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09/06/2018

L’élan du cœur et la poésie

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« Au tournant du siècle, l’Allemagne voit se lever en elle un vaste mouvement de la jeunesse qui témoigne de sa vigueur, la Jugendbewegung, dont les Wandervogel (oiseaux migrateurs) ne sont qu’un des aspects particuliers. L’idéal de la Jugendbewegung, avant 1914, peut se résumer dans le mot d’unité. Unité d’une commune appartenance (Volk), qui fait éprouver à chacun qu’il n’est libre qu’en obéissant à la loi qu’il s’est prescrite. La loi n’asservit pas l’individu, mais le lie à la communauté en instituant l’égalité, comprise au sens où la définit Aristote, comme « égalité dans le commandement et dans l’obéissance ». Une idée typiquement prussienne que développeront peu après sur des registres différents Spengler et Heidegger.

Réagissant contre l’expansion des grandes villes, la tristesse du monde industriel, le formalisme bourgeois et le culte de l’argent, les adolescents des lycées et des écoles s’élancent au tournant du siècle sur les routes et les chemins à la reconquête d’eux-mêmes, de l’unité et de la nature. Un mythe explosif en sortira que reprendront les générations suivantes. Au credo rationaliste, il oppose l’élan du cœur et la poésie. Dès que revient le printemps, quand la nature s’éveille, les Wandervogel vagabondent par petites bandes, sac au dos, garçons et filles, jambes nues dans les culottes de cuir, cheveux blonds et peau hâlée. Ils reprennent à plusieurs voix des chansons de marins et de soldats. Ils déclament des aphorismes de Nietzsche ou des poèmes de Stefan George qui exaltent la vie héroïque et dangereuse, la beauté des corps libérés. Pour eux, la guerre semblera l’occasion d’une explication décisive entre ce qu’ils refusent et leur volonté de purification. Elle deviendra le symbole même de la jeunesse par son activisme, son optimisme et son héroïsme. La bataille de Langemark (novembre 1914), où furent fauchés par milliers les membres de la Jugendbewegung, représentera pour les Allemands de ce temps le mythe héroïque par excellence, celui de la fleur de la nation marchant à la mort en chantant. »

Dominique Venner, Le siècle de 1914

 

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08/06/2018

Une très ancienne communauté de civilisation

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« Que l’Europe fût une très ancienne communauté de civilisation toute l’histoire en témoigne. Sans remonter aux peintures rupestres et à la culture mégalithique, il n’y a pas un seul grand phénomène historique vécu par l’un des pays de l’espace franc qui n’ait été commun à tous les autres. La chevalerie médiévale, la poésie épique, l’amour courtois, le monarchisme, les libertés féodales, les croisades, l’émergence des villes, la révolution du gothique, la Renaissance, la Réforme et son contraire, l’expansion au-delà des mers, la naissance des États-nations, le baroque profane et religieux, la polyphonie musicale, les Lumières, le romantisme, l’univers prométhéen de la technique ou l’éveil des nationalités… Oui, tout cela est commun à l’Europe et à elle seule. Au cours de l’histoire, tout grand mouvement né dans un pays d’Europe a trouvé immédiatement son équivalent chez les peuples frères et nulle part ailleurs. Quant à nos conflits qui ont longtemps contribué à notre dynamisme, ils furent dictés par la compétition des princes ou des États, nullement par des oppositions de culture et de civilisation. »

Dominique Venner, Le siècle de 1914

 

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En opposition au renoncement

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« Les temps troublés, dont le XXe siècle européen ne fut pas avare, sont riches en situations permettant au courage et à l'énergie de s'affirmer en opposition au renoncement, à la résignation, à l'opportunisme ou à la couardise. C'est un attrait des périodes d'exception. Elles révèlent la vérité des hommes et donnent un sens à la vie jusque dans la mort. »

Dominique Venner, Le siècle de 1914

 

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07/06/2018

La tradition est un "moi" qui traverse le temps

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« La conscience d'une appartenance européenne, donc d'une européanité, est très antérieure au concept moderne d’Europe. Elle s’est manifestée sous les noms successifs de l’hellénisme, de la celtitude, de la romanité, de l’empire franc ou de la chrétienté. Conçue comme une tradition immémoriale, l’Europe est issue d’une communauté de culture multimillenaire tirant sa spécificité et son unicité de ses peuples constitutifs, d’un héritage spirituel qui trouve son expression primordiale dans les poèmes homériques.

Comme les autres grandes civilisations, Chine, Japon, Inde ou Orient sémitique, la nôtre plongeait loin dans la Préhistoire. Elle reposait sur une tradition spécifique qui traverse le temps sous des apparences changeantes. Elle était faite de valeurs spirituelles qui structurent nos comportements et nourrissent nos représentations même quand nous les avons oubliées. Si, par exemple, la simple sexualité est universelle au même titre que l’action de se nourrir, l’amour, lui, est différent dans chaque civilisation, comme est différente la représentation de la féminité, l’art pictural, la gastronomie ou la musique. Ce sont les reflets d’une certaine morphologie spirituelle, mystérieusement transmise par atavisme, structure du langage et mémoire diffuse de la communauté. Ces spécificités nous font ce que nous sommes, à nul autre pareils, même quand la conscience en a été perdue. Comprise dans ce sens, la tradition est ce qui façonne et prolonge l’individualité, fondant l’identité, donnant sa signification à la vie. Ce n’est pas une transcendance extérieure à soi. La tradition est un "moi" qui traverse le temps, une expression vivante du particulier au sein de l’universel. »

Dominique Venner, Le siècle de 1914

 

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Une seule idéologie domine les représentations

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« En réalité, notre monde est idéologiquement saturé. Mais cela n’est pas perçu pour la raison qu’en Europe et aux États-Unis, depuis l’effondrement du communisme, une seule idéologie domine les représentations, bénéficiant d’un monopole qui l’a transformée en norme. Et cette norme est d’autant moins discutée qu’elle utilise à son profit une rhétorique moralement gratifiante de tolérance qui masque sa très réelle intolérance à l’encontre de ce qui n’est pas elle-même. Elle se voudrait sans rivale et assurée de la pérennité. Mais dans un monde qui change rapidement, un système d’idées qui ne répond plus aux attentes du devenir ne peut survivre longtemps. C’est une des leçons qu’enseigne l’histoire des cent dernières années, une histoire qui commence en 1914. »

Dominique Venner, Le siècle de 1914

 

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06/06/2018

Civilisation...

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« L’individu qui vient au monde dans une "civilisation" trouve incomparablement plus qu’il n’apporte. Une disproportion qu’il faut appeler infinie s’est établie entre la propre valeur de chaque individu et l’accumulation des valeurs au milieu desquelles il surgit. Le civilisé, parce qu’il est civilisé, a beaucoup plus d’obligations envers la société que celle-ci ne saurait en avoir jamais envers lui. »

Charles Maurras, Mes idées politiques

 

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05/06/2018

Des fantaisies...

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« "N’empêche, lui ai-je dit, je regrette maintenant mon passage à la Milice, elle va revenir lentement à la mode. Ce qui était dans mon esprit la plus facile des révoltes, sera le comble de la prudence. Mon père n’en sera même plus emmerdé dans sa tombe, d’ici deux ans."
Mon oncle a fait un petit geste : "Il est mort de chagrin quand il l’a su.
— N’exagérons pas : il est mort quand on l’a su et qu’il a vu que cela le gênerait pour passer en général d’armée. Non, croyez-moi, on ne peut rien faire de stable. L’avenir remet tout en question. Si Robespierre s’était douté qu’il n’était en réalité qu’un petit bourgeois étriqué, un fonctionnaire de la révolution, il serait resté dans son coin.
— Vous savez, m’a-t-il dit, que je vous ai toujours approuvé au fond de mon cœur : c’est-à-dire platoniquement. Aujourd’hui je m’amuse beaucoup de ce qui vous arrive. Vous allez épouser une jeune fille très riche dont un oncle est cardinal et dont le père est député — mais trop bête pour tremper jamais dans un scandale épouvantable. De même pour le cardinal, trop peureux pour forniquer avec des enfants de chœur comme il en a sans doute envie. Rien à craindre par conséquent du côté honneur. Vous-même sortez de la première armée française ; il me semble me rappeler qu’on vous a donné la croix de guerre. Vous êtes parfait. Depuis quelque temps vous portez des chapeaux à bord roulé. Des chapeaux bleu marine, si je ne me trompe pas. De sorte que vos aventures passées reviennent à leur place naturelle et retrouvent le nom qu’elles n’auraient jamais dû quitter : des fantaisies. Le soir où je vous entendrai parler du cours de la livre en réchauffant un verre de cognac entre vos mains, je me réjouirai intérieurement de cette victoire de l’ordre. Bien entendu, je vous blâmerai au fond de mon cœur romantique. »

