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09/04/2013

Une écriture qui supporte l'infini

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« Une écriture qui supporte l'infini,
les crevasses qui s'étoilent comme le pollen,
la lecture sans pitié des dieux,
la lecture illettrée du désert.

Une écriture qui résiste
à l'intempérie totale.
Une écriture qui puisse se lire
jusque dans la mort. »

Roberto Juarroz, Onzième poésie verticale

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08/04/2013

Ne rien enfreindre, c’est être mort

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« Vivre c’est être en infraction.
A une règle ou à une autre règle.
Il n’y a pas d’alternatives :
ne rien enfreindre, c’est être mort.

La réalité est infraction.
L’irréalité l’est aussi.
Et entre les deux flux un fleuve de miroirs
qui ne figure sur aucune carte.

Dans ce fleuve toutes les règles se diluent,
toute infraction devient un autre miroir. »

Roberto Juarroz, Quatorzième poésie verticale

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07/04/2013

Crever de satisfaction toutes les trois minutes !

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« Lundi 23 janvier 1989. – J’apprends autour de midi qu’à l’instant même où je me suis réveillé ce matin (10 h 13), Salvador Dali est mort ! II fait très beau et le vieux Dali est mort. 84 ans… II en faisait 153... Encore un qui s’est régalé toute sa vie ! Ça rend moins triste sa mort, même si elle réduit un peu les défis que lui a lancés Salvador... II faut faire attention quand on est vivant : trop délirer sur la mort, ne parler que de ça, spéculer, anticiper, extrapoler dessus peut nuire à sa vie, une fois la mort venue. Dali a tellement travaillé sur la mort de son vivant, espérant qu’au dernier moment, "ça s’arrangerait", qu’aujourd’hui où il est mort comme tout le monde (sic !), tout ce qu’il a dit de génial sur et contre la mort est un peu caduc. Les médias sortent leurs clichés tout prêts et moqueurs sur ce surhomme qui les a tant "crétinisés". Il y a déjà une chaîne de télé qui a proposé un sondage: "Selon vous, Dali est-il immortel ?" C’est le populo français qui va donner son visa à un tel artiste pour le paradis ou non !!! Aberrante fin de siècle... Dali a bien fait de vivre au début. Je l’envie. Pour nous, la génération qui "monte", un sort pire-que la mort nous attend.

Pauvre Dali ! II n’était pas beau à voir depuis son incendie (il avait pris feu comme une de ses girafes) de 1984. Sonde narinale, yeux de poisson mort, lèvre molle comme une montre, moustache à la Meissonier, le tout sur fauteuil roulant. La vie, toujours secrète, l’a fini sous la tente à oxygène. Va-t-on l’hiberner ? Le congeler dans un bain d’azote liquide ! II en avait assez rêvé ! Finalement, on va l’enterrer sous la coupole de son musée à Figueras : le cadavre exquis devrait tenir trois cents ans, près du palmier de verre, des vénus à tiroirs et des fourches coquines … Quel bric-à-brac! Le crétinisateur catalan en a foutu partout : des homards-téléphones, des béquilles, des avions de viande, des brouettes contorsionnées, des omelettes écrasées, des côtelettes crue, des choux-fleurs, des ânes pourris, des éléphants à pattes de girafes (comme dans les fabuleuses Tentations de saint Antoine), des pianos à queue mous, des femmes-voiliers et des centaures marsupiaux !... Et pourtant tout ça a du sens. Le pain, par exemple, Dali l’a très bien utilisé dans ses échos eucharistiques permanents : celui avec lequel il a débarqué à New York (une baguette de plusieurs mètres de long) est comme sa croix sur l’épaule et son tableau de 1932 représentant un Pain français moyen avec deux œufs sur le plat sans le plat, à cheval essayant de sodomiser une mie de pain portugaise va très loin...

Tout le monde se demandait quel était le rapport entre "La Dentellière" de Vermeer et le rhinocéros François du zoo de Vincennes devant lequel Dali vient copier le chef-d’œuvre flamand... En dehors de sa composition en diagonale, que Dali a vue tout de suite et qu’il redécompose en cornes de rhinocéros, ce que Dali n’a pas vu et qu’il est le seul à avoir dit qu’il n’avait pas vu, c’est l’aiguille de la dentellière ! En effet le génie de Vermeer, c’est de concentrer toute la présence de sa dentellière sur un travail dont il omet exprès de peindre l’instrument ! Toute la "musique" de ce tableau tourne autour de ce saphir invisible ! Cette aiguille qu’on ne voit pas, Dali la retrouve dans la corne du rhinocéros. C’est la corne (aphrodisiaque, etc.) de François qui devient l’aiguille agrandie qui manque au Vermeer. Sans le rhinocéros qui nous restitue son aiguille, on ne peut plus supporter de regarder "La Dentellière" : voilà sa conclusion. Rien d’absurde ni de surréaliste là-dedans. Je pourrais citer cent autres exemples du non-n’importe quoi dalinien...

Faire de la gare de Perpignan le centre du monde c’est pour Dali élire un lieu banal et le décrypter comme on décrypte une devinette d’Épinal ou un Jeu des sept erreurs, jusqu’à découvrir des richesses métaphysiques et pourquoi pas mystiques. C’est une opération du plus grand sérieux que Villiers de l’Isle Adam, avec ses intersignes, Bloy avec ses lieux communs et Raymond Roussel avec ses étiquettes de bouteilles d’Évian avaient déjà accomplie à leur façon... La subversion ce n’est pas seulement faire du beau avec du laid comme les contemporains de Dali s’y employèrent : c’est de trouver une âme à ce qui n’en a pas... Traquer le réel dans sa "rayonnante objectivité" a permis à Dali de découvrir que l’univers était limité mais d’un seul côté. Pour lui, tout commence à la gare de Perpignan : c’est là que Dali ressent la courbure de l’espace, comme, d’ailleurs, il a ressenti avant de mourir que le temps était si courbe qu’on devrait logiquement se souvenir du futur... Logiquement, voilà le fin mot de Salvador Dali. Lorsqu’il fait prendre toutes les mesures possibles de la gare, de ses guichets, de ses voies de ses affiches d’horaires, ce n’est pas gratuitement délirant, bien sûr... C’est un combat ! C’est "la guerre de Perpignan" comme l’ ont coquillé les typos dans un de ses livres… Peut-être 1a mort de Dali va-t-elle effacer pour mieux le faire apparaître (comme dans ses images invisibles) le personnage du "Avida Dollars" rouleur d’yeux, de r, et de bourgeois dans la farine, brandisseur de cannes, croqueur de chocolat Lanvin, bambocheur de noubas franquistes à l’hôtel Meurice, à genoux devant sa Gala imbandante ? J’en doute. Il en a trop fait dans ce sens : ses faiblesses, au contraire, vont ressortir d’autant plus fort qu’il est vraiment mort. D’ailleurs, par rapport aux excentricités de Dali, je trouve que la nécrologie se met bien timidement en route sur toutes les ondes...

Pour les journalistes, Dali faisait un numéro entre Groucho Marx et le Henri IV de Pirandello, mais on sait (et Paudras, qui est allé le voir à Cadaquès à la fin des années 50, me l’a souvent dit) que le Dali intime n’était évidemment pas plus puant que Miles Davis ou une autre star terrorisante de l’Art. Il travaillait sa paranoïa, c’est tout. Comme tous les artistes, d’ailleurs... Après c’est une histoire d’extase, de technique extatique.

Toutes ses madones corpusculaires et ses vierges explosives, ses anges nucléaires et ses visages de saints désintégrés dans les sphères par myriades de particules le démontrent assez...

Dali excellait dans l’extase. Quand on lui demandait ce qu’il y avait de plus important dans la vie, il répondait : "Crever de satisfaction toutes les trois minutes !" Très précisément (j’ai toujours adoré la précision de Dali dans ses interventions télévisées ou écrites), il a exprimé sa pratique de la déception comme orgasme... L’échec est pour lui jubilatoire, le miracle du sabotage le fait pleurer de joie... Qu’est-ce que je pourrais trouver à redire moi qui ai fait ça toute ma vie ! Le vrai triomphe, c’est le désastre. Dali adore inverser au dernier moment la puissance du moteur érotique : il imagine des combinaisons raffinées, suaves, et met en branle son "désir ardent que rien n’arrive"... Il exulte sous "le recroquevillement glacé" et "l’annonciation stupéfiante"...

