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28/03/2018

Corriger le regard

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« Dans ces années-là, tout le monde était prêt à mourir, c’était la base sur laquelle on travaillait.
Les Tibétains célèbrent les funérailles du ciel. Ils démembrent le corps du défunt et le donnent en pâture aux vautours. C’est une longue cérémonie, un abattage extrêmement raffiné. À la fin, il ne reste que les os, parfaitement propres. À genoux dans la maisonnette, Stefano faisait penser au vol de vautours rassasiés, aux larges cercles noirs dans le ciel de l’Himalaya.Les grands sages aryens. Il existe une autre vision du monde. Les mains couvertes de sang aident à corriger le regard. »

Alberto Garlini, Les noirs et les rouges

 

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27/03/2018

Cette colère trempait leurs âmes

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« Ils étaient fous et ils le savaient. La colère accumulée sous l'effet des tromperies, des morts et du dégoût face à la société dégueulasse qui les entourait, cette colère trempait leurs âmes. Dépositaires d'une foi absolue, ils étaient prêts à tout pour l'honorer, à une époque où personne ne renonçait à rien. Tout homme désirait un emploi, un salaire, une molle vie de famille. Eux affrontaient la mesquinerie de l'existence à visage découvert. Sachant qu'ils perdraient tout et indifférents à cette perte. »

Alberto Garlini, Les noirs et les rouges

 

 

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26/03/2018

Cette vie de parade, de boniment, de réclame et de fabrique de l'opinion publique

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« J'abhorre cet américanisme creux qui espère s'enrichir à crédit, être informé en tapant sur les tables à minuit, apprendre les lois de l'intelligence par la phrénologie, le talent sans études, la maîtrise sans apprentissage, la vente des marchandises en prétendant que tout se vend, le pouvoir en faisant croire qu'on est puissant ou en s'appuyant sur un jury ou une composition politique qui vous est favorable, la corruption et des votes "répétés", ou parvenir à la richesse par la fraude. On pense y être parvenu, mais on a obtenu quelque chose d'autre, un crime qui en appelle un autre, et un autre démon derrière celui-ci : ce sont des étapes vers le suicide, l'infamie et les affres du genre.
Nous nous encourageons mutuellement dans cette vie de parade, de boniment, de réclame et de fabrique de l'opinion publique, et dans cette faim de résultats et de louanges rapide on perd de vue l'excellence. »

Ralph Waldo Emerson, Société et solitude

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20/03/2018

Après quoi, au dia­ble la Société !

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« L’important, c’est de mener une guerre men­tale sans relâche con­tre le ton, l’humeur et l’état d’esprit tout à la fois de l’existence mod­erne dans une com­mu­nauté reposant sur le com­merce. L’important, c’est de con­ver­tir le plus grand nom­bre d’individus pos­si­bles au désir de mener une vie sta­tique au lieu d’une vie dynamique, une vie fondée sur la con­tem­pla­tion et non sur l’action. Que tous les indi­vidus hon­nêtes, hommes ou femmes, eux-mêmes à leur sub­sis­tance ; mais une fois leur sub­sis­tance assurée par des moyens irréprochables, qu’ils pren­nent conscience du fait que là s’arrête leur dette envers l’humanité. Il est indis­pens­able que cha­cun s’acquitte de sa tâche pour que l’ensemble puisse con­tin­uer à fonc­tion­ner. Mais plus votre sagesse sera grande, et plus vous circonscrirez dans d’étroites lim­ites la charge que représente cette tâche... Après quoi, au dia­ble la Société ! »

John Cow­per Powys, Apolo­gie des sens

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19/03/2018

La haine mortelle de la masse à l'égard de la vie indépendante de l'individu

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« La démoc­ra­tie mod­erne et la mécan­i­sa­tion du monde  mod­erne ont pour corollaire l’aura desséchante et stérilisante d’une spir­i­tu­al­ité bornée. On sent flot­ter dans l’air la haine mortelle de la masse à l’égard de la vie indépen­dante de l’individu. C’est ce sen­ti­ment qui se lit dans le regard vul­gaire, méchant, mi-curieux, mi-réprobateur, de l’homme moyen que l’on croise dans la rue. Ce que l’on a cou­tume d’appeler “sens de l’humour” n’est chez la plu­part que l’expression de cette haine.

