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16/04/2018

Une prétendue ville d’Is

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« L’une des légendes les plus répandues en Bretagne est celle d’une prétendue ville d’Is, qui, à une époque inconnue, aurait été engloutie par la mer. On montre, à divers endroits de la côte, l’emplacement de cette cité fabuleuse, et les pêcheurs vous en font d’étranges récits. Les jours de tempête, assurent-ils, on voit, dans le creux des vagues, le sommet des flèches de ses églises ; les jours de calme on entend monter de l’abîme le son de ses cloches, modulant l’hymne du jour. Il me semble souvent que j’ai au fond du cœur une ville d’Is qui sonne encore des cloches obstinées à convoquer aux offices sacrés des fidèles qui n’entendent plus. Parfois je m’arrête pour prêter l’oreille à ces tremblantes vibrations qui me paraissent venir de profondeurs infinies, comme des voix d’un autre monde. Aux approches de la vieillesse surtout, j’ai pris plaisir pendant le repos de l’été, à recueillir ces bruits lointains d’une Atlantide disparue. »

Ernest Renan, Souvenirs d’enfance et de jeunesse

 

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Pour ne jamais faire de concessions à la médiocrité

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« J'ai été plusieurs fois millionnaire, mais l'argent est reparti à chaque fois et aussi facilement qu'il était venu. Je n'accorde de l'importance à l'argent que lorsque je le dépense. Si je devais économiser, je ne serais pas moi-même et je n'aurai pas pu vivre ces aventures intenses qui furent les miennes. Une mentalité étriquée ne permet pas de vivre quelque chose de grand.
Toute ma vie, mon dernier centime sera dépensé pour la flambe, le confort, pour ne jamais faire de concessions à la médiocrité. »

Cizia Zykë, Oro

 

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15/04/2018

Là, tout respire la mortalité, là tout est "humain, trop humain" : "Menschliches, Allzumenschliches" (Nietzsche).

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Archimandrite Justin (en serbe cyrillique : Јустин, nom séculier Blagoje Popović, en serbe cyrillique : Благоје Поповић), né le 25 mars 1894 et mort le 25 mars 1979, un des plus importants théologiens orthodoxes de notre époque, souvent considéré comme un nouveau Père de l'Église. Il était l'archimandrite du monastère de Ćelije, près de Valjevo. Il a été canonisé par l'Église orthodoxe serbe le 29 avril 2010. Il est fêté le 1er juin selon le calendrier julien ce qui correspond au 14 juin selon le calendrier grégorien.

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« Attelé au joug du temps et de l'espace, l'homme traîne l'univers. Où ? Vers quel gouffre, vers quel abîme le conduit-il ? Vers quelles cimes glacées, au-delà du temps et de l'espace ? Hommes et tribus, peuples et races, tous à l'égal sont attelés à ce double joug du temps et de l'espace. Ployant nuit et jour sous le poids du fardeau, stimulés par quelque force irrésistible, ils le traînent, ils trébuchent, à nouveau ils le traînent et à nouveau ils trébuchent, tombent et périssent. Dans quel but ? Qui les attelle à ce joug sans jamais les délier ? Oh ! le temps ! Dites-moi le mystère du temps, ce lourd fardeau. Et l'espace ? Le frère d'affliction, le jumeau du temps.

Rien n'est plus tragique, rien n'est plus affligeant que ce genre humain attelé au joug pesant du temps et de l'espace. Il traîne le temps sans en connaître ni la nature, ni le sens, ni le but. Il traîne aussi l'espace, sans plus en connaître la nature ni le sens ni le but. L'absence de but le conduit à être captif de l'absurde ! L'absence de but rivalise avec l'absurde, mais c'est toujours le tragique qui l'emporte.

Exister et vivre dans un tel monde ne constitue pas un bien grand privilège. - Il n'en est pas ainsi ? Mais à peine es-tu tiré du non-être à l'être que, par quelque incompréhensible nécessité, tu te trouves lié à ce joug cruel du temps et de l'espace. Quel étrange accueil ! Et pour peu que tu viennes au monde avec un peu de sensibilité, tu ressens vite cet affreux tourment écrasant tous les êtres, cette impitoyable maladie dévorant toute créature de l'intérieur. Et tout à coup ton cœur fond en larmes, et c'est alors que tu comprends que tout être créé a des yeux, des yeux qui pleurent sans cesse de quelque amère affliction. Et c'est alors que toutes les créatures souffrantes rassemblent leurs larmes dans le cœur de l'homme, irriguant tout son être. Devant le triste destin de ce monde, il s'efforçait de retenir le sanglot de son cœur, mais son effort se mue en un cri désespéré, sa volonté fléchit, sans force sous la montée de cette douleur du monde qui sourd en tout son être.

Ce monde... Qu'est-ce que ce monde, avec tous ses tourments et ses tribulations, ses tragédies et ses douleurs ? Est-il autre chose qu'un mourant sans espoir, un perpétuel agonisant qui jamais ne meurt ? Que nous reste-t-il alors ? Grincer des dents et nous révolter ? Mais se révolter contre qui et contre quoi ? Ah ! cette pauvre petite conscience humaine ne saurait en aucune façon trouver le principal coupable ! Il semble que la conscience n'ait été donnée aux hommes que pour les tourmenter en vain, pour qu'ils ressentent leur tragique impasse à partir de leurs terribles conditions d'existence. La conscience humaine est comme une petite luciole dans une nuit obscure. Tout autour, une ténèbre profonde et épaisse: poussée par une inquiétude interne, la malheureuse luciole court d'une obscurité à l'autre, d'une moins grande à une plus grande. Mais le comble de l'horreur est que la grande obscurité est bien petite, en comparaison d'une autre plus grande. Et ainsi de suite à l'infini.

Cette conscience trop raffinée... - A quoi me sert-elle ? Je désire ne plus désirer. Cette connaissance trop raffinée... - A quoi me sert-elle ? Je veux ne plus rien savoir. Mais le plus insupportable des tourments est de penser à l'impensable nature de la pensée. Car la pensée est le comble de l'impensable et de l'absurde. Ah, si c'était la pensée de l'homme qui avait inventé la pensée ! Il aurait facilement trouvé le Paradis. - Comment ? mais en détruisant la pensée ! Mais la pensée est imposée à l'homme. La pensée pense même quand l'homme ne le veut pas... Vous qui êtes martyrs de la pensée, vous le ressentez et vous le savez. Vous le savez parce que vous le ressentez. Et telle est justement la connaissance la plus terrible. Trouvez-moi la fin de la pensée, trouvez-moi sa mort, et vous deviendrez le plus grand bienfaiteur de l'humanité. Aussi longtemps qu'existe la connaissance, aussi longtemps qu'existe la pensée pour l'homme, il ne peut que pleurer sur le terrible mystère de ce monde, pleurer d'une lamentation interminable et inconsolable, car l'homme n'a ni fin ni terme - dans le tourment - ; c'est en cela que consiste son immortalité, cette immortalité maudite et imposée. Oh, si cet homme tourmenté et torturé pouvait trouver sa mort, une mort dans laquelle pourrait périr cette pensée qui n'en finit pas, une mort pour tous les temps et pour toute l'éternité !

Ainsi est l'homme, ainsi est le monde quand je ne les ressens pas par le Christ, quand je ne les vois pas en Christ. Mais avec lui tout change: et moi, et le monde autour de moi. Dès sa rencontre avec lui coule en l'homme un flot entièrement nouveau, quelque chose qu'on n'avait pas encore ressenti, ni imaginé, ni connu. A partir de mon amour pour lui, ma conscience (ocecanje) de moi-même et ma conscience du monde se transforment en une bonne nouvelle merveilleuse et joyeuse, à laquelle il n'est de terme ni dans le temps, ni dans l'éternité. Alors résonne, dans tous les précipices du monde et dans tous les abîmes de l'homme, une voix bienveillante et douce, une voix qui réconforte ceux qui sont fatigués et redresse ceux qui sont tombés ; c'est cette voix qui sauve ceux qui sont abattus et guérit toute plaie, console toutes les détresses, soulage tout fardeau et adoucit toute amertume: c'est la voix de l'unique Ami de l'homme: "Venez à moi vous tous qui êtes fatigués et accablés, et moi je vous soulagerai. Prenez sur vous mon joug, et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le soulagement pour vos âmes. Car mon joug est bon, et mon fardeau est léger" (Mat. 11, 28-30).

