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15/11/2017

Un jeu de mensonge

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« L'exercice du suffrage universel en France est devenu un débordement de vice inouï. Exactement comme le nationalisme barbare, exactement comme l'antisémitisme barbare, exactement comme un certain antimilitarisme, comme un certain colonialisme, comme l'africanisme, comme le surmenage industriel, comme la prostitution, comme la syphilis, comme les courses, comme et autant que tous les parlementarismes, le parlementarisme électoral est une maladie. (...) L'exercice du suffrage universel en France est devenu, sauf de rares et nobles exceptions, un jeu de mensonge, un abus de force, un enseignement de vice, une maladie sociale, un enseignement d'injustice. »

Charles Péguy, Quatorzième Cahier de la troisième série — 22 avril 1902

 

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Des exécutions publiques

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« On multiplie partout les manifestations sportives, hein ? Vraiment, quel signe de décadence ! Le genre de spectacle qu’il faudrait montrer aux gens, on ne le leur fait jamais voir ; ce qu’il faudrait leur montrer, ce sont les exécutions capitales. Pourquoi ne sont-elles pas publiques ? »

Yukio Mishima, Le Pavillon d’Or

 

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La bizarre économie de Fiume occupée

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« Gaspilleur, amoureux du luxe, auteur bien payé mais insatiable et endetté, plus porté sur la dilapidation que sur la parcimonie, D'Annunzio se montre réfractaire aux règles modernes de l'économie. Il rentre plutôt dans la catégorie des individus encore conditionnés par la mentalité économique archaïque, où l'échange de dons, le goût exhibitionniste de la munificence, sont plus appréciés que le marché. Ce n'est pas un hasard si D'Annunzio fera graver, à l'entrée du Vittoriale, la devise : "J'ai ce que j'ai donné". Son attitude relève d'un comportement anti-économique qui peut rentrer, par analogie, dans le phénomène que décrivit Marcel Mauss dans son "Essai sur le don", publié en 1923-1924, auquel se réfère aujourd'hui en France le MAUSS - Mouvement Anti-Utilitariste dans les Sciences Sociales.

La bizarre économie de Fiume occupée reflète les grandes lignes de l'anti-utilitarisme. En effet, les rentrées d'argent gouvernementales ne viennent pas de taxes ou d'impôts, comme dans tous les États "normaux", mais bien des vols accomplis par les Uscocchi, ainsi que des offrandes généreuses des partisans anonymes ou illustres. […]
Pour mieux pénétrer l'esprit de la piraterie fiumaine, nous pouvons nous appuyer sur les théories élaborées par les animateurs de la Revue du MAUSS, selon lesquelles le don, par-delà le marché et l'économie publique, serait au centre d'un troisième réseau de circulation de biens et de services, la socialité, où ce qui compte n'est pas tant la valeur d'usage ou d'échange, que ce que l'on pourrait appeler la "valeur de lien". On peut appliquer cette interprétation au cas de Fiume, soutenue par des donations et souscriptions, mais surtout par la pratique du coup de main, un vol qui — à la manière de Robin des Bois volant aux riches pour donner aux pauvres — se transforme en distribution pour la collectivité, acte généreux qui crée un lien fort, sur les plans émotionnel et social, entre les hommes. Comme le souligne Kochnitzky, les Uscocchi sont "des corsaires qui ne pillent que pour donner à manger aux affamés".
Le langage du don, disent ceux qui l'étudient, naît du besoin, non de tirer profit, mais d'être utile, pour obtenir en échange estime, admiration, reconnaissance, et tend à relier les individus dans des réseaux d'amitié et de considération réciproques. Placer ce lien au centre des rapports humains implique une vision du monde qui, parce qu'elle refuse d'accepter la société comme un engrenage uniquement réglé par le mobile du gain et de la production, s'ouvre au risque, à l'inattendu, à l'aléatoire, à l'aventure. On ne saurait certes nier que ces traits se retrouvent typiquement dans l'atmosphère fiumaine, où par-delà l'économie fondée sur la piraterie, les exemples de l'esprit du don ne manquent pas : la quotidienne offrande de mots que le Vate dispense depuis le balcon du palais du gouvernement n'est-elle pas un cadeau que l'artiste reçoit de sa Muse pour le restituer à son public ?