Roger Nimier, Les épées

 

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Un titre qui coulerait immédiatement votre journal

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« On cherchait un titre pour un nouveau quotidien. Je dis à quelqu’un de la future rédaction :
– Je n’ai aucune idée. En revanche, je puis vous suggérer un titre qui coulerait immédiatement votre journal. Fonds secrets, relations, valeurs professionnelles, rien n’y ferait. Il ne pourrait même pas "partir".
– Vraiment ! Quel titre ?
– Appelez-le "L’Honneur". »

Henry de Montherlant, Service inutile

 

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04/06/2018

Eux aussi sont coupables

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« C’est une dure mais juste loi que celle qui rend les peuples responsables des actes de leurs chefs : car les peuples ont les moyens de ne pas laisser à leurs chefs l’autorité, comme les chefs ont le devoir de gouverner s’il le faut contre les goûts de leurs peuples. Les peuples ont les gouvernements qu’ils méritent. On nous dit quelquefois : "Les peuples sont des enfants. Si les Français avaient d’autres maîtres, vous verriez comme ils changeraient vite…" Nous ne sommes pas insensible à cette raison, et elle nous touche particulièrement quand nous l’entendons, comme il nous arriva, dans la bouche de personnes très humbles ; nous y sommes si peu insensible que bien des fois nous avons exprimé notre surprise que, conduit et inspiré comme il l’est, le peuple français eut encore tant de vertus. Mais enfin ces hommes et ces femmes sont traités en adultes, et non en enfants : les hommes votent, les hommes et les femmes témoignent en justice, ont autorité sur leur progéniture, et. S’ils n’exigent que pour de petits intérêts sordides et jamais pour autre chose (à l’exemple de ces mutilés de guerre qu’on n’a jamais vu exiger de façon efficace, lorsqu’il s’agissait des affaires de la France mais qui ont bien su le faire une fois —en barrant la circulation sur les grands boulevards, de leurs petites voitures ! — lorsqu’il s’est agi d’une augmentation de leurs pensions) s’ils acceptent tout sans haut-le-cœur, s’ils ne vomissent ni la vulgarité, ni la bassesse, ni la bêtise, ni les bobards dont on les gave, eux aussi sont coupables. S’ils souffrent le mal, c’est qu’ils n’en souffrent pas. Gouvernants, parlement, nation, nous nous refusons à distinguer. Le parlement, c’est la France. Elle a envoyé là ceux qu’elle préférait. Ce qui se passe au Conseil des ministres, c’est ce qui se passe au Café du Commerce. Tout le monde est solidaire et complice. »

Henry de Montherlant, L’équinoxe de septembre

 

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La majorité est complice...

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« Dans cette France d’aujourd’hui, tout élan qui s’élève, brusquement fauché, comme les bondissants fils électriques, quand le train galope, rabattus par un poteau stupide. Une nation où tout ce qui est grand et spontané est tenu pour suspect ; où, chaque fois qu’on voudrait intervenir contre quelque chose d’ignoble, on ne le peut, parce qu’on s’aperçoit que la majorité est complice. »

Henry de Montherlant, L’équinoxe de septembre

 

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03/06/2018

Être "bon", être "gentil", être aimable, être facile

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« Depuis près d’un siècle, on injecte à notre peuple une morale où ce qui est résistant est appelé "tendu", où ce qui est fier est appelé "hautain", où l’indignation est appelée "mauvais caractère", où le juste dégoût est appelé "agressivité", où la clairvoyance est appelée "méchanceté", où l’expression de ce qui est est appelé "inconvenance", où tout homme qui se tient à des principes et dit non, est décrété "impossible", où tout homme qui sort du conformisme est "marqué" (comme on dit dans le langage du sport) ; où la morale se réduit presque uniquement à être "bon", que dis-je, à être "gentil", à être aimable, à être facile ; où la critique se réduit à chercher si on est moral, et moral de cette morale là. Avec cela le christianisme ou ses séquelles, l’humanitarisme, le pacifisme, l’irréalisme, la place donnée aux "affaires de cœur", un énervement systématique et sans cesse plus accentué de la justice, et vous aurez la morale, je veux dire la glaire horrible déglutie par l’école, par le journal, par la radio, par le ciné, par la tribune et par la chaire et dans laquelle baigne et marine notre malheureux peuple depuis nombre de générations. Étonnez vous, après cela, qu’il flanche, pour le petit et pour le grand ! Encore un siècle de la Bible et de la morale de Hollywood, et nous verrons si les États-Unis qui tiennent bon jusqu’à présent grâce à la vigueur et à la jeunesse de leur race, ne flancheront pas eux aussi. »

Henry de Montherlant, L’équinoxe de septembre

 

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30/05/2018

Trop de discothèques et d’amants

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« Du point de vue amoureux Véronique appartenait, comme nous tous, à une génération sacrifiée. Elle avait certainement été capable d’amour ; elle aurait souhaité en être encore capable, je lui rends ce témoignage ; mais cela n’était plus possible. Phénomène rare, artificiel et tardif, l'amour ne peut s’épanouir que dans des conditions mentales spéciales, rarement réunies, en tous points opposées à la liberté des mœurs qui caractérise l’époque moderne. Véronique avait connu trop de discothèques et d’amants. Un tel mode de vie appauvrit l’être humain, lui infligeant des dommages parfois graves et toujours irréversibles. L’amour comme innocence et comme capacité d’illusion, comme aptitude à résumer l’ensemble de l’autre sexe à un seul être aimé, résiste rarement à une année de vagabondage sexuel, jamais à deux.En réalité, les expériences sexuelles successives accumulées au cours de l’adolescence minent et détruisent rapidement toute possibilité de projection d’ordre sentimental et romanesque ; progressivement et en fait assez vite, on devient aussi capable d’amour qu’un vieux torchon. Et on mène ensuite, évidemment, une vie de torchon. En vieillissant on devient moins séduisant, et de ce fait amer. On jalouse les jeunes, et de ce fait on les hait. Cette haine condamnée à rester inavouable, s’envenime et devient de plus en plus ardente ; puis elle s’amortit et s’éteint, comme tout s’éteint. Il ne reste plus que l’amertume et le dégoût, la maladie et l’attente de la mort. »

Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte

 

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28/05/2018

Des hommes avilis

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« La civilisation européenne fléchit à mesure qu’augmente démesurément partout le nombre des hommes avilis, dégénérés, dévalués, pour lesquels la civilisation n’est pas un devoir vis-à-vis du passé, une charge envers l’avenir, mais seulement une source de jouissances et de profit. »

Georges Bernanos, La Liberté, pour quoi faire ?

 

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27/05/2018

Entre gens sensibles

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« Le truand, vivant le plus fréquemment sous des identités bidons, blazes fantoches, qualités supposées, état-civil de la Sainte-Farce, la coutume de souhaiter les anniversaires de naissance s’est, pour les raisons d’incertitude qu’on suppose, perdue dans le Milieu.

Quelques anniversaires peuvent toutefois se célébrer, entre gens sensibles, soucieux de marquer l’écoulement du temps. Il sera de bon ton de participer à ces commémorations, dès lors que vous y serez conviés, et notamment dans les circonstances suivantes. Anniversaire entre équipiers.

L’anniversaire d’une affaire bégalante et où tout a baigné dans l’huile, peut se fêter entre équipiers par un solide casse-graine. Assurez vous toutefois au préalable que tous les hommes qui y assistent ont bien vieilli, faute de quoi, le repas risque de tourner au banquet d’anciens combattants. Il est en effet fréquent, les souvenirs s’émoussant, de découvrir chaque convive persuadé qu’il a été l’artisan de la victoire, et de s’entendre raconter une version purement imaginaire d’un turbin auquel vous avez pourtant participé.