Pourquoi la vie est-elle difficile pour l'homme ? Parce que l'homme a inventé la mort, parce qu'il l'a établie en lui et en tous les êtres qui l'entourent. Car la mort est une source intarissable de tourments et d'afflictions. Tous les nerfs de la mort partent de l'homme, car il en est le ganglion central. En réalité, la mort est la seule amertume de la vie, la seule amertume de l'existence. C'est d'elle que procède tout le tragique de la vie.

La vie terrestre de l'homme n'est pas autre chose qu'un combat incessant contre la mort, contre ce qui la précède et qui l'escorte, et contre ses armées. Là il n'est pas de trêve, et de paix moins encore. La mort monte continuellement à l'assaut de l'homme, et du dehors et du dedans. - Comment ? De quelle manière ? Mais du dehors par les tentations, du dedans par les maladies visibles et invisibles. Et toutes ces choses, tentations, péchés, maladies, ne sont rien d'autre que les dents de la mort, ces dents qui dévorent continuellement l'homme, du dehors comme du dedans. Mais le plus terrible est qu'elles dévorent, non seulement son corps, mais son âme, sa connaissance, et sa conscience. A cette situation il n'est qu'une issue, il n'est qu'un salut : la Résurrection du Christ, et la victoire qu'elle remporte sur la mort dans tous les mondes. Car, de même que la mort est la source de toutes les amertumes, qu'elle est l'amertume universelle, de même la Résurrection du Christ Sauveur est la source de toute joie, la joie universelle. Il suffit que l'homme ouvre ses yeux spirituels. Alors il ne peut que ressentir et voir que seul le Seigneur ressuscité peut donner signification et joie véritables à la vie amère de l'homme sur terre. Lui, et rien d'autre, et personne d'autre.

Qu'y aurait-il de plus important et de plus utile pour la vie de l'homme ? Sans aucun doute de donner un sens (ocmisliti) à sa vie, qui en a été privée, ontologiquement et phénoménologiquement, par la mort, c'est-à-dire par le péché. Car seuls la mort et le péché privent la vie et l'existence de leur sens. Ce sont eux qui ôtent leur raison d'être (delogosiraju) à l'homme et à la création. Ils éloignent de la création de Dieu sa verbéité (logosnost) et sa rationalité (logicnost) primitive que le Logos, le Verbe, avait semées en eux en la créant. En réalité, le péché et la mort sont l'unique absurdité (besmislica) de ce monde, le seul non-sens (nelogosnost), la seule déraison (beslogosnost). Aussi longtemps que le péché et la mort se trouvent en l'homme, l'absurdité ruine en lui et sa connaissance et sa conscience de soi, et la vie et la lumière. C'est seulement lorsque l'homme communie à la joie de la Résurrection du Christ, qu'il recouvre en son âme son vrai sens et sa raison d'être, sa rationalité et sa "verbéité" véritables, et qu'elles le conduisent à la merveilleuse immortalité et infinité du Christ.

Sans le très-doux Seigneur Jésus, cette éphémère existence terrestre aussi est terrible et incompréhensible; mais combien plus l'immortalité infinie et éternelle. Là où se trouve la mort il n'est pas de vraie joie. En d'autres termes: là où le Christ est absent, il n'est pas de vraie joie. Les hommes, dans le délire, dans l'ivresse du plaisir du péché, célèbrent comme joies de la vie d'innombrables petitesses et inepties. Et ce sont vraiment petitesses et inepties que ces plaisirs qui les éloignent du Christ, qui ne leur assurent pas la sainteté et l'immortalité du Christ.

Autre chose : là où existe la mort, n'existent réellement ni vérité, ni justice, ni amour. Celui-là seul qui vainc la mort et libère le genre humain de la mort, celui-là seul a le véritable amour. Car quel amour est-ce que celui qui ne libère pas l'aimé de la mort ? C'est pour cela que le Seigneur Jésus est le seul Ami des hommes. Et son amour est entier, son amour est total pour cette raison qu'il contient toute la vérité et toute la justice, et tout ce qu'il y a de haut, tout ce qu'il y a d'immortel, de noble, de rationnel (najlogosnije), de divin.

En réalité, le malheureux genre humain n'a qu'un seul vrai ami : le Seigneur Christ, car c'est lui qui l'a libéré de son plus grand ennemi : la mort. Par sa glorieuse Résurrection, le Seigneur a introduit le genre humain dans le courant du fleuve d'immortalité, qui les emmène vers la vie éternelle. C'est à partir de là que les pensées, les sensations et les travaux des hommes du Christ deviennent autant de petits ruisseaux d'immortalité. Passant parmi les rochers du temps et de l'espace, ces ruisseaux murmurent et courent avec joie vers la mer sans rivage de la merveilleuse éternité et de la divino-humanité du Christ.

Si on retranchait du temps le péché et la mort, alors le temps serait un merveilleux préambule à l'éternité divine, une excellente introduction à la divino-humanité, en accord avec cette parole de toute vérité de l’Éternel, du Dieu-Homme: "Celui qui croit en moi a la vie éternelle" (Jean 6,47). L'amertume du temps provient de la mort et du péché ; en l'absence de mort et de péché, le temps devient suave. Sans le Christ, le seul Tout-puissant, le temps est un fardeau pesant; il devient léger avec le Christ. Et le jumeau paradoxal du temps, l'espace, lui aussi, avec tout ce qu'il enferme en lui, écrase et opprime l'homme de tout son poids. C'est ainsi que le fardeau de l'homme se révèle terrible et terrorisant, son joug lourd et épineux. Ce n'est qu'avec l'aide de la toute-Bonté et de la toute-Puissance du Dieu-Homme que ce joug devient "doux" et ce fardeau "léger". Suivant la parole vraie de la Vérité : "Mon joug est doux, et mon fardeau léger" (Mat. 11,30).

Le joug de la vie ne nous torture, le fardeau de l'existence ne nous pèse, que pour autant que l'alourdissent les plombs du péché et de la mort. Lorsque, par la puissance du Christ ressuscité, ces plombs du péché et de la mort sont retirés de l'essence de la vie et de l'existence, alors le joug de la vie se fait "doux" et le fardeau "léger". La vie se change même alors en joie, l'existence en allégresse. Il s'agit là de cette joie de la vie et de l'existence, qui ne cesse ni en cette vie ni en l'autre, c'est lorsque l’Éternel, le Dieu-Homme, fortifie et installe l'homme dans la vérité et dans l'immortalité, que le joug de la vie devient doux et que le fardeau de l'existence devient léger. C'est alors que l'homme, de tout son être, sent que cette lumière joyeuse et divine l'inonde depuis toutes les profondeurs et de toutes les hauteurs raisonnables (logosnih) de l'espace et du temps créés par Dieu.

Pour la pensée de l'homme, et le temps et l'espace sont des monstres s'ils n'acquièrent pas leur signification par l'éternité, c'est-à-dire par la divino-humani-té. Car nous ne connaissons l'éternité que par la catégorie, par l'événement, par la réalité de la divino-humanité du Christ. L'éternité entière, unie au temps, s'est présentée pour la première fois devant la conscience humaine en la Personne du Christ, Dieu et homme. Dieu est le possesseur et le porteur de l'éternité; l'homme, le représentant du temps, cependant que le Dieu-Homme est la synthèse, la plus élevée, la plus accomplie et la plus parfaite, de l'éternité et du temps. Le temps acquiert sa véritable signification en s'unissant à l'éternité dans la vie divino-humaine du Seigneur Jésus.

Illuminé par le Dieu-Homme, le temps montre toutes ses caractéristiques "logiques" (logosna) parce que lui aussi existe par le Verbe (cf Jean 1,3). En son essence, le temps est logique, et c'est pour cette raison qu'il constitue une introduction à la divinité du Verbe par la divino-humanité. Le Dieu-Verbe incarné a montré avec certitude que le temps est une préparation à l'éternité. Celui qui entre dans le temps entre en même temps dans l'antichambre de l'éternité. C'est là la loi de notre existence.