L’humour démoc­ra­tique trahit la rancœur de la nor­mal­ité en présence de l’anormal. C’est le sens du grotesque et du ridicule. Et ce qui appa­raît grotesque et ridicule à l’”humour” col­lec­tif du trou­peau, ce sont pré­cisé­ment ces éléments même de la con­science individuelle qui, lorsque celle-ci con­naît ces élé­ments sub-humains et super-humains, transcen­dent le niveau ordi­naire de notre époque mécan­isée. La béat­i­tude hébétée de la foule sus­pendue à l’écoute de la radio illus­tre bien cette atti­tude. Car la radio n’est pas autre chose que l’âme col­lec­tive d’une époque vul­gaire, trou­vant une sat­is­fac­tion narcissique à con­tem­pler ainsi son pro­pre reflet.

En ce moment de l’histoire du monde, il ne faut rien tant qu’encourager des esprits humains indi­vidu­els à éprouver à l’endroit de l’humanité des sen­ti­ments fort dif­férents de l’amour aveu­gle. Cet impératif moral nous enjoignant d’aimer human­ité n’est qu’une séduction hyp­no­tique, effet de la fas­ci­na­tion exer­cée par l’aura de la masse sur l’imagination indi­vidu­elle. Il est néces­saire d’aimer la Vie – ou du moins de se mesurer à elle afin de lui arracher de force ce bon­heur déli­cieux et légitime. Mais il n’est pas néces­saire d’aimer l’humanité. L’étonnant, c’est que parmi tous ces “amoureux de l’humanité”, nombreux sont ceux qui s’adonnent à des pra­tiques d’une cru­auté plus abom­inable que les insectes eux-mêmes entre eux. (…) La morale de la masse com­mande d’aimer l’humanité, mais fait mon­tre d’indulgence face à la cru­auté la plus abom­inable. Mais si l’âme individuelle se refuse, avec un fris­son d’horreur, à céder à toutes les ten­ta­tions d’être cruel, elle refuse égale­ment de renon­cer à un gramme, une once, du droit qui est le sien de n’éprouver que détache­ment à l’égard de l’humanité comme à l’égard de la tra­di­tion humaine. »

John Cow­per Powys, Apolo­gie des sens

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18/03/2018

Le culte tribal de l'activité sociale

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« Avoir besoin de con­nais­sances, c’est avouer ouverte­ment l’absence en soi du vrai bon­heur – avouer le tarisse­ment de sa vie intérieure. Tout indi­vidu véri­ta­ble­ment heureux vit dans un univers imag­i­naire per­son­nel – ou plutôt un univers imag­i­naire créé par sa dou­ble nature pro­pre et celle de son parte­naire, sous les aus­pices de la nature dou­ble de la Cause Première.

La plus grande illu­sion du monde naît du culte tribal de l’activité sociale, qui remonte aux hordes de chas­seurs et de guer­ri­ers des temps préhis­toriques. Le seul résul­tat béné­fique de la mécan­i­sa­tion du monde mod­erne, c’est d’avoir libéré l’individu de cette bar­barie trib­ale qui con­siste à accorder aux tâches effec­tuées pour la tribu plus d’importance qu’elles n’en ont en réal­ité. Il faut bien que ces tâches s’accomplissent; il faut bien quelqu’un pour les faire; il est vil et mesquin de s’y sous­traire. Mais de là à les pren­dre au sérieux, jusqu’à y voir le but même de l’existence, il y a loin ! »

John Cow­per Powys, Apolo­gie des sens

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17/03/2018

La figure intemporelle de l’insoumis

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« "Le Travailleur" est publié dans le contexte, où, depuis les élections de 1930, l’accession au pouvoir des nationaux-socialistes semble inéluctable. Or, c’est justement dans cette période que Jünger et la plupart des représentants les plus en vue de la droite révolutionnaire vont accentuer leurs distances, tout en exprimant leurs propres vues, qui sont tout sauf modérées.

Les premières pages du Travailleur constituent l’un des plus violents réquisitoires jamais dirigés contre le monde bourgeois, dont l’Allemagne, selon Jünger, a été préservée, ce qui est certainement vrai pour cette époque : "La domination du tiers-état n’a jamais pu toucher en Allemagne à ce noyau le plus intime qui détermine la richesse, la puissance et la plénitude d’une vie. Jetant un regard rétrospectif sur plus d’un siècle d’histoire allemande, nous pouvons avouer avec fierté que nous avons été de mauvais bourgeois. Il n’était pas taillé à notre mesure, ce vêtement désormais usé jusqu’à la trame, sous les lambeaux duquel apparaît déjà une nature plus sauvage et plus innocente que celle dont les accents sentimentaux avait fait très tôt trembler le rideau derrière lequel le temps dissimulait le grand spectacle de la démocratie".

