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13/04/2018

La nation est une réalité encore jeune, riche de potentialités...

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Camarade, même le communisme n'est plus ce qu'il était jadis...

 

« Ce patriotisme intransigeant qui nous anime est l’autre face de notre internationalisme. Nous ne partageons pas le point de vue de ceux qui estiment que la nation est un "concept dépassé".
La nation, au contraire, est une réalité encore jeune, riche de potentialités pour une part encore étouffées sous la domination de classe de la grande bourgeoisie. En outre, quoi qu’on en ait, c’est dans le cadre national que se déroulent d’abord les combats de classe. Et puis ce n’est pas simplement affaire d’idées : nous aimons notre pays, nous luttons pour qu’il soit plus libre, plus heureux et, lorsque nous parlons de lui, le lyrisme nous vient facilement.
Chaque peuple est ainsi. Et lorsqu’on attente à sa liberté, à son indépendance souveraine, il se dresse et combat. Le parti communiste a toujours été, sera toujours à l’avant-garde de cette lutte-là. »

Georges Marchais, Le défi démocratique

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12/04/2018

Moutons dociles...

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« Aujourd'hui, les régimes libéraux d'occident sont caractérisés par une caste nombreuse de privilégiés, agents des groupes financiers, qui détiennent l'ensemble des leviers politiques, administratifs, économiques et sont unis par une étroite complicité. Ils s'appuient sur un gigantesque appareil administratif qui encadre rigoureusement la population, tout spécialement grâce aux réglementations sociales. Ils détiennent le monopole du pouvoir politique et du pouvoir économique. Ils contrôlent la presque totalité des moyens d'information et sont maîtres des esprits. Ils se défendent grâce à d'innombrables forces de police. Ils ont transformé les citoyens en moutons dociles. Seules, les oppositions fictives sont tolérées. »

Dominique Venner, Pour une Critique Positive

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11/04/2018

Le gauchisme a prôné à peu près toutes les simulations qui font la monnaie courante des comportements aliénés

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« Véritable avant-garde de l’adaptation, le gauchisme (et surtout là où il était le moins lié au vieux mensonge politique) a prôné à peu près toutes les simulations qui font maintenant la monnaie courante des comportements aliénés. Au nom de la lutte contre la routine et l’ennui, il dénigrait tout effort soutenu, toute appropriation, nécessairement patiente, de capacités réelles : l’excellence subjective devait, comme la révolution, être instantanée. Au nom de la critique d’un passé mort et de son poids sur le présent, il s’en prenait à toute tradition et même à toute transmission d’un acquis historique. Au nom de la révolte contre les conventions, il installait la brutalité et le mépris dans les rapports humains. Au nom de la liberté des conduites, il se débarrassait de la responsabilité, de la conséquence, de la suite dans les idées. Au nom du refus de l’autorité, il rejetait toute connaissance exacte et même toute vérité objective : quoi de plus autoritaire en effet que la vérité, et comme délires et mensonges sont plus libres et variés, qui effacent les frontières figées et contraignantes du vrai et du faux. Bref, il travaillait à liquider toutes ces composantes du caractère qui, en structurant le monde propre de chacun, l’aidaient à se défendre des propagandes et des hallucinations marchandes. »

Jaime Semprun, L’abîme se repeuple

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02/04/2018

Une petite histoire, de préférence sentimentale, sans ambition excessive, dans laquelle s'agitent quelques leurres

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« Le système qui consiste à faire passer un produit pour de la littérature de qualité engendre une esthétique. Cela fonctionne sur un système de reconnaissance, de défamiliarisation limitée, de surprise prévisible. Plusieurs facteurs permettent au lecteur de se repérer. D'abord, le produit, quel qu'en soit le genre, doit s'appeler roman. Il semble acquis, dans les maisons d'édition, que la littérature, c'est le roman, c'est-à-dire une petite histoire, de préférence sentimentale, sans ambition excessive, dans laquelle s'agitent quelques leurres appelés "personnages". Dans ses Leçons américaines, Calvino dit que "la littérature ne peut vivre que si on lui assigne des objectifs démesurés". S'il a raison, elle agonise.