Défiez-vous, au cours de ce genre d’agapes, des flambeurs chroniques. Ayant depuis longtemps évaporé leur fade sur les hippodromes, il n’est pas rare que ce genre de gonzes, se croyant reporté par la magie de l’évocation à la veille du partage, et se croyant de ce fait de l’artiche à emplâtrer, ne tentent au dessert de vous donner un coup de bottine.

L’anniversaire d’une sortie du bing, à l’issue d’un trop long séjour, peut aussi se fêter, mais uniquement entre intimes. »

Albert Simonin, Le savoir-vivre chez les truands

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Tout le rêve de la démocratie est d’élever le prolétaire au niveau de bêtise du bourgeois

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« Croisset, 7 octobre 1871

(...)

Si la France ne passe pas, d’ici à peu de temps, à l’état critique, je la crois irrévocablement perdue. L’instruction gratuite et obligatoire n’y fera rien – qu’augmenter le nombre des imbéciles. Renan a dit cela supérieurement dans la préface de ses Questions contemporaines. Ce qu’il nous faut avant tout, c’est une aristocratie naturelle, c’est-à-dire légitime. On ne peut rien faire sans tête. – Et le suffrage universel tel qu’il existe est plus stupide que le droit divin. Vous en verrez de belles si on le laisse vivre ! La masse, le nombre, est toujours idiot. Je n’ai pas beaucoup de convictions. Mais j’ai celle-là, fortement. Cependant il faut respecter la masse si inepte qu’elle soit, parce qu’elle contient les germes d’une fécondité incalculable. – Donnez-lui la liberté mais non le pouvoir. Je ne crois pas plus que vous aux distinctions de classes. – Les castes sont de l’archéologie. – Mais je crois que les Pauvres haïssent les Riches, et que les riches ont peur des pauvres. Ce sera éternellement. – Prêcher l’amour aux uns comme aux autres est inutile. Le plus pressé est d’instruire les Riches, qui en somme sont les plus forts. Eclairez le bourgeois d’abord ! Car il ne sait rien, absolument rien. Tout le rêve de la démocratie est d’élever le prolétaire au niveau de bêtise du bourgeois. – Le rêve est en partie accompli ! Il lit les mêmes journaux et a les mêmes passions.

Les trois degrés de l’instruction ont donné leurs preuves depuis un an . 1° l’instruction supérieure a fait vaincre la Prusse ; 2° l’instruction secondaire, bourgeoise, a produit les hommes du 4 septembre ; 3° l’instruction primaire nous a donné la Commune. Son ministre de l’Instruction primaire était le grand Vallès, qui se vantait de mépriser Homère.

Dans trois ans tous les Français peuvent savoir lire. Croyez-vous que nous en serons plus avancés ? Imaginez au contraire que, dans chaque commune, il y ait un bourgeois, un seul, ayant lu Bastiat, et que ce bourgeois-là soit respecté, les choses changeraient ! »

Gustave Flaubert, "Flaubert à George Sand, 7 octobre 1871", in Correspondance - La Pléiade Tome IV

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22/05/2018

La dictature parfaite...

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16/05/2018

L'accroissement des masses humaines

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« On pousse à dessein, par des plans, à l'accroissement des masses humaines, afin que l'occasion ne manque jamais de revendiquer pour les grandes masses de plus grands "espaces vitaux", qui à leur tour exigeront pour leur mise en valeur de plus grandes masses humaines à proportion de leurs dimensions. Ce cercle de l'usure pour la consommation est l'unique processus qui caractérise l'histoire d'un monde devenu non-monde (Unwelt). »

Martin Heidegger, Dépassement de la Métaphysique

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07/05/2018

En cours de zombification...

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« Pour résoudre les [crises financières imprévues], on fait appel à l’État (sauvez les banques !) en socialisant les pertes. Quant aux résistances, on ne lésine pas sur les moyens pour les abattre. Afin de "zombifier" les Européens, jadis si rebelles, on a découvert entre autres les avantages de l’immigration de masse. Celle-ci a permis d’importer de la main d’œuvre bon marché, tout en déstructurant les identités nationales. L’installation à demeure d’allogènes accélère aussi la prolétarisation des travailleurs européens. Privés de la protection d’une nation cohérente, ils deviennent des "prolétaires tout nus", des zombies en puissance, d’autant qu’ils sont culpabilisés par le rappel nauséeux de forfaits imaginaires comme la colonisation, imputés à leurs aïeux.

Une difficulté inattendue est cependant venue des immigrés eux-mêmes. Étrangers aux codes de conduite européens, ils ont constitué dans les banlieues des communautés islamisées. Une partie des territoires, jadis nationaux, échappent ainsi à la loi du pays envahi au profit de celle des "grands frères".

Quant à la cohabitation avec les indigènes européens, il n’y faut pas trop songer, sauf au cinéma. Ceux qui n’ont pu fuir vers des quartiers moins envahis, se terrent, manifestant leur souffrance par des votes de refus quand l’occasion leur est donnée. Une conséquence imprévue est que la lutte des classes cède devant le partage ethnique.

Il arrive ainsi que les indigènes en voie de "zombification" renâclent. Pour fairte passer la pilule, le système a eu le trait de génie d’utiliser les fils et petits-fils des anciens staliniens et autres trotskistes, tous recyclés dans la glorification du "doux commerce", la libération sexuelle et la sacralisation des immigrés. Ils fournissent l’important clergé inquisitorial de la religion de l’humanité, ce nouvel opium du peuple dont le foot est la grand-messe. Cette religion a ses tables de la loi avec les droits de l’homme, autrement dit les droits du zombi, lesquels sont les devoirs de l’homme. Elle a ses dogmes avec la religion humanitaire, et son bras séculier, l’OTAN, les tribunaux internationaux ou nationaux. Elle pourchasse le Mal, c’est-à-dire le fait d’être différent, individualisé, d’aimer la vie, la nature, le passé, de cultiver l’esprit critique, et ne pas sacrifier à la divinité humanitaire.

(…)

L’une des particularités du système est qu’il se nourrit de son opposition. Quand on s’en étonne, on oublie que l’opposition gauchiste partage avec le système la religion de l’Humanité et la fringale de la déconstruction, donc l’essentiel. On oublie que le "doux commerce" a besoin de la contre-culture et de sa contestation pour nourrir l’appétit illimité du "jouir sans entraves" qui alimente le marché. Il récupère la rébellion factice du monde culturel (les "cultureux"). Et même il l’institutionnalise. C’est le rôle des ministères de la Culture, paravent des commandes mirifiques du non-art officiel. Les formes expérimentales les plus loufoques renouvellent le langage de la pub et de la haute couture qui se nourrissent de la nouveauté, du happening. Les droits des minorités ethniques, sexuelles ou autres, sont également étendus sans limites puisqu’ils se concrétisent par des nouveaux marchés, offrant de surcroît une caution morale au système. L’illimité est l’horizon du "doux commerce". Il se nourrit du travail des taupes à l’œuvre dans la culture, le spectacle, l’enseignement, l’université, la médecine, la justice ou les prisons. Les naïfs qui s’indignent de voir célébrer de délirantes ou répugnantes bouffonneries, n’ont pas compris qu’elles ont été promues au rang de marchandises et sont de ce fait à la fois indispensables et anoblies.

La seule contestation que le système ne peut absorber est celle qui récuse la religion de l’Humanité, et campe sur le respect de la diversité identitaire. Ne sont pas solubles dans le "doux marché" les irréductibles qui sont attachés à leur cité, leur tribu, leur culture ou leur nation, et honorent aussi celles des autres. On les appelle "protestataires" ou "populistes" »

Dominique Venner, Le Choc de l’Histoire

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29/04/2018

La permanence des flux migratoires...

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« La question de l’intensité des flux migratoires est essentielle pour la compréhension de la crise des banlieues ; c’est un élément qui occupe une place négligeable dans la plupart des diagnostics consacrés aux quartiers sensibles. Ce point permet pourtant de comprendre que la "fonction" des quartiers sensibles a totalement changé depuis trente ans.

