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14/08/2011

Bonheur

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« Il peut pleuvoir et tempêter, ce n'est pas cela qui importe, souvent une petite joie peut s'emparer de vous par un jour de pluie et vous inciter à vous retirer à l'écart avec votre bonheur. Alors on se redresse et on se met à regarder droit devant soi, de temps à autre on rit silencieusement et on jette les yeux autour de soi. A quoi pense-t-on? A une vitrine éclairée dans une fenêtre, à un rayon de soleil dans la vitrine, à une échappée sur un petit ruisseau, et peut-être à une déchirure bleue dans le ciel. Il n'en faut pas davantage. »

Knut Hamsun, Pan

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12/08/2011

Un idéal du passé

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« Les difficultés inédites et croissantes que l’entreprise éducative rencontre au sein de nos sociétés ne sont en rien des difficultés de méthode qu’une « modernisation » bien comprise permettrait de résoudre. Elles sont des difficultés de principe que les réformes mirifiques destinées à les traiter se bornent invariablement à amplifier, faute de les reconnaître pour ce qu’elles sont. Elles tiennent au stade atteint par l’individualisation du processus. Elles représentent d’ailleurs un remarquable révélateur des contradictions inhérentes à l’articulation de l’individu et de la société dans sa configuration actuelle, très au-delà de l’éducation. Il est entendu que l’éducation a pour fin de former l’individu, de le pourvoir de moyens aussi larges que possible d’exercer une indépendance aussi complète que possible. C’est l’originalité de l’enseignement moderne que d’avoir systématisé cette visée. Mais à partir du moment où l’on met cette indépendance au point de départ, comme si elle relevait de l’état de nature, où l’on prétend en faire le ressort même des acquisitions, on rend profondément problématique la construction culturelle de cette indépendance. On s’interdit, en effet, de poser la culture ou les savoirs dont il s’agit d’acquérir la maîtrise, dès à commencer par la langue, d’extériorité, d’englobement par rapport à l’individu, de telle sorte qu’il ne peut que rester au dehors de ce qu’il lui faudrait s’incorporer et s’approprier. On fabrique en fait des dépendants à prétentions d’indépendance. Une situation révélatrice, encore une fois, d’une relation plus générale à l’appartenance collective, qui tend à devenir impensable aux individus, dans leur volonté d’être des individus, alors qu’ils en dépendent plus que jamais. Nous ne sommes probablement qu’au début de nos peines, au regard de la régression qui s’annonce. La diffusion des Lumières, que nous avions la candeur de croire automatiquement associée aux progrès de la démocratie, pourrait vite se révéler un idéal du passé. »

Marcel Gauchet, La démocratie contre elle-même

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11/08/2011

Amitié

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« Oui, ma mère, je sais qu´il a fait tout ce que j´ai demandé, le dieu Olympien.
Mais à quoi est-ce que cela me sert ? Maintenant qu´il est mort, l´ami qui était le mien,
Mon Patrocle, celui qui de tous les compagnons m´était le plus cher,
Ah ! Aussi cher que ma tête ! Je l´ai perdu, Hector l´a immolé dans la poussière,
Il l´a dépouillé de ses belles armes, de ses armes merveilleuses à contempler !...
Que je meure tout de suite, s´il est écrit que je ne puis porter
Secours à mon ami qui a été tué, qui a été tué loin de la terre où étaient les siens.
Et qui ne m´a pas trouvé pour que dans le malheur je fusse son soutien !
Aujourd´hui donc, il est clair que je ne reverrai pas les rives de ma patrie,
Pas plus que je n´ai su être la lumière du salut pour Patrocle ou pour mes amis,
Pour aucun de ceux des miens que le divin Hector a abattus par centaines,
Tandis que moi, je me tenais inactif près des bâtiments, poids inutile sur la plaine,
Moi qu´aucun Grec pourtant, dans sa cotte de bronze, n´égale dans la bagarre,
Même si quelques uns sont meilleurs que moi dans les palabres !
Aujourd´hui donc, j´irai jusqu´à ce que je tienne le meurtrier d´une tête si chère,
Je tuerais Hector, et la mort ensuite, je la recevrai,
Le jour où Zeus et les autres immortels voudront bien me la donner. »

Homère, L'Iliade, chant XVIII

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10/08/2011

Une attaque à main armée se passe dans une sorte de brouillard

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« Une attaque à main armée se passe dans une sorte de brouillard, enfin pour ce qui me concerne. Tout autour tout semble comme ralenti et les bruits comme atténués. Alors que, au contraire, en vous, c'est la grande accélération, on entend son cœur battre, le sang couler dans ses veines. Tous vos gestes semblent plus rapides, plus condensés, on a chaud, les mains transpirent dans les gants en caoutchouc. On sort de la bagnole, on fait les premiers pas, la destinée semble s'accélérer. À quelques mètres on ne voit que la porte d'entrée. On aimerait trouver une raison pour ne pas y aller. Le cœur se serre en repensant furtivement aux derniers bras de femme qui nous ont aimé, notre esprit se met en position de fœtus. […] Si un jour on me juge pour ce crime, tout un cérémonial sera mis en place, des années d'instruction, deux jours d'assises où je serai sans doute traité de dangereux-criminel-professionnel. Quel est le cinéaste abruti qui a pu faire croire à tous que braquer pouvait être une profession? Même les voyous ont fini par le croire. »

Jean Chauma, Bras Cassés

Voyez aussi ceci... pour comprendre qui est Jean Chauma...

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09/08/2011

L'abjection

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« Quelle malédiction a frappé l'Occident pour qu'au terme de son essor il ne produise que ces hommes d'affaires, ces épiciers, ces combinards aux regards nuls et aux sourires atrophiés, que l'on rencontre partout, en Italie comme en France, en Angleterre de même qu'en Allemagne ? Est-ce à cette vermine que devait aboutir une civilisation aussi délicate, aussi complexe ?

Peut-être fallait-il en passer par là, par l'abjection, pour pouvoir imaginer un autre genre d'hommes. »

E. M. Cioran, Histoire et Utopie

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08/08/2011

Simplicité

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« Un retour à la simplicité n'a rien d'invraisemblable. La science elle-même pourrait bien nous en montrer le chemin. Tandis que physique et chimie nous aident à satisfaire et nous invitent à multiplier nos besoins, on peut prévoir que physiologie et médecine nous révéleront de mieux en mieux ce qu'il y a de dangereux dans cette multiplication et de décevant dans la plupart de nos satisfactions. J'apprécie un bon plat de viande: tel végétarien qui l'aimait jadis autant que moi, ne peut aujourd'hui regarder de la viande sans être pris de dégoût. On dira que nous avons raison l'un et l'autre et qu'il ne fait plus disputer des goût que des couleurs. Peut-être ; mais je ne puis m'empêcher de constater la certitude inébranlable où il est, lui végétarien, de ne jamais revenir à son ancienne disposition, alors que je me sens beaucoup moins sûr de conserver toujours la mienne. Il a fait deux expériences ; je n'en ai fait qu'une. Sa répugnance s'intensifie quand son attention se fixe sur elle, tandis que ma satisfaction tient de la distraction et pâlit plutôt à la lumière ; je crois qu'elle s'évanouirait si des expériences décisives venait prouver, comme ce n'est pas impossible, qu'on s'empoisonne spécifiquement, lentement, à manger de la viande...