En second lieu, cette littérature "de qualité", qui fait les "coups" et les prix, adopte fréquemment des formes de représentation plus ou moins dérivées du réalisme qui triomphe dans la littérature de grande consommation, sous la forme flasque de la psychologie d'alcôve. Le même roman de divorces et d'adultères, à peu près, dont se régalaient déjà les petits-bourgeois de la Belle Époque. Les problèmes de couples inondent les librairies. Dan Franck a fait un malheur, il y a quelques années, avec "La Séparation". On demande du jardin secret. Le roman exotique ou historique, autre réalisme abâtardi, exploite les inépuisables ressources offertes par l'Inde, l'Egypte ancienne, la marine à voile ou le Sud des États-Unis. Dans les deux cas, le réalisme se confond avec le folklore, collectif ou individuel. La personne, l'espace, le temps y sont considérés comme des réserves d'exotisme à exploiter. Le monde réel est un vaste parc d'attractions. Ce réalisme donne comme loi naturelle le mythe selon lequel un individu (ou une société) est un contenu, un fonds dans lequel il suffit à la littérature de puiser. Sartre appelait cela avec mépris "les corps simples de la psychologie". Le réalisme n'est pas réaliste. Le résultat est parfois distrayant, parfois navrant. Littérairement, cela donne quelque chose comme un éditorial de "Elle" ou un article de fond de "Marie-Claire", plus le courrier du cœur et éventuellement l'article culturel : "Un week-end à Athènes", mais en deux cent cinquante pages.

Si, dans ce que l'on donne pour de la littérature plus novatrice, cette forme de représentation subit quelques distorsions, il apparaît néanmoins comme obligatoire que le récit, aussi fictif soit-il, paraisse plus ou moins "vécu", et donne ainsi une garantie d'authenticité. Il y a d'infinies variantes de la garantie d'authenticité: la confession sincère et brutale ; le souvenir de famille ; la sensation finement observée ; la peinture des gens authentiques; le corps, le viscéral. Ainsi, le lecteur sait où il est, et peut se convaincre que l'auteur parle vrai. En outre, l'effacement contemporain des frontières entre roman et autobiographie, qui a donné naissance à des genres hybrides tels que l' "autofiction", favorise l'équivoque, et l'identification émotionnelle du récit à la personne de l'écrivain. Il est dès lors plus facile d'écouler le produit, quelle que soit sa qualité, en mettant en scène habilement l'auteur, en créant quelque scandale.

Une grande partie de la littérature d'aujourd'hui peut se ranger dans la catégorie "document humain". N'importe quoi est bon, suivant l'idéologie moderne de la transparence et de l'individualisme. Les confidences de M. Untel sont intéressantes par nature, parce que Untel est intéressant dans sa particularité. C'est l'idéologie des jeux télévisés, de la publicité, des reality show, de Loft story et des ouvrages d'Annie Ernaux. La plupart du temps, dans tous ces genres, le résultat est accablant, et sert pour l'essentiel à se rencogner dans le confort de la médiocrité, dans un narcissisme à petit feu, qui n'a pas même l'excuse de la démesure. Pour engendrer autre chose, la confession exige une stature humaine dont ceux qui la pratiquent sont fréquemment privés. Reste cette excuse de la médiocrité: la sincérité. »

Pierre Jourde, La littérature sans estomac

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30/03/2018

Heidegger prit une bêche...

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« Sartre a eu le mérite de rajeunir la conception des gnostiques. L'être est habité par le non-être ; il n'est pas pur, il est corrompu par un noyau ténébreux par un ver rongeur, par une cellule cancéreuse qui le mine, l'obligeant à sortir de lui-même, à se traduire au dehors, à se souiller, - à la manière d'un dieu du Mal éternellement vainqueur d'un dieu du Bien [...]
À mon sens, Heidegger n'était pas le frère, mais le contraire de Sartre. Si Sartre avait pris le parti de l'absurde, Heidegger avait pris le parti du mystère [...]
Heidegger m'emmena à une lieue de Fribourg pour visiter sa maison de campagne [...]
C'était en hiver : je ne vis d'abord qu'un champ de neige. Heidegger prit une bêche : peu à peu, l'on vit apparaître la cheminée de la hutte, puis son toit, puis la hutte. C'était, me disait-il, la méthode du philosophe, qui doit bêcher sans cesse, qui doit creuser le dur réel des mots, des destins, des moments et des choses, - afin d'en faire surgir ce noyau, qui est l'être [...]
Le devoir du philosophe, comme celui de l'artiste et du grand amoureux, est d'écouter battre le cœur de l'être, cette pulsation sourde, de la faire entendre aux autres. Comme on était loin du néant ! Sartre habitait la rive inverse. Heidegger et Sartre, je les imaginais se tenant la main comme les morts dont parle Virgile, et qui sont séparés par un abîme. »

Jean Guitton, L'absurde et le mystère

 

