes est exactement à la place qu'il faut pour que naisse et s'enfle le son. Le luthier a sculpté l'air, moulé les vibrations, étreint la forme même du son dans un minimum de matière presque impondérable. Si la forme du violon changeait, ce ne serait plus un violon. Tandis que le poste de radio peut avoir mille formes sans que ses qualifiés de son soient modifiées. Le son qu'il émet n'a rien à voir avec sa forme. C'est pourquoi on le bâtit n'importe comment. Sans nécessité. C'est pourquoi il est laid. Quand l'architecte doit résoudre un problème strict, quand il se trouve devant des nécessités, quand il doit tout calculer, mesurer pour servir ces nécessités, il bâtit de nouveau les monuments qui peuvent être grandioses. Ainsi les barrages. Ils sont les cathédrales de notre temps. Au lieu de faire du surnaturel avec de la ferveur endiguée, ils fabriquent de l'électricité avec de la flotte. Il est vrai que nous sommes au siècle de la lumière et que le moyen âge était "ténébreux". Nous avons remplacé l'âme par une quarante bougies. Au moins ça, ça se voit. »

René Barjavel, Journal d'un homme simple

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18/09/2011

L'architecture malfaisante détruit la santé de la nation

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« Si ressuscitaient aujourd'hui les bâtisseurs de cathédrales ils seraient effarés par notre manque d'audace. Ils nous arracheraient des mains nos outils et construraient des Notre-Dame à l'image d'un siècle pour qui la pesanteur n'existe plus. Or c'est l'esprit même de ces hommes, soulevés d'espoir et de foi, qui anime Le Corbusier, quand il trace les plans de la Ville Radieuse. Nos villes, dit-il, sont des villes des siècles passés, bâties pour loger des piétons que rien ne pressait. New-York est une tentative de ville d'aujourd'hui mais tragiquement ratée. Les gratte-ciel entassés les uns sur les autres et assiégés par la zone noire des taudis, ont tué la rue, rendant la circulation impossible, noyant d'ombre le sol et lui refusant l'air.

Les hommes, pour fuir cet enfer, ont acquis dans la banlieue, une petite maison de campagne. Une petite maison dans la campagne, c'est charmant, mais lorsque ce rêve individuel est réalisé des centaines de milliers de fois, la campagne est morte, et ce qui lui survit c'est une dispersion de la ville, entraînant des dépenses d'énergie inutiles et formidables. Car il a fallu créer, pour irriguer cette ville étendue jusqu'à cent kilomètres autour de New-York, un réseau échevelé de routes, d'égouts, de téléphone, d'électricité, de voie ferrée, d'eau courante, etc... Et une énorme partie du travail de tous est consacrée à payer ces dépenses somptuaires.
Toute la vie américaine est détraquée par cette dispersion ; les hommes passent trois heures par jour dans le train, le métro, le bus ou l'auto. Pendant qu'ils voyagent, ils ont besoin de boucher le vide de leur esprit inoccupé. On leur fournit dans ce but des journaux colossaux qui pèsent jusqu'à un kilo 250. La publicité les envahit, violente. Les faits-divers brutaux sont montés avec des titres comme des coups de poings. Mais on ne trouve, là-dedans, la moindre nourriture.
Ayant quitté le matin une épouse endormie, ils la retrouvent le soir étrangère. Ils sont abrutis par leur journée de ville écrasante. La femme, elle, a consacré ses loisirs aux sports, aux conférences, aux livres, à la T.S.F. Elle se sent supérieure à l'homme enchaîné. Elle ne lui pardonne guère.
Ce manque total de contact entre les hommes sans loisirs et les femmes libres crée un déséquilibre moral et sexuel qui paraît étrange dans une race physiquement aussi parfaite. La famille est coupée en deux par la ville. L'architecture malfaisante détruit la santé de la nation. »

René Barjavel, Invitation au voyage - Le Prophète dans la Cité, Article dans "MICROMÉGAS - Courrier critique et technique du livre moderne" - n° 8 - 10 mai 1937

