15/08/2015
Exigeants héros qui invitent au dépassement de soi
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« [La] mythologie [de la France] est la mienne, et j'aime qu’au contraire des anciens Grecs qui peuplaient la leur de dieux mesquins et fourbes à l'image des hommes, elle soit habitée par d'exigeants héros qui invitent au dépassement de soi : sainte jeune fille en armes délivrant la patrie, saint roi mourant au retour de la Croisade, mécènes princiers accumulant sur leur tête une splendeur qu'ils lèguent à la nation, poètes maudits, Chouans fous de Dieu et d'Honneur, chevaliers sans reproches, ermites émaciés aux visages brûlés par les vents de sable, savants innocents qui se laissent dépouiller de leurs inventions, aristocrates, musiciens, peintres, sculpteurs, architectes qui ont le mieux compris leur temps, marins ivres d'espace, penseurs qui ont traité la métaphysique noblement, d'égal à égal, sans lui faire d’horribles enfants comme les philosophes allemands. »
Michel Déon, Bagages pour Vancouver
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13/08/2015
Dans l’enceinte sacrée d’Aphrodite
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« La plus honteuse des lois de Babylone est celle qui oblige toutes les femmes du pays à se rendre une fois dans leur vie au temple d’Aphrodite pour s’y livrer à un inconnu. Beaucoup d’entre elles, fières de leur richesse, refusent de se mêler aux autres femmes et se font conduire au temple dans des voitures couvertes où elles demeurent, avec de nombreux serviteurs autour d’elles. Mais en général cela se passe ainsi : les femmes sont assises dans l’enceinte sacrée d’Aphrodite, la tête ceinte d’une corde, toujours nombreuses, car si les unes se retirent, il en vient d’autres. Des allées tracées en tous sens par des cordes tendues permettent aux visiteurs de circuler au milieu d’elles et de faire leur choix. La femme qui s’est assise en ce lieu ne peut retourner chez elle avant qu’un des passants n’ait jeté quelque argent sur ses genoux, pour avoir commerce avec elle en dehors du temple. Il doit, en lui jetant l’argent, prononcer uniquement la formule : « J’invoque la déesse Mylitta » (Mylitta est le nom assyrien d’Aphrodite). Quelle que soit la somme offerte, la femme ne refuse jamais : elle n’en a pas le droit, et cet argent est sacré. Elle suit le premier qui lui jette de l’argent et ne peut repousser personne. Mais, ceci fait, libérée de son devoir envers la déesse, elle retourne chez elle et, par la suite, on ne saurait lui offrir assez d’argent pour la séduire. Celles qui sont belles et bien faites sont vite de retour chez elles, les laides attendent longtemps sans pouvoir satisfaire à la loi ; certaines restent dans le temple pendant trois ou quatre ans. »
Hérodote, L’Enquête, I, 196
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04/08/2015
Une âme habituée
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« Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée. C’est d’avoir une pensée toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise âme et même de se faire une mauvaise âme. C’est d’avoir une âme toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme même perverse. C’est d’avoir une âme habituée. »
Charles Péguy, Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne
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Pierre Porcon de la Bardinais
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« En 1665, un capitaine corsaire fut chargé par les armateurs malouins de protéger leurs navires des attaques barbaresques. Ayant été capturé, il se vit offrir par le dey d’Alger d’aller porter à Louis XIV des propositions de paix. La vie d’une centaine d’esclaves français cautionnait sa démarche et l’obligation de revenir reprendre ses chaînes en cas d’insuccès. Il alla à Versailles. L’offre du dey ayant été rejetée, il passa par Saint-Malo, mit ses affaires en ordre et fit ses adieux à sa famille. Puis il retourna en Afrique. Le dey le fit exécuter, attaché à la gueule d’un canon. Il s’appelait Pierre Porcon de la Bardinais. Son nom est oublié. »
Dominique Venner, Histoire et tradition des Européens
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Mûr pour l’isolement
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« Tel qu’un ermite, il était mûr pour l’isolement, harassé de la vie, n’attendant plus rien d’elle ; tel qu’un moine aussi, il était accablé d’une lassitude immense, d’un besoin de recueillement, d’un désir de ne plus avoir rien de commun avec les profanes qui étaient, pour lui, les utilitaires et les imbéciles. »
Joris-Karl Huysmans, A rebours
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Tout esprit critique, toute pensée personnelle sont détruits
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« Par une propagande permanente à sens unique, à laquelle chacun est soumis dès l’enfance, le régime, sous ses multiples aspects, a progressivement intoxiqué les Français. Toutes les nations à direction démocratique en sont là. Tout esprit critique, toute pensée personnelle sont détruits. Il suffit que soient prononcés les mots-clefs pour déclencher le réflexe conditionné prévu et supprimer tout raisonnement. »
Dominique Venner, Pour une critique positive
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03/08/2015
En broutant de l’herbe
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« Il a fallu les chambardements du XXe siècle pour qu’on écoute quelques toquées assurant qu’on ne naît pas femme, mais qu’on le devient. Sans doute pensaient-elles aussi qu’on ne naît pas cerf ou biche mais qu’on le devient en broutant de l’herbe... »
Dominique Venner, Le Choc de l’Histoire
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31/07/2015
Une petite partie bien déterminée du vaste monde inerte
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« Mon cousin semblait parfois ployer sous un poids énorme qui menaçait de le terrasser, et il lui fallait fuir, peut-être la canicule et l’incessante frénésie estivale, peut-être la migraine, le souvenir de nuits sordides ou quelque chose de plus sombre dont j’ignorais la nature. Il m’emmenait alors en montagne boire un café sur la terrasse d’un gîte d’étape, dans un ancien village de transhumance que traversait un sentier de randonnée. Nous y passions un moment, dans la fraîcheur des fougères, à l’ombre de grands pins. Mais son humeur restait maussade. Il ne m’adressait pas la parole. Nous reprenions sa voiture pour retourner en ville et soudain, sans que rien le laissât prévoir, au détour d’un virage, apparaissait la mer. Nous dominions le paysage, comme si nous étions suspendus dans l’air limpide, au-dessus de la route en lacets dévalant à pic à travers la forêt vers le golfe éblouissant qui s’étendait mille mètres en contrebas. Mon cousin ouvrait de grands yeux sur ce panorama qu’il connaissait depuis son enfance mais semblait découvrir à chaque fois comme si c’était la première. Il faisait une grimace incrédule, se mettait à sourire et me donnait des petits coups de poing sur la cuisse en disant, putain ! quand même, hein ? incapable d’exprimer avec davantage de clarté le sentiment qui le bouleversait et lui rendait aussi instantanément le goût de vivre, dans lequel il n’était pas difficile de reconnaître une curieuse forme d’amour qui aurait pris pour objet, non un autre être humain, mais une petite partie bien déterminée du vaste monde inerte, et dont, quoique je sois moi-même incapable de le ressentir, je devais cependant admettre l’incomparable puissance. »