Sous le double effet de la métropolisation et de la transformation de l’immigration de travail en immigration familiale, ces territoires sont pour partie devenus des sas entre le Nord et le Sud ; c’est aujourd’hui leur principale fonction. Ce constat, que les politiques répugnent à assumer, s’applique à une part croissante des ZUS situées dans les grandes agglomérations. Le parc de logements sociaux mais aussi le parc privé dégradé (…) ont permis d’accueillir une part importante des vagues migratoires depuis la fin des années 1970 jusqu’à nos jours. Analyser, encore aujourd’hui, la situation de ces quartiers en chaussant les lunettes des années 1970 relève d’une forme de gâtisme. (…)

L’importante mobilité dans les ZUS illustre ce rôle de sas où des ménages précaires viennent régulièrement prendre la place d’autres qui peuvent quitter ces quartiers. Ce "mouvement perpétuel" est engagé dans tous les quartiers sensibles des grandes villes ; partout des primo-arrivants, légaux ou illégaux, et/ou des ménages précaires viennent prendre la place de ménages en phase d’intégration sociale et celle des jeunes diplômés. Car contrairement aux idées reçues, les quartiers et communes sensibles sont très attractifs ! C’est d’ailleurs un point que l’on n’aborde jamais, mais il faut savoir que les bailleurs sociaux de banlieue sont submergés par les demandes de logement. (…) Evidemment, ces territoires n’attirent pas les classes moyennes ni les ménages en phase d’ascension sociale, mais il n’en demeure pas moins que ces quartiers contribuent à répondre à la demande de logements d’une part importante de la population.

(…)

La permanence des flux migratoires induit mécaniquement des difficultés sociales spécifiques à ces lieux qui attirent des populations précaires et qui subissent le départ de ménages actifs et de jeunes diplômés. Dans ce contexte, il est injuste d’évaluer la politique de la ville à l’aune de l’évolution des taux de chômage. En réalité, et compte tenu de la forte mobilité de la population depuis vingt ans, on peut affirmer que, sur ces territoires, l’Etat républicain n’a pas démissionné. Les pouvoirs publics, et notamment les services sociaux, n’ont en réalité cessé de s’adapter et de répondre à une demande sociale de plus en plus forte et spécifique. Les indicateurs sociaux "en stock" et autres tableaux de bord passent sous silence cette réalité. De la même manière, l’évolution du profil des habitants du parc de logement sociaux ne dit rien de l’investissement, en général sans faille, des bailleurs sociaux. »

Christophe Guilluy, Fractures françaises

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17/04/2018

Être d’un peuple est l’ancrage nécessaire de l’identité

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« Dominique Venner : Grâce aux travaux des linguistes, on sait que les peuples européens anciens proviennent d’une même souche parlant une même langue indo-européenne archaïque, dont sont issues toutes les langues de l’Europe actuelle. Grâce à la mythologie comparée, sans parler de la théorie de la "trifonctionnalité" qui reste assez théorique, on sait qu’une même vision du monde était commune à tous ces peuples, qu’ils soient celtes ou hellènes, en attendant les Romains et les Germains.

Après la dispersion des peuples indo-européens ou "boréens" (simplification des légendaires Hyperboréens) antérieure au 3ème millénaire avant notre ère, on sait que ceux ci connurent des histoires et des évolutions différentes, influencées par les peuples autochtones rencontrés et par des conditions climatiques qui ont déterminé des modes d’existence distincts. Deux mille ans et plus sous le soleil sec de la mer d’Égée influencent nécessairement la vision de la vie et le style décoratif autrement que les forêts nimbées de brume de l’Europe continentale et septentrionale. De ces différences sont nées la culture grecque, la culture celte ou celle des Germains. En apparence, elles sont étrangères les unes aux autres alors que ce sont les manifestations contrastées d’une même tradition dont Homère nous a légué l’expression littéraire la plus achevée et la plus accessible.

(…) La mémoire hellène s’enracine dans les poèmes homériques, sur l’exemplarité des héros confrontés au destin. Orwell avait compris les enjeux modernes de l’histoire et de la mémoire. "Qui contrôle le passé contrôle l’avenir, écrivait-il dans son roman 1984. Et qui contrôle le présent contrôle le passé." Ce que les Européens ont vécu depuis la seconde partie du XXe siècle illustre parfaitement ce propos. Passés de l’arrogance au masochisme, les Européens se sont appliqués à pourchasser leur ancien ethnocentrisme, ce qui était louable en soi. Mais à l’inverse ils n’ont cessé de flatter celui des autres races et des autres cultures. De grands efforts ont été faits pour briser le fil du temps et sa cohérence, pour interdire aux Européens de retrouver dans leurs ancêtres leur propre image, pour leur dérober leur passé et faire en sorte qu’il leur devienne étranger (…)

Pauline Lecomte : Les hommes ne se sont-ils pas toujours posé la question de ce qu’ils sont ?

Dominique Venner : Ils y ont toujours répondu en invoquant implicitement le lignage, la langue, la religion, la coutume, c’est-à-dire leur identité, leur tradition. Être d’un peuple est l’ancrage nécessaire de l’identité. Mais un groupe humain n’est un peuple que s’il partage les mêmes origines, s’il habite un lieu, s’il ordonne un espace, s’il lui donne des directions, une frontière entre l’intérieur et l’extérieur. Ce lieu, cet espace ne sont pas seulement géographiques, ils sont spirituels. Pourtant le site est d’ici et non d’ailleurs. C’est pourquoi la singularité d’un peuple s’affirme notamment dans sa manière de travailler le sol, le bois, la pierre, dans ce qu’il bâtit, dans ce qu’il crée, dans ce qu’il fait. Chaque peuple a une façon personnelle de se relier à l’espace et au temps. L’instant de l’Africain n’est pas celui de l’Asiatique, et la ponctualité ne s’entend pas de la même façon à Zurich ou à Ryad. »

Dominique Venner, Le choc de l’histoire

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Trop de gens confondent le tragique et le désespoir

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« N'écoutons pas trop ceux qui crient à la fin du monde. Les civilisations ne meurent pas si aisément et même si ce monde devait crouler, ce serait après d'autres. Il est bien vrai que nous sommes dans une époque tragique. Mais trop de gens confondent le tragique et le désespoir. "Le tragique, disait Lawrence, devrait être comme un grand coup de pied donné au malheur". Voilà une pensée saine et immédiatement applicable. Il y a beaucoup de choses aujourd'hui qui méritent ce coup de pied. »

Albert Camus, “Les Amandiers” in L'été

 

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16/04/2018

Une prétendue ville d’Is

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« L’une des légendes les plus répandues en Bretagne est celle d’une prétendue ville d’Is, qui, à une époque inconnue, aurait été engloutie par la mer. On montre, à divers endroits de la côte, l’emplacement de cette cité fabuleuse, et les pêcheurs vous en font d’étranges récits. Les jours de tempête, assurent-ils, on voit, dans le creux des vagues, le sommet des flèches de ses églises ; les jours de calme on entend monter de l’abîme le son de ses cloches, modulant l’hymne du jour. Il me semble souvent que j’ai au fond du cœur une ville d’Is qui sonne encore des cloches obstinées à convoquer aux offices sacrés des fidèles qui n’entendent plus. Parfois je m’arrête pour prêter l’oreille à ces tremblantes vibrations qui me paraissent venir de profondeurs infinies, comme des voix d’un autre monde. Aux approches de la vieillesse surtout, j’ai pris plaisir pendant le repos de l’été, à recueillir ces bruits lointains d’une Atlantide disparue. »

Ernest Renan, Souvenirs d’enfance et de jeunesse

 

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Pour ne jamais faire de concessions à la médiocrité

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« J'ai été plusieurs fois millionnaire, mais l'argent est reparti à chaque fois et aussi facilement qu'il était venu. Je n'accorde de l'importance à l'argent que lorsque je le dépense. Si je devais économiser, je ne serais pas moi-même et je n'aurai pas pu vivre ces aventures intenses qui furent les miennes. Une mentalité étriquée ne permet pas de vivre quelque chose de grand.
Toute ma vie, mon dernier centime sera dépensé pour la flambe, le confort, pour ne jamais faire de concessions à la médiocrité. »

Cizia Zykë, Oro

 

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15/04/2018

Là, tout respire la mortalité, là tout est "humain, trop humain" : "Menschliches, Allzumenschliches" (Nietzsche).

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Archimandrite Justin (en serbe cyrillique : Јустин, nom séculier Blagoje Popović, en serbe cyrillique : Благоје Поповић), né le 25 mars 1894 et mort le 25 mars 1979, un des plus importants théologiens orthodoxes de notre époque, souvent considéré comme un nouveau Père de l'Église. Il était l'archimandrite du monastère de Ćelije, près de Valjevo. Il a été canonisé par l'Église orthodoxe serbe le 29 avril 2010. Il est fêté le 1er juin selon le calendrier julien ce qui correspond au 14 juin selon le calendrier grégorien.

