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08/03/2013

C’est toute la douleur du monde qui est venue s’asseoir à ma table

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« C’est toute la douleur du monde
qui est venue s’asseoir à ma table
-et pouvais-je lui dire : Non ?

Je m’étais fait si petit,
une petite chenille, et j’ai éteint la lampe
-mais pouvais-je savoir qu’elle mûrissait dedans
et pouvais-je m’empêcher qu’elle sortît un jour,
une chanson entre ses ailes ?

J’ai dit à la douleur du monde
qui s’est couchée sous mon ventre :
N’ai-je pas assez de la mienne ?

Vois : j’ai ma propre soif !
On ne peut pas toujours demeurer une chenille
la terre m’est rugueuse au ventre
elle me fait mal votre terre
je suis né pour voler...

D’un bond je lui tournai le dos-
mais elle était déjà dans mon songe.
-Est-ce mon sang qu’elle voulait ?

J’ai dit la douleur du monde
-C’est une ruse, une sale ruse.
Voilà que tu chantes en t’en allant...

-Mais à ma place, dites, l’auriez-vous oubliée ? »

Benjamin Fondane, Au temps du poème


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La République Hypocrite

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L'institution de la police nationale

Le salaire minimum

L'institution du carnet de santé

Le certificat prénuptial...

La réorganisation statutaire du cinéma

La réorganisation statutaire des professions de médecin avec la création d'un Ordre de ceux-ci

La réorganisation statutaire d'architecte

La création de l'hôpital public

La création de la carte hebdomadaire ouvrant droit à une réduction dans les transports

La mise en place d'une loi « sur la protection des naissances » que l'on traduira par « accouchement sous X »...

Les cantines d'entreprises

Le sport au Baccalauréat...

La création des comités d'établissements devenus plus tard comités d'entreprises...

La médecine du travail

Tout cela on le doit à qui mes kikis ?
On le doit à Vichy !

*´¨) ¸.•´¸.•*´¨) ¸.•*¨) (¸.•´ (¸.•` ¤ Maréchââââl... nous voilââââââ ! *´¨) ¸.•´¸.•*´¨) ¸.•*¨) (¸.•´ (¸.•` ¤

Elle n'est pas un peu hypocrite, la République, quand elle parle de parenthèse ? 

 

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Buvons au Passé...

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« C’est cette nécessité de protéger la civilité et le langage traditionnels contre les effets de la domination de classe, qui est, vraisemblablement, à l’origine du besoin si souvent ressenti par Orwell de réhabiliter une certaine quantité de conservatisme. Aucune société décente, en effet, ne peut advenir ni même être imaginée, si nous persistons, dans la tradition apocalyptique ouverte par Saint Jean et Saint Augustin, à célébrer l’avènement de l’homme nouveau et à prêcher la nécessité permanente de faire du passé table rase. En réalité, on ne peut espérer changer la vie si nous n’acceptons pas de prendre les appuis appropriés sur un vaste héritage anthropologique, moral et linguistique, dont l’oubli et le refus ont toujours conduit les intellectuels révolutionnaires à édifier les systèmes politiques les plus pervers et les plus étouffants qui soient. C’est une autre manière de dire qu’aucune société digne des possibilités modernes de l’espèce humaine n’a la moindre chance de voir le jour si le mouvement radical demeure incapable d’assumer clairement un certain nombre d’exigences conservatrices. Telle est, de ce point de vue, la dernière et la plus fondamentale leçon de 1984 : le sens du passé, qui inclut forcément une certaine aptitude à la nostalgie, est une condition absolument décisive de toute entreprise révolutionnaire qui se propose d’être autre chose qu’une variante supplémentaire des erreurs et des crimes déjà commis.

"- A quoi devons nous boire cette fois [demanda O’Brien] ? A la confusion de la police de la pensée ? A la mort de Big Brother ? A l’humanité ? A l’avenir ?
- Au passé, répondit Winston.
- Le passé est plus important, consentit O’Brien gravement." »

Jean-Claude Michéa, Orwell anarchiste tory

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Cette foi avait été la sienne

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« Dans les églises, jamais il ne lisait, sauf parfois, et alors tout à fait au hasard, des livres religieux qu'il avait trouvés là, missels ou recueils de chants liturgiques. Il aurait jugé déplacé, irrespectueux, vulgaire, de lire en de pareils endroits les livres dont il était toujours muni. Ce n'était pas la foi qui l'attirait sous ses voûtes, mais il respectait celle des autres, celles des vivants et plus encore celle des morts. Il allait même jusqu'à respecter Dieu, ce Dieu auquel il ne croyait pas croire. Rien ne lui eût semblé plus méprisable et surtout plus bête que le sacrilège, ou seulement que l'irrévérence. Les croyants lui donnaient l'hospitalité, il lui eût semblé indigne de se servir d'elle contre eux, ou de manquer de considération à leur égard. C'étaient eux qui avaient bâti ces églises. Ces agencements de piliers, d'ombres, d'emblèmes et de voûtes étaient ceux qu'impliquaient leurs croyances. Tout y témoignait de leurs convictions, qu'il ne souhaitait heurter en rien, même s'il ne les partageait pas. D'ailleurs il ne se sentait pas étranger, à leur égard, ni dans ces lieux. Cette foi avait été la sienne, il avait été élevé en elle, il en connaissait les rites et les expressions, ils étaient ceux de ses aïeux. »

Renaud Camus, Loin

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07/03/2013

La littérature engagée

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« La lit­téra­ture engagée, avec son air mar­tial et ses bonnes réso­lu­tions, est sym­pa­thique dans la mesure où les fay­ots sont sym­pa­thiques dans un rég­i­ment de cav­a­lerie. »

Roger Nimier, Les écrivains sont-ils bêtes ?