Jérôme Ferrari, Le principe
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C’était son propre de ne pas savoir choisir
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« Déjà il se sentait pris par l’envie de retourner en arrière. C’était son propre de ne pas savoir choisir. Il avait toujours un geste de retard et un désir d’avance. Il ne pouvait pas compter sur soi. Son corps ne le suivait pas. De l’âme, il en avait à revendre ; vendre son âme, l’âme de Buridan... »
Antoine Blondin, L’Europe Buissonnière
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La Cynthia que avez fait naître de la mort même, avec la violence d’un accoucheur
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« Ma nouvelle existence, celle qui me donne le bonheur de respirer dans cette chambre, de voir ce soleil rose et votre visage près du mien, c’est vous qui me l’avez donnée. La Cynthia que avez fait naître de la mort même, avec la violence d’un accoucheur, peut-être n’est-elle pas aussi belle, ni aussi désirable que celle que vous avez rencontrée à Rome, un soir, mais tant pis pour vous. Une femme, je m’en rends compte maintenant, naît deux fois. L’homme qui la révèle à elle-même, par une preuve d’amour irrécusable, est le seul qui prenne la place de son père. Et c’est pour cela qu’il est aussi le seul auquel elle puisse obéir sans discuter. »
André Fraigneau, L’amour Vagabond
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30/07/2015
On souffre tant de l’absence de ce qu’on désire
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« Il me fallut rentrer dans ma chambre. Françoise m’y suivit. Elle trouvait, comme j’étais revenu de ma soirée, qu’il était inutile que que je gardasse la rose que j’avais à la boutonnière et vint pour me l’enlever. Son geste, en me rappelant qu’Albertine pouvait ne pas venir, et en m’obligeant aussi à confesser que je désirais être élégant pour elle, me causa une irritation qui fut redoublée du fait qu’en me dégageant violemment, je froissais la fleur et que Françoise me dit : "Il aurait mieux valu me la laisser ôter plutôt que non pas la gâter ainsi."
Dans l’attente, on souffre tant de l’absence de ce qu’on désire qu’on ne peut supporter une autre présence. »
Marcel Proust, La recherche du temps perdu vol. 4 – Sodome et Gomorrhe
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Amour régna sur mon âme
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« Dès lors je dis qu'Amour régna sur mon âme ; et celle-ci fut si tôt réduite à sa dévotion, et il commença à prendre sur moi tant d'assurance et tant d'empire, par la vertu que lui donnait mon imagination, qu'il me fallait faire complètement son bon plaisir. »
« Voyez combien pour cette dame le malheureux se consume en tout son être. »
Henry David Thoreau, Vita nova
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Une vie de tranquille désespoir
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« Qu'il est vain de s'asseoir pour écrire quand on ne s'est pas levé pour vivre. »
« Il n'est d'autre remède à l'amour que d'aimer davantage. »
« La majorité des hommes mènent une vie de tranquille désespoir. »
« L'amour est un critique sévère. La haine peut pardonner davantage que l'amour. Ceux qui aspirent à aimer ne font ni plus ni moins que se soumettre à une épreuve plus rude que n'importe quelle autre. »
« Les étoiles sont lointaines et discrètes, mais brillantes et impérissables, tout comme nos plus belles et nos plus mémorables expériences. »
Henry David Thoreau, La moelle de la vie
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La solitude
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« J'aime être seul. Je n'ai jamais trouvé de compagnon qui fût d'une société aussi agréable que la solitude. Pour la plupart, nous sommes plus seuls quand nous sortons parmi les hommes que quand nous restons dans notre chambre. Un homme qui pense ou travaille est toujours seul, où qu'il soit. On ne mesure pas la solitude en nombre de miles qui séparent un homme de ses semblables. »
Henry David Thoreau, La moelle de la vie
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29/07/2015
En rupture de ban
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« A mon rêve [...] avait succédé un rêve de claustration libre, de solitude champêtre. Il me semblait que j’avais [...] le cœur mort avant d’avoir vécu, et qu’ayant si bien découvert, par les yeux de Rousseau, de La Bruyère, de Molière même, dont le Misanthrope était devenu mon code, par les yeux enfin de tous ceux qui ont vécu, senti, pensé et écrit, la perversité et la sottise des hommes, je ne pourrais jamais en aimer un seul avec enthousiasme, à moins qu’il ne fût, comme moi, une espèce de sauvage, en rupture de ban avec cette société fausse et ce monde fourvoyé. »
George Sand, Histoire de ma vie
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Les hommes ont autant peur de l'amour que de la haine
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« Il doit être difficile, en effet, de rencontrer celle avec qui nous sommes idéalement prêts à nous unir, autant qu'il doit être difficile pour elle de nous rencontrer. Nous ne devrions faire montre d'aucune réserve, nous devrions nous donner entièrement à cette compagnie, nous ne devrions avoir d'autre obligation que celle-ci, la seule susceptible d'être aussi merveilleusement amplifiée chaque jour. Je ferai émerger mon amie de la partie inférieure de son être pour la mettre plus haut, infiniment plus haut, et une fois là, la connaître vraiment. Mais d'ordinaire, les hommes ont autant peur de l'amour que de la haine. Ils ont des engagements plus médiocres, des objectifs immédiats à atteindre. Ils n'ont pas assez d'imagination pour le consacrer à un être humain, mais en revanche, ils doivent réparer un tonneau, que diable ! »
Henry David Thoreau, Je suis simplement ce que je suis
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16/07/2015
Cette petite hésitation du destin, ce tremblement d’aiguille
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« — Oui, on ne peut qu’être saisi à l’idée de cette légère entaille par où passe la pointe du destin, de ce moment où ce qu’on appelle le fléau de la balance commence à pencher. Les hommes que l’on juge en ce moment, j’imagine qu’ils ont dû commencer à ressentir, assez horriblement, ce frisson-là, au cour d’un certain été, — et d’autant plus horriblement qu’il leur fallait supporter autour d’eux l’allégresse, le renouveau d’espoir de tout un peuple. c’est à partir de ce moment qu’on a pu faire la somme de leur courage. comme chaque date, comme chaque évènement résonnait au fond d’eux : le débarquement en Sicile, l’effondrement de l’Italie, Stalingrad !...