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« Attelé au joug du temps et de l'espace, l'homme traîne l'univers. Où ? Vers quel gouffre, vers quel abîme le conduit-il ? Vers quelles cimes glacées, au-delà du temps et de l'espace ? Hommes et tribus, peuples et races, tous à l'égal sont attelés à ce double joug du temps et de l'espace. Ployant nuit et jour sous le poids du fardeau, stimulés par quelque force irrésistible, ils le traînent, ils trébuchent, à nouveau ils le traînent et à nouveau ils trébuchent, tombent et périssent. Dans quel but ? Qui les attelle à ce joug sans jamais les délier ? Oh ! le temps ! Dites-moi le mystère du temps, ce lourd fardeau. Et l'espace ? Le frère d'affliction, le jumeau du temps.

Rien n'est plus tragique, rien n'est plus affligeant que ce genre humain attelé au joug pesant du temps et de l'espace. Il traîne le temps sans en connaître ni la nature, ni le sens, ni le but. Il traîne aussi l'espace, sans plus en connaître la nature ni le sens ni le but. L'absence de but le conduit à être captif de l'absurde ! L'absence de but rivalise avec l'absurde, mais c'est toujours le tragique qui l'emporte.

Exister et vivre dans un tel monde ne constitue pas un bien grand privilège. - Il n'en est pas ainsi ? Mais à peine es-tu tiré du non-être à l'être que, par quelque incompréhensible nécessité, tu te trouves lié à ce joug cruel du temps et de l'espace. Quel étrange accueil ! Et pour peu que tu viennes au monde avec un peu de sensibilité, tu ressens vite cet affreux tourment écrasant tous les êtres, cette impitoyable maladie dévorant toute créature de l'intérieur. Et tout à coup ton cœur fond en larmes, et c'est alors que tu comprends que tout être créé a des yeux, des yeux qui pleurent sans cesse de quelque amère affliction. Et c'est alors que toutes les créatures souffrantes rassemblent leurs larmes dans le cœur de l'homme, irriguant tout son être. Devant le triste destin de ce monde, il s'efforçait de retenir le sanglot de son cœur, mais son effort se mue en un cri désespéré, sa volonté fléchit, sans force sous la montée de cette douleur du monde qui sourd en tout son être.

Ce monde... Qu'est-ce que ce monde, avec tous ses tourments et ses tribulations, ses tragédies et ses douleurs ? Est-il autre chose qu'un mourant sans espoir, un perpétuel agonisant qui jamais ne meurt ? Que nous reste-t-il alors ? Grincer des dents et nous révolter ? Mais se révolter contre qui et contre quoi ? Ah ! cette pauvre petite conscience humaine ne saurait en aucune façon trouver le principal coupable ! Il semble que la conscience n'ait été donnée aux hommes que pour les tourmenter en vain, pour qu'ils ressentent leur tragique impasse à partir de leurs terribles conditions d'existence. La conscience humaine est comme une petite luciole dans une nuit obscure. Tout autour, une ténèbre profonde et épaisse: poussée par une inquiétude interne, la malheureuse luciole court d'une obscurité à l'autre, d'une moins grande à une plus grande. Mais le comble de l'horreur est que la grande obscurité est bien petite, en comparaison d'une autre plus grande. Et ainsi de suite à l'infini.

Cette conscience trop raffinée... - A quoi me sert-elle ? Je désire ne plus désirer. Cette connaissance trop raffinée... - A quoi me sert-elle ? Je veux ne plus rien savoir. Mais le plus insupportable des tourments est de penser à l'impensable nature de la pensée. Car la pensée est le comble de l'impensable et de l'absurde. Ah, si c'était la pensée de l'homme qui avait inventé la pensée ! Il aurait facilement trouvé le Paradis. - Comment ? mais en détruisant la pensée ! Mais la pensée est imposée à l'homme. La pensée pense même quand l'homme ne le veut pas... Vous qui êtes martyrs de la pensée, vous le ressentez et vous le savez. Vous le savez parce que vous le ressentez. Et telle est justement la connaissance la plus terrible. Trouvez-moi la fin de la pensée, trouvez-moi sa mort, et vous deviendrez le plus grand bienfaiteur de l'humanité. Aussi longtemps qu'existe la connaissance, aussi longtemps qu'existe la pensée pour l'homme, il ne peut que pleurer sur le terrible mystère de ce monde, pleurer d'une lamentation interminable et inconsolable, car l'homme n'a ni fin ni terme - dans le tourment - ; c'est en cela que consiste son immortalité, cette immortalité maudite et imposée. Oh, si cet homme tourmenté et torturé pouvait trouver sa mort, une mort dans laquelle pourrait périr cette pensée qui n'en finit pas, une mort pour tous les temps et pour toute l'éternité !

Ainsi est l'homme, ainsi est le monde quand je ne les ressens pas par le Christ, quand je ne les vois pas en Christ. Mais avec lui tout change: et moi, et le monde autour de moi. Dès sa rencontre avec lui coule en l'homme un flot entièrement nouveau, quelque chose qu'on n'avait pas encore ressenti, ni imaginé, ni connu. A partir de mon amour pour lui, ma conscience (ocecanje) de moi-même et ma conscience du monde se transforment en une bonne nouvelle merveilleuse et joyeuse, à laquelle il n'est de terme ni dans le temps, ni dans l'éternité. Alors résonne, dans tous les précipices du monde et dans tous les abîmes de l'homme, une voix bienveillante et douce, une voix qui réconforte ceux qui sont fatigués et redresse ceux qui sont tombés ; c'est cette voix qui sauve ceux qui sont abattus et guérit toute plaie, console toutes les détresses, soulage tout fardeau et adoucit toute amertume: c'est la voix de l'unique Ami de l'homme: "Venez à moi vous tous qui êtes fatigués et accablés, et moi je vous soulagerai. Prenez sur vous mon joug, et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le soulagement pour vos âmes. Car mon joug est bon, et mon fardeau est léger" (Mat. 11, 28-30).

Pourquoi la vie est-elle difficile pour l'homme ? Parce que l'homme a inventé la mort, parce qu'il l'a établie en lui et en tous les êtres qui l'entourent. Car la mort est une source intarissable de tourments et d'afflictions. Tous les nerfs de la mort partent de l'homme, car il en est le ganglion central. En réalité, la mort est la seule amertume de la vie, la seule amertume de l'existence. C'est d'elle que procède tout le tragique de la vie.

La vie terrestre de l'homme n'est pas autre chose qu'un combat incessant contre la mort, contre ce qui la précède et qui l'escorte, et contre ses armées. Là il n'est pas de trêve, et de paix moins encore. La mort monte continuellement à l'assaut de l'homme, et du dehors et du dedans. - Comment ? De quelle manière ? Mais du dehors par les tentations, du dedans par les maladies visibles et invisibles. Et toutes ces choses, tentations, péchés, maladies, ne sont rien d'autre que les dents de la mort, ces dents qui dévorent continuellement l'homme, du dehors comme du dedans. Mais le plus terrible est qu'elles dévorent, non seulement son corps, mais son âme, sa connaissance, et sa conscience. A cette situation il n'est qu'une issue, il n'est qu'un salut : la Résurrection du Christ, et la victoire qu'elle remporte sur la mort dans tous les mondes. Car, de même que la mort est la source de toutes les amertumes, qu'elle est l'amertume universelle, de même la Résurrection du Christ Sauveur est la source de toute joie, la joie universelle. Il suffit que l'homme ouvre ses yeux spirituels. Alors il ne peut que ressentir et voir que seul le Seigneur ressuscité peut donner signification et joie véritables à la vie amère de l'homme sur terre. Lui, et rien d'autre, et personne d'autre.