 

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29/03/2018

Le dieu Odin se réveille

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« Ces bourgeois feraient bien de s’inquiéter : tôt ou tard, la violence qui tourbillonne dans le pays s’abattra sur eux, sans faire de quartier et sans aucune pitié. Elle brûlera leurs beaux meubles anciens, leurs tapis d’Orient, leurs services à thé déjà ébréchés par l’hypocrisie. Le capitalisme commence à mourir. Le capitalisme mourra. Le capitalisme est déjà mort. Il y a dans l’air une hystérie féroce, il suffit d’observer la haine entre le personnes, les jalousies, les valeurs infiniment mesquines qui déchaînent des haines plus mesquines encore. En Occident, quelque chose alimente la haine : haine à l’université, au théâtre, entre les jeunes de gauche et de droite, dans la musique rock, chez les auto-stoppeurs, dans le sexe, dans les films. Haine devant une tasse de café et haine durant les fêtes d’anniversaire. Haine dans les églises et haine sur les terrains de football. Notre haine qui êtes aux cieux, donnez-nous aujourd’hui notre haine quotidienne. Le dieu Odin se réveille. Le dieu des tempêtes et de la ruse voit se lever un jour nouveau pour sa rage incendiaire. »

Alberto Garlini, Les noirs et les rouges

 

 

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De l'art décadent

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« Les personnes qui bavardaient à mi-voix dans l’élégant bar sont faites d’une substance humaine complètement différente de la sienne : bourgeois xénophiles, pacifistes lâches, défaitistes, pessimistes, antisportifs, sédentaires et inféconds. Ce soir, au Théâtre de l’Opéra, on joue une nouvelle mise en scène de "Allez hop", dix ans après son succès vénitien : musique dodécaphonique de Luciano Berio illustrant une pantomime signée par Italo Calvino. En d’autres termes : de la musique insensée par-dessus des gestes insensés. De l’art décadent qui satisfait un stérile besoin de stimuli forts chez une classe intellectuelle moribonde. Tout le contraire de ce qu’exige un guerrier. »

Alberto Garlini, Les noirs et les rouges

 

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28/03/2018

Assis dans les tribunes d’un stade métaphysique et indifférent au cours du destin

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« Stefano ne se sent pas intimidé par ces regards. Il parle la même langue qu’eux, l’italien, il partage leur histoire, mais il porte en lui la révolution, les bruits de la province et la chaleur pulsante des poings. Il n’est pas encore habitué à se considérer comme un soldat politique. Il s’agit d’un état d’âme nouveau, surprenant, qui ne s’est cristallisé que quelques semaines auparavant, durant les affrontements de Valle Giulia. Là-haut, dans le Frioul et dans la torpeur de sa chambre, en pensant aux héros il voyait un mélange de charges de cavalerie et de tempêtes d’acier, de lances pointues et de soudaines percées sur le front russe. Des gestes inutiles qui se concluaient par une glorieuse défaite. Mais à présent l’héroïsme a un son différent, plus aigu et lointain. La tentation de la mort est toujours la même, un abîme sourd qui aspire les désirs, une force impersonnelle, comme si l’on pouvait être spectateur de sa propre vie, assis dans les tribunes d’un stade métaphysique et indifférent au cours du destin.
Mais, à l’épreuve du feu, ce merveilleux 1er mars, tandis que les matraques des C.R.S. s’abattaient sur son dos, qu’il sentait près de lui la chaleur de la Jeep renversée et en flammes, tout le reste a changé. Les pulsions vitales – honneur, fierté, courage, fidélité – s’étaient mises d’un coup à converger paisiblement vers un centre. Elles ne pouvaient plus s’user sous l’effet d’un incontrôlable besoin d’agir. C’étaient des planètes qui tournaient autour du feu solaire, suivant des orbites ordonnées. Et c’est ça, seulement ça, qui vous fait sentir que vous êtes un guerrier. »

Alberto Garlini, Les noirs et les rouges

 

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Corriger le regard

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« Dans ces années-là, tout le monde était prêt à mourir, c’était la base sur laquelle on travaillait.
Les Tibétains célèbrent les funérailles du ciel. Ils démembrent le corps du défunt et le donnent en pâture aux vautours. C’est une longue cérémonie, un abattage extrêmement raffiné. À la fin, il ne reste que les os, parfaitement propres. À genoux dans la maisonnette, Stefano faisait penser au vol de vautours rassasiés, aux larges cercles noirs dans le ciel de l’Himalaya.Les grands sages aryens. Il existe une autre vision du monde. Les mains couvertes de sang aident à corriger le regard. »