— Vous vous intéressez beaucoup à la psychologie... insinua Irène.
— Un siècle après, cela devient poésie. Je pense à ce moment précis où la "chance" tourne, où l’aiguillon commence à chatouiller la peau de ceux qui jusque-là l’avaient regardé s’enfoncer dans la peau des autres. Cela a la précision, la fatalité d’un mécanisme d’horlogerie. Rien de moins fatal, bien entendu. Je nous revois encore, Hersent et moi, écoutant l’étonnante scène de Richard III où... Ce partage entre les bons et les méchants, enfin reconnus pour ce qu’ils sont, cette alternance des voix : Vivez et fleurissez... Désespère et meurs... Oh, ce Despair and die ! Si vous aviez entendu cela comme nous !... Mais laissons le théâtre ; que cherchions nous ? La ligne de clivage entre l’ambition et la candeur. Supposons que l’homme ait réussi : le voici puissant, assis dans quelque ministère, à sa table d’acajou bordée de cuivre, devant l’inévitable vase de Sèvres qui trône au milieu de la cheminée et deux ou trois choses sur sa table, destines à impressionner, ou bien le vide complet et un tout petit bloc-notes sur lequel il laisse tomber de temps à autre un signe distrait. Il reçoit, éconduit, fait attendre, décide, change le monde, envoie d’autres hommes en prison, ou au gibet. Mais il y a eu cette petite hésitation du destin, ce tremblement d’aiguille. Le destin a tourné. L’homme n’y pouvait plus rien, dès l’instant où il avait choisi. En une nuit, il est devenu un traitre. On va le prendre, lui lier les mains, l’attacher à un poteau, fixer un bandeau sur ses yeux, — tandis qu’il pense aux petites photos d’amateur qu’il a glissées dans la poche de sa veste : tout ce qui lui reste d’une vie. »
Paul Gadenne, La Plage de Scheveningen
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Tout perdre, ou tout gagner...
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« — Ce qui caractérise notre temps, reprit Hersent, et notre combat, c’est précisément cette croyance au bien ou au mal; c’est que, quoi que nous fassions, nous nous rangeons forcément dans un camp…...
— Alors, tout le bien d’un côté et tout le mal de l’autre ? dit Arnoult. C’est ce que tu crois ?
— Il y a un choix qu’on n’élude pas, répliqua Hersent. Nos petits soldats de plomb, comme tu dis, dont voici les tombes, n’avaient pas à se poser la question. Le problème n’existait pas pour eux. Pour nous il est clair et il devient même banal de dire que nous sommes entrés dans le temps des guerres de religion, et tout homme est marqué d’un signe, d’après lequel il doit vivre ou périr. Il faut choisir ce signe, et tout homme sera jugé non d’après les vertus qu’il aura déployées dans son action, mais d’après le signe qu’il aura choisi.
— Alors, comme ceux-ci ont été heureux !
— Moins que nous ! Réfléchis. C’est vraiment aujourd’hui qu’on se bat pour quelque chose. Pas seulement pour prendre ou garder la terre, tu comprends, mais pour l’organiser.
— Du moins n’était-on pas déshonoré alors par le fait de mourir d’un coté plutôt que de l’autre.