Se trouvant dans le temps, l'homme est un être qui se prépare à l'éternité. Si la vie sur terre et dans le temps est terrible, insensée et torturante sans le Dieu-Verbe, combien plus l'éternité ! Sans le Dieu-Verbe, l'éternité n'est qu'Enfer, et la vie sur terre sans le Dieu-Verbe n'est qu'un préambule et une préparation à l'Enfer. Car l'Enfer n'est rien d'autre que la vie sans le Verbe, sans signification divine, sans raison divine. C'est seulement dans l'Enfer que n'existent ni verbe, ni raison (logika), ni signification (smisl). L'Enfer de l'homme commence déjà ici sur terre, si l'homme ne vit pas dans le Verbe, dans le Christ. Mais le Paradis aussi de l'homme commence déjà ici sur terre, si l'homme vit dans le Verbe divin, le Dieu-homme, le Christ. Pour l'être humain, le Dieu-Verbe incarné est signification, raison et paradis. Tout ce qui se passe sans verbe (protivlogosno) ni raison (nelogosno) est par là même absurde et insensé. Et c'est cela qui crée pour l'homme des dispositions infernales qui changent la vie en enfer.

L'homme ? Un être introductif, un être préparatoire pour l'éternité par la divino-humanité. L'homme en Christ est illimité et immortel, parce qu'il est passé "de la mort à la vie" (Jean 5,24). La mort ne l'interrompt pas, il se prolonge du temps à l'éternité. Vivant par le Christ ressuscité, il immortalise sa connaissance-de-soi par la connaissance-du-Christ et, par la conscience-du-Christ, la conscience-de-soi.

Les connaissances de l'homme ? Ce sont des connaissances introductives qui deviennent éternelles par la divino-humanité du Christ. C'est seulement ainsi que les connaissances de l'homme ne sont pas une torture pour l'esprit humain. Si vous le voulez, vous pouvez vous en assurer: les connaissances sont pour vous le plus grand martyre, et l'horreur, et l'enfer, jusqu'à ce que le merveilleux Seigneur Jésus les touche. Dès qu'il les touche, elles se transforment en joie, en allégresse, en paradis. Il n'y a pas à en douter: la connaissance n'est une bénédiction que dans la connaissance-du-Christ; sans elle, la connaissance est malédiction et terreur. I 'homme a été créé précisément semblable à Dieu, semblable au Christ, semblable à l'Esprit, pour que ses connaissances deviennent, dans leur essence, une nostalgie de Dieu, une nostalgie du Christ, une nostalgie de l'Esprit.

Les pensées de l'homme ? Leur but est de se développer en pensées éternelles et divino-humaines. La pensée est un fardeau lourd et éprouvant. C'est seulement comme pensée-en-Christ qu'elle devient un fardeau léger et aimé. Quand la pensée se "verbéise", se "christifie", elle acquiert sa dignité éternelle, sa joie et sa signification. Sans cela, chaque pensée est un petit enfer, et toutes ensemble, un enfer d'infinité et d'éternité.

Il n'est rien de plus horrible qu'une éternité sans le Christ. Je préférerais être dans un enfer où serait le Christ (si l'on me pardonne ce paradoxe) que dans un paradis où le Christ n'est pas. ( car si le Christ n'est pas présent, tout se transforme en malédiction, en amertume, en horreur. Là, sur la braise à demi-éteinte de la conscience-de-soi humaine, s'étend une ombre sans fin, une obscurité infinie. Là le corps devient un lourd fardeau, et l'âme un joug maudit. Celui que tourmente si peu que ce soit le martyre de l'homme, doit avoir ressenti la vérité de ces paroles de l'Apôtre : "Dieu nous a bénis en toute bénédiction spirituelle en Christ" (Eph 1,3). Sans le Dieu-Homme, le Christ, et en-dehors de lui, les sombres flots de la malédiction et du mal roulent et emportent l'homme.

C'est seulement dans le très-doux Seigneur que nous avons ressenti et appris que ce monde est un prologue à l'autre: le temps est un prélude à l'éternité, la vie sur terre est une préparation à la vie éternelle, et le bien terrestre un avant-goût du bien éternel: "Serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle en peu de chose; je t’établis sur beaucoup, entre dans la joie de ton Maître" (Mat. 25, 21-23). Mais il ne faut pas que nous oubliions ceci: c'est seulement lorsque nous avons été illuminés par la lumière divine du Dieu-Homme que nous avons vu et ressenti tout le désastre du mal et du péché, et que nous avons compris que le mal terrestre est une introduction et une préparation au mal éternel. Le péché ici-bas sur la terre est un préambule et une préparation au Royaume éternel du péché, l'enfer. Seuls les hommes porteurs-du-Christ connaissent en détail les mystères du bien et du mal, parce que leurs sens sont "exercés par la pratique du discernement du bien et du mal" (Heb. 5,14). En outre, ils connaissent parfaitement la mentalité de Satan et la dialectique de la philosophie du mal, selon les paroles de l'Apôtre: "nous n'ignorons pas ses desseins" (2 Cor. 2,11).

Dans la profondeur raisonnable (logosnom) de l'être humain semblable-à-Dieu, le temps et l'éternité se trouvent organiquement unis et ontologiquement liés, en proportion de la mesure de l'être de l'homme. Fondé sur ces éternités qui existent en lui, l'homme peut s'édifier pour une existence merveilleuse. La similitude-à-Dieu constitue en l'homme la source inépuisable des puissances créatrices de la nostalgie-en-Dieu, grâce auxquelles il s'élabore lui-même en un être éternel.

Le péché brise au sein de l'être de l'homme cette unité du temps et de l'éternité, et ouvre en lui un gouffre terrible entre ce qui est dans le temps et ce qui est dans l'éternité, gouffre où sombrent durablement la pensée et la connaissance de l'homme. Le péché, en tant que puissance anti-Dieu et anti-Verbe (protivlogosna), dédivinise et "dé-verbéise" (delogosira) l'homme, et l'établit dans le non-sens. Ce qui veut dire que le péché met l'homme à mort, parce qu'il l'éloigne de l'unique source de la vie, de l'immortalité et de l'éternité : de Dieu. Vivant dans le péché, l'homme se retranche lui-même dans le solipsisme, ne connaît plus que lui-même, et se proclame le centre de tout. Plus il s'enfonce dans le péché, plus s'agrandit dans sa conscience et dans son cœur le gouffre entre le temps et l'éternité. Tourné vers le monde extérieur, l'homme du péché ressent et voit une terrible faille entre lui-même et les autres hommes, entre lui-même et les autres êtres. Enfoncé dans un isolement profond et égoïste, il perd par degrés -jusqu'à en être totalement privé- le sentiment de l'unité universelle (svejedinstvo) du genre humain. Le gouffre entre lui-même et la création toute entière devient insondable, inépuisable et infranchissable. Il ne voit plus, il ne ressent plus que lui et personne d'autre et rien d'autre, ni au-dessus de lui ni autour de lui. Tout en lui n'est plus que lui-même, hôte de lui-même, piètre imposteur de la divinité intronisé sur son fumier. De là vient que tant d'hommes n'ont que de petites pensées, de petits sentiments, dont ils ne peuvent eux-mêmes se débarrasser sur autrui. Les pensées et les sentiments de l'égoïsme, mutilés et estropiés par l'amour-de-soi, ne reconnaissent ni l'homme ni Dieu, car ils n'accèdent ni à l'éternel ni au divino-humain. Dans ses pensées, dans ses connaissances, dans sa vie, s'ouvre une faille tragiquement béante: un schisme, une déchirure maudite dans sa conscience, dans son cœur, dans son âme, dévastant sa forme d'homme, selon Faust : "Deux âmes logent en ma poitrine".

Le Dieu-Homme, le Christ, ôte le péché et franchit le premier le gouffre que celui-ci avait créé entre le temps et l'éternité, entre l'homme et Dieu, entre l'homme et les autres êtres. C'est ainsi qu'il rétablit dans la conscience et la connaissance de l'homme l'unité entre l'homme et Dieu, entre le temps et l'éternité, entre lui-même et le reste du monde. C'est pourquoi les hommes qui ont l'esprit et la foi dans le Christ, quand ils combattent contre le péché, combattent pour rétablir en eux-mêmes la connaissance pleine et intégrale du monde, pour arriver à la plénitude et à l'intégrité de l'homme.

Le péché a brisé l'unité de la connaissance-de-soi de l'homme, de sa conscience-de-soi, de sa pensée, de sa vie, de son existence, de son être. C'est ainsi qu'il a brisé l'unité de la connaissance que l'homme a du monde (la "théorie" du monde). Le combat selon le Christ contre le péché n'est rien d'autre qu'un combat contre cette puissance qui seule ruine l'homme en brisant en lui le sentiment de l'unité entre l'homme et Dieu, entre le temps et l'éternité, le sentiment de l'unité universelle. Le Dieu-Homme, par sa vie divino-humaine, donne sa philosophie divino-humaine de l'unité universelle. Dans cette vie, dans cette philosophie, il n'y a pas de place pour le péché, le mal et la mort.