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17/09/2011

L'indifférentisme et le nihilisme

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« Les adolescents n'ont pas besoin d'atteindre l'âge d'homme pour découvrir que beaucoup d'examens ne mènent à rien, que l'exercice honnête d'un métier ne préserve ni du chômage, ni de la ruine, que les mariages "bien" se défont tout autant que les autres et que les vieux principes d'éducation s'accordent mal avec le monde tel qu'il va. Il ne serait question pour autant d'inviter la jeunesse à "ne croire à rien". Mais c'est lorsqu'on lui fait croire des balivernes qu'elle risque précisément de sombrer ensuite dans l'indifférentisme et le nihilisme. Il ne faut plus lui présenter la vie comme une conquête -illusoire- de la sécurité matérielle et morale, mais comme une constante aventure, une aventure qui doit être exaltante, si l'on consent à voir les choses telles qu'elles sont. »

Paul Sérant, Des choses à dire

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16/09/2011

Tant de platitude internationale

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« Celestino avait remarqué à Paris que, aussitôt qu’on voyait une innovation dans un ordre quelconque, immanquablement – immanquablement – on se rendait compte, plus ou moins longtemps après, qu’elle était copié des Américains, et il en avait conclu que le génie de l’invention était épuisé en France. Mais il en était tout de même à Madrid. Cette servilité allait plus loin encore lorsqu’il ne s’agissait plus seulement de copier les Américains, mais de ne pas leur déplaire. En Espagne comme en France, et sans doute ailleurs, des choses bonnes en soi, et depuis longtemps implantées dans le pays, étaient supprimées d’un trait de plume, parce qu’elles choquaient les touristes américains – et Dieu sait quels touristes ! Don Celestino était confondu par tant de platitude internationale. »

Henry de Montherlant, Le Chaos et la Nuit

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15/09/2011

Comment l'Ouest a-t-il pu décliner, de son pas triomphal à sa débilité présente ?

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« Comment l'Ouest a-t-il pu décliner, de son pas triomphal à sa débilité présente ? A-t-il connu dans son évolution des points de non-retour qui lui furent fatals, a-t-il perdu son chemin ? Il ne semble pas que cela soit le cas. L'Ouest a continué à avancer d'un pas ferme en adéquation avec ses intentions proclamées pour la société, main dans la main avec un progrès technologique étourdissant. Et tout soudain il s'est trouvé dans son état présent de faiblesse. Cela signifie que l'erreur doit être à la racine, à la fondation de la pensée moderne. Je parle de la vision du monde qui a prévalu en Occident à l'époque moderne. Je parle de la vision du monde qui a prévalu en Occident, née à la Renaissance, et dont les développements politiques se sont manifestés à partir des Lumières. Elle est devenue la base da la doctrine sociale et politique et pourrait être appelée l'humanisme rationaliste, ou l'autonomie humaniste : l'autonomie proclamée et pratiquée de l'homme à l'encontre de toute force supérieure à lui. On peut parler aussi d'anthropocentrisme : l'homme est vu au centre de tout.

Historiquement, il est probable que l'inflexion qui s'est produite à la Renaissance était inévitable. Le Moyen Age en était venu naturellement à l'épuisement, en raison d'une répression intolérable de la nature charnelle de l'homme en faveur de sa nature spirituelle. Mais en s'écartant de l'esprit, l'homme s'empara de tout ce qui est matériel, avec excès et sans mesure. La pensée humaniste, qui s'est proclamée notre guide, n'admettait pas l'existence d'un mal intrinsèque en l'homme, et ne voyait pas de tâche plus noble que d'atteindre le bonheur sur terre. Voilà qui engagea la civilisation occidentale moderne naissante sur la pente dangereuse de l'adoration de l'homme et de ses besoins matériels. Tout ce qui se trouvait au-delà du bien-être physique et de l'accumulation de biens matériels, tous les autres besoins humains, caractéristiques d'une nature subtile et élevée, furent rejetés hors du champ d'intérêt de l'Etat et du système social, comme si la vie n'avait pas un sens plus élevé. De la sorte, des failles furent laissées ouvertes pour que s'y engouffre le mal, et son haleine putride souffle librement aujourd'hui. Plus de liberté en soi ne résout pas le moins du monde l'intégralité des problèmes humains, et même en ajoute un certain nombre de nouveaux. »