Bien sûr, Dali se compare à Hitler qui a lui aussi organisé sa catastrophe : pour lui, Hitler était avant tout un maso qui souhaitait l’abîme : "Il a cherché l’orgasme suprême dans la colossale faillite. Le doigt sur la gâchette, il a dû partir en pleine jouissance : il en avait pour son argent." Ces cons de surréalistes ont fait des grimaces de saintes-nitouches en entendant les dalineries si drôles ! Qui a moins d’humour qu’un surréaliste ? Choqués comme des vierges de la "vérité de l’homme", ces bourgeois coincés moralisateurs staliniens (pour Dali, Staline est un forgeron) n’ont su que vilipender Dali parce qu’il se servait d’Hitler comme métaphore sexuelle (quatre couilles et six prépuces) et de Lénine comme apparition sur les touches d’un piano ou en porte-jarretelles avec une longue fesse molle soutenue par une béquille !...

Dali a dit et redit qu’il n’a vu chez ces misérables avortons d’André Breton que de petits idéologues prétentieux obéissant à des motivations qui n’avaient rien à voir avec la politique... Je retrouve cette page impeccable tirée des mémoires de Salvador et que je devrais distribuer comme tract au Tout-Paris qui me fait chier, moi, depuis trop longtemps sur ces questions-là :

"La politique me paraît être un cancer qui ronge la poésie. J’ai vu bien de mes amis se dissoudre dans l’action politique et y perdre leur âme en voulant la gagner. Le social, l’économie me paraissent dérisoires, vains et surtout faux – une science inexacte par excellence ; un miroir aux alouettes pour piéger dans des contradictions inextricables les artistes, les intellectuels, c’est-a-dire les plus mal armés pour résister aux appels aux sentiments. On veut les mobiliser pour défendre des causes qui, de toute façon, trouveront leur solution par le jeu naturel des forces de l’histoire et où l’intelligence n’a qu’une place infime. La poésie et l’art sont les grands sacrifiés de l’événement historique. Ne pas s’en mêler me paraît être la seule méthode d’action et d’autodéfense efficace. La seule honnêteté par rapport à cette poésie que l’on porte en soi comme une flamme rare et délicate."

Ça c’est pensé ! Et vécu ! Et bien dit ! Je suis conscient qu’un discours si clair et vrai, si naturel pour un artiste apparaîtrait, plus de cinquante ans après, comme tout autant scandaleux !… Où est la provocation ? Il n’y a que des curetons ideologistes partout pour freiner un type qui a autre chose en tête que d’essayer de "changer la société". Et si on juge les moyens de Dali puérils, qu’on fasse mieux ! Qu’on fasse mieux que d’aligner sur une table des encriers avec un porte-plume dedans, alternés avec des œufs au plat (un encrier, un œuf, un encrier, un œuf, un encrier, jusqu’au dernier œuf avec planté dedans... un porte-plume) ! Qu’on fasse mieux que de prendre les lèvres de Mae West pour en faire un canapé rouge ! Qu’on fasse mieux que de mélanger les faces de Marilyn Monroe et de Mao Tsé-toung ! Qu’on fasse mieux que de peindre des natures mortes aux objets vivants, des crânes en forme de femmes nues ou qui se terminent en pianos s’envolant, des aréoles en forme d’escargots, des palanquins d’éléphants en obélisques, des cadillac habillées en robes de soirée et des chiens dormant sous la peau de la mer !... Autant d’images qu’on ne peut pas oublier et qui sont sorties de ce cerveau irrespectueux de Dali, l’immoral adorateur de l’or et de la merde (pour lui, les vraies couleurs nobles sont celles de l’excrément : d’ailleurs, à la cour de France, paraît-il, on analysait les nuances du caca du roi Louis XIV pour en tirer les couleurs de la mode vestimentaire de tous les courtisans) !... C’est facile de dire que c’est facile à dire !

Mon combat (comme dirait l’ "idole" de Dali féminisée wagnériennement par la bretelle de sa tunique de cuir qui sangle sa chair "plus divine que celle d’une femme à la peau blanchissime"), c’est de revaloriser absolument l’art, la métaphysique et la mystique contre la prédominance disproportionnée à mon époque (et aussi à celle de Dali) du social, du politique et du moral. Est-ce clair ? Les esprits faits pour tirer les conséquences poétiques des réalités de l’univers ne doivent pas être entravés par l’idéologie omnipotente ; nous devons résister au faux sérieux du prétendu réel exacerbé par la propagande des cuistres moralisateurs !

Dali ne disait presque jamais de conneries. Quand il affirmait qu’il était un génie, tout le monde se foutait de sa gueule, mais quand il disait en même temps qu’il était un mauvais peintre, personne ne le croyait ! Pourtant, c’était la vérité ! La petite bourgeoisie des amateurs d’art est si bête qu’elle ne peut pas concevoir un génie authentique qui soit un artiste médiocre. Lucide sur lui-même, Salvador avait toujours raison. Il avait suffisamment compris Vélasquez et Vermeer pour savoir que sa peinture d’imitation classique (mais aussi maladroite dans son fantasme antimoderniste que celle de Chirico) ne tenait pas le coup picturalement. A part l’année 33 – indiscutablement sa meilleure époque (je les ai bien regardées), les toiles de Dali sont très mauvaises. La technique fait illusion, mais on est sans arrêt dans le "bien peint", les glacés et les léchés. Dali admirait – comme Picasso - la technique de Juan Gris, l’Espagnol n°1, et savait donc que la sienne était rudimentaire dans sa "perfection" pompière. En deux touches, Gris écrasait tout le monde sans faire du sous-Raphaël, et quelles compositions ! Autant Dali voyait ce qu’il y a de surestimé chez Cézanne ("ce peintre qui toute sa vie a cru peindre des pommes concaves et qui a peint des pommes convexes"), autant il savait que ses fameux cinquante secrets pour peindre (j’ai lu et relu ce livre dès 1977) ne servaient à rien quand on n’est pas doué. Car Dali n’était pas doué, ni en dessin, ni en peinture. En revanche, quelle génialité permanente dans l’automanipulation des fantasmes et des clichés ! Imagier de génie qui sait parfaitement ce qu’il a fait, Dali n’a cessé d’inventer des mythes d’une intelligence d’échos extraordinaires. Je ne parle même pas de sa puissance de show-man ! La mythification de l’Angélus de Millet par exemple, au Vingtième Siècle, ce n’est pas rien. Transformer ces deux paysans peints par un "calendriériste" en moment mystique hallucinatoire qui les fait se retrouver en ruines monumentales au crépuscule (Réminiscence archéologique de l’Angélus de Millet) ou bien en saints "couvant" un piano à queue ou un christ perpignanesque ou encore en couple de galets géants mous et troués comme dans l’extraordinaire Angélus architectonique de Millet et bien sûr dans toute la série des illustrations des Chants de Maldoror (milletiser Lautréamont béquilles à l’appui), quelles trouvailles !

À propos d’illustrations, celles que je ne connais pas sont les dessins de Dali d’après les poèmes de Mao Tsé-toung ! J’aimerais voir ça ! Après les Don Quichotte tachistes à l’arquebuse (sic !), après les gluantes aquarelles pâles pour La Divine Comédie et Les Métamorphoses érotiques où Dali relie le croquis didactiques de planches d’histoire naturelle pour en faire des scène zoologico-pornos très années 30...

Le grand livre dalinien, c’est bien sûr le Dali de Draeger (de mai 68 !), énorme et lourd, et doré comme une boîte de chocolats... Je le ressors ce matin … Royal ! J’ai eu ça pour un Noël, gosse. Il me tombe en lambeaux depuis : la colle a fondu, mollement : les pages s’arrachent quand on les tourne mais quel monument ! Les images (je ne pourrai jamais appeler ça de la peinture) sont classées par thèmes : la guerre, le paysage, Gala, le mysticisme, l’espace-temps, Oneros, vers un classicisme impérial... Dali regarde en gros plan des herbages de Meissonier pour prouver que c’est mieux que Pollock et il "barbouille" une bagarre d’Arabes au blanc de zinc pour prouver que Dali est encore meilleur que ces deux peintres-là (ce tableau m’avait impressionné quand j’avais douze ans) !