— Le déshonneur, mais voyons, c’est le plus beau risque ! Tout perdre, ou tout gagner. Ce qui sera impossible désormais, ce sera de rester dans l’entre-deux, tu comprends. Ce qui est en train de mourir, mon petit, c’est la neutralité. Un homme qui reste neutre, c’est un homme qui pourrit. Jamais aucun feu ne brûlera en son souvenir. »
Paul Gadenne, La Plage de Scheveningen
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Les premières minutes d’une rencontre
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« On m’avait assez dit, avant, que nous ne vivions pas pour quelques minutes exceptionnelles : mes rapports toujours incomplets, toujours fulgurants, avec les êtres, m’avaient persuadé du contraire, et je savais qu’il faut édifier sa vie sur des éclairs. On m’avait dit que les êtres changent, qu’une année, que dix années les changent, les marquent, les creusent, qu’on ne retrouve jamais ceux qu’on a quittés, — mais j’avais retrouvé Stéphane enfoncé dans ses habitudes et ses cache-nez, José dans son éternel pardessus, et Irène non pas avancée dans l’épaisse matière des années, mais reculée, rajeunie, libérée : et j’avais eu tout à coup l’impression, en la conduisant à travers ce bois, vers la grande bâtisse qu’on m’avait signalée à la lisière, de vivre les premières minutes d’une rencontre. »
Paul Gadenne, La Plage de Scheveningen
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Il n'y a rien qui ressemble à un serment de fidélité multiple
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« La civilisation n'a pas le moindre besoin de noblesse ou d'héroïsme. Ces choses-là sont des symptômes d'incapacité politique. Dans une société convenablement organisée comme la nôtre, personne n'a l'occasion d'être noble ou héroïque. Il faut que les conditions deviennent foncièrement instables avant qu'une telle occasion puisse se présenter. Là où il y a des guerres, là où il y a des serments de fidélité multiples et divisés, là où il y a des tentations auxquelles on doit résister, des objets d'amour pour lesquels il faut combattre ou qu'il faut défendre, là, manifestement, la noblesse et l'héroïsme ont un sens. Mais il n'y a pas de guerres, de nos jours. On prend le plus grand soin de vous empêcher d'aimer exagérément qui que ce soit. Il n'y a rien qui ressemble à un serment de fidélité multiple ; vous êtes conditionné de telle sorte que vous ne pouvez vous empêcher de faire ce que vous avez à faire. Et ce que vous avez à faire est, dans l'ensemble, si agréable, on laisse leur libre jeu à un si grand nombre de vos impulsions naturelles, qu'il n'y a véritablement pas de tentations auxquelles il faille résister. Et si jamais, par quelque malchance, il se produisait d'une façon ou d'une autre quelque chose de désagréable, eh bien, il y a toujours le soma qui vous permet de prendre un congé, de vous évader de la réalité. Et il y a toujours le soma pour calmer votre colère, pour vous réconcilier avec vos ennemis, pour vous rendre patient et vous aider à supporter les ennuis. Autrefois, on ne pouvait accomplir ces choses-là qu'en faisant un gros effort et après des années d'entraînement moral pénible. A présent, on avale deux ou trois comprimés d'un demi-gramme, et voilà. Tout le monde peut être vertueux, à présent. On peut porter sur soi, en flacon, au moins la moitié de sa moralité. Le christianisme sans larmes, voilà ce qu'est le soma. »
Aldous Huxley, Le Meilleur des mondes
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Une nouvelle forme de totalitarisme non violent
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« [...] par le moyen de méthodes toujours plus efficaces de manipulation mentale, les démocraties changeront de nature. Les vieilles formes pittoresques - élections, parlements, hautes cours de justice - demeureront mais la substance sous-jacente sera une nouvelle forme de totalitarisme non violent.
Toutes les appellations traditionnelles, tous les slogans consacrés resteront exactement ce qu’ils étaient au bon vieux temps, la démocratie et la liberté seront les thèmes de toutes les émissions radiodiffusées et de tous les éditoriaux mais […] l’oligarchie au pouvoir et son élite hautement qualifiée de soldats, de policiers, de fabricants de pensée, de manipulateurs mentaux mènera tout et tout le monde comme bon lui semblera. »
Aldous Huxley, Retour au meilleur des mondes - 1959
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14/07/2015
Le Grand Secret de l'Islam
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Fichier PDF à lire de bout en bout... et à faire circuler intensément autour de vous...
LE GRAND SECRET DE L'ISLAM.PDF
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Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir : Bianca, leur jouet sexuel
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D'Albert Camus Sartre avait dit : "Tout anti-communiste est un chien !" Ben voyons ! Et bien il apparaît que Sartre, cet apôtre de la justice et de la dignité etait un porc et Beauvoir, cette prêtresse de la libération féminine, ne valait pas mieux. Voila, voila...
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« A 16 ans, Bianca devient l'amante de Beauvoir puis celle de Sartre. Un trio amoureux qui rejouera Les liaisons dangereuses à Saint-Germain-des-Prés
Il y a du Choderlos de Laclos dans cette histoire. Quand, cinquante ans après les faits, Bianca Lamblin relate dans ses "Mémoires d’une jeune fille dérangée" (Balland, 1993) son épisode amoureux flamboyant avec Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, c’est dans le vitriol qu’elle trempe sa plume. Elle vient de découvrir dans les "Lettres à Sartre" et le "Journal de Guerre" de Simone de Beauvoir, publiés quatre ans après la mort de cette dernière, le jeu ambigu qu’a mené le Castor avec la toute jeune fille qu’elle était alors. Et soudain c’est l’effondrement. Jamais elle n’aurait cru déceler une madame de Merteuil manipulatrice dans cette femme qu’elle a aimée au-delà de tout pendant un demi-siècle. Et pourtant...
L’histoire avait commencé dans l’effervescence, en 1937, lors de la rentrée scolaire au lycée Molière, à Paris, où Simone de Beauvoir venait d’être nommée professeur de philosophie. La parole rauque et rapide, le débit torrentiel, la nouvelle prof conquiert aussitôt ses élèves. "Tout en elle respirait l’énergie. L’intelligence de son regard d’un bleu lumineux nous frappa dès le début", écrit Bianca, qui porte alors son nom de jeune fille, Bienenfeld. "A seize ans, on est facilement ébloui", ajoute-t-elle. Issue d’une famille juive polonaise qui a connu bien des tribulations, l’adolescente sort à peine d’une enfance ballotée. Jolie, coquette, passionnée, elle est subjuguée par l’assurance de cette intellectuelle de vingt-neuf ans qui ne se sert d’aucune note, par le caractère éclatant, incisif, audacieux de ses jugements, son mépris cinglant pour les élèves peu douées. La future prêtresse du féminisme prône des idées neuves qui la troublent profondément: la liberté de la femme, son indépendance financière, le refus de son assujettissement par le mariage et la maternité. La jeune Bianca s’emballe, s’identifie à son modèle, au point de lui emprunter ses tics de langage et de vouloir devenir, comme elle, agrégée de philosophie.