La seule réforme de notre alimentation aurait des répercussion sans nombre sur notre industrie, notre commerce, notre agriculture, qui en seraient considérablement simplifiés. Que dire de nos autres besoins ? Les exigences du sens génésique sont impérieuse, mais on en finirait vite avec elles si l'on s'en tenait à la nature. Seulement, autour d'une sensation forte mais pauvre, prise comme note fondamentale... c'est un appel constant au sens par l'intermédiaire de l'imagination. »

Henri Bergson, Les Deux Sources de la Morale et de la Religion

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07/08/2011

Luc et Bernard tournèrent sur eux-mêmes et se mirent à fumer

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« Luc et Bernard tournèrent sur eux-mêmes, des griffes fragiles, et se mirent à fumer un peu d’opium.
Mais dans cette fumée où macère l’hystérie des ports, la voracité des marins – une pièce d’or fondant dans une main moite – une plainte s’échappa. Ils dirent le supplice du désir déchaîné qui se tord sur lui même, s’exaspère et se ronge. Toutes les barrières tombées entre les âmes, la chair de tous les corps se cherchant et réunie dans un seul spasme incessant, infiniment facile, usure universelle et terrible, restait pourtant un point où chacun aurait pu être soi-même, un petit grelot plaintif, un souvenir. Et cette grêle sonnaille faisait dans la nuit toute la présence d’un pauvre troupeau perdu. Gille fut témoin, chez ces humains-là, d’un regret irrémédiable, d’un reproche inexpiable : chacun, abandonné à tous, maudissait tout le monde de lui voler, de lui arracher le cœur de chacun. Dans cette immense matière informe où glisse de tout son poids la chair, il y a des éclats d’âme comme des échardes qui çà et là cochent encore un peu de souffrance. Cette souffrance fugitive est la dernière trace de conscience.

Gille se sentit pour ses voisins une pitié atroce et avilissante. Il songea alors au mépris et à s’en rehausser comme d’un verre d’alcool. Mais sa propre ignominie lui revenait aux lèvres, et le verre qu’il en approchait, il le jeta, il le fracassa. »

Pierre Drieu la Rochelle, L’homme couvert de femmes

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06/08/2011

Aimer

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« Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière ; et on se dit : "J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui" »

Alfred de Musset, On ne badine pas avec l'amour

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05/08/2011

Les donjons abattus

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« Ce serait une erreur de croire que les populations eussent été hostiles à ce morcellement de la souveraineté. Tout ce qu'elle demandait, c'était des défenseurs. La féodalité, issue du vieux patronat, fondée sur la réciprocité des services, naissait de l'anarchie et du besoin d'un gouvernement, comme au temps de l'humanité primitive. Représentons-nous des hommes dont la vie était menacée tous les jours, qui fuyaient les pirates normands et les bandits de tout espèce, dont les maisons étaient brûlées et les terres ravagées. Dès qu'un individu puissant et vigoureux s'offrait pour protéger les personnes et les biens, on était trop heureux de se livrer à lui, jusqu'au servage, préférable à une existence de bête traquée. De quel prix était la liberté quand la ruine et la mort menaçaient à toute heure et partout ? En rendant des services, dont le plus apprécié était la défense de la sécurité publique, le seigneur féodal légitima son usurpation. Parfois même il promettait des garanties particulières à ceux qui reconnaissaient son autorité. Par là dura l'esprit des franchises provinciales et municipales, destinées à une renaissance prochaine.

Tout cela se fit peu à peu, spontanément, sans méthode, avec la plus grande diversité. Ainsi naquit une multitude de monarchies locales fondées sur un consentement donné par la détresse. Les abus de la féodalité ne furent sentis que plus tard, quand les conditions eurent changé, quand l'ordre commença à revenir, et les abus ne s'en développèrent aussi qu'à la longue. La valeur du service ayant diminué et le prix qu'on le payait étant resté le même. C'est ce que nous voyons de nos jours pour le régime capitaliste. Qui se souvient des premiers actionnaires qui ont risqué leur argent pour construire des chemins de fer ? A ce moment-là, ils ont été indispensables. Depuis, par voie d'héritage ou d'acquisition, leurs droits ont passé à d'autres qui ont l'air de parasites. Il en fut de même des droits féodaux et des charges qu'ils avaient pour contrepartie. Transformés, usés par les siècles, les droits féodaux n'ont disparu tout à fait qu'en 1789, ce qui laisse une belle marge au capitalisme de notre temps. Mais de même que la création des chemins de fer par des sociétés privées fut saluée comme un progrès, ce fut un progrès, au dixième siècle, de vivre à l'abri d'un château fort. Les donjons abattus plus tard avec rage avaient été construits d'abord avec le zèle qu'on met à élever des fortifications contre l'ennemi. »

Jacques Bainville, Histoire de France

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04/08/2011

Ce n’est pas avec de telles images que se constitue une culture

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« Supposons que la télévision offre des programmes culturel de qualité, et qu’elle les donne en quantité suffisante par rapport aux émissions de pur divertissement. Pourrions-nous considérer alors que la télévision apporte vraiment quelque chose à l’ensemble du public ? Devrions-nous donc la considérer comme le moyen d’un réel enrichissement intellectuel ? Pour qu’il en soit ainsi, il faudrait que nous puissions assimiler ce qu’elle nous présente. Or, que chacun fasse un bilan des centaines d’heures passées devant un récepteur et réfléchisse à ce qu’il a acquis dans tel ou tel domaine : vie des animaux, histoire des dernières décennies, œuvre des écrivains ou des artistes contemporains, etc. Il constate alors qu’il n’en va pas ici comme des heures de lecture. La télévision nous donne en effet l’impression de savoir parce qu’elle nous laisse en mémoire quelques images vives qui nous reviennent avec leur valeur émotive. La télévision ne nous atteint donc pas au même niveau mental que les livres. Quoi d’étonnant, puisque l’audiovisuel n’est pas le conceptuel ! Il y a loin de toute la richesse de données instructives que la télévision nous apporte, jour après jour, à la culture qu’on pourrait en retirer si, chaque fois, on assimilait quelque chose : il y a vraiment loin de la coupe aux lèvres. Les images que la télévision nous offre, non seulement à travers ses programmes culturels, mais aussi à travers les informations et les films, nous procurent une certaine ouverture d’esprit. La télévision a singulièrement élargi les horizons de la jeunesse. Aujourd’hui, les enfants n’ont pas dix ans qu’ils ont déjà vu New York, la muraille de Chine, des courses automobiles, des villes sous les bombardements et des hommes sur la Lune. Rien ne peut plus les étonner. Est-ce à dire qu’ils savent tout ? Ils ont tout vu, mais ils n’ont rien saisi. On pourrait presque dire qu’ils sont parfois d’une ignorance encyclopédique.