Le grand format du livre et les agrandissements de détails donnent de l’air à certains tableaux réussis (Construction molle avec des haricots bouillis), mais remettent les autres au niveau des pompiérités qu’ils sont (Bataille de Tétouan Galacidallahcidesoxyribonucléique, Léda Atomica et autres Cène nulles)... Heureusement, il y a d’autres images intenses de Dali. C’est sa force de mauvais peintre génial. Autoportrait mou avec du bacon grillé, le Crâne athmosphérique sodomisant un piano à queue, le Christ de saint Jean de la Croix plongée (vu de Dieu !), La Danse, Le Navire, Le Sommeil (qui vaut surtout par le couple de baiseurs dans les cratères de la lune...), le Pain anthropomorphe (avec selle en montre molle et encrier sur la "croupe"), l’extraordinaire Jeune vierge sodomisée par les cornes de sa propre chasteté (qui n’est pas pour rien dans mon goût de prendre une femme par-derrière et dont les cuisses de rhinocéros autobranleuses ont excité ma puberté...), et bien sûr La Pêche au thon que j’ai vu – avec Andréa de Bocumar,- à la Fondation Ricard en 68 ! Oui ! C’est même le premier tableau que j’aie vu en vrai dans ma vie. Le Zanine jouait chez Suzy (sic !), une boîte de Bandol. On allait à la plage avec le père Sardou (Fernand) – j’ignorais à l’époque qu’il avait tourné avec Clouzot dans "Les Espions" – et un jour on est allés voir "La Pêche au thon" que Dali avait à peine terminée (elle n’était pas encore sèche). Je me souviens de la lactescence azurée et phosphorescente de sa mer en bulles qui de bleue devenait rouge sang ! Comme c’est une grande toile et que j’étais petit, j’ai eu un grand choc : les pêcheurs nus, les sardines filantes, le couteau central, le play-boy en marcel devant et l’œil, l’œil du thon de gauche, je le revois encore... Toute ma poissonnerie vient de là, de cet œil de Caïn thon !...

Et puis, Dali, quel écrivain sans écriture ! Exactement comme ses œufs sur le plat sans le plat. Ses mots hélas réorthographiés par Michel Déon sont toujours justes, leur son jaune dégouline dans le sens du blanc. Ce serait parfait de lire Dali dans le sabir charabiatesque onomatopéique avec lequel il illustre la langue française... Tant pis, les deux livres de Dali – trois avec celui de Pauwels, "Les Passions selon Dali" (de loin meilleur que les autres monologues retranscrits par André Parinaud ou Alain Bosquet) – sont miraculeux de vérité et de drôlerie. C’est toujours La Vie secrète de Salvador Dali et le Journal d’un génie que je cite avec l’Autobiographie de Powys et l’ "Ecce Homo" de Nietzsche quand on me demande un conseil de lecture sur un homme qui a écrit sur lui-même. Ni écrivain ni philosophe, Dali tient le coup. C’est là-dedans qu’il explose d’idées et d’anecdotes, de partis pris et de fantasmes tous plus hilarants et cohérents les uns que les autres. S’il attaque, en vrac, Montaigne, Braque, Sartre, Le Corbusier, Bernard Buffet ("à peine laid "), Calder ("la moindre des choses qu’on puisse demander à une sculpture, c’est de ne pas bouger !"), Pollock ("le Marseillais de l’Abstrait"), Turner ("le plus mauvais peintre du monde"), Matisse (qui était réduit par Dali au bouton de sa braguette apparaissant sur une photo où ils étaient ensemble), ou Cézanne qui est allé chercher un dessinateur conventionnel à Aix pour "immortaliser" sa mère morte parce qu’il ne savait pas la dessiner, – c’est pour défendre avec autant de mauvaise foi Federico Garcia Lorca qui mimait si bien sa mort, Guillaume Tell, le marquis de Sade, Lautréamont, Gustave Moreau, Seurat, de Kooning, Duchamp, Gaudi, Raphaël, Picasso et, plus étonnant, deux de mes dieux de toujours, Harry Langdon ("supérieur à la musique") et Harpo Marx à qui il rêvait de faire jouer Néron dans un film... Même quand il note injustement les "cocus du vieil art moderne", Dali décoche toujours des flèches vraies. Il a raison : c’est ce qu’on se dit en lisant La Vie secrète, ce chef-d’œuvre que je relirais bien pour la vingt-septième fois aujourd’hui afin d’accompagner Dali dans la nouvelle de sa mort, si j’en avais le courage... »

Marc-Edouard Nabe, Journal Intime – Tome IV – Kamikaze

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06/04/2013

Peut-on aimer tous les hommes sans exception, tous ses semblables ?

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« Peut-on aimer tous les hommes sans exception, tous ses semblables ? Voilà une question que je me suis souvent posée. Certainement non ; c'est même contre nature. L'amour de l'humanité est une abstraction à travers laquelle on n'aime guère que soi. »

Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski, L'Idiot

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05/04/2013

J'ai quarante ans vécu

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« J'ai quarante ans vécu dans tes molles entraves
Sournoise liberté.
Pour des chambres d'hôtel je prenais les épaves
Où j'étais emporté.

Mes amis flagellés par de froides écumes
Sont tous tombés à l'eau.
Je regarde la mer (et loin d'où nous vécûmes)
Autour de mon îlot.

Je les irai sous peu rejoindre dans les chambres
D'un Terminus-Hôtel.
Car l'espace étoilé qui simule mes membres
Risque d'être immortel. »

Jean Cocteau, Clair-Obscur

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Tu mettrais l'univers entier dans ta ruelle

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« Tu mettrais l'univers entier dans ta ruelle,
Femme impure! L'ennui rend ton âme cruelle.
Pour exercer tes dents à ce jeu singulier,
Il te faut chaque jour un coeur au râtelier.
Tes yeux, illuminés ainsi que des boutiques
Et des ifs flamboyants dans les fêtes publiques,
Usent insolemment d'un pouvoir emprunté,
Sans connaître jamais la loi de leur beauté.

Machine aveugle et sourde, en cruautés féconde !
Salutaire instrument, buveur du sang du monde,
Comment n'as-tu pas honte et comment n'as-tu pas
Devant tous les miroirs vu pâlir tes appas ?
La grandeur de ce mal où tu te crois savante
Ne t'a donc jamais fait reculer d'épouvante,
Quand la nature, grande en ses desseins cachés
De toi se sert, ô femme, ô reine des péchés,
— De toi, vil animal, — pour pétrir un génie?

Ô fangeuse grandeur ! sublime ignominie ! »

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal

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04/04/2013

La plus difficile des réalisations : soi-même...

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« La plus difficile des réalisations : soi-même. »

« Je ne m'explique pas, je m'obéis. »

« Toute expression, tout art est une indiscrétion que nous commettons envers nous-mêmes. »

« La vie la plus belle est celle que l'on passe à se créer soi-même, non à procréer. »

« De mauvaise compagnie pour eux-mêmes, ils recherchent autrui. »

« Ne point suivre ceux qui s'arrêtent à nous, ni les conduire ! »

« N'oser critiquer que ce qu'on admire. »

« S'ils n'étaient que libres penseurs, mais ils sont libres parleurs ! »

« J'aurais dû choisir un jour de carnaval pour voir la vie : plus je regarde de visages, plus j'aime les masques. »

« La délicatesse : cette aristocratie de la force... Qu'ils doivent en manquer ceux qui la nomment impuissance ! »

Natalie Clifford-Barney, Éparpillements

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03/04/2013

Parler comme le vulgaire, mais penser comme les sages

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« Parler comme le vulgaire, mais penser comme les sages.