[…]

Le rebelle de Jünger n’est donc pas un personnage situé historiquement. Il est, suivant la formule qu’affectionne l’essayiste, une "figure", un type intemporel qui, pour cette raison, peut être actualisé à tout moment. Rien n’est daté dans cette réflexion fouillée sur la figure intemporelle de l’insoumis qui "est résolu à la résistance et forme le dessein d’engager la lutte, fût-elle sans espoir". On a compris que "Le Traité du rebelle" n’a donc rien d’un manuel de guérilla ni d’une histoire des insoumis à travers les âges. En revanche, l’essai comporte une réflexion nouvelle et profonde sur le nihilisme contemporain. Prenant tout le recul possible, l’écrivain embrasse d’un seul regard l’effondrement spirituel de l’homme "occidental" en proie à la domination économique et technique de la seconde moitié du siècle : "Spirituellement et moralement arriéré, bien qu’il ne soit pas dépourvu de lieux communs spécieux, il sera dispos, dénigreur par instinct des types et des idées nobles, attentif à ses avantages, épris de sécurité, docile aux propagandes, enflé de théories philanthropiques, mais tout aussi enclin à recourir à la contrainte pour peu que ses proches et ses voisins ne se plient pas à son systèmes". Ce portrait conservera longtemps sa vérité. »

Dominique Venner, Ernst Jünger, un autre destin européen

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Des pédérastes

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« — Non, ce n'est pas votre faute. Si c'était seulement votre faute, crois-tu que je te parlerais de certaines choses ? C'est toujours la même histoire, après une guerre. Les jeunes réagissent contre l'héroïsme, contre la rhétorique du sacrifice, de la mort héroïque, et ils réagissent toujours de la même façon. Par dégoût de l'héroïsme, des nobles idéaux, des idéaux héroïques, sais-tu ce que font les jeunes comme toi ? Ils choisissent toujours la révolte la plus facile, celle de la lâcheté, de l'indifférence morale, du narcissisme. Ils se prennent pour des rebelles, des blasés, des affranchis, des nihilistes, et ils ne sont que des putains.
— Tu n'as pas le droit de nous appeler putains, s'écria Jean-Louis, les jeunes méritent qu'on les respecte. Tu n'as pas le droit de les insulter !
— Ce n'est qu'une question de mots. J'en ai connu des milliers comme toi, après l'autre guerre, qui se croyaient des dadaïstes ou des surréalistes, ce n'étaient que des putains. Tu verras, après cette guerre combien de jeunes gens se croiront communistes ! Quand les Alliés auront libéré toute l'Europe, sais-tu ce qu'ils trouveront ? Une masse de jeunes gens désabusés, corrompus, désespérés, qui joueront aux pédérastes comme ils joueraient au tennis. C'est toujours la même histoire, après une guerre. Les jeunes comme toi, par fatigue, par dégoût de l'héroïsme, sombrent presque tous dans la pédérastie. ils se mettent à faire les Narcisses et les Corydons pour se prouver à eux-mêmes qu'ils n'ont peur de rien, qu'ils se sont affranchis des préjugés et des conventions bourgeoises, qu'ils sont véritablement libres, des hommes libres, et ne se rends pas compte que c'est encore une façon de jouer aux héros. Ah ! ah ! toujours ces héros ! Et tout cela sous prétexte qu'ils sont dégoutés de l'héroïsme !
— Si tu appelles héroïsme tout ce qui s'est passé ces dernières années ! dit Jean-Louis à voix basse.
— Et comment voudrais-tu appeler cela ? Qu'est-ce que tu crois donc que c'est, l'héroïsme ?
— C'est votre lâcheté bourgeoise, l'héroïsme, dit Jean-Louis.
— Même après les révolutions prolétariennes ça se passe toujours de cette façon-là. Les jeunes comme toi se figurent que devenir pédéraste c'est une manière d'être révolutionnaire.
— Si tu veux faire allusion au trotzkisme, dit Jean-Louis, tu te trompes : nous ne sommes pas trotskistes.
— Je sais que vous n'êtes même pas trotskistes. Vous êtres de pauvres garçons qui rougissent d'être des bourgeois, et n'avez pas le courage de devenir des prolétaires. Vous croyez que devenir pédérastes est une façon comme une autre de devenir communistes.
— Assez ! cria Jean-Louis, nous ne sommes pas pédérastes, tu comprends ? Nous ne sommes pas des pédérastes !
— Il y a mille manières d'être pédéraste, dis-je, bien des fois la pédérastie n'est qu'un prétexte. Un beau prétexte, il n'y a pas à dire ! Vous trouverez certainement, un jour, quelqu'un qui inventera une théorie littéraire, ou politique, ou philosophique, pour vous justifier. Les ruffians ne manquent jamais. »