Le fait mérite réflexion. Comment, de tant d’heures passées à voir tant de choses, peut-il ne rester que de si vagues traces dans les esprits ? Et n’est-ce pas navrant de penser que telle ou telle émission, qui semblait nous présenter si bien un problème, soit, comme les autres, tombée dans l’oubli ? Quel savoir n’aurions-nous pas si nous avions retenu tout ce qui méritait d’être retenu et quel dommage qu’en réalité presque tout nous échappe ! Que se passe-t-il donc ? Il se passe que l’on voit trop de choses et qu’on les voit trop vite. Comment les retiendrions-nous ? Pour empêcher que l’intérêt ne se relâche, la télévision doit sans cesse varier le spectacle. Elle nous donne tout juste le temps d’être frappés par le pittoresque des images qui défilent sous nos yeux ; il est impossible de nous en faire, comme on dit, une idée. Or, c’est seulement l’idée – c’est-à-dire le schéma intellectuel élaboré par la perception intelligente – qui nous permettrait de restituer plus tard tel ou tel aspect des chose vues, s’il est vrai que se souvenir n’est pas laisser une image renaitre automatiquement, mais, dans une large mesure, reconstruire un objet d’expérience passée en fonction des besoins présents.

Dira-t-on que certaines images s’impriment comme d’elles-mêmes dans notre mémoire ? Il en existe, en effet : celles qui ont impressionné notre sensibilité et acquièrent ainsi une puissance quasi obsessionnelle. La télévision nous en laisse beaucoup dans l’esprit – mais, quand elles nous reviennent, elles flottent comme des visions isolées qui ne se rattachent à aucun contexte. Elles n’ont rien de commun avec le souvenir que nous gardons de ce que nous connaissons bien. Elles en diffèrent comme de vieilles cartes postales diffèrent d’un livre de géographie. Ce n’est pas avec de telles images que se constitue une culture. »

Jean Cluzel, La télévision

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03/08/2011

Respirer la grande paix du soir ou nous allons entrer ensemble

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« Je me dis aussi que la jeunesse est un don de Dieu, et comme tous les dons de Dieu, il est sans repentance . Ne sont jeunes, ne sont vraiment jeunes, que ceux qu'il a désigné pour ne pas survivre à leur jeunesse. J'appartiens à cette race d'hommes. Je me demandais:"Que ferai-je à cinquante, à soixante ans ?" Et naturellement, je ne trouvais pas de réponse.Je ne pouvais même pas en imaginer une. Il n'y avait pas de vieillard en moi.
Cette assurance m'est douce. Pour la première fois depuis des années, depuis toujours peut-être, il me semble que je suis en face de ma jeunesse, que je la regarde sans méfiance. Je crois reconnaître son visage, un visage oublié. Elle me regarde aussi, elle me pardonne. Accablé du sentiment de ma maladresse foncière qui me rendait incapable d'aucun progrès, je prétendais exiger d'elle ce qu'elle ne pouvait donner, je la trouvais ridicule, j'en avais honte. Et maintenant, las tous deux de nos vaines querelles, nous pouvons nous asseoir au bord du chemin, respirer un moment, sans rien dire, la grande paix du soir ou nous allons entrer ensemble. »

Georges Bernanos, Journal d'un curé de campagne

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02/08/2011

L'imbécile

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« L'imbécile est d'abord un être d'habitude et de parti pris.
Arraché à son milieu il garde, entre ses deux valves étroitement closes, l'eau du lagon qui l'a nourri.
Mais la vie moderne ne transporte pas seulement les imbéciles d'un lieu à un autre, elle les brasse avec une sorte de fureur. »

Georges Bernanos, Les Grands Cimetières sous la lune, Essais et écrits de combat, I, Paris, Gallimard, Pléiade

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01/08/2011

Bloy, Moreau, Rouault

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« 1er mai – Visité, pour la première fois, le musée Gustave Moreau. Ma stupéfaction de voir la quantité prodigieuse des œuvres de ce maître qui fut un travailleur colossal. Presque toutes les toiles peintes, car le nombre des dessins est infini, sont à l’état d’ébauches plus ou moins avancées. Quelques-une telles que le Retour d’Ulysse ou le Triomphe d’Alexandre me hanteront. Je ne pense pas qu’il y ait jamais eu un artiste d’une imagination aussi somptueuse. C’est un fou furieux de magnificence.
Pourquoi faut-il que la mythologie, les temps héroïques l’aient confisqué à peu près complètement. Si j’avais à écrire sur Gustave Moreau, je m’étonnerais de ne pas trouver un seul tableau de lui inspiré par l’histoire de Byzance. Le grandiose chrétien semble lui avoir été étranger. A peine deux ou trois projets de calvaires, hélas !
Mais j’aurais gagné ma journée, n’eussé-vu que le tableau de Rouault, provisoirement déposé là : Le Christ enfant au milieu des Docteurs. Un Dieu de douze ans et trois hypocrites qui en ont ensemble cent quatre-vingts. Jésus leur dit la Vérité qui est lui-même et, à mesure qu’il parle, on croit voir sortir, de chacun de ces hommes crucifiants, la bête horrible qui le possède et qui doit, un jour, le dévorer. Je ne savais pas que Rouault avait un talent immense. Je le sais maintenant et je le lui ai dit avec enthousiasme. »

Léon Bloy, Journal, mai 1905

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Empêcher que le monde se défasse

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« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »

Albert Camus, Discours de réception du prix Noble de littérature

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La honte d'être un homme

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« (...) il faut beaucoup d’innocence, ou de rouerie, à une philosophie de la communication qui prétend restaurer la société des amis ou même des sages en formant une opinion universelle comme "consensus" capable de moraliser les nations, les Etats et le marché. Les droits de l’homme ne disent rien sur les modes d’existence immanents de l’homme pourvu de droits. Et la honte d’être un homme, nous ne l’éprouvons pas seulement dans les situations extrêmes décrites par Primo Levi, mais dans des conditions insignifiantes, devant la bassesse et la vulgarité d’existence qui hantent les démocraties, devant la propagation de ces modes d’existence et de pensée-pour-le-marché, devant les valeurs, les idéaux et les opinions de notre époque. L’ignominie des possibilités de vie qui nous sont offertes apparaît du dedans. Nous ne nous sentons pas hors de notre époque, au contraire nous ne cessons de passer avec elle des compromis honteux. Ce sentiment de honte est un des plus puissants motifs de la philosophie. Nous ne sommes pas responsables des victimes, mais devant les victimes. Et il n’y a pas d’autre moyen que de faire l’animal (grogner, fouir, ricaner, se convulser) pour échapper à l’ignoble : La pensée même est parfois plus proche d’un animal qui meurt que d’un homme vivant, même démocrate. »

Gilles Châtelet, Vivre et Penser comme des porcs

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31/07/2011

Kerouac, ce cinglé de beatnik

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« Je crois que les femmes commencent par m’aimer, et puis elles se rendent compte que je suis ivre de la terre entière et elles comprennent alors que je ne puis me concentrer que sur elles seules bien longtemps. Cela les rend jalouses. Car je suis un dément amoureux de Dieu. Eh oui. D’ailleurs la lubricité n’est pas mon lot, elle me fait rougir : - tout dépend de la femme.

