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05/07/2012

L'homme horizontal est un homme abrégé, comme son langage

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Merci au fidèle lecteur de mon Blog, Paglop77, pour cet extrait...

 

« Les langues perdent leur universalisme singulier pour s'effacer dans la rumeur d'un monde horizontal, celui d'une Californie généralisée, dans laquelle les Maeva Johnson rencontrent les Kevin Durand, et les Océane N'Dongo les Julio Mayoshi, et les Jennifer Ben Mouloud, les Mustapha Meunier. Ce dernier nom, je l'emprunte d'ailleurs au 'Meilleur des mondes' de Huxley, qui date de 1932, première et visionnaire description du monde horizontal. L'homme horizontal est un homme abrégé, comme son langage. L'orthographe est simplifiée en Allemagne, et le sera bientôt en France. La Suède a renoncé au vouvoiement au profit du tutoiement. (...) L'effondrement de la langue a pour résultat son flottement syntaxique et sémantique: régime de l'à peu près, du 'cool', du libidinal, de tout ce qui cherche dans le tout-venant de la langue une authenticité qui est en réalité une forme "naturellement" dégradée de la vérité sur soi. (...) La langue française n'est plus que le lieu d'une singulière solitude; comme les autres langues occidentales, l'anglais y compris, mais plus que les autres, elle est le corps mort de la civilisation occidentale, laquelle fut française comme elle fut grecque, les Français ayant été les seuls, après les Grecs, à identifier avec justesse et opiniâtreté les Barbares avant de les accueillir, cédant aux vertiges du nihilisme américain. Elle flotte, cette langue, sur l'océan des vocables, parmi d'autres épaves, abandonnée au main stream du renoncement. »

Richard Millet, Arguments d'un désespoir contemporain

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04/07/2012

Mais les mers sont différentes comme les pays : il faut d’abord distinguer la Méditerranée de toutes les autres

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« Mais les mers sont différentes comme les pays : il faut d’abord distinguer la Méditerranée de toutes les autres. Dans l’Océan, c’est l’homme qui appartient à la mer ; dans la Méditerranée, c’est la mer qui est à l’homme. Il la tient, il la travaille, il y grave ou il y cisèle son adresse et sa force : il se mesure avec elle, puis retourne au port. La tempête l’empoigne parfois, mais la solitude ne l’étreint jamais ; des vagues où il est ballotté, souvent il aperçoit un des hauts signaux de la Terre; quand il perd de vue l’Etna, en s’élevant vers le Nord, il pourra voir bientôt, si le ciel est clair, les pointes des Alpes nettoyées et fourbies par la tramontane ; si la cime de la Sicile disparaît de son ciel, quand c’est vers l’Est qu’il s’éloigne, bientôt y apparaîtra le sommet de la Crête ; ailleurs domine l’Athos, la Montagne Sainte. Celui qui se perd sur les Océans s’engage dans des espaces indéterminés. D’une part il est menacé par des périls plus énormes, par des tempêtes démesurées, qui lui demandent un effort prolongé, épuisant et solitaire ; d’autre part il est plus bercé et plus assoupi ; il a passé de la mer qui excite aux mers qui endorment. Voici l’Atlantique de l’alizé, où les traversées se font toutes seules, avec ses vagues éclaboussées de poissons volants, ses petits nuages ronds comme des ballots de laine et, le soir, le pâle clignotement de la Croix du Sud, surmontée de deux astres éblouissants du Centaure; voici les grandes houles détendues de l’Océan Indien, un espace de gloire, bleu et doré, où des dauphins viennent au couchant danser devant le navire, certains sautant si haut qu’on aperçoit tout leur corps en l’air, brillant comme celui d’un acrobate dans son maillot de soie. Les longs rivages se déroulent tout autrement que dans la mer bruyante d’histoire où chaque arbre est connu, chaque rocher nommé, où une foule de fantômes, Dieux, Saints, Héros, se disputent la possession des moindres promontoires : à mesure qu’on avance vers les Pôles, les drapeaux des noms deviennent plus rares, la nature reprend partout un monde qui échappe à l’homme, les caps éloignés sont comme des sentinelles si espacées que l’appel de l’une arrive à peine jusqu’à l’autre et l’on aboutit ainsi aux deux extrémités de la terre habitée, le Cap Nord debout dans une tranquille pâleur ou le Cap Horn dressé dans une tempête éternelle. Telle est la mélancolie des mers australes qu’il n’était pas rare jadis, sur les voiliers doublaient le Cap de Bonne-Espérance pour s’en aller jusqu’en Nouvelle-Calédonie ou en Nouvelle-Zélande, qu’il y eût parmi les matelots une succession de suicides, parce que des âmes simples se désespéraient sans raison, parmi ces houles fastidieuses d’où se détache parfois un grand albatros. Il faut avoir navigué, seul passager, sur un de ces petits vapeurs qui relient des lieux délaissés, pour savoir ce que peut être en mer la détresse du soir, quand la fête manquée du couchant finit dans les nuages par des barbouillages lugubres, que le bateau fatigué gémit en gravissant et en descendant les pentes des vagues, tandis que les matelots vaquent à leur besogne, allument quelques lampes, préparent leur repas, et par une pauvre imitation de la vie domestique, sur leur navire peinant et roulant, essayent de se préserver de la tristesse insupportable qui vient jusqu’à eux d’une immensité inhumaine »

Abel Bonnard, Petits miroirs de la mer

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02/07/2012

Jean-Patrick Manchette et A.D.G.

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« Les anarchistes de droite me semblent la contribution française la plus authentique et la plus talentueuse à une certaine rébellion insolente de l’esprit européen face à la "modernité", autrement dit l’hypocrisie bourgeoise de gauche et de droite. Leur saint patron pourrait être Barbey d’Aurévilly (Les Diaboliques), à moins que ce ne soit Molière (Tartuffe). Caractéristique dominante : en politique, ils n’appartiennent jamais à la droite modérée et honnissent les politiciens défenseurs du portefeuille et de la morale. C’est pourquoi l’on rencontre dans leur cohorte indocile des écrivains que l’on pourrait dire de gauche, comme Marcel Aymé, ou qu’il serait impossible d’étiqueter, comme Jean Anouilh. Ils ont en commun un talent railleur et un goût du panache dont témoignent Antoine Blondin (Monsieur Jadis), Roger Nimier (Le Hussard bleu), Jean Dutourd (Les Taxis de la Marne) ou Jean Cau (Croquis de mémoire). A la façon de Georges Bernanos, ils se sont souvent querellés avec leurs maîtres à penser. On les retrouve encore, hautins, farceurs et féroces, derrière la caméra de Georges Lautner (Les Tontons flingueurs ou Le Professionnel), avec les dialogues de Michel Audiard, qui est à lui seul un archétype.