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06/03/2013

La source enfouie de son chant profond

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« "Humain" est aujourd’hui le mot à la mode. Ils n’ont que ce mot-là à la bouche, du moins ceux qui font du bruit. Et, frelatés et racornis comme ils le sont, c’est l’humain justement qui ne peut plus les toucher. Voyez-les au cinéma : lorsqu’il y a (dans un film russe ou allemand) quelque chose qui va loin, ils rient. Aussi, ce qu’ils appellent l’humain, parlons-en ! Et de même d’autres mots, qui signifient ce qu’il y a de plus beau sur la terre - "pureté", "gratuité", - qu’ils ont vidés de leur sens et font servir à on ne sait quel usage... Ils parlent du peuple (qu’ils appellent "prolétariat", parce que "peuple" est trop simple), et le peuple à l’état nature les dégoûte, ils ne l’aiment que rendu artificiel, comme ils n’aiment les visages des femmes que falsifiés. Ils parlent de liberté, et tous sont à la chaîne, d’ailleurs ne bougeant plus, même quand leur chaîne est défaite. Ils parlent d’affranchissement des mœurs, et ils sont comme le stupide cheval, qu’une feuille de papier à cigarette au milieu de la route fait broncher. Ils vous pourfendent de leur catholicisme, et il n’est pas une heure dans leur vie entière où ils aient agi en chrétiens. Ils rabâchent de la révolution, et s’ils la font ils la rapetisseront elle aussi, parce qu’ils y resteront eux-mêmes. Il n’y a que la guerre qu’ils n’aient pas pu amoindrir. Elle, elle les prit, les souleva, et les laissa retomber. A l’armistice ils ne déclinèrent pas : ils redevinrent ce qu’ils étaient vraiment. "La guerre tue moins d’âmes que la paix", a écrit Veuillot. Certes, et surtout en France. L’Allemagne a besoin de la guerre pour y donner cours à ses instincts. La France a besoin de la guerre pour s’y sauver de ses instincts. Elle est comme ces fleurs qui embaument quand un lien les pressure en bouquet, et qui perdent leur parfum quand le lien se relâche : il faut qu’on la brutalise pour qu’elle donne son odeur. Et cependant la paix doit être maintenue ; il faut se débrouiller avec la paix. Mais quoi donc, alors, ou qui donc, en temps de paix, secouera assez cette nation pour qu’elle se déchire et s’entrouvre, et qu’il en jaillisse la source enfouie de son chant profond ? »

Henry de Montherlant, Service inutile

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05/03/2013

Sonnet sur le cul d'une demoiselle

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« Beau cul de marbre vif, dont l'amour fait sa gloire,
Cul dont les doux regards sont d'attraits embellis,
Cul qui par sur tout autre oblige mes écrits,
De sacrer vos honneurs au temple de Mémoire ;

Cul qui sur tous les culs remportes la victoire,
Cul qui passe en blancheur et la rose et les lys,
Cul de qui le mérite oblige mes écrits
De sacrer vos honneurs au temple de Mémoire,

Beau cul, bien que tant d'heur se marque assez en vous,
Ce n'est pas le sujet qui fait qu'aux yeux de tous,
J'étale en ces écrits, vos beautés que j'admire,

Mais surtout, je vous aime ô beau cul tout divin
Peut être le plus proche et l'unique voisin
De ce doux paradis où l'Amour se retire ! »

Robert Angot de L'Éperonnière, Les nouveaux satires et exercices gaillards de Robert Angot, sieur de l'Éperonnière

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Ils cherchent sans cesse ce qui relierait leur vie aux artères de la grande vie dans une transfusion magique de sang vivant

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« Ici ma façon de voir les choses me contraint à sûrement commencer par vous surprendre en affirmant que la lecture, cette habitude immodérée, cette immense maladie de la lecture, si vous voulez, ce phénomène de notre temps qu'on abandonne trop à la statistique et à la théorie des échanges commerciaux et dont on considère trop peu les côtés plus subtils, n'exprime rien d'autre qu'une aspiration insatiable à jouir de la poésie. Cela doit vous surprendre et vous me dites qu'à aucune époque précédente, la poésie n'a joué un rôle aussi modeste que celui qu'elle joue dans la lecture de notre époque, où elle disparaît sous la masse énorme de ce qu'on lit. Vous me dites que mon affirmation convient peut-être aux auditeurs des conteurs arabes ou en tout cas aux contemporains de La Princesse de Clèves ou à la génération de Werther, mais sûrement très peu à notre temps, celui des manuels scientifiques, des encyclopédies et des innombrables revues où il n'y a pas place pour la poésie. Vous me rappelez que ce sont les femmes et les enfants qui lisent aujourd'hui des drames et des poèmes. Mais je vous ai demandé la permission de parler des choses qui n'effleurent pas tout à fait et j'aimerais que nous pensions un instant combien la manière de lire de notre temps est différente de celle des époques antérieures. Plus la manière de lire de notre temps est agitée, sans but vraisemblable, plus elle me paraît remarquable. Nous sommes infiniment loin de l'amoureux paisible des belles lettres, de l'amateur d'une science populaire, du lecteur de Mémoires, d'une époque antérieure plus paisible. Justement par ce qu'elle a de fiévreux, par son absence de choix, son incessant abandon des livres à peine pris en main, par l'activité qu'elle consacre à fouiller, à chercher, la lecture à notre époque me paraît un acte de la vie, une attitude digne d'attention, un geste.