Je l’ai déjà dit, c’est une jeune Bretonne d’une beauté extraordinaire, inoubliable, que l’on voudrait croquer séance tenante, avec ses yeux verts comme la mer, ses cheveux bleu-noir et ses petites dents de devant légèrement écartées et telles que si elle avait rencontré un dentiste lui proposant des les redresser, chacun des hommes de notre planète aurait ficelé le cuistre à l’encolure du cheval de bois de Troie, pour lui permettre de jeter un coup d’oeil sur la captive Hélène, avant que Paris n’ai assiégé son Gaulois Gullet, ce traître libidineux. Elle portait un pull blanc tricoté, des bracelets en or et autres fanfreluches: quand elle m’a regardé de ses yeux couleur de mer, j’ai fait oui de la tête et ai failli la saluer, mais je me suis contenté de me dire qu’une femme pareille, c’était le grabuge et la bisbille ; à d’autres que moi, paisible berger mit le cognac. - J’aurais voulu être un eunuque, pour jouer avec de tels creux et de telles bosses pendant deux semaines.

Tous me décochèrent des regards absolument noirs quand ils entendirent mon nom, comme s’ils se marmonnaient intérieurement : Kerouac, je peux écrire dix fois mieux que ce cinglé de beatnik, et je le prouverai avec ce manuscrit intitulé Silence au Lip, tout sur la manière dont Renard entre dans le hall en allumant une cigarette, et refuse de voir le triste et informe sourire de l’héroïne, une lesbienne sans histoire, dont le père vient de mourir en essayant de violer un élan, à la bataille de Cuckamonga ; et Philippe, l’intellectuel, entre, au chapitre suivant, en allumant une cigarette avec un bond existentiel à travers la page blanche que je laisse ensuite, le tout se terminant par un monologue de la même eau, etc., tout ce qu’il sait faire, ce Kerouac, c’est d’écrire des histoires...»

Jack Kerouac, Satori à Paris

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30/07/2011

La défiance et le soupçon

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« La décomposition des solidarités locales traditionnelles ne menace pas seulement les bases anthropologiques de la résistance morale et culturelle au capitalisme. En sapant également les fondements relationnels de la confiance (tels qu'ils prennent habituellement leur source dans la triple obligation immémoriale de donner, recevoir et rendre) la logique libérale contribue tout autant à détruire ses propres murs porteurs, c'est-à-dire l'échange marchand et le contrat juridique. Dès que l'on se place sur le plan du simple calcul (et l'égoïste –ou l'économiste- n'en connaît pas d'autre) rien ne m'oblige plus, en effet, à tenir ma parole ou à respecter mes engagements (par exemple sur la qualité de la marchandise promise ou sur le fait que je ne me doperai pas), si j'ai acquis la certitude que nul ne s'en apercevra. A partir d'un certain seuil de désarticulation historique de "l'esprit du don" (matrice anthropologique de toute confiance réelle) c'est donc la défiance et le soupçon qui doivent logiquement prendre le relais. »

Jean-Claude Michéa, La Double Pensée

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28/07/2011

Cet univers moral fluide, amorphe, sans frontières

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http://img844.imageshack.us/img844/1055/89580757.jpg

« Ce laxisme des doctrinaires fait de notre temps le temps des hétérodoxies. L’art s’épanouit en formes monstrueuses. Il est au-delà de toutes les formes ; précisément parce qu’il est devenu formalisme pur. Il n’exprime plus aucune vision de l’homme. Il n’exprime plus qu’une définition de l’art, une pure définition du fait de s’exprimer sans référence à l’homme : pour notre siècle, l’art se réduit à être une forme quelconque. [...]

La morale n’est pas moins tournoyante. En morale sexuelle, en particulier, on a obtenu des résultats spectaculaires depuis qu’on s’en tient à une définition rationnelle de l’acte sexuel. Comme pour l’art, on a établi que l’acte sexuel se réduit à être un contact quelconque capable de susciter une jouissance quelconque. On ne voit donc pas quelles objections on pourrait faire à un "formalisme sexuel" s’exprimant par des « expériences », ou dans des "directions", à la manière de l’art abstrait.

La drogue elle-même n’est plus qu’une "matière" permettant une certaine "forme" d’expression de la personnalité. Les limites disparaissent, puisque toute expression de la personnalité est licite en soi : la condamnation qu’on ne peut plus fonder sur la logique de la nature ou de l’instinct et encore moins sur la qualité des actes est facilement représentée comme un préjugé qui ne repose sur aucun principe légitime.

Cet univers moral fluide, amorphe, sans frontières, ne trouve une source d’inspiration et une force que dans la haine que lui inspire la santé et l’énergie. Le fanatisme intellectuel réveille ces êtres inertes partagés entre l’extase et la terreur. Il est leur drogue, il les retrempe comme les eaux du baptême, il les réunit comme une messe, il leur redonne quelque chose d’humain. Ces même esprits, si indécis, si retenus dans leur jugement, si tolérants, sont implacables quand il s’agit de leurs adversaires, c'est-à-dire de la race d’homme dont ils abhorrent la nature et l’existence. Tout le monde mérite l’indulgence, sauf l’être profondément immoral et dépravé qui ne sent pas comme eux. Celui-ci est un asocial, un dément qu’on regrette de voir en liberté. Il a échappé à la médication de la "conscience collective" : on se demande quel traitement on pourrait bien lui appliquer pour dissoudre enfin son irréductibilité. »

Maurice Bardèche, Sparte et les sudistes

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27/07/2011

Les généraux suffisants ou affolés

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« Je ne connaissais que trop bien l’histoire de la dernière guerre, les généraux suffisants ou affolés, fossiles ou brouillons, aussi dépourvus d’idées que de caractère, de bronze pour les préjugés, la routine, les pétarades, de cire devant les politiciens ; les états-majors apprenant laborieusement des Allemands à se battre, toujours devancés par eux, les ignominies du grignotage, de l’Artois, des Vosges, de la Champagne, de 1917, entreprises pour user l’ennemi et saignant à blanc le pays pour quarante années ; les robustes sexagénaires à trois ou cinq étoiles, œil d’acier, moustache impérative, convictions catholiques, planqués à dix kilomètres des barbelés, expédiant adolescents, les jeunes maris, les pères, les petits conscrits paysans gourds et candides, les grands vignerons gaulois aux longues bacchantes, aux poitrines profondes et moussues, les poètes, les Bretons résignés, les méridionaux joyeux, les Marocains nobles et graves, les Bambaras aux rires d’enfants, tous devenus cadavres tordus, éventrés, arrachés, écartelés, dans les ferrailles, putréfiés dans la fange, pour rien, dix fois, cent fois pour rien, parce que quelques vieux hommes qui tenaient dans leur mains leur mort et leur vie manquaient d’imagination et ne savaient pas leur métier. »