Au mois de mars, elle ose lui écrire son admiration. Très vite, elle reçoit en retour un pneumatique. Simone de Beauvoir lui donne rendez-vous dans un café de la rue de Rennes. La rencontre est chaleureuse, au point que le mentor propose à son élève de la voir en privé. C’est peu de dire qu’elle court: désormais Bianca vole, tous les dimanches, retrouver le Castor dans son minable hôtel de la rue Cels et les voilà parties pour des virées dans Paris, aux puces, à Montmartre, dans les parcs autour de la capitale. Leurs confidences se font de plus en plus tendres, de plus en plus intimes. Le bachot passé, elles font, sac au dos, une randonnée dans le Morvan pendant laquelle elles deviennent amantes, dans des auberges de fortune. Simone de Beauvoir a raconté à Bianca son âpre combat pour vaincre les préjugés de son milieu bourgeois et faire des études supérieures, et aussi sa rencontre décisive à la Sorbonne, pendant la préparation de l’agrégation, avec un groupe de normaliens. "Celui qui était le plus laid, le plus sale, mais aussi le plus gentil et suprêmement intelligent, c’était Sartre", lui confie le Castor. "Je sus immédiatement qu’il était l’amour de sa vie", écrit Bianca. Arrivés respectivement premier et seconde à l’agrégation, les deux brillants agrégés, devenus amants, se sont reconnu la même ambition dévorante, se sont juré de s’épauler mutuellement pour construire leur œuvre. Mais au prix d’un pacte qui, à l’époque, fera bien des émules dans le petit monde existentialiste de Saint-Germain-des-Prés. "Pas de mariage, surtout pas de mariage. Pas d’enfants, c’est trop absorbant. Vivre chacun de son côté, avoir des aventures ; leur seule promesse était de tout se raconter, de ne jamais se mentir. En résumé, une liberté totale dans une transparence parfaite. Programme ambitieux!"
En fait, quand Sartre a proposé ce pacte à Simone de Beauvoir sur un banc du jardin du Luxembourg, il ne lui a pas vraiment laissé le choix. "Entre nous, lui a-t-il dit, il s’agit d’un amour nécessaire : il convient que nous connaissions des amours contingentes." C’est que le petit homme sale et laid, qui a su conquérir la bourgeoise repentie, est un vrai séducteur qui n’a pas vocation à la monogamie ! Du haut de son mètre cinquante-sept, rondouillard, affligé de strabisme, les dents gâtées par le tabac, le teint brouillé par l’alcool et le n’importe quoi de son hygiène de vie, Sartre collectionne avec entrain les jolies femmes. Et n’entend pas renoncer à cette plaisante diversité! Pour compenser sa laideur, il dispose d’atouts convaincants: son image d’intellectuel prestigieux, la drôlerie de sa conversation, sa voix bien timbrée qui s’y entend en discours amoureux. Lui-même se dit doué "pour baratiner les femmes " et leur compagnie le divertit bien plus que celle des hommes avec lesquels il "s’ennuie crasseusement". Il lui arrivera d’avoir sept maîtresses à la fois, chacune ignorant tout des autres, alors qu’il leur ment copieusement, leur promettant le mariage, selon un "code moral temporaire", comme il le confiera à son secrétaire, Jean Cau. Pour le Castor, c’était à prendre ou à laisser. Mais, dans le contexte de machisme de l’époque, l’arrangement qui la met sur un pied d’égalité avec Sartre passait quand même pour révolutionnaire.
Portée par ses dix-sept ans encore pleins d’enthousiasme, voilà donc l’ardente Bianca promue "amour contingente" de Beauvoir. Elle apprend vite pourtant qu’elle n’est pas la première. Son professeur, décidément sensible au charme féminin (un lesbianisme qu’elle se gardera bien de revendiquer dans ses livres), a déjà vécu une "amitié socratique" avec l’une de ses élèves russes, Olga Kosakiewicz, une fille fantasque et désinvolte qui a beaucoup troublé Sartre. Econduit par la jeune personne, il s’est consolé avec sa sœur, Wanda, devenue sa maîtresse. Tout cela sent le libertinage à plein nez et devrait pousser Bianca à la prudence. Mais la jeune juive n’a pas l’esprit libertin. Imprégnée, comme toute sa génération, par les amours tragiques de Tristan et Yseult – son roman culte qui, dit-elle, a "aggravé sa propension à la sentimentalité " –, elle s’attache avec exaltation. Et ne flaire pas le danger le jour où, devenue étudiante à la Sorbonne, Beauvoir lui conseille d’aller consulter Sartre sur un point de philosophie. On devine la suite : la cour assidue que lui fait l’écrivain pendant des mois avec la bénédiction complaisante de Beauvoir, les rendez-vous dans des cafés, ses lettres enflammées: "Ma petite Polak, mon amour", jusqu’au jour où flattée par tant d’attentions, Bianca accepte de consommer. On ne fera pas plus mufle que Sartre au moment où ils marchent vers l’hôtel: "La femme de chambre va être bien étonnée, lui dit-il d’un ton amusé et fat, car hier j’ai déjà pris la virginité d’une jeune fille." Médusée, Bianca en restera coite. "En règle générale, j’ai la repartie vive. Mais là, justement parce que l’offense était grave, la vulgarité patente, je me tus." La suite est du même tabac. "Je sentais bien qu’il était incapable de se laisser aller physiquement, de s’abandonner à une émotion sensuelle." Crispée, glacée comme par les préparatifs d’un acte chirurgical, Bianca ne se laissera faire que les jours suivants "mais la frigidité était bien établie et persista durant tous nos rapports." C’est qu’en dépit de sa boulimie sexuelle, Sartre était un piètre amant ("j’étais plus un masturbateur de femmes qu’un coïteur", reconnaîtra-t-il). Ce qui ne faisait pas l’affaire de Simone de Beauvoir, laquelle avait beaucoup de tempérament. En 1939, il ne couchaient déjà plus ensemble. Mais pour ne pas perdre son indéfectible compagnon, le Castor maintenait avec lui un lien sexuel par procuration. "Simone de Beauvoir puisait dans ses classes de jeunes filles une chair fraîche à laquelle elle goûtait avant de la refiler, ou faut-il dire plus grossièrement encore, de la rabattre sur Sartre", écrira rageusement Bianca, à soixante-dix ans passés, les yeux enfin dessillés. Un jeu dangereux, car Sartre – il le prouvera par la suite – était susceptible de tomber follement amoureux. Et Beauvoir, inquiète et jalouse, menait alors un vrai travail de sape, assez pervers, pour éliminer sa potentielle rivale. A-t-elle perçu ce danger avec Bianca? Dans les lettres qu’elle envoie alors à Sartre, en tout cas, elle se gausse du "pathétique" de la jeune fille qu’elle a baptisée du pseudo de Louise Védrine, elle raille ses badinages et son caractère ombrageux, raconte complaisamment comme elle se rit d’elle au Café de Flore avec Olga, en son absence. "Je vais encore vous couler Védrine..."