Curzio Malaparte, La peau

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11/03/2018

Des handicapées bardées de diplômes

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« Pauline Lecomte : En occident, précisément en Europe, les femmes ne sont-elles pas victimes des machistes autant que des féministes qui ont développé le même mépris abyssal pour les tâches traditionnelles du foyer ?

Dominique Venner : Les femmes en pâtissent, comme elles pâtissent d’un système éducatif qui les prépare à divers métiers entrant dans la logique production/consommation en les détournant de leurs fonctions sacrées. Il est vrai que prendre deux fois par jour un bus ou un métro bondés, et subir ensuite les avanies d’un chef de service, de collègues ou de clients revêches, est un sort épanouissant ! La transmission des savoirs élémentaires ayant été ainsi interrompue, les éditeurs en profitent pour vendre des manuels pratiques : comment éduquer son enfant, faire la cuisine, ranger la maison, enfoncer un clou, planter des roses ou des radis, apprendre à coudre une nappe ou une chemise de nuit… Les jeunes mariées et les jeunes mères ayant été souvent transformées en handicapées bardées de diplômes, c’est tout bénéfice pour le système marchand et celui de la consommation. Les femmes produisent des salaires qu’elles sont priées de dépenser illico en fringues jetables, entretenant le très rentable et inutile mécanisme du gaspillage. Mais, mais, mais… rien est aussi simple… Il en est des femmes en politique comme dans les activités et responsabilités professionnelles ou encore dans les aventures les plus fougueuses. On ne compte plus les navigatrices solitaires qui font pâlir d’envie les plus rudes marins. »

Dominique Venner, Le choc de l’histoire

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06/03/2018

La propagande française...

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« C'est vrai que je passe pour un homme violent, mais c'est parce que je déteste violemment toute violence, et d'abord la plus haïssable de toutes, celle qui, sous le nom de propagande donné à l'organisation universelle de mensonge, s'exerce aujourd'hui sur les esprits. Il y avait autrefois une pensée française. On veut maintenant qu'il n'y ait plus qu'une propagande française. Quand des millions et des millions d'hommes se demandent avec angoisse "Que pense la France ?", la propagande leur répond "La France pense un peu de tout" et elle déballe ses échantillons. La propagande intellectuelle française est ainsi devenue trop souvent quelque chose comme une exposition ambulante, une organisation publicitaire au service d'un certain nombre d'intellectuels français, avec présentation du phénomène. »

Georges Bernanos, La Liberté, pour quoi faire ?

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05/03/2018

Comme l'agneau dans la gueule du loup

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« Vous ne vous intéressez peut-être pas beaucoup au monde de demain. Mais le monde de demain s'intéresse beaucoup à vous. Vous vous dites sans doute quoi qu'il arrive, je trouverai bien le moyen d'y entrer, d'une manière ou d'une autre. Oui, sans doute. Espérons que ce ne soit pas comme l'agneau dans la gueule du loup.

Un prophète n'est vraiment prophète qu'après sa mort, et jusque-là il n'est pas un homme très fréquentable. Je ne suis pas un prophète, mais il arrive que je voie ce que les autres voient comme moi, mais ne veulent pas voir. Le monde moderne regorge aujourd'hui d'hommes d'affaires et de policiers, mais il a bien besoin d'entendre quelques voix libératrices. Une voix libre, si morose qu'elle soit, est toujours libératrice. Les voix libératrices ne sont pas les voix apaisantes, les voix rassurantes. Elles ne se contentent pas de nous inviter à attendre l'avenir comme on attend le train. L'avenir est quelque chose qui se surmonte. On ne subit pas l'avenir, on le fait. »

Georges Bernanos, La Liberté, pour quoi faire ?