Qu'y aurait-il de plus important et de plus utile pour la vie de l'homme ? Sans aucun doute de donner un sens (ocmisliti) à sa vie, qui en a été privée, ontologiquement et phénoménologiquement, par la mort, c'est-à-dire par le péché. Car seuls la mort et le péché privent la vie et l'existence de leur sens. Ce sont eux qui ôtent leur raison d'être (delogosiraju) à l'homme et à la création. Ils éloignent de la création de Dieu sa verbéité (logosnost) et sa rationalité (logicnost) primitive que le Logos, le Verbe, avait semées en eux en la créant. En réalité, le péché et la mort sont l'unique absurdité (besmislica) de ce monde, le seul non-sens (nelogosnost), la seule déraison (beslogosnost). Aussi longtemps que le péché et la mort se trouvent en l'homme, l'absurdité ruine en lui et sa connaissance et sa conscience de soi, et la vie et la lumière. C'est seulement lorsque l'homme communie à la joie de la Résurrection du Christ, qu'il recouvre en son âme son vrai sens et sa raison d'être, sa rationalité et sa "verbéité" véritables, et qu'elles le conduisent à la merveilleuse immortalité et infinité du Christ.

Sans le très-doux Seigneur Jésus, cette éphémère existence terrestre aussi est terrible et incompréhensible; mais combien plus l'immortalité infinie et éternelle. Là où se trouve la mort il n'est pas de vraie joie. En d'autres termes: là où le Christ est absent, il n'est pas de vraie joie. Les hommes, dans le délire, dans l'ivresse du plaisir du péché, célèbrent comme joies de la vie d'innombrables petitesses et inepties. Et ce sont vraiment petitesses et inepties que ces plaisirs qui les éloignent du Christ, qui ne leur assurent pas la sainteté et l'immortalité du Christ.

Autre chose : là où existe la mort, n'existent réellement ni vérité, ni justice, ni amour. Celui-là seul qui vainc la mort et libère le genre humain de la mort, celui-là seul a le véritable amour. Car quel amour est-ce que celui qui ne libère pas l'aimé de la mort ? C'est pour cela que le Seigneur Jésus est le seul Ami des hommes. Et son amour est entier, son amour est total pour cette raison qu'il contient toute la vérité et toute la justice, et tout ce qu'il y a de haut, tout ce qu'il y a d'immortel, de noble, de rationnel (najlogosnije), de divin.

En réalité, le malheureux genre humain n'a qu'un seul vrai ami : le Seigneur Christ, car c'est lui qui l'a libéré de son plus grand ennemi : la mort. Par sa glorieuse Résurrection, le Seigneur a introduit le genre humain dans le courant du fleuve d'immortalité, qui les emmène vers la vie éternelle. C'est à partir de là que les pensées, les sensations et les travaux des hommes du Christ deviennent autant de petits ruisseaux d'immortalité. Passant parmi les rochers du temps et de l'espace, ces ruisseaux murmurent et courent avec joie vers la mer sans rivage de la merveilleuse éternité et de la divino-humanité du Christ.

Si on retranchait du temps le péché et la mort, alors le temps serait un merveilleux préambule à l'éternité divine, une excellente introduction à la divino-humanité, en accord avec cette parole de toute vérité de l’Éternel, du Dieu-Homme: "Celui qui croit en moi a la vie éternelle" (Jean 6,47). L'amertume du temps provient de la mort et du péché ; en l'absence de mort et de péché, le temps devient suave. Sans le Christ, le seul Tout-puissant, le temps est un fardeau pesant; il devient léger avec le Christ. Et le jumeau paradoxal du temps, l'espace, lui aussi, avec tout ce qu'il enferme en lui, écrase et opprime l'homme de tout son poids. C'est ainsi que le fardeau de l'homme se révèle terrible et terrorisant, son joug lourd et épineux. Ce n'est qu'avec l'aide de la toute-Bonté et de la toute-Puissance du Dieu-Homme que ce joug devient "doux" et ce fardeau "léger". Suivant la parole vraie de la Vérité : "Mon joug est doux, et mon fardeau léger" (Mat. 11,30).

Le joug de la vie ne nous torture, le fardeau de l'existence ne nous pèse, que pour autant que l'alourdissent les plombs du péché et de la mort. Lorsque, par la puissance du Christ ressuscité, ces plombs du péché et de la mort sont retirés de l'essence de la vie et de l'existence, alors le joug de la vie se fait "doux" et le fardeau "léger". La vie se change même alors en joie, l'existence en allégresse. Il s'agit là de cette joie de la vie et de l'existence, qui ne cesse ni en cette vie ni en l'autre, c'est lorsque l’Éternel, le Dieu-Homme, fortifie et installe l'homme dans la vérité et dans l'immortalité, que le joug de la vie devient doux et que le fardeau de l'existence devient léger. C'est alors que l'homme, de tout son être, sent que cette lumière joyeuse et divine l'inonde depuis toutes les profondeurs et de toutes les hauteurs raisonnables (logosnih) de l'espace et du temps créés par Dieu.

Pour la pensée de l'homme, et le temps et l'espace sont des monstres s'ils n'acquièrent pas leur signification par l'éternité, c'est-à-dire par la divino-humani-té. Car nous ne connaissons l'éternité que par la catégorie, par l'événement, par la réalité de la divino-humanité du Christ. L'éternité entière, unie au temps, s'est présentée pour la première fois devant la conscience humaine en la Personne du Christ, Dieu et homme. Dieu est le possesseur et le porteur de l'éternité; l'homme, le représentant du temps, cependant que le Dieu-Homme est la synthèse, la plus élevée, la plus accomplie et la plus parfaite, de l'éternité et du temps. Le temps acquiert sa véritable signification en s'unissant à l'éternité dans la vie divino-humaine du Seigneur Jésus.

Illuminé par le Dieu-Homme, le temps montre toutes ses caractéristiques "logiques" (logosna) parce que lui aussi existe par le Verbe (cf Jean 1,3). En son essence, le temps est logique, et c'est pour cette raison qu'il constitue une introduction à la divinité du Verbe par la divino-humanité. Le Dieu-Verbe incarné a montré avec certitude que le temps est une préparation à l'éternité. Celui qui entre dans le temps entre en même temps dans l'antichambre de l'éternité. C'est là la loi de notre existence.

Se trouvant dans le temps, l'homme est un être qui se prépare à l'éternité. Si la vie sur terre et dans le temps est terrible, insensée et torturante sans le Dieu-Verbe, combien plus l'éternité ! Sans le Dieu-Verbe, l'éternité n'est qu'Enfer, et la vie sur terre sans le Dieu-Verbe n'est qu'un préambule et une préparation à l'Enfer. Car l'Enfer n'est rien d'autre que la vie sans le Verbe, sans signification divine, sans raison divine. C'est seulement dans l'Enfer que n'existent ni verbe, ni raison (logika), ni signification (smisl). L'Enfer de l'homme commence déjà ici sur terre, si l'homme ne vit pas dans le Verbe, dans le Christ. Mais le Paradis aussi de l'homme commence déjà ici sur terre, si l'homme vit dans le Verbe divin, le Dieu-homme, le Christ. Pour l'être humain, le Dieu-Verbe incarné est signification, raison et paradis. Tout ce qui se passe sans verbe (protivlogosno) ni raison (nelogosno) est par là même absurde et insensé. Et c'est cela qui crée pour l'homme des dispositions infernales qui changent la vie en enfer.

L'homme ? Un être introductif, un être préparatoire pour l'éternité par la divino-humanité. L'homme en Christ est illimité et immortel, parce qu'il est passé "de la mort à la vie" (Jean 5,24). La mort ne l'interrompt pas, il se prolonge du temps à l'éternité. Vivant par le Christ ressuscité, il immortalise sa connaissance-de-soi par la connaissance-du-Christ et, par la conscience-du-Christ, la conscience-de-soi.

Les connaissances de l'homme ? Ce sont des connaissances introductives qui deviennent éternelles par la divino-humanité du Christ. C'est seulement ainsi que les connaissances de l'homme ne sont pas une torture pour l'esprit humain. Si vous le voulez, vous pouvez vous en assurer: les connaissances sont pour vous le plus grand martyre, et l'horreur, et l'enfer, jusqu'à ce que le merveilleux Seigneur Jésus les touche. Dès qu'il les touche, elles se transforment en joie, en allégresse, en paradis. Il n'y a pas à en douter: la connaissance n'est une bénédiction que dans la connaissance-du-Christ; sans elle, la connaissance est malédiction et terreur. I 'homme a été créé précisément semblable à Dieu, semblable au Christ, semblable à l'Esprit, pour que ses connaissances deviennent, dans leur essence, une nostalgie de Dieu, une nostalgie du Christ, une nostalgie de l'Esprit.