Elle entraîne aussi l’écrivain dans des imbroglios minables, de constants mensonges, pour mieux cacher à Bianca son début d’idylle avec Jacques-Laurent Bost, un de ses jeunes collaborateurs à la revue "Les Temps Modernes". Pleine de candeur, la jeune fille ne devine rien de cette duplicité. Elle aime, elle se croit aimée des deux écrivains, elle imagine leur trio singulier plein d’avenir, gravé dans le marbre. Sentant venir la guerre, pressentant ce qu’il lui en coûtera d’être juive, elle a un besoin vital de cette sécurité affective. Malgré leurs moments d’abandon, Beauvoir a parfois des sautes d’humeur, des exaspérations qu’elle s’explique mal. Mais alors, Sartre, qui a rejoint l’armée, s’emploie dans ses missives à rassurer "sa petite Polak" : "Mon amour, il est une chose que je sais bien, en tout cas, c’est que le Castor vit dans un monde où tu es partout présente à la fois." Quand en février 1940, Bianca reçoit soudain une lettre de rupture du philosophe, c’est la stupeur. Beauvoir écrira en douce à Sartre: "Je ne vous reproche que d’avoir exécuté Védrine un peu trop à la grosse... mais c’est sans importance !" La révélation de la liaison de Beauvoir avec "le petit Bost" achèvera Bianca, qui se retrouve alors complètement larguée tandis qu’elle passe en zone libre. Blessée par ce double et cruel abandon, elle épousera Bernard Lamblin, un ancien élève de Sartre, et s’emploiera à échapper à la Gestapo (son grand-père et sa tante, la mère de Georges Perec, mourront en déportation). Elle finira par soutenir la Résistance avec son mari dans le Vercors mais dans un état de grave dépression, une sorte de psychose maniaco-dépressive. Un état qui va frapper Beauvoir quand les deux femmes se reverront après la guerre. "Je suis secouée à cause de Louise Védrine", écrit-elle à Sartre. Elle m’a remuée et pétrie de remords parce qu’elle est dans une terrible et profonde crise de neurasthénie – et que c’est notre faute, je crois, c’est le contrecoup très détourné mais profond de notre histoire avec elle. Elle est la seule personne à qui nous ayons vraiment fait du mal, mais nous lui en avons fait... Elle pleure sans cesse... elle est terriblement malheureuse." Touchée par cette détresse, le Castor proposera à Bianca de renouer leur amitié, sur un plan strictement intellectuel cette fois. Et les deux femmes, pendant quarante ans, se rencontreront tous les mois, jusqu’à la mort de Beauvoir en 1986, en partageant leurs engagements politiques, dans un esprit de totale confiance pour Bianca.
En 1990, quand paraissent "Les Lettres à Sartre", publiées par Sylvie Lebon, la fille adoptive de Beauvoir, c’est pourtant le coup de grâce. "Leur contenu m’a révélé sous un tout autre visage celle que j’avais aimée toute ma vie et qui m’avait constamment abusée. J’y lisais le dépit, la jalousie, la mesquinerie, l’hypocrisie, la vulgarité. Que Sartre m’ait sacrifiée à sa quête perpétuelle et vaine de séduction, soit. Mais que Simone de Beauvoir serve de pourvoyeuse à son compagnon est plus étonnant. Que dire d’un écrivain engagé comme elle dans la lutte pour la dignité de la femme et qui trompa et manipula, sa vie durant, une autre femme ?", explique-t-elle. Contrainte d’exposer sa vérité, pour faire face à l’humiliation publique de ces Lettres scandaleuses, Bianca Lamblin portera à son tour un coup fatal à la légende du couple royal de l’existentialisme. En concluant ainsi ses Mémoires : "Sartre et Simone de Beauvoir ne m’ont fait finalement que du mal." »
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12/07/2015
Fanny
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« Je cherche un exemple, et je le trouve vite : Fanny. Je la connais depuis trois ans, elle est ma récusation radicale et constante. Mystère de l’amour : je l’aime, et elle aime me contredire à chaque instant. Oh, en douceur, bien sûr, pas, ou peu, de grandes scènes violentes. C’est l’eau, la puissance de l’eau sur la pierre que je suis. Évites tout de suite les clichés psychanalytiques : je ne me plains pas, j’étudie. Elle se recharge en s’opposant, et c’est moi qui, tout à coup, devient l’eau et elle la pierre. C’est très intéressant et très amusant. L’immémorial problème homme/femme, guerre des sexes, le soleil noir de la matière noire. Je travaille au noir, c’est cher, mais splendidement gratuit.
J’apprends à ne pas être d’un seul côté, mais aussi de l’autre. J’appelle « Fanny » la partenaire de cette liaison expérimentale, mais en réalité elle n’est personne en particulier, c’est un condensé de rencontres. Je ne suis pas de mon temps, je ne fais pas de portraits sociaux.
