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09/12/2011

Des formulations qui nous aident à mourir et lèguent cependant quelque chose aux vivants

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« Il faut craindre que les formules trempées dans le solvant de la littérature ne retrouveront plus jamais leur densité ni leur réalisme. Il faudrait tendre vers des formulations qui englobent totalement le vécu (c’est-à-dire la catastrophe) ; des formulations qui nous aident à mourir et lèguent cependant quelque chose aux vivants. Si la littérature est en mesure de produire de telles formules, je veux bien, mais je considère de plus en plus que seul le témoignage en est capable, ou éventuellement une vie muette et informulée comme formulation. »

Imre Kertész, Le drapeau anglais

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08/12/2011

La tendance à s’élever devant se manifester comme caractère principal

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« De même que l’esprit chrétien se retire dans l’intérieur de la conscience, de même l’église est l’enceinte fermée de toutes parts où les fidèles se réunissent et viennent se recueillir intérieurement. C’est le lieu du recueillement de l’âme en elle-même, qui s’enferme aussi matériellement dans l’espace. Mais si, dans la méditation intérieure, l’âme chrétienne se retire en elle-même, elle s’élève, elle s’élève, en même temps, au dessus du fini ; et ceci détermine également le caractère de la maison de Dieu. L’architecture prend, dès lors, pour sa signification, indépendante de la conformité au but, l’élévation vers l’infini, caractère qu’elle tend à exprimer par les proportions de ses formes architectoniques. L’impression que l’art doit par conséquent chercher à produire est en opposition à l’aspect ouvert et serein du temple grec ; d’abord celle du calme de l’âme qui, détachée de la nature extérieure et du monde, se recueille en elle-même, ensuite, celle d’une majesté sublime qui s’élève, qui s’élance au delà des limites des sens. Si donc les édifices de l’architecture classique en général, s’étendent horizontalement, le caractère opposé des églises chrétiennes consiste à s’élever du sol et à s’élancer dans les airs.

Cet oubli du monde extérieur, des agitations et des intérêts de la vie, il doit être produit aussi par cet édifice fermé de toutes part. Adieu donc les portiques ouverts, les galeries qui mettent en communication avec le monde et la vie extérieure. Une place leur est réservée, mais avec une toute autre signification, dans l’intérieur même de l’édifice. De même la lumière du soleil est interceptée, ou ses rayons ne pénètrent qu’obscurcis par les peintures des vitraux nécessaires pour compléter le parfait isolement du dehors. Ce dont l’homme a besoin, ce n’est pas de ce qui lui est donné par la nature extérieure, mais d’un monde fait par lui et pour lui seul, approprié à sa méditation intérieure, à l’entretien de l’âme avec Dieu et avec elle-même.

Mais le caractère le plus général et le plus frappant que présente la maison de Dieu dans son ensemble et ses parties, c’est le libre esssor, l’élancement en pointes, formées, soit par des arcs brisés, soit par des lignes droites. Ce libre élancement qui domine tout et le rapprochement au sommet constituent ici le caractère essentiel d’où naissent, d’un côté, le triangle aigu, avec une base plus ou moins large ou étroite, d’autre part, l’ogive, qui fournissent les traits les plus frappants de l’architecture gothique...

L’ogive, dont les arcs semblent d’abord s’élever des pilliers en ligne droite, puis se courbent lentement et insensiblement, pour se réunir en se rapprochant du poids de la voûte placée au dessus, offre l’aspect d’une continuation véritable des pilliers eux-mêmes se recourbant en arcades. Les piliers et la voûte paraissent, par opposition avec les colonnes, former une seule et même chose, quoique les arcades s’appuient aussi sur les chapiteaux d’où elles s’élèvent.

La tendance à s’élever devant se manifester comme caractère principal, la hauteur des pilliers dépasse la largeur de leur base dans une mesure que l’oeil ne peut plus calculer. Les pilliers amincis deviennent sveltes, minces, élancés, et montent, à une hauteur telle que l’oeil ne peut saisir la dimension totale. Il erre ça et là, et s’élance lui-même en haut, jusqu’à ce qu’il atteigne la courbure doucement oblique des arcs qui finissent par se rejoindre, et là se repose; de même que l’âme, dans sa méditation, d’abord inquiète et troublée, s’élève graduellement de la terre vers le ciel, et ne trouve son repos que dans Dieu. »

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Esthétique, 3ème partie

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07/12/2011

Le pur plaisir d'exister

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« Les dieux existent donc, bien qu’ils n’aient aucune action sur le monde, ou plutôt parce qu’ils n’ont aucune action sur le monde, car c’est la condition même de leur perfection.

"Ce qui est bienheureux et immortel n’a pas lui-même de tracas et n’en cause à personne d’autre, en sorte qu’il n’est sujet ni aux colères ni à la bienveillance : car tout ce qui est de ce genre ne se trouve que dans ce qui est faible."