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Le Singe de Dieu

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« La civilisation ne doit pas être, à présent, seulement défendue. Il lui faut créer sans cesse, car la barbarie, elle, ne cesse de détruire, et elle n'est jamais plus menaçante que lorsqu'elle fait semblant de construire à son tour. Le pire malheur du monde, à l'heure où je parle, est qu'il n'a jamais été plus difficile de distinguer entre les constructeurs et les destructeurs, car jamais la barbarie n'a disposé de moyens si puissants pour abuser des déceptions et des espoirs d'une humanité ensanglantée, qui doute d'elle-même et de son avenir. Jamais le Mal n'a eu d'occasion meilleure de feindre accomplir les oeuvres du Bien. Jamais le Diable n'a mieux mérité le nom que lui donnait déjà saint Jérôme, celui de Singe de Dieu. »

Georges Bernanos, La Liberté, pour quoi faire ?

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Les fous furieux...

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« Et je les ai suivis en traînant les pieds comme je l'ai toujours fait quand les gens m'intéressent parce que les seuls qui m'intéressent sont les fous furieux, ceux qui ont la fureur de vivre, la fureur de dire, ceux qui veulent tout en même temps, ceux qui ne baillent jamais et ne profèrent jamais de banalités, mais qui brûlent, brûlent, brûlent comme des chandelles romaines dans la nuit. »

Jack Kerouac, Sur la route

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02/03/2018

Le fort en maths

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« Le fort en maths passa au tableau noir devant un quarteron de pignoufs indifférents, et là, je le vis décortiquer une équation du deuxième, troisième, ou quatrième degré, je ne sais plus au juste et c’est sans importance. Le professeur bâillait bleu, blet d’admiration. Moi, je trouvais ça affreux et bougrement inquiétant. Il était là, devant le tableau, et vous torturait les X et les Y, vous les mélangeait, vous les pressurait, vous les triturait, vous les superposait, vous les intervertissait, et selon qu’il leur donnait une valeur égale, supérieure ou inférieure à zéro, la courbe qu’il dessinait, je ne sais trop pourquoi, montait ou descendait sur l’échelle des abscisses. C’était effroyable ! Ce vide prétentieux, ce néant stérile et compliqué a duré vingt minutes et j’ai alors pensé : "Si on laisse ce gars-là en liberté dans la nature, eh bien, la nature est foutue, et nous avec !" »

Henri Vincenot, La Billebaude

 

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01/03/2018

Aimant la culture, la langue, l'histoire et même la terre et les morts de mon pays

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« Etant né Français — ce qui m'a coûté des siècles d'obstination à perdurer dans mon être — j'aimerais le rester. Aimant la culture, la langue, l'histoire et même — là, je prends des risques — la terre et les morts de mon pays, je voudrais continuer à rester Français et singulier le plus possible pour pouvoir offrir quelque chose au monde et échanger, avec les autres, le meilleur d'entre nous. Amoureux du parfum de la France, je voudrais que ma patrie ne fût pas désodorisée et que mon sens olfactif ne fût pas atrophié, pour que je puisse respirer, aussi, les parfums des autres peuples. En un mot, je préfère Debussy et Mozart à Michael Jackson, Bécassine et Yseult à Madonna, la Seine au Potomac et Versailles ou le Parthénon à Eurodisney land. Je suis un Français — et Français en Europe — primaire. Pardonnez-moi. »

Jean Cau, Le triomphe de Mickey

 

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Un instinct du bonheur

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« Il ne voulait voir que montées d'astres, là où les esprits subtils s'accordaient presque tous à proclamer le déclin. Vue séduisante, comme l'est toute prévision favorable. Devant les catastrophes, on pouvait se demander si cet optimisme n'était pas simplement, pour dire le moins, le fruit d'un instinct du bonheur. Mais on se sentait bien auprès de lui. »

Ernst Jünger, Visite à Godenholm

 

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Dans les affres de l'angoisse apocalyptique

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« Il savait que le naufrage avait eu lieu, et que l'on flottait sur un radeau bâti de bois d'épave. La sécurité y était moindre, et les valeurs provisoires, mais, malgré tout, on vivait encore de l'héritage, et il subsistait encore bien des obligations, et bien des moments aussi où l'on continuait à jouir de la vie. Certes, la durée de ce radeau était bien plus limitée que jadis celle du navire. La dislocation était prévisible. Tout était charpenté vaille que vaille. Si les cordes cédaient, il ne restait plus que l'abîme sans fond des éléments - et qui oserait le braver ? Telle était la question qui, pour l'instant, préoccupait les hommes. Tous vivaient à la dérive, dans l'attente de la catastrophe - non plus dans l'exubérance, comme autrefois, mais dans les affres de l'angoisse apocalyptique.