Que Fanny soit grande, moyenne, petite, blonde, brune, châtain, que ses yeux soient bleus ou bruns, qu’elle ait 22 ans, 32 ans, 42 ans, 52 ans, qu’elle soit jolie ou non, cultivée ou pas, intelligente ou idiote, qu’elle occupe une situation haut placée ou en bas de l’échelle, peu importe. C’est son opposition génétique à mon égard qui compte. "Fanny" pourrait être aussi un grand nombre de mes amis, leur jalousie spontanée s’en occupe. Ils deviennent vite des femmes à mon contact, Dieu sait pourquoi, ils se renfrognent et se bloquent. Ils n’ont pas la foi.
Fanny, d’une façon ou d’une autre, directe ou indirecte, me fait sans cesse la morale. Je l’agace, je l’énerve, je l’exaspère, je la gêne, je suis de trop. Le mystère de ma foi m’échappe, mais elle le perçoit mieux que moi. A l’envers, bien sûr, mais de plein fouet, comme une anomalie insupportable. Je suis trop ceci, trop cela, pas assez ceci, pas assez cela. Je n’aime pas l’humanisté, les gens, la vraie vie, les divertissements, le faux temps banal. Je lis un livre devant Fanny, elle me fait la tête. Je sors avec Fanny, et elle se met aussitôt à raconter aux autres certains de mes comportements ridicules ou propos insensés plus ou moins inventés. Pour annuler Fanny, je me mets à boire. Je bois rarement quand elle n’est pas là.
Fanny s’ennuie avec moi. Elle me reproche de ne pas aller au cinéma, de ne pas lire de romans américains, de ne pas avoir envie de visiter des expositions, d’être insensible à la poésie telle qu’elle la ressent, de rester sourd aux animaux, de ne pas suicre la vie sentimentale des stars et de leurs enfants. Elle me trouve arrogant, méprisant, désinvolte. Sa mère prend la parole dans la voix. Mes amis aussi sont bizarres : ils se crispent soudain, maman est là.
J’aimerais assez que toutes mes Fanny écrivent, à mon sujet, leurs Mémoires. Mais, j’en suis sûr, aucune d’elles, aucun d’eux, n’en aura ni la capacité ni l’envie. Encore lui ? Ça suffit ! Rien à dire. Un souvenir quand même, une anecdote significative ? Ah non, j’ai oublié, aucun intérêt. Tout est mieux comme ça : je m’efface. J’ai pris l’habitude, depuis longtemps, d’exister comme si je n’existais pas. Même pas besoin de mourir, c’est commode.
Fanny se demande si je ne suis pas homosexuel, ou pourquoi je ne le suis pas. L’époque est très bruyante sur cette affaire, et mon indifférence à tout ce bazar lui paraît suspecte. Mon désintérêt pour la vie privée des autres la choque. Qui couche avec qui, qui est en train de quitter qui, qui a une liaison avec qui, voilà le roman que je devrais dévorer chaque semaine. Fanny, sur ces bricoles, est prise d’une excitation triste. Il ne lui viendrait pas à l’idée que certains, ou certaines, vivent dans le secret. Elle me l’a dit un jour, de façon ironique : "Tu es bien le seul à croire au secret. Tout se sait."
Non, je ne crois pas au secret, je constate simplement qu’il s’organise de lui-même pour tout ce qui me tient à cœur. La Nature aime à se cacher, ce n’est pas moi qui décide. "Mystère de la foi" résonne, une fois de plus, dans toutes les églises du monde. Ils font un gros effort sur eux-mêmes pour en arriver là. Comprennent-ils ce qu’ils disent et entendent ? Ce n’est pas sûr. Après quoi, ils retournent à leurs occupations d’agence humanitaire, pour les acteurs, et à leurs dimanches idiots, pour les spectateurs.
Fanny est très occupée par sa vie de famille, ses enfants, la gestion rentable de son mari, ses amours contrariés, le bavardage de ses amies et de ses amis, ses réseaux sociaux, son entreprise, son ambition à courte vue, ses fins de mois, l’agitation et l’obligation qui s’emparent d’elle si elle a une fonction politique. Après tout, il y a des élections 24 heures sur 24. Si elle est médiatique, c’est l’enfer des apparences, la concurrence acharnée des visages, les vœux de mort constants des stagiaires. Elle peut s’imposer à la radio si elle persévère, mais il vaut mieux obtenir une place régulière dans les journaux. Là, il lui faut soigner ses fréquentations, avoir bien en main son carnet d’adresses, remplir des pages avec photos, interwiever des personnalités influentes ou des écrivains convenables, donner le ton, prédire les tendances, surveiller les confrères et les consoeurs (les médias sont une grande famille), saisir le vent des films, rester au centre, surtout, au milieu du centre.
Mais Fanny peut être aussi écrivaine, auteure, metteuse en scène, artiste. Elle cumule parfois ces mandats, sans atteindre la grande notoriété imagée des topmodels, en général ravissantes et connes. Comme écrivaine, elle a une ancêtre écrasante et dure à avaler : la voyante Duras, écriture saccadée, ventes vertigineuses. Les écrivaines sont mes Fanny préférées, elles sont attirées par mon cas, de même que les Fanny masculins, mais en plus nerveuses. Elles m’envoient leurs manuscrits, leurs romans sentimentaux, leurs romans familiaux, leurs journaux intimes, leurs poèmes. Je suis un hôpital de jour et de nuit, commis aux urgences et aux désespoirs provinciaux. Je ne réponds pas, mais les Fanny insistent : moi seul pourrait les aider, les accompagner, les sauver. Ça vient d’un peu partout, comme une grande marée grise. J’essaie, pendant trois minutes, de savoir ce qu’elles lisent puisqu’elles écrivent : rien, bouillie. Le plus étrange, dans cette région ultra-féminine, c’est que tous les hommes aussi s’appellent Fanny. »
Philippe Sollers, L'école du mystère
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Cela renversait l’ensemble de leurs idées reçues
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« Dans l’appendice de son livre sur l’animal en tant qu’être social, Portmann expose un fait très troublant. Il s’agissait de tests sur la capacité d’apprentissage des rats. Ils devaient parcourir un labyrinthe compliqué pour trouver leur nourriture. L’expérimentateur était certain que les rats réussiraient ; le résultat fut totalement positif et il le publia. Mais un autre chercheur qui ne croyait pas les rats capables de réussir le test présenta le même labyrinthe aux mêmes rats, et ceux-ci, devenus complètement stupides, ne réussirent pas.