Je vois presque comme le geste de notre temps l'homme tenant un livre entre ses mains, comme l'homme agenouillé, les mains jointes, fut le geste d'un autre temps. Naturellement, je ne pense pas à ceux qui veulent apprendre une chose déterminée dans des livres déterminés. Je parle de ceux qui, selon le différent degré de leurs connaissances, lisent des livres tout à fait différents, sans plan déterminé, changeant incessamment, goûtant rarement un long repos dans un livre, poussés par un désir incessant, jamais bien assouvi. Mais le désir de ceux-là, semblerait-il, ne se porte nullement vers le poète. C'est l'homme de science qui est capable d'assouvir ce désir ou, pour quatre-vingt-dix pour cent d'entre eux, le journaliste. Ils aiment encore mieux lire des journaux que des livres et, bien qu'ils ne sachent pas précisément ce qu'ils cherchent, ce n'est sûrement en aucun cas la poésie mais des renseignements superficiels, tranquilisants, pour le moment présent, l'assemblage de faits réels, des "vérités" compréhensibles et en apparence nouvelles, la matière brute de l'existence. Je dis cela comme nous le disons couramment et comme nous le croyons à la légère. Mais je crois, non, je sais que cela c'est seulement l'apparence; Car ils cherchent plus, ils cherchent quelque chose d'autre, ces centaines de milliers, dans les milliers de livres qui se transmettent de main en main jusqu'à ce qu'ils tombent en morceaux, salis, usés par la lecture. Ils cherchent quelque chose d'autre que les choses prises isolément, que les théories courtes de souffle, flottant dans l'air, que leur offrent les livres l'un après l'autre. Ils cherchent mais ils ne leur est pas donné de dialectique assez subtile pour s'interroger et dire ce qu'ils cherchent, pas de vue d'ensemble, de puissance de synthèse. La seule chose par laquelle ils peuvent exprimer ce qui se passe en eux est le geste d'une muette éloquence avec lequel ils abandonnent le livre ouvert et en ouvrent un nouveau. Et il est impossible que cela s'arrête car ne cherchent-ils pas de livre en livre ce que le contenu d'aucun de leurs mille livres ne peut leur donner? Ils cherchent une chose qui flotte entre les contenus de chacun des livres isolés, une chose qui serait capable de nouer ensemble ces contenus en une unité. Ils engloutissent les livres les plus positifs, la littérature la plus dépourvue d'âme entre toutes et cherchent une chose douée de la plus haute spiritualité. Ils cherchent sans cesse ce qui relierait leur vie aux artères de la grande vie dans une transfusion magique de sang vivant. Ils cherchent dans les livres ce qu'ils cherchaient jadis devant les autels fumants - dans la pénombre des églises tirées vers les cieux par une fervente aspiration. Ils cherchent ce qui peut les attacher au monde plus fortement que tout et qui, en même temps, leur ôte subitement la pression du monde. Ils cherchent un Moi, sur la poitrine duquel leur Moi s'appuie pour se tranquiliser. Ils cherchent, en un mot, toute la magie de la poésie. »

Hugo von Hofmannsthal, Le poète et l'époque présente

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04/03/2013

Je me fis le serment de ne plus jamais oublier désormais ce que je dois aux aïeux

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« Après ma première et rapide visite de la veille, je m’attardai ce matin dans la haute nef, qui me parut aussi merveilleuse qu’au premier jour. Je ne crois pas qu’on puisse sous-estimer ce monument. Je fus surtout saisi par la simplicité des lignes, par la sobriété avec laquelle les colonnes s’effeuillent dans les chapiteaux. On pressent ici la puissance formidable de siècles futurs qui ne sont encore qu’en germe. Au sommet de la tour, d’où j’embrassais du regard les voies ferrées, les routes encombrées de voitures en marche, les aérodromes, où les avions ne cessaient de se poser pour bientôt reprendre leur vol, je sentis l’accord entre ce temps passé et notre époque. Je sentis surtout que le passé ne doit pas m’échapper et je me fis le serment de ne plus jamais oublier désormais ce que je dois aux aïeux (…) Pour la première fois, aujourd’hui, je regarde ces cathédrales comme des oeuvres, des oeuvres vivantes, loin des mesures mortes du monde des musées. La pensée surgissait aussi que cette église m’était donnée en garde ; je la serrais contre mon coeur comme si elle était soudain devenue toute petite. »

Ernst Jünger, Jardins et routes

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03/03/2013

"Des socialistes"...

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« On a parfois l’impression que les simples mots de socialisme ou communisme ont en eux une vertu magnétique qui attire irrésistiblement tous les buveurs de jus de fruits, nudistes, porteurs de sandales, obsédés sexuels, Quakers, adeptes de la vie saine, pacifistes et féministes que compte l’Angleterre. Cet été, alors que je me déplaçais dans la région de Letchworth, je vis monter dans mon autocar deux vieillards à l’air épouvantable. Ils avaient tous les deux la soixantaine, tout petit, roses, grassouillets, et allaient tête nue. L’un arborait une calvitie obscène, l’autre avait de longs cheveux gris coiffés à la Lloyd George. Ils portaient tous deux une chemise de couleur pistache et un short kaki moulant si étroitement leurs énormes fesses qu’on discernait chaque repli de la peau. Leur apparition dans l’autocar provoqua une sorte de malaise horrifié parmi les passagers. Mon voisin immédiat, le type même du voyageur de commerce, coula un regard vers moi, détailla les deux phénomènes, se tourna à nouveau vers moi et murmura "des socialistes", du ton dont il aurait dit par exemple : "des Peaux-Rouges". Il avait sans doute deviné juste – le parti travailliste indépendant tenait son école d’été à Letchworth. Mais l’important est que, pour ce brave homme, excentrique était synonyme de socialiste, et réciproquement. »

George Orwell, Le quai de Wigan

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02/03/2013

Il restait vers la fin du jour une cendre de temps subtile

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« Il y avait là-haut, dans une rue point très secrète, mais dans tel pli secret de la rue, un tout petit café... Je le vois. - Au fond de ce café, en contrebas, commençait une seconde pièce, étroite semblait-il, et prenant jour sur le café, de la place où j’étais, on ne la voyait pas tout entière ; elle continuait en retrait. Parfois un Arabe y descendait, qui venait tout droit de la rue et que je ne voyais plus reparaître. Je suppose qu’au fond du réduit un escalier secret menait vers d’autres profondeurs...
Chaque jour j’attendais, espérant en voir davantage. Je retournais là tous les jours. J’y retournai le soir ; j’y retournai la nuit. Je m’étendais à demi sur la natte.
J’attendais et suivais, sans bouger, la lente désagrégation des heures ; il restait vers la fin du jour une cendre de temps subtile, amère au goût, douce au toucher, assez semblable comme aspect à la cendre de ce foyer, entre les colonnettes, là, près du sous-sol mystérieux ; à gauche - où parfois, écartant la cendre, le cafetier ranime un charbon mal éteint, sous l’amoncellement de la cendre...
Parfois, s’accompagnant sur la guembra, un des Arabes chante un chant lent comme l’heure. La pipe de haschisch circule. Je regarde obstinément, malgré moi, l’ombre close là-bas, la natte du mur du retrait où j’ai vu ce suspect descendre...
Trois mois après, la police avait fait fermer le café. »