Examiner par petits groupes la situation, en tâter les frontières, d'expérience en expérience - ce comportement n'était pas absurde. Il n'y avait là rien de nouveau ; on l'avait toujours fait lors des grandes mutations - dans les déserts, les couvents, les ermitages, dans les sectes de stoïciens et de gnostiques, rassemblées autour des philosophes, des prophètes et des initiés. Il y avait toujours une conscience, une sapience supérieure à la contrainte de l'histoire. Elle ne pouvait d'abord s'épanouir qu'en peu d'esprits et, pourtant, c'était la limite à partir de laquelle le pendule inversait son battement. Mais il fallait que pour commencer, quelqu'un eût pris sur lui le risque spirituel d'arrêter le pendule. »

Ernst Jünger, Visite à Godenholm

 

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28/02/2018

Dans la norme...

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« L’individu doit s’imaginer en permanence qu’il est dans la marge afin de pouvoir continuer à se sentir dans la norme ; il lui faut croire à tout instant qu’il vit dans la transgression, le libertinage et la volupté épicurienne pour demeurer le pantin pathétique qui s’agite désespérément dans l’univers ennuyeux, tyrannique et puritain de la consommation obligatoire et de ses changements incessants. »

Jean-Claude Michéa, Impasse Adam Smith

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27/02/2018

Des têtes coupées

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« Nous pouvons maintenant comprendre que la France soit à la fois le pays qui a le plus abusé de l'égalité et celui qui en a le moins joui: c'est qu'il faut distinguer un régime d'égalité, comme on peut en voir dans d'autres pays, d'un régime égalitaire, tel que celui qui règne chez nous. L'un repose sur des principes acceptés ; l'autre vit de tendances inassouvies. L'un vise à assurer la dignité de la personne, l'autre excite la vanité de l'individu ; l'un peut être pacifique, l'autre entretien l'inimitié. Un régime d'égalité présente une base aplanie sur laquelle des constructions inégales peuvent s'élever ; un régime égalitaire n'offre partout qu'un sol crevassé où il est impossible de rien bâtir. Il est hors de doute, selon nous, que la démocratie doit finir par amener, partout où elle est établie, l'abaissement de la personne humaine, mais il n'appartient qu'à un régime égalitaire d'y tendre dès l'abord. Elle produit la médiocrité sans le vouloir, il favorise l'infériorité en le voulant, et pourvu qu'il la préfère partout ; il peut fort bien n'assurer l'égalité nulle part ; il satisfait moins encore les foules auxquelles il s'adresse par ce qu'il donne que par ce qu'il ôte à d'autres, il ne se contente pas de renverser la hiérarchie du mérite, il l'a remplace par une hiérarchie contraire, retournée vers le bas.

A l'origine d'un régime d'égalité, il y a des droits établis, à l'origine d'un régime égalitaire, il y a des têtes coupées. »

Abel Bonnard, Les modérés

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La servilité volontaire des masses occidentales

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« Dans ce climat d'apocalypse libérale, je me garde bien d'identifier l'ennemi et l'immigré ; moi qui n'ai pas d'amis et ne me compte que d'éphémères alliés, je sais que l'ennemi n'est pas un visage (une race, une ethnie, une religion) mais un état d'esprit, une condition : la servilité volontaire des masses occidentales, dans lesquelles il faut inclure celles du Tiers-Monde en tant que candidates à la servilité consumériste occidentale. Autrement dit, l'ennemi peut me ressembler, et c'est cette apparence (qui peut aller jusqu'au simulacre ou à la tentative de falsification de mes façons de penser) dont je dois me méfier, car elle s'avance masquée. »

Richard Millet, Fatigue du sens

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26/02/2018

Le préjugé de "l'homme"...

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« Qui aide à la formation d’un Empire ? Les aventuriers, les brutes, les fripouilles, tous ceux qui n’ont pas le préjugé de "l’homme". »

Emil Cioran, La tentation d'exister

 

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Selon la Vulgate...