Alberto Garlini, Les noirs et les rouges

 

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27/03/2018

Cette colère trempait leurs âmes

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« Ils étaient fous et ils le savaient. La colère accumulée sous l'effet des tromperies, des morts et du dégoût face à la société dégueulasse qui les entourait, cette colère trempait leurs âmes. Dépositaires d'une foi absolue, ils étaient prêts à tout pour l'honorer, à une époque où personne ne renonçait à rien. Tout homme désirait un emploi, un salaire, une molle vie de famille. Eux affrontaient la mesquinerie de l'existence à visage découvert. Sachant qu'ils perdraient tout et indifférents à cette perte. »

Alberto Garlini, Les noirs et les rouges

 

 

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26/03/2018

Cette vie de parade, de boniment, de réclame et de fabrique de l'opinion publique

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« J'abhorre cet américanisme creux qui espère s'enrichir à crédit, être informé en tapant sur les tables à minuit, apprendre les lois de l'intelligence par la phrénologie, le talent sans études, la maîtrise sans apprentissage, la vente des marchandises en prétendant que tout se vend, le pouvoir en faisant croire qu'on est puissant ou en s'appuyant sur un jury ou une composition politique qui vous est favorable, la corruption et des votes "répétés", ou parvenir à la richesse par la fraude. On pense y être parvenu, mais on a obtenu quelque chose d'autre, un crime qui en appelle un autre, et un autre démon derrière celui-ci : ce sont des étapes vers le suicide, l'infamie et les affres du genre.
Nous nous encourageons mutuellement dans cette vie de parade, de boniment, de réclame et de fabrique de l'opinion publique, et dans cette faim de résultats et de louanges rapide on perd de vue l'excellence. »

Ralph Waldo Emerson, Société et solitude

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20/03/2018

Après quoi, au dia­ble la Société !

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« L’important, c’est de mener une guerre men­tale sans relâche con­tre le ton, l’humeur et l’état d’esprit tout à la fois de l’existence mod­erne dans une com­mu­nauté reposant sur le com­merce. L’important, c’est de con­ver­tir le plus grand nom­bre d’individus pos­si­bles au désir de mener une vie sta­tique au lieu d’une vie dynamique, une vie fondée sur la con­tem­pla­tion et non sur l’action. Que tous les indi­vidus hon­nêtes, hommes ou femmes, eux-mêmes à leur sub­sis­tance ; mais une fois leur sub­sis­tance assurée par des moyens irréprochables, qu’ils pren­nent conscience du fait que là s’arrête leur dette envers l’humanité. Il est indis­pens­able que cha­cun s’acquitte de sa tâche pour que l’ensemble puisse con­tin­uer à fonc­tion­ner. Mais plus votre sagesse sera grande, et plus vous circonscrirez dans d’étroites lim­ites la charge que représente cette tâche... Après quoi, au dia­ble la Société ! »

John Cow­per Powys, Apolo­gie des sens

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19/03/2018

La haine mortelle de la masse à l'égard de la vie indépendante de l'individu

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« La démoc­ra­tie mod­erne et la mécan­i­sa­tion du monde  mod­erne ont pour corollaire l’aura desséchante et stérilisante d’une spir­i­tu­al­ité bornée. On sent flot­ter dans l’air la haine mortelle de la masse à l’égard de la vie indépen­dante de l’individu. C’est ce sen­ti­ment qui se lit dans le regard vul­gaire, méchant, mi-curieux, mi-réprobateur, de l’homme moyen que l’on croise dans la rue. Ce que l’on a cou­tume d’appeler “sens de l’humour” n’est chez la plu­part que l’expression de cette haine.

L’humour démoc­ra­tique trahit la rancœur de la nor­mal­ité en présence de l’anormal. C’est le sens du grotesque et du ridicule. Et ce qui appa­raît grotesque et ridicule à l’”humour” col­lec­tif du trou­peau, ce sont pré­cisé­ment ces éléments même de la con­science individuelle qui, lorsque celle-ci con­naît ces élé­ments sub-humains et super-humains, transcen­dent le niveau ordi­naire de notre époque mécan­isée. La béat­i­tude hébétée de la foule sus­pendue à l’écoute de la radio illus­tre bien cette atti­tude. Car la radio n’est pas autre chose que l’âme col­lec­tive d’une époque vul­gaire, trou­vant une sat­is­fac­tion narcissique à con­tem­pler ainsi son pro­pre reflet.