André Gide, Amyntas

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La vie entière n’est qu’un grand malentendu

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« J’ai appris depuis longtemps que la vie entière n’est qu’un grand malentendu, qu’il ne faut pas s’en soucier, et surtout qu’il est inutile de se fatiguer à détromper l’opinion. Quoi qu’on fasse, celle-ci n’acceptera pas de reconnaître vos vrais motifs, pour la seule raison qu’ils sont vrais. »

Jean Dutourd, Le vieil homme et la France

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01/03/2013

La noblesse, qui n’est pas une classe sérieuse

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« Au Moyen Âge, on appliquait la torture aux sorcières parce qu’on prenait les sorcières au sérieux. Napoléon a fait torturer des prisonniers politiques parce qu’il prenait son régime au sérieux. Pierre le Grand a torturé les streltsi parce qu’il prenait leur révolte au sérieux. Louis XVI avait subi l’influence des Lumières, Alexandre 1er était, dans son for intérieur, républicain : ils ne prenaient plus vraiment la monarchie au sérieux. Quand on prend une idée au sérieux, on doit tout faire pour qu’elle gagne. Pas presque tout : tout. C’est aussi un phénomène de classe. Au XVIIIe, en France, le pouvoir se trouvait aux mains de la noblesse, qui n’est pas une classe sérieuse. »

Vladimir Volkoff, Les orphelins du Tsar

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Devons-nous nous résigner à cette époque matérialiste ?

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« Devons-nous nous résigner à cette époque matérialiste qui a fait du monde un jeu futile et criminel, dans lequel un être doué d’âme, pris entre l’athéisme, le socialisme et le positivisme, n’a pas la possibilité de s’élever à la hauteur de sa vraie nature ? Je ne veux pas que ce salon soit un jouet ; Son Altesse sérénissime m’a confié que la grande Action patriotique a besoin du couronnement d’une grande idée, et je veux la trouver à tout prix. Donner réalité avec les moyens de tout un Empire, et sous les yeux attentifs du monde entier, à l’un des plus grands thèmes de la culture, ou du moins, plus modestement, qui révélerait l’intimité de la culture autrichienne. »

Robert Musil, L'homme sans qualités

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28/02/2013

Secoue la torpeur qui obscurcit ton esprit et recueille les sages conseils que les morts savent donner

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« Un jour, sur les bords du Tigre, un crâne adressa les paroles que voici à un pieux Soufi : "Moi aussi j'ai connu les pompes de la royauté ; une couronne a orné mon front, le ciel a favorisé mes vœux et la victoire mes armées. J'avais assujetti l'Irak à ma domination et déjà je convoitais la conquête du Kermân, lorsque mon corps est devenu la pâture des vers. Secoue la torpeur qui obscurcit ton esprit et recueille les sages conseils que les morts savent donner."

L'homme bienfaisant n'a aucun mal à redouter, le méchant aucun bien à attendre. Quiconque fait le mal périt au milieu de ses œuvres mauvaises, comme le scorpion qui meurt dans sa prison. Si ton cœur n'est pas enclin à la charité, quelle différence y a-t-il entre ce cœur et une roche dure ? je me trompe, ami lecteur, la pierre, le fer et le bronze rendent des services. L'homme qui vaut encore moins qu'une pierre devrait mourir de honte. Ce n'est pas le titre d'homme qui donne la supériorité sur la brute, puisque celle-ci vaut mieux que l'homme criminel. Le sage seul est supérieur aux bêtes fauves et non pas celui qui se jette sur ses semblables avec la férocité des fauves. En quoi diffère-t-on de la brute lorsqu'on ne vit que pour manger et dormir? Les cavaliers que la mauvaise fortune égare sont devancés par de simples piétons. La bonté est une graine dont les fruits ne trompent jamais les espérances de qui la sème ; mais de ma vie, je n'ai vu la félicité véritable être le partage des méchants.»

Saadi Shirazi, Le Jardin des fruits

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27/02/2013

Ainsi périt la gloire du solitaire

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« Un solitaire de Damas s'était fait la plus grande réputation par ses austérités ; il vivait depuis plusieurs années dans une forêt, passant toutes les nuits en prières et ne mangeant que des feuilles d'arbres. Le roi eut la curiosité de le voir, et après l'avoir visité, il lui dit : Si vous le jugez à propos, je vous ferai préparer dans la ville même un lieu propre à vos dévotions ; vous pourrez les pratiquer plus facilement, et le peuple, qui en sera témoin, aura plus d'occasion de s'édifier de vos exemples. Le saint homme y consentit. Les courtisans lui dirent alors : "Pour conserver les bonnes grâces du roi, hâtez-vous de venir vous établir à la ville et de faire au moins un essai de ce nouveau genre de vie. Si vous trouvez que le commerce des hommes vous enlève un temps trop précieux, vous serez libre de revenir." Il n'hésita pas, et le roi fit préparer pour le recevoir un jardin superbe où il avait le plus beau de ses palais.

C'était un lieu délicieux fait pour enchanter tous les sens : la rose y étalait partout ses brillantes couleurs, semblable à l'incarnat qui pare et anime les joues d'une jeune vierge, ou bien elle ne se présentait qu'en bouton, dont la pourpre commençait à s'unir au tissu vert qui lui servait d'enveloppe et qui avait toute la fraîcheur d'un enfant qui vient de naître ; des guirlandes tressées avec grâce, telles que les cheveux d'un beau garçon, décoraient les avenues, et des fleurs de toutes les formes et du plus brillant éclat étincelaient au haut des arbres.