C’est là l’une des grandes intuitions d’Épicure : il ne se représente pas la divinité comme un pouvoir de créer, de dominer, d’imposer, sa volonté à des inférieurs, mais comme la perfection de l’être suprême : bonheur, indestructibilité, beauté, plaisir, tranquillité. Le philosophe trouve dans la représentation des dieux à la fois le plaisir émerveillé que l’on peut éprouver en admirant la beauté, et le réconfort que peut procurer la vision du modèle de la sagesse. Dans cette perspective, les dieux d’Épicure sont la projection et l’incarnation de l’idéal de vie épicurien. La vie des dieux consiste à jouir de leur propre perfection, du pur plaisir d’exister, sans besoin, sans trouble, dans la plus douce des sociétés. Leur beauté physique n’est autre que la beauté de la figure humaine. On pourrait penser avec quelque raison que ces dieux idéaux ne sont que des représentations imaginées par les hommes, et qu’ils ne doivent leur existence qu’aux hommes. Pourtant, Épicure semble bien les concevoir comme des réalités indépendantes, qui se maintiennent éternellement dans l’être parce qu’elles savent écarter ce qui pourrait les détruire et ce qui leur est étranger. Les dieux sont les amis des sages et les sages sont les amis des dieux. Pour les sages, le bien le plus haut, c’est de contempler la splendeur des dieux. Ils n’ont rien à leur demander, et pourtant ils les prient, d’une prière de louange : c’est à la perfection des dieux que leurs hommages s’adressent. On a pu parler à ce sujet de "pur amour", d’un amour qui n’exige rien en retour. »

Pierre Hadot, Qu'est-ce que la philosophie antique ? (1995)

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06/12/2011

L'horreur instinctive que ressent tout individu sensible devant la mécanisation progressive de la vie

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« Une bonne part de ce que nous appelons plaisir n'est rien d'autre qu'un effort pour détruire la conscience. Si l'on commençait par se demander : qu'est-ce que l'homme ? Quels sont ses besoins ? Comment peut-il le mieux s'exprimer ? On s'apercevrait que le fait de pouvoir éviter le travail et vivre toute sa vie à la lumière électrique et au son de la musique en boîte n'est pas une raison suffisante pour le faire. L'homme a besoin de chaleur, de vie sociale, de loisirs, de confort et de sécurité ; il a aussi besoin de solitude, de travail créatif et du sens du merveilleux. S'il en prenait conscience, il pourrait utiliser avec discernement les produits de la science et de l'industrie, en leur appliquant à tous le même critère : cela me rend-il plus humain ou moins humain ? Il comprendrait alors que le bonheur suprême ne réside pas dans le fait de pouvoir tout à la fois et dans un même lieu se détendre, se reposer, jouer au poker, boire et faire l'amour. Et l'horreur instinctive que ressent tout individu sensible devant la mécanisation progressive de la vie ne serait pas considérée comme un simple archaïsme sentimental, mais comme une réaction pleinement justifiée. Car l'homme ne reste humain qu'en ménageant dans sa vie une large place à la simplicité, alors que la plupart des inventions modernes –notamment le cinéma, la radio et l'avion- tendent à affaiblir sa conscience, à émousser sa curiosité et, de manière générale, à le faire régresser vers l'animalité. »

George Orwell, Tribune - 1946

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05/12/2011

L’impossibilité des tendances et des désirs à atteindre la cohésion, la convergence, l’unité

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« Les amorphes sont légion. J’entends, par là, ceux qui n’ont pas de forme qui leur soit propre ; ce sont des caractères acquis. En eux, rien d’inné ; rien qui ressemble à une vocation ; la nature les a faits plastiques a l’excès. Ils sont intégralement le produit des circonstances, de leur milieu et de l’éducation qu’ils ont reçue des hommes ou des choses. Un autre, ou a défaut de cet autre, le milieu social veut pour eux et agit pour eux. Ils ne sont pas une voix, mais un écho. Ils sont ceci ou cela, au gré des circonstances. Le hasard décide de leur métier, de leur mariage et du reste : une fois pris dans l’engrenage, ils font comme tout le monde [...]
Les instables sont les déchets et les scories de la civilisation et on peut l’accuser a juste titre de les multiplier. Ils sont l’antithèse complète de notre définition, n’ayant ni unité ni permanence capricieux, changeant d’un instant a l’autre, tour a tour inertes et explosifs ; incertains et disproportionnés dans leurs réactions, agissant de la même manière dans des circonstances différentes et différemment dans des circonstances identiques ; ils sont l’indétermination absolue. Formes morbides, à degrés divers, qui expriment l’impossibilité des tendances et des désirs à atteindre la cohésion, la convergence, l’unité. »

Théodule Ribot, La Psychologie des Sentiments

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04/12/2011

L’espace de notre quotidienneté n’est pas "vu d’avion" mais vécu à ras de terre. Davantage, cette approche méconnaît le fait qu’un espace urbain ne peut ainsi être perçu d’un coup...

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« Les nouvelles agglomérations sont élaborées sur la planche à dessin et à partir de maquettes. Dans les deux cas, elles sont essentiellement présentées comme des images abstraites, des compositions géométriques, en relief ou non. Leur méthode d’engendrement occulte le fait qu’un espace urbain ne s’adresse pas à l’œil seulement mais concerne le corps tout entier et ne peut, sous peine de réduction, être traité dans le seul cadre d’une esthétique de la vision : l’espace de notre quotidienneté n’est pas "vu d’avion" mais vécu à ras de terre. Davantage, cette approche méconnaît le fait qu’un espace urbain ne peut ainsi être perçu d’un coup, mais seulement dans la successivité de séquences fragmentaires, au gré des temps et des parcours. »

Françoise Choay, "Production de la ville, esthétique urbaine et architecture", M. Roncayolo (dir.), La ville aujourd’hui. Mutations urbaines, décentralisation et crise du citadin

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03/12/2011

Cette tempête est ce que nous appelons le progrès

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« Il existe un tableau de Klee qui s’intitule « Angelus Novus ». il représente un ange qui semble s’éloigner de quelque chose qu’il fixe du regard. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. C’est à cela que doit ressembler l’Ange de l’Histoire. Son visage est tourné vers le passé. Là nous apparaît une chaine d’événements, il ne voit, lui, qu’une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncèle ruines sur ruines et les précipite à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été démembré. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si violemment que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l’avenir auquel il tourne le dos, tandis que le monceau de ruines devant lui s’élève jusqu’au ciel. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès. »

Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire, Œuvres, vol III

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02/12/2011

Les habitants des côtes

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« Les habitants des côtes doivent avoir l’esprit moins étroit que les habitants de l’intérieur. La mer, qui renferme l’idée de l’infini est sous leurs yeux. Ils parlent sans cesse des dangers qu’elle fait naître, du courage avec lequel on les surmonte et des fortunes rapides qu’on fait par le commerce maritime. La conversation du matelot fatigué et rentré au port est moins bête que celle du notaire de Bourges . »

Stendhal, Mémoires d’un touriste

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30/11/2011

La vie devenait de plus en plus féroce

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« On en finit même avec la semaine, si bien réglée: à présent, on imposait "les cinq jours continus", les membres d’une même famille avaient des jours de repos différents, le dimanche commun à tous fut liquidé. Le temps s’était lancé dans une telle course "en avant" qu’il en avait perdu son visage, cessant pour ainsi dire d’être. La vie devenait de plus en plus féroce. »

Alexandre Soljenitsyne, Nos Jeunes

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29/11/2011

Les hommes étaient partout les mêmes et il les plaignait

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« Pendant les années qu’il avait passées dans les campas, Ivan Grigoriévitch avait appris à connaître les faiblesses humaines. Maintenant, il voyait qu’elles étaient fort nombreuses des deux côtés des barbelés. Les souffrances ne faisaient pas que purifier. La lutte pour obtenir une gorgée supplémentaire de soupe ou pour se faire exempter d’une corvée était féroce et les faibles s’abaissaient à un niveau pitoyable. Maintenant qu’il était en liberté, Ivan Grogorévitch cherchait à deviner comment tel ou tel personnage hautain et fort soigné dans sa mise raclerait de sa cuiller les écuelles vides des autres ou trotterait autour des cuisines à la recherche d’épluchures et de feuilles de chou pourries, à la façon d’un chacal...

Foulés, écrasés par la violence, la sous-alimentation, le froid, la privation de tabac, les hommes métamorphosés en chacals des camps, cherchant de leurs yeux hagards des miettes de pain et des mégots couverts de bave, éveillaient en lui la pitié.

Les hommes des camps l’aidaient à comprendre les hommes en liberté. Il discernait chez les uns et chez les autres une même faiblesse, une même cruauté et une même peur.

Les hommes étaient partout les mêmes et il les plaignait. »

Vassili Grossman, Tout passe

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28/11/2011

L’art de commander

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« Eh bien, Socrate, dit-il, les animaux apprennent à obéir par ces deux moyens : ils sont châtiés s’ils tentent de désobéir, ils sont bien traités s’ils montrent de la bonne volonté et de la docilité. Voici, par exemple, comment les poulains apprennent à obéir à ceux qui les dressent : lorsqu’ils sont dociles ils sont gratifiés de quelque friandise, lorsqu’ils se montrent indociles ils ont des désagréments jusqu’à ce qu’ils se plient à la volonté du dresseur. De même, les jeunes chiens qui sont si inférieurs à l’homme sous le rapport de l’intelligence et du langage apprennent pourtant de cette même façon à courir en rond, à faire la culbute et bien d’autres tours ; lorsqu’ils sont dociles, on leur donne quelque chose dont ils ont envie, s’ils ne font pas attention, on les châtie. Quant aux hommes, il est possible de les rendre plus obéissants rien qu’en usant de la parole, en leur montrant que leur intérêt est d’obéir ; pour les esclaves, la méthode d’éducation qui semble particulièrement convenir pour les bêtes est un très bon moyen pour leur apprendre à obéir. Si en flattant leurs appétits tu satisfais leur estomac, tu pourras en tirer beaucoup. Mais les natures qui ont de l’amour-propre sont aiguillonnées par les compliments : certaines natures ont soif de compliments, tout comme d’autres ont envie de nourriture ou de boisson. Tous ces procédés que j’emploie moi-même dans la pensée de rendre les gens plus dociles, je les enseigne à ceux dont je veux faire des régisseurs et je leur viens encore en aide de la façon suivante : je dois fournir à mes ouvriers des vêtements et des chaussures et je ne les fais pas faire tous pareils ; les uns sont moins bons, les autres meilleurs ; je puis ainsi récompenser les ouvriers les plus capables avec les meilleurs et donner les moins bons aux moins capables. Car je crois, Socrate, ajoutait-il, qu’il est tout à fait décourageant pour les bons ouvriers de voir que tout le travail est fait par eux, tandis que l’on traite tout comme eux ceux qui ne consentent ni à se donner de la peine, ni à courir un risque en cas de besoin. »

XENOPHON, Économique, XIII

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27/11/2011

Esclave par Nature

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« Il est donc possible, disons-nous, d’observer d’abord dans tout vivant l’autorité d’un maître d’esclaves et celle d’un homme d’Etat, car l’âme commande au corps avec l’autorité d’un maître et l’intellect commande à l’appétit avec l’autorité d’un homme d’Etat ou d’un roi. Ici il est évident que la soumission à l’âme est aussi naturelle et avantageuse pour le corps que la soumission à l’intellect et à la partie raisonnable l’est pour la partie affective, tandis que leur égalité ou l’inversion de leurs rapports leur est à tous nuisible. Le même rapport se retrouve entre l’homme et les autres animaux : les animaux domestiqués ont une nature meilleure que les animaux sauvages et pour eux tous il vaut mieux être soumis à l’homme, car ils y trouvent leur sécurité. De plus la relation du mâle à la femelle est par nature celle de supérieur à inférieur, de gouvernant à gouverné ; ce principe s’applique nécessairement de même à tous les hommes. Tous les êtres donc qui sont aussi différents des autres que l’âme l’est du corps et l’homme de la brute (tel est le cas de tous ceux dont l’activité se réduit à user de leur corps et qui tirent par là le meilleur parti de leur être) sont par nature esclaves : mieux vaut pour eux, tout comme dans les cas mentionnés, être soumis à ce genre d’autorité. Ainsi celui-là est esclave par nature qui peut appartenir à un autre (aussi lui appartient-il en fait) et qui n’a part à la raison que dans la mesure où il peut la percevoir, mais non pas la posséder lui-même. Les autres animaux ne perçoivent pas la raison, mais obéissent à des impressions. Quant à leur utilité, la différence est mince : esclaves et animaux domestiques apportent l’aide de leur corps pour les besognes indispensables. »

ARISTOTE, Politique Tome I, Livre I, V, 6-9

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26/11/2011

Il n’y a pas d’oeuvre civilisatrice sans amour

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« Il n’y a pas d’oeuvre civilisatrice sans amour, et celle de la France fut immense. Sans nos missionnaires, nos soldats, nos marins, nos découvreurs, nos administrateurs, et même nos commerçants, qui bâtirent l’Empire colonial français aujourd’hui disparu, des dizaines de millions d’individus sur cette terre ne seraient jamais sortis de la nuit. Et si certains y retournent aujourd’hui, c’est parce que nous ne sommes plus là pour éclairer leur chemin.

La France était un pays conquérant, certes, parce que c’était un pays fort et qui croyait en son destin. Ne suivez pas ceux qui vous disent qu’ il faut renier tout cela aujourd’hui. Soyez-en fiers, au contraire ! Pendant des siècles et des siècles, depuis la Première Croisade en 1095 jusqu’aux derniers combats d’Indochine et d’Algérie hier encore, la France a lancé les meilleurs des siens aux lointaines frontières du vaste monde. Pendant près de neuf cents ans, avec des fortunes diverses, elle s’est imposée aux quatre coins de la planète. Mais nos conquérants, toujours, pacifiques ou combattants, à l’échelle de leurs conquêtes, étaient tragiquement peu nombreux.

Combien se comptaient les Francs sous les murs de Jérusalem, le 15 juillet 1099 ? de 150 000 au départ, ils n’étaient plus que 12 000 et combattaient à un contre dix. Et c’est à un contre cinquante ou cent qu’ils se maintinrent en Terre Sainte pendant près de deux siècles ! Et les compagnons de Champlain, au Canada, pour fonder la Nouvelle-France, combien croyez-vous qu’ils étaient ? Quelques dizaines. Et les soldats de Lyautey, au Maroc ? Quelques milliers. Imaginez aussi la solitude de nos officiers, dans tel ou tel poste d’Afrique ou du Sahara, tenant des milliers de kilomètres carrés avec une demi-douzaine de tirailleurs ou de méharistes indigènes... et le drapeau. La force ? Non. Ou plutôt si : la seule force de la foi, celle qui soulève les montagnes.

Car il faut que vous appreniez ceci, même si l’on vous assure du contraire : ils apportaient une espérance, une autre vision de l’homme plus conforme à la charité et à la dignité, un souci du prochain jusque-là inconnu de ces peuples qu’ils soumettaient. »

Jean Raspail, Préface au livre de Henri Servien, Petite Histoire des colonies et missions françaises

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24/11/2011

Dialoguer avec les forces inconscientes

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« Nous avons vu que les forces inconscientes peuvent prendre le pouvoir et nous manipuler si nous refusons de les reconnaître et de dialoguer avec elles. Les personnes qui sont absolument convaincues d'être bonnes et justes, qui n'ont pas le moindre doute sur leur droiture et leur honnêteté sont celles qui risquent le plus d'être manipulées par leur ombre. Elles refusent de voir la part ténébreuse qui se cache en elles et n'ont pas compris que chaque acte comporte à la fois un côté lumineux et une face obscure. Le dévouement constant envers autrui, par exemple, est évidemment un acte digne d'admiration, mais il peut obéir à des motivations peu avouables. En aidant quelqu'un, on acquiert du pouvoir sur lui et on peut le rendre dépendant au point qu'il ne pourra plus se passer de nous. Les gens qui veulent aider les autres devraient impérativement apprendre à reconnaître leur ombre. Sans cette prise de conscience, ils risquent en toute bonne foi de commettre des dégâts parfois irréparables. Il en va évidemment de même pour toutes celles et ceux qui rêvent de changer le monde. »

Carl Gustav Jung, Le pouvoir du miroir

 


Martin Wittfooth - "Domini canis"

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23/11/2011

Poésie

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« Ainsi, le principe de la poésie est strictement et simplement l'aspiration humaine vers une beauté supérieure, et la manifestation de ce principe est dans un enthousiasme, une excitation de l'âme, – enthousiasme tout à fait indépendant de la passion qui est l'ivresse du cœur, et de la vérité qui est la pâture de la raison. Car la passion est naturelle, trop naturelle pour ne pas introduire un ton blessant, discordant, dans le domaine de la beauté pure, trop familière et trop violente pour ne pas scandaliser les purs désirs, les gracieuses mélancolies et les nobles désespoirs qui habitent les régions surnaturelles de la poésie. »

Charles Baudelaire, "Théophile Gautier" in "L'art romantique"

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22/11/2011

Cubernesis

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« Bien loin d’être actif et producteur, travailleur qui s’y connaît et aménage son monde par son maniement, l’homme d’aujourd’hui est réactif, il répond à des signaux dont le flux annihile distance et proximité. Il est ainsi fondamentalement assisté par un dispositif technologique qui l’a dépossédé de tous ses savoir-faire, et en vérité, qui l’a dépossédé de sa propre existance : il suffit de supposer comme le faisait Heidegger que disparaissent soudainement de toute la surface de la terre tous les téléphones, radios et téléviseurs, et d’imaginer "la perplexité, l’ennui, le vide qui envahiraient d’un coup l’homme, venant bouleverser de part en part son quotidien" (Heidegger, Le Dispositif, GA 79, p. 39), pour mesurer à quel point l’homme est dépendant – au sens toxicologique du terme – de ce dispositif de transmission d’informations.

L’époque où le tout de l’étant est pris dans un tel flux de transissions d’informations est alors celle de l’informatique : mais l’informatique ne transmet des informations qu’en tant que celles-ci sont des signaux. Le terme d’informatique dissimule la nature réelle du signal, en le réduisant à une information en soi neutre : mais le signal n’est jamais simple donnée ; il n’est pas non plus signe, sa structure n’est pas le renvoi mais le commandement. "Commandement" en grec se disait cubernesis, d’où vient le mot "cybernétique". L’informatique est en réalité cybernétique. Née pendant la seconde guerre mondiale, développée pendant la guerre froide, la cybernétique est issue de recherches sur la défense anti-aérienne, et de la tentative pour émanciper la riposte des limites propres aux comportements humains. Ainsi le système anti-aérien mesure en continu la position et la vitesse des avions ennemis, prévoit leur trajectoire, transmet l’information au lance-missile le mieux placé, qui ajuste son tir et décide la mise à feu sans aucune intervention humaine : ce dispositif fournit la logique même de la cybernétique, c'est-à-dire la réduction de toute situation à une quantité d’informations, la transmission d’informations d’un appareil à l’autre, et la capacité de redéfinir un fonctionnement à partir des informations reçues. Il faut donc reconnaître avec Heidegger que la cybernétique constitue "la nouvelle science fondamentale" (Heidegger, La fin de la philosophie et la tâche de la pensée, GA 14, p. 72), c'est-à-dire le mode de constitution du tout de l’étant, et c’est ce qui permet ainsi de comprendre la prééminence de la signalétique : en étant exposé aux signaux, l’homme occupe aujourd’hui la fonction du lance-missile dans le système anti-aérien – il reçoit une quantité d’information, adapte son comportement en fonction de ces informations, et prend sa décision après un calcul de l’optimum, il n’est rien d’autre qu’un calculateur égotique.

Si donc la cybernétique se définit par l’automatisation des processus, elle se définit également par un nouveau rapport homme/machine, qui intègre les hommes dans des dispositifs de plus en plus complexes, dont ils ne sont que des pièces, les plus imparfaites parce que toujours susceptibles d’introduire la fatale "erreur humaine" dans le processus. La cybernétique est en cela a science du contrôle des vivants par la machine ; le moment cybernétique est celui de la fin de la différence entre vivant et machine par quoi se parachève l’indifférenciation de toutes choses propre à l’appareillement.

Heidegger à la fin de sa vie avait mi en garde contre la montée en puissance de la cybernétique : sur cette science, écrivait-il en 1967, "repose la possibilité de l’auto-régulation, l’automatisation d’un système moteur. Dans la représentation du monde par la cybernétique, la différence entre les machines automatiques et les êtres vivants est abolie […] L’homme lui aussi a sa place assignée dans cette uniformité du monde cybernétique". (Heidegger, "La provenance de l’art et la destination de la pensée", Cahier de l’Herne Heidegger, p. 88). »

Jean Vioulac, L’époque de la technique. Marx, Heidegger et l’accomplissement de la métaphysique

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21/11/2011

C’est la puissance de la technique qui fait régner partout la dimension unique

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« En fournissant les concepts pour une domination de plus en plus efficace de tout objet en général, la science fournit de ce fait des outils conceptuels qui peuvent aussi bien servir à la domination de l’homme. Bien plus, elle favorise une telle domination.
L’exploitation de l’homme, à cause même de la neutralité morale de la science devient un simple problème "technique" qui doit être résolu rationnellement.

"L’organisation scientifique, la division scientifique du travail", l’analyse qui consiste par exemple à décomposer la force de travail en petites unités de temps abstraites et interchangeables, relèvent de la même volonté de domination et d’efficacité rationnelle que la mathématisation de la nature. Il s’agit donc d’une quantification et on élimine ce qui n’est pas quantifiable.

 Ainsi, sans être lié explicitement à un projet politique, social ou économique déterminé, la science rend possibles toutes sortes de projets particuliers de domination. Comme elle contient implicitement la transformation de tout objet en instrument capable d’exécuter des opérations mesurables, elle contient aussi "l’instrumentalisation des hommes".

Sur le plan politique, l’esprit scientifique agit dans le sens du maintien et du renforcement de l’ordre établi et ce pour plusieurs raisons : il aide à formaliser, à rationaliser, à rendre plus fonctionnelles les institutions en place et les structures sociales existantes, sans évidemment les remettre en question ; d’autre part il affecte d’u coefficient d’irréalité et tend à rejeter toutes les idées qui ne peuvent pas être soumises au critère de l’objectivité mathématique.

Sur le plan social, la rationalité scientifique exige que la fonction de l’individu soit "contrôlée" et calculée, car il n’est pas rationnel qu’il puisse se déterminer lui-même librement sans entrer en conflit avec une organisation générale de la société.


 
 Ainsi il existe dans la société industrielle une relation étroite entre le caractère unidimensionnel de la science et celui du monde de la vie quotidienne. Pas plus que la science, la technologie ne peut être considérée comme "neutre", à partir du moment où l’on s’aperçoit qu’elle n’existe pas "à part" mais qu’elle définit un mode de pensée et d’existence sociale universelle. La technique est un horizon et une base pour la science elle-même : à plus forte raison, elle pénètre la vie sociale, la vie politique. Il y a une relation double : les hommes sont pris dans le processus technique et ils se comprennent à partir de lui. "Quand la technique devient la forme universelle de la production matérielle, elle circonscrit une culture toute entière ; elle projette une totalité historique, - un monde". C’est la puissance de la technique qui fait régner partout la dimension unique ; l’unidimensionnel, c’est la Technique. »

Michel Haar, L’homme unidimensionnel de Marcuse

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16/11/2011

Gellassenheit

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« Les organisations, appareils et machines du monde technique nous sont devenus indispensables, dans une mesure qui est plus grande pour les uns et moindre pour les autres. Il serait insensé de donner l’assaut, tête baissée, au monde technique ; et ce serait faire preuve de vue courte que de vouloir condamner ce monde comme étant l’œuvre du diable. Nous dépendons des objets que la technique nous fournit et qui, pour ainsi dire, nous mettent en demeure de les perfectionner sans cesse. Toutefois notre attachement aux choses techniques est maintenant si fort que nous sommes, à notre insu, devenus leurs esclaves. Mais nous pouvons nous y prendre autrement.

Nous pouvons utiliser les choses techniques, nous en servir normalement mais en même temps nous en libérer de sorte qu'a tout moment nous conservions nos distances à leur égard. Nous pouvons faire usage des objets techniques comme il faut qu'on en use. Mais nous pouvons en même temps laisser à eux mêmes comme ne nous atteignant pas dans ce que nous voulons de plus intime et de plus propre. Nous pouvons dire "oui" à l'emploi inévitable des objets techniques et nous pouvons en même temps lui dire "non" en ce sens que nous les empêchions de nous accaparer et ainsi fausser, brouiller et finalement vider notre être. Mais si nous disons ainsi à la fois "oui" et "non" aux objets techniques notre rapport au monde technique ne devient-il pas ambigu et incertain? Tout au contraire : notre rapport au monde technique devient merveilleusement simple et paisible. Nous admettons les objets techniques dans notre monde quotidien et en même temps nous les laissons dehors, c'est-a-dire que nous les laissons reposer sur eux-mêmes comme des choses qui n'ont rien d'absolu, mais qui dépendent de plus haut qu'elles. […]. Un vieux mot s’offre à nous pour désigner cette attitude du oui et du non dits ensemble au monde technique : c’est le mot Gellassenheit, sérénité, égalité d’âme. Elle permet de rester dans le monde technique mais à l’abri de sa menace. »

Martin Heidegger, Questions II & IV

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15/11/2011

Cette culture prospère de la médiocrité

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« Car je haïssais, je détestais, je maudissais tout ça du plus profond de moi : cette satisfaction, cette santé, ce bien-être, cet optimisme entretenu par le bourgeois, cette culture prospère de la médiocrité, de la normalité, de la moyenne. »

Hermann Hesse, Le Loup des Steppes

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Maintenant que tout est consommé, ou que rien n'a plus d'importance

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« C'est du dessous de ma paupière, c'est du fond de la rivière que ces mots sont venus au monde. Au commencement, oui était l'écriture, de hautes lettres trop serrées, disgracieuses, qui se disputent la place et entravent l'envol de la phrase. L'un dira que les mots ne se pressent guère d'atteindre le point, l'autre que quelque chose les retient, et tous diront, moi le premier, qu'en vérité ils voudraient pouvoir encore reculer, rebrousser chemin, mais qu'il n'est plus temps. Il faut leur offrir une dernière chance de remplir la ligne, de respirer à pleins poumons d'une marge à l'autre, maintenant que tout est consommé, ou que rien n'a plus d'importance. »

Marek Bienczyk, Tworki

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09/11/2011

Liberté sous l'Ancien Régime

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« L'Homme du XVIII ème siècle a vécu dans un pays tout hérissé de libertés. Les étrangers ne s'y trompaient pas. l'Anglais Dallington définit la France en 1772 : une vaste démocratie. "Toute ville chez nous, disait amèrement, deux cent ans plus tôt, Richelieu, non moins centralisateur que Robespierre, est une capitale. Chaque communauté française, en effet, ressemble à une famille qui se gouverne elle-même, le moindre village élit ses syndics, ses collecteurs, son maître d'école, décide de la construction des ponts, l'ouverture des chemins, plaide contre le Seigneur, contre le curé, contre un village voisin" -- car nos paysans furent toujours procéduriers. A l'exemple des villages, les villes élisent leur maire, leurs échevins, entretiennent leurs milices, décident souverainement des questions municipales. En 1670, sous le règne de Louis XIV, le prince de Condé, gouverneur de Bourgogne, convoque en assemblée générale LES HABITANTS DE CHALON-SUR-SAÔNE, et, prenant la parole, sollicite pour les Jésuites la permission de s'établir dans la ville. Après quoi, il se retire pour laisser à l'assemblée toute liberté de discussion. Sa requête est rejetée à une énorme majorité : les habitants de Chalon-sur-Saône n'aimaient pas les Jésuites. »

Georges Bernanos, La France contre les Robots

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08/11/2011

Ils trouvent la liberté belle, ils l’aiment, mais ils sont toujours prêts à lui préférer la servitude

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« Ils trouvent la liberté belle, ils l’aiment, mais ils sont toujours prêts à lui préférer la servitude qu’ils méprisent, exactement comme ils trompent leur femme avec des gourgandines. Le vice de la servitude va aussi profond dans l’homme que celui de la luxure, et peut-être que les deux ne font qu’un. Peut-être sont-ils une expression différente et conjointe de ce principe de désespoir qui porte l’homme à se dégrader, à s’avilir, comme pour se venger de son âme immortelle. »

Georges Bernanos, La France contre les Robots

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07/11/2011

Tout nu devant ses maîtres

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« L’égalité absolue des citoyens devant la Loi est une idée romaine. A l’égalité absolue des citoyens devant la Loi doit correspondre, tôt ou tard, l’autorité absolue et sans contrôle de l’Etat sur les citoyens. Car l’Etat est parfaitement capable d’imposer l’égalité absolue des citoyens devant la Loi, jusqu’à leur prendre tout ce qui leur appartient, tout ce qui permet de les distinguer les uns des autres, mais qui défendra la Loi contre les usurpations de l’Etat ? ce rôle était jadis chez nous celui des Parlements. Il y avait treize Parlements dans le Royaume, et même dix-sept, si l’on compte les quatre Conseils supérieurs – Paris, Toulouse, Grenoble, Bordeaux, Dijon, Rouen, Aix, Rennes, Pau, Metz, Besançon, Douai, Nancy, Roussillon, Artois, Alsace et Corse. LE POUVOIR DE CHACUN DE CES PARLEMENTS ETAIT EGAL A CELUI DU ROI. Ils jugeaient en dernier ressort et recevaient l’appel de toutes les juridictions royales, municipales, seigneuriales, ecclésiastiques. Ils avaient le droit d’examen, d’amendement et de remontrance sur tous les actes publics. Les traités avec les puissances étrangères leur étaient soumis. "Telle est la loi du Royaume, écrit La Roche-Flavin, président du Parlement de Toulouse, que nul édit ou ordonnance royale n'est tenu pour édit ou ordonnance s'ils ne sont d'abord vérifiés aux Cours souveraines par délibération d'icelles." En son édit de 1770, Louis XV s'exprime en ces termes : "Nos Parlements élèvent leur autorité au-dessus de la nôtre, puisqu'ils nous réduisent à la simple faculté de leur proposer nos volontés, se réservant d'en empêcher l'exécution." Le gouvernement devait transmettre au Parlement les nominations faites par lui à la plupart des fonctions, et l'on vit plus d'une fois ces assemblées en refuser l'enregistrement, c'est-à-dire briser les promotions du roi. Pour plier cette magistrature indépendante, l'Etat ne disposait que d'un petit nombre de moyens si compliqués qu'il n'y avait recours que rarement, et même alors les magistrats pouvaient recourir à un procédé infaillible : ils négligeaient la loi enregistrée contre leur plaisir, n'en tenaient pas compte dans leurs arrêts, ou encore suspendaient l'administration de la Justice, ce qui risquait de jeter le royaume dans le chaos.

Si les Parlements disposaient d'un tel pouvoir de résistance à l'Etat, les magistrats qui les composaient et ne dépendaient de personne, puisqu'ils avaient la propriété de leur charge, pouvaient passer pour des privilégiés. Chaque citoyen bénéficiait pourtant de ce privilège, non qu'il fut tenu de soutenir le Parlement contre le Roi, ou le Roi contre le Parlement, mais tout simplement parce que cette rivalité donnait aux institutions ce que les mécaniciens appellent du "jeu". L’homme d’autrefois ne ressemblait pas à celui d’aujourd’hui. Il n’eût jamais fait partie de ce bétail que les démocraties ploutocratiques, marxistes ou racistes nourrissent pour l’usine et le charnier. Il n’eût jamais appartenu aux troupeaux que nous voyons s’avancer tristement les uns contre les autres, en masses immenses derrière leurs machines, chacun avec ses consignes, son idéologie, ses slogans, décidés à tuer, résignés à mourir, et répétant jusqu’à la fin, avec la même conviction mécanique : "C’est pour mon bien… c’est pour mon bien…" Loin de penser comme nous à faire de l’Etat son nourricier, son tuteur, son assureur, l’homme d’autrefois n’était pas loin de le considérer comme un adversaire contre lequel n’importe quel moyen de défense est bon, parce qu’il triche toujours. C'est pourquoi les privilèges ne froissaient nullement son sens de la justice ; il les considérait comme autant d'obstacles à la tyrannie, et, si humble que fût le sien, il le tenait -- non sans raison d'ailleurs -- pour solidaire des plus grands, des plus illustres. Je sais parfaitement que ce point de vue nous est devenu étranger, parce qu'on nous a perfidement dressés à confondre la justice et l'égalité. Ce préjugé est même poussé si loin que nous supporterions volontiers d'être esclaves, pourvu que personne ne puisse se vanter de l'être moins que nous. Les privilèges nous font peur, parce qu'il en est de plus ou moins précieux. Mais l'homme d'autrefois les eût volontiers comparés aux vêtements qui nous préservent du froid. Chaque privilège était une protection contre l'Etat. Un vêtement peut être plus ou moins élégant, plus ou moins chaud, mais il est nettement préférable d'être vêtu de haillons que d'aller tout nu. Le citoyen moderne, lorsque ses privilèges auront été confisqués jusqu'au dernier, y compris le plus bas, le plus vulgaire, le moins utile de tous, celui de l'argent, ira tout nu devant ses maîtres. »

Georges Bernanos, La France contre les Robots

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04/11/2011

Tout journal est comme une boutique

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« Le Journal au lieu d’être un sacerdoce est devenu un moyen pour les partis ; de moyen, il s’est fait commerce ; et comme tous les commerces, il est sans foi ni loi. Tout journal est, comme […] une boutique où l’on vend au public des paroles de la couleur dont il les veut. S’il existait un journal des bossus, il prouverait soir et matin la beauté, la bonté, la nécessité des bossus. Un journal n’est plus fait pour éclairer, mais pour flatter les opinions. Ainsi, tous les journaux seront dans un temps donné, lâches, hypocrites, infâmes, menteurs, assassins ; ils tueront les idées, les systèmes, les hommes, et fleuriront par cela même. Ils auront le bénéfice de tous les êtres de raison : le mal sera fait sans que personne en soit coupable. »

Honoré de BALZAC, Les illusions perdues

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03/11/2011

"J’ai travaillé pas mal. On travaille ou bien on regarde."

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« J’ai travaillé pas mal. On travaille ou bien on regarde. C’est l’un ou l’autre. Mais si vous travaillez, vous ne faites pas autre chose. Maintenant on ne sait plus ce que c’est, le travail. C’est encore un truc que j’ai comme ça, parce que je ne suis pas d’une génération où l’on rigolait. Ca n’existait pas. Les distractions, c’était des choses de gens riches. Quand on était pauvre, on travaillait jusqu’à crever. C’était le destin. Mais je vois maintenant qu’ils ne travaillent plus. Alors ils ne savent rien. Oh, ils ont tous une petite envie, comme ça, de s’exprimer. Mais quand vous les mettez devant une feuille de papier, devant un pinceau ou un instrument, on voit surtout la débilité, l’insignifiance. Du jour où l’on s’est mis à apprendre sans douleur, le latin sans thème, le grec en dormant, on ne sait plus rien. C’est la facilité qui tue tout. La facilité et la publicité. C’est fini. Il n’y a plus rien. Il manque quelque chose : l’effort. »

Louis-Ferdinantd Céline, entretien avec Jacques d’Arribehaude

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