L'homme a été créé par Dieu comme un être macrocosmique et c'est pour cette raison qu'il est naturel et logique qu'existent en lui une connaissance et une conscience macrocosmique du monde. C'est pour cette raison que l'homme qui n'a été ni bouleversé ni désintégré par le péché, ressent l'unité organique de toutes les créatures. Il ressent comme siennes la joie et la tristesse des créatures, car il porte d'une manière mystérieuse le sort de toutes les créatures. Adam en offre l'exemple. La connaissance de l'unité universelle régnait en Adam jusqu'à la chute. Il a entraîné toute la création avec lui dans sa chute vers le péché et vers la mort. Plus proches sont les exemples que nous fournissent les Apôtres, les Martyrs et les Saints et tous les vrais chrétiens. L'exemple par excellence en est l'Apôtre Paul. Nul autre que lui n'a ressenti avec autant de force et de profondeur que toute la Création "gémit et souffre les douleurs de l'enfantement" avec les hommes, qu'elle gémit et souffre avec eux du péché et en raison du péché, de la mort et en raison de la mort à laquelle l'homme l'a soumise à cause de son amour du péché (cf Rom. 8, 12-23). La restauration (grec apocatastasis = latin reintegratio) de la Création a été accomplie en la personne du Dieu-Homme, le Christ. De lui et par lui, elle a été transmise à tous ceux qui sont membres du même corps que lui (cf Eph. 3,6), à tous les hommes qui se sont greffés comme des rameaux sur lui, comme des greffons sur la vigne (cf Jean 15, 1-7). De lui sont passées jusqu'à eux la conscience et la connaissance divino-humaines de l'unité de la vie et de la création. Ce sont cette connaissance et cette conscience qui sont greffées tout particulièrement sur les âmes pleines de grâces et christifiées des saints. C'est en eux et par l'énergie du Dieu-Homme que sont guéries et restaurées la connaissance et la conscience qu'ils ont et d'eux-mêmes et du monde. Ces Saints sont des âmes régénérées et accomplies, qui guérissent progressivement du péché la création autour d'eux, et la ramènent à son unité universelle et primordiale. Étant "fils de Dieu" par la grâce, ils sauvent la Création de son émiettement, de sa corruption, et de la cassure de son unité (cf Rom. 8, 19-21).

En réalité, la restauration divino-humaine de l'homme crée en lui la connaissance et la conscience de l'unité universelle du macrocosme. Et l'homme du Christ voit toute la création, aux cieux et sur terre, dans son unité universelle divino-humaine, il ressent et il sait que c'est dans le Christ que tout a été créé aux cieux et sur terre : "Tout a été créé par lui et pour lui. Il est avant tout et tout subsiste en lui, et il est la tête du corps de l’Église" (Col 1, 16-18).

Par l'exercice des vertus évangéliques (podvàima), l'homme rétablit l'unité universelle du macrocosme dans sa conscience, dans sa connaissance, et dans sa vie. L'homme entier participe à cette restauration, à cette recréation de soi-même dans le Christ : de toute son âme et de tout son cœur, et de toute son intelligence, et de toute son énergie. Et tout entier il grandit "de la croissance de Dieu... jusqu'à la taille de la plénitude du Christ... vers l'homme parfait" (cf Col. 2,19; 1,29; Eph. 4,13). L'homme perd la conscience évangélique de l'unité universelle du macrocosme quand il se livre consciemment aux œuvres mauvaises, et en lui et dans le monde qui l'entoure (cf Col. 1,21).

La philosophie divino-humaine, la philosophie selon le Christ, est la philosophie de l'homme renouvelé et régénéré dans le Christ, sanctifié et divinisé en Christ. Cette philosophie est régie par la connaissance divino-humaine et par la reconnaissance de l'unité universelle de l'être et de la création. Cependant que tout ce qui dissout, tue et endort cette connaissance et cette connaissance divino-humaine de l'unité universelle, appartient à la philosophie selon l'homme, selon l'homme pécheur et mortel.

En réalité, il n'existe que deux philosophies : la philosophie divino-humaine et la philosophie humaine. L'une est la philosophie de l'unité divino-humaine et l'autre, la philosophie de la division humaine. Toute la philosophie selon l'homme se meut à l'intérieur du cercle magique de la mort et de la mortalité, dans lequel la connaissance et la conscience de l'homme ont été disloquées par le péché. C'est là que l'homme et le monde deviennent "légion" ; là le nom de l'homme et du monde est "légion" (Luc 8,30). Là, tout respire la mortalité, là tout est "humain, trop humain" : "Menschliches, Allzumenschliches" (Nietzsche). C'est pour cela que l'Apôtre christophore conseille avec sagesse : "Frères, veillez à ce que personne ne vous pille, à cause de la philosophie ou par vaine ruse, selon la tradition des hommes, selon les éléments du monde et non selon le Christ" (Col. 2,8). La philosophie divino-humaine est la philosophie de l'expérience divino-humaine. En elle, tout se fonde sur l'expérience, sur le vécu et la pratique. Là, rien d'abstrait, rien qui ne soit réel. Tout est une réalité divino-humaine, car dans le Dieu-Homme, le Christ, "habite corporellement toute la plénitude de la Divinité" et c'est pour cela qu'il est établi en tous : "Vous êtes comblés en lui" (Col. 2, 9-10).

L'homme, quand il s'est incorporé avec toute sa personne au Corps du Christ et qu'il a été tout entier accompli en lui, s'emplit de la connaissance et de la conscience divino-humaines de l'unité universelle du macrocosme. Et il s'enflamme en prenant conscience que tous sont responsables de tout : les douleurs de tous les êtres sont ses propres douleurs, les tribulations de toutes les créatures sont ses propres tribulations. Tous ceux qui sont en Christ constituent un corps unique, divino-humain : l’Église ; et le Christ est la tête du corps de l’Église (Col. 1,18). C'est lui qui donne à la pensée de tout chrétien sa réflexion, et à la connaissance sa sensibilité. C'est lui-même qui universalise (sabomizira) la connaissance et la conscience de chaque membre de l’Église, afin qu'il vive "avec les Saints" (Eph. 3,18), pour autant qu'il vive avec le Dieu-Homme, le Christ. C'est pourquoi aussi l’Église a comme philosophie la philosophie divino-humaine et c'est pourquoi elle a la connaissance divino-humaine de l'unité universelle.

De cette fragmentation et de cette atomisation de la conscience et de la connaissance, l'homme n'est sauvé que par la vie divino-humaine. C'est de cette même manière qu'il est sauvé d'un isolement égoïste qui n'est rien d'autre que la marque même de Satan. Car Satan est l'être le plus isolé dans tous les mondes. Il a complètement perdu conscience de l'unité universelle du monde. En réalité, Satan est le Solitaire dans le sens le plus absolu. C'est pourquoi l'égoïsme des hommes, leur isolement autarcique, leur retranchement de l'unité universelle du macrocosme ne sont rien d'autre qu'un élan vers le satanisme. Car Satan est Satan en ce que sa connaissance-de-soi et sa conscience-de-soi sont complètement coupées de Dieu et de tous les autres êtres et créatures.