Vouloir aller contre le courant, c’est une chose où il est aussi impossible de réussir qu’il est aisé de s’exposer au danger ; il n’y a qu’un Socrate qui le pût entreprendre. La contradiction passe pour une offense, parce que c’est condamner le jugement d’autrui. Les mécontents se multiplient, tantôt à cause de la chose que l’on censure, tantôt à cause des partisans qu’elle avait. La vérité est connue de très peu de gens, les fausses opinions sont reçues de tout le reste du monde. Il ne faut pas juger d’un sage par les choses qu’il dit, attendu qu’alors il ne parle que par emprunt, c’est-à-dire par la voix commune, quoique son sentiment démente cette voix. Le sage évite autant d’être contredit que de contredire. Plus son jugement le porte à la censure, et plus il se garde de la publier. L’opinion est libre, elle ne peut ni ne doit être violentée. Le sage se retire dans le sanctuaire de son silence ; et, s’il se communique quelquefois, ce n’est qu’à peu de gens, et toujours à d’autres sages. »

Baltasar Gracián, L'Homme de Cour


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02/04/2013

L'anarque doit se garder de penser en progressiste

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« L'anarque peut vivre dans la solitude ; l'anarchiste est un être social, et contraint de chercher des compagnons.



Etant anarque, je suis résolu à ne me laisser captiver par rien, à ne rien prendre au sérieux, en dernière analyse... non, certes, à la manière des nihilistes, mais plutôt en enfant perdu, qui, dans le no man's land d'entre les lignes des marées, ouvre l'oeil et l'oreille.



C'est le rôle de l'anarque que de rester libre de tout engagement, mais capable de se tourner de n'importe quel côté.



Le trait propre qui fait de moi un anarque, c'est que je vis dans un monde que, "en dernière analyse", je ne prends pas au sérieux.



Pour l'anarque, les choses ne changent guère lorsqu'il se dépouille d'un uniforme qu'il considérait en partie comme une souquenille de fou, en partie comme un vêtement de camouflage. Il dissimule sa liberté intérieure, qu'il objectivera à l'occasion de tels passages. C'est ce qui le distingue de l'anarchiste qui, objectivement dépourvu de toute liberté, est pris d'une crise de folie furieuse, jusqu'au moment où on lui passe une camisole de force plus sérieuse.



Ce qui d'ailleurs me frappe, chez nos professeurs, c'est qu'ils pérorent d'abondance contre l'Etat et l'ordre, pour briller devant les étudiants, tout en attendant du même Etat qu'il leur verse ponctuellement leur traitement, leur pension et leurs allocations familiales, et qu'à cet égard du moins ils sont encore amis de l'ordre.



Le libéral est mécontent de tout régime; l'anarque en traverse la série, si possible sans jamais se cogner, comme il ferait d'une colonnade. C'est la  bonne recette pour qui s'intéresse à l'essence du monde plutôt qu'à ses apparences - le philosophe, l'artiste, le croyant.



Quand la société oblige l'anarque à entrer dans un conflit auquel il est intérieurement indifférent, elle provoque ses contre-mesures. Il tentera de retourner le levier au moyen duquel elle le meut.



Si j'aime la liberté "par dessus tout", chaque engagement devient image, symbole. Ce qui touche à la différence entre le rebelle et le combattant pour la liberté; elle est de nature, non qualitative, mais essentielle. L'anarque est plus proche de l'être. Le partisan se meut à l'intérieur des fronts sociaux et nationaux, l'anarque se tient au-dehors. Il est vrai qu'il ne saurait se soustraire aux divisions entre partis, puisqu'il vit en société.



Je disais qu'il ne faut pas confondre rebelles et partisans; le partisan se bat en compagnie, le rebelle tout seul. D'autre part, il faut bien distinguer le rebelle de l'anarque, bien que l'un et l'autre soient parfois très semblables et à peine différents, d'un point de vue existentiel.

La distinction réside en ce que le rebelle a été banni de la société, tandis que l'anarque a banni la société de lui-même. Il est et reste son propre maître dans toutes circonstances.



Pour l'anarque [...] S'il prend ses distances à l'égard du pouvoir, celui d'un prince ou de la société, cela ne veut pas dire qu'il refuse de servir, quoiqu'il advienne. D'une manière générale, il ne sert pas plus mal que tous les autres, et parfois mieux encore, quand le jeu l'amuse. C'est seulement du serment, du sacrifice, du don suprême de soi qu'il s'abstient.



L'anarque est [...] le pendant du monarque : souverain, comme celui-ci, et plus libre, n'étant pas contraint au règne.



Le libéralisme est à la liberté ce que l'anarchisme est à l'anarchie.



L'illusion égalitaire des démagogues est encore plus dangereuse que la brutalité des traîneurs de sabres... pour l'anarque, constatation théorique,  puisqu'il les évite les uns et les autres.



L'anarque, ne reconnaissant aucun gouvernement, mais refusant aussi de se bercer, comme l'anarchiste, de songeries paradisiaques, possède, pour cette seule raison, un poste d'observateur neutre.



L'anarque pense de manière plus primitive ; il ne se laisse rien prendre de son bonheur. "Rends-toi toi-même heureux", c'est son principe fondamental, et sa réplique au "Connais-toi toi-même" du temple d'Apollon, à Delphes. Les deux maximes se complètent ; il nous faut connaître, et notre bonheur, et notre mesure.



Le monde est plus merveilleux que ne le représentent sciences et religions. L'art est seul à le soupçonner.



L'obligation scolaire est, en gros, un moyen de châtrer la force de la nature et d'amorcer l'exploitation. C'est tout aussi vrai du service militaire obligatoire, qui est apparu dans le même contexte. L'anarque le rejette, tout comme la vaccination obligatoire et les assurances, quelles qu'elles soient. Il prête serment, mais avec des restrictions mentales. Il n'est pas déserteur, mais réfractaire.



Qu'on lui impose le port d'une arme, il n'en sera pas plus digne de confiance, mais, tout au contraire, plus dangereux. La collectivité ne peut tirer que dans une direction, l'anarque dans tous les azimuts.



L'anarque [...] a le temps d'attendre. Il a son éthos propre, mais pas de morale. Il reconnaît le droit et non la loi; méprise les règlements. Dès que l'éthos descend au niveau des règlements et des commandements, c'est qu'il est déjà corrompu.



L'anarque n'en [la société] discerne pas seulement de prime abord l'imperfection : il en reconnaît la valeur, même avec cette réserve. L'Etat et la société lui répugnent plus ou moins, mais il peut se présenter des temps et des lieux où l'harmonie invisible transparaît dans l'harmonie visible. Ce qui se révèle avant tout dans l'oeuvre d'art. En pareil cas, on sert joyeusement.



L'égalisation et le culte des idées collectives n'excluent point le pouvoir de l'individu. Bien au contraire : c'est en lui que se concentrent les aspirations des multitudes comme au foyer d'un miroir concave.



Etant anarque, ne respectant, par conséquent, ni loi ni moeurs, je suis obligé envers moi-même de prendre les choses par leur racine. J'ai alors coutume de les scruter dans leurs contradictions, comme l'image et son reflet. L'un et l'autre sont imparfaits -en tentant de les faire coïncider, comme je m'y exerce chaque matin, j'attrape au vol un coin de réalité.



Non qu'en tant qu'anarque, je rejette à tout prix l'autorité. Bien au contraire : je suis en quête d'elle et me réserve, pour cette raison précise, le droit d'examen.

Je mentionne cette indifférence parce qu'elle éclaire la distance entre les positions : l'anarchiste, ennemi-né de l'autorité, s'y fracassera après l'avoir plus ou moins endommagée.
L'anarque, au contraire, s'est approprié l'autorité; il est souverain. De ce fait, il se comporte, envers l'Etat et la société, comme une puissance neutre. Ce qui s'y passe peut lui plaire, lui déplaire, lui être indifférent. C'est là ce qui décide de sa conduite; il se garde d'investir des valeurs de sentiment. Chacun est au centre du monde, et c'est sa liberté absolue qui crée la distance où s'équilibrent le respect d'autrui et celui de soi-même.



Le bannissement se rattache à la société comme l'un des symptômes de son imperfection, dont l'anarque s'accommode tandis que l'anarchiste tente d'en venir à bout.