L'homme que la philosophie du don oppose à l'homo œconomicus ne poursuit pas un idéal paupériste, pas plus qu'il n'est pauvre en besoins. Au contraire, pour pouvoir donner, il doit avoir vécu passions et désirs. "Qui ne connaît pas le plaisir, la spontanéité ou l'intérêt matériel n'a pas grand chose à sacrifier et à donner aux autres, écrit Alain Caillé. Il faut bien qu'Abraham ait un fils pour pouvoir le sacrifier à Jéhovah. Il faut bien que le renonçant hindou, l'arhat, ait sacrifié la vie ici-bas pour pouvoir aspirer sérieusement à la mort. Et le Bouddha ou Saint François d'Assise pourraient-ils accepter de tout perdre s'ils n'avaient, d'abord, tout possédé ?" Ces exemples conviennent parfaitement au cas fiumain où les membres de l'association Yoga, méprisant l'argent et le capitalisme matérialiste, sont en harmonie avec l'enseignement du Bouddha sur la nécessité de se détacher des contingences. Ce n'est pas un hasard non plus si Guido Keller, lors de son vol au-dessus de Rome, rend hommage à Saint François et au souvenir de sa pauvreté en lançant un bouquet de fleurs sur le Vatican. »

Claudia Salaris, À la fête de la révolution — Artistes et libertaires avec D'Annunzio à Fiume

 

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13/11/2017

On me donnait de la morphine, et je lisais

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« Durant les combats de Bapaume, je promenais une petite édition de Tristram Shandy dans mon porte-carte, et je l’avais également sur moi lorsque nous fument engagés devant Favreuil. On nous garda en réserve au niveau des positions de l’artillerie depuis le matin jusque tard dans l’après-midi, et bientôt, nous nous ennuyâmes fort, bien que la position ne fut pas sans danger. Je me mis donc à feuilleter mon livre, et sa mélodie si diverse, semée de tant de scintillements, fut bientôt comme une voix discrète qui se mariait aux circonstances extérieures en une harmonie toute en demi-teintes. Après maintes interruptions, et comme j’avais lu quelques chapitres, nous reçûmes enfin l’ordre de marche ; je remis le livre en poche, et le soleil n’était pas encore couché que j’étais par terre avec une blessure.
 A l’hôpital, je repris le fil de ma lecture, comme si tout l’intervalle n’avait été qu’un rêve, ou bien eut fait partie du livre lui-même, intercalant dans le texte un chapitre d’une force particulièrement convaincante. On me donnait de la morphine, et je lisais, tantôt éveillé, tantôt plongé dans un demi-assoupissement, de sorte qu’un grand nombre d’états d’âme divisaient et fragmentaient à nouveau le texte déjà mille fois fragmenté. Des accès de fièvre, combattus à l’aide de Bourgogne et de codéine, l’artillerie et l’aviation qui bombardaient notre localité, où les troupes en retraite commençaient à refluer et dans laquelle on nous oubliait presque, ajoutèrent encore à la confusion, si bien que je n’ai gardé de ces jours que le trouble souvenir d’une agitation où se mêlaient sentimentalité et sursauts farouches, d’un état ou rien n’eut pu nous étonner, pas même l’éruption d’un volcan, et où le pauvre Yorick et l’honnête oncle Toby étaient les plus familières parmi les figures qui nous faisaient visite. »

Ernst Jünger, Le cœur aventureux

 