Le moyen de se sauver du satanisme, du solipsisme et de l’égoïsme ne se trouve que dans la divino-humanisation de l'homme. C'est pourquoi la divino-humanisation du monde restaure chez l'homme la connaissance-de-soi et la conscience-de-soi, et la connaissance-du-monde. L'homme se sent et se reconnaît impliqué avec tous les êtres et avec toutes les créatures : l'unité universelle est la réalité la plus réelle et la plus immédiate pour sa conscience et pour sa connaissance. Un tel homme se rassemble incessamment lui-même en Dieu par la prière et par la foi, par l'amour et par la justice, par la miséricorde et par la vérité, et par les autres ascèses et vertus évangéliques. Cette concentration de l'homme en Dieu, cette concentration de soi dans le Dieu-Homme, renforce en lui jusqu'à un point inimaginable la connaissance et la conscience de l'unité universelle du macrocosme. C'est alors que l'homme en Christ déborde sur toute la création et sur tous les êtres d'un amour et d'une miséricorde immenses. En larmes il prie pour tous et pour tout, parce qu'il ressent et qu'il sait comme personne d'autre que l'amour et la miséricorde du Christ sont le seul salut du pécheur et la gloire immortelle des justes. C'est dans cet amour du Christ que se trouve toute la philosophie de l'optimisme éternel, de même que dans la haine satanique se trouve toute la philosophie du pessimisme meurtrier. Devant l'homme se dressent et l'un et l'autre. »

Justin Popović, "Entre deux philosophies" in L'homme et le Dieu-homme

 

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14/04/2018

Un ennui toujours plus lourd et une haine toujours plus profonde de soi-même

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« Il n’est pas difficile d’être malheureux et mécontent. Il suffit de s’en remettre à l’humeur triste et irritée, qui n’attend que ça. Il suffit de bouder le monde, de s’asseoir à l’écart, et d’attendre en râlant le "jour J" de la distribution des raisons de vivre. Mais le "jour J" ne se lève jamais. L’homme qui s’est abandonné à la pente de la tristesse et de l’irritation ne voit venir qu’un ennui toujours plus lourd et une haine toujours plus profonde de soi-même, de tout et de tous. Qu’il nomme donc cela le sentiment révolutionnaire, s’il éprouve le besoin de draper son cadavre puant. Sous cette draperie, il croit qu’il bouge. C’est seulement le cadavre qui fermente. Il s’imagine manifester quelque majesté en refusant les offrandes d’un monde qui fonctionne malgré lui. Il manifeste seulement que rien ne pourrait le désennuyer.Il est difficile d’être heureux. Il faut de l’esprit, de l’énergie, de l’attention, du renoncement et une sorte de politesse qui est bien proche de l’amour. C’est parfois une grâce d’être heureux. Mais ce peut être, sans la grâce, un devoir. Un homme digne de ce nom s’attache au bonheur, comme au mât par sale temps, pour se conserver à lui-même et à ceux qu’il aime. C’est un devoir d’être heureux. Et c’est une générosité. »

Louis Pauwels, Lettre ouverte aux gens heureux et qui ont bien raison de l’être

 

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13/04/2018

La nation est une réalité encore jeune, riche de potentialités...

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Camarade, même le communisme n'est plus ce qu'il était jadis...

 

« Ce patriotisme intransigeant qui nous anime est l’autre face de notre internationalisme. Nous ne partageons pas le point de vue de ceux qui estiment que la nation est un "concept dépassé".
La nation, au contraire, est une réalité encore jeune, riche de potentialités pour une part encore étouffées sous la domination de classe de la grande bourgeoisie. En outre, quoi qu’on en ait, c’est dans le cadre national que se déroulent d’abord les combats de classe. Et puis ce n’est pas simplement affaire d’idées : nous aimons notre pays, nous luttons pour qu’il soit plus libre, plus heureux et, lorsque nous parlons de lui, le lyrisme nous vient facilement.
Chaque peuple est ainsi. Et lorsqu’on attente à sa liberté, à son indépendance souveraine, il se dresse et combat. Le parti communiste a toujours été, sera toujours à l’avant-garde de cette lutte-là. »

Georges Marchais, Le défi démocratique

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12/04/2018

Moutons dociles...

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« Aujourd'hui, les régimes libéraux d'occident sont caractérisés par une caste nombreuse de privilégiés, agents des groupes financiers, qui détiennent l'ensemble des leviers politiques, administratifs, économiques et sont unis par une étroite complicité. Ils s'appuient sur un gigantesque appareil administratif qui encadre rigoureusement la population, tout spécialement grâce aux réglementations sociales. Ils détiennent le monopole du pouvoir politique et du pouvoir économique. Ils contrôlent la presque totalité des moyens d'information et sont maîtres des esprits. Ils se défendent grâce à d'innombrables forces de police. Ils ont transformé les citoyens en moutons dociles. Seules, les oppositions fictives sont tolérées. »

Dominique Venner, Pour une Critique Positive

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11/04/2018

Le gauchisme a prôné à peu près toutes les simulations qui font la monnaie courante des comportements aliénés

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« Véritable avant-garde de l’adaptation, le gauchisme (et surtout là où il était le moins lié au vieux mensonge politique) a prôné à peu près toutes les simulations qui font maintenant la monnaie courante des comportements aliénés. Au nom de la lutte contre la routine et l’ennui, il dénigrait tout effort soutenu, toute appropriation, nécessairement patiente, de capacités réelles : l’excellence subjective devait, comme la révolution, être instantanée. Au nom de la critique d’un passé mort et de son poids sur le présent, il s’en prenait à toute tradition et même à toute transmission d’un acquis historique. Au nom de la révolte contre les conventions, il installait la brutalité et le mépris dans les rapports humains. Au nom de la liberté des conduites, il se débarrassait de la responsabilité, de la conséquence, de la suite dans les idées. Au nom du refus de l’autorité, il rejetait toute connaissance exacte et même toute vérité objective : quoi de plus autoritaire en effet que la vérité, et comme délires et mensonges sont plus libres et variés, qui effacent les frontières figées et contraignantes du vrai et du faux. Bref, il travaillait à liquider toutes ces composantes du caractère qui, en structurant le monde propre de chacun, l’aidaient à se défendre des propagandes et des hallucinations marchandes. »

Jaime Semprun, L’abîme se repeuple

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02/04/2018

Une petite histoire, de préférence sentimentale, sans ambition excessive, dans laquelle s'agitent quelques leurres

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« Le système qui consiste à faire passer un produit pour de la littérature de qualité engendre une esthétique. Cela fonctionne sur un système de reconnaissance, de défamiliarisation limitée, de surprise prévisible. Plusieurs facteurs permettent au lecteur de se repérer. D'abord, le produit, quel qu'en soit le genre, doit s'appeler roman. Il semble acquis, dans les maisons d'édition, que la littérature, c'est le roman, c'est-à-dire une petite histoire, de préférence sentimentale, sans ambition excessive, dans laquelle s'agitent quelques leurres appelés "personnages". Dans ses Leçons américaines, Calvino dit que "la littérature ne peut vivre que si on lui assigne des objectifs démesurés". S'il a raison, elle agonise.

En second lieu, cette littérature "de qualité", qui fait les "coups" et les prix, adopte fréquemment des formes de représentation plus ou moins dérivées du réalisme qui triomphe dans la littérature de grande consommation, sous la forme flasque de la psychologie d'alcôve. Le même roman de divorces et d'adultères, à peu près, dont se régalaient déjà les petits-bourgeois de la Belle Époque. Les problèmes de couples inondent les librairies. Dan Franck a fait un malheur, il y a quelques années, avec "La Séparation". On demande du jardin secret. Le roman exotique ou historique, autre réalisme abâtardi, exploite les inépuisables ressources offertes par l'Inde, l'Egypte ancienne, la marine à voile ou le Sud des États-Unis. Dans les deux cas, le réalisme se confond avec le folklore, collectif ou individuel. La personne, l'espace, le temps y sont considérés comme des réserves d'exotisme à exploiter. Le monde réel est un vaste parc d'attractions. Ce réalisme donne comme loi naturelle le mythe selon lequel un individu (ou une société) est un contenu, un fonds dans lequel il suffit à la littérature de puiser. Sartre appelait cela avec mépris "les corps simples de la psychologie". Le réalisme n'est pas réaliste. Le résultat est parfois distrayant, parfois navrant. Littérairement, cela donne quelque chose comme un éditorial de "Elle" ou un article de fond de "Marie-Claire", plus le courrier du cœur et éventuellement l'article culturel : "Un week-end à Athènes", mais en deux cent cinquante pages.

Si, dans ce que l'on donne pour de la littérature plus novatrice, cette forme de représentation subit quelques distorsions, il apparaît néanmoins comme obligatoire que le récit, aussi fictif soit-il, paraisse plus ou moins "vécu", et donne ainsi une garantie d'authenticité. Il y a d'infinies variantes de la garantie d'authenticité: la confession sincère et brutale ; le souvenir de famille ; la sensation finement observée ; la peinture des gens authentiques; le corps, le viscéral. Ainsi, le lecteur sait où il est, et peut se convaincre que l'auteur parle vrai. En outre, l'effacement contemporain des frontières entre roman et autobiographie, qui a donné naissance à des genres hybrides tels que l' "autofiction", favorise l'équivoque, et l'identification émotionnelle du récit à la personne de l'écrivain. Il est dès lors plus facile d'écouler le produit, quelle que soit sa qualité, en mettant en scène habilement l'auteur, en créant quelque scandale.