Les pensées de l'homme ? Leur but est de se développer en pensées éternelles et divino-humaines. La pensée est un fardeau lourd et éprouvant. C'est seulement comme pensée-en-Christ qu'elle devient un fardeau léger et aimé. Quand la pensée se "verbéise", se "christifie", elle acquiert sa dignité éternelle, sa joie et sa signification. Sans cela, chaque pensée est un petit enfer, et toutes ensemble, un enfer d'infinité et d'éternité.

Il n'est rien de plus horrible qu'une éternité sans le Christ. Je préférerais être dans un enfer où serait le Christ (si l'on me pardonne ce paradoxe) que dans un paradis où le Christ n'est pas. ( car si le Christ n'est pas présent, tout se transforme en malédiction, en amertume, en horreur. Là, sur la braise à demi-éteinte de la conscience-de-soi humaine, s'étend une ombre sans fin, une obscurité infinie. Là le corps devient un lourd fardeau, et l'âme un joug maudit. Celui que tourmente si peu que ce soit le martyre de l'homme, doit avoir ressenti la vérité de ces paroles de l'Apôtre : "Dieu nous a bénis en toute bénédiction spirituelle en Christ" (Eph 1,3). Sans le Dieu-Homme, le Christ, et en-dehors de lui, les sombres flots de la malédiction et du mal roulent et emportent l'homme.

C'est seulement dans le très-doux Seigneur que nous avons ressenti et appris que ce monde est un prologue à l'autre: le temps est un prélude à l'éternité, la vie sur terre est une préparation à la vie éternelle, et le bien terrestre un avant-goût du bien éternel: "Serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle en peu de chose; je t’établis sur beaucoup, entre dans la joie de ton Maître" (Mat. 25, 21-23). Mais il ne faut pas que nous oubliions ceci: c'est seulement lorsque nous avons été illuminés par la lumière divine du Dieu-Homme que nous avons vu et ressenti tout le désastre du mal et du péché, et que nous avons compris que le mal terrestre est une introduction et une préparation au mal éternel. Le péché ici-bas sur la terre est un préambule et une préparation au Royaume éternel du péché, l'enfer. Seuls les hommes porteurs-du-Christ connaissent en détail les mystères du bien et du mal, parce que leurs sens sont "exercés par la pratique du discernement du bien et du mal" (Heb. 5,14). En outre, ils connaissent parfaitement la mentalité de Satan et la dialectique de la philosophie du mal, selon les paroles de l'Apôtre: "nous n'ignorons pas ses desseins" (2 Cor. 2,11).

Dans la profondeur raisonnable (logosnom) de l'être humain semblable-à-Dieu, le temps et l'éternité se trouvent organiquement unis et ontologiquement liés, en proportion de la mesure de l'être de l'homme. Fondé sur ces éternités qui existent en lui, l'homme peut s'édifier pour une existence merveilleuse. La similitude-à-Dieu constitue en l'homme la source inépuisable des puissances créatrices de la nostalgie-en-Dieu, grâce auxquelles il s'élabore lui-même en un être éternel.

Le péché brise au sein de l'être de l'homme cette unité du temps et de l'éternité, et ouvre en lui un gouffre terrible entre ce qui est dans le temps et ce qui est dans l'éternité, gouffre où sombrent durablement la pensée et la connaissance de l'homme. Le péché, en tant que puissance anti-Dieu et anti-Verbe (protivlogosna), dédivinise et "dé-verbéise" (delogosira) l'homme, et l'établit dans le non-sens. Ce qui veut dire que le péché met l'homme à mort, parce qu'il l'éloigne de l'unique source de la vie, de l'immortalité et de l'éternité : de Dieu. Vivant dans le péché, l'homme se retranche lui-même dans le solipsisme, ne connaît plus que lui-même, et se proclame le centre de tout. Plus il s'enfonce dans le péché, plus s'agrandit dans sa conscience et dans son cœur le gouffre entre le temps et l'éternité. Tourné vers le monde extérieur, l'homme du péché ressent et voit une terrible faille entre lui-même et les autres hommes, entre lui-même et les autres êtres. Enfoncé dans un isolement profond et égoïste, il perd par degrés -jusqu'à en être totalement privé- le sentiment de l'unité universelle (svejedinstvo) du genre humain. Le gouffre entre lui-même et la création toute entière devient insondable, inépuisable et infranchissable. Il ne voit plus, il ne ressent plus que lui et personne d'autre et rien d'autre, ni au-dessus de lui ni autour de lui. Tout en lui n'est plus que lui-même, hôte de lui-même, piètre imposteur de la divinité intronisé sur son fumier. De là vient que tant d'hommes n'ont que de petites pensées, de petits sentiments, dont ils ne peuvent eux-mêmes se débarrasser sur autrui. Les pensées et les sentiments de l'égoïsme, mutilés et estropiés par l'amour-de-soi, ne reconnaissent ni l'homme ni Dieu, car ils n'accèdent ni à l'éternel ni au divino-humain. Dans ses pensées, dans ses connaissances, dans sa vie, s'ouvre une faille tragiquement béante: un schisme, une déchirure maudite dans sa conscience, dans son cœur, dans son âme, dévastant sa forme d'homme, selon Faust : "Deux âmes logent en ma poitrine".

Le Dieu-Homme, le Christ, ôte le péché et franchit le premier le gouffre que celui-ci avait créé entre le temps et l'éternité, entre l'homme et Dieu, entre l'homme et les autres êtres. C'est ainsi qu'il rétablit dans la conscience et la connaissance de l'homme l'unité entre l'homme et Dieu, entre le temps et l'éternité, entre lui-même et le reste du monde. C'est pourquoi les hommes qui ont l'esprit et la foi dans le Christ, quand ils combattent contre le péché, combattent pour rétablir en eux-mêmes la connaissance pleine et intégrale du monde, pour arriver à la plénitude et à l'intégrité de l'homme.

Le péché a brisé l'unité de la connaissance-de-soi de l'homme, de sa conscience-de-soi, de sa pensée, de sa vie, de son existence, de son être. C'est ainsi qu'il a brisé l'unité de la connaissance que l'homme a du monde (la "théorie" du monde). Le combat selon le Christ contre le péché n'est rien d'autre qu'un combat contre cette puissance qui seule ruine l'homme en brisant en lui le sentiment de l'unité entre l'homme et Dieu, entre le temps et l'éternité, le sentiment de l'unité universelle. Le Dieu-Homme, par sa vie divino-humaine, donne sa philosophie divino-humaine de l'unité universelle. Dans cette vie, dans cette philosophie, il n'y a pas de place pour le péché, le mal et la mort.

L'homme a été créé par Dieu comme un être macrocosmique et c'est pour cette raison qu'il est naturel et logique qu'existent en lui une connaissance et une conscience macrocosmique du monde. C'est pour cette raison que l'homme qui n'a été ni bouleversé ni désintégré par le péché, ressent l'unité organique de toutes les créatures. Il ressent comme siennes la joie et la tristesse des créatures, car il porte d'une manière mystérieuse le sort de toutes les créatures. Adam en offre l'exemple. La connaissance de l'unité universelle régnait en Adam jusqu'à la chute. Il a entraîné toute la création avec lui dans sa chute vers le péché et vers la mort. Plus proches sont les exemples que nous fournissent les Apôtres, les Martyrs et les Saints et tous les vrais chrétiens. L'exemple par excellence en est l'Apôtre Paul. Nul autre que lui n'a ressenti avec autant de force et de profondeur que toute la Création "gémit et souffre les douleurs de l'enfantement" avec les hommes, qu'elle gémit et souffre avec eux du péché et en raison du péché, de la mort et en raison de la mort à laquelle l'homme l'a soumise à cause de son amour du péché (cf Rom. 8, 12-23). La restauration (grec apocatastasis = latin reintegratio) de la Création a été accomplie en la personne du Dieu-Homme, le Christ. De lui et par lui, elle a été transmise à tous ceux qui sont membres du même corps que lui (cf Eph. 3,6), à tous les hommes qui se sont greffés comme des rameaux sur lui, comme des greffons sur la vigne (cf Jean 15, 1-7). De lui sont passées jusqu'à eux la conscience et la connaissance divino-humaines de l'unité de la vie et de la création. Ce sont cette connaissance et cette conscience qui sont greffées tout particulièrement sur les âmes pleines de grâces et christifiées des saints. C'est en eux et par l'énergie du Dieu-Homme que sont guéries et restaurées la connaissance et la conscience qu'ils ont et d'eux-mêmes et du monde. Ces Saints sont des âmes régénérées et accomplies, qui guérissent progressivement du péché la création autour d'eux, et la ramènent à son unité universelle et primordiale. Étant "fils de Dieu" par la grâce, ils sauvent la Création de son émiettement, de sa corruption, et de la cassure de son unité (cf Rom. 8, 19-21).