En ce moment de l’histoire du monde, il ne faut rien tant qu’encourager des esprits humains indi­vidu­els à éprouver à l’endroit de l’humanité des sen­ti­ments fort dif­férents de l’amour aveu­gle. Cet impératif moral nous enjoignant d’aimer human­ité n’est qu’une séduction hyp­no­tique, effet de la fas­ci­na­tion exer­cée par l’aura de la masse sur l’imagination indi­vidu­elle. Il est néces­saire d’aimer la Vie – ou du moins de se mesurer à elle afin de lui arracher de force ce bon­heur déli­cieux et légitime. Mais il n’est pas néces­saire d’aimer l’humanité. L’étonnant, c’est que parmi tous ces “amoureux de l’humanité”, nombreux sont ceux qui s’adonnent à des pra­tiques d’une cru­auté plus abom­inable que les insectes eux-mêmes entre eux. (…) La morale de la masse com­mande d’aimer l’humanité, mais fait mon­tre d’indulgence face à la cru­auté la plus abom­inable. Mais si l’âme individuelle se refuse, avec un fris­son d’horreur, à céder à toutes les ten­ta­tions d’être cruel, elle refuse égale­ment de renon­cer à un gramme, une once, du droit qui est le sien de n’éprouver que détache­ment à l’égard de l’humanité comme à l’égard de la tra­di­tion humaine. »

John Cow­per Powys, Apolo­gie des sens

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18/03/2018

Le culte tribal de l'activité sociale

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« Avoir besoin de con­nais­sances, c’est avouer ouverte­ment l’absence en soi du vrai bon­heur – avouer le tarisse­ment de sa vie intérieure. Tout indi­vidu véri­ta­ble­ment heureux vit dans un univers imag­i­naire per­son­nel – ou plutôt un univers imag­i­naire créé par sa dou­ble nature pro­pre et celle de son parte­naire, sous les aus­pices de la nature dou­ble de la Cause Première.

La plus grande illu­sion du monde naît du culte tribal de l’activité sociale, qui remonte aux hordes de chas­seurs et de guer­ri­ers des temps préhis­toriques. Le seul résul­tat béné­fique de la mécan­i­sa­tion du monde mod­erne, c’est d’avoir libéré l’individu de cette bar­barie trib­ale qui con­siste à accorder aux tâches effec­tuées pour la tribu plus d’importance qu’elles n’en ont en réal­ité. Il faut bien que ces tâches s’accomplissent; il faut bien quelqu’un pour les faire; il est vil et mesquin de s’y sous­traire. Mais de là à les pren­dre au sérieux, jusqu’à y voir le but même de l’existence, il y a loin ! »

John Cow­per Powys, Apolo­gie des sens

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17/03/2018

La figure intemporelle de l’insoumis

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« "Le Travailleur" est publié dans le contexte, où, depuis les élections de 1930, l’accession au pouvoir des nationaux-socialistes semble inéluctable. Or, c’est justement dans cette période que Jünger et la plupart des représentants les plus en vue de la droite révolutionnaire vont accentuer leurs distances, tout en exprimant leurs propres vues, qui sont tout sauf modérées.

Les premières pages du Travailleur constituent l’un des plus violents réquisitoires jamais dirigés contre le monde bourgeois, dont l’Allemagne, selon Jünger, a été préservée, ce qui est certainement vrai pour cette époque : "La domination du tiers-état n’a jamais pu toucher en Allemagne à ce noyau le plus intime qui détermine la richesse, la puissance et la plénitude d’une vie. Jetant un regard rétrospectif sur plus d’un siècle d’histoire allemande, nous pouvons avouer avec fierté que nous avons été de mauvais bourgeois. Il n’était pas taillé à notre mesure, ce vêtement désormais usé jusqu’à la trame, sous les lambeaux duquel apparaît déjà une nature plus sauvage et plus innocente que celle dont les accents sentimentaux avait fait très tôt trembler le rideau derrière lequel le temps dissimulait le grand spectacle de la démocratie".