Deux parmi ces anarchistes de la plume ont dominé en leur temps le roman noir. Sous un régime d’épais conformisme, ils firent de leurs romans sombres ou rigolards les ultimes refuges de la liberté de penser. Ces deux-là ont été dans les années 1980 les pères du nouveau polar français. On les a dit enfants de Mai 68. L’un par la main gauche, l’autre par la main droite. Passant au crible le monde hautement immoral dans lequel il leur fallait vivre, ils ont tiré à vue sur les pantins et parfois même sur leur copains.

À quelques années de distances, tous les deux sont nés un 19 décembre. L’un s’appelait Jean-Patrick Manchette. Il avait commencé comme traducteur de polars américains. Pour l’état civil, l’autre était Alain Fournier, un nom un peu difficile à porter quand on veut faire carrière en littérature. Il choisit donc un pseudonyme qui avait le mérite de la nouveauté : ADG. Ces initiales ne voulaient strictement rien dire, mais elles étaient faciles à mémoriser.

En 1971, sans se connaître, Manchette et son cadet ADG ont publié leur premier roman dans la Série Noire. Ce fut comme une petite révolution. D’emblée, ils venaient de donner un terrible coup de vieux à tout un pan du polar à la française. Fini les truands corses et les durs de Pigalle. Fini le code de l’honneur à la Gabin. Avec eux, le roman noir se projetait dans les tortueux méandres de la nouvelle République. L’un traitait son affaire sur le mode ténébreux, et l’autre dans un registre ironique. Impossible après eux d’écrire comme avant. On dit qu’ils avaient pris des leçons chez Chandler ou Hammett. Mais ils n’avaient surtout pas oublié de lire Céline, Michel Audiard et peut-être aussi Paul Morand. Ecriture sèche, efficace comme une rafale bien expédiée. Plus riche en trouvailles et en calembours chez ADG, plus aride chez Manchette. Né en 1942, mort en 1996, Jean-Patrick Manchette publia en 1971 "L’affaire N’Gustro" directement inspirée de l’affaire Ben Barka (opposant marocain enlevé et liquidé en 1965 avec la complicité active du pouvoir et des basses polices). Sa connaissance des milieux gauchistes de sa folle jeunesse accoucha d’un tableau véridique et impitoyable. Féministes freudiennes et nymphos, intellos débiles et militants paumés. Une galerie complète des laissés pour compte de Mai 68, auxquels Manchette ajoutait quelques portraits hilarants de révolutionnaires tropicaux. Le personnage le moins antipathique était le tueur, ancien de l’OAS, qui se foutait complètement des fantasmes de ses complices occasionnels. C’était un cynique plutôt fréquentable, mais il n’était pas de taille face aux grands requins qui tiraient les ficelles. Il fut donc dévoré.

Ce premier roman, comme tous ceux qu’écrivit Manchette, était d’un pessimisme intégral. Il y démontait la mécanique du monde réel. Derrière le décor, régnaient les trois divinités de l’époque : le fric, le sexe et le pouvoir.

Au fil de ses propres polars, ADG montra qu’il était lui aussi un auteur au parfum, appréciant les allusions historiques musclées. Tour cela dans un style bien identifiable, charpenté de calembours, écrivant "ouisquie" comme Jacques Perret, l’auteur inoubliable et provisoirement oublié de Bande à part.

Si l’on ne devait lire d’ADG qu’un seul roman, ce serait "Pour venger Pépère" (Gallimard), un petit chef d’œuvre. Sous une forme ramassée, la palette adégienne y est la plus gouailleuse. Perfection en tout, scénario rond comme un œuf, ironie décapante, brin de poésie légère, irrespect pour les "valeurs" avariées d’une époque corrompue.

L’histoire est celle d’une magnifique vengeance qui a pour cadre la Touraine, patrie de l’auteur. On y voit Maître Pascal Delcroix, jeune avocat costaud et désargenté, se lancer dans une petite guerre téméraire contre les puissants barons de la politique locale. Hormis sa belle inconscience, il a pour soutien un copain nommé "Machin", journaliste droitier d’origine russe, passablement porté sur la bouteille, et "droit comme un tirebouchon". On s’initie au passage à la dégustation de quelques crus de Touraine, le petit blanc clair et odorant de Montlouis, ou le Turquant coulant comme velours.

Point de départ, l’assassinat fortuit du grand-père de l’avocat. Un grand-père comme on voudrait tous en avoir, ouvrier retraité et communiste à la mode de 1870, aimant le son du clairon et plus encore la pêche au gardon. Fier et pas dégonflé avec ça, ce qui lui vaut d’être tué par des malfrats dûment protégés. A partir de là on entre dans le vif du sujet, c’est à dire dans le ventre puant d’un système faisandé, face nocturne d’un pays jadis noble et galant, dont une certaine Sophie, blonde et gracieuse jeunes fille, semble comme le dernier jardin ensoleillé. Rien de lugubre pourtant, contrairement aux romans de Manchette. Au contraire, grâce à une insolence joyeuse et un mépris libérateur.