Lucien Rebatet, Les Décombres

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26/07/2011

Plus la télévision est absurde, mieux elle remplit son office

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« L'actualité détermine ce qui est actuel. N'est-ce pas là une évidence ? Seulement l'actualité ne détermine pas ce qui est actuel d'une manière tout immédiate, comme on feint de le croire. Ce qui est actuel, n'est-ce pas ce qui est là tout simplement, maintenant, objectivement ? Ce qui est là maintenant, en cet instant qui retentit en même temps dans le monde entier, c'est justement ce monde tout entier, la totalité des événements, des personnes et des choses. Il faut donc choisir. Qu'est-ce qui dirige ce choix ? Sur le tout de la réalité les médias jettent une grille: le hold-up de la matinée, les courses à Vincennes et le rapport du tiercé, la petite phrase de quelque histrion de la politique en tournée, la hausse du dollar et du pétrole (ou leur baisse), la baisse de l'or (ou sa hausse), l'interview de la concierge de l'immeuble le plus proche de l'endroit où le viol de la fillette est supposé avoir eu lieu, l'arrivée de la traversée de l'Atlantique à la voile, ou l'étape du Tour, la littérature enfin au moment de la remise des prix, quand elle ressemble elle-même à une course, avec favoris, outsiders, etc. Pris dans le film de leur succession ou de leur juxtaposition sur la page d'un journal, ces événements présentent un caractère commun: l'incohérence. Considéré isolément, chacun d'eux se résume à un incident ponctuel. Ni les tenants ni les aboutissants ne sont donnés avec lui. Tirer le fil de sa causalité, de sa finalité, de sa signification, de sa valeur, ce serait penser, comprendre, imaginer, rendre la vie à elle-même quand il s'agit de l'éliminer. Rien n'entre dans l'actualité que sous cette double condition de l'incohérence et de la superficialité, de telle manière que l'actuel est l'insignifiant.

Ce qui par cette insignifiance entre dans l'actualité a fait voeu par là même d'en sortir, n'étant posé que pour être supprimé. On déplore aujourd'hui que les diverses productions de la télévision -reportages, films, dramatiques - soient interrompues par des spots publicitaires qui invitent le spectateur à passer sans cesse d'un programme à un autre, aussi inconsistant que celui qu'il vient de quitter. Comment ne pas voir cependant qu'avec ce sautillement perpétuel d'image en image à travers leurs séries inconséquentes les médias réalisent leur essence ? L'actuel n'est pas seulement l'incohérent et l'insignifiant, il doit l'être. Plus la télévision est absurde, mieux elle remplit son office. »

Michel Henry, La Barbarie

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25/07/2011

Evola et Maurras

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« Evola défend une monarchie d’inspiration métaphysique, par quoi il faut entendre, non pas tant une monarchie "de droit divin", au sens classique de cette expression, qu’une monarchie fondée sur des principes dérivant eux-mêmes de ce qu’Evola appelle la "Tradition primordiale". Cette "Tradition primordiale" reste à mes yeux aussi nébuleuse qu’hypothétique, mais là n’est pas la question. Ce qui est sûr, c’est que Julius Evola se fait de la monarchie une idée assez différente de celle de la plupart des théoriciens royalistes contemporains. Une étude comparative des idées de Charles Maurras et d’Evola, étude qui n’a pas encore été réalisée, serait de ce point de vue des plus utiles.

Certes, entre Maurras et Evola, il y a un certain nombre de points communs. Sur un plan plus anecdotique, on peut aussi rappeler que Pierre Pascal, réfugié en Italie après 1945 et qui fut jusqu’à la fin de sa vie assez actif dans certains milieux évoliens, avait dans sa jeunesse été un proche collaborateur de Maurras. Mais il n’en est pas moins vrai que le royalisme maurrassien, tout empreint de positivisme au point que Maurras put être qualifié de "Jacobin blanc" par Georges Bernanos et Edouard Berth, diffère profondément de l’idée monarchique tel que la conçoit Evola.

Ce dernier s’affirmait avec hauteur un Gibelin, tandis que Maurras était un Guelfe. Evola ne faisait guère la différence entre la royauté et l’Empire, qu’il défendait avec la même vigueur, tandis que Maurras, conformément à la tradition française, voyait dans la "lutte contre l’Empire" le principal mérite de la dynastie capétienne. Evola a toujours manifesté à la fois de l’intérêt pour les doctrines orientales et de la sympathie pour l’Allemagne ou le Nord "hyperboréen", alors que Maurras le Provençal, comme Henri Massis, opposait radicalement l’Orient à l’Occident et n’avait que mépris pour les "Barbares" établis de l’autre côté du Rhin. En outre, Evola peut être considéré comme un théoricien des origines, puisqu’il rappelle sans cesse que le mot archè renvoie à la fois au plus ancien passé, à l’« archaïque », mais aussi à ce qui, de ce fait même, commande le présent. Maurras, au contraire, professe (de manière d’ailleurs assez paradoxale) un complet mépris des origines et ne s’intéresse aux grandes entreprises politiques qu’au travers de leur final accomplissement. Quant à leur conception de la politique, elle diffère elle aussi du tout au tout, Maurras (qui n’a jamais lu Evola) se réclamant de l’ "empirisme organisateur" et du "nationalisme intégral" là où Julius Evola (qui a lu Maurras) se réclame de la métaphysique et fait du nationalisme une critique féroce largement justifiée. »

Alain de Benoist, Entretien avec Marco Iacona à propos de Julius Evola

 

Nouvel entretien sur Julius Evola, Alain de Benoist avec Marco Iacona en Fichier PDF

 

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24/07/2011

Le paradigme de tous les langages sociaux

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« La publicité n’est pas seulement le vecteur d’une incitation à l’achat. Globalement, elle sert avant tout à entretenir l’idée que le bonheur, raison d’être de la présence au monde, se ramène ou se confond avec la consommation. Elle ne vise pas tant à valoriser un produit particulier qu’à valoriser l’acte d’achat dans sa généralité, c’est-à-dire le système des produits. La publicité incarne le langage de la marchandise, qui est en passe de s’instaurer comme le paradigme de tous les langages sociaux. »

Alain de Benoist, Critiques-Théoriques

 

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23/07/2011

Hélas, c’est vous que vous fuyez, vous-mêmes

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« L’expérience de 1914 ne vous a pas suffi ? Celle de 1940 ne vous servira d’ailleurs pas davantage. (…) Trente, soixante, cent millions de morts ne vous détourneraient pas de votre idée fixe : "Aller plus vite, par n’importe quel moyen." Aller vite ? Mais aller où ? (…) Oh ! dans la prochaine inévitable guerre, les tanks lance-flammes pourront cracher leur jet à deux mille mètres au lieu de cinquante, le visage de vos fils bouillir instantanément et leurs yeux sauter hors de l’orbite, chiens que vous êtes ! La paix venue, vous recommencerez à vous féliciter du progrès mécanique. Paris-Marseille en un quart d’heure, c’est formidable ! Car vos fils et vos filles peuvent crever, le grand problème à résoudre sera toujours de transporter vos viandes à la vitesse de l’éclair. Que fuyez-vous donc, imbéciles ? Hélas, c’est vous que vous fuyez, vous-mêmes — chacun de vous se fuit soi-même, comme s’il espérait courir assez vite pour sortir enfin de sa gaine de peau... »