Le roi envoya ensuite au saint homme une jeune fille pour le servir: son visage était resplendissant comme la lune, sa taille était déliée et svelte, sa parure toute rayonnante comme celle du paon. Quel piège pour un religieux ! Quels vœux, quelles austérités pouvaient tenir contre tant d'attraits ! Il ajouta encore le don d'un jeune esclave d'une beauté incomparable, d'ailleurs enjoué, amusant, et dont l'esprit ne le cédait point à la beauté. C'était son échanson pour lui offrir la coupe et pour lui verser à boire. Sa présence jetait tous les cœurs dans l'ivresse, on ne se lassait point de le regarder, de même qu'un hydropique ne se lasse point de boire de l'eau de l'Euphrate.

Au milieu de tant d'objets séduisants, que pouvait faire le derviche ? Sa table était couverte de mets exquis, ses habits étaient somptueux , les parfums des fleurs et des fruits portaient à la fois la volupté dans tous ses sens, des objets d'une beauté ravissante étaient sans cesse sous ses yeux et n'attendaient que son signal. Il succomba. Les sages n'ont-ils pas dit que de beaux yeux étaient un piège où les meilleurs esprits allaient se prendre ? La science et la religion même ne défendent pas toujours contre cette amorce ; l'a-t-on goûtée une fois, comme la mouche attachée au miel, on ne peut plus s'en arracher.

Ainsi périt la gloire du solitaire. Le roi, après une assez longue absence, eut la curiosité de le voir; mais il ne le trouva plus le même : un embonpoint brillant colorait ses joues, il était languissamment couché sur des tapis de soie ; un esclave beau comme un ange, un éventail à la main, rafraîchissait l'air devant lui. Le roi le félicita de ce changement, s'entretint longtemps avec lui et le quitta en disant que sur la terre il n'aimait que deux espèces d'hommes, les sages et les religieux. Un courtisan, formé par une longue expérience des affaires, était présent et lui répondit : "Il est juste, O grand roi, que tu verses tes bienfaits sur les uns et sur les autres. Donne de l'or au sage, afin qu'il s'anime de plus en plus dans l'étude de la sagesse ; mais si tu veux que le religieux persévère , laisse-le dans la pauvreté : l'or et l'argent ne serviraient qu'à le corrompre." »

Saadi Shirazi, Le Jardin des fruits

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26/02/2013

Je vais T'aider mon Dieu, à ne pas t'éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d'avance

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« 4 août 1941 -

La source intérieure où je m’abreuve s’envase perpétuellement – et puis je pense trop. Mes idées flottent autour de moi comme un vêtement trop ample, où j’ai la place pour grandir… Je dois continuer à être à l’écoute de moi-même, à "écouter au-dedans de moi"... et bien manger et bien dormir pour préserver mon équilibre. »


« 20 octobre 1941 -

Je voudrais parfois me réfugier avec tout ce qui vit en moi dans quelques mots, trouver pour tout un gîte dans quelques mots. Mais je n’ai pas encore trouvé les mots qui voudront bien m’héberger. C’est bien cela. Je suis à la recherche d’un abri pour moi-même. »


« Prière du dimanche matin, 12 juillet 1942 -

Je vais T'aider mon Dieu, à ne pas t'éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d'avance. Une chose cependant m'apparait de plus en plus claire : ce n'est pas Toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons T'aider - et ce faisant nous aider nous-mêmes. »

Etty Hillesum, Une vie bouleversée – Journal 1941-1943

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25/02/2013

Monsieur Cogito raconte la tentation de Spinoza

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« Baruch Spinoza d'Amsterdam
désirait atteindre Dieu

en taillant des lentilles
au grenier
tout à coup il perça le rideau
et se trouva face à face

il parla longuement
(lorsqu'il parlait ainsi
sa pensée et son âme
se dilataient)
il posa des questions
au sujet de la nature humaine

- distrait Dieu se frottait la barbe

- lui l'interrogea sur la cause première

- Dieu promenait son regard dans l'infini

- il l'interrogea sur la cause finale

- Dieu se tordait les doigts
s'éclaircit la voix

lorsque Spinoza se tut
Dieu dit

- tu parles bien Baruch
j'aime ton latin géométrique
et aussi la syntaxe limpide
la symétrie des conclusions

parlons cependant
des Choses Vraiment
Grandes

- regarde tes mains
estropiées et tremblantes

- tu abîmes tes yeux
dans les ténèbres

- tu te nourris mal
tu t'habilles comme un misérable

- achète une nouvelle maison
pardonne aux glaces de Venise
de répéter la surface

- pardonne les fleurs nouées dans les cheveux
- la chanson d'ivrogne

- occupe-toi de tes rentes
comme ton collègue Descartes

- sois rusé
comme Erasme

- dédie un traité
à Louis XIV
de toute façon il ne le lira pas

- calme
la furie rationnelle
elle fera tomber des trônes
et noircir les étoiles

- songe
à une femme
qui te donnera un enfant

- tu vois Baruch
nous parlons de Choses Grandes

- je veux être aimé
des incultes et des violents
ce sont les seuls
qui languissent vraiment après moi

c'est alors que le rideau retombe
Spinoza reste seul
il ne voit pas de nuage doré
pas de lumière dans les hauteurs

il voit l'obscurité

il entend le grincement des marches de l'escalier
les pas qui s'éloignent en bas »

Zbigniew Herbert, Monsieur Cogito et autres poèmes

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24/02/2013

Monsieur Cogito médite sur la souffrance

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« Toutes les tentatives d'éloigner
le fameux calice d'amertume —
par la réflexion
l'action militante en faveur des chats sans logis
le travail sur le souffle
la religion - toutes
ont échoué

il faut s'y faire
baisser doucement la tête
ne pas se tordre les mains
user de la souffrance avec mesure et douceur
comme d'une prothèse
sans fausse honte
mais aussi sans orgueil inutile

ne pas brandir un moignon
par-dessus la tête des autres
ne pas frapper d'une canne blanche
à la fenêtre des repus

boire l'extrait d'herbes amères
mais point jusqu'au fond
laisser par précaution
quelques gorgées pour l'avenir

prendre
mais en même temps
distinguer en soi-même
et si cela est possible
changer la matière de la souffrance
en quelque chose ou en quelqu'un

jouer
avec elle
bien sûr
jouer

plaisanter avec elle
très prudemment
comme avec un enfant malade
pour lui arracher à la fin
par quelques trucs et pitreries
l'ombre
d'un sourire »

Zbigniew Herbert, Monsieur Cogito et autres poèmes

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23/02/2013

Pourtant c’est en tant que catholique que j’étais allé un après-midi dans l’église de mon enfance

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« Les gens commencèrent à se baptiser beatniks, betas, jazzniks, bopniks, bugniks et finalement je fus appelé 'l’avatar' de tout cela.