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12/11/2017

Ces forces que vous monopolisez, ces corps que vous parasitez

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« Il y a une autre grève, mais elle est présente perpétuellement, et de plus en plus forte de jour en jour. Et elle n'a pas pour but de caillasser des gens. Son but ? Aucune revendication. Elle rend le mal par le mal, l'absence à l'encontre de votre violence. La seule réponse que vous pouvez y apporter, c'est l'accroissement des forces occultes que vous faîtes peser sur ceux qui sont restés, la poursuite de ceux qui sont partis.
La grève, d'un genre que vous n'avez jamais observé, prend corps en ce jour. Plus présente que jamais, et elle commence à se sentir. Elles s'en vont, ces forces que vous monopolisez, ces corps que vous parasitez. Ils s'en vont …

Nous sommes en grève contre l’auto-immolation. Nous sommes en grève contre le principe des récompenses imméritées et des obligations sans contrepartie. Nous sommes en grève contre la doctrine qui condamne la poursuite du bonheur personnel. Nous sommes en grève contre le dogme selon lequel toute vie est entachée de culpabilité.
Il y a une différence entre notre grève et toutes celles que vous avez menées pendant des siècles. Notre grève ne consiste pas à formuler des revendications, mais à les satisfaire. Nous sommes mauvais, selon vos principes : nous avons choisi de ne pas vous nuire plus longtemps. Nous sommes inutiles, d’après vos théories économiques : nous avons décidé de ne pas vous exploiter davantage. Nous sommes dangereux, il faut nous enfermer, selon vos idées politiques : nous avons choisi de ne plus vous mettre en danger et de ne pas encombrer vos prisons. Nous ne sommes qu’une illusion, à en croire votre philosophie : nous avons choisi de cesser de vous égarer en vous laissant libres de regarder la réalité en face. La réalité que vous vouliez, c’est le monde tel que vous le voyez maintenant, un monde privé de l’esprit humain. »

Ayn Rand, La Grève

 

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11/11/2017

Albert Camus et Maria Casarès : une passion

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02/10/2017

Casser systématiquement tout ce qui avait fait la réussite de notre école

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« L’objectif, établi depuis très longtemps et savamment mis en œuvre depuis plus de trente ans, consiste à casser systématiquement tout ce qui avait fait la réussite de notre école. Je ne suis pas en train de jouer les passéistes et de pleurer sur l’école de grand-papa. J’ai passé trop de temps sur le terrain pour ignorer que les jeunes ont beaucoup changé en peu d’années. Partir en guerre, comme l’a fait l’inspection générale, contre les cours magistraux ne représente qu’un combat de Don Quichotte ; il est bien évident qu’il est devenu impossible d’enseigner comme on le faisait jadis. Mais inventer des théories clés en main que tous les jeunes professeurs devraient appliquer dans l’esprit du tout pédagogique et au mépris de la culture et des savoirs est une ânerie dangereuse et coupable. Je sais que nous sommes à l’ère de la communication, que le savoir-faire vaut mieux que le savoir et que, pour nos autorités, prime surtout le faire-savoir, mais tout cela se résume à du vent et, au lieu de remettre en cause les résultats des diverses enquêtes sur la qualité de notre école parce qu’elles ne leur conviennent pas, nos pédagogistes devraient plutôt s’interroger sur l’échec de leurs belles théories. Il n’existe pas une pédagogie, mais des pédagogies qu’il faut savoir choisir, combiner et adapter afin d’offrir à chaque public l’enseignement qui peut lui apporter le plus. Je me souviens ainsi d’un inspecteur, un jour, qui m’a déclaré : "Aucune de vos méthodes d’enseignement n’est vraiment originale, mais ainsi utilisées ensemble, elles sont redoutablement efficaces" (je me demande encore quel sens il fallait donner à l’adverbe "redoutablement" !). »

 

Jean-Noël Robert, Témoin de la déséducation nationale

 

 