Nous frôlons ici une autre des dissemblances entre [l'anarque] et l'anarchiste : la relation à l'autorité, au pouvoir législateur.

L'anarchiste en est l'ennemi mortel, tandis que l'anarque n'en reconnaît pas la légitimité. Il ne cherche, ni à s'en emparer, ni à la renverser, ni à la  modifier - ses coups de butoir passent à côté de lui. C'est seulement des tourbillons provoqués par elle qu'il lui faut s'accommoder.


L'anarque n'est pas non plus un individualiste. Il ne veut s'exhiber, ni sous les oripeaux du "grand homme", ni sous ceux de l'esprit libre. Sa mesure lui suffit; la liberté n'est pas son but; elle est sa propriété. Il n'intervient ni en ennemi, ni en réformateur; dans les chaumières comme dans  les palais, on pourra s'entendre avec lui. La vie est trop courte et trop belle pour qu'on la sacrifie à des idées, bien qu'on puisse toujours éviter d'en être contaminé. Mais salut aux martyrs !



A première vue, l'anarque apparaît identique à l'anarchiste en ce qu'ils admettent, l'un comme l'autre, que l'homme est bon. La différence consiste en ceci : l'anarchiste le croit, l'anarque le concède. Donc, pour lui, c'est une hypothèse, pour l'anarchiste un axiome. Une hypothèse a besoin d'être vérifiée en chaque cas particulier; un axiome est inébranlable. Suivent alors les déceptions personnelles. C'est pourquoi l'histoire de l'anarchie est faite d'une série de scissions. Pour finir, l'individu reste seul, en désespéré.



Il n'y a pas plus à espérer de la société que de l'Etat. Le salut est dans l'individu.



L'idée fondamentale de Fourier est excellente : c'est que la création est mal fondue. Son erreur consiste à croire que ce défaut dans la coulée est réparable. Avant tout, l'anarque doit se garder de penser en progressiste. C'est la faute de l'anarchiste, en vertu de laquelle il lâche les rênes.



L'anarque peut rencontrer le monarque sans contrainte ; il se sent l'égal de tous, même parmi les rois. Cette humeur fondamentale se communique au souverain ; il sent qu'on le regarde sans préjugés. C'est ainsi que naît une bienveillance réciproque, favorable à l'entretien.


 Le capitalisme d'Etat est plus dangereux encore que le capitalisme privé, parce qu'il est directement lié avec le pouvoir politique. Seul, l'individu peut réussir à lui échapper, mais non l'association. C'est l'une des raisons qui font échouer l'anarchiste. »

Ernst Jünger, Eumeswill

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31/03/2013

Feu d'artifice de pierre, dentelle de granit

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« Je l'avais vu d'abord de Cancale, ce château de fées planté dans la mer. Je l'avais vu confusément, ombre grise dressée sur le ciel brumeux.  Je le revis d'Avranches, au soleil couchant. L'immensité des sables était rouge, l'horizon était rouge, toute la baie démesurée était rouge; seule, l'abbaye escarpée, poussée là-bas, loin de la terre, comme un manoir fantastique, stupéfiante comme un palais de rêve, invraisemblablement étrange et belle, restait presque noire dans les pourpres du jour mourant.
J'allai vers elle le lendemain dès l'aube, à travers les sables, l’œil tendu sur ce bijou monstrueux, grand comme une montagne, ciselé comme un camée et vaporeux comme une mousseline. Plus j'approchais, plus je me sentais soulevé d'admiration, car rien au monde peut-être n'est plus étonnant et plus parfait.
Et j'errai, surpris comme si j'avais découvert l'habitation d'un dieu à travers ces salles portées par des colonnes légères ou pesantes, à travers ces couloirs percés à jour, levant mes yeux émerveillés sur ces clochetons qui semblent des fusées parties vers le ciel et sur tout cet emmêlement incroyable de tourelles, de gargouilles, d'ornements sveltes et charmants, feu d'artifice de pierre, dentelle de granit, chef-d’œuvre d'architecture colossale et délicate. »

Guy de Maupassant , La légende du Mont Saint Michel

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30/03/2013

Il faut pourtant qu’il y en ait qui disent oui...

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« Il faut pourtant qu’il y en ait qui disent oui. Il faut pourtant qu’il y en ait qui mènent la barque. Cela prend l’eau de toutes parts, c’est plein de crimes, de bêtise, de misère… Et le gouvernail est là qui ballotte. L’équipage ne veut plus rien faire, il ne pense qu’à piller la cale et les officiers sont déjà en train de se construire un petit radeau confortable, rien que pour eux, avec toute la provision d’eau douce pour tirer au moins leurs os de là. Et le mât craque, et le vent siffle, et les voiles vont se déchirer, et toutes ces brutes vont crever toutes ensemble, parce qu’elles ne pensent qu’à leur peau, à leur précieuse peau et à leurs petites affaires. Crois-tu, alors, qu’on a le temps de faire le raffiné, de savoir s’il faut dire "oui" ou "non", de se demander s’il ne faudra pas payer trop cher un jour et si on pourra encore être un homme après ? On prend le bout de bois, on redresse devant la montagne d’eau, on gueule un ordre et on tire dans le tas, sur le premier qui s’avance. Dans le tas ! Cela n’a pas de nom. C’est comme la vague qui vient de s’abattre sur le pont devant vous ; le vent qui vous gifle, et la chose qui tombe dans le groupe n’a pas de nom. C’était peut-être celui qui t’avait donné du feu en souriant la veille. Il n’a plus de nom. Et toi non plus, tu n’as plus de nom, cramponné à la barre. Il n’y a plus que le bateau qui ait un nom et la tempête. Est-ce que tu le comprends, cela ? »

Jean Anouilh, Antigone

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L'Enracinement

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« L’enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine.
Même sans conquête militaire, le pouvoir de l’argent et la domination économique peuvent imposer une influence étrangère au point de provoquer la maladie du déracinement. (…) L’argent détruit les racines partout où il pénètre, en remplaçant tous les mobiles par le désir de gagner. Il l’emporte sans peine sur les autres mobiles parce qu’il demande un effort d’attention tellement moins grand. Rien n’est si clair et si simple qu’un chiffre. »

Simone Weil, L’enracinement, Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain

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29/03/2013

La chambre, les quatre murs, c’est intenable

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« La chambre, les quatre murs, c’est intenable. Il faut bouger. On ne sait plus quelles rues éviter, celles qu’on connaît parce qu’on les connaît, celles qu’on ne connaît pas pour la même raison, ou pour une autre. Je soupçonne mes semelles de n’avoir pas été faites pour ces trottoirs, mes jambes pour ces pantalons, ni ma patience pour cette attente. Hauts faits, bas faits, acrobaties, records, le plus difficile c’est de respirer. »

Jacques Rigaut, "Lord Patchogue", texte publié dans le numéro 203 de la "Nouvelle Revue Française" en août 1930

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La vie humaine n'est qu'un songe

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« Le 26 Mai 18..

(...) La vie humaine n'est qu'un songe ; c'est ce que beaucoup ont pensé et cette idée ne cesse de me poursuivre. Quand je considère les étroites limites dans lesquelles sont considérées les facultés actives et intellectuelles de l'homme ; quand je vois que tous leurs efforts s'épuisent à satisfaire des besoins, qui n'ont d'autres buts de prolonger notre malheureuse existence ; que toute notre tranquillité, sur certains points de la science, n'est qu'une résignation fondée sur des rêves, produite par cette illusion qui couvre les murs de notre prison de peintures variées et de perspectives lumineuses ;  tout cela rend muet, mon ami ; je rentre en moi-même, et j'y trouve un monde ! mais un monde fantastique, crée par des pressentiments, de sombres désirs et qui n'a aucune vivante action. Couvert d'un nuage épais, tout nage, tout flotte devant moi, et je m'enfonce en souriant dans ce chaos de rêves.