Au lendemain de sa mort (1er novembre 2004), ADG fit un retour inattendu avec "J’ai déjà donné", roman salué par toute la critique. Héritier de quelques siècles de gouaille gauloise, insolente et frondeuse, ADG avait planté entre-temps dans la panse d’une république peu recommandable les banderilles les plus jubilatoires de l’anarchisme de droite. »

Dominique Venner, Article dans Le Spectacle du Monde de décembre 2011

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30/06/2012

Je sens en moi l’impérieuse obligation d’être heureux

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« Il y a sur terre de telles immensités de misère, de détresse, de gêne et d’horreur, que l’homme heureux n’y peut songer sans prendre honte de son bonheur. Et pourtant ne peut rien pour le bonheur d’autrui celui qui ne sait être heureux lui-même. Je sens en moi l’impérieuse obligation d’être heureux. Mais tout bonheur me paraît haïssable qui ne s’obtient qu’aux dépens d’autrui… Je préfère le repas d'auberge à la table la mieux servie, le jardin public au plus beau parc enclos de murs, le livre que je ne crains pas d'emmener en promenade à l'édition la plus rare, et, si je devais être seul à pouvoir contempler une oeuvre d'art, plus elle serait belle et plus l'emporterait sur la joie ma tristesse. Mon bonheur est d'augmenter celui des autres. J'ai besoin du bonheur de tous pour être heureux. »

André Gide, Les Nourritures Terrestres

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29/06/2012

L'illogisme m'irrite, mais l'excès de logique m'exténue

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« La peur de trébucher cramponne notre esprit à la rampe de la logique. Il y a la logique et il y a ce qui échappe à la logique. L'illogisme m'irrite, mais l'excès de logique m'exténue. Il y a ceux qui raisonnent et il y a ceux qui laissent les autres avoir raison. Mon coeur, si ma raison lui donne tort de battre, c'est à lui que je donne raison. Il y a ceux qui se passent de vivre et ceux qui se passent d'avoir raison. C'est au défaut de la logique que je prends conscience de moi. Ô ma plus chère et ma plus riante pensée ! Qu'ai-je affaire de chercher plus longtemps à légitimer ta naissance ? N'ai-je pas lu ce matin dans Plutarque, au seuil des Vies de Romulus et de Thésée, que ces deux grands fondateurs de cités, pour être nés "secrètement et d'une union clandestine" ont passé pour des fils de dieux ? »

André Gide, Les Nourritures Terrestres

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28/06/2012

J'assumai mon bonheur comme une vocation

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« Du jour où je parvins à me persuader que je n'avais pas besoin d'être heureux, commença d'habiter en moi le bonheur ; oui, du jour où je me persuadai que je n'avais besoin de rien pour être heureux. Il semblait, après avoir donné le coup de pioche à l'égoïsme, que j'avais fait jaillir aussitôt de mon coeur une telle abondance de joie que j'en pusse abreuver tous les autres. Je compris que le meilleur enseignement est d'exemple. J'assumai mon bonheur comme une vocation. »

André Gide, Les Nourritures Terrestres

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27/06/2012

Jette mon livre ; dis-toi bien que ce n’est là qu’une des mille postures possible en face de la vie. Cherche la tienne.

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« Nathanaël, à présent, jette mon livre. Emancipe-t’en. Quitte-moi ; maintenant tu m’importunes ; tu me retiens ; l’amour que je me suis surfait pour toi m’occupe trop. Je suis las de feindre d’éduquer quelqu’un. Quand ai-je dit que je te voulais pareil à moi ? C’est parce que tu diffères de moi que je t’aime ; je n’aime en toi que ce qui diffère de moi. Eduquer ! Qui donc éduquerais-je, que moi-même ? Nathanaël, te le dirai-je ? Je me suis interminablement éduqué. Je continue. Je ne m’estime jamais que dans ce que je pourrais faire.

Nathanaël, jette mon livre ; ne t’y satisfais point. Ne crois pas que ta vérité puisse être trouvée par quelque autre ; plus que de tout, aie honte de cela. Si je cherchais tes aliments, tu n’aurais pas de faim pour les manger ; si je te préparais ton lit, tu n’aurais pas sommeil pour y dormir.

Jette mon livre ; dis-toi bien que ce n’est là qu’une des mille postures possible en face de la vie. Cherche la tienne. Ce qu’un autre aurait aussi bien fait que toi, ne le fais pas. Ce qu’un autre aurait aussi bien dit que toi, ne le dis pas, aussi bien écrit que toi, ne l’écris pas. Ne t’attache en toi qu’à ce que tu sens qui n’est nulle part ailleurs qu’en toi-même, et crée de toi, impatiemment ou patiemment, ah ! le plus irremplaçable des êtres. »

André Gide, Les Nourritures Terrestres

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26/06/2012

Le Verbe Être

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« Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. Le désespoir n'a pas d'ailes, il ne se tient pas nécessairement à une table desservie sur une terrasse, le soir, au bord de la mer.

C'est le désespoir et ce n'est pas le retour d'une quantité de petits faits comme des graines qui quittent à la nuit tombante un sillon pour un autre.

Ce n'est pas la mousse sur une pierre ou le verre à boire.

C'est un bateau criblé de neige, si vous voulez, comme les oiseaux qui tombent et leur sang n'a pas la moindre épaisseur. Je connais le désespoir dans ses grandes lignes.

Une forme très petite, délimitée par un bijou de cheveux.

C'est le désespoir.

Un collier de perles pour lequel on ne saurait trouver de fermoir et dont l'existence ne tient pas même à un fil, voilà le désespoir.

Le reste, nous n'en parlons pas. Nous n'avons pas fini de deséspérer, si nous commençons.

Moi je désespère de l'abat-jour vers quatre heures, je désespère de l'éventail vers minuit, je désespère de la cigarette des condamnés.

Je connais le désespoir dans ses grandes lignes.

Le désespoir n'a pas de coeur, la main reste toujours au désespoir hors d'haleine, au désespoir dont les glaces ne nous disent jamais s'il est mort. Je vis de ce désespoir qui m'enchante. J'aime cette mouche bleue qui vole dans le ciel à l'heure où les étoiles chantonnent.

Je connais dans ses grandes lignes le désespoir aux longs étonnements grêles, le désespoir de la fierté, le désespoir de la colère. Je me lève chaque jour comme tout le monde et je détends les bras sur un papier à fleurs, je ne me souviens de rien, et c'est toujours avec désespoir que je découvre les beaux arbres déracinés de la nuit.

L'air de la chambre est beau comme des baguettes de tambour.

Il fait un temps de temps.

Je connais le désespoir dans ses grandes lignes.

C'est comme le vent du rideau qui me tend la perche. A-t-on idée d'un désespoir pareil!

Au feu! Ah! ils vont encore venir...

Et les annonces de journal, et les réclames lumineuses le long du canal.

Tas de sable, espèce de tas de sable !

Dans ses grandes lignes le désespoir n'a pas d'importance.

C'est une corvée d'arbres qui va encore faire une forêt, c'est une corvée d'étoiles qui va encore faire un jour de moins, c'est une corvée de jours de moins qui va encore faire ma vie. »

André Breton, Le révolver à cheveux blanc

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25/06/2012

La petite pègre d'aujourd'hui

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« Le bidonville, c’étaient tous des prolos marocains et algériens qui bossaient à Chausson ou Simca-Poissy, des types magnifiques, graves et réservés, solennels et généreux, rien à voir avec la petite pègre d’aujourd’hui. Là tu vois que la fille de Treize a un haut-le-corps. C’est vrai, tu avais oublié, c’est de son âge, elle est toute farcie de l’idéologie des bourgeois branchés, les "jeunes des cités", dits plus simplement les "jeunes", c’est sacré, de la pure victime, ça a beau jouer du couteau et du pitbull, dealer et racketter, violer, brûler des synagogues, terroriser profs et prolos, c’est de l’hostie consacrée, oui, l’Agnus Dei des "bobos". Autrefois, quand on était marxistes, dis-tu à la fille de Treize, pas progressistes, pas humanitaires pour deux sous, on appelait cette engeance du lumpen-prolétariat, ça voulait dire à peu près la même chose que nervis, hommes de main, indics, SA, miliciens, de la main-d’œuvre à terreur, de la valetaille de dictatures. On ne se sentait pas obligés, mais alors pas du tout, d’admirer le lumpen. Mais je ne sais pas pourquoi je te parle de ça, de toute façon on ne se comprendra pas. L’idéologie, c’est la passion du faux témoignage, et c’est une passion très impérieuse. »

Olivier Rolin, Tigre en papier


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24/06/2012

C’est mon avant-poste, tout proche du Néant

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« Quand je ferme les yeux, j’aperçois parfois un sombre paysage de pierres, de falaises et de montagnes, à la lisière de l’infini. A l’arrière-plan, sur le rivage d’une mer ténébreuse, je me reconnais moi-même, minuscule figure qui est comme dessinée à la craie. C’est mon avant-poste, tout proche du Néant - là-bas, au bord du gouffre, je combats pour moi. »

Ernst Jünger, "Journal", Paris - 9 juillet 1942

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23/06/2012

Et il sentait obscurément que cette dansante fille, encore fraîche de l’eau lustrale de la pluie, était la divinité des collines, de la pinède et du printemps

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« Il avait ainsi parcouru une centaine de mètres, lorsqu’il s’arrêta brusquement : Il venait d’entendre un son léger, une sorte de clapotis… Lentement, il écarta les tiges grises des clématites, puis les feuilles charnues d’un lierre, et il la vit enfin, celle qu’il cherchait depuis l’aurore, et qui l’avait attiré jusque là.

Assise au bord d’un grand trou rond, les jambes pendantes vers l’eau, qu’elle égratignait du bout de l’orteil, elle était nue.

Une collerette de hâle descendait de son cou vers sa jeune poitrine, ses avant-bras étaient bruns jusqu’aux coudes et ses jambes jusqu’aux genoux ; mais son torse était d’un blanc de lait, et brillait d’un lumineux contraste avec les gants et les bas mordorés du soleil.

Immobile comme une pierre, il ne respirait plus...

Non loin de la bergère, sur la roche brûlante, sa robe noire et sa chemise séchaient au soleil.

Tout près d’elle, un morceau de savon carré, et son petit harmonica.

Pensive, la tête baissée, ses cheveux blonds pendants vers sa poitrine, elle balançait toujours ses jambes rondes, et des gouttes brillantes, au bout de son pied, sautaient au soleil.

Il sentit que le sang lui montait au visage, et qu’il faisait battre ses tempes : il avala deux fois sa salive, et il ne pouvait détacher ses yeux de ces blanches et tendres cuisses, élargies par leur poids sur la roche bleue. Une sombre folie commençait à monter en lui. Il leva la tête, et regarda de tous côtés : personne. Ni berger, ni bûcheron, ni braconnier. Il écouta. Nul bruit ne troublait le silence, qui tremblait à peine au son d’un grillon. Alors, il chercha des yeux le passage caché qui le conduirait derrière elle.

Mais elle se leva soudain, légère et prompte comme une chèvre, et se pencha pour ramasser la robe, qui laissa son ombre sur la pierre humide. Elle dut trouver que l’étoffe n’était pas encore sèche, car elle en habilla un cade pointu. Puis, elle se pencha de nouveau pour prendre son harmonica. Alors, elle écarta ses cheveux de sa bouche, et souffla quelques frêles accords qui enchantèrent un écho tout proche, puis elle attaqua un vieil air de Provence, et tout à coup, un bras étendu, elle se mit à danser au soleil.

Il entendit des aboiement, puis un galop léger, qui crépitait comme une pluie : les chèvres parurent au détour d’un petit cap de roche, suivies du chien noir qui les ralliait à la musique.

Le chien s’assit sur son derrière, et regarda, tandis que les chèvres, en demi-cercle, broutaient les vertes broderies des crevasses. Mais un chevreau se dressa sur ses longes pates de derière, sa petite barbe courbe repliée contre sa gorge, et les cornes pointées en avant… Il hésita quelques secondes, et s’élança vers la danseuse ; d’un pas de côté, elle l’évita, mais quand il fut au bout de son élan, il fit volte-face, et reprit le jeu.

Lancés l’un vers l’autre, ils s’évitaient et se croisaient, sans le moindre effort visible ; et le pauvre Ugolin des Soubeyran, qui cassait le manche des pioches, et qui n’avait jamais pu franchir une porte sans meurtrir son épaule au chambranle, regardait ces pieds cambrés, repoussés par la roche élastique, ce chevreau roux, aussi léger que la musique, et il ne savait plus si c’était elle qui jouait cette chanson, ou si les échos amicaux l’inventaient pour porter leur danse. Il était pris dans le mystère d’une peur émerveillée : le menton dans une lavande, il entendait battre son cœur, et il sentait obscurément que cette dansante fille, encore fraîche de l’eau lustrale de la pluie, était la divinité des collines, de la pinède et du printemps. »

Marcel Pagnol, Manon des Sources

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21/06/2012

"À peine ivre", Jean de Bosschère

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« Les mains sur le dos
à peine ivre
mieux délivré que l'ivrogne véritable
je ris !
Démoralisation sacrée,
démoralisation, sens ici du mot aigu,
point de mélodies déchues, vaines,
démoralisation sacrée !

Ce n'est point avec des roses
et une traîne de paon bleu
ni avec du genièvre, des cocktails
ni avec la cocaïne, une aile de papillon
ni avec des mots en peuples de rythmes
ni avec une épée ou un poignard
que nous montons vers cette coupe
étalée dans nos coeurs déserts,
- je dis nous avec dans moi ce ganglion chronique d'illusion -,
nous montons avec des haches et des barres de fer.

Plus de nouveaux quartiers
nos dégoûts cessent de les donner
aujourd'hui plus de pardons
le vide bondit, la tempête crève devant l'inondation.
Tout crève
la cataracte balaie les forêts des mondes,
pulvériser l'ordre, cet ordre-ci,
renverser l'ordre des séries, des hiérarchies,
plus de vifs amputés aux couteaux des morts
plus de chants patriarcaux
les pères poussés au bûcher
leurs fils y versent les huiles.
Les mains sur le dos
à peine ivre
je ris
démoralisation sacrée.
Point de bibles printanières de crimes
mais chaque jour se révolte contre la prescription de la veille.

La poésie n'a pas de frondaisons dans les jours mortels
le bras du verbe s'étend comme la béguine supplie
à travers l'éternité, ni marbre ni diamant,
poulpe ténébreux,
à travers le cyclone des signes mouvants,
matrices négatrices empoisonnées des lois,
fleurs, parfums, oiseaux, poissons, hommes, coquilles
crabe, anémone, étoile
voyageant dans les formes.

Le son d'un mot n'est point sa chair.
Le saltimbanque au balancier n'est pas poète,
mais plus arbitraire que la division du cadran d'heures
plus Sorbonne que le système décimal.
Les jours où il n'y a pas à hurler
il faut faire silence
ou murmurer dans les anthologies
ou croasser aux théâtres
devant mille monstres bêtes.

Les mains sur le dos
à peine ivre.
Et dans le vide germent trois grains de cristal
les colonnes montent dans le désert qui n'est pas l'ordre.
Les poètes sont exterminés avec leur Champagne
leurs ailes suaves que lèchent les femmes.

Sur les colonnes qui montent, la coupe vide,
hissé là, océan sans écume sans limite
un nouveau désert sur nos coeurs déserts.
Nous attendons, nous, moi
avec la hache et l'assomoir d'acier
écrasons les uniformes des pères d'hier
de demain
plus de chefs noirs, blancs, jaunes, rouges
démoralisation sacrée. »

Jean de Bosschère, Héritiers de l'abîme

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20/06/2012

Islam et Nazisme

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A la page 138 des Mémoires d'Albert Speer, on peut lire le passage suivant :

« L’image que Hitler se faisait de l’Eglise officielle apparaissait clairement dans ces propos que lui aurait tenus une délégation de notabilités arabes dont il faisait sans cesse état :

Quand, au VIIIème siècle, auraient déclaré ces visiteurs, les musulmans avaient voulu envahir l’Europe centrale en passant par la France, ils avaient été battus à la bataille de Poitiers. Si les arabes avaient gagné la bataille, le monde entier serait aujourd’hui musulman. Ils auraient en effet imposé aux peuples germaniques une religion dont le dogme, propager la foi par l’épée et soumettre tous les peuples à cette foi, était comme fait pour les Germains… Les conquérants n’auraient pas pu se maintenir contre les indigènes plus vigoureux et habitués à la rudesse de cette nature où ils avaient grandi, si bien que, pour finir, ce ne sont pas les Arabes mais les Germains, convertis à la foi musulmane, qui auraient été à la tête de cet empire mondial islamique.

Hitler avait l’habitude de conclure ce récit par la déclaration suivante : ”nous avons la malchance de ne pas posséder la bonne religion… La religion musulmane serait bien plus appropriée que ce christianisme, avec sa tolérance amollissante…” »

Albert Speer, Au coeur du Troisième Reich

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Un peuple qui s'est accompli, qui a dépensé ses talents, et à exploité jusqu'au bout les ressources de son génie, expie cette réussite en ne donnant plus rien après

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« Les institutions, les sociétés, les civilisations diffèrent en durée et en signification, tout en étant soumises à une loi qui veut que l'impulsion indomptable, facteur de leur ascension, se relâche et s'assagisse au bout d'un certain temps, la décadence correspondant à un fléchissement de ce générateur de force qu'est le délire.

Après des périodes d'expansion, de démence en fait, celles de déclins semblent sensées, et elles le sont, elles le sont même trop-, ce qui les rend presque aussi funestes que les autres.

Un peuple qui s'est accompli, qui a dépensé ses talents, et à exploité jusqu'au bout les ressources de son génie, expie cette réussite en ne donnant plus rien après. Il a fait son devoir, il aspire à végéter, mais pour son malheur il n'en aura pas la latitude.

Quand les Romains -ou ce qui en restait- voulurent se reposer, ils s'ébranlèrent en masse. On lit dans tel manuel sur les invasions que les Germains qui servaient dans l'armée et dans l'administration de l'empire prenaient jusqu'au milieu du Veme siècle des noms latins. A partir de ce moment, le nom germanique devint de rigueur. Les seigneurs exténués, en recul dans tous les secteurs, n'étaient plus redoutés ni respectés. A quoi bon s'appeller comme eux? "Un fatal assouplissement régnait partout", observait Salvien, le plus acerbe censeur de la déliquescence antique à son dernier stade.

Dans le métro, un soir, je regardais attentivement autour de moi, nous étions tous venus d'ailleurs...Parmi nous pourtant, deux ou trois figures d'ici, silhouettes embarrassées qui avaient l'air de demander pardon d'être là. Le même spectacle à Londres.

Les migrations, aujourd'hui, ne se font plus par déplacements compacts mais par infiltrations successives: on s'insinue petit à petit parmi les "indigènes", trop exsangues et trop distingués pour s'abaisser à l'idée d'un "territoire". Après mille ans de vigilance, on ouvre les portes...

Quand on songe aux longues rivalités entre Français et Anglais, puis entre Français et Allemands, on dirait qu'eux tous, en s'affaiblissant réciproquement, n'avaient pour tâche que de hâter l'heure de la déconfiture commune afin que d'autres spécimens d'humanité viennent prendre la relève. De même que l'ancienne, la nouvelle Volkerwanderung [migration de peuple] suscitera une confusion ethnique dont on ne peut prévoir nettement les phases. Devant ces gueules si disparates, l'idée d'une communauté tant soit peu homogène est inconcevable. La possibilité même d'une multitude si hétéroclite suggère que dans l'espace qu'elle occupe n'existait plus, chez les autochtones, le désir de sauvegarder ne fût-ce que l'ombre d'une identité. A Rome, au IIIeme siècle de notre ère, sur un million d'habitants, soixante mille seulement auraient été des Latins de souche. Dès qu'un peuple a mené à bien l'idée historique qu'il avait la mission d'incarner, il n'a plus aucun motif de préserver sa différence, de soigner sa singularité, de sauvegarder ses traits au milieu d'un chaos de visages.

Après avoir régenté les deux hémisphères, les Occidentaux sont en passe d'en devenir la risée : des spectres subtils, des fin de race au sens propre du terme, voués à une condition de parias, d'esclaves défaillants et flasques, à laquelle échapperont peut-être les Russes, ces derniers Blancs. C'est qu'ils ont encore de l'orgueil, ce moteur, non, cette cause de l'histoire. »

Emil Michel Cioran, Ecartèlement

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19/06/2012

La cité était à la fois la famille, l'Église et l'État

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« Plus nous remontons dans le passé, messieurs, plus nous trouvons les droits de l'État sur l'éducation de l'enfant affirmés hautement et même exagérés. Dans ces petites sociétés grecques qui sont pour nous à l'horizon de l'histoire comme un idéal, l'éducation, de même que la religion, était absolument une chose d'État. L'éducation était réglée dans ses moindres détails ; tous se livraient aux mêmes exercices du corps, tous apprenaient les mêmes chants, tous participaient aux mêmes cérémonies religieuses et traversaient les mêmes initiations. Y changer quelque chose était un crime puni de mort ; "corrompre la jeunesse", c'est-à-dire la détourner de l'éducation d'État, était un crime capital (témoin Socrate). Et ce régime, qui nous paraîtrait insupportable, était charmant alors ; car le monde était jeune, et la cité donnait tant de vie et de joie, qu'on lui pardonnait toutes les injustices, toutes les tyrannies. Un beau bas-relief trouvé à Athènes par M. Beulé, au pied de l'Acropole, nous montre une danse militaire d'éphèbes, une pyrrhique ; ils sont là, l'épée à la main, faisant l'exercice avec un ensemble et à la fois une individualité qui étonnent ; une muse préside à leurs exercices et les dirige. On sent dans ce morceau une harmonie de vie dont nous n'avons plus d'idée. Cela est tout simple. La cité antique, messieurs, était en réalité une famille ; tous y étaient du même sang. Les luttes qui chez nous divisent la famille, l'Église, l'État, n'existaient pas alors ; nos thèses sur la séparation de l'Église et de l'État, sur les écoles libres et les écoles d'État, n'avaient aucun sens. La cité était à la fois la famille, l'Église et l'État.

Une telle organisation, je le répète, n'était possible que dans de très-petites républiques, fondées sur la noblesse de race. Dans de grands États, une pareille maîtrise exercée sur les choses de l'âme eût été une insupportable tyrannie. Entendons-nous sur ce qui constituait la liberté dans ces vieilles cités grecques. La liberté, c'était l'indépendance de la cité, mais ce n'était nullement l'indépendance de l'individu, le droit de l'individu de se développer à sa guise, en dehors de l'esprit de la cité. L'individu qui voulait se développer de la sorte s'expatriait ; il allait coloniser, ou bien il allait chercher un asile dans quelque grand État, dans un royaume où le principe de la culture intellectuelle et morale n'était pas si étroit. On était probablement plus libre, dans le sens moderne, en Perse qu'à Sparte, et ce fut justement ce que cette vieille discipline des Hellènes avait de tyrannique qui fit verser le monde du côté des grands empires, tels que l'empire romain, où des gens de toute provenance se trouvaient confondus sans distinction de race et de sang. »

Ernest Renan, La Réforme intellectuelle et morale de la France

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18/06/2012

Qu’on cesse donc de nous casser la tête avec la mort

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« Quant à la mort elle‑même, elle est moins encore un problème. Qu’on cesse donc de nous casser la tête avec la mort. Que deviendrons‑nous après notre mort ? Les gens raisonnables ne se posent pas ces questions. Ils font ou ne font pas l’acte de foi, et la question est résolue. D’ailleurs, admis qu’il y ait à "penser" sur la mort, il sera temps d’y penser huit jours avant que je ne me supprime. Un homme sain ne pense à sa mort que lorsqu’il a le nez dessus. Les enfants parlent de la mort comme d’une blague qui n’arrive jamais. Là encore, prenons exemples sur eux. "Comme j’ai eu raison de réaliser beaucoup ! Comme j’ai eu raison de me faire plaisir !" »

Henry de Montherlant, Les lépreuses

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17/06/2012

Grâce et Sacrifice

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« Plus grande est la grâce qu'un homme reçoit de Dieu, plus grand est le sacrifice qu'il offrira en échange. En Jésus, le sacrifice et la grâce ont atteint leur sommet. »

Otto Weininger, Des fins ultimes

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Pas de différences entre les hommes...

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« A mesure qu'on a plus d'esprit, on trouve qu'il y a plus d'hommes originaux. Les gens du commun ne trouvent pas de différence entre les hommes. »

Blaise Pascal, Pensées

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Une nouvelle image de Dieu

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« Ce que propose tout grand écrivain, c'est une nouvelle image de Dieu. »

Jean-René Huguenin, Journal

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Avenir... Passé...

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« La vulgarité est aujourd’hui d’être "moderne", à la page, de se tenir au courant, de flairer l’avenir… Je cherche au nom de quoi on condamnerait ceux qui sont hors de leur époque. Qu’y a-t-il dans l’avenir de supérieur au passé ? »

Henry de Montherlant, carnets

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16/06/2012

Chaque nerf en lui était en éveil

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« Il était dans un état mystérieux, empli de bien-être psychique ; chaque nerf en lui était en éveil, son sang chantait et il était en communion totale avec la nature tout entière : le soleil, les montagnes et tout le reste autour de lui ; son propre moi lui répondait à travers les arbres, les arbustes et les feuilles. Son âme, tel un orgue, résonnait en un crescendo, et jamais il n'oublierait la façon dont cette douce musique coulait dans ses veines. »

Knut Hamsun, Mystères

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15/06/2012

Il y a quelque chose qui est la spécificité, la singularité et le lourd privilège de l’Occident

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« Dans l’histoire de l’Occident, il y a une accumulation d’horreurs –contre les autres tout autant que contre lui-même. Ce n’est pas là le privilège de l’Occident : qu’il s’agisse de la Chine, de l’Inde, de l’Afrique avant la colonisation ou des Aztèques, les accumulations d’horreurs sont partout. L’histoire de l’humanité n’est pas l’histoire de la lutte des classes, c’est l’histoire des horreurs bien qu’elle ne soit pas que cela. Il y a , il est vrai, une question à débattre, celle du totalitarisme : est-ce, comme je le pense, l’aboutissement de cette folie de la maîtrise dans une civilisation qui fournissait les moyens d’extermination et d’endoctrinement à une échelle jamais auparavant connue dans l’histoire, est-ce un destin pervers immanent à la modernité comme telle avec toutes les ambiguïtés dont elle est porteuse, est-ce encore autre chose ? (…)

Il y a quelque chose qui est la spécificité, la singularité et le lourd privilège de l’Occident : cette séquence social-historique qui commence avec la Grèce et reprend, à partir du XIème siècle, en Europe occidentale, est la seule dans laquelle on voit émerger un projet de liberté, d’autonomie individuelle et collective, de critique et d’autocritique : le discours de dénonciation de l’Occident en est la plus éclatante démonstration. Car on est capable en Occident, du moins certains d’entre nous, de dénoncer le totalitarisme, le colonialisme, la traite des Noirs ou l’extermination des Indiens d’Amérique. Mais je n’ai jamais vu les descendants des Aztèques, les Hindous ou les Chinois faire une autocritique analogue, et je vois encore aujourd’hui les Japonais nier les atrocités qu’ils ont commises pendant la seconde guerre mondiale. Les Arabes dénoncent ans arrêt leur colonisation par les Européens, lui imputant tous les maux dont ils souffrent –la misère, le manque de démocratie, l’arrêt du développement de la culture arable, etc. Mais la colonisation de certains pays arabes a duré, dans le pire des cas, cent trente ans : c’est le cas de l’Algérie de 1830 à 1962. Mais ces mêmes arabes ont été réduits à l’esclavage et colonisés par les Turcs pendant cinq siècles. La domination Turque sur le Proche et le Moyen Orient commence au XVIème siècle et se termine en 1918. Il se trouve que les Turcs étaient musulmans –donc les arabes n’en parlent pas. L’épanouissement de la culture arabe s’est arrêtée vers le XIème, au plus XIIième siècle, huit siècles avant qu’il soit question d’une conquête par l’Occident. Et cette même culture arabe s’était bâtie sur la conquête, l’extermination et/ou la conversion plus ou moins forcée des populations conquises. En Egypte, en 550 de notre ère, il n’y avait pas d’arabes –pas plus qu’en Libye, en Algérie, au Maroc ou en Irak. Ils sont là comme des descendants des conquérants venus coloniser ces pays et convertir, de gré ou de force, les populations locales. Mais je ne vois aucune critique de ces faits dans le cercle civilisationnel arabe. De même, on parle de la traite des Noirs par les Européens à partir du XVIème siècle, mais on ne dit jamais que la traite et la réduction systématique des Noirs en esclavage ont été introduites en Afrique par des marchands arabes à partir du XI-XIIième siècle (avec comme toujours la participation complice des rois et chefs de tribus noirs), que l’esclavage n’a jamais été aboli spontanément en pays islamique et qu’il subsiste toujours dans certains d’entre eux. Je ne dis pas que tout cela efface les crimes commis par les Occidentaux, je dis seulement ceci : que la spécificité de la civilisation Occidentale est cette capacité de se mettre en question et de s’auto-critiquer. Il y a dans l’histoire Occidentale, comme dans toutes les autres, des atrocités et des horreurs, mais il n’y a que l’Occident qui a crée cette capacité de contestation interne, de mise en cause de ses propres institutions et de ses propres idées, au nom d’une discussion raisonnable entre êtres humains qui reste indéfiniment ouverte et ne connaît pas de dogme ultime. »

Cornélius Castoriadis, La montée de l’insignifiance

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Une auto dérision qui va jusqu’à la haine de soi

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« Les défaites implacables (de juin 1940 à Diên Biên Phu) et plus encore les vaines victoires (de 1918 à l’Algérie) ont popularisé l’idée de notre déclin. C’est même devenu un lieu commun. Parce que nous ne sommes plus la puissance dominante, note très pertinemment Hubert Védrine, nos compatriotes considèrent que nous ne sommes plus rien. Chacun, chaque communauté, chaque mémoire veut se venger de ce "rien" qu’on juge suffisamment affaibli pour pouvoir être attaqué et écrasé.
L’histoire du XXe siècle pourrait se résumer à cette interrogation française existentielle : Comment trouver un rôle dans la distribution mondiale, alors qu’on n’a plus le rôle-titre, qu’on le sait, qu’on pressent même qu’on aurait dû, et pu, le conserver, et que ce déclassement vous meurtrit, même si on dissimule cette meurtrissure derrière une auto dérision qui va jusqu’à la haine de soi ? »

Eric Zemmour, Mélancolie française

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14/06/2012

Le féminisme, injure au sexe féminin ?

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« Le féminisme, injure au sexe féminin ? Et pourtant ! Y a-t-il quoi que ce soit d’injurieux à considérer qu’au bout du compte hommes et femmes diffèrent sur de nombreux points ? Rendre justice à tous, ce n’est pas parer chacun d’attributs mythiques, c’est honorer des qualités réelles. Affirmer que les sexes sont en tout point similaires, c’est non seulement énoncer une absurdité, mais c’est aussi aliéner la femme puisque c’est elle que l’on situe par rapport à l’homme. Cela, le psychologue britannique Gleen Wilson l’a très bien vu. "Ce qui échappe aux féministes, explique-t-il, c’est que leur propre position pourrait constituer la plus grosse insulte jamais faite au sexe féminin. Elle implique en effet que les femmes sont des créatures si faibles et ayant si peu de personnalité qu’elles peuvent aisément adopter (sous la pression des hommes) un comportement contraire à leur inclination, et que le comportement masculin est à ce point idéal qu’elles doivent tout faire pour chercher à l’imiter". Et Gleen Wilson ajoute fort judicieusement : "Je crois qu’hommes et femmes sont égaux en ce sens qu’ils sont prédisposés par leur nature biologique à se comporter de façon particulière et que les rôles sexuels adoptés de façon caractéristique par les hommes et les femmes sont également utiles à l’espèce".

C’est la conclusion du bon sens ; mais c’est aussi celle qu’impose la connaissance des faits. Car ainsi que l’explique Evelyne Sullerot : Quand Simone de Beauvoir dit : "On ne naît pas femme, on le devient", c’est une thèse. Mais quand on dit : "On naît bel et bien femme", c’est une constatation. »

Yves Christen , L’égalité des sexes

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13/06/2012

Le chef-d’œuvre est individuel dans son expression

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« — Je ne sais pas si tu t’en es aperçu, continue Roger ; mais les toiles des grands maîtres qui illuminent les murs des musées, les poèmes de pierre ou de marbre qui resplendissent sous leurs voûtes, sont des appels à l’indépendance. Ce sont des cris vibrants vers la vie belle et libre, des cris pleins de haine et de dégoût pour les moralités esclavagistes et les légalités meurtrières.

— Non, dis-je, je ne m’en étais pas aperçu complètement ; mais j’en avais le sentiment vague. Je le vois maintenant : c’est vrai. Rien de plus anti-social — dans le sens actuel — qu’une belle œuvre. Et le chef-d’œuvre est individuel, aussi, dans son expression ; il existe par lui-même et, tout en existant pour tous, il sait n’exister que pour un ; ce qu’il a à faire, il le dit dans la langue de celui qui l’écoute, de celui qui sait l’écouter. Il est une protestation véhémente et superbe de la Liberté et de la Beauté contre la laideur et la Servitude ; et l’homme, quelles que soient la hideur qui le défigure et la servitude qui pèse sur lui, peut entendre, s’il le veut, comme il faut qu’il l’entende, cette voix qui chante la grandeur de l’Individu et la haute majesté de la Nature ; cette voix fière qui étouffe les bégaiements honteux des bandes de pleutres qui font les lois et des troupeaux de couards qui leur obéissent. Voilà pourquoi, sans doute, les gouvernements nés du capital et du monopole font tout ce qu’ils peuvent pour écraser l’Art qui les terrorise, et ont une réelle haine du chef-d’œuvre.

— Peut-être ; moi, je te dis ce que j’ai éprouvé ; mais je n’ai pas été seul à le ressentir. Je le sais. J’ai vu les figures des serfs de l’argent, les soirs des dimanches pluvieux, lorsqu’ils sortent des musées qu’ils ont été visiter ; j’ai vu leurs fronts fouettés par l’aile du rêve, leurs yeux captivés encore par un mirage qui s’évanouit. Leur esprit n’est point écrasé sous la puissance des œuvres qu’ils ne peuvent analyser et qu’ils ne comprennent même pas ; mais ils ont eu la vision fugitive de choses belles qui ont existé et qui existent ; ils ont eu la sensation éphémère de la possibilité d’une vie libre et splendide qui pourrait être la leur et qu’ils n’auront jamais, jamais, qu’ils savent qu’ils ne peuvent pas avoir, et qu’il leur est interdit de rêver. Car ils sont les damnés qui doivent croire, dans les tourments de leur géhenne, à l’impossibilité des paradis ; qui doivent prendre — sous peine d’affranchissement immédiat — la vérité pour l’erreur et les réalités pour les chimères... Ah ! la tristesse de leurs figures, au bas de l’escalier du Louvre !

— Un philosophe allemand l’a dit : "Le besoin de servitude est beaucoup plus grand chez l’homme que le besoin de liberté : les forçats élisent des chefs."

— Il y a des exceptions. Moi, j’en suis une. J’ai l’horreur de l’esclavage et la passion de l’indépendance ; les années que j’avais passées à bord des navires de l’État ne m’avaient pas donné, comme à tant d’autres, l’habitude et le goût du collier ; au contraire. Je sentais qu’il me fallait prendre une résolution énergique et, puisque je ne voulais suivre aucune de ces routes qui mènent du bagne capitaliste à l’hôpital, m’engager résolument dans les chemins de traverse, au mépris des écriteaux qui déclarent que la chasse est réservée, et sans crainte des pièges à loups... Un jour, au Louvre, j’ai volé un tableau. Cela s’est fait le plus simplement du monde. L’après-midi était chaude ; les visiteurs étaient rares ; les gardiens prenaient l’air auprès des fenêtres ouvertes. J’ai décroché une toile de Lorenzo di Credi, une Vierge qui me plaisait beaucoup ; je l’ai cachée sous un pardessus que j’avais jeté sur mon bras et je suis sorti sans éveiller l’attention. Tu t’étonneras peut-être...

— Mais non ; je sais avec quelle rapidité les œuvres d’art disparaissent mystérieusement des musées français ; je suis porté à croire qu’avant peu il ne restera plus au Louvre que les faux Rubens qui le déshonorent et les Guidi Reni qui l’encombrent ; et que l’administration des Beaux-Arts prendra alors le parti raisonnable de placer la Source d’Ingres où elle devrait être, au milieu du Sahara. »

Georges Darien, Le Voleur

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