Pourtant c’est en tant que catholique, et non à la demande insistante d’aucun de ces "niks" et certainement pas avec leur approbation non plus, que j’étais allé un après-midi dans l’église de mon enfance (l’une d’entre elles), Ste Jeanne d’Arc à Lowell, Massachussets, et, tout à coup, les larmes aux yeux j’avais eu une vision de ce que j’avais voulu dire par "Beat" quand j’entendis le silence sacré dans l’église (j’étais tout seul là-dedans, il était cinq heures de l’après-midi, des chiens aboyaient dehors, des enfants criaient, et les feuilles d’automne, les flammes des cierges qui dansaient pour moi seul), la vision du mot Beat voulant dire béatifique… Il y avait le prêtre qui prêchait le dimanche matin, tout à coup par une porte de côté entre tout un groupe de types de la Beat Generation dans des imperméables ceinturés comme des membres de l’IRA, venus en silence "adorer" la religion…. J’ai su alors. »

Jack Kerouac, Sur les origines d’une génération

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22/02/2013

Sans avoir usé de rien, on est désabusé de tout

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« Plus les peuples avancent en civilisation, plus l’état vague des passions augmente ; car il arrive alors une chose fort triste : le grand nombre d’exemples qu’on a sous les yeux, la multitude des livres qui traitent de l’homme et de ses sentiments, rendent habile sans expérience. On est détrompé sans avoir joui ; il reste encore des désirs, et l’on n’a plus d’illusions. L’imagination est riche, abondante et merveilleuse, l’existence pauvre, sèche et désenchantée. On habite, avec un cœur plein, un monde vide, et, sans avoir usé de rien, on est désabusé de tout. »

François-René de Chateaubriand, Maximes et Pensées

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21/02/2013

Le valet de Judas...

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« Il faut que tout le sang, la honte, la méchanceté du monde soient avec moi, sur moi ; que toute la lie, l'écume du monde se retirent du monde avec moi et soient consumées avec moi. Je serai le réceptacle où le monde rejettera son ordure, c'est-à-dire sa souffrance. Le mal n'existe que par ma conscience. Ma conscience peut mourir dans le sein profané de cette fille. Ainsi s'établira la gloire de Dieu. Judas est nécessaire au monde. Mais est nécessaire aussi, beaucoup moins que Judas, quelque chose comme le valet de Judas. »

Paul Gadenner, Les Hauts-Quartiers

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Triste époque

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« Votre mot sur la vieillesse m'a plu. Nous vivons une triste époque où le vieux pourri semble encore plus vivant que la vie. Le monde est très malade et doit crever probablement tout doucement.
Révoltons-nous contre Dieu parce que nous devons mourir. Vous vous plaignez de vieillir, de devenir charogne, terre et vent. »

Bram Van Velde, Lettres

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20/02/2013

Personne n’a encore suggéré de solution concrète pour échapper à ce dilemme

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« Si quelqu’un laisse tomber une bombe sur votre mère, laissez tomber deux bombes sur la sienne. Il n’y a pas d’autre alternative : ou bien vous pulvérisez des maisons d’habitation, vous faites sauter les tripes des gens, vous brûlez des enfants – ou bien vous vous laissez réduire en esclavage par un adversaire qui est encore plus disposé que vous à commettre ce genre de choses. Jusqu’à présent, personne n’a encore suggéré de solution concrète pour échapper à ce dilemme. »

George Orwell, Œuvres complètes I

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Je n’ai pas choisi l’art, c’est l’art qui m’a choisi

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« PIER LUIGI TAZZI : Il n’y a pas de raison d’être artiste. Certes, il a existé dans la culture occidentale un rôle précis dévolu à la figure de l’artiste. Celle-ci a été, à un certain moment, encadrée par ce que l’on appelle le système de l’art. Maintenant les choses ont complètement changé, au moins à partir du début du troisième millénaire. Au départ pourquoi as-tu choisi d’être artiste ? Pourquoi le choix de l’art ?

ADEL ABDESSEMED : Je n’ai pas choisi l’art, c’est l’art qui m’a choisi. Un religieux dirait qu’il a été "élu".

Je suis né à Constantine, d’une mère musulmane, dans une maison juive, et avec des sœurs chrétiennes comme sages-gemmes. Ce jour-là je pense avoir rassemblé les dieux du monothéisme. Mon premier cri, je le vois comme le vers d’un poème universel, sans frontières, sans couleurs ni pays, mais qui tend vers l’avenir.

Les premières images très fortes étaient celles de corps nus dans le hammam. J’y ai vu ma mère nue mais jamais mon père.

PIER LUIGI TAZZI : Donc ton "élection" a eu lieu très tôt. Remonte-t-elle à ton enfance ?