En réalité, la restauration divino-humaine de l'homme crée en lui la connaissance et la conscience de l'unité universelle du macrocosme. Et l'homme du Christ voit toute la création, aux cieux et sur terre, dans son unité universelle divino-humaine, il ressent et il sait que c'est dans le Christ que tout a été créé aux cieux et sur terre : "Tout a été créé par lui et pour lui. Il est avant tout et tout subsiste en lui, et il est la tête du corps de l’Église" (Col 1, 16-18).

Par l'exercice des vertus évangéliques (podvàima), l'homme rétablit l'unité universelle du macrocosme dans sa conscience, dans sa connaissance, et dans sa vie. L'homme entier participe à cette restauration, à cette recréation de soi-même dans le Christ : de toute son âme et de tout son cœur, et de toute son intelligence, et de toute son énergie. Et tout entier il grandit "de la croissance de Dieu... jusqu'à la taille de la plénitude du Christ... vers l'homme parfait" (cf Col. 2,19; 1,29; Eph. 4,13). L'homme perd la conscience évangélique de l'unité universelle du macrocosme quand il se livre consciemment aux œuvres mauvaises, et en lui et dans le monde qui l'entoure (cf Col. 1,21).

La philosophie divino-humaine, la philosophie selon le Christ, est la philosophie de l'homme renouvelé et régénéré dans le Christ, sanctifié et divinisé en Christ. Cette philosophie est régie par la connaissance divino-humaine et par la reconnaissance de l'unité universelle de l'être et de la création. Cependant que tout ce qui dissout, tue et endort cette connaissance et cette connaissance divino-humaine de l'unité universelle, appartient à la philosophie selon l'homme, selon l'homme pécheur et mortel.

En réalité, il n'existe que deux philosophies : la philosophie divino-humaine et la philosophie humaine. L'une est la philosophie de l'unité divino-humaine et l'autre, la philosophie de la division humaine. Toute la philosophie selon l'homme se meut à l'intérieur du cercle magique de la mort et de la mortalité, dans lequel la connaissance et la conscience de l'homme ont été disloquées par le péché. C'est là que l'homme et le monde deviennent "légion" ; là le nom de l'homme et du monde est "légion" (Luc 8,30). Là, tout respire la mortalité, là tout est "humain, trop humain" : "Menschliches, Allzumenschliches" (Nietzsche). C'est pour cela que l'Apôtre christophore conseille avec sagesse : "Frères, veillez à ce que personne ne vous pille, à cause de la philosophie ou par vaine ruse, selon la tradition des hommes, selon les éléments du monde et non selon le Christ" (Col. 2,8). La philosophie divino-humaine est la philosophie de l'expérience divino-humaine. En elle, tout se fonde sur l'expérience, sur le vécu et la pratique. Là, rien d'abstrait, rien qui ne soit réel. Tout est une réalité divino-humaine, car dans le Dieu-Homme, le Christ, "habite corporellement toute la plénitude de la Divinité" et c'est pour cela qu'il est établi en tous : "Vous êtes comblés en lui" (Col. 2, 9-10).

L'homme, quand il s'est incorporé avec toute sa personne au Corps du Christ et qu'il a été tout entier accompli en lui, s'emplit de la connaissance et de la conscience divino-humaines de l'unité universelle du macrocosme. Et il s'enflamme en prenant conscience que tous sont responsables de tout : les douleurs de tous les êtres sont ses propres douleurs, les tribulations de toutes les créatures sont ses propres tribulations. Tous ceux qui sont en Christ constituent un corps unique, divino-humain : l’Église ; et le Christ est la tête du corps de l’Église (Col. 1,18). C'est lui qui donne à la pensée de tout chrétien sa réflexion, et à la connaissance sa sensibilité. C'est lui-même qui universalise (sabomizira) la connaissance et la conscience de chaque membre de l’Église, afin qu'il vive "avec les Saints" (Eph. 3,18), pour autant qu'il vive avec le Dieu-Homme, le Christ. C'est pourquoi aussi l’Église a comme philosophie la philosophie divino-humaine et c'est pourquoi elle a la connaissance divino-humaine de l'unité universelle.

De cette fragmentation et de cette atomisation de la conscience et de la connaissance, l'homme n'est sauvé que par la vie divino-humaine. C'est de cette même manière qu'il est sauvé d'un isolement égoïste qui n'est rien d'autre que la marque même de Satan. Car Satan est l'être le plus isolé dans tous les mondes. Il a complètement perdu conscience de l'unité universelle du monde. En réalité, Satan est le Solitaire dans le sens le plus absolu. C'est pourquoi l'égoïsme des hommes, leur isolement autarcique, leur retranchement de l'unité universelle du macrocosme ne sont rien d'autre qu'un élan vers le satanisme. Car Satan est Satan en ce que sa connaissance-de-soi et sa conscience-de-soi sont complètement coupées de Dieu et de tous les autres êtres et créatures.

Le moyen de se sauver du satanisme, du solipsisme et de l’égoïsme ne se trouve que dans la divino-humanisation de l'homme. C'est pourquoi la divino-humanisation du monde restaure chez l'homme la connaissance-de-soi et la conscience-de-soi, et la connaissance-du-monde. L'homme se sent et se reconnaît impliqué avec tous les êtres et avec toutes les créatures : l'unité universelle est la réalité la plus réelle et la plus immédiate pour sa conscience et pour sa connaissance. Un tel homme se rassemble incessamment lui-même en Dieu par la prière et par la foi, par l'amour et par la justice, par la miséricorde et par la vérité, et par les autres ascèses et vertus évangéliques. Cette concentration de l'homme en Dieu, cette concentration de soi dans le Dieu-Homme, renforce en lui jusqu'à un point inimaginable la connaissance et la conscience de l'unité universelle du macrocosme. C'est alors que l'homme en Christ déborde sur toute la création et sur tous les êtres d'un amour et d'une miséricorde immenses. En larmes il prie pour tous et pour tout, parce qu'il ressent et qu'il sait comme personne d'autre que l'amour et la miséricorde du Christ sont le seul salut du pécheur et la gloire immortelle des justes. C'est dans cet amour du Christ que se trouve toute la philosophie de l'optimisme éternel, de même que dans la haine satanique se trouve toute la philosophie du pessimisme meurtrier. Devant l'homme se dressent et l'un et l'autre. »

Justin Popović, "Entre deux philosophies" in L'homme et le Dieu-homme

 

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14/04/2018

Un ennui toujours plus lourd et une haine toujours plus profonde de soi-même

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« Il n’est pas difficile d’être malheureux et mécontent. Il suffit de s’en remettre à l’humeur triste et irritée, qui n’attend que ça. Il suffit de bouder le monde, de s’asseoir à l’écart, et d’attendre en râlant le "jour J" de la distribution des raisons de vivre. Mais le "jour J" ne se lève jamais. L’homme qui s’est abandonné à la pente de la tristesse et de l’irritation ne voit venir qu’un ennui toujours plus lourd et une haine toujours plus profonde de soi-même, de tout et de tous. Qu’il nomme donc cela le sentiment révolutionnaire, s’il éprouve le besoin de draper son cadavre puant. Sous cette draperie, il croit qu’il bouge. C’est seulement le cadavre qui fermente. Il s’imagine manifester quelque majesté en refusant les offrandes d’un monde qui fonctionne malgré lui. Il manifeste seulement que rien ne pourrait le désennuyer.Il est difficile d’être heureux. Il faut de l’esprit, de l’énergie, de l’attention, du renoncement et une sorte de politesse qui est bien proche de l’amour. C’est parfois une grâce d’être heureux. Mais ce peut être, sans la grâce, un devoir. Un homme digne de ce nom s’attache au bonheur, comme au mât par sale temps, pour se conserver à lui-même et à ceux qu’il aime. C’est un devoir d’être heureux. Et c’est une générosité. »

Louis Pauwels, Lettre ouverte aux gens heureux et qui ont bien raison de l’être

 

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