Gouverneurs, pédagogues, instituteurs, tous sont d'accord que les enfants ne savent ce qu'ils veulent. Mais que nous autres, grands enfants, parcourons ce globe en chancelant, sans savoir d'où nous venons, où nous allons ; que comme les petits, nous agissons sans but ; que comme eux, nous nous laissons mener par des gâteaux, des bonbons et la verge, c'est ce que personne ne veut croire volontiers, et à mon avis cependant cela crève les yeux.

Au reste, je t'accorde bien volontiers ( car je sais ce que tu vas me répondre ) que ceux-là sont les plus heureux qui, comme les enfants, vivent au jour la journée, traînent leur poupée çà et là, l'habillent, la déshabillent, passent et repassent avec grand respect devant le tiroir où la maman tient les sucreries, et quand elle leur en donne, les dévorent avec avidité et se mettent à crier : encore, encore ! Oui, voilà de fortunées créatures ! Heureux aussi ceux qui donnent un titre imposant à leurs futiles occupations ou même à leurs passions, pour les présenter au genre humain comme des oeuvres de géant, entreprises pour son salut et sa prospérité. Encore une fois, grand bien leur fasse, à eux et à qui peut penser comme eux.

Mais celui qui dans son humilité reconnaît le néant où toutes ces vanités doivent aboutir ; celui qui voit le bourgeois aisé arranger son petit jardin comme un paradis ; qui voit le malheureux sous le fardeau qui l'accable, se traîner sur le chemin sans se rebuter ; et tous ceux enfin également intéressés à contempler une minute de plus la lumière du soleil ; celui-là, dis-je, est tranquille, il crée son univers en lui-même, il est aussi heureux d'être homme. Quelque limité que soit son pouvoir, il entretient toujours dans son coeur le doux sentiment de la liberté ; il sait qu'il peut quitter cette prison quand il lui plaira. »

Johann Wolfgang von Goethe, Les Souffrances du jeune Werther

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28/03/2013

Ressembler à mon dernier ennemi...

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« J'ai décidé de ne plus m'en prendre à personne depuis que j'ai observé que je finis toujours par ressembler à mon dernier ennemi. »

Emil Michel Cioran, De l'inconvénient d'être né

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La responsabilité de l'individu

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« Tous mes films, d'une façon ou d'une autre, répètent que les hommes ne sont pas seuls et abandonnés dans un univers vide, mais qu'ils sont reliés par d'innombrables liens au passé et à l'avenir, et que chaque individu noue par son destin un lien avec le destin humain en général. Cet espoir que chaque vie et que chaque acte ait un sens, augmente de façon incalculable la responsabilité de l'individu à l'égard du cours général de la vie. »

Andreï Tarkovski, Le Temps scellé

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27/03/2013

Un indéfectible lien que nous firent les larmes

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« Un jour que je versais amèrement des larmes, que défaite en douleur, mon espérance allait s'évanouir, - et j'étais solitaire, debout près de ce tertre aride qui, dans son lieu obscur et resserré, détenait l'être de ma vie - solitaire comme aucun solitaire n'avait jamais été - oppressé d'une angoisse indicible, à bout de force, plus rien qu'un souffle de détresse... Comme alors je quêtais des yeux quelque secours, ne pouvant avancer ni reculer non plus, un immense regret me retenait à la vie qui fuyait, s'éteignait ; - alors, du fond des bleus lointains, de ces hauteurs de ma félicité ancienne, vint un frisson crépusculaire, - et par un coup se rompit le lien natal : la chaîne de la lumière.
Loin s'est enfuie la terrestre splendeur, et avec elle ma désolation : - le flot de la mélancolie est allé se résoudre en un nouveau, un insondable monde. O nocturne enthousiasme, toi le sommeil du ciel, tu m'emportas : - le site s'enlevait doucement en hauteur, et sur le paysage flottait mon esprit libéré de ses liens, né à nouveau. Le tertre n'était plus qu'un nuage de poussière, que transperçait mon regard pour contempler la radieuse transfiguration de la bien-aimée. L'éternité reposait en ses yeux - j'étreignis ses mains, et ce fut un étincellent, un indéfectible lien que nous firent les larmes. Les millénaires passaient au loin comme un orage. Et ce furent des larmes d'extase que je versai sur son épaule, au seuil de la vie nouvelle.
Ce fut là le premier, l'unique rêve, - et depuis lors, à jamais, je sens en moi une foi éternelle, immuable, en le ciel de la Nuit et sa lumière, la Bien-Aimée. »

Novalis, les Hymnes à la Nuit

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Jusqu'à quand pourrai-je mener mon existence "ironique" ?

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« Jusqu'à quand pourrai-je mener mon existence "ironique" ? C'est la seule question importante. C'est aussi la seule que je devrais m'interdire de me poser. Vivre l'instant. Vivre dans l'instant. Ne jamais songer au lendemain. »

« L'homme dyonisiaque n'aime pas échouer. Comme les autres, il cherche le triomphe, mais, rencontrant la défaite, il découvre avec terreur et ivresse que celle-ci peut être voluptueuse. Nihiliste par occasion et non par volonté. »

Gabriel Matzneff, Cette camisole de flammes, journal 1953-1962

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L’idée athée par excellence est l’idée de progrès

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« L’idée athée par excellence est l’idée de progrès, qui est la négation de la preuve ontologique expérimentale ; elle implique que le médiocre peut de lui même produire le meilleur.

Or toute la science moderne concourt à la destruction de l’idée de progrès et à établir que tout progrès vient du dehors. Darwin a détruit l’illusion de progrès interne qui se trouvait dans Lamarck. La théorie des mutations ne laisse subsister que le hasard et l’élimination. L’énergétique pose que l’énergie se dégrade et ne monte jamais; qu’elle se gaspille et ne s’accroît jamais; que rien ne monte sans qu’autre chose ne soit davantage descendu; et cela s’applique même à la vie végétale et animale.

Principe de l’usage de la science moderne en faveur de la véritable foi. Très important.

La sociologie et la psychologie ne seront scientifique que par un usage analogue de la notion d’énergie, usage incompatible avec toute illusion de progrès ; et alors elles resplendiront de la lumière de la vraie foi. »

Simone Weil, Cahier VIII

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26/03/2013

L'égalité, ce n'est pas important

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« La liberté et l'égalité, non seulement ne s'accordent pas, mais s'opposent résolument. En fait, seule la liberté compte. L'égalité, ce n'est pas important. Un homme intelligent n'a pas à souffrir de constater qu'il existe des gens plus beaux, plus riches et plus heureux que lui. L'essentiel, c'est ce que l'on est soi. »

Gabriel Matzneff, Cette camisole de flammes, journal 1953-1962

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L’ascèse corporelle est nécessaire pour rendre la terre du cœur apte à recevoir les semences spirituelles

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« L’ascèse corporelle est nécessaire pour rendre la terre du cœur apte à recevoir les semences spirituelles et à produire des fruits de la même espèce. Abandonner ou négliger les labeurs ascétiques, c’est rendre le sol impropre à être ensemencé et à produire du fruit : Les exagérer ou placer son espérance en eux est tout aussi nuisible ou même davantage que de les abandonner. L’abandon des observances ascétiques corporelles rend l’homme semblable à un animal, donnant libre cours et offrant un vaste champ d’action aux passions du corps, mais leur exagération le rend semblable aux démons, car elle favorise et renforce la prédisposition aux passions de l’âme. Ceux qui relâchent l’ascèse corporelle s’asservissent à la gloutonnerie, à la luxure et à la colère dans ses formes grossières. Ceux qui pratiquent une ascèse corporelle excessive, qui en font un usage déraisonnable ou qui mettent en elle toute leur espérance avec l’idée qu’elle leur confère mérite et dignité au regard de Dieu, tombent dans la vanité, la présomption, la fierté, l’orgueil, l’endurcissement, dans le mépris de leur prochain, le dénigrement et la condamnation des autres, dans la rancune, la haine, dans le blasphème, dans le schisme, dans l’hérésie, dans l’aveuglement spirituel et l’illusion démoniaque.

Estimons à leur juste valeur les pratiques ascétiques corporelles - elles sont des instruments indispensables pour acquérir les vertus - mais gardons-nous de prendre ces outils pour des vertus, de peur de tomber dans l’aveuglement et de nous priver de progrès spirituels par une fausse conception de l’agir chrétien. »

Saint Ignace Briantchaninov, Introduction à la tradition ascétique de l’Église d’Orient : Les miettes du festin

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25/03/2013

j'ai, moi aussi, la nostalgie d'une communauté chevaleresque, la nostalgie d'un Ordre

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« Mauriac écrit dans son dernier Bloc-notes de juin : "L'adolescence, dans les classes aisées, est fasciste d'instinct."

Très vrai. Pour un coeur de quinze ans, le refus de la chiennerie alentour, le refus de la société forgée par les adultes prend volontiers une forme dure, agressive, fasciste. Peut-être est-ce un mal, je n'en sais rien, mais à qui la faute, sinon à la merde petite-bourgeoise qui nous cerne de tous côtés ?

Et puis quoi ? Nous sommes des enfants perdus. Le fascisme, comme le scoutisme d'ailleurs dont il est le visage extrème, est une manière d'échapper à la solitude. Ni lorsque j'avais quinze ans ni aujourd'hui cette manière n'a été, n'est la mienne. Mais je la comprends, car j'ai, moi aussi, la nostalgie d'une communauté chevaleresque, la nostalgie d'un Ordre. »

Gabriel Matzneff, Cette camisole de flammes, journal 1953-1962

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La synchronie et l'entraînement

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« Entraînement est le terme choisi par William Condon pour désigner le processus qui se produit quand deux ou plusieurs individus s'engagent dans une relation mutuelle par l'intermédiaire de leurs rythmes et que ces rythmes se synchronisent. Condon et moi-même pensons qu'on finira par démontrer que la synchronie commence à partir de la myélinisation du nerf auditif, autrement dit, six mois après la conception d'un individu : le foetus commence alors à entendre. Immédiatement après la naissance, les mouvements du nouveau-né suivent le rythme de la voix de sa mère. L'enfant synchronise aussi ses mouvements avec la voix d'autres individus, quelle que soit la langue qu'ils parlent ! On peut donc considérer comme innée la tendance selon laquelle les individus se synchronisent avec les voix qu'ils entendent autour d'eux. Le rythme particulier qu'ils acquièrent dépend de leur environnement culturel au cours de l'apprentissage de ces modèles. On a donc de bonnes raisons de penser que des êtres humains normaux sont capables d'apprendre à se synchroniser avec n'importe quel rythme humain à condition que cet apprentissage ait lieu suffisamment tôt.



Manifestement, quelque chose d'aussi profond que le rythme, acquis par un individu au début de sa vie, élément enraciné dans l'ensemble des codes de comportement inné de l'organisme humain, et partagé par toute l'humanité, ne doit pas seulement être important, c'est probablement un des éléments essentiels qui contribuent à la survie de notre espèce. Il est tout à fait possible de découvrir dans l'avenir que la synchronie et l'entraînement sont encore plus essentiels à la survie des êtres humains que le sexe au niveau individuel, et aussi essentiels à leur survie que le sexe au niveau du groupe. Sans la capacité des êtres humains de s'entraîner mutuellement — ceci se produit dans certains types d'aphasie — il leur est pratiquement impossible de survivre. Le Dr Barry Brazelton, un pédiatre de Boston, s'est consacré pendant des années à l'étude de l'interaction entre parents et enfants dès la naissance; il a décrit les multiples et subtils niveaux de synchronie qui s'établissent entre eux dans les relations normales, et il affirme que des parents qui battent leurs enfants n'ont jamais appris à synchroniser leurs propres rythmes à ceux de leurs enfants. Le rythme fait tellement partie de la vie de chaque individu qu'il n'en remarque pratiquement pas l'influence sur son comportement. Quelque part, dans le processus de synchronie, existe un lien entre l'expérience consciente normale, et l'expérience dite métaphysique. Il n'y a qu'un pas de l'océan de rythmes dans lequel tous les individus sont mutuellement entraînés, aux théories plus contemporaines sur le phénomène de précognition. »

Edward T. Hall, La Danse de la vie : temps culturel, temps vécu

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24/03/2013

Avant la Renaissance, on concevait Dieu comme un son ou une vibration

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« Avant la Renaissance, on concevait Dieu comme un son ou une vibration. On comprend une telle conception parce que le rythme d'un peuple est vraisemblablement l'élément qui lie avec le plus de force les êtres humains entre eux. Je suis, en fait, arrivé à la conclusion que l'espèce humaine vit dans un océan de rythmes. Certains ne le perçoivent pas, alors que pour d'autres, au contraire, cela est tout à fait tangible : ce qui explique pourquoi certains compositeurs semblent vraiment capables de puiser dans cet océan, d'exprimer pour les autres des rythmes qui sont sentis, mais non encore exprimés, comme musique. Les poètes font la même chose, mais sous une forme différente. »

Edward T. Hall, La Danse de la vie : temps culturel, temps vécu

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La Lumière Incréée...

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« - Quand même, répondis-je, je ne comprends pas encore comment je puis être vraiment sûr d'être dans l'Esprit Saint ! Comment puis-je en moi-même reconnaître Sa véritable présence ? Petit Père Séraphim répondit : J'ai déjà dit, votre Théophilie, que c'était fort simple et vous ai raconté d'une façon détaillée comment les hommes peuvent être en la plénitude de l'Esprit Saint et comment il faut reconnaître Son apparition en nous. Alors, petit père, que voulez-vous de plus ?

- Il me faut, dis-je, pouvoir le comprendre mieux encore !

Alors Père Séraphim me serra fortement les épaules et dit :

- Nous sommes tous les deux en la plénitude de l'Esprit Saint ! Pourquoi ne me regardes-tu pas ?
- Je ne le puis, dis-je, petit Père car des foudres jaillissent de vos yeux. Votre face est devenue plus lumineuse que le soleil et mes yeux sont broyés de douleur !
- N'ayez pas peur, dit saint Séraphim. Vous êtes devenu aussi lumineux que moi ; vous êtes aussi, à présent, en la plénitude de l'Esprit Saint, autrement vous n'auriez pu me voir ainsi.
Et inclinant la tête vers moi, il me dit doucement à l'oreille : Remerciez le Seigneur de nous avoir donné Sa Grâce ineffable. Vous avez vu que je n'ai même pas fait un signe de croix ; seulement, dans mon coeur, en pensée, j'ai prié le Seigneur Dieu et j'ai dit : "Seigneur, rends-le digne de voir clairement avec ses yeux de chair la descente de l'Esprit Saint, comme Tu l'as fait voir à Tes serviteurs élus quand Tu daignas apparaître dans la magnificence de Ta Gloire !" Et voilà, petit père, Dieu exauça immédiatement l'humble prière de l'humble Séraphim ! Comment pourrions-nous ne pas Le remercier pour ce don inexprimable accordé à nous deux ?
Réalisez, petit père, que ce n'est pas toujours aux grands ermites que Dieu manifeste ainsi Sa Grâce. Telle une mère compatissante, cette Grâce de Dieu a daigné panser votre coeur douloureux par l'intercession de la Mère de Dieu elle-même.
Alors, pourquoi ne me regardez-vous pas dans les yeux ? Osez me regarder simplement et sans crainte ! DIEU EST AVEC NOUS !

Après ces mots, je regardai sa face et une peur surnaturelle encore plus grande m'envahit.
Représentez-vous la face d'un homme qui vous parle au milieu d'un soleil de midi. Vous voyez les mouvements de ses lèvres, l'expression changeante de ses yeux, vous entendez sa voix, Vous sentez que quelqu'un vous serre les épaules de ses mains, mais vous n'apercevez ni ses mains, ni son corps, ni le vôtre, mais seulement cette éclatante lumière qui se propage à plusieurs mètres de distance tout autour, éclairant la surface de neige recouvrant la prairie, et la neige qui continue à nous saupoudrer, le grand Staretz et moi-même. Qui pourrait imaginer mon état d'alors ?

- Que sentez-vous à présent ? demanda saint Séraphim.
- Je me sens extraordinairement bien !
- Mais... Comment cela, "bien" ? En quoi consiste ce "bien" ?
- Je ressens en mon âme un silence, une paix, tels que je ne puis l'exprimer par des paroles...
- C'est là, votre Théophilie, dit le petit Père Séraphim, cette paix même que le Seigneur désignait à Ses disciples lorsqu'Il leur disait: "Je vous donne Ma paix, non comme le monde la donne. C'est Moi Qui vous la donne. Si vous étiez de ce monde, le monde aurait aimé les siens. Je vous ai élus et le monde vous hait. Soyez donc téméraires, car J'ai vaincu le monde !"
C'est à ces hommes, que le monde hait, élus de Dieu, que le Seigneur donne la paix que vous ressentez à présent, "cette paix", dit l'Apôtre, "qui dépasse tout entendement."

L'Apôtre désigne ainsi cette paix parce qu'on ne peut exprimer par aucune parole le bien-être que ressent l'âme des hommes dans le coeur desquels le Seigneur Dieu l'enracine. Le Christ Sauveur l'appelle "Sa paix", venant de Sa propre générosité et non de ce monde, parce qu'aucun bonheur terrestre provisoire ne peut donner cette paix.
Elle est donnée d'En Haut par le Seigneur Dieu Lui-même, c'est pourquoi elle se nomme: "LA PAIX DU SEIGNEUR".

- Mais que ressentez-vous en plus de la paix ? demanda saint Séraphim.
- ...une douceur extraordinaire...
- C'est cette douceur dont parlent les Saintes Écritures : "Ils boiront le breuvage de Ta maison et Tu les désaltéreras par le torrent de Ta douceur". C'est cette douceur qui déborde dans nos coeurs et s'écoule dans toutes nos veines en un inexprimable délice. On dirait qu'elle fait fondre nos coeurs, les emplissant d'une telle béatitude qu'aucune parole ne saurait la décrire. Et que sentez-vous encore ?
- Tout mon coeur déborde d'une joie indicible.
- Quand le Saint Esprit, continua saint Séraphim, descend vers l'homme et le couvre de la plénitude de Ses dons, l'âme de l'homme se remplit d'une inexprimable joie, parce que le Saint Esprit recrée en joie tout ce qu'Il a effleuré 1 C'est de cette même joie dont parle le Seigneur dans l'Évangile : "Quand la femme enfante, elle est dans la douleur, car son heure est arrivée. Mais, ayant mis au monde un enfant, elle ne se souvient plus de la douleur. tant la joie d'avoir enfanté est grande.. Vous aurez de la douleur dans le monde, mais quand Je vous visiterai, vos coeurs se réjouiront et votre joie ne vous sera point ravie".
Pour autant qu'elle soit consolation, cette joie que vous ressentez à présent dans votre coeur, votre Théophilie, n'est rien en comparaison,de celle dont le Seigneur Lui-même a dit par le voix de Son Apôtre : "La joie que Dieu réserve à ceux qui l'aiment ne peut être vue, ni entendue, ni ressentie par le coeur de l'homme dans ce monde".
Ce ne sont que des "acomptes" de cette joie qui nous sont à présent accordés, et si déjà nous ressentons en nos coeurs douceur, jubilation et bien-être, que dire alors de cette autre joie qui nous est réservée dans le ciel à nous qui pleurons ici-bas.
Ainsi, votre Théophilie, vous aussi avez assez pleuré dans votre vie sur cette terre, et voyez par quelle joie vous console dès ici-bas le Seigneur. Maintenant, petit père, c'est à nous d'oeuvrer en accumulant les efforts, croissant de force en force pour atteindre la mesure de l'âge (maturité) dans l'accomplissement de l'oeuvre du Christ et pour que les paroles du Seigneur s'accomplissent en nous : "Ceux qui patienteront au nom du Seigneur changeront de force, obtiendront des ailes, tels des aigles, s'épancheront sans fatigue, partiront sans connaître jamais la faim, croissant de force en force, et le Dieu des dieux leur apparaîtra dans la Sion de sagesse et de visions célestes".
C'est alors que notre joie actuelle, trop petite et éphémère, nous sera donnée en sa plénitude sans que personne puisse nous la ravir et nous remplira de jouissances célestes inexprimables.
Que sentez-vous en plus de cela, votre Théophilie ?
- Une chaleur extraordinaire, répondis-je.
- Comment cela, chaleur ? Ne sommes-nous pas en pleine forêt, l'hiver, la neige sous nos pieds, qui nous recouvre d'une couche épaisse et continue à nous saupoudrer ? Quelle chaleur pouvez-vous ressentir ici ?
- Mais une chaleur comparable à celle d'un bain de vapeur à l'instant où son tourbillon vous enveloppe.
- Et l'odeur que vous sentez, est-elle aussi comme aux bains ? - Oh ! que non, dis-je. Rien sur la terre ne peut se comparer à cet aromate. Quand autrefois j'aimais danser, aux réunions et aux bals, feu ma petite mère me parfumait parfois avec des parfums qu'elle achetait dans les meilleurs magasins de Kazan. Mais ces parfums ne sont rien en comparaison de ces "aromates".

Petit Père Séraphim, alors, sourit agréablement en disant :

- Je sais, en vérité, que c'est bien ainsi et c'est exprès que je vous questionne sur ce que vous ressentez ! C'est bien vrai, votre Théophilie, rien ne peut se comparer avec le parfum que nous humons actuellement, car c'est l'aromate de l'Esprit Saint qui nous enveloppe. Quelle chose terrestre peut lui être comparée ?
Notez bien, votre Théophilie, que vous m'avez dit tout à l'heure, qu'il faisait chaud comme aux bains. Pourtant regardez, la neige qui nous recouvre ne fond point, non plus que celle qui est sous nos pieds : cette chaleur n'est donc pas dans l'air, mais à l'intérieur de nous-mêmes. C'est cette chaleur que l'Esprit Saint nous fait demander dans la prière, quand nous clamons vers Dieu: « Que Ton Saint Esprit me réchauffe !

Réchauffés par cette chaleur, les ermites ne craignaient plus le froid de l'hiver, habillés comme par des pelisses chaudes dans un vêtement tissé par la Grâce de l'Esprit Saint.

Et c'est ainsi que les choses doivent être en réalité, puisque la Grâce divine doit habiter au plus profond de nous, dans notre coeur, comme l'a dit le Seigneur : "LE ROYAUME DES CIEUX EST EN VOUS".

Et, par le "Royaume des Cieux", le Seigneur entendait la Grâce de l'Esprit Saint. C'est ce "Royaume des Cieux" qui se trouve à présent en nous, et la Grâce de l'Esprit Saint nous éclaire et nous réchauffe aussi de l'extérieur, et embaume l'air environnant de divers parfums et réjouit nos sens de célestes délices, désaltérant nos coeurs d'une inexprimable joie. Notre état actuel est celui-là même dont l'Apôtre Paul disait : "LE ROYAUME DES CIEUX N'EST POINT NOURRITURE OU BREUVAGE, MAIS LA VÉRITÉ ET LA JOIE EN L'ESPRIT SAINT". Notre foi consiste non pas en "des paroles de la sagesse terrestre mais dans la manifestation de la Force et de l'Esprit". Nous sommes actuellement avec vous dans cet état.

C'est de cet état précis que le Seigneur Dieu dit : "Certains ici présents ne goûteront point la mort avant d'avoir vu le Royaume des Cieux venir en Force".

Voilà, votre Théophilie, quelle joie incomparable le Seigneur Dieu nous accorde ! Voilà ce que signifie "être en la plénitude de l'Esprit Saint", et c'est cela qu'entend saint Macaire d'Égypte quand il écrit : "Je fus moi-même en la plénitude de l'Esprit Saint".

Maintenant le Seigneur nous a, nous aussi, humbles que nous sommes, remplis de cette plénitude de Son Saint Esprit.

Eh bien, votre Théophilie, il me semble à présent que vous n'allez plus m'interroger sur la façon dont se manifeste dans les hommes la présence de la Grâce de l'Esprit Saint... »

Entretien de St Séraphim de Sarov avec Motovilov, in Irina Goraïnoff, "Séraphim de Sarov", (Éditions Abbaye de Bellefontaine et Desclée de Brouwer)

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