[…]

Le rebelle de Jünger n’est donc pas un personnage situé historiquement. Il est, suivant la formule qu’affectionne l’essayiste, une "figure", un type intemporel qui, pour cette raison, peut être actualisé à tout moment. Rien n’est daté dans cette réflexion fouillée sur la figure intemporelle de l’insoumis qui "est résolu à la résistance et forme le dessein d’engager la lutte, fût-elle sans espoir". On a compris que "Le Traité du rebelle" n’a donc rien d’un manuel de guérilla ni d’une histoire des insoumis à travers les âges. En revanche, l’essai comporte une réflexion nouvelle et profonde sur le nihilisme contemporain. Prenant tout le recul possible, l’écrivain embrasse d’un seul regard l’effondrement spirituel de l’homme "occidental" en proie à la domination économique et technique de la seconde moitié du siècle : "Spirituellement et moralement arriéré, bien qu’il ne soit pas dépourvu de lieux communs spécieux, il sera dispos, dénigreur par instinct des types et des idées nobles, attentif à ses avantages, épris de sécurité, docile aux propagandes, enflé de théories philanthropiques, mais tout aussi enclin à recourir à la contrainte pour peu que ses proches et ses voisins ne se plient pas à son systèmes". Ce portrait conservera longtemps sa vérité. »

Dominique Venner, Ernst Jünger, un autre destin européen

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Des pédérastes

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« — Non, ce n'est pas votre faute. Si c'était seulement votre faute, crois-tu que je te parlerais de certaines choses ? C'est toujours la même histoire, après une guerre. Les jeunes réagissent contre l'héroïsme, contre la rhétorique du sacrifice, de la mort héroïque, et ils réagissent toujours de la même façon. Par dégoût de l'héroïsme, des nobles idéaux, des idéaux héroïques, sais-tu ce que font les jeunes comme toi ? Ils choisissent toujours la révolte la plus facile, celle de la lâcheté, de l'indifférence morale, du narcissisme. Ils se prennent pour des rebelles, des blasés, des affranchis, des nihilistes, et ils ne sont que des putains.
— Tu n'as pas le droit de nous appeler putains, s'écria Jean-Louis, les jeunes méritent qu'on les respecte. Tu n'as pas le droit de les insulter !
— Ce n'est qu'une question de mots. J'en ai connu des milliers comme toi, après l'autre guerre, qui se croyaient des dadaïstes ou des surréalistes, ce n'étaient que des putains. Tu verras, après cette guerre combien de jeunes gens se croiront communistes ! Quand les Alliés auront libéré toute l'Europe, sais-tu ce qu'ils trouveront ? Une masse de jeunes gens désabusés, corrompus, désespérés, qui joueront aux pédérastes comme ils joueraient au tennis. C'est toujours la même histoire, après une guerre. Les jeunes comme toi, par fatigue, par dégoût de l'héroïsme, sombrent presque tous dans la pédérastie. ils se mettent à faire les Narcisses et les Corydons pour se prouver à eux-mêmes qu'ils n'ont peur de rien, qu'ils se sont affranchis des préjugés et des conventions bourgeoises, qu'ils sont véritablement libres, des hommes libres, et ne se rends pas compte que c'est encore une façon de jouer aux héros. Ah ! ah ! toujours ces héros ! Et tout cela sous prétexte qu'ils sont dégoutés de l'héroïsme !
— Si tu appelles héroïsme tout ce qui s'est passé ces dernières années ! dit Jean-Louis à voix basse.
— Et comment voudrais-tu appeler cela ? Qu'est-ce que tu crois donc que c'est, l'héroïsme ?
— C'est votre lâcheté bourgeoise, l'héroïsme, dit Jean-Louis.
— Même après les révolutions prolétariennes ça se passe toujours de cette façon-là. Les jeunes comme toi se figurent que devenir pédéraste c'est une manière d'être révolutionnaire.
— Si tu veux faire allusion au trotzkisme, dit Jean-Louis, tu te trompes : nous ne sommes pas trotskistes.
— Je sais que vous n'êtes même pas trotskistes. Vous êtres de pauvres garçons qui rougissent d'être des bourgeois, et n'avez pas le courage de devenir des prolétaires. Vous croyez que devenir pédérastes est une façon comme une autre de devenir communistes.
— Assez ! cria Jean-Louis, nous ne sommes pas pédérastes, tu comprends ? Nous ne sommes pas des pédérastes !
— Il y a mille manières d'être pédéraste, dis-je, bien des fois la pédérastie n'est qu'un prétexte. Un beau prétexte, il n'y a pas à dire ! Vous trouverez certainement, un jour, quelqu'un qui inventera une théorie littéraire, ou politique, ou philosophique, pour vous justifier. Les ruffians ne manquent jamais. »

Curzio Malaparte, La peau

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11/03/2018

Des handicapées bardées de diplômes

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« Pauline Lecomte : En occident, précisément en Europe, les femmes ne sont-elles pas victimes des machistes autant que des féministes qui ont développé le même mépris abyssal pour les tâches traditionnelles du foyer ?