Georges Bernanos, La France contre les Robots

 

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21/07/2011

Comme l'écrivait Marx, "tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée et tout ce qui était sacré est profané"

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« Il apparaît en effet évident que l'accumulation du Capital (ou "Croissance") ne pourrait se poursuivre très longtemps si elle devait s'accommoder de l'austérité religieuse, du culte des valeurs familiales, de l'indifférence à la mode ou de l'idéal patriotique. Il suffit d'ouvrir les yeux sur le monde qui nous entoure pour constater, au contraire, que la "croissance" ne peut trouver ses bases psycho-idéologiques réelles que dans une culture de la consommation généralisée, c'est à dire dans cet imaginaire "permissif", "fashion" et "rebelle" dont l'apologie permanente est devenue la principale raison d'être de la nouvelle gauche (et qui constitue parallèlement le principe même de l'industrie du divertissement, de la publicité et du mensonge médiatique).

Comme le souligne Thomas Frank "c'est le monde des affaires qui, depuis les plateaux de télévision, et toujours sur le ton hystérique de l'insurrection culturelle, s'adresse à nous, choquant les gens simples, humiliant les croyants, corrompant les traditions et fracassant le patriarcat. C'est à cause de la nouvelle économie et de son culte pour la nouveauté et la créativité que nos banquiers se gargarisent d'être des révolutionnaires et que nos courtiers en bourse prétendent que la détention d'actions est une arme anticonformiste qui nous fait entrer dans le millénaire rock'n'roll."

C'est donc parce qu'une "économie de droite" ne peut fonctionner durablement qu'avec une "culture de gauche" que les dictatures libérales ne sauraient jamais avoir qu'une fonction historique limitée et provisoire : celle, en somme, de "remettre l'économie sur ses rails" en noyant éventuellement dans le sang (sur le modèle indonésien ou chilien) les différents obstacles politiques et syndicaux à l'accumulation du Capital.

A terme, c'est cependant le régime représentatif (dont l'ingénieux système électoral, fondé sur le principe de l'alternance unique, constitue l'un des verrous les plus efficaces contre la participation des classes populaires au jeu politique) qui apparaît comme le cadre juridique et politique le plus approprié au développement intégral d'une société spectaculaire et marchande ; autrement dit d'une société en mouvement perpétuel dans laquelle, comme l'écrivait Marx, "tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée et tout ce qui était sacré est profané". »

Jean-Claude Michéa, La double pensée, retour sur la question libérale

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20/07/2011

En U.R.S.S., tout fonctionnaire d'un certain rang doit, avant de conquérir le poste qu'il occupe, noyer plusieurs dizaines de concurrents

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« Ayant vécu dans un pays où l'hostilité à l'égard du monde environnant est la philosophie officielle, où chaque écolier sait que la guerre (chaude ou froide) contre les pays "capitalistes" est conduite sans répit, nous sommes frappés par la quiétude insouciante de l'Occident, cet état d'esprit à la limite de la légèreté. Aussi bien informés que nous ayons cru l'être sur la vie occidentale, nous ne pouvions imaginer cela. Quand on constate cet état d'esprit chez l'homme de la rue, cela étonne. Quand il s'agit d'hommes d'État, on commence à avoir peur.

Essayez de comprendre quel genre d'hommes ils sont, me conseillaient mes amis. Avec ton acquis de bagnard, essaye de trouver à quel genre d'interrogatoire ils auraient craqué.

Je crains que les connaissances que j'ai acquises sur les hommes ne m'aient pas été, en l'occurrence, d'une grande utilité. Mes interlocuteurs n'avaient pas d'interrogatoires à craindre, et d'ailleurs la personnalité compte peu dans la politique moderne. Ce sont des appareils monstres qui fonctionnent à l'Est et à l'Ouest. Par la suite, j'ai rencontré des adjoints, des conseillers, des sénateurs et des membres du Congrès, ainsi que leurs états-majors. Mes conclusions n'étaient nullement optimistes. Ces gens avaient reçu une meilleure instruction que leurs homologues soviétiques, ils étaient incontestablement plus humains. Mais, de toute évidence, ils n'avaient pas l'expérience soviétique de la lutte pour survivre, lutte féroce qui se rit de toute morale.

En U.R.S.S., tout fonctionnaire d'un certain rang doit, avant de conquérir le poste qu'il occupe, noyer plusieurs dizaines de concurrents, sinon enjamber des cadavres, assimiler toutes les lois de la bassesse et de la perfidie. Nous sommes souvent stupéfaits de voir nos leaders soviétiques, sachant à peine lire et écrire, sans la moindre culture générale, souvent incapables de parler un russe correct, réussir à gouverner un immense empire et à terroriser le monde entier. Il n'y a là aucune énigme ; ce n'est pas la peine de chercher des éminences grises. Les leaders soviétiques n'ont, en réalité, besoin ni d'instruction ni de culture. Ces qualités ne pourraient que les gêner. Psychologiquement, typologiquement, ce sont des criminels, et la ruse et l'expérience sont les conditions de leur succès. Un "caïd" n'a nul besoin d'avoir lu Tolstoï ou Shakespeare pour terroriser la population de tout un camp. Cinquante ans de relations entre les pays démocratiques et l'U.R.S.S. reproduisent avec une fidélité frappante le tableau des rapports existant entre les "demi-sel" et les "caïds". Les premiers se faisant systématiquement gruger et piller dans les prisons de transfert.

Il y a en Occident une propension inouïe à l'exagération, la moindre anicroche prend des allures de catastrophe. Loin de moi l'idée d'imiter les Occidentaux et d'en rendre la presse responsable. Les journaux ne font qu'assouvir la soif de sensations de leurs lecteurs. Comme on dit chez nous, pourquoi s'en prendre au miroir si l'on a le visage de traviole ? Mais l'Occidental est sans doute fait de telle sorte qu'il ne se reproche jamais rien à lui-même. Cette idée lui paraît sacrilège, à la limite du complot contre la démocratie. Personne ne veut se rendre compte que la bonne moitié des "crises" sont dues à cette simple raison.