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« On me traitait parfois de fasciste, surtout lorsque je parlais des dames, de la tauromachie et, prudemment du "Deuxième sexe" de Simone de Beauvoir, mais c'était en riant. Un fasciste de gauche, ce choc des contraires, contraires selon la Vulgate, me donnait quelquefois un certain charme. Pourquoi ne devinai-je point, dans le marc de café, que quelques décennies plus tard, les staliniens de l'empire soviétique détruit seraient traités de conservateurs ! J'aurais prophétisé... Dommage ! Mon masque de gauche plaqué sur mon visage hideux eût été enfin, et définitivement arraché. On est toujours trop prudent avec le socialisme et avec le libéralisme idem. On est trop timide à imaginer l'invraisemblable. Cyrano de Bergerac et Jules Verne se croyaient romanciers quand ils exploraient la Lune... Quant à Démocrite, lorsque, sur les quais d'Abdère, il parlait d'atomes, ses concitoyens se vissaient un doigt sur le front... »

Jean Cau, L'ivresse des intellectuels

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P'têt ben qu'oui, p'têt ben qu'non...

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« Que dire de la politique et des grandes affaires internationales ? La crise de Berlin, la crise de Cuba, les avions-espions, les navires-espions, le Viêtnam, la Corée, les bombes H perdues, les émeutes dans les villes américaines, la famine en Inde, les purges en Chine rouge ? Y a-t-il des bons et des mauvais ? Des qui mentent et des qui ne mentent pas ? Des bons et des mauvais gouvernements ? Non, il n'y a rien que des mauvais et des très mauvais gouvernements. Et le grand éclair bleu de chaleur qui nous déchirera une nuit où nous serons en train de baiser, de chier, de lire des bédés ou de coller des images dans un album de chocolat ? La mort subite ne date pas d'hier, la mort subite de masse non plus. Nous avons juste affiné le procédé. Des siècles de savoir, de culture et d'expériences, des librairies bien grasses et croulant sous les bouquins ; des tableaux qui se vendent des millions ; la médecine qui transplante le cœur ; impossible de reconnaître un fou d'un homme normal dans les rues, et voilà nos vies entre les pattes d'une bande de crétins. Les bombes ne tomberont peut-être pas ; les bombes tomberont peut-être. P'têt ben qu'oui, p'têt ben qu'non...

Maintenant oubliez-moi, chers lecteurs, je retourne aux putes, aux bourrins et au scotch, pendant qu'il est encore temps. Si j'y risque autant ma peau, il me paraît moins grave de causer sa propre mort que celle des autres, qu'on nous sert enrobée de baratin sur la Liberté, la Démocratie et l'Humanité, et tout un tas de merdes.

Première levée : 12 h 30. Premier verre : tout de suite. Les putes seront toujours là, Clara, Penny, Alice, Jo...

P'têt ben qu'oui, p'têt ben qu'non... »

Charles Bukowski, "La politique est l'art d'enculer les mouches", in Contes de la folie ordinaire

 

 

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25/02/2018

Guérir

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« Guérir

1. Guérir, rétablir, médecin, médecine : RaPHa
2. Réduire en cendre : hiPeR
3. Sauvage : PaRah
4. Magnifier, parer, orner, embellir : PehéR

Qu'est-ce que guérir ? Quel rôle a le médecin ? Quel rôle a la médecine ?

Maïmonide, célèbre médecin juif du XII ème siècle (dont la statue se trouve à l'entrée de l'école de médecine à Paris) et interprète de la Bible, se demande si on a le devoir religieux de se soigner, de recourir aux soins d'un médecin, ou s'il faut compter sur la seule providence pour assurer sa santé.

En accord avec la tradition juive, à laquelle il est fidèle, il puise sa réponse dans la Torah où on lit : "[ ... ] car moi l'Eternel, je suis ton médecin (rophé)" (Exode 15 : 26). Maimonide pense que "si Dieu dit qu'il soigne, il est permis à un homme de devenir médecin et de pratiquer son art" ("La médecine de Maïmonide", Pr. F. Rosner).

Les lettres de "RoPHéh" médecin, permutées, nous donnent trois indications inattendues à ce sujet. La maladie serait un état où le corps est en proie au désordre. Il aurait perdu l'ordre qui le régit naturellement pour adopter un fonctionnement "sauvage", pereh. Le médecin serait celui qui, par ses soins, remet le corps dans l'ordre et ainsi le guérit. Si l'ordre n'est pas retrouvé, le corps se rapproche de l'état de la cendre, héPHer, matière morte. Mais s'il retrouve son ordre, le corps retrouve sa beauté naturelle et parfaite, le PehéR .