Dominique Venner : Les femmes en pâtissent, comme elles pâtissent d’un système éducatif qui les prépare à divers métiers entrant dans la logique production/consommation en les détournant de leurs fonctions sacrées. Il est vrai que prendre deux fois par jour un bus ou un métro bondés, et subir ensuite les avanies d’un chef de service, de collègues ou de clients revêches, est un sort épanouissant ! La transmission des savoirs élémentaires ayant été ainsi interrompue, les éditeurs en profitent pour vendre des manuels pratiques : comment éduquer son enfant, faire la cuisine, ranger la maison, enfoncer un clou, planter des roses ou des radis, apprendre à coudre une nappe ou une chemise de nuit… Les jeunes mariées et les jeunes mères ayant été souvent transformées en handicapées bardées de diplômes, c’est tout bénéfice pour le système marchand et celui de la consommation. Les femmes produisent des salaires qu’elles sont priées de dépenser illico en fringues jetables, entretenant le très rentable et inutile mécanisme du gaspillage. Mais, mais, mais… rien est aussi simple… Il en est des femmes en politique comme dans les activités et responsabilités professionnelles ou encore dans les aventures les plus fougueuses. On ne compte plus les navigatrices solitaires qui font pâlir d’envie les plus rudes marins. »

Dominique Venner, Le choc de l’histoire

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06/03/2018

La propagande française...

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« C'est vrai que je passe pour un homme violent, mais c'est parce que je déteste violemment toute violence, et d'abord la plus haïssable de toutes, celle qui, sous le nom de propagande donné à l'organisation universelle de mensonge, s'exerce aujourd'hui sur les esprits. Il y avait autrefois une pensée française. On veut maintenant qu'il n'y ait plus qu'une propagande française. Quand des millions et des millions d'hommes se demandent avec angoisse "Que pense la France ?", la propagande leur répond "La France pense un peu de tout" et elle déballe ses échantillons. La propagande intellectuelle française est ainsi devenue trop souvent quelque chose comme une exposition ambulante, une organisation publicitaire au service d'un certain nombre d'intellectuels français, avec présentation du phénomène. »

Georges Bernanos, La Liberté, pour quoi faire ?

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05/03/2018

Comme l'agneau dans la gueule du loup

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« Vous ne vous intéressez peut-être pas beaucoup au monde de demain. Mais le monde de demain s'intéresse beaucoup à vous. Vous vous dites sans doute quoi qu'il arrive, je trouverai bien le moyen d'y entrer, d'une manière ou d'une autre. Oui, sans doute. Espérons que ce ne soit pas comme l'agneau dans la gueule du loup.

Un prophète n'est vraiment prophète qu'après sa mort, et jusque-là il n'est pas un homme très fréquentable. Je ne suis pas un prophète, mais il arrive que je voie ce que les autres voient comme moi, mais ne veulent pas voir. Le monde moderne regorge aujourd'hui d'hommes d'affaires et de policiers, mais il a bien besoin d'entendre quelques voix libératrices. Une voix libre, si morose qu'elle soit, est toujours libératrice. Les voix libératrices ne sont pas les voix apaisantes, les voix rassurantes. Elles ne se contentent pas de nous inviter à attendre l'avenir comme on attend le train. L'avenir est quelque chose qui se surmonte. On ne subit pas l'avenir, on le fait. »

Georges Bernanos, La Liberté, pour quoi faire ?

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Le Singe de Dieu

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« La civilisation ne doit pas être, à présent, seulement défendue. Il lui faut créer sans cesse, car la barbarie, elle, ne cesse de détruire, et elle n'est jamais plus menaçante que lorsqu'elle fait semblant de construire à son tour. Le pire malheur du monde, à l'heure où je parle, est qu'il n'a jamais été plus difficile de distinguer entre les constructeurs et les destructeurs, car jamais la barbarie n'a disposé de moyens si puissants pour abuser des déceptions et des espoirs d'une humanité ensanglantée, qui doute d'elle-même et de son avenir. Jamais le Mal n'a eu d'occasion meilleure de feindre accomplir les oeuvres du Bien. Jamais le Diable n'a mieux mérité le nom que lui donnait déjà saint Jérôme, celui de Singe de Dieu. »

Georges Bernanos, La Liberté, pour quoi faire ?

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Les fous furieux...