Étonnante faculté que l'homme a de projeter ses maux intérieurs dans le monde environnant, puis d'exiger une refonte de l'univers ! Tout comme un chiot qui guerroie avec sa queue. Celui qui souffre d'un complexe d'infériorité crie à la discrimination, le paranoïaque se lamente d'être persécuté. Si je ne suis pas bien, c'est la faute de ceux qui m'entourent. Les thèses de chacune de ces deux sociétés sont diamétralement opposées : en U.R.S.S., l'homme a systématiquement tort, l'État toujours raison. Ici, l'homme est persuadé qu'il a le droit d'être toujours heureux. S'il tombe malade, c'est que les bien-portants lui doivent des comptes, si l'on est pauvre, ce sont les riches qui en sont coupables. Égocentrisme purement infantile, refus tout aussi infantile d'accepter la moindre limitation. Un jour, les étudiants de mon collège de Cambridge se mutinèrent, ils occupèrent les bureaux et organisèrent un sit-in. La raison : l'un d'entre eux avait été puni pour avoir été grossier avec le personnel du bar et interdit d'entrée pendant un mois. Les gens se seraient tordus de rire en U.R.S.S. Ces étudiants auraient été exclus de l'université en cinq minutes, incorporés dans l'armée et auraient ensuite passé le reste de leur vie "à s'aguerrir dans le chaudron ouvrier" sans avoir le droit de reprendre leurs études.

Je crains que la notion de droit ne soit ici encore plus sommaire que chez l'homo sovieticus. Par exemple, la Constitution des États-Unis prévoit le droit de rechercher son bonheur. Il est difficile d'imaginer ce que cela peut signifier. Le bonheur, comme on sait, est un état fugitif et il est des hommes qui en sont organiquement incapables. En revanche, il en est chez qui l'aspiration au bonheur ne peut les conduire qu'à un conflit avec la société. À supposer que le bonheur d'un homme consiste à tuer sa femme, devra-t-on lui en adjuger le droit ?

Cet immobilisme, cette passivité, cette certitude de recevoir une aide venue de l'extérieur nous étonnent énormément, car, dès notre enfance, on nous a inculqué en Union soviétique que la société ne nous doit rien, qu'au contraire nous lui sommes redevables de tout. Prenons par exemple le fameux problème du chômage. Si l'on appliquait en U.R.S.S. les critères occidentaux on recenserait autant de chômeurs qu'en Occident, sinon plus. Pour commencer, l'État soviétique refuse a priori l'existence même de la notion de chômage. Il n'existe aucune agence pour l'emploi où l'on puisse s'inscrire. Il ne viendrait à personne l'idée de verser des allocations aux sans-travail. Le fameux "droit au travail" promulgué en U.R.S.S. ne signifie nullement que l'on puisse prétendre travailler dans le métier que l'on a. Il s'agit du droit au travail, pas d'un droit à l'exercice de son métier. Si un ajusteur ne trouve pas une place dans sa branche, il n'a qu'à devenir tourneur, chauffeur, ouvrier du bâtiment, manutentionnaire, éboueur... Cela ne concerne personne, mais si vous restez trop longtemps sans travail, vous êtes convoqué à la milice où l'on vous intime l'ordre de trouver une situation, en vous rappelant que le parasitisme est un délit. Si, un mois plus tard, vous êtes toujours sans emploi, vous êtes bon pour deux ans de prison. Dans les camps, on trouvera toujours à vous employer à l'abattage du bois ou aux grands chantiers du communisme. Car en U.R.S.S., "ceux qui ne travaillent pas ne mangent pas".

Voyons maintenant ce que représente le chômage en Occident. Tout le monde peut s'inscrire au chômage, même si, en réalité, l'intéressé travaille. La vérification est très difficile. On indique soi-même son métier, ou l'on se réfère à ses emplois précédents. Il n'est pas important de savoir que vous avez pu être licencié pour incompétence. Par la suite, on vous fera des offres d'emplois dans la branche choisie, et il vous appartiendra de les accepter ou de les refuser. Cela peut durer des mois et des mois. Pendant ce temps, vous continuez à recevoir des allocations. Si les conditions du nouvel emploi que l'on vous propose sont moins bonnes que celles du précédent, vous êtes parfaitement en droit de le refuser. Il va de soi que l'on doit vous faire des offres d'emploi pour la région que vous habitez et non à l'autre bout du pays. Ajoutez à cela les jeunes sortant des écoles et qui viennent chaque année gonfler les rangs des chômeurs, les étudiants qui s'inscrivent au chômage pour la période des vacances, un certain nombre de parasites de métier qui n'ont jamais eu la moindre velléité de travailler et vous comprendrez ce que représente le chômage en Occident. Maintenant, dites-moi où se trouve le socialisme, comment on peut le distinguer du capitalisme ?

Il importe peu de savoir qui est au gouvernement, les socialistes ou un autre parti. Le processus de socialisation se déroule avec une incroyable rapidité, car le socialisme est devenu partie intégrante de la mentalité occidentale, il s'est assimilé aux tissus vivants du monde moderne. Il suffit de lire les journaux, de quelque tendance que ce soit, pour s'apercevoir que désormais les entreprises n'existent plus pour produire. Leur principale raison d'être est de créer des emplois. L'entreprise peut ainsi se permettre de ne pas être productive, ou de ne sortir que de la camelote.

Il n'y avait là pour moi rien de bien nouveau. Quand j'étais en prison, j'avais lu une fois dans les journaux que des ouvriers, quelque part en Europe, avaient occupé leur usine parce que leur patron avait l'intention de la liquider. Elle ne faisait plus de profits. Le patron ayant porté plainte, la police déclara qu'elle n'avait pas à se mêler de cette affaire, car il n'y avait pas de délit. Je n'en croyais pas mes yeux. Ainsi, lorsqu'un voleur vous fait les poches, c'est un crime, mais si l'on vous vole une usine, c'est dans l'ordre des choses. Plus tard, je faisais part de ma perplexité à un jeune diplomate que l'on ne pouvait soupçonner d'être prosocialiste. "Vous ne comprenez donc pas, me répondit-il, il s'agit des emplois de ces ouvriers, de leur lieu de travail. Cela leur donne tous les droits".

Cette explication ne me parut pas satisfaisante, et je continue toujours à ne pas comprendre cette étrange logique. Si une femme de ménage vient travailler chez moi une fois par semaine, a-t-elle le droit de disposer des lieux ? Peut-elle occuper mon appartement et refuser de s'en aller si, pour une raison ou pour une autre, je dois renoncer à ses services ? La police dirait-elle encore qu'il n'y a pas de délit, qu'il s'agit d'un simple conflit du travail ?

Il serait vain de chercher de la logique dans tout cela. La logique cesse d'exister là où commence l'idéologie, en l'occurrence, l'idéologie socialiste. Bref, de toutes les justifications que nous nous trouvons, délibérément ou inconsciemment, les idéologies de masse sont les plus méprisables. Elles font de l'humanité un troupeau de moutons. Et de toutes les idéologies de masse, le socialisme est la plus dangereuse, car elle libère l'homme de toute responsabilité. Par exemple, ce serait malgré lui que l'homme deviendrait alcoolique, drogué ou bourreau. C'est la société, le milieu social qui en sont tenus responsables.

Je ne comprends pas pourquoi Marx a décidé de but en blanc que les ouvriers sont enclins aux révolutions, que "le prolétariat n'a rien à perdre sauf ses chaînes". Bien au contraire, cette couche de la société est la plus inerte, elle cède facilement ses libertés pour se sentir sécurisée.