La tradition juive suggère que la santé fait partie d'un ordre naturel et divin dont l'expression est cette beauté. L'homme, créé à l'image de Dieu, en est responsable. Il a le devoir de préserver cette image de manière active. Le médecin ne serait qu'un "auxiliaire" qui se charge d'une oeuvre à laquelle il faut rendre son équilibre naturel et parfait, sa magnificence, son PehéR, sa beauté !»

Irit Slomka-Saguy, Lettres hébraïques, miroir de l'être

 

 

 

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13/02/2018

Le bien le plus précieux de l'homme dans l'ordre temporel a été entièrement remis en dépôt à l'Etat

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« Une autre espèce de déracinement encore doit être étudiée pour une connaissance sommaire de notre principale maladie. C'est le déracinement qu'on pourrait nommer géographique, c'est-à-dire par rapport aux collectivités qui correspondent à des territoires. Le sens même de ces collectivités a presque disparu, excepté pour une seule, pour la nation. Mais il y en a, il y en a eu beaucoup d'autres. Certaines plus petites, toutes petites parfois : ville ou ensemble de villages, province, région ; certaines englobant plusieurs nations ; certaines englobant plusieurs morceaux de nations.

La nation seule s'est substituée à tout cela. La nation, c'est-à-dire l'Etat ; car on ne peut pas trouver d'autre définition au mot nation que l'ensemble des territoires reconnaissant l'autorité d'un même Etat. On peut dire qu'à notre époque l'argent et l'Etat avaient remplacé tous les autres attachements.

La nation seule, depuis déjà longtemps, joue le rôle qui constitue par excellence la mission de la collectivité à l'égard de l'être humain, à savoir assurer à travers le présent une liaison entre le passé et l'avenir. En ce sens, on peut dire que c'est la seule collectivité qui existe dans l'univers actuel. La famille n'existe pas. Ce qu'on appelle aujourd'hui de ce nom, c'est un groupe minuscule d'êtres humains autour de chacun ; père et mère, mari ou femme, enfants ; frères et soeurs déjà un peu loin. Ces derniers temps, au milieu de la détresse générale, ce petit groupe est devenu une force d'attraction presque irrésistible, au point de faire oublier parfois toute espèce de devoir ; mais c'est que là seulement se trouvait un peu de chaleur vivante, parmi le froid glacé qui s'était abattu tout d'un coup. C'était une réaction presque animale.

Mais personne aujourd'hui ne pense à ceux de ses aïeux qui sont morts cinquante ans, ou fût-ce vingt ou dix ans, avant sa naissance, ni à ceux de ses descendants qui naîtront cinquante ans, ou fût-ce vingt ou dix ans après sa mort. Par suite, du point de vue de la collectivité et de sa fonction propre, la famille ne compte pas.

La profession, de ce point de vue, ne compte pas non plus. La corporation était un lien entre les morts, les vivants et les hommes non encore nés, dans le cadre d'un certain travail. Il n'y a rien aujourd'hui qui soit si peu que ce soit orienté vers une telle fonction. Le syndicalisme français vers 1900 a peut-être eu quelques velléités en ce sens, vite effacées.

Enfin le village, la ville, la contrée, la province, la région, toutes les unités géographiques plus petites que la nation, ont presque cessé de compter. Celles qui englobent plusieurs nations ou plusieurs morceaux de nations aussi. Quand on disait, par exemple, il y a quelques siècles, "la chrétienté", cela avait une tout autre résonance affective qu'aujourd'hui l'Europe.

En somme, le bien le plus précieux de l'homme dans l'ordre temporel, c'est-à-dire la continuité dans le temps, par delà les limites de l'existence humaine, dans les deux sens, ce bien a été entièrement remis en dépôt à l'Etat.

Et pourtant c'est précisément dans cette période où la nation subsiste seule que nous avons assisté à la décomposition instantanée, vertigineuse de la nation. Cela nous a laissé étourdis, au point qu'il est extrêmement difficile de réfléchir là-dessus.

Le peuple français, en juin et juillet 1940, n'a pas été un peuple à qui des escrocs, cachés dans l'ombre, ont soudain par surprise volé sa patrie. C'est un peuple qui a ouvert la main et laissé la patrie tomber par terre. Plus tard -- mais après un long intervalle -- il s'est consumé en efforts de plus en plus désespérés pour la ramasser, mais quelqu'un avait mis le pied dessus. »

Simone Weil, "Déracinement et nation" in L'enracinement

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