Une grande partie de la littérature d'aujourd'hui peut se ranger dans la catégorie "document humain". N'importe quoi est bon, suivant l'idéologie moderne de la transparence et de l'individualisme. Les confidences de M. Untel sont intéressantes par nature, parce que Untel est intéressant dans sa particularité. C'est l'idéologie des jeux télévisés, de la publicité, des reality show, de Loft story et des ouvrages d'Annie Ernaux. La plupart du temps, dans tous ces genres, le résultat est accablant, et sert pour l'essentiel à se rencogner dans le confort de la médiocrité, dans un narcissisme à petit feu, qui n'a pas même l'excuse de la démesure. Pour engendrer autre chose, la confession exige une stature humaine dont ceux qui la pratiquent sont fréquemment privés. Reste cette excuse de la médiocrité: la sincérité. »

Pierre Jourde, La littérature sans estomac

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30/03/2018

Heidegger prit une bêche...

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« Sartre a eu le mérite de rajeunir la conception des gnostiques. L'être est habité par le non-être ; il n'est pas pur, il est corrompu par un noyau ténébreux par un ver rongeur, par une cellule cancéreuse qui le mine, l'obligeant à sortir de lui-même, à se traduire au dehors, à se souiller, - à la manière d'un dieu du Mal éternellement vainqueur d'un dieu du Bien [...]
À mon sens, Heidegger n'était pas le frère, mais le contraire de Sartre. Si Sartre avait pris le parti de l'absurde, Heidegger avait pris le parti du mystère [...]
Heidegger m'emmena à une lieue de Fribourg pour visiter sa maison de campagne [...]
C'était en hiver : je ne vis d'abord qu'un champ de neige. Heidegger prit une bêche : peu à peu, l'on vit apparaître la cheminée de la hutte, puis son toit, puis la hutte. C'était, me disait-il, la méthode du philosophe, qui doit bêcher sans cesse, qui doit creuser le dur réel des mots, des destins, des moments et des choses, - afin d'en faire surgir ce noyau, qui est l'être [...]
Le devoir du philosophe, comme celui de l'artiste et du grand amoureux, est d'écouter battre le cœur de l'être, cette pulsation sourde, de la faire entendre aux autres. Comme on était loin du néant ! Sartre habitait la rive inverse. Heidegger et Sartre, je les imaginais se tenant la main comme les morts dont parle Virgile, et qui sont séparés par un abîme. »

Jean Guitton, L'absurde et le mystère

 

 

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29/03/2018

Le dieu Odin se réveille

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« Ces bourgeois feraient bien de s’inquiéter : tôt ou tard, la violence qui tourbillonne dans le pays s’abattra sur eux, sans faire de quartier et sans aucune pitié. Elle brûlera leurs beaux meubles anciens, leurs tapis d’Orient, leurs services à thé déjà ébréchés par l’hypocrisie. Le capitalisme commence à mourir. Le capitalisme mourra. Le capitalisme est déjà mort. Il y a dans l’air une hystérie féroce, il suffit d’observer la haine entre le personnes, les jalousies, les valeurs infiniment mesquines qui déchaînent des haines plus mesquines encore. En Occident, quelque chose alimente la haine : haine à l’université, au théâtre, entre les jeunes de gauche et de droite, dans la musique rock, chez les auto-stoppeurs, dans le sexe, dans les films. Haine devant une tasse de café et haine durant les fêtes d’anniversaire. Haine dans les églises et haine sur les terrains de football. Notre haine qui êtes aux cieux, donnez-nous aujourd’hui notre haine quotidienne. Le dieu Odin se réveille. Le dieu des tempêtes et de la ruse voit se lever un jour nouveau pour sa rage incendiaire. »

Alberto Garlini, Les noirs et les rouges

 

 

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De l'art décadent

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« Les personnes qui bavardaient à mi-voix dans l’élégant bar sont faites d’une substance humaine complètement différente de la sienne : bourgeois xénophiles, pacifistes lâches, défaitistes, pessimistes, antisportifs, sédentaires et inféconds. Ce soir, au Théâtre de l’Opéra, on joue une nouvelle mise en scène de "Allez hop", dix ans après son succès vénitien : musique dodécaphonique de Luciano Berio illustrant une pantomime signée par Italo Calvino. En d’autres termes : de la musique insensée par-dessus des gestes insensés. De l’art décadent qui satisfait un stérile besoin de stimuli forts chez une classe intellectuelle moribonde. Tout le contraire de ce qu’exige un guerrier. »

Alberto Garlini, Les noirs et les rouges

 

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28/03/2018

Assis dans les tribunes d’un stade métaphysique et indifférent au cours du destin

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« Stefano ne se sent pas intimidé par ces regards. Il parle la même langue qu’eux, l’italien, il partage leur histoire, mais il porte en lui la révolution, les bruits de la province et la chaleur pulsante des poings. Il n’est pas encore habitué à se considérer comme un soldat politique. Il s’agit d’un état d’âme nouveau, surprenant, qui ne s’est cristallisé que quelques semaines auparavant, durant les affrontements de Valle Giulia. Là-haut, dans le Frioul et dans la torpeur de sa chambre, en pensant aux héros il voyait un mélange de charges de cavalerie et de tempêtes d’acier, de lances pointues et de soudaines percées sur le front russe. Des gestes inutiles qui se concluaient par une glorieuse défaite. Mais à présent l’héroïsme a un son différent, plus aigu et lointain. La tentation de la mort est toujours la même, un abîme sourd qui aspire les désirs, une force impersonnelle, comme si l’on pouvait être spectateur de sa propre vie, assis dans les tribunes d’un stade métaphysique et indifférent au cours du destin.
Mais, à l’épreuve du feu, ce merveilleux 1er mars, tandis que les matraques des C.R.S. s’abattaient sur son dos, qu’il sentait près de lui la chaleur de la Jeep renversée et en flammes, tout le reste a changé. Les pulsions vitales – honneur, fierté, courage, fidélité – s’étaient mises d’un coup à converger paisiblement vers un centre. Elles ne pouvaient plus s’user sous l’effet d’un incontrôlable besoin d’agir. C’étaient des planètes qui tournaient autour du feu solaire, suivant des orbites ordonnées. Et c’est ça, seulement ça, qui vous fait sentir que vous êtes un guerrier. »

Alberto Garlini, Les noirs et les rouges

 

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Corriger le regard

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« Dans ces années-là, tout le monde était prêt à mourir, c’était la base sur laquelle on travaillait.
Les Tibétains célèbrent les funérailles du ciel. Ils démembrent le corps du défunt et le donnent en pâture aux vautours. C’est une longue cérémonie, un abattage extrêmement raffiné. À la fin, il ne reste que les os, parfaitement propres. À genoux dans la maisonnette, Stefano faisait penser au vol de vautours rassasiés, aux larges cercles noirs dans le ciel de l’Himalaya.Les grands sages aryens. Il existe une autre vision du monde. Les mains couvertes de sang aident à corriger le regard. »

Alberto Garlini, Les noirs et les rouges

 

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27/03/2018

Cette colère trempait leurs âmes

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« Ils étaient fous et ils le savaient. La colère accumulée sous l'effet des tromperies, des morts et du dégoût face à la société dégueulasse qui les entourait, cette colère trempait leurs âmes. Dépositaires d'une foi absolue, ils étaient prêts à tout pour l'honorer, à une époque où personne ne renonçait à rien. Tout homme désirait un emploi, un salaire, une molle vie de famille. Eux affrontaient la mesquinerie de l'existence à visage découvert. Sachant qu'ils perdraient tout et indifférents à cette perte. »

Alberto Garlini, Les noirs et les rouges

 

 

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26/03/2018

Cette vie de parade, de boniment, de réclame et de fabrique de l'opinion publique

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« J'abhorre cet américanisme creux qui espère s'enrichir à crédit, être informé en tapant sur les tables à minuit, apprendre les lois de l'intelligence par la phrénologie, le talent sans études, la maîtrise sans apprentissage, la vente des marchandises en prétendant que tout se vend, le pouvoir en faisant croire qu'on est puissant ou en s'appuyant sur un jury ou une composition politique qui vous est favorable, la corruption et des votes "répétés", ou parvenir à la richesse par la fraude. On pense y être parvenu, mais on a obtenu quelque chose d'autre, un crime qui en appelle un autre, et un autre démon derrière celui-ci : ce sont des étapes vers le suicide, l'infamie et les affres du genre.
Nous nous encourageons mutuellement dans cette vie de parade, de boniment, de réclame et de fabrique de l'opinion publique, et dans cette faim de résultats et de louanges rapide on perd de vue l'excellence. »

Ralph Waldo Emerson, Société et solitude

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20/03/2018

Après quoi, au dia­ble la Société !

