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19/03/2014

Singulière Extase

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et

 

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

 


Baudelaire par Gustave Courbet

« Mais la seconde blessure de son cœur d’enfant ne fut pas aussi facile à cicatriser. À son tour mourut, après un intervalle de quelques années heureuses, la chère, la noble Élisabeth, intelligence si noble et si précoce, qu’il lui semble toujours, quand il évoque son doux fantôme dans les ténèbres, voir autour de son vaste front une auréole ou une tiare de lumière. L’annonce de la fin prochaine de cette créature chérie, plus âgée que lui de deux ans, et qui avait pris déjà sur son esprit tant d’autorité, le remplit d’un désespoir indescriptible. Le jour qui suivit cette mort, comme la curiosité de la science n’avait pas encore violé cette dépouille si précieuse, il résolut de revoir sa sœur. "Dans les enfants, le chagrin a horreur de la lumière et fuit les regards humains." Aussi cette visite suprême devait-elle être secrète et sans témoins. Il était midi, et quand il entra dans la chambre, ses yeux ne rencontrèrent d’abord qu’une vaste fenêtre, toute grande ouverte, par laquelle un ardent soleil d’été précipitait toutes ses splendeurs. "La température était sèche, le ciel sans nuages ; les profondeurs azurées apparaissaient comme un type parfait de l’infini, et il n’était pas possible pour l’œil de contempler, ni pour le cœur de concevoir un symbole plus pathétique de la vie et de la gloire dans la vie."

Un grand malheur, un malheur irréparable qui nous frappe dans la belle saison de l’année, porte, dirait-on, un caractère plus funeste, plus sinistre. La mort, nous l’avons déjà remarqué, je crois, dans l’analyse des Confessions, nous affecte plus profondément sous le règne pompeux de l’été. "Il se produit alors une antithèse terrible entre la profusion tropicale de la vie extérieure et la noire stérilité du tombeau. Nos yeux voient l’été, et notre pensée hante la tombe ; la glorieuse clarté est autour de nous, et en nous sont les ténèbres. Et ces deux images, entrant en collision, se prêtent réciproquement une force exagérée." Mais pour l’enfant, qui sera plus tard un érudit plein d’esprit et d’imagination, pour l’auteur des "Confessions" et des "Suspiria", une autre raison que cet antagonisme avait déjà relié fortement l’image de l’été à l’idée de la mort, — raison tirée de rapports intimes entre les paysages et les événements dépeints dans les Saintes Écritures. "La plupart des pensées et des sentiments profonds nous viennent, non pas directement et dans leurs formes nues et abstraites, mais à travers des combinaisons compliquées d’objets concrets." Ainsi, la Bible, dont une jeune servante faisait la lecture aux enfants dans les longues et solennelles soirées d’hiver, avait fortement contribué à unir ces deux idées dans son imagination. Cette jeune fille, qui connaissait l’Orient, leur en expliquait les climats, ainsi que les nombreuses nuances des étés qui les composent. C’était sous un climat oriental, dans un de ces pays qui semblent gratifiés d’un été éternel, qu’un juste, qui était plus qu’un homme, avait subi sa passion. C’était évidemment en été que les disciples arrachaient les épis de blé. Le dimanche des Rameaux, "Palm Sunday", ne fournissait-il pas aussi un aliment à cette rêverie ? Sunday, ce jour du repos, image d’un repos plus profond, inaccessible au cœur de l’homme ; "palm", palme, un mot impliquant à la fois les pompes de la vie et celles de la nature estivale ! Le plus grand événement de Jérusalem était proche quand arriva le dimanche des Rameaux ; et le lieu de l’action, que cette fête rappelle, était voisin de Jérusalem. Jérusalem, qui a passé, comme Delphes, pour le nombril ou centre de la terre, peut au moins passer pour le centre de la mortalité. Car si c’est là que la Mort a été foulée aux pieds, c’est là aussi qu’elle a ouvert son plus sinistre cratère.

Ce fut donc en face d’un magnifique été débordant cruellement dans la chambre mortuaire, qu’il vint, pour la dernière fois, contempler les traits de la défunte chérie. Il avait entendu dire dans la maison que ses traits n’avaient pas été altérés par la mort. Le front était bien le même, mais les paupières glacées, les lèvres pâles, les mains roidies le frappèrent horriblement ; et pendant qu’immobile il la regardait, un vent solennel s’éleva et se mit à souffler violemment, "le vent le plus mélancolique, dit-il, que j’aie jamais entendu." Bien des fois, depuis lors, pendant les journées d’été, au moment où le soleil est le plus chaud, il a ouï s’élever le même vent, "enflant sa même voix profonde, solennelle, memnonienne, religieuse." C’est, ajoute-t-il, le seul symbole de l’éternité qu’il soit donné à l’oreille humaine de percevoir. Et trois fois dans sa vie il a entendu le même son, dans les mêmes circonstances, entre une fenêtre ouverte et le cadavre d’une personne morte un jour d’été.

Tout à coup, ses yeux, éblouis par l’éclat de la vie extérieure et comparant la pompe et la gloire des cieux avec la glace qui recouvrait le visage de la morte, eurent une étrange vision. Une galerie, une voûte sembla s’ouvrir à travers l’azur, — un chemin prolongé à l’infini. Et sur les vagues bleues son esprit s’éleva ; et ces vagues et son esprit se mirent à courir vers le trône de Dieu ; mais le trône rayait sans cesse devant son ardente poursuite. Dans cette singulière extase, il s’endormit ; et quand il reprit possession de lui-même, il se retrouva assis auprès du lit de sa sœur. Ainsi l’enfant solitaire, accablé par son premier chagrin, s’était envolé vers Dieu, le solitaire par excellence. Ainsi l’instinct, supérieur à toute philosophie, lui avait fait trouver dans un rêve céleste un soulagement momentané. Il crut alors entendre un pas dans l’escalier, et craignant, si on le surprenait dans cette chambre, qu’on ne voulût l’empêcher d’y revenir, il baisa à la hâte les lèvres de sa sœur et se retira avec précaution. Le jour suivant, les médecins vinrent pour examiner le cerveau ; il ignorait le but de leur visite, et, quelques heures après qu’ils se furent retirés, il essaya de se glisser de nouveau dans la chambre ; mais la porte était fermée et la clef avait été retirée. Il lui fut donc épargné de voir, déshonorés par les ravages de la science, les restes de celle dont il a pu ainsi garder intacte une image paisible, immobile et pure comme le marbre ou la glace.

Et puis vinrent les funérailles, nouvelle agonie ; la souffrance du trajet en voiture avec les indifférents qui causaient de matières tout à fait étrangères à sa douleur ; les terribles harmonies de l’orgue, et toute cette solennité chrétienne, trop écrasante pour un enfant, que les promesses d’une religion qui élevait sa sœur dans le ciel ne consolaient pas de l’avoir perdue sur la terre. À l’église on lui recommanda de tenir un mouchoir sur ses yeux. Avait-il donc besoin d’affecter une contenance funèbre et de jouer au pleureur, lui qui pouvait à peine se tenir sur ses jambes ? La lumière enflammait les vitraux coloriés où les apôtres et les saints étalaient leur gloire ; et, dans les jours qui suivirent, quand on le menait aux offices, ses yeux, fixés sur la partie non coloriée des vitraux, voyaient sans cesse les nuages floconneux du ciel se transformer en rideaux et en oreillers blancs, sur lesquels reposaient des têtes d’enfants, souffrants, pleurants, mourants. Ces lits peu à peu s’élevaient au ciel et remontaient vers le Dieu qui a tant aimé les enfants. Plus tard, longtemps après, trois passages du service funèbre, qu’il avait entendus certainement, mais qu’il n’avait peut-être pas écoutés ou qui avaient révolté sa douleur par leurs trop âpres consolations, se représentèrent à sa mémoire, avec leur sens mystérieux et profond, parlant de délivrance, de résurrection et d’éternité, et devinrent pour lui un thème fréquent de méditation. Mais, bien avant cette époque, il s’éprit pour la solitude de ce goût violent que montrent toutes les passions profondes, surtout celles qui ne veulent pas être consolées. Les vastes silences de la campagne, les étés criblés d’une lumière accablante, les après-midi brumeuses, le remplissaient d’une dangereuse volupté. Son œil s’égarait dans le ciel et dans le brouillard à la poursuite de quelque chose d’introuvable, il scrutait opiniâtrément les profondeurs bleues pour y découvrir une image chérie, à qui peut-être, par un privilége spécial, il avait été permis de se manifester une fois encore. C’est à mon très-grand regret que j’abrége la partie, excessivement longue, qui contient le récit de cette douleur profonde, sinueuse, sans issue, comme un labyrinthe. La nature entière y est invoquée, et chaque objet y devient à son tour représentatif de l’idée unique. Cette douleur, de temps a autre, fait pousser des fleurs lugubres et coquettes, à la fois tristes et riches ; ses accents funèbrement amoureux se transforment souvent en concetti. Le deuil lui-même n’a-t-il pas ses parures ? Et ce n’est pas seulement la sincérité de cet attendrissement qui émeut l’esprit ; il y a aussi pour le critique une jouissance singulière et nouvelle à voir s’épanouir ici cette mysticité ardente et délicate qui ne fleurit généralement que dans le jardin de l’Église romaine. — Enfin une époque arriva, où cette sensibilité morbide, se nourrissant exclusivement d’un souvenir, et ce goût immodéré de la solitude, pouvaient se transformer en un danger positif ; une de ces époques décisives, critiques, où l’âme désolée se dit : "Si ceux que nous aimons ne peuvent plus venir à nous, qui nous empêche d’aller à eux ?" où l’imagination, obsédée, fascinée, subit avec délices les sublimes attractions du tombeau. Heureusement l’âge était venu du travail et des distractions forcées. Il lui fallait endosser le premier harnais de la vie et se préparer aux études classiques. »

Charles Baudelaire, Un Mangeur d'Opium in Les paradis Artificiels


Thomas de Quincey

 

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Une délicatesse d’épiderme et une distinction d’accent

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« Lui et ses trois sœurs étaient fort jeunes quand leur père mourut, laissant à leur mère une abondante fortune, une véritable fortune de négociant anglais. Le luxe, le bien-être, la vie large et magnifique sont des conditions très-favorables au développement de la sensibilité naturelle de l’enfant. "N’ayant pas d’autres camarades que trois innocentes petites sœurs, dormant même toujours avec elles, enfermé dans un beau et silencieux jardin, loin de tous les spectacles de la pauvreté, de l’oppression et de l’injustice, je ne pouvais pas, dit-il, soupçonner la véritable complexion de ce monde." Plus d’une fois il a remercié la Providence pour ce privilége incomparable, non-seulement d’avoir été élevé à la campagne et dans la solitude, "mais encore d’avoir eu ses premiers sentiments modelés par les plus douces des sœurs, et non par d’horribles frères toujours prêts aux coups de poing, horrid pugilistic brothers." En effet, les hommes qui ont été élevés par les femmes et parmi les femmes ne ressemblent pas tout à fait aux autres hommes, en supposant même l’égalité dans le tempérament ou dans les facultés spirituelles. Le bercement des nourrices, les câlineries maternelles, les chatteries des sœurs, surtout des sœurs aînées, espèce de mères diminutives, transforment, pour ainsi dire, en la pétrissant, la pâte masculine. L’homme qui, dès le commencement, a été longtemps baigné dans la molle atmosphère de la femme, dans l’odeur de ses mains, de son sein, de ses genoux, de sa chevelure, de ses vêtements souples et flottants,

Dulce balneum suavibus
Unguentatum odoribus,

y a contracté une délicatesse d’épiderme et une distinction d’accent, une espèce d’androgynéité, sans lesquelles le génie le plus âpre et le plus viril reste, relativement à la perfection dans l’art, un être incomplet. Enfin, je veux dire que le goût précoce du monde féminin, mundi muliebris, de tout cet appareil ondoyant, scintillant et parfumé, fait les génies supérieurs ; et je suis convaincu que ma très-intelligente lectrice absout la forme presque sensuelle de mes expressions, comme elle approuve et comprend la pureté de ma pensée. »

Charles Baudelaire, Un Mangeur d'Opium in Les paradis Artificiels

 

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Une poignée de bourgeois jacassant et gesticulant à l’avant-scène

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« Je ne crois pas que la monarchie eût laissé se déformer si gravement l’honnête visage de mon pays. Nous avons eu des rois égoïstes, ambitieux, frivoles, quelques-uns méchants, je doute qu’une famille de princes français eût manqué de sens national au point de permettre qu’une poignée de bourgeois ou de petits bourgeois, d’hommes d’affaires ou d’intellectuels, jacassant et gesticulant à l’avant-scène, prétendissent tenir le rôle de la France. »

Georges Bernanos, Les Grands Cimetières sous la lune

 

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L'Envie a grandi comme les chiens de la lice

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« Python énorme d’un temps qu’il dévore, et qui, malheureusement, hélas ! pour le tuer n’a plus de dieu, l’Envie, qui n’existait que dans quelques âmes comme la vipère dans son trou, est devenue le vice universel. Ce n’est pas -comme elle le dit - la fille de l’Orgueil parce qu’elle en est sortie. Elle n’en est sortie que parce qu’elle est son excrément. Mais venue d’en bas, elle a, grâce à nos moeurs modernes, exaltatrices de toutes nos vanités, contracté l’intensité d’un fanatisme dans nos âmes appauvries de tout, mais puissantes encore par là -scélératement puissantes !

Principe des révolutions dernières de notre histoire, l’Envie a pris des proportions tellement incommensurables qu’on peut la comprimer… peut-être, mais l’étouffer, impossible ! Elle a grandi comme les chiens de la lice. Elle est devenue menaçante et plus que menaçante, puisqu’elle a commencé de mordre…Elle tuera les nobles et les riches, elle tuera les beaux, elle tuera les heureux, elle tuera les spirituels, elle tuera enfin tout ce qui a une supériorité quelconque dans la vie ! Elle a dit un jour, par la plume de Proudhon, qu’un savetier est plus qu’Homère, et par la bouche d’un communard, incendiaire de Paris, à qui moi-même je l’ai entendu dire : "Que l’incendie du Louvre n’était qu’un coup manqué, mais qu’on recommencerait", parce que la gloire des faiseurs de chefs-d’oeuvre, comme Raphaël et Michel-Ange, n’avait pas le droit d’exister dans la société égalitaire que ces fanatiques de l’Envie promettent à l’avenir !»

Jules Barbey d’Aurevilly, Dernières Polémiques

 

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L’amour le plus exclusif pour une personne est toujours l’amour d’autre chose

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« L’amour le plus exclusif pour une personne est toujours l’amour d’autre chose. (…)

J’avais autefrois entrevu aux Champs-Elysées et je m’étais mieux rendu compte depuis, qu’en étant amoureux d’une femme nous projetons simplement en elle un état de notre âme ; que par conséquent l’important n’est pas la valeur de la femme mais la profondeur de l’état ; et que les émotions qu’une jeune fille médiocre nous donne peuvent nous permettre de faire monter à notre conscience des parties plus intimes de nous-mêmes, plus personnelles, plus lointaines, plus essentielles, que ne ferait le plaisir que nous donne la conversation d’un homme supérieur ou même la contemplation admirative de ses œuvres. »

Marcel Proust, A l’ombre des jeunes filles en fleur

 

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18/03/2014

Si on ne me demande rien, et si je suis laissé à la spontanéité de mon intuition, rien n’obscurcit l’évidence

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« Si on ne me demande rien, et si je suis laissé à la spontanéité de mon intuition, rien n’obscurcit l’évidence  de la temporalité mais si on m’interroge sur la nature du temps, je me trouble et cesse de savoir, tout devient ambigu. Le violoniste Robert Soetens m’a raconté ceci ; c’est surtout dans sa jeunesse et quand il était parfaitement inconscient de son génie, que Menuhin a été un violoniste génial son jeu est devenu plus laborieux à partir du moment où, à force d’entendre parler de son génie, il s’est demandé lui-même comment il faisait. Quand on interroge un pianiste virtuose sur la façon dont il joue les Etudes transcendantes de Liszt ou de Liapounov, sesdoigts bafouillent, dérapent et il fait une fausse note. Mais quand on ne lui demande rien, il s’assied au piano et joue les Etudes aussi naturellement que les petites filles jouent leur sonatine de Diabelli. Quand on demande à l’acrobate comment il fait pour tenir sur un pied à la pointe de la flèche de Notre- Dame, il a le vertige, perd l’équilibre et s’écrase au sol. Tout cela est vrai du temps a fortiori c’est la conscience du temps qui produit les troubles du temps. De loin, le temps retrouve son évidence. Quand le vivant cesse de se demander en quoi consiste la vie, cette acrobatie de chaque minute, cet équilibre qui est un déséquilibre sans cesse ajourné, la vie recommence à aller de soi. »

Vladimir Jankélévitch et Béatrice Berlowitz, Quelque part dans l’inachevé

 

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Comment viser juste ?

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« L’occasion n’est pas seulement fine, mais instantanée ; ni seulement instantanée, mais irréversible. L’occasion, du moins dans sa fraicheur première, ne nous sera pas renouvelée et cette unicité explique son caractère à la fois passionnant et poignant. L’occasion aiguë ne comporte ni précédent, ni réédition, elle ne s’annonce pas par des signes précurseurs ni ne se survit dans la seconde fois ; on ne peut ni s’y préparer, ni après coup la rattraper… Laminée entre le pas-encore et le déjà-plus, elle exclut la secondarité répétitive des réitérations, comme son imprévisibilité et son irrationalité excluent l’anticipation ! L’à-propos sans lequel l’occasion nous échappera, c’est l’à-propos d’un éclair, d’un maintenant incandescent surpris sur le fait d’un instant si fugitif que la seconde même où j’en parle est déjà loin de moi ! L’étoile filante ne nous laisse pas beaucoup de temps pour former un vœu : elle ne nous prévient pas longtemps à l’avance de son passage, et l’instant d’après elle a déjà plongé dans le ciel noir de la nuit d’été. Avant il est trop tôt, après trop tard ! Comment viser juste ? Comment tomber sur l’apparition opportune ? »

Vladimir Jankélévitch et Béatrice Berlowitz, Quelque part dans l’inachevé

 

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De tous les conformismes, le conformisme du non-conformisme est le plus hypocrite et le plus répandu aujourd’hui

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« L’acte d’écrire exige une parfaite innocence, et l’innocence est de plus en plus rare dans ce guignol philosophique où l’opinion des autres et la gloire de paraître sont reines, où tout commence par un manuscrit, et finit par un manuscrit. La fragile innocence, l’éphémère modestie sont à la merci de la moindre réflexion de conscience, et la conscience a tôt fait de les déniaiser ! Pour s’abstenir de ce regard sur soi qui est initiation à la vanité littéraire, pour refuser cette grande représentation théâtrale qui s’appelle la vie, une spontanéité à l’abri de toute tentation serait nécessaire, ou, si la spontanéité fait défaut, une vigilance de chaque instant. Car il ne suffit pas de renoncer au confort petit-bourgeois d’un cénacle, encore faut-il ne pas se laisser embrigader dans l’absence de cénacle. À quoi bon refuser de sculpter notre statue, de nous considérer comme l’auteur d’une œuvre, si c’est pour jouer le rôle du philosophe marginal, si c’est pour vendre du marginalisme, pour devenir le polichinelle de l’inachevé ? De tous les conformismes, le conformisme du non-conformisme est le plus hypocrite et le plus répandu aujourd’hui. C’est cela le Diable qui nous épie, nous surveille, et nous guette… La conscience que nous prenons de notre courage le défigure, elle peut en faire un courage de matamore, c’est-à-dire une caricature ; mais en ce cas nous n’en demeurons pas moins courageux, malgré nos fanfaronnades ; car un bouffon peut être héroïque par vanité. Il existe, en revanche, d’autres vertus plus secrètes, qui sont littéralement assassinées, nihilisées, et d’un seul coup, par la conscience même qu’on en prend, comme par exemple la modestie, le charme, ou l’humour. Il n’en reste rien. »

Vladimir Jankélévitch et Béatrice Berlowitz, Quelque part dans l’inachevé

 

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17/03/2014

Je vous ai vus

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« Il l'avait connu une fois, cet abandon. C'était même pour ne plus jamais le revivre qu'il s'était peu à peu éloigné de la société des hommes, leur préférant l'honnête indifférence des abeilles. Il était jeune instituteur dans la Krajina, en 1941, lorsque le Royaume de Yougoslavie éclata et que les Croates, déjà, raccrochèrent leur projet d'indépendance au train de la puissance du moment, le IIIème Reich. Tandis que les Serbes, eux, repris par leur folie habituelle, s'étaient mis en tête de faire dérailler à eux seuls ce même train blindé qui venait de soumettre toute l'Europe. Le 27 mars 1941, un groupe d'officiers avait destitué le régent qui avait osé pactiser avec l'Axe.
La colère d'Hitler fut à la mesure de l'affront. On vit déferler sur ce pays de chars à bœufs des colonnes d'extra-terrestres motorisés, juchés sur des véhicules de cauchemar. Des officiers qui avaient humilié les Autrichiens puis les Allemands et les Bulgares ligués en 1918, qui avaient juré la mort plutôt que la reddition, se suicidaient avec leur pistolet d'ordonnance sur leur cheval, à la tête de leurs régiments désarmés. D'autres, moins fiers, s'égaillaient comme des rats dans les nouvelles baronnies créées par l'occupant ou se laissaient emmener en captivité. Quelques-uns prenaient le maquis, promettant de revenir en vainqueurs...
Dans la Krajina, la terreur avait débuté dès les premiers jours. Assassinats sommaires. Enlèvements. Recensements lugubres menés par des moines cordeliers aux mines de brigands. Conversions collectives... Le régime oustachi, instauré sous le patronage d'Hitler et de Mussolini, mettait en place la politique d'homogénéité ethnique et confessionnelle qu'il avait annoncée. Parmi les "Schismatiques", les "Grecs", les "Orientaux" - ceux qu'on affublait de tous les noms possibles hormis celui qu'ils se donnaient eux-mêmes-, le seul programme était de se faire oublier et de survivre.
En tant qu'instituteur et fonctionnaire, Nikola fut confronté à un choix abrupt : enseigner la haine de ce qu'il était ou disparaître. Il avait une jeune épouse qu'il aimait et un essaim à soigner. Il opta pour la survie. Heureusement pour lui, les patrons du nouveau régime se souciaient davantage d'idéologie que d'administration. Leur incurie et le délitement graduel de l'Etat permirent à Nikola de passer entre les gouttes. Il se réfugia dans la montagne et envoya sa femme, qui avait de la parenté croate, chez sa tante à Rijeka, sous occupation italienne. Les fascistes de Mussolini n'avaient cure des querelles confessionnelles.
Il adopta dès lors une distance étrange et incompréhensible vis-à-vis de la guerre et de ses factions. Frêle d'apparence, il décourageait les recruteurs, qui pourtant ne manquaient pas. Dès que les oustachis repartaient avec leur lot de victimes, les résistances pointaient leur nez. Il y avait les tchetniks locaux, plus ou moins liés à l'armée royale du général Mihailovic. Ils étaient barbus et chevelus en signe de deuil -mais le jeune maître d'école y voyait surtout du débraillé. Ils avaient toujours un pope dans leur entourage, quand ils n'étaient pas pope eux-mêmes. Ils parlaient fort, invoquaient Dieu à chaque phrase, juraient que les Anglais allaient débarquer d'un instant à l'autre. Ils prétendaient rétablir la loi et l'ordre et donnaient des leçons de conduite publiques, parfois inculquées à la verge. Ils discutaient en long et en large de la politique mondiale, en ponctionnant les réserves d'eau-de-vie des habitants. Puis ils disparaissaient dans les bois. Le frère aîné de Nikola les crut. Il ne vit jamais débarquer les Alliés, mais fut trahi par un ami vantard qui ne savait tenir sa langue. Les oustachis l'égorgèrent sous les yeux de sa mère. Se pointèrent à leur suite les partisans. Des hommes austères, qui menaient une lutte d'idée pour la Révolution et donc pour Staline. Ils étaient vêtus n'importe comment, pourvu qu'il y ait une grosse étoile rouge quelque part, mais rasés de près. Ils fusillaient les leurs pour la moindre divergence et multipliaient les attaques gratuites contre l'ennemi afin de susciter des représailles. Puis ils revenaient cueillir les villageois qui n'avaient plus d'autres choix que de les suivre. Il n'y avait, à leurs yeux, ni Serbes, ni Croates, ni catholiques, ni orthodoxes, mais uniquement des exploiteurs et des exploités. Nikola fut séduit par leurs principes et glacé par leurs personnes. Leurs rêves de fraternité n'apportaient que la douleur et la division.
Aux uns et aux autres, il finit par donner la même réponse, sur un ton calme et comme éteint : "Je vous ai vus." Les commissaires en demeuraient éberlués, les proches vacillaient de peur. Il passa la guerre à s'occuper de ses abeilles, dans sa cabane. »

Slobodan Despot, Le Miel

 

FNAC : LE MIEL, Slobodan Despot

 

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On néglige la philosophie tant qu’on n’est pas trop malheureux

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« Dans les grands chagrins, on appelait un philosophe pour se faire consoler, et souvent le philosophe, comme chez nous le prêtre averti in extremis, se plaignait de n’être appelé qu’aux heures tristes et tardives. ” On n’achète les remèdes que quand on est gravement malade ; on néglige la philosophie tant qu’on n’est pas trop malheureux. »

« L’idéal de Platon était réalisé : le monde était gouverné par les philosophes. Tout ce qui avait été à l’état de belle phrase dans la grande âme de Sénèque arrivait à être une vérité. Raillée pendant deux cents ans par les Romains brutaux, la philosophie grecque triomphe à force de patience. Déjà, sous Antonin, nous avons vu des philosophes privilégiés, pensionnés, jouant presque le rôle de fonctionnaires publics. Maintenant, l’empereur en est, à la lettre, entouré. »

Ernest Renan, Marc Aurèle ou La fin du monde antique

 

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Il appelait aux fonctions des hommes sans autre noblesse que leur honnêteté

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« Comme souverain, Marc Aurèle réalisa la perfection de la politique libérale. Le respect des hommes est la base de sa conduite. Il sait que, dans l’intérêt même du bien, il ne faut pas imposer le bien d’une manière trop absolue, le jeu libre de la liberté étant la condition de la vie humaine. Il désire l’amélioration des âmes et non pas seulement l’obéissance matérielle à la loi ; il veut la félicité publique, mais non procurée par la servitude, qui est le plus grand des maux. Son idéal de gouvernement est tout républicain. Le prince est le premier sujet de la loi. Point de luxe inutile ; stricte économie ; charité vraie, inépuisable ; accès facile, parole affable ; poursuite en toute chose du bien public, non des applaudissements.
Le progrès des moeurs y fut sensible. Beaucoup des buts secrets que poursuivait instinctivement le christianisme furent légalement atteints. Le régime politique général avait des défauts profonds ; mais la sagesse du bon empereur couvrait tout d’un palliatif momentané. Chose singulière  ! ce vertueux prince, qui ne fit jamais la moindre concession à la fausse popularité, fut adoré du peuple. Il était démocrate dans le meilleur sens du mot.
La vieille aristocratie romaine lui inspirait de l’antipathie. Il ne regardait qu’au mérite, sans égard pour la naissance, ni même pour l’éducation et les manières. Comme il ne trouvait pas dans les patriciens les sujets propres à seconder ses idées de gouvernement sage, il appelait aux fonctions des hommes sans autre noblesse que leur honnêteté. »

Ernest Renan, Marc Aurèle ou La fin du monde antique

 

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Sa bonté ne lui fit pas commettre de fautes

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« Aurèle Antonin mourut le 7 mars 161, dans son palais de Lorium, avec le calme d’un sage accompli. Quand il sentit la mort approcher, il régla comme un simple particulier ses affaires de famille, et ordonna de transporter dans la chambre de son fils adoptif, Marc Aurèle, la statue d’or de la Fortune, qui devait toujours se trouver dans l’appartement de l’empereur. Au tribun de service, il donna pour mot d’ordre Aequanimitas ; puis, se retournant, il parut s’endormir.
Tous les ordres de l’état rivalisèrent d’hommages envers sa mémoire. On établit en son honneur des sacerdoces, des jeux, des confréries. Sa piété, sa clémence, sa sainteté, furent l’objet d’unanimes éloges. On remarquait que, pendant tout son règne, il n’avait fait verser ni une goutte de sang romain ni une goutte de sang étranger  ! On le comparait à Numa pour la piété, pour la religieuse observance des cérémonies, et aussi pour le bonheur et la sécurité qu’il avait su donner à l’empire.
Antonin aurait eu sans compétiteur la réputation du meilleur des souverains, s’il n’avait désigné pour son héritier un homme comparable à lui par la bonté, la modestie, et qui joignait à ces qualités l’éclat, le talent, le charme qui font vivre une image dans le souvenir de l’humanité. Simple, aimable, plein d’une douce gaieté, Antonin fut philosophe sans le dire, presque sans le savoir.
Marc Aurèle le fut avec un naturel et une sincérité admirables, mais avec réflexion. à quelques égards, Antonin fut le plus grand. Sa bonté ne lui fit pas commettre de fautes ; il ne fut pas tourmenté du mal intérieur qui rongea sans relâche le coeur de son fils adoptif.
Ce mal étrange, cette étude inquiète de soi-même, ce démon du scrupule, cette fièvre de perfection sont les signes d’une nature moins forte que distinguée. Les plus belles pensées sont celles qu’on n’écrit pas ; mais ajoutons que nous ignorerions Antonin, si Marc Aurèle ne nous avait transmis de son père adoptif ce portrait exquis, où il semble s’être appliqué, par humilité, à peindre l’image d’un homme encore meilleur que lui. Antonin est comme un Christ qui n’aurait pas eu d’évangile ; Marc Aurèle est comme un Christ qui aurait lui-même écrit le sien. »

Ernest Renan, Marc Aurèle ou La fin du monde antique

 

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Il faudrait sortir de cette saison d’impatience...

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« Je voudrais que l’été soit en moi aussi parfait que dehors, réussir à oublier d’attendre toujours. Mais il n’y a pas d’été de l’âme. On regarde celui qui passe tandis qu’on reste dans son hiver. Il faudrait sortir de cette saison d’impatience. Se vieillir au soleil de ses désirs. Puisqu’il est vain d’attendre. »

Marguerite Duras, La vie tranquille

 

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16/03/2014

Aujourd’hui, les palais sont pleins de vers qui commandent et qui rampent

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« Aujourd’hui, les palais sont pleins de vers qui commandent et qui rampent. Des individus avides et gras parlent à notre place. Chaque Français semble avoir un ambassadeur sur la terre et cet ambassadeur est une tantouze ou un maquereau. (D’ailleurs, maquereau, ce n’est déjà pas si mal.) Dieu merci, nous avons la guerre pour insulter la paix. Et hier, nous nous moquions de la guerre en invoquant la paix, mais hier ne se laisse pas oublier et revient avec la marée. »

Roger Nimier, Les épées

 

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Nous sommes pris dans une alternative qui ne nous permet plus d’exister médiocrement

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« Quand nous parlons d’un temps dramatique, ce mot a un sens précis : il veut dire que nous sommes pris dans une alternative qui ne nous permet plus d’exister médiocrement ; il nous faut vivre plus puissamment, ou bien disparaître, nous surpasser ou nous abolir. (…) La tragédie essentielle n’est pas de savoir quels dangers nous menacent, mais de définir d’abord ce qu’ils menacent en nous, car il importerait assez peu que nous fussions détruits, si nous avions rendu cette destruction légitime en ne valant presque rien. »

Abel Bonnard, Les Modérés

 

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Les pauvres ne les intéressent que dans la mesure où on peut se réclamer d’eux en politique

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« Les millionnaires de gauche font semblant de s’apitoyer sur les pauvres des pays occidentaux et parlent des pauvres seulement pour attaquer le gouvernement. Les pauvres ne les intéressent que dans la mesure où on peut se réclamer d’eux en politique. Je pense au visage large et mou du chef de l’opposition socialise en France. Il s’en fiche des malheureux et des réprouvés et des emprisonnés et des opprimés qui vivent dans les pays socialistes, il n’a pas à s’encombrer de cela. Il n’en a pas besoin pour sa propagande, au contraire, ça lui nuirait.


(…)

Des penseurs prônent aujourd’hui le déclenchement des désirs, c’est la fête que l’on veut, la fête des désirs, quelle fête ? Comme fête collective de ce genre, je ne vois que le carnaval de saucisse et de bière qui a lieu tous les ans à Cologne, par exemple, et qui se dissipe le matin en laissant quelques cadavres sur les trottoirs.

Cette fête ou ces fêtes ne sont que désir de détruire. Les nazis parlaient de leurs fêtes. Au Mexique tous les chants sont tristes, sauf les chants révolutionnaires, révolutionnaires de n’importe quoi, contre n’importe quoi, gaieté de tuer.

(…)

Et pendant tout ce temps, les écrivains écrivent, moi-même j’écris. Romans d’amour, romans “philosophiques”, bricolages formalistes du nouveau roman, misère et honte que tout cela. (…) Il y a quelques temps, je rencontrai une des nouveaux romanciers du nouveau roman. Soljénitsyne venait de recevoir le prix Nobel. Au point de vue “moral”, me dit le bricoleur littéraire du nouveau roman, on a peut-être bien fait de donner le prix Nobel à Soljénitsyne, mais, me dit-il encore en souriant avec fatuité : ” Au point de vue littéraire, Soljénitsyne, ce n’est pas grand chose. ” Je ne lui répondis pas. Mais toute l’expression de son visage exprimait cette pensée : “C’est moi qui mériterais le prix parce que je suis plus grand que Soljénitsyne en littérature.” Le romancier du nouveau roman s’éloigna sans se rendre compte évidemment que tout ce qu’il écrivait c’était de la m…, mais ne soyons pas grossiers. »

Eugène Ionesco, Le Figaro littéraire, 1972 in "Antidotes"

 

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15/03/2014

Quelle différence, au fond, entre un national-socialisme et le socialisme dans un seul pays ?

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Un communiste et un SS tapent la causette... Staline et Hitler, même combat...

 

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« - Finalement, nos deux systèmes ne sont pas si différents. Dans le principe du moins.

- C’est là un propos curieux pour un communiste.
- Pas tant que ça, si vous y réfléchissez. Quelle différence, au fond, entre un national-socialisme et le socialisme dans un seul pays ?
- Dans ce cas, pourquoi sommes-nous engagés dans une telle lutte à mort ?
- C’est vous qui l’avez voulu, pas nous. Nous étions prêts à des accommodements. (…) Après tout, vous nous avez tout pris, même si ce n’était qu’en caricaturant (…). Je parle des concepts les plus chers à votre Weltanschauung.
- Dans quel sens l’entendez-vous ?
(…)
- Là où le Communisme vise une société sans classe, vous prêchez la Volksgemeinschaft, ce qui au fond est strictement la même chose, réduit à vos frontières. Là où Marx  voyait le prolétaire comme le porteur de la vérité, vous avez décidé que la soi-disant race allemande est une race prolétaire, incarnation du Bien et de la moralité ; en conséquence, à la lutte des classes, vous avez substitué la guerre prolétarienne allemande contre les Etats capitalistes. En économie aussi vos idées ne sont que des déformations de nos valeurs.
(…)
Parce que vous n’avez pas imité  le Marxisme, vous l’avez perverti. La substitution de la race à la classe, qui mène à votre racisme prolétaire, est un non-sens absurde.
- Pas plus que votre notion de la guerre des classes perpétuelles. Les classes sont une donnée historique ; elles sont apparues à un certain moment et disparaîtrons de même, en se fondant harmonieusement dans la Volksgemeinschaft au lieu de s’étriper. Tandis que la race est une donnée biologique, naturelle et donc incontournable.

Il leva la main  :

- Ecoutez, je n’insisterai pas là-dessus, car c’est une question de foi, et donc les démonstrations logiques, la raison, ne servent à rien. Mais vous pouvez au moins être d’accord avec moi sur un point :  même si l’analyse des catégories qui jouent est différentes, nos idéologies ont ceci de fondamental en commun, c’est qu’elles sont toutes deux essentiellement déterministes ; déterminisme racial pour vous, déterminisme économique pour nous, mais déterminisme quand même. Nous croyons tous deux que l’homme ne choisit pas librement son destin, mais qu’il lui est imposé par la nature ou l’histoire. Et nous en tirons tous les deux la conclusion qu’il existes des ennemis objectifs, que certaines catégories d’êtres humains peuvent et doivent légitimement être éliminées non pas pour ce qu’elles ont fait ou même pensé, mais pour ce qu’elles sont (…). Au fond, c’est la même chose ; nous récusons tous deux l’homo economicus des capitalistes, l’homme égoïste, individualiste, piégé dans son illusion de liberté, en faveur de l’homo faber : Not a  self-made man but a made man (…). Et cet homme à faire justifie la liquidation impitoyable de tout ce qui est inéducable, et justifie donc le NKVD et la Gestapo, jardiniers du corps social, qui arrachent les mauvaises herbes et forcent les bonnes à suivre leurs tuteurs. »

Jonathan Littell, Les Bienveillantes

 

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La France est atteinte par le cafard de l’agonie

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« Existe-t-il un peuple moins sentimental ? Le cœur du Français ne s’attendrit qu’aux compliments bien tournés. Sa vanité est immense ; au point que la flatter peut même le rendre sentimental. »

« Chez les Français, les instincts sont atteints, rongés, la base de l’âme, sapée. Ils furent jadis vigoureux – des croisades à Napoléon -, les siècles français de l’univers. Mais les temps qui viennent seront ceux d’un vaste désert ; le temps français sera lui-même le déploiement du vide. Jusqu’à l’irréparable extinction. La France est atteinte par le cafard de l’agonie. »

« Les héros homériques vivaient et mouraient ; les snobs de l’Occident discutaient du plaisir et de la douleur. Français des croisades, ils sont devenus Français de la cuisine et du bistrot : le bien-être et l’ennui. »

Emil Cioran, De la France

 

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Le monde est en agonie et rien ne le touche plus...

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« Coûte que coûte, je garderai la virginité de mon témoignage, en me préservant du crime de laisser inactive aucune des énergies que Dieu m'a données. Ironies, injures, défis, imprécations, réprobations, malédictions, lyrisme de fange ou de flammes, tout me sera bon de ce qui pourra rendre offensive ma colère !... Quel moyen me resterait-il autrement de n'être pas le dernier des hommes ? Le juge n'a qu'une manière de tomber au-dessous de son criminel, c'est de devenir prévaricateur, et tout écrivain véritable est certainement un juge.

Quelques-uns m'ont dit  : À quoi bon ? Le monde est en agonie et rien ne le touche plus. Peut-être. Mais, au fond du désert, il faudrait, quand même, rendre témoignage, ne fût-ce que pour l'honneur de la Vérité et pour l'édification des fauves, comme faisaient, autrefois, les anachorètes solitaires. »

Léon Bloy, Le Désespéré

 

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14/03/2014

Parce que c’est la terreur qu’ils veulent exercer

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« Ces phénomènes londoniens se manifestent aussi sur d’autres plans : un homme, un professeur, est entouré dans la rue par une quinzaine de petits voyous, tels de jeunes ss, entre quatorze et seize ans, qui l’insultent, lui crachent à la figure, urinent sur ses chaussures. A l’église pendant la nuit de Noël, ou au temple, une autre va faire ses besoins au pied ou sur les objets du culte. La désacralisation est envisageable, bien entendu. Les démystifications et démythifications peuvent aussi être pensées. C’est à débattre, comme on dit, et les profanations sont une tendance très profonde de la nature humaine dont tous les psychologues nous ont parlé. Comme à peu près partout à Londres les étudiants gueulent dans les universités. Mais alors pourquoi accepter, sans discernement les nouveaux testaments rouges, très rudimentaires, et pourquoi, si l’on exècre les rituels, se rendre aux cérémonies maoïstes avec la plus grande obéissance, sans le moindre esprit critique, en se levant rituellement et cérémonieusement pour saluer, chaque fois qu’il est prononcé, le nom du père monstrueux et tyran, alors qu’on abhorre les pères débonnaires ? Parce qu’ils sont débonnaires, justement. Parce que c’est la terreur que veulent inconsciemment ces gens, une terreur qu’ils veulent exercer mais qu’ils veulent aussi qu’on leur fasse subir, car on est masochiste. »

Eugène Ionesco, Le Figaro littéraire, 1969, in "Antidotes", Gallimard, 1977

 

 

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T'offrir des femmes

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« Nous sommes allongés l'un contre l'autre. Henry dit que je suis enroulée autour de lui, comme un chat. J'embrasse sa gorge, j'aperçois sa gorge comme sa chemise ouverte, je ne peux plus parler tant le désir me trouble. Je lui murmure à l'oreille d'une voix enrouée : " Je t'aime ", trois fois, sur un ton si étrange qu'il en est effrayé. " Je t'aime tant que je voudrais même t'offrir des femmes ! »

Anais Nin, Henry et June

 

 

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13/03/2014

Une élection inclusive...

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et

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 Pour rebondir à propos de ce qui s'est dit précédemment ici...

 

« Jérusalem n’est pas si différente d’Athènes quant à l’universel. L’opposition marquée fameusement par Léo Strauss est radicale. D’un côté, Athènes, le déploiement des forces humaines et la confiance dans ses forces culminant dans la libre enquête philosophique. De l’autre, Jérusalem, l’expérience de la majesté divine, le sentiment de sa petitesse et de son indignité, et le propos de faire de toute sa vie une obéissance continue à la loi divine. Tout cela est vrai. Mais Jérusalem est universaliste ; c’est ce qui différencie le judaïsme des autres civilisations non occidentales, et qui installe Jérusalem dans la quête occidentale de l’universel. Permettez-moi de citer le Deutéronome, lorsque Moïse déclare :

"Je vous ai enseigné décrets et règles selon ce que m’a commandé Yahvé, mon Dieu, pour que vous agissiez ainsi au milieu du pays où vous allez entrer pour en prendre possession. Vous les observerez et vous les exécuterez ; car c’est votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples qui entendront parler de tous ces décrets et diront: "Ce ne peut être qu’un peuple sage et intelligent, cette grande nation !" Quelle est en effet la grande nation qui ait des dieux aussi proches d’elle qu’est Yahvé, notre Dieu, toutes les fois que nous l’invoquons ? Et quelle est la grande nation qui ait des décrets et des règles aussi justes que toute cette Loi que je place devant vous aujourd’hui ?"

La Loi n’est pas donnée à Israël pour qu’il se l’approprie solitairement, mais pour que Sion soit "lumière pour les nations".

Jérusalem ne représente pas la particularité ou le particularisme. L’universalisme de Jérusalem est le sens même de l’élection d’Israël, Contrairement à ce que dira Spinoza avec une éclatante mauvaise foi, l’élection d’Israël ne sanctifie pas la particularité d’Israël, L’élection d’Israël noue l’alliance entre Dieu et les hommes pour le bien de toute l’humanité. Pour dire Jérusalem dans le langage d’Athènes, l’homme étant un animal politique, Dieu ne peut se faire connaître aux hommes qu’en formant au milieu d’eux, ou du milieu d’eux, un peuple qui soit Son peuple. Encore une fois, l’expérience d’Israël est le moyen de faire connaître à l’ensemble de l’humanité le créateur de 1’humanité. Israël est le médiateur entre l’humanité et son créateur. Qu’Israël ne soit pas toujours à la hauteur de sa vocation, on s’en doute, la Bible est d’ailleurs pour une grande part la chronique de ces manquements, mais cela ne change rien à la nature de la vocation d’Israël qui précisément fournit le critère pour apprécier ces manquements. La particularité d’Israël est en ce sens autre que la particularité des autres civilisations. C’est sans doute pour cette raison qu’Israël est toujours au cœur de la vie du monde. »

Pierre Manent, Le regard politique - Entretiens avec Bénédicte Delorme-Montini

 

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Un fragile équilibre

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« La civilisation occidentale est composée de deux éléments dont les racines sont en total désaccord. Nous appelons ces éléments (…) Jérusalem et Athènes ou, pour recourir à un langage non métaphorique, la Bible et la philosophie grecque. De nos jours, ce désaccord radical est souvent minimisé, pour une raison toute superficielle, toute l’histoire de l’Occident se présentant au premier abord comme une tentative de les harmoniser ou d’établir une synthèse entre elles. Une étude plus serrée montrera que ce qui s’est passé et continue de se passer en Occident depuis de nombreux siècles n’est pas tant une harmonisation qu’une tentative d’harmonisation. Or ces tentatives étaient condamnées à l’échec : chacune des deux racines du monde occidental ne tient pour nécessaire qu’une seule chose ; or ce que la Bible considère comme nécessaire, tel qu’elle le comprend, est incompatible avec ce que la philosophie grecque proclame comme nécessaire, tel qu’elle le comprend. Pour le dire très simplement et quelque peu crûment : la seule chose nécessaire pour la philosophie grecque est une vie sous le signe d’une compréhension autonome, la seule chose nécessaire selon la Bible est la vie sous le signe de l’amour serviteur. Les harmonisations et les synthèses sont possibles parce que la philosophie grecque ne peut utiliser l’amour serviteur que dans un but subalterne et la Bible la philosophie que comme servante. Dans les deux cas, tant l’amour que la philosophie se rebellent contre leur exploitation mutuelle. Par conséquent, le conflit entre eux est vraiment radical. »

Leo Strauss, "Progress or Return ?" dans Jewish Philosophie and the Crisis of Modernity, cité par Ami Bouganim dans "Athènes et Jérusalem"

 

Il me faut, ici, dire que c'est bien sur cette constante torsion que s'est construit l'Occident, entre Athènes et Jérusalem.

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Le christianisme n'est pas une "religion", ni une "confession" selon l'acceptation moderne de ces mots

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« Le christianisme n'est pas une "religion", ni une "confession" selon l'acceptation moderne de ces mots ; c'est à dire qu'il n'est pas un système de vérités spéculatives et dogmatiques que l'on admet et confesse, un ensemble de préceptes moraux que l'on observe et reconnaît pour le moins. Sans doute le christianisme possède-t-il ses dogmes et sa loi morale, mais celà n'épuise point sa nature. (...) Saint Paul résume et condense tout le christianisme, tout "l'Evangile" dans le mot "Mysterium". Pour l'Apôtre cette expression ne signifie pas seulement un enseignement caché et mystérieux des choses divines. (...) Ce "Mysterium" peut être dans le seul mot "Christus" (Colossiens 2 : 2), désignant à la fois la personne du sauveur et son corps mystique qui est l'Eglise. »

Odon Casel, Le mystère du culte dans le christianisme

 

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Tout ce qui nous a quittés sans rien nous dire de son secret...

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« C’est tout ce que nous aurions voulu faire et n’avons pas fait,
Ce qui a voulu prendre la parole et n’a pas trouvé les mots qu’il fallait,
Tout ce qui nous a quittés sans rien nous dire de son secret,
Ce que nous pouvons toucher et même creuser par le fer sans jamais l’atteindre,
Ce qui est devenu vagues et encore vagues parce qu’il se cherche sans se trouver,
Ce qui est devenu écume pour ne pas mourir tout à fait,
Ce qui est devenu sillage de quelques secondes par goût fondamental de l’éternel,
Ce qui avance dans les profondeurs et ne montera jamais à la surface,
Ce qui avance à la surface et redoute les profondeurs,
Tout cela et bien plus encore. »

Jules Supervielle, La Mer, in "Oublieuse Mémoire"

 

 

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