ADEL ABDESSEMED : Oui, très tôt. Batna a été le chaudron de mon existence. C’est dans cette ville que j’ai connu et découvert les lumières, les couleurs et les sons. La lampe à pétrole, le bleu du ciel, les couleurs du métier à tisser de ma grand-mère, la boue dans laquelle je poussais la bouteille de gaz qui servait à préparer la galette de ma mère. Pour moi Batna c’était les youyous qui sont émis par les femmes dans les fêtes, le couscous collectif, les danses, les transes. Pier Luigi, j’aimerais te raconter une anecdote qui s’est passée à l’école des Beaux-Arts de Batna. J’ai eu droit au conseil de discipline, le directeur et les professeurs se sont réunis pour me donner un avertissement pour mon "rire bizarre". Rire satanique… J’ai aussi connu ma première censure à cause d’un nu. Je me suis construit dans la férocité : dans la dispute, je n’hésitais jamais à donner un coup de tête. Mais en même temps je rêvais déjà de sculpture, de pâte à modeler. Je mettais ensemble les capsules des bouteilles pour faire les roues d’une voiture. Avec deux bouts de bois découpés, j’imaginais un avion. Je découpais et je fabriquais des tas d’accessoires et de jouets pour les enfants de mon quartier.

PIER LUIGI TAZZI : Dans la tradition de la culture occidentale, l’art a souvent été considéré comme une fenêtre privilégiée pour regarder ou pour voir le monde. Cela a-t-il été ta perspective au début ?

ADEL ABDESSEMED : En Algérie, dans mon pays, il n’y avait pas de fenêtres, puisque la maison était le domaine des femmes et la rue celui des hommes. Donc la rue était ma petite morale. C’est peut-être pour ça que je n’ai pas hésité, par la suite, à utiliser la rue comme atelier, à être hors la loi. Dans la ville occidentale, on permet à l’artiste d’utiliser des terrains résiduels, on l’invite à décorer des espaces à redéfinir ou à intervenir dans des cités pour régler toutes sortes de problèmes, comme si cela suffisait. Mais lorsque l’artiste choisit d’installer son atelier dans l’espace public, il doit demander des autorisations, payer des droits à l’image. C’est ce que j’ai découvert avec "Zen", alors que j’utilisais pour la première fois un espace extérieur situé à côté de chez moi… Le fait d’avoir eu, au quotidien, cette expérience et cette culture de la rue en Algérie m’a autorisé, m’a permis de m’autoriser à l’utiliser avec facilité. J’ai continué à Berlin pour "Happiness in Mitte", "Pressoir", "Fais-le", à New York ensuite. Puis, à Paris, j’ai prolongé l’espace intérieur de mon atelier sur le trottoir de ma rue pour photographier des animaux, des fauves.

PIER LUIGI TAZZI : De quoi te souviens-tu de l’Algérie de ton enfance ?

ADEL ABDESSEMED : Je suis des Aurès, de la partie est, sèche mais pleine de cicatrices : la terre des Berbères numides.

Je me souviens des images silencieuses, des paysages rudes, de la roche.

J’ai vécu dans l’ignorance lors de ma petite et de ma grande enfance à Batna. A cette époque j’ai fait, sans le connaître, l’expérience du non-savoir. A l’école, on a fait venir des instituteurs d’Egypte pour nous apprendre l’arabe, une langue que j’ai perçue alros comme étrangère ; une langue d’envahisseurs. C’était l’écrasement par l’arabisation.

PIER LUIGI TAZZI : Au temps de ta petite enfance, nous avions une petite maison à Al-Hoceima sur la côte méditerranéenne du Maroc, où nous passions chaque année l’été et l’automne. Quand nous sommes arrivés au début des années 1970, on y parlait espagnol et chelha, la langue sans écriture des Berbères ; quand nous sommes partis en 1978, on y parlait français et arabe. J’ai eu une expérience directe de l’arabisation du Maghreb.

ADEL ABDESSEMED : J’ai grandi dans un système qui a renié la culture du pays pour la maîtriser à coups de fantasmes détachés de la réalité et de la vie quotidienne. L’expression dans mon pays était un bien rare, presque inexistant.

Mon enfance a été marquée par la terreur et la haine, terreur causée par la guerre et les religions. J’ai vécu la mise en place de ce qui allait devenir le fanatisme.

A cette époque, j’ai subi un premier choc, lorsque mon père a interdit à ma mère de parler leur propre langue. Le berbère était interdit partout, comme au temps de la colonisation où toute l’administration utilisait le français. Le berbère ne s’imposait que lors des fêtes, dans les chants, car là il prenait le statut d’un objet de folklore.

Puis le deuxième choc s’est produit après octobre 1989, alors que j’avais dix-huit ans. Mon frère a demandé à ma mère de quitter ses pantalons et ses jupes pour revêtir la djellaba, parce que ses amis se moquaient de lui. Elle l’a fait. Ma mère n’a pas pu s’exprimer ; c’est l’arabo-islamisme qui a abouti à la dégradation de la femme chez nous. La femme est persécutée. Une sorte d’apartheid.

PIER LUIGI TAZZI : Même chose à Al-Hoceima : en 1970 les filles en minijupe, en 1978 de plus en plus de tchadors.

ADEL ABDESSEMED : Vers 1971-1973, à Batna, où j’habitais avec ma famille, un illettré, héros de la guerre, a fait détruire une jolie petite église parce qu’elle représentait la chrétienté et le colonialisme. Dans ma famille, la religion musulmane était vécue avec tolérance. Le ramadan, l’Aïd, je ne renierai jamais cela. Je le tiens pour une part d’ombre en moi. Enfin je suis un Berbère — Amazigh — citoyen français.

PIER LUIGI TAZZI : Parfois, on trouve qu’un artiste devient un artiste parce qu’il dépasse une ligne, qu’il passe d’une voie à une autre, d’un parcours à un autre parcours. Ton parcours scolaire a-t-il été linéaire, sans déviation ?

ADEL ABDESSEMED : J’étais nul à l’école et c’est pour cela que j’ai réussi.

Heureusement pour moi je n’ai jamais adhéré au système scolaire. En clair, j’ai échappé à la domestication des cerveaux qui, à travers des manuels débiles, positionnait les sexes dans des fonctions préétablies : Zina dans la cuisine et Malik au marché.

Les professeurs-tortionnaires importés d’Egypte ne nous disaient jamais que l’on était beaux, mais seulement que l’on était des ânes.