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« L’important, c’est de mener une guerre men­tale sans relâche con­tre le ton, l’humeur et l’état d’esprit tout à la fois de l’existence mod­erne dans une com­mu­nauté reposant sur le com­merce. L’important, c’est de con­ver­tir le plus grand nom­bre d’individus pos­si­bles au désir de mener une vie sta­tique au lieu d’une vie dynamique, une vie fondée sur la con­tem­pla­tion et non sur l’action. Que tous les indi­vidus hon­nêtes, hommes ou femmes, eux-mêmes à leur sub­sis­tance ; mais une fois leur sub­sis­tance assurée par des moyens irréprochables, qu’ils pren­nent conscience du fait que là s’arrête leur dette envers l’humanité. Il est indis­pens­able que cha­cun s’acquitte de sa tâche pour que l’ensemble puisse con­tin­uer à fonc­tion­ner. Mais plus votre sagesse sera grande, et plus vous circonscrirez dans d’étroites lim­ites la charge que représente cette tâche... Après quoi, au dia­ble la Société ! »

John Cow­per Powys, Apolo­gie des sens

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19/03/2018

La haine mortelle de la masse à l'égard de la vie indépendante de l'individu

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« La démoc­ra­tie mod­erne et la mécan­i­sa­tion du monde  mod­erne ont pour corollaire l’aura desséchante et stérilisante d’une spir­i­tu­al­ité bornée. On sent flot­ter dans l’air la haine mortelle de la masse à l’égard de la vie indépen­dante de l’individu. C’est ce sen­ti­ment qui se lit dans le regard vul­gaire, méchant, mi-curieux, mi-réprobateur, de l’homme moyen que l’on croise dans la rue. Ce que l’on a cou­tume d’appeler “sens de l’humour” n’est chez la plu­part que l’expression de cette haine.

L’humour démoc­ra­tique trahit la rancœur de la nor­mal­ité en présence de l’anormal. C’est le sens du grotesque et du ridicule. Et ce qui appa­raît grotesque et ridicule à l’”humour” col­lec­tif du trou­peau, ce sont pré­cisé­ment ces éléments même de la con­science individuelle qui, lorsque celle-ci con­naît ces élé­ments sub-humains et super-humains, transcen­dent le niveau ordi­naire de notre époque mécan­isée. La béat­i­tude hébétée de la foule sus­pendue à l’écoute de la radio illus­tre bien cette atti­tude. Car la radio n’est pas autre chose que l’âme col­lec­tive d’une époque vul­gaire, trou­vant une sat­is­fac­tion narcissique à con­tem­pler ainsi son pro­pre reflet.

En ce moment de l’histoire du monde, il ne faut rien tant qu’encourager des esprits humains indi­vidu­els à éprouver à l’endroit de l’humanité des sen­ti­ments fort dif­férents de l’amour aveu­gle. Cet impératif moral nous enjoignant d’aimer human­ité n’est qu’une séduction hyp­no­tique, effet de la fas­ci­na­tion exer­cée par l’aura de la masse sur l’imagination indi­vidu­elle. Il est néces­saire d’aimer la Vie – ou du moins de se mesurer à elle afin de lui arracher de force ce bon­heur déli­cieux et légitime. Mais il n’est pas néces­saire d’aimer l’humanité. L’étonnant, c’est que parmi tous ces “amoureux de l’humanité”, nombreux sont ceux qui s’adonnent à des pra­tiques d’une cru­auté plus abom­inable que les insectes eux-mêmes entre eux. (…) La morale de la masse com­mande d’aimer l’humanité, mais fait mon­tre d’indulgence face à la cru­auté la plus abom­inable. Mais si l’âme individuelle se refuse, avec un fris­son d’horreur, à céder à toutes les ten­ta­tions d’être cruel, elle refuse égale­ment de renon­cer à un gramme, une once, du droit qui est le sien de n’éprouver que détache­ment à l’égard de l’humanité comme à l’égard de la tra­di­tion humaine. »

John Cow­per Powys, Apolo­gie des sens

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18/03/2018

Le culte tribal de l'activité sociale

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« Avoir besoin de con­nais­sances, c’est avouer ouverte­ment l’absence en soi du vrai bon­heur – avouer le tarisse­ment de sa vie intérieure. Tout indi­vidu véri­ta­ble­ment heureux vit dans un univers imag­i­naire per­son­nel – ou plutôt un univers imag­i­naire créé par sa dou­ble nature pro­pre et celle de son parte­naire, sous les aus­pices de la nature dou­ble de la Cause Première.

La plus grande illu­sion du monde naît du culte tribal de l’activité sociale, qui remonte aux hordes de chas­seurs et de guer­ri­ers des temps préhis­toriques. Le seul résul­tat béné­fique de la mécan­i­sa­tion du monde mod­erne, c’est d’avoir libéré l’individu de cette bar­barie trib­ale qui con­siste à accorder aux tâches effec­tuées pour la tribu plus d’importance qu’elles n’en ont en réal­ité. Il faut bien que ces tâches s’accomplissent; il faut bien quelqu’un pour les faire; il est vil et mesquin de s’y sous­traire. Mais de là à les pren­dre au sérieux, jusqu’à y voir le but même de l’existence, il y a loin ! »

John Cow­per Powys, Apolo­gie des sens

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17/03/2018

La figure intemporelle de l’insoumis

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« "Le Travailleur" est publié dans le contexte, où, depuis les élections de 1930, l’accession au pouvoir des nationaux-socialistes semble inéluctable. Or, c’est justement dans cette période que Jünger et la plupart des représentants les plus en vue de la droite révolutionnaire vont accentuer leurs distances, tout en exprimant leurs propres vues, qui sont tout sauf modérées.

Les premières pages du Travailleur constituent l’un des plus violents réquisitoires jamais dirigés contre le monde bourgeois, dont l’Allemagne, selon Jünger, a été préservée, ce qui est certainement vrai pour cette époque : "La domination du tiers-état n’a jamais pu toucher en Allemagne à ce noyau le plus intime qui détermine la richesse, la puissance et la plénitude d’une vie. Jetant un regard rétrospectif sur plus d’un siècle d’histoire allemande, nous pouvons avouer avec fierté que nous avons été de mauvais bourgeois. Il n’était pas taillé à notre mesure, ce vêtement désormais usé jusqu’à la trame, sous les lambeaux duquel apparaît déjà une nature plus sauvage et plus innocente que celle dont les accents sentimentaux avait fait très tôt trembler le rideau derrière lequel le temps dissimulait le grand spectacle de la démocratie".

[…]

Le rebelle de Jünger n’est donc pas un personnage situé historiquement. Il est, suivant la formule qu’affectionne l’essayiste, une "figure", un type intemporel qui, pour cette raison, peut être actualisé à tout moment. Rien n’est daté dans cette réflexion fouillée sur la figure intemporelle de l’insoumis qui "est résolu à la résistance et forme le dessein d’engager la lutte, fût-elle sans espoir". On a compris que "Le Traité du rebelle" n’a donc rien d’un manuel de guérilla ni d’une histoire des insoumis à travers les âges. En revanche, l’essai comporte une réflexion nouvelle et profonde sur le nihilisme contemporain. Prenant tout le recul possible, l’écrivain embrasse d’un seul regard l’effondrement spirituel de l’homme "occidental" en proie à la domination économique et technique de la seconde moitié du siècle : "Spirituellement et moralement arriéré, bien qu’il ne soit pas dépourvu de lieux communs spécieux, il sera dispos, dénigreur par instinct des types et des idées nobles, attentif à ses avantages, épris de sécurité, docile aux propagandes, enflé de théories philanthropiques, mais tout aussi enclin à recourir à la contrainte pour peu que ses proches et ses voisins ne se plient pas à son systèmes". Ce portrait conservera longtemps sa vérité. »

Dominique Venner, Ernst Jünger, un autre destin européen

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Des pédérastes

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« — Non, ce n'est pas votre faute. Si c'était seulement votre faute, crois-tu que je te parlerais de certaines choses ? C'est toujours la même histoire, après une guerre. Les jeunes réagissent contre l'héroïsme, contre la rhétorique du sacrifice, de la mort héroïque, et ils réagissent toujours de la même façon. Par dégoût de l'héroïsme, des nobles idéaux, des idéaux héroïques, sais-tu ce que font les jeunes comme toi ? Ils choisissent toujours la révolte la plus facile, celle de la lâcheté, de l'indifférence morale, du narcissisme. Ils se prennent pour des rebelles, des blasés, des affranchis, des nihilistes, et ils ne sont que des putains.
— Tu n'as pas le droit de nous appeler putains, s'écria Jean-Louis, les jeunes méritent qu'on les respecte. Tu n'as pas le droit de les insulter !
— Ce n'est qu'une question de mots. J'en ai connu des milliers comme toi, après l'autre guerre, qui se croyaient des dadaïstes ou des surréalistes, ce n'étaient que des putains. Tu verras, après cette guerre combien de jeunes gens se croiront communistes ! Quand les Alliés auront libéré toute l'Europe, sais-tu ce qu'ils trouveront ? Une masse de jeunes gens désabusés, corrompus, désespérés, qui joueront aux pédérastes comme ils joueraient au tennis. C'est toujours la même histoire, après une guerre. Les jeunes comme toi, par fatigue, par dégoût de l'héroïsme, sombrent presque tous dans la pédérastie. ils se mettent à faire les Narcisses et les Corydons pour se prouver à eux-mêmes qu'ils n'ont peur de rien, qu'ils se sont affranchis des préjugés et des conventions bourgeoises, qu'ils sont véritablement libres, des hommes libres, et ne se rends pas compte que c'est encore une façon de jouer aux héros. Ah ! ah ! toujours ces héros ! Et tout cela sous prétexte qu'ils sont dégoutés de l'héroïsme !
— Si tu appelles héroïsme tout ce qui s'est passé ces dernières années ! dit Jean-Louis à voix basse.
— Et comment voudrais-tu appeler cela ? Qu'est-ce que tu crois donc que c'est, l'héroïsme ?
— C'est votre lâcheté bourgeoise, l'héroïsme, dit Jean-Louis.
— Même après les révolutions prolétariennes ça se passe toujours de cette façon-là. Les jeunes comme toi se figurent que devenir pédéraste c'est une manière d'être révolutionnaire.
— Si tu veux faire allusion au trotzkisme, dit Jean-Louis, tu te trompes : nous ne sommes pas trotskistes.
— Je sais que vous n'êtes même pas trotskistes. Vous êtres de pauvres garçons qui rougissent d'être des bourgeois, et n'avez pas le courage de devenir des prolétaires. Vous croyez que devenir pédérastes est une façon comme une autre de devenir communistes.
— Assez ! cria Jean-Louis, nous ne sommes pas pédérastes, tu comprends ? Nous ne sommes pas des pédérastes !
— Il y a mille manières d'être pédéraste, dis-je, bien des fois la pédérastie n'est qu'un prétexte. Un beau prétexte, il n'y a pas à dire ! Vous trouverez certainement, un jour, quelqu'un qui inventera une théorie littéraire, ou politique, ou philosophique, pour vous justifier. Les ruffians ne manquent jamais. »

Curzio Malaparte, La peau

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11/03/2018

Des handicapées bardées de diplômes

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« Pauline Lecomte : En occident, précisément en Europe, les femmes ne sont-elles pas victimes des machistes autant que des féministes qui ont développé le même mépris abyssal pour les tâches traditionnelles du foyer ?

Dominique Venner : Les femmes en pâtissent, comme elles pâtissent d’un système éducatif qui les prépare à divers métiers entrant dans la logique production/consommation en les détournant de leurs fonctions sacrées. Il est vrai que prendre deux fois par jour un bus ou un métro bondés, et subir ensuite les avanies d’un chef de service, de collègues ou de clients revêches, est un sort épanouissant ! La transmission des savoirs élémentaires ayant été ainsi interrompue, les éditeurs en profitent pour vendre des manuels pratiques : comment éduquer son enfant, faire la cuisine, ranger la maison, enfoncer un clou, planter des roses ou des radis, apprendre à coudre une nappe ou une chemise de nuit… Les jeunes mariées et les jeunes mères ayant été souvent transformées en handicapées bardées de diplômes, c’est tout bénéfice pour le système marchand et celui de la consommation. Les femmes produisent des salaires qu’elles sont priées de dépenser illico en fringues jetables, entretenant le très rentable et inutile mécanisme du gaspillage. Mais, mais, mais… rien est aussi simple… Il en est des femmes en politique comme dans les activités et responsabilités professionnelles ou encore dans les aventures les plus fougueuses. On ne compte plus les navigatrices solitaires qui font pâlir d’envie les plus rudes marins. »

Dominique Venner, Le choc de l’histoire

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06/03/2018

La propagande française...

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« C'est vrai que je passe pour un homme violent, mais c'est parce que je déteste violemment toute violence, et d'abord la plus haïssable de toutes, celle qui, sous le nom de propagande donné à l'organisation universelle de mensonge, s'exerce aujourd'hui sur les esprits. Il y avait autrefois une pensée française. On veut maintenant qu'il n'y ait plus qu'une propagande française. Quand des millions et des millions d'hommes se demandent avec angoisse "Que pense la France ?", la propagande leur répond "La France pense un peu de tout" et elle déballe ses échantillons. La propagande intellectuelle française est ainsi devenue trop souvent quelque chose comme une exposition ambulante, une organisation publicitaire au service d'un certain nombre d'intellectuels français, avec présentation du phénomène. »

Georges Bernanos, La Liberté, pour quoi faire ?

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05/03/2018

Comme l'agneau dans la gueule du loup

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« Vous ne vous intéressez peut-être pas beaucoup au monde de demain. Mais le monde de demain s'intéresse beaucoup à vous. Vous vous dites sans doute quoi qu'il arrive, je trouverai bien le moyen d'y entrer, d'une manière ou d'une autre. Oui, sans doute. Espérons que ce ne soit pas comme l'agneau dans la gueule du loup.

Un prophète n'est vraiment prophète qu'après sa mort, et jusque-là il n'est pas un homme très fréquentable. Je ne suis pas un prophète, mais il arrive que je voie ce que les autres voient comme moi, mais ne veulent pas voir. Le monde moderne regorge aujourd'hui d'hommes d'affaires et de policiers, mais il a bien besoin d'entendre quelques voix libératrices. Une voix libre, si morose qu'elle soit, est toujours libératrice. Les voix libératrices ne sont pas les voix apaisantes, les voix rassurantes. Elles ne se contentent pas de nous inviter à attendre l'avenir comme on attend le train. L'avenir est quelque chose qui se surmonte. On ne subit pas l'avenir, on le fait. »

Georges Bernanos, La Liberté, pour quoi faire ?

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Le Singe de Dieu

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« La civilisation ne doit pas être, à présent, seulement défendue. Il lui faut créer sans cesse, car la barbarie, elle, ne cesse de détruire, et elle n'est jamais plus menaçante que lorsqu'elle fait semblant de construire à son tour. Le pire malheur du monde, à l'heure où je parle, est qu'il n'a jamais été plus difficile de distinguer entre les constructeurs et les destructeurs, car jamais la barbarie n'a disposé de moyens si puissants pour abuser des déceptions et des espoirs d'une humanité ensanglantée, qui doute d'elle-même et de son avenir. Jamais le Mal n'a eu d'occasion meilleure de feindre accomplir les oeuvres du Bien. Jamais le Diable n'a mieux mérité le nom que lui donnait déjà saint Jérôme, celui de Singe de Dieu. »

Georges Bernanos, La Liberté, pour quoi faire ?

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Les fous furieux...

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« Et je les ai suivis en traînant les pieds comme je l'ai toujours fait quand les gens m'intéressent parce que les seuls qui m'intéressent sont les fous furieux, ceux qui ont la fureur de vivre, la fureur de dire, ceux qui veulent tout en même temps, ceux qui ne baillent jamais et ne profèrent jamais de banalités, mais qui brûlent, brûlent, brûlent comme des chandelles romaines dans la nuit. »

Jack Kerouac, Sur la route

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