Alexandre Soljenitsyne, Le Déclin du courage, Harvard, 8 juin 1978

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14/09/2011

Comme chacun le sait, le technocrate est un spécialiste

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« Comme chacun le sait, le technocrate est un spécialiste, et on ne lui demande pas plus de qualités morales éminentes qu’à un cardiologue ou un oto-rhino. Il sert comme eux à rédiger des ordonnances. Il est expressément invité à ne pas avoir de caractère, mais seulement de l’autorité. Il est un technicien des problèmes posés par les collectivités anonymes de producteurs-consommateurs et il doit régler leurs mouvements comme un ingénieur. Il peut avoir des idées, il importe même qu’il en ait. Mais il abhorre par formation tout ce qui dépasse, tout ce qui ne rentre pas dans les normes, tout ce qui ne s’inscrit pas docilement dans les statistiques. Son arme est la dissuasion, mot feutré, récemment introduit dans notre vocabulaire, et qui évoque très discrètement le systèmes des tubulures dans lequel nous sommes priés de circuler. Ce gestionnaire est hostile à toute brutalité, et également fermé à toute supériorité qui n’est pas strictement technique. Il connaît des contribuables, des assujettis, les hommes ne lui apparaissent que sous leur définition administrative. Il n’imagine pas qu’ils puissent être autre chose. Il ne demande jamais à quoi servent finalement les ordonnances qu’il prescrit. Il est soumis, non à des hommes, mais à un système qu’il s’interdit de juger. Ces qualités développent le sang-froid. Le technocrate est calme et objectif. Il se soucie aussi peu des destructions qu’il accomplit que le menuisier des copeaux que fait tomber sa varlope. Ce n’est pas de la cruauté mentale, c’est simplement absence d’imagination. Cette aristocratie technique est désincarnée, hautement cérébrale. Ce sont les grand-prêtres de l’ordinateur, messies envoyés sur la terre pour prêcher l’obéissance et la prospérité, et consubstantiellement au Père qui s’appelle le Cerveau et qui régnera sur les hommes profanant la parole magnifique, pendant des siècles et des siècles. »

Maurice Bardèche, Sparte et les sudistes

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13/09/2011

Tout cela devient si laid : plus de fanfares, plus d’étendards, plus de Te Deum

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« C’est exact. J’ai toujours mené une vie paisible d’un professeur de lettres qui aimait son métier. Aucune guerre n’a eu besoin de mes services et les tueries d’apparence inutile m’affligent physiquement. J’aurais probablement fait un bien mauvais soldat. Toutefois, avec Actius, je crois que j’aurais joyeusement tué du Hun. Et avec Charles Martel, lardant de la chair arabe, cela m’aurait rendu fort enthousiaste, tout autant qu’avec Godefroi de Bouillon et Baudoin le lépreux. Sous les murs de Byzance, mort aux côtés de Constantin Dragasès, par Dieu ! que de Turcs j’aurais massacrés avant d’y passer à mon tour ! Heureusement que les hommes qui ignorent le doute ne meurent pas si facilement ! Aussitôt ressuscité, me voilà taillant du Savlon en compagnie des Teutoniques. Je porte la croix sur mon manteau blanc et je quitte Rhodes l’épée sanglante au poing, avec la petite troupe exemplaire de Villiers de L’Isle-Adman. Marin de don Juan d’Autriche, je me venge à Lépante. Belle boucherie ! Puis l’on cesse de m’employer. Seulement quelques broutilles qui commencent à être mal jugées, de l’histoire contemporaine, une triste plaisanterie, je ne m’en souviens déjà plus très bien. Tout cela devient si laid : plus de fanfares, plus d’étendards, plus de Te Deum. Pardonnez la pédanterie d’un vieil universitaire radoteur. Evidemment je n’ai tué personne, mais toutes ces batailles dont je me sens solidaire jusqu’au plus profond de mon âme, je les revis toutes en même temps, j’en suis l’unique acteur, avec un seul coup de feu. Voilà ! »

Jean Raspail, Le Camp des Saints

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12/09/2011

Je possède le secret d’une contraction ineffable

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« Mais non, l’amour c’est justement l’impression de la totale différence. Tout d’un coup on échappe à la loi des nombres. On rencontre une femme, et quelques jours après, on s’aperçoit qu’elle est non pas préférable, mais irremplaçable. Et il ne s’agit plus ni du charme lent de l’habitude, ni des fantasmagories de la désuétude. Au fond d’une âme, je perçois la palpitation essentielle et, du coup, je touche à une source inépuisable de suggestions. Ce que je semble avoir sacrifié, je le retrouve au centuple. Dans ce petit miroir étroit, je puis évoquer en profondeur plus de diversité passionnelle que don Juan dans tout le cours de ses longs et maladroits travaux. Je possède le secret d’une contraction ineffable qui l’emporte sur l’accumulation grossière et jamais finie. »

Pierre Drieu la Rochelle, L'Homme couvert de femmes

 

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