Le mouvement ouvrier, très orageux à ses débuts, a conduit à la création de l'État-Providence. Une répartition bien plus équitable des richesses a été obtenue, tout un système de garanties sociales mis en place. Pratiquement parlant, le socialisme, dans la mesure où il est humainement possible, a été construit en Occident. Cela a entraîné certaines conséquences regrettables. L'efficacité de l'économie, la qualité du travail ont eu à en souffrir, le système économique dans son ensemble a été déstabilisé. Le travail en tant que tel, surtout s'il est automatisé à l'extrême comme dans la société industrielle moderne, n'est nullement un plaisir. L'apparition d'éléments très importants de socialisme et de garanties sociales a supprimé toute motivation. Que l'on travaille bien ou mal, ou pas du tout, votre niveau de vie n'en est pratiquement pas affecté.

L'égalité est un état artificiel qui demande à être constamment entretenu d'une manière artificielle. Les hommes ne sont pas égaux par définition. Aussi le maintien de l'égalité coûte-t-il des sommes immenses, c'est un très lourd fardeau sur les épaules de ceux qui travaillent, des plus doués. Ce principe ne fait que dépraver encore plus les fainéants, contribue à l'apparition du climat de parasitisme dont j'ai déjà parlé. Une force organisée est indispensable pour entretenir cette égalité, et cette force manifeste dans la société des tendances dominatrices, aspire à échapper à tout contrôle.

Comme toute institution sociale, elle a tendance à mener une existence indépendante des problèmes qui l'ont engendrée, à poursuivre des objectifs qui ne sont déterminés que par le fait même de son existence. Cela s'applique à la bureaucratie en plein essor, à la bureaucratie des syndicats en particulier. Nous oublions que le socialisme, en vertu même de ses principes, ne se consacre pas à la protection des droits de l'individu. Au contraire, conformément à cette idéologie, les intérêts de l'homme sont sacrifiés à ceux du bien commun. Si les syndicats occidentaux sont indépendants de l'État, on ne saurait les considérer comme libres, car l'homme n'est pas libre de décider d'y adhérer, ou de ne pas y adhérer, il devient dangereux de voter contre une grève proposée par la direction syndicale. Bref, l'homme sacrifie de plus en plus sa liberté à la sécurisation.

Paradoxalement, l'homme n'obtient ni le bien-être ni la sécurisation. Bien au contraire, car le système est tout, sauf stable. L'économie est sur une pente glissante, le niveau de vie est en train de chuter. L'entreprise se trouve prise entre deux feux, fait faillite, puis, pour sauver les emplois, il ne reste plus qu'à la nationaliser, ce qui revient à la réduire à un état de carence et de non-rentabilité chroniques. L'État n'a que la solution d'alourdir la fiscalité, c'est-à-dire de saper la rentabilité des entreprises restées saines.

Certains lecteurs pourraient conclure que je prends au sérieux tous ces "ismes", voire que je me fais l'avocat du capitalisme que je considérerais comme une panacée. Cela est tout à fait faux. Je vois simplement autour de moi que le socialisme suscite d'immenses sympathies ; qu'il est pris pour un bien. Au fond, personne ne sait au juste ce qu'est le socialisme. Il y a autant de socialismes que de socialistes. Je suis très perplexe quand je vois par le monde tant de gens persuadés qu'il est possible de résoudre tous les problèmes par un simple remaniement des structures sociales.

Il est possible d'abolir l'argent, de détruire les objets de luxe, de soumettre à un rationnement draconien les produits d'alimentation et les objets de première nécessité, il est possible de faire vivre toute l'humanité dans des baraquements rigoureusement identiques, de répartir au sort les maris et les femmes, bref il est possible de réduire l'humanité à un état animal en voulant obtenir l'égalité à tout prix. C'est une entreprise vouée à l'échec. L'homme trouvera toujours le moyen de sortir du rang, fatalement les hommes conviendront d'une valeur ou d'un bien qui ne pourrait être réparti à part égale entre tous et qui sera à la source de l'inégalité. Le seul et unique résultat de cette monstrueuse expérience serait d'engendrer une inégalité et une corruption sans précédent, car dans ces conditions le moindre des privilèges serait perçu comme une inégalité révoltante. Il ne saurait être question de fraternité. La police secrète a besoin d'effectifs astronomiques pour maintenir un nivellement de ce genre.

Les Occidentaux préfèrent éviter de réfléchir à l'expérience soviétique, ils évitent de l'analyser. On estime que c'est un modèle "altéré", impur. Absolument pas. La direction soviétique a toujours agi conformément à la théorie, dans les intérêts des travailleurs. Nos leaders avaient simplement plus de suite dans les idées que ceux qui les avaient précédés ou qui ont suivi leur exemple. Les échecs ne les faisaient pas désespérer, au contraire ils réagissaient en adoptant une ligne encore plus orthodoxe. Je crois que seuls les Khmers rouges ont fait preuve d'une obstination encore plus grande, mais leur règne a été bref. Les résultats obtenus en U.R.S.S. sont bien plus intéressants. En soixante-deux ans d'existence, le pouvoir soviétique n'a pas réussi à éteindre l'instinct de propriété, quoique les véhicules de cet instinct aient été exterminés physiquement ou continuent à être persécutés. Cet objectif est aussi difficile à atteindre que d'essayer de détruire tous ceux qui ont le nez camus ou les yeux bleus. Au contraire, l'instinct de propriété s'est manifesté avec une intensité inusitée précisément chez ceux qui, semble-t-il, devaient être immunisés. L'expérience soviétique a permis une conclusion tout à fait inattendue : nous avons pu constater que les biens, la propriété, ne sont nullement une valeur matérielle, mais au contraire spirituelle. Pour l'immense majorité, c'est plus exactement un moyen d'expression, de réalisation de soi. On ne peut s'attendre à ce que le grand nombre trouve sa réalisation dans les arts ou les sciences, il faut, enfin, comprendre tous ceux que ces occupations n'intéressent pas. D'ailleurs, même parmi les artistes et les chercheurs, il est rare de trouver des fanatiques qui n'ont besoin de rien, qui se contentent du seul exercice de leur métier.

Je doute que, parmi tous les jeunes qui partent à l'assaut des centrales nucléaires au nom du socialisme, il s'en trouve un seul qui se rende compte de l'incompatibilité entre la foi en l'équilibre écologique et le socialisme, qui sache que l'idée du socialisme est entièrement contre nature, qu'elle se fonde sur la soi-disant possibilité pour l'homme de reconstruire le monde, de corriger les imperfections de la nature.

Jamais je n'ai réussi à comprendre les socialistes. Seul quelqu'un qui vit de fantasmes et non de l'observation réelle de l'être humain peut croire que les hommes sont égaux (ou aspirent à l'être). Même des jumeaux vrais qui ont été éduqués et formés ensemble ne sont pas tout à fait égaux. Et puis, pourquoi aspirer à l'égalité ? Serait-il intéressant de vivre dans un univers d'êtres qui soient tous pareils ? Pourquoi faut-il avoir des réactions aussi maladives face à l'inégalité matérielle ? »

Vladimir Boukovski, Cette lancinante douleur de la liberté

 

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