Un problème fréquemment et largement discuté dans les cercles de zoologistes est de savoir si la suggestion entre l’expérimentateur et son sujet joue un rôle. S’il est vrai que nos attentes inconscientes aient un effet sur le comportement des animaux, comment serait-il possible de faire des expériences objectives ? Portmann ne prend pas position et se contente de publier les deux résultats. Si l’on admet que les animaux subissent l’influence humaine, comme cela me paraît évident, imaginez toute la population d’un village, en état d’excitation et d’émotion archétypique, entourant un pauvre poulet à demi empoisonné pour savoir si Jean ou Jacques doit être condamné à mort ! Cela constellerait une tension émotive et collective énorme qui affecterait le comportement de l’animal, dès lors que l’état d’esprit d’un seul individu peut rendre des rats — qui ne sont pas empoisonnés — plus ou moins intelligents.
A Los Angeles, la pratique de tests scolaires destinés à détecter les enfants mentalement retardés ou surdoués a été récemment abandonnée, car on a découvert que, les enseignants étant très identifiés aux enfants de leurs classes, leur état d’esprit influençait les résultats : si un professeur est convaincu que l’enfant est un mauvais élève, celui-ci ne réussira pas, tandis qu’un enfant envers qui il a un préjugé favorable aura un bon résultat. Je pense que ces tests et expériences devront être abandonnés parce qu’ils ne sont aucunement objectifs. La conviction et l’état psychique de l’expérimentateur y jouent un rôle considérable, provoquant chez l’enfant un état émotif qui lui permettra de donner le maximum de ses possibilités ou au contraire les inhibera. L’interprétation des tests est particulièrement délicate lorsqu’il s’agit d’enfants. Une de mes élèves me racontait le cas d’une fillette de sept ans qui ne savait ni lire ni écrire et se tenait à l’écart des autres enfants. A la première séance, elle dessina une petite fille avec ses parents dans la forêt. La petit fille était incomplète. D’après le « test du bonhomme », c’était un signe de retard mental. A la question : "As-tu fini ? ta petite fille n’a pas de bouche, ni de bras", elle répondit : "Bien sûr, puisqu’elle ne peut pas parler et qu’elle ne peut rien faire." Il lui a été donné la possibilité de parler (le langage symbolique) et d’agir (jeux, dessin, etc). Peu à peu, son comportement se transforma, elle devint une boute-en-train et l’une des premières de sa classe. Elle est à présent une charmante jeune fille, intelligente, gaie et séduisante.
Quand il entreprit son étude sur l’astrologie, pour son livre sur la synchronicité, Jung était persuadé que les constellations astrologiques seraient statistiquement au-dessus de la moyenne, et elles le furent à un point très surprenant. Mais Jung se sentit mal à l’aise et fut pris de doute. Tandis qu’il était assis devant sa maison de Bollingen et qu’il regardait les pierres de sa tour — elles sont taillées irrégulièrement — et que le soleil brillait entre les feuilles, il y vit soudain un visage rieur qui semblait se moquer de lui. (Plus tard, il prit un ciseau et le sculpta dans cette pierre. On peut encore le voir.) Alors il se sentit encore plus mal à l’aise et pensa que Mercure, le dieu joueur de tours, s’était moqué de lui en dépit de ses excellentes preuves statistiques.
Quand il refit l’expérience, en essayant de ne pas avoir de conviction personnelle quant aux résultats, les statistiques furent diamétralement opposées. C’est ainsi que même les statistiques peuvent vous jouer des tours. Il publia l’ensemble de l’expérience dans son livre sur la synchronicité, mais la plupart des lecteurs ne comprennent pas ce que cela signifie.
J’ai parlé un jour au CERN, le centre nucléaire de Genève. Quand j’en vins à la synchronicité, cela déclencha d’énormes éclats de rire et ces grands physiciens me dirent : "Nous connaissons cela très bien : notre ordinateur répond toujours conformément à ce que nous en attendons. Si nous croyons à une théorie fausse et que nous y soyons passionnément impliqués, l’ordinateur donne les résultats que nous désirons. Mais si un collègue, qui ne croit pas à cette théorie, utilise à son tour l’ordinateur, il obtient un résultat complètement différent." Cela les amusait beaucoup. Mais lorsque j’essayai de les mettre au pied du mur et de leur faire prendre leur expérience au sérieux, l’un d’eux s’exclama : "Oh ! Tout cela est du non-sens — la synchronicité est absurde !" Seulement il le disait avec un affect très fort qui le trahissait. Ces physiciens admettaient l’expérience, mais refusaient de l’envisager scientifiquement, sérieusement, parce que cela renversait l’ensemble de leurs idées reçues. En dépit des faits, ils ne voulaient pas accepter la vérité. C’était tout à fait grotesque de commencer par rire aux éclats en disant qu’ils avaient l’expérience de ces choses, pour ensuite prétendre que ce n’était rien. C’est là un autre exemple de la "psychologie à compartiments" dont nous avons parlé plus haut.
On voit que tout ces procédés divinatoires sont fondés sur l’idée de synchronicité ou de son précurseur, la causalité magique. Dorn croyait en ces choses et c’est ce qu’il entendait finalement par virtus : la factulté de la psyché d’un être humain devenu conscient d’accomplir des "miracles". »
Marie-Louise von Franz, Alchimie et imagination active
17:48 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook