13/03/2008
Nietzsche, Un Voyage Philosophique
=--=Publié dans la Catégorie "Friedrich Nietzsche"=--=
"L’histoire intellectuelle de tous les temps, dans son immensité, n’offre aucun autre exemple de cette abondance, de cette extase aux épanchements enivrés, de cette fureur fanatique de la création; c’est seulement peut-être tout près de lui, et cette même année, dans la même région, qu’un peintre “éprouve” une productivité aussi accélérée et qui déjà confine à la folie: dans son jardin d’Arles et dans son asile d’aliénés, Van Gogh peint avec la même rapidité, avec la même extatique passion de la lumière, avec la même exubérance maniaque de création. A peine a-t-il achevé un de ses tableaux au blanc ardent que déjà son trait impeccable court sur une nouvelle toile, il n’y a plus d’hésitasion, de plan, de réflexion. Il crée comme sous la dictée, avec une lucidité et une rapidité de coup d’oeuil démoniaques, dans une continuité incessante de visions." ( "La lutte avec le démon - Nietzsche" Stefan Zweig )
« - Alors j'entrepris quelque chose qui ne pouvait être l'affaire de tout le monde : je descendis dans les profondeurs : je me mis à percer le fond, je commençai à examiner et à saper une vieille confiance, sur quoi, depuis quelques milliers d'années, nous autres philosophes, nous avons l'habitude de construire, comme sur le terrain le plus solide, - et de reconstruire toujours, quoique jusqu'à présent chaque construction se soit effondrée : je commençai à saper notre confiance en la morale. [...] En nous s'accomplit, pour le cas où vous désireriez une formule, - l'autodépassement de la morale.» Friedrich Nietzsche - "Aurore" (Avant-propos)
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06/12/2007
Réponse à Camuray... à propos de Nietzsche.
=--=Publié dans la Catégorie "Friedrich Nietzsche"=--=
Il y a 3 jours de ça, un certain Camuray m'a laissé le commentaire qui suit à propos d'une ancienne note datant de juin 2007 :
"J'aime vos articles, vos idées "politiquement-incorrectes" et les références dont vous usez constamment.
Néanmoins, je vous trouve toujours ça et là quelques points d'égarement dans vos pertinentes analyses, et je me trouve quelques points de désaccord avec vos interprétations ; en l'occurrence, pour ce qui concerne cet article, vos interprétations nietzschéennes.
D'abord, vous dites que le Maître ne cherche pas à dominer l'homme mais à l'éclairer ; or je vous laisse apprécier cet extrait d'un texte de Marc Sautet (spécialiste de Nietzsche) :
"Affirmer que le puissant ne peut désirer dominer puisqu'il est par définition puissant, pas plus que l'être vivant ne peut désirer vivre puisqu'il vit, ce n'est guère plus que jouer sur les mots.
Car enfin on peut perdre la vie ; ne peut-on perdre le pouvoir ? Qu'est la puissance sans le pouvoir ? Qu'est la puissance sans la domination ? Qu'est "la force" sans ce qu'elle peut ?
[...]
Il est tout de même scabreux de faire comme si Nietzsche ne parlait pas de domination sur l'autre, et par conséquent de "pouvoir" lorsqu'il parle de Wille zur Macht."
Par ailleurs, Nietzsche ne cesse dans ses écrits polémiques de justifier l'existence d'esclaves, déclarant que ce système de vie est la condition de toute grande civilisation.
Ensuite, il me semble erroné d'affirmer que Nietzsche appelle "hommes supérieurs" l'élite qui nous gouverne ; les hommes supérieurs sont au contraire la perle de l'humanité, que Zarathoustra, certes, en tant que véritable Surhomme, ne peut s'empêcher de moquer légèrement ; mais qui restent les représentants de l'élite humaine telle que Nietzsche la conçoit.
Enfin, l'esprit de Nietzsche est rempli de nuances ; et son amour pour les juifs a parfois ses retenues. (retenues pouvant facilement être assimilées, avec quelque malveillance, pour une véritable aversion). Je vous laisse juger de ce passage :
"Rome contre la Judée, la Judée contre Rome. - Il n'y eut point jusqu'à ce jour d'évènement plus considérable que cette lutte, ce point d'interrogation, cette contradiction mortelle. Rome sentait dans le Juif quelque chose comme la contre-nature même, un monstre placé à son antipode : à Rome, on considérait le Juif comme "un être convaincu de haine contre le genre humain" : avec raison, si c'est avec raison que l'on voit le salut et l'avenir de l'espèce humaine dans la domination absolue des valeurs aristocratiques, des valeurs romaines."
J'ai d'autres extraits, peut-être plus convaincants. Mais je laisse cela à plus tard ; je suis fatigué et vous souhaite le bonsoir.
Ecrit par : Camuray | 02.12.2007
Vous pouvez voir la note à laquelle Camuray réagit==> ICI.
Comme ma réponse est assez dense, malgré un style spontané, j'ai pris la décision de la présenter sous forme de Note... même maladroite. Elle fait également résonance avec ma note "Esclaves".
Allons donc, Camuray, vous allez y aller, vous aussi, de votre lecture littérale, sortant les passages de leur Corpus, les effluves verbales détournées de leurs cibles pour tout prendre au pied de la lettre et comme dans la Bible piétiner l’esprit du penseur en prenant tout au mot à mot, pour ne pas dire aux maux des mots. Les derniers à avoir fait ainsi se nommaient Hitler, Mussolini, Goebbels, Hess et les résultats sont connus de tous. Montagne de chair et de sang de quelque 60 000 000 de cadavres. Ou alors vous pouvez faire comme Comte-Sponville et Ferry et clamer « Pourquoi nous ne sommes pas nietzschéens ? ». Bêtise.
Il convient de replacer les fulgurances nietzschéennes dans le Bloc mouvant de sa pensée. Lorsque Nietzsche critique radicalement le Judaïsme, cher Monsieur, au scalpel, c’est en psychologue des affaires religieuses qui ont contribué à nous fonder, voyez-vous, dans le passage que vous évoquez, il procède hiérarchiquement par opposition critique, Rome (qui ne le laisse pas indifférent, lui qui a coupé court ses liens avec la « moraline »< protestante) contre la Judée, mais il ne s’en prend nullement, aucunement, en rien au peuple juif lui-même. Il faut savoir que son exigence vis-à-vis d’autrui, il l’oriente avant tout contre lui-même dans un premier temps et au final il n’épargne pas du tout le peuple allemand (précisant « D'autre part, je suis peut-être plus allemand que ne sauraient encore l'être ceux d'aujourd'hui, simples Allemands de l'Empire, moi qui suis le dernier Allemand antipolitique ».)et en vient à regretter de n’être pas né français et d’écrire dans la même langue que Montaigne ou La Rochefoucauld. « Le casque à pointe allemand » n’est pas de son domaine, ni « la bête à corne nationaliste ». Il critique le Judaïsme avec la même violence qu’il critique le Christianisme. Voyez « L’Antéchrist » ou « La Généalogie de la Morale » ou ni le judaïsme, ni le christianisme ne sont épargnés.
En outre, ne vous en déplaise, votre lecture ayant distordu ses postulats, il fait l’éloge des Juifs en tant que peuple (« peuple aristocratique par excellence ») sur des pages entières dans « Par-delà Bien et Mal » et stigmatise littéralement les antisémites qui sont, alors, une force émergeante en Allemagne. Je ne vais pas vous citer ici les passages en question, les réservant, pour très bientôt, pour ma catégorie « Le Salut par les Juifs ».
Je ne me suis égaré en rien, chacun de mes retours à l’œuvre de ce penseur étant, pour moi, un enrichissement supplémentaire et une redécouverte toujours plus étayée quant à sa pensée nullement arrêtée, comme votre commentaire le laisse entendre, mais nettement « perspectiviste ». Son « Wille Zur Macht » n’est pas « Volonté de Puissance » mais bien « Volonté Vers la Puissance » non figée, possible non dans la sclérose d’un pouvoir dominateur, mais dans l’ascèse joyeuse qui tend à éduquer et domestiquer les instincts.
Et c’est là que se situe sa scission entre maître et esclaves, et entre « Surhomme » et « Hommes supérieurs ». Mais il faut avoir ruminé ces notions durant quelque temps avant que la cervelle ne se disloque vers la lumière de la compréhension. Le « Will Zur Macht » souffre encore de sa première traduction, traduction qui plus est d’une œuvre montée de toute pièces par la poufiasse de sœur du philosophe. On souffre de le savoir pris en charge par cette sangsue au moment du foudroiement ultime, cette mégère mal baisée, qui de sa propre main (les travaux des philosophes Colli et Montinari l’ont montré) a falsifié la lumière du visionnaire. Cela participe d’une grande lourdeur que de nier l’évidence pour qui sait lire. Et avez-vous, Camuray, ouvert tous ses livres, disons au moins de « La Naissance de la Tragédie » à « Ecce Homo » en en savourant les invectives et en faisant la guerre à vous-même au fur et à mesure que les vérités acides apparaissaient, puis se faisant plus douces à mesure que la compréhension émergeait des eaux sombres de l’Être ? « Le cul de plomb, je le répète, c'est le vrai pêché contre l'Esprit. » affirme notre moustachu dans « Ecce Homo ». En peu de mots, Camuray, savez-vous lire ? Et je dis ça sans méchanceté aucune. Je vous titille autant que vous avez tenté de me titiller avec votre commentaire.
Maîtres ? Esclaves ? Nietzsche s’interdit le mépris de la Nature. Il désire tenir compte du « sens de la terre ». La Volonté de Puissance (« Zur Will Macht ») dans les multiples formes qu’elle prend, par lesquelles elle se manifeste, nous indique qu’il n’y a pas d’absurdité dans la sphère de la nature. Il faut s’appeler Sartre pour le croire, ou être jeune et enflammé sous tentation Nihiliste. Chose courante en nos temps post-modernes même pour des adultes suçant leur pouce. C’est à croire que nous ne sommes même plus au temps du dernier homme, mais au règne du premier homme totalement inversé. À vomir.
La Nature dans sa prodigalité dionysiaque sait être aussi apollinienne. Comme si une Raison Supérieure, une « Grande Raison », Nietzsche le note en maints endroits, mais je n’ai pas le temps d’aller fouiner, je ramasse mes forces pour vous répondre et, vu mon état physique, cela tient déjà du miracle. Chaque organisme est admirablement constitué en sa structure interne se déployant de l’intérieur vers l’extérieur, de l’extérieur vers l’infiniment petit interne. Chaque organisme est parfaitement hiérarchisé par rapport aux autres organismes. La formation, la constitution, l’évolution, même de l’organisme le plus humble, sont présidés par un Ordre dont la Volonté de Puissance est l’expression la plus élémentaire. La fleur n’a de sens que se déployant vers le Soleil et l’individu n’a de sens que dans l’expansion qu’il a sur l’Univers.
Mais pour avoir une expansion digne de ce nom, il faut commencer par soi-même. L’intelligence qui nous couronne, Camuray, nous indique le chemin de l’ascèse jubilatoire, de « La Sculpture de Soi » dirait le controversé Michel Onfray. Cette « Grande Raison » qui s’insinue mêmes dans « le corps, cette raison supérieure » est garante d’harmonie et de Beauté, de perfection que Nietzsche décèle dans l’acte innocent et instinctif, tandis que l’intellect raisonnable conduit souvent paradoxalement à la barbarie. D’où le rejet de Nietzsche de toute condamnation morale de l’instinct.
Dans son œuvre en chantier devenue par les manipulations de sa sœur « La Volonté de Puissance » Nietzsche notait : « Il doit y avoir de la beauté dans le moindre phénomène intérieur au corps ; toute beauté de l’âme n’est qu’un symbole et une vue superficielle à côté de cette foule d’harmonies profondes. » Nietzsche, ici, condamne la lecture que le christianisme fait de la pulsion instinctive. Du moins, il manque de nuances, car c’est la lecture qu’un christianisme déjà dégénéré en son temps (que dirait-il aujourd’hui après Vatican II ?) fait de la pulsion instinctive. Car la Bible nous invite bien à diviniser également nos instincts et non pas à les nier, mais ceci est un autre débat concernant un monument qu’on a également bien trop souvent pris au pied de la lettre en en piétinant l’Esprit, toutes confessions confondues.
Toujours dans « La Volonté de Puissance » : « L’intolérance de la morale est une expression de la faiblesse de l’homme ; il craint sa propre "immoralité", il a besoin de nier ses instincts les plus forts parce qu’il ne sait pas les employer. »
Nous voici, très précisément, chez les esclaves.
Esclave celui qui procède ainsi, se niant lui-même dans une auto-castration qu’il croit souveraine et qui ne l’est nullement.
Esclave celui qui par son nombre domine vraiment les rares, les élus, les forts qui au milieu de la fourmilière n’ont de prise sur rien si ce n’est sur eux-mêmes.
Esclaves les « contempteurs du corps » qui souhaitent au plus fort d’eux-mêmes rendrent malades, faibles et autant soumis qu’ils le sont eux les forts, les vrais justes, les vivants, pour le dire en un mot, les maîtres. Car ceux-là sont exactement des maîtres du fait qu’au fil de leurs jours ils oeuvrent à se maîtriser d’avantage, à repousser plus loin leurs limites, à déployer plus judicieusement leurs forces, guidés par un principe qui aborde le problème essentiel de l’éducation des instincts conformément aux impératifs de la plus saine psychanalyse, car il ne convient nullement de mater les instincts juste pour les soumettre, encore moins de les extirper, de les anéantir, mais au contraire, fût-ce en les fléchissant provisoirement sous l’assujettissement d’un ordre intransigeant, il convient de les embellir, de les sculpter, de les façonner, de les diviniser avec assurance. Ainsi la simple pulsion sexuelle, pour ne prendre que cet exemple, peut devenir érotisme, jeu innocent, hédoniste et vivifiant, sacre de la chair et non stupide purge consumériste.
Une fois ce dressage accompli vient la joyeuse liberté de l’homme maître de lui-même, et forcément, par extension, maître des autres, non dans le sens où il les dominerait tyranniquement, mais simplement parce que sa compréhension du monde lui donne une lecture de l’existence plus profonde et hiérarchisée jusque dans ses nuances les plus délicates. L’indépendance gaillarde, l’ami, de l’homme enfin rendu à lui-même, et dont les instincts s’harmonisent entre eux et agissent spontanément pour le guider dans la direction où va le meilleur de lui-même.
Il convient à celui qui parvient à une certaine maîtrise de ses instincts, qui « entre en possession du sol le plus fécond » de jeter dans ce terrain « la semence des bonnes œuvres spirituelles » sinon toutes sortes de « mauvaises herbes » et de « diableries » se mettront à y foisonner. Car si l’instinct n’est pas sublimé comme il se doit de l’être, c’est un comportement d’esclave inconscient de l’instinct qu’il a juste étouffé qui s’en viendra réclamer « grossièrement et avidement un morceau d’esprit ». Regardez les larmoyantes révoltes de notre temps, les gesticulations meurtrières des lascars de nos cités malades. On en est là. Révoltes d’esclaves avec des idées d’esclaves, soumis par d’autres esclaves se prenant pour des maîtres et qui ne sont, au mieux, que des « hommes supérieurs » (Alexandre le Grand, Louis XIV, Napoléon) mais en aucun cas des « surhommes », la plupart du temps des nains, vraiment.
La lecture que fait Nietzsche des Maîtres et des Esclaves au cours de l’histoire politique et/ou philosophique de l’humanité a un but bien précis : tirer des figures typologiques du maître et de l’esclave tels qu’ils s’illustrent au cours du temps.
Et que disent ces figures typologiques ? Simplement que les uns sont réactifs et les autres actifs. Vous devinez, j’espère, ici, que les réactifs sont les esclaves et les actifs les maîtres. Dans sa « Généalogie de la Morale » il aborde ce continent de la réflexion avec les instruments nécessaires : pincettes, scalpels et… marteau ! Le maître n’a pas besoin de se définir comme supérieur à l’esclave. Il l’est simplement. Voilà. Ce n’est pas une histoire de comparaison. Il est l’incarnation des forces actives qui ont fait le ménage dans leurs réactions épidermiques. D’où le malaise que j’éprouve toujours lorsque l’on vient à me traiter de « réactionnaire », car j’ose toujours espérer que mon parcours ne s’inscrit pas uniquement dans une vocifération des aigreurs, mais tente une construction de soi plus en accord avec cette « Grande Raison » que j’évoquais plus haut. Le maître et l’esclave, chez Nietzsche, ne sont pas comme chez Hegel, attachés l’un à l’autre. Dans l’irruption de sa philosophie en tant que telle il n’est pas question de ça. Ils sont des antinomies, pour être plus précis. Là où le réactif va geindre sans cesse, l’actif va chercher à se dépasser toujours plus, à supporter ce qui est avec une abnégation joyeuse plutôt qu’avec une résignation ravalée. L’un est plein de ressentiment et de haine. L’autre, ces sentiments lui sont inconnus, ou alors il se soigne. Comme le dit Nietzsche dans « Ecce Homo », il est un décadent, certes, mais il est aussi son contraire radical. Ayant la décadence en sa conscience il met en œuvre une discipline et une lecture de soi et du monde qui va lui permettre de se délester toujours plus du poids qui l’empêche de marcher avec droiture et de danser avec légèreté. « Une manifestation naturelle de la force, sans arrière-pensée » qui entreprend ce qu’il y a à entreprendre instinctivement, avec confiance, en acceptant, en disant « oui » à ce qui est. Sa supériorité et sa fierté sont gages de Bonheur.
L’esclave est l’inversion, l’opposé, le contraire de ça. Il est faible mais voudrait être aussi fort que le maître, n’y parvenant pas, bien entendu, il en nie les valeurs, ou plutôt les inverse. Il aimerait être aussi confiant que le maître et s’aimer tout autant que le maître s’aime. « Aimer les autres comme soi-même » nous invite la bible. Oui, il faut d’abord s’aimer soi-même pour pouvoir aimer les autres et non pas se haïr de toutes ses forces introverties tout en clamant qu’on aime les autres. Cet « amour du prochain » est une illusion néfaste dont se détourne Nietzsche et, à bien y réfléchir, il n’a rien à voir avec la Bible non plus. L’esclave en est, un esclave, non à cause de l’Ombre menaçante du maître, mais parce qu’il ne parvient pas être autre chose.
Esclave de ses passions, de ses pulsions, de ses fantômes familiaux, de ses peurs, de ses doutes, de sa haine. Alors les faibles se regroupent entre eux, entre semblables, pour faire corps, pour faire masse et se croire plus forts. Et cultiver entre eux, car ça les rassure, le sentiment de vengeance, le désir de vengeance. Car ça fait bander. L’esclave étant vindicatif, hostile, même si le maître ne cherche pas à lui mettre des bâtons dans les roues, même s’il cherche à l’éclairer, sa simple Puissance suffit à rendre l’esclave déprimé de jalousie. Là où le maître habite littéralement sa Vie, l’esclave subsiste. Plus un individu habite sa Vie, plus il tend vers la maîtrise. Moins il l’habite plus il tend vers la soumission. C’est une école de toute une vie. Pas une solution que l’on obtient par un claquement de doigts. Le maître ne se pose pas des questions inutiles. Il se pose les bonnes questions. Non pas : qu’est-ce qui est bon ? et qu’est-ce qui est mal ? Mais plutôt : pourquoi ceci est bon ? pourquoi ceci est mal ? Face aux rages de dents ambiantes, le maître sait, du coup, être superficiel. Dandy. Soigner la forme sans négliger le fond. Et soigner à tel point la forme, parfois, qu’il y accordera une importance précise mais nonchalante et détachée. Alors que l’esclave, de toute la force de son incapacité à penser va élaborer les théories les plus aléatoires pour tenter de se sortir de sa condition dont il ne mesure aucunement le poids authentique. Et tout cela sera dirigé par l’instinct de vengeance.
La Force de l’esclave est dans sa faiblesse. Encore une antinomie nietzschéenne. L’esclave peut en arriver à acquérir de la profondeur, mais de la profondeur sombre et néfaste, là où le maître demeure en surface, dans une incarnation sûre d’elle qui est simple affirmation. L’Esclave devient, alors, ce que Nietzsche nomme « un animal intéressant » car sa pensée se déploie tant bien que mal. Et lorsque les hasards de la Vie et de l’Histoire propulsent l’Esclave vers de hautes fonctions, surtout au sein des sociétés démocratiques, il garde en lui toutes les caractéristiques que je viens de décrire et qui font de lui, envers et contre tout, un esclave dont les cheveux se hérissent au moindre cliquetis de ses propres chaînes.
Et, bien entendu, le maître comme l’esclave ne sont, ni l’un ni l’autre, tributaires d’une caste de sang, d’argent ou de misère. Seul l’esprit, ici, compte et mène la danse.
Voici l’Homme, oui voici le Maître : « La grandeur de l'homme s'exprime dans son amor fati, voilà ma formule ; ne pas demander de changement, ni au passé, ni à l'avenir, ni à l'éternité. II ne faut pas se contenter de supporter ce qui est nécessaire, - il faut encore moins le cacher, tout idéalisme est mensonge en face de la nécessité, il faut l'aimer. » (Ecce Homo)
00:40 Publié dans Friedrich Nietzsche | Lien permanent | Commentaires (71) | Tags : Nietzsche | | del.icio.us | | Digg | Facebook
28/08/2007
Très douce Solitude...
=--=Publié dans la Catégorie "PARENTHÈSE"=--=
« J'ai peu à peu rompu presque toutes mes relations humaines, par dégoût de voir que l'on me prend pour autre chose que ce que je suis. »
Friedrich Nietzsche à Mawilda von Meysenbug, Lettre du 20 octobre 1888
20:16 Publié dans Parenthèse | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Nietzsche, Solitude | | del.icio.us | | Digg | Facebook
23/07/2007
Condamnés
=--=Publié dans la Catégorie "Brèves"=--=
Les hurlements de Nietzsche ont traversé tout le 20ème Siècle. Massacres. Sang. Horreur. Négation du corps jusque dans sa pseudo-libération. Mise en troupeau du bétail humain. Règne de plus en plus évident de la médiocrité. Planification et normalisation en cours. Tout part en couilles !
On s’en sortira ! On est condamnés à s’en sortir.
« Je suis tourné vers ceux qui portent le don de l'inquiétude et je crie vers eux. » Pierre Drieu la Rochelle
Ah oui... je viens de citer un Salaud. Certes. Mais quel écrivain ! Et aux Chiens je dis que son Suicide l'a lavé.
07:00 Publié dans Brèves | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Pierre Drieu la Rochelle, Nietzsche | | del.icio.us | | Digg | Facebook
11/07/2007
Amen IV
=--=Publié dans la Catégorie "Brèves"=--=
Les pages peuvent se remplir éternellement. La phrase si on la commence n’a de cesse de s’élancer souveraine à la conquête de la plénitude entourée de vide dans le maelström des poussières d’étoiles voguant dans les traînées des planètes et des supers novas brûler même le moindre point la moindre virgule pour que rien ne s’arrête dans l’explosion initiale qui se commente elle-même et se congratule d’un rire en avancée lumineuse et mortuaire vers ses syllabes étirées de plaintes de rires de larmes ondoyantes en vibrantes prières à soi-même danse danse chant charmes cherche la joute le conflit le combat avec l’ange la justification de Job le Rire de Sarah l’enfantement même barbare surtout barbare dans ce qui se dit sortant de soi s’accouchant sereinement comme par enchantement Scientifique dans le mystère de l’énergie de la matière et de l’esprit impliqué caché inaccessible sombre et lumineuse Divinité par-delà Bien et Mal implication dans le Réel et l’Objectif Subjectif des affres de ce qui doit être est déjà est depuis toujours avant même le dépliement des rouleaux dont le nôtre avec ses galaxies innombrables infinies dans ses eaux là séparées des autres tout se surprend soi-même par l’espiègle Jeu d’avoir été d’être et à venir sans cesse de ce mystère se dévoilant progressivement quand les « pieds de nez » des particules les font se dédoubler d’informations en informations pour le programme de la promesse…
07:35 Publié dans Brèves | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Dieu, Physique Quantique, Combat avec le Démon, Fièvres Antiques, Mysticisme, Nietzsche, Job | | del.icio.us | | Digg | Facebook
04/07/2007
Indigènes des bas-fonds
=--=Publié dans la Catégorie "Franc-tireur"=--=
Je ne suis pas un fan de Le Pen. Lorsqu’il fait ses jeux de mots déplacés sur les « points de détails de l’histoire » ou la capacité des noirs à mieux courir que les blancs et des blancs à mieux nager que les noirs, je songe à Nietzsche qui écrivait : « NE FREQUENTER PERSONNE QUI SOIT IMPLIQUÉ DANS CETTE FUMISTERIE EFFRONTÉE DES RACES ! »
Mais là où je veux en venir c’est que notre beau pays qui a le nez dans ses couilles, au chaud, et hésite à se poser les bonnes questions, va finir par donner raison à ses ennemis.
Que Le Pen faisant jaillir quelques unes de ses purulences verbales fasse frémir la France entière, personne ne trouvera rien à y redire. Seulement voilà, je ne reste pas scotché devant ma télévision à suivre les programmes dits culturels et je peux passer à côté de certaines stances nauséeuses qui peuvent avoir lieu ici ou là. Mais ce n’est qu’aujourd’hui, et par un heureux hasard, que j’ai pris connaissance de ce que je vais vous narrer à présent, à moins que vous ne soyez déjà au courant.
Le Pen, donc, y va d’un jeu de mot déplacé et la France entière gesticule aussitôt. Par contre, sur France 3, le 21 Juin dernier, pendant l’émission de Frédéric Taddéi, « Ce soir ou jamais », nous avons eu droit à quelques insultes bien racistes du nouveau héraut des banlieues déshéritées, la nommée Houria Bouteldja.
Á 32 ans, Houria Bouteldja passe son temps à dénoncer l’attitude française lors de la colonisation en Algérie ainsi que les discriminations au quotidien dont seraient victimes, aujourd’hui encore, tous les immigrés originaires des colonies d’Afrique du Nord. Lorsqu’elle apparaît en plus à la télévision, on se demande si elle ne devrait pas être déflorée analement histoire de décrocher enfin un sourire. On devrait en souffler deux mots à son mec… si elle en a un ! Car elle a le minois fort joli, la Houria, mais une gueule tellement haineuse et le regard tellement injecté de ressentiments divers (bien étayés par ses propos… toujours d’un niveau intellectuel très minable) qu’on imagine le pire si une créature de son espèce en venait à avoir du pouvoir. Car du pouvoir elle en a sûrement un peu. Mais encore à un niveau très restreint. D’abord militante dans le « Collectif une Ecole Pour Toutes et Tous (CEPT) », elle co-fonde « Les Blédardes », pour faire de l’ombre au mouvement « Ni Putes ni Soumises ». Pure réaction de jouvencelle mal affirmée. Comme quoi les réactionnaires se cachent là où on ne les voit pas. Et les « Blédardes », laissez-moi vous dire qu’un nom pareil ça vous annonce la couleur en comparaison de « Ni Putes ni Soumises ». Elle a ensuite participé à la création du mouvement « Les Indigènes de la République », dont elle est la porte-parole. Et les propos qu’elle a tenus, elle les a tenus avec la condescendance de toute la presse française qui n’a pas osé faire de vagues, le journal « Marianne » mis à part qui y fait allusion dans son numéro du 30 Juin, soit 9 jours plus tard.
Au cours de cette émission, avec sa logique habituelle, Houria Bouteldja après avoir déversé son fiel sur les français de souche, tous racistes, xénophobes,colonialistes en puissance (puisque, d’après elle, ils pratiquent le colonialisme en banlieue) et, bien entendu, islamophobes, les opposant systématiquement aux français d’origine immigrée, a eu les propos hallucinants suivants :« Il faut rééduquer le reste de la société, la société occidentale. Nous, on les appelle les sous-chiens, parce qu’il faut bien leur donner un nom : les Blancs ! ».
Bien entendu, la porte-parole des « Indigènes de la République » pourra affirmer qu’elle a parlé de « souchiens » et non de « Sous-chiens », désirant signifier « Français de souche », et elle parviendra à jongler , tel un Le Pen dans ses jeux de mots les plus douteux, avec l’ambiguïté dont les médias sont friands pour s’innocenter.
« Les Indigènes de la République » n’existaient pas encore, en septembre 2003 Houria Bouteldja avait déjà qualifié Pascal Mohamed Hilout, coupable à ses yeux de défendre la laïcité, la République et l’intégration en s’opposant au voile, de « bougnoule de service », lors d’une réunion parisienne.
La dérive évidente de ce mouvement, « Les Indigènes de la République », fortement soutenu par l’autre raclure intellectuelle de service, Tariq Ramadan, encourage et nourrit, en miroir, positif/négatif, négatif/positif, un racisme contre les Blancs qui est le pendant de celui des extrémistes de droite les plus durs contre les gens de couleur.
« Sous-chiens/souchiens », « bougnoule de service ». Ce ne sont pas là les seules dérives de cette pauvre fille. Mustafa Al Ayyubi, correspondant de Respublica rapporte d’autres propos ambigus tenus par cette hystérique au cœur vengeur à Paris, le 14 Avril 2007 :« Nous ne sommes pas tous des Fadela Amara, des Malek Boutih, des Fodé Sylla, des Azouz Begag. »
Ou celui-là très beau :
« Nous sommes pour la résistance palestinienne, qu'elle s'appelle Hamas ou pas, Hezbollah ou pas ».
Jolie résistance, n’est-ce pas ?
Mustafa Al Ayyubi signalait aussi que pendant la prise de parole d’ Houria Bouteldja, un négationniste de la Vieille Taupe distribuait tranquillement sa propagande. Quand je vous dis que le Fascislamisme existe bel et bien et que les Nazislamistes sont de plus en plus nombreux, fondant leur vision du monde sur des critères intellectuels aussi profonds que ceux de ce sordide petit caporal qu’était Hitler. Ces liens entre la Droite la plus extrême, la Gauche la plus Radical et l’Islamisme le plus moyenâgeux est le prochain stade auquel la civilisation devra faire face si elle veut pérenniser son souffle. Après le Rouge et le Brun, puis le Rouge/Brun, voici le Rouge/Brun/Vert. Ce qui me fait songer à la « Vache bariolée » de Nietzsche, encore, et au « dernier homme » clignant les yeux, ébahi, devant elle, devant cette mascarade.
En 2004, nos chers « Indigènes de la République » ont même produit un film contre la laïcité : « Un racisme à peine voilé ».
Ce film, et les propos tenus régulièrement par Houria Bouteldja et sa horde sont bien plus dangereux quant à leurs conséquences que les écarts de langage d’un Jean-Pierre Chevènement qui s’était fait remonter les bretelles par tous les médias de gauche et les bien-pensants de ce pays à la dérive parce qu’il avait, à très juste titre, qualifié les voyous des banlieues de « sauvageons » !
Le Racisme est peut être une opinion, mais il est surtout un délit dans ce pays. Enfin… un délit quand ça arrange.
00:10 Publié dans Franc-tireur | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : Racisme, Nietzsche, Islam | | del.icio.us | | Digg | Facebook
02/07/2007
Joseph de Maistre par... Phillipe Sollers
Téléchargez une émission sur Joseph de Maistre, en fichier mp3, du Canal Académie... ICI
"Connaissez-vous Joseph de Maistre ( 1753-1821 ) ? Non, bien sûr, puisqu'il n'y a pas aujourd'hui d'auteur plus maudit. Oh, sans doute, vous en avez vaguement entendu parler comme du monstre le plus réactionnaire que la terre ait porté, comme un fanatique du trône et de l'autel, comme un ultra au style fulgurant, sans doute, mais tellement à contre-courant de ce qui vous paraît naturel, démocratique, sacré, et même tout simplement humain, qu'il est urgent d'effacer son nom de l'histoire normale. Maistre ? Le diable lui-même. Baudelaire, un de ses rares admirateurs inconditionnels, a peut-être pensé à lui en écrivant que personne n'était plus catholique que le diable. Ouvrez un volume de Maistre, vous serez servis.
Maudit, donc, mais pas à l'ancienne, comme Sade ou d'autres, qui sont désormais sortis de l'enfer pour devenir des classiques de la subversion. Non, maudit de façon plus radicale et définitive, puisqu'on ne voit pas qui pourrait s'en réclamer un seul instant. La droite ou même l'extrême-droite ? Pas question, c'est trop aristocratique, trop fort, trop beau, effrayant. La gauche ? La cause est entendue, qu'on lui coupe la tête. Les catholiques ? Allons donc, ce type est un fou, et nous avons assez d'ennuis comme ça. Le pape ? Prudent silence par rapport à ce royaliste plus royaliste que le roi, à ce défenseur du Saint-Siège plus papiste que le pape. Vous me dites que c'est un des plus grands écrivains français ? Peut-être, mais le style n'excuse pas tout, et vous voyez bien que son cas est pendable. Maistre ? Un Sade blanc . Ou, si vous préférez, un Voltaire retourné et chauffé au rouge.
D'où l'importance, pour les mauvais esprits en devenir, de ce recueil de certaines des oeuvres les plus importantes de ce maudit comte, « Considérations sur la France », « les Soirées de Saint-Pétersbourg », « Eclaircissements sur les sacrifices », chefs-d’œuvre rassemblés et présentés admirablement par Pierre Glaudes, avec un dictionnaire fourmillant d'informations et de révélations historiques. Vous prenez ce livre en cachette, vous l'introduisez dans votre bibliothèque d'enfer, le vrai, celui dont on n'a aucune chance de sortir. Ne dites à personne que vous lisez Joseph de Maistre. Plus réfractaire à notre radieuse démocratie, tu meurs.
Cioran, en bon nihiliste extralucide, lui a consacré, en 1957, un beau texte fasciné, repris dans « Exercices d'admiration » ( Gallimard , coll. « Arcades », 1986 ). Il reconnaît en lui « le génie et le goût de la provocation », et le compare, s'il vous plaît, à saint Paul et à Nietzsche. Bien vu. Le plaisir étrange qu'on a à le lire, dit-il, est le même qu'à se plonger dans Saint-Simon. Mais, ajoute Cioran, « vouloir disséquer leur prose, autant vouloir analyser une tempête ». Le style de Maistre ? Voici : « Ce qu'on croit vrai, il faut le dire et le dire hardiment ; je voudrais, m'en coûtât-il grand-chose , découvrir une vérité pour choquer tout le genre humain : je la lui dirais à brûle-pourpoint . »
Feu, donc, mais de quoi s'agit-il ? Evidemment, encore et toujours, du grand événement qui se poursuit toujours, à savoir la Révolution française, dont Maistre a subi et compris le choc comme personne, devenant par là même un terroriste absolu contre la Terreur. Ecoutez ça : « Il y a dans la Révolution française un caractère satanique qui le distingue de tout ce qu'on a vu et peut-être de tout ce qu'on verra. » Cette phrase est écrite en 1797, et, bien entendu, le lecteur moderne bute sur « satanique », tout en se demandant si, depuis cette définition qui lui paraît aberrante, on n'a pas vu mieux, c'est-à-dire pire. Dieu aurait donc déchaîné Satan sur la terre pour punir l'humanité de ses crimes liés au péché originel ?
Maistre est étonnamment biblique, il se comporte comme un prophète de l'Ancien Testament, ce qui est pour le moins curieux pour ce franc-maçon nourri d'illuminisme. Mais voyez-le décrivant la chute du sceptre dans la boue et de la religion dans l'ordure :
« Il n'y a plus de prêtres, on les a chassés, égorgés, avilis ; on les a dépouillés : et ceux qui ont échappé à la guillotine, aux bûchers, aux poignards, aux fusillades, aux noyades, à la déportation reçoivent aujourd'hui l'aumône qu'ils donnaient jadis... Les autels sont renversés ; on a promené dans les rues des animaux immondes sous les vêtements des pontifes ; les coupes sacrées ont servi à d'abominables orgies ; et sur ces autels que la foi antique environne de chérubins éblouis, on a fait monter des prostituées nues. »
Et ceci ( au fond toujours actuel ) : « Il n'y a pas d'homme d'esprit en France qui ne se méprise plus ou moins. L'ignominie nationale pèse sur tous les cœurs ( car jamais le peuple ne fut méprisé par des maîtres plus méprisables ; on a donc besoin de se consoler, et les bons citoyens le font à leur manière. Mais l'homme vil et corrompu, étranger à toutes les idées élevées, se venge de son abjection passée et présente, en contemplant, avec cette volupté ineffable qui n'est connue que de la bassesse, le spectacle de la grandeur humiliée. »
Vous voyez bien, ce Maistre n'est pas fréquentable, il vous forcerait à refaire des cauchemars de culpabilité, et, en plus, il vous donne des leçons d'histoire depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours. Mais enfin, pour lui, d'où vient ce mal français devenu mondial ? De l'Eglise gallicane, d'abord ( polémique avec Bossuet ), du protestantisme, en fait, et puis du « philosophisme ». La haine de Maistre pour le protestantisme atteint des proportions fabuleuses, dont l'excès a quelque chose de réjouissant : « Le plus grand ennemi de l'Europe qu'il importe d'étouffer par tous les moyens qui ne sont pas des crimes, l'ulcère funeste qui s'attache à toutes les souverainetés et qui les ronge sans relâche, le fils de l'orgueil, le père de l'anarchie, le dissolvant universel, c'est le protestantisme. » Maistre n'en finira pas d'aggraver sa diatribe inspirée, notamment dans son grand livre « Du pape » ( 1819 ), malheureusement absent du volume actuel. « Qu'est-ce qu'un protestant ? Quelqu'un qui n'est pas catholique. » Et voilà, c'est tout simple, vous voyez bien que cet énervé est maudit, avec lui aucun « oecuménisme » n'est possible. Rome, rien que Rome, tout le reste est nul.
On aurait tort, cependant, de penser que Maistre s'en tient au registre de l'anathème. « Les Soirées », « Eclaircissements sur les sacrifices » sont aussi des traités de haute métaphysique qui suffiraient à prouver l'abîme qui le sépare des « réactionnaires » de tous les temps. Ses propos recèlent alors un sens initiatique parfois ahurissant lorsqu'il démontre que la guerre est « divine » et qu'elle est incompréhensible, sinon comme phénomène surnaturel, prouvant qu'il n'y a de salut que par le sang et la réversibilité des mérites. Le lecteur moderne ne peut que s'indigner en entendant parler d'une « inculpation en masse de l'humanité » due à la Chute : « L'ange exterminateur tourne comme le soleil autour de ce malheureux globe, et ne laisse respirer une nation que pour en frapper d'autres. » Plus hardi encore : « Si l'on avait des tables de massacres comme on a des tables de météorologie, qui sait si on n'en découvrirait pas la loi au bout de quelques siècles d'observation ? » Suspendez « la loi d'amour », dit Maistre, et en un clin d’œil, en pleine civilisation, vous voyez « le sang innocent couvrant les échafauds, des hommes frisant et poudrant des têtes sanglantes, et la bouche même des femmes souillée de sang humain ». Ces choses ont eu lieu, elles ont lieu sans cesse. L'amour ? Mais qu'est-ce que l'amour ? Un acte de foi : « La foi est une croyance par amour, et l'amour n'argumente pas. »
Cioran, subjugué et accablé par Maistre, termine en disant qu'après l'avoir lu on a envie de s'abandonner aux délices du scepticisme et de l'hérésie. Il y a pourtant des moments où la certitude et le dogme ont leur charme, qu'on croyait aboli. Sur le plan de la raison raisonnante, Maistre a eu tort. Il n'a rien vu, bien au contraire, de la régénération qu'il annonçait. Il est mort en 1821 à Turin ( date de naissance de Baudelaire ), et il est enterré dans l'église des jésuites, à deux pas du saint suaire contesté et du lieu d'effondrement de Nietzsche. Ces trois points triangulaires me font rêver."
Joseph de Maistre, « OEuvres », éd. établie et annotée par Pierre Glaudes, Laffont, coll. « Bouquins », 1 376 p ., 32 euros.
Le comte Joseph de Maistre, né à Chambéry en 1753, mort à Turin en 1821, après avoir émigré lors de la Révolution française, fut l’ambassadeur, à Saint-Pétersbourg, du roi de Sardaigne. Il a publié « Considérations sur la France » en 1796 et « Du pape » en 1819.
Philippe Sollers
Le Nouvel Observateur n° 2224 du 21 juin 2007
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23/06/2007
Le Salut par les Juifs - II
=--=Publié dans la Catégorie "Le Salut par les Juifs"=--=
Pour faire résonnance avec ma "brève" d'hier, voici un entretien avec le rabbin Reb Arieh Leib Weisfish qui a été effectué par Avi Katzman vers le début des années 1980 pour la revue israélienne en langue française Réalités. Prenez-en de la graine :
Vendredi après-midi, au coeur de Méa Shéarim, sous les combles. Un vieux juif à la barbe grisonnante, la tête couverte d'une large kippa noire, habillé simplement comme le sont les juifs pieux. Derrière ses lunettes épaisses brillent des yeux intelligents et tristes. Il fabrique des téfilines qu'il doit terminer avant l'entrée du shabbat. Reb Arieh Leib Weisfish parle avec fougue et ses paroles s'écoulent à un rythme rapide qui va en s'amplifiant. Il est né à Jérusalem il y a 65 ans, issu d'une famille qui fait partie de celles qui fondèrent Méa Shéarim, au début du siècle dernier.
Avi Katzman : Vous êtes membre de la secte des Nétourei Karta ?
Reb Arieh Leib Weisfish : La question est de savoir d'abord ce que sont les Nétourei Karta. Une personne, c'est quelqu'un, une personnalité. A l'origine, on trouve Rabbi Yohanan Ben Zachaï, après la destruction du Temple. Et il dit: "Ce ne sont pas les gardiens qui sont les gardiens mais ceux qui étudient". Depuis, le judaïsme du corps s'est séparé du judaïsme de l'âme. L'âme et le corps. Mais la réalité est différente. En réalité, l'âme et le corps sont indissociables. Divisez-les, il ne reste plus rien. Losque la philosophie, c'est-à-dire l'observation des individus de l'intérieur vers l'extérieur, a fait faillite, elle a été remplacée par la psychologie, c'est-à-dire par une observation de l'homme de l'extérieur vers l'intérieur. Mais l'homme ne peut être partagé, classifié, ni par Bergson, Freud ou Jung, ni par le marxisme. Toutes les conceptions univoques de l'homme ne tiennent pas compte de ce qui a précédé la logique et l'intuition.
Je me considère comme le spécialiste mondial de Nietzsche. Ce qui est intéressant, c'est que Nietzsche était contre tout: anti-socialiste, anti-européen, anti-christique, anti-tout-le-monde. La seule chose que Nietzsche adorait, c'était le judaïsme et les Juifs. Jusqu'à sa fin, il a révéré le judaïsme. Il l'a compris mieux que les plus grands rabbins du monde: "Sans les Juifs, point de Salut... Les Juifs sont éternels". C'est lui aussi qui écrivait à propos des Allemands : "Une race irresponsable qui porte sur sa conscience les grands désastres de la culture".
Avi Katzman : Comment voit-on dans la société dans laquelle vous vivez, cette vénération que vous avez pour Nietzsche ?
Reb Arieh Leib Weisfish : Le judaïsme, ce n'est pas quelque chose dans lequel on naît. C'est quelque chose que l'on crée en acceptant les critiques et sa propre autocritique. Si celles-ci ont pour but de vous aider à chercher la voie, la perfection, il ne s'agit plus alors de critique mais d'étude. Pour moi, Nietzsche et le Rabbi de Koutsk sont encore plus grands que Moïse. On m'a dit: "Weisfish des Nétourei Karta, comment oses-tu prononcer des mots pareils?" "C'est très simple", ai-je répondu: "Enlevez à Moshé Rabeinou les miracles et les dix plaies d'Egypte, il ne reste plus qu'un auteur de codes et de lois. Mais triompher de Spinoza, Kant, Hegel, Marx et de tous les réformistes des Etats-Unis ou de Wall-Street serait impossible sans Nietzsche. Et l'une des forces du Rabbi de Koutsk, c'est qu'il était contre les Hassidim et qu'il leur disait un peu comme Nietzsche: "Vous n'avez pas encore commencé à vous chercher vous-même et vous m'avez déjà trouvé?"
Il arrête son travail, se lève et ouvre une armoire. Il en tire un ouvrage vert, le feuillète et m'en fait lire un passage. Il retourne aux téfilines qui sont sur la table, reprend ses outils en mains et frappe de toutes ses forces. "Vous voyez, je n'arrive pas à discuter et à me concentrer sur mon travail". Il pose ses tenailles, ajuste le cuir, coupe et recolle.
Avi Katzman : On connaît surtout Nietzsche pour sa phrase...
Reb Arieh Leib Weisfish : On ne connaît pas Nietzsche. Il n'est pas existentialiste parce qu'il murît et grandit sans cesse. Ce qu'on se rappelle de lui, c'est "Dieu est mort". Dieu est mort parce que nous l'avons tué. Il dit plus que cela. Un jour, j'ai rencontré un jeune arabe qui lit un peu Nietzsche et qui me l'a cité: "Si Dieu existe, alors qui suis-je? C'est la preuve qu'Il n'existe pas". Vous rendez-vous compte de la profondeur de cette phrase? Dans la Kabbale, il existe une science qui est celle du réductionnisme. Dire "Mon Dieu, Béni sois-tu", ce sont des choses qu'il faut apprendre, qu'il faut vivre, sur lesquelles on peut réfléchir à l'infini. Nietzsche lui-même écrit quelque part: "La philosophie n'existe pas. Ce qui existe, c'est l'expérience de la vie. Mon désir constant de changement et ma critique d'aujourd'hui sur ma vie d'hier". Dans le judaïsme, on considère que les plus grands des Justes doivent faire un retour constant à la religion. Qu'ils sont toujours sur la Voie... Lorsque vous lisez aujourd'hui un quotidien, ou que vous sortez dans la rue, vous n'en revenez pas: on vole, on pille, on tue, on viole. Rien n'est interdit. La seule interdiction est d'interdire. En dehors de cela, tout est permis. Alors, que nous soyons dans la jungle, à Babylone ou dans le ghetto allemand, aussi grande que soit notre science, si le sionisme avait pour but de changer la situation inconfortable qui est celle des juifs dans le monde, il a prouvé au contraire que nous sommes un peuple tellement fort que le monde entier nous craint.
Avi Katzman : Comment vous sentez-vous en Israël ?
Reb Arieh Leib Weisfish : Menahem Begin était au mariage de ma fille. Elle s'est mariée avec un millionnaire, que Dieu nous préserve, et Begin était invité du côté du marié. "J'ai appris que tu lisais Nietzsche", m'a-t-il demandé. J'ai pensé: "Encore un avec ses questions." Et je lui ai répondu: "Si tu lisais Nietzsche, tu serais encore plus grand que Menahem Begin." J'espère que finalement les jeunes liront Nietzsche. Des kibboutznikim sont venus me voir et m'ont demandé: "Si nous lisons Nietzsche, cela fera-t-il de nous de meilleurs combattants sur le Golan?" Je leur ai répondu: "Si vous lisez Nietzsche vous trouverez un langage avec le monde qui n'a pas besoin de canons..." J'ai bien connu Ben-Gourion; j'ai beaucoup discuté avec lui. Le judaïsme, ce n'est pas de la politique. C'est bien plus que cela. Lorsque des gens viennent me voir et me demandent une définition du judaïsme, je leur réponds que jusqu'à l'avènement du sionisme, nous savions que, comme le christianisme et l'islam, il existe le judaïsme. C'est-à-dire qu'il peut y avoir un juif américain, un juif russe et que le judaïsme est une religion. Vient le sionisme et il dit: "Le judaïsme est une affiliation à une caisse de retraite, à des chansons patriotiques, à un drapeau, non plus une vie sainte mais une mort sainte. On me demande: "Que représentent les Nétourei Karta, combien êtes-vous?" Et je réponds: "La question n'est pas de savoir combien, elle est de savoir si nous avons raison ou tort. Si nous avons raison, ne serions-nous qu'un seul, et si nous avons tort, serions-nous cinq milliards". Vous savez quelle est la tragédie de Nietzsche? Bien qu'il soit à mes yeux un homme saint et juste, il est au-dessus de nos conceptions. Je n'ai pas encore rencontré une personne qui puisse dire qu'elle comprend vraiment Nietzsche. Autant Nietzsche m'émerveille, autant je suis encore loin d'être parvenu à saisir son immensité...
Avi Katzman : A qui appartient Jérusalem ?
Reb Arieh Leib Weisfish : Un jour, à la radio, on m'a posé cette question. Si la question est de savoir à qui elle appartient, alors elle n'appartient à personne. La véritable question à se poser est celle-ci: "Est-ce que moi, individu, j'appartiens à Jérusalem?". Autant il y aura d'individus, sans différence de religion, de race, de couleur, de nationalité qui répondront individuellement: "J'appartiens à Jérusalem", autant il y aura de place pour eux à Jérusalem. Quand les gens se tiennent debout, ils sont tous serrés et il n'y a pas assez de place pour chacun d'entre eux. Lorsqu'ils se prosternent, il y a de la place pour tous. Jacob, le premier qui ait pris le nom d'Israël, disait: "Je ne savais pas que cet endroit était saint". Arrive Teddy Kollek, le maire de la ville, et il dit: "Je balaie les rues de la ville, donc elle m'appartient". Jérusalem, ce n'est aucun des mots grandioses qu'on dit sur elle; c'est bon pour les journaux et les livres, pour le sensationnel. Moïse n'a pas pu entrer en Eretz-Israël et nous nous y promenons. Si les Russes et les Arabes venaient et qu'ils voulaient donner tout Israël aux juifs, nous, Nétourei Karta, nous nous y opposerions. Quel titre de propriété les autorise-t-il à donner ou à ne pas donner? Je peux vivre au Yémen ou en Allemagne, manger une olive ou du pain sec et je continuerai vingt fois par jour à prier Jérusalem. Et je peux vivre en plein Tel Aviv et ne pas faire partie d'Eretz-Israël. Israël, ce n'est pas une tranche de pain ou du riz.
Avi Katzman : De quel camp politique vous sentez-vous le plus proche ?
Reb Arieh Leib Weisfish : Pour vous dire la vérité, je suis loin de me sentir proche de moi-même. L'autocritique, avec ce qu'elle sous-entend de recherche de la perfection, est la perfection. Alors, lorsque tant d'idées et d'opinions se confondent et que vous cherchez la Voie, vous parvenez forcément à une situation sans issue, comme s'il n'existait pas de voie. Qu'est-ce que cela signifie? Que la recherche de cette voie est peut-être la meilleure des voies. La philologie de Jérusalem, c'est la crainte de la perfection qui est elle-même la voie de la perfection. Est-ce que vous comprenez ce que j'essaie de vous dire? Finalement, ce que nous disons, c'est que l'homme est un monde microcosmique. Le monde commence avec moi; pas demain ni là-bas, mais ici, maintenant et avec moi. Le judaïsme n'est pas une géographie sioniste. S'enfermer dans un ghetto avec un gouvernement polonais au Moyen-Orient ne résout aucun problème pour le peuple juif. Le judaïsme est bien plus important que ne le croient les fonctionnaires de l'appareil sioniste. Bien sûr, depuis que j'ai jeté un coup d'oeil dans le monde du savoir il m'est impossible d'être antisioniste comme il ne m'est pas possible d'être antichristique. Mais ces concepts n'évoluent pas dans ma sphère pour que je discute de leur "oui" ou de leur "non". Et si j'ai cru un jour que je savais et que les choses sont simples, je comprends mieux aujourd'hui, en vieillissant, que les choses deviennent encore plus complexes et compliquées, à tel point qu'il ne reste pas de temps à perdre pour les affaires publiques. L'éloignement permet une vision plus claire de ces questions. C'est ainsi que l'on parvient à un judaïsme plus réel, plus vivant. Je constate avec regret que la jeunesse israélienne, et plus particulièrement les étudiants, au lieu d'apprendre la connaissance, la nature, l'essence même du judaïsme et de l'homme, apprennent à connaître les boulons des tanks sur le Golan. C'est un dessèchement de l'esprit. C'est ne pas vouloir se connaître soi-même. Le judaïsme est un ensemble d'individus. Ce n'est ni un parti, ni une nationalité, ni rien d'autre. Nietzsche dit que c'est une race, la race supérieure. D'après Nietzsche, il n'existe aucun peuple qui soit destiné à vivre toujours en dehors du judaïsme. Si je possédais un amplificateur électronique universel, j'irais crier dans les universités aux étudiants qu'ils se lèvent, se saisissent de gourdins et cassent tout, tables, chaises et livres de cours. Ce qu'ont fait les Beatles, ce qu'a fait John Lennon, ce n'est encore rien à côté de ce que les jeunes doivent apprendre de l'insubordination, de ce qu'ils doivent se poser comme questions concernant leur vie.
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Source : http://www.lyber-eclat.net/lyber/weisfish.html
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30/03/2007
Vivre et Écrire - III
Dans les grandes lignes, Écrire n’a pas la moindre importance. De nos jours, le risque est de petite envergure. Affirmer qu’on trempe sa plume même dans du sang, c’est souvent prendre la posture qui convient. Le spectacle en société vaut le détour. Vous aurez beau, emprunté d’une pouézie moderniste-expérimentale, recouvrir votre page de haut en bas de mots du type « massacre », « holocauste », « génocide », « viol », « tuerie », pas une goutte de sang ne viendra poindre sur votre papier… ou sur l’écran de votre PC. L’écrivain poussera son cri en vain. Même dévoré par le démon de sa névrose, il pourra, une fois le cahier rangé dans son tiroir ou laissé en vrac sur sa table de travail, son écran éteint, aller aux putes se faire sucer la queue, au supermarché le plus proche s’acheter une bouteille de Whiskey, se mettre à table en compagnie de sa fratrie, pointer à l’ASSEDIC, se promener dans la ville, dans la campagne, ou dans le trou du cul du monde. Un œil jeté aux livres qui encombrent les étagères des librairies le confirme à merveille. « Ça » ne trempe sa plume nulle part. « Ça » trompe sa plume et « Ça » trompe son monde en se trompant soi-même. Là, « Je » n’est même pas un autre. Trifouillage de mots. Masque sur les maux. Les profondeurs de l’Être sont merdiques aussi. Mais « Ça » se révèle à qui sait lire. Phrases pauvres ou pompeuses et architecturales, emphase, dérèglement nerveux et distance d’avec les missives. Et « Ça » a des théories sur les autres toutes faites mais bon sang c’est bien-sûr !
Écrire. J’en viens à éprouver du dégoût pour cet Acte et à ne plus même en mesurer le sens initial. Aussi je sors à mon tour dans la fraîcheur du soir et pars trouver un meilleur usage de mon corps pour ne pas ressembler aux usurpateurs. Car Écrire devrait être le risque par excellence, celui par lequel on se confronte en premier lieu à soi-même et aux autres toujours à travers soi-même. Quand la douleur se présente et qu’on ne désire pas l’esquiver, mais la regarder bien en face dans la noirceur de ses yeux au lieu de contaminer les autres de son poison néfaste. Car l’exigence qui compte est celle de la Vérité. Mais il faut se mêler aux faits, y inscrire sa persévérance au lieu de s’enfoncer dans une logorrhéique surabondance de foutre verbal qui n’est qu’une catharsis arrêtée sur elle-même. Appliquer des formules sans cesse. Brasser des mots, juste pour faire de jolies phrases. Déployer sa syntaxe, son vocabulaire pour que sa basse-cour prenne soudain des airs de cour royale. On peut, avec un peu de chance et beaucoup de culot devenir chef de meute. Mais « Celui qui veut apprendre à voler, celui-là doit d'abord apprendre à se tenir debout et à marcher et à courir, à grimper et à danser. Ce n'est pas du premier coup d'aile que l'on conquiert l'envol ! »*
Oui. Écrire est autre chose. Ce n’est, en tout cas, pas se draper de dentelle, se calfeutrer de distance, même si pour survivre, parfois, souvent, l’homme doté de raison pratique avec délectation l’Art du détachement. « Écris avec ton sang et tu verras que le sang est esprit. »* C’est qu’il convient d’observer les phénomènes « à mi-pente »* selon cette « morale de la pente »** que Saint-Exupéry exprimait avec une grande lucidité pour la « Terre des hommes »**. « Ce pour quoi tu acceptes de mourir, c'est cela seul dont tu peux vivre. »**
Contre l'improbable abstraction, facile et seulement musicale se doivent de prévaloir l'appréciation, l’évaluation, le jugement qui font surgir l’idée qui nous fait maintenir le fil d’Ariane qui en vient à élargir notre vue qui honore notre sentiment qui nous couronne de la pensée. Cependant, loin d’être docile face au cortège d'émotions surannées, Écrire instaure le face-à-face de l'homme avec le monde, le duel propitiatoire, la confrontation légitime de l’individu avec la Cité. Joute éternellement recommencée depuis l’Antiquité lointaine.
Vient la Vision. L’œil révèle la représentation passée au prisme de la subjectivité. Le « Moi » se voit affiné, débarrassé de ses scories grossières il devient une loupe frontale, un scalpel méticuleux. L’Impression est le trésor à capter pour dire le flux énergétique qui transperce le monde. L’objectivité naît-elle de la rencontre de la rencontre de plusieurs subjectivités ? Car ce qui importe, dans l’acte d’écrire, c’est (avant l’effet exprimé) la vue, le sentiment, l’intuition, la sensation, les cinq sens et le sixième naissant du parfait équilibre des cinq premiers. C’est une perception de plus en plus fine, aiguë, cinglante, de la réalité cachant le Réel de l’Être.
Écrire est une rencontre avec le monde. Et le monde ne vient au monde que parce que l’écrivain le regarde, le conquiert, le saisit, le comprend. Le monde obtient ainsi son unité dans la diversité qui est la sienne. Il y a le futur qui appelle. Il y a la grâce lumineuse de l’Origine. Il y a l’Instant, le Lieu et la Formule. Ici et Maintenant. L’écriture peut-être sobre, directe, travaillée, journalistique, classique, mais la chose observée, le phénomène appréhendé se doit d’être transcendé par l’absolutisme de la Vision qui s’impose et que la Raison sait étreindre. Sinon c’est du verbiage. Du nombrilisme. De la posture.
Se contenter de décrire la nature ? Écrire automatiquement ? Jeter des phrases en l’air en mimant la maîtrise ? Le jeu peut découvrir des parts de nous obscures, mais cela ne suffit pas. Écrire nous fait toucher les secrets du monde et nous les fait livrer sur la page comme des offrandes. La Raison guide, mais il ne s’agit nullement de faire du rationalisme car, n’en déplaise aux scientistes et aux scribouillards prosaïques l’énigme, la profondeur, l’obscurité, l’Ombre Silencieuse qui hurle, l’arcane secrète, l’intangible et le sacré percent vers nous sans cesse. Les captons-nous ? L'essence de l’écriture est la poésie : un émerveillement, une admiration, une extase dans le frimas percé par une lumière que nous croyons d'ailleurs mais qui est d’ici. C’est le démesuré, l’incalculable qui nous anime. C’est un souffle de feu, une palpitation de tellurique, une pluie de larmes de joie ou de souffrance. On l’approche tout au plus. S'en emparer est impossible. Écrire est cette parole que ce souffle nourrit et manifeste, d'où son pouvoir sur nous.
En lecteur enchanté de la « Paideia » de Werner Jaeger, je peux vous confirmer que « Poïésis » signifie, en Grec ancien, « faire en fonction et à partir d’un savoir ». C’est une action qui transmue, tout en l’affirmant, le monde. Cependant, ce n’est pas une fabrication limitée à ses données techniques, ni un simple rendement, un vulgaire ouvrage. C’est le suc substantifique. L'œuvre issue de la « poïésis » réconcilie l’intelligence, la Raison, l’entendement, la méditation, la réflexion, la rêverie, la fantaisie, autant dire l’Esprit avec la substance et l’étoffe de nos carnes sur ce vieux caillou et avec le temps qui nous est imparti, et l'homme avec l’Univers sous l’œil malicieux des dieux… ou l’œil scrutateur du Dieu unique. Elle est le partage d’un bien commun, des corps se croisant et embrassant un chant dans une étreinte de l’esprit, une éclosion commune dans le cercle de l’engagement, de la rencontre, les juteuses harmoniques issues de l’altercation entre la matière, le temps et les hommes. De cet Athanor naquirent les Cités de la Grèce ancienne, les œuvres des poètes et penseurs pré-Socratiques. Même le sinistre Platon. Sur la scène du monde. La Poésie est cette action dans le monde qui fonde sans cesse le monde. Écrire n’est rien d’autre que cela. Par nous le monde s’accouche continuellement. Supprimez la Poésie et le monde implose sur lui-même. Supprimez la Poésie… ou exaltez-vous de mauvaise littérature.
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*Friedrich Nietzsche
**Antoine de Saint-Exupéry
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Bande son du moment : L'intégralité des albums de King Size
Lecture du moment : ...pas de lecture particulière... butinages divers...
Citation du jour : « Bien écrire, c'est le contraire d'écrire bien. » Paul Morand (Venises)
Humeur du moment : Le regroupement des forces... encore et toujours...
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