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« Et je les ai suivis en traînant les pieds comme je l'ai toujours fait quand les gens m'intéressent parce que les seuls qui m'intéressent sont les fous furieux, ceux qui ont la fureur de vivre, la fureur de dire, ceux qui veulent tout en même temps, ceux qui ne baillent jamais et ne profèrent jamais de banalités, mais qui brûlent, brûlent, brûlent comme des chandelles romaines dans la nuit. »

Jack Kerouac, Sur la route

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02/03/2018

Le fort en maths

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« Le fort en maths passa au tableau noir devant un quarteron de pignoufs indifférents, et là, je le vis décortiquer une équation du deuxième, troisième, ou quatrième degré, je ne sais plus au juste et c’est sans importance. Le professeur bâillait bleu, blet d’admiration. Moi, je trouvais ça affreux et bougrement inquiétant. Il était là, devant le tableau, et vous torturait les X et les Y, vous les mélangeait, vous les pressurait, vous les triturait, vous les superposait, vous les intervertissait, et selon qu’il leur donnait une valeur égale, supérieure ou inférieure à zéro, la courbe qu’il dessinait, je ne sais trop pourquoi, montait ou descendait sur l’échelle des abscisses. C’était effroyable ! Ce vide prétentieux, ce néant stérile et compliqué a duré vingt minutes et j’ai alors pensé : "Si on laisse ce gars-là en liberté dans la nature, eh bien, la nature est foutue, et nous avec !" »

Henri Vincenot, La Billebaude

 

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01/03/2018

Aimant la culture, la langue, l'histoire et même la terre et les morts de mon pays

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« Etant né Français — ce qui m'a coûté des siècles d'obstination à perdurer dans mon être — j'aimerais le rester. Aimant la culture, la langue, l'histoire et même — là, je prends des risques — la terre et les morts de mon pays, je voudrais continuer à rester Français et singulier le plus possible pour pouvoir offrir quelque chose au monde et échanger, avec les autres, le meilleur d'entre nous. Amoureux du parfum de la France, je voudrais que ma patrie ne fût pas désodorisée et que mon sens olfactif ne fût pas atrophié, pour que je puisse respirer, aussi, les parfums des autres peuples. En un mot, je préfère Debussy et Mozart à Michael Jackson, Bécassine et Yseult à Madonna, la Seine au Potomac et Versailles ou le Parthénon à Eurodisney land. Je suis un Français — et Français en Europe — primaire. Pardonnez-moi. »

Jean Cau, Le triomphe de Mickey

 

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Un instinct du bonheur

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« Il ne voulait voir que montées d'astres, là où les esprits subtils s'accordaient presque tous à proclamer le déclin. Vue séduisante, comme l'est toute prévision favorable. Devant les catastrophes, on pouvait se demander si cet optimisme n'était pas simplement, pour dire le moins, le fruit d'un instinct du bonheur. Mais on se sentait bien auprès de lui. »

Ernst Jünger, Visite à Godenholm

 

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Dans les affres de l'angoisse apocalyptique

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« Il savait que le naufrage avait eu lieu, et que l'on flottait sur un radeau bâti de bois d'épave. La sécurité y était moindre, et les valeurs provisoires, mais, malgré tout, on vivait encore de l'héritage, et il subsistait encore bien des obligations, et bien des moments aussi où l'on continuait à jouir de la vie. Certes, la durée de ce radeau était bien plus limitée que jadis celle du navire. La dislocation était prévisible. Tout était charpenté vaille que vaille. Si les cordes cédaient, il ne restait plus que l'abîme sans fond des éléments - et qui oserait le braver ? Telle était la question qui, pour l'instant, préoccupait les hommes. Tous vivaient à la dérive, dans l'attente de la catastrophe - non plus dans l'exubérance, comme autrefois, mais dans les affres de l'angoisse apocalyptique.

Examiner par petits groupes la situation, en tâter les frontières, d'expérience en expérience - ce comportement n'était pas absurde. Il n'y avait là rien de nouveau ; on l'avait toujours fait lors des grandes mutations - dans les déserts, les couvents, les ermitages, dans les sectes de stoïciens et de gnostiques, rassemblées autour des philosophes, des prophètes et des initiés. Il y avait toujours une conscience, une sapience supérieure à la contrainte de l'histoire. Elle ne pouvait d'abord s'épanouir qu'en peu d'esprits et, pourtant, c'était la limite à partir de laquelle le pendule inversait son battement. Mais il fallait que pour commencer, quelqu'un eût pris sur lui le risque spirituel d'arrêter le pendule. »

Ernst Jünger, Visite à Godenholm

 

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