Pour moi, l’art était la seule porte de sortie : un avenir.
Je m’appuyait sur mon instinct et l’expérience, qui étaient autres que ceux de l’école. Tu sais, déjà à cette époque, j’étais un homme d’images : quand je repense à ce moment de ma vie, ce sont des images qui me viennent à l’esprit, qui défilent devant moi. Et évidemment, cela ne peut qu’avoir eu un rôle dans mon évolution ultérieure.
En même temps, j’étais avide de lecture, avide de philosophie et de poésie. Je lisais Nietzsche, après le couvre-feu, son œuvre était alors interdite en Algérie, et elle a eu un effet très fort sur moi. Tu penses bien, quelqu’un qui disait que "Dieu est mort", cela ne pouvait pas plaire. Je lisais Victor Hugo, et aujourd’hui encore ses vers et ses phrases sont gravés dans ma mémoire. Comme une tempête sous un crâne. Aujourd’hui encore, dans mon travail la poésie, la coïncidence tiennent une place très importante. Ce que j’aime beaucoup chez Dvir, mon galeriste à Tel-Aviv, c’est que l’on parle souvent des auteurs que nous admirons tant : Paul Celan et Edouard Glissant, entre autres.

PIER LUIGI TAZZI : Y a-t-il eu des choses qui ont pu te choquer au point de changer ton parcours ?

ADEL ABDESSEMED : Alger a été pour moi la ville des apprentissages essentiels : l’âge des ivresses totales et des souffrances infinies. Côtoyer l’assassinat politique, celui du président Boudiaf par exemple, et vivre l’expression de la bêtise la plus abjecte : le meurtre d’Asselah, directeur et ami, qui empruntait les mêmes chemins que moi à l’école des Beaux-Arts. Sur le plan académique, j’ai découvert l’abstraction, mais la matière qui m’était la plus difficile et la plus importante, c’était l’alcool.

Dans un climat de psychose, étant menacé à toutes les minutes de mon existence, la seule manière de survivre était de quitter un pays où l’on pouvait perdre la vie à tout moment.

PIER LUIGI TAZZI : Ta vision de l’art a-t-elle beaucoup changé lorsque tu es passé de l’Algérie à Lyon ou considères-tu cette évolution comme la suite de ton parcours ?

ADEL ABDESSEMED : Une accélération !

PIER LUIGI TAZZI : Avais-tu perçu une différence entre toi en tant que personne et en tant qu’artiste, et ceux qui appartenaient totalement à la culture occidentale ?

ADEL ABDESSEMED : Je viens de la source profonde de l’Occident. L’Occident n’est-il pas né à Souk Ahras, en Numidie, avec Saint Augustin ?

J’ai toujours eu conscience que je disposais d’un savoir différent de celui des autres, et que les autres maîtrisaient un savoir différent du mien. Il y a une forme "canonisée" de savoir, mais il y a aussi ce royaume du concret et du vécu, du "non-savoir" — pour utiliser l’expression de Foucault — qui correspond à un savoir autre. L’objectif essentiel était, et est toujours, d’essayer de faire fusionner les deux formes de savoir. Mon but est d’abord de créer des oppositions, des paradoxes, pour mettre les choses en crise, y compris à l’intérieur de ma propre culture. L’étape suivante est de tout fondre pour arriver à une cristallisation. J’ai très vite commencé à penser ainsi, en rencontrant d’autres communautés, d’autres amitiés, d’autres histoires, d’autres cultures. Cette alchimie-là était parfaite. La différence, je ne l’ai pas ressentie, même si l’on dit que plus on est spécifique, plus on est universel.

PIER LUIGI TAZZI : Qu’étudiais-tu à l’école d’art de Batna, puis d’Alger, et enfin de Lyon ?

ADEL ABDESSEMED : A Batna, puis à Alger, c’était surtout la peinture, du figuratif ou du décoratif… Quand je suis arrivé à Lyon, encore de la peinture, décorative et déprimante. C’était sans issue.

Quel était mon regard sur le monde ? Rêver de le changer.

PIER LUIGI TAZZI : Et tu avais abandonné la peinture ?

ADEL ABDESSEMED : Mais je n’ai jamais vraiment abandonné la peinture, ni le dessin. Certaines de mes grandes références sont issues de l’histoire de la peinture : à peine arrivé en France, une de mes priorités a été d’aller voir la Crucifixion de Grünewald, à Colmar, un tableau qui m’a énormément marqué, et dont j’ai fait récemment une quadruple sculpture.

Mais mon moteur c’est la lutte… Je viens de faire une série de dessins représentant des animaux attachés à des explosifs. Tu vois, même avec le dessin, ce qui compte, c’est la lutte, c’est la possibilité d’une explosion.

Aux Beaux-Arts, on enseignait que la peinture devait être accrochée aux murs et la sculpture posée au sol.

J’ai été frappé par l’extraordinaire pavillon allemand investi par Hans Haacke à la Biennale de Venise, Germania (1993). La destruction du sol en marbre fait par les nazis. En pleine reconstruction de l’Allemagne après la chute du Mur, il prenait en compte l’histoire.

J’ai vu une seule fois de la lutte en peinture : c’était avec Gerhard Richter, dans son magnifique Octobre 18, 1977, une série de peintures de 1988 sur la mort des membres du groupe Baader-Meinhof dans la prison de Stammheim. Il y avait aussi à l’époque quelque chose de différent dans la peinture, quelque chose qui n’avait rien à voir avec ce sens de lutte, mais qui touchait à une substance profonde de l’être, au-delà de toute mondanité, de tous les drames du monde, politiques et sociaux, de toutes contradictions : l’art de Palermo, peintre remarquable, que j’aime énormément, "une fleur" selon Joseph Beuys, dernière manifestation en même temps que dépassement du concept romantique du sublime. La peinture, qui semble trouver sa fin dans le Carré noir de Malevitch, dans Palermo s’étend à la beauté insaisissable du monde, de la vie dans toute sa dimension matérielle, sensuelle et spirituelle. »

Roger Nimier, Entretien, avec Pier Luigi Tazzi


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