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01/10/2017

La FEN a fait un choix essentiel : celui d'une société socialiste

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« Voici un demi-siècle, l’école de Jules Ferry était le lieu de la promotion sociale, et ses maîtres demeuraient souvent dans les cœurs et les esprits comme des femmes et des hommes dévoués qui accomplissaient une mission et répondaient à une vocation plus souvent qu’ils n’exerçaient un métier. Chacun sait que leur train de vie était modeste, et un mot du célèbre Hercule Poirot dans un roman d’Agatha Christie en dit assez sur ce point : "Les petits professeurs qui inculquent le latin aux enfants n’ont pas des fins de mois somptueuses." Mais peu importait, car le maître inspirait le respect ; il était celui qui transmettait un savoir indispensable pour s’élever au-dessus de la condition souvent difficile dans laquelle vivaient les familles modestes. Aujourd’hui, la situation a changé. L’école est un produit de consommation, les élèves et les parents en sont en quelque sorte les clients, qui, comme chacun sait, sont les rois, et les maîtres ont été ravalés au rang d’employés ou de prestataires de services auxquels le respect n’est pas forcément dû puisqu’ils sont "payés pour ça".

Le changement des mentalités s’explique aisément par l’évolution de la société, mais aussi par le tourbillon politique qui est né des affres de la seconde guerre mondiale. En réalité, et sans refaire l’histoire de notre système éducatif, il faut retenir une date-clé : 1968. C’est principalement dans les années qui ont suivi qu’une épidémie a commencé à sévir, celle du grand bouleversement. Il n’était plus question de considérer l’école comme un héritage, comme un patrimoine qui formait le socle sur lequel avait pu s’édifier notre République. Il fallait tout changer. Le temps des réformes profondes et révolutionnaires pour abattre l’ancien monde et construire le nouveau était venu. Malheureusement, avec un peu de recul, on s’aperçoit que ces quarante dernières années ont vu naître puis disparaître au gré des modes pédagogiques un florilège de réformes dont la principale caractéristique fut de se contredire les unes les autres. Le vieux navire de l’école, habitué à tracer sa route au milieu des tempêtes, tanguait soudain sous les coups de boutoir d’une politisation effrénée. L’esprit de liberté et d’égalité voulu depuis Condorcet et Jules Ferry pour faire de l’école le creuset de la formation des hommes et des citoyens se trouvait alors asservi par les réformateurs pour promouvoir leur idéologie politique. En 1977, dans le quotidien Le Monde, on pouvait lire le projet pour l’école de la FEN (Fédération de l’Éducation nationale) avec ces mots : "La FEN a fait un choix essentiel : celui d’une société socialiste." L’école, instrumentalisée par le pouvoir politique, devenait la chambre d’enregistrement de toutes les élucubrations des auteurs des nombreuses réformes qui s’ensuivirent, ceux-là mêmes qui inventeront toutes les méthodes destinées à formater les futurs citoyens, j’ai nommé les pédagogistes. Ces personnages font depuis lors la pluie et le beau temps au ministère de l’Éducation, entraînant, par leur démagogie et sous le couvert de propos hypocrites, le vieux navire vers le fond dans un délire permanent. Mais, avec lui, c’est notre école républicaine qui sombre corps et biens et l’acharne- ment de ceux dont l’honneur voudrait au contraire qu’ils missent tout en œuvre pour le renflouer est exemplaire. C’est cette époque, ces quarante années de déséducation massive que j’ai vécues de l’intérieur et dont je souhaite témoigner. »

 

Jean-Noël Robert, Témoin de la déséducation nationale

 

 

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28/09/2017

Aveu d'impuissance...

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« Mais les professeurs n’en peuvent plus. Jamais le nombre d’enseignants démissionnaires n’a été plus important qu’en 2017, et particulièrement parmi les jeunes, nous l’avons dit. Dans un document publié sur le réseau des écoles de formation des professeurs, certains formateurs ont écrit : "Nombre de nos jeunes collègues […] nous font part de leur désarroi face à certaines conduites de leurs élèves qui leur semblent relever non seulement de l’indiscipline mais de certaines formes de provocation. Les professeurs ressentent une tension extrême, allant parfois jusqu’aux risques d’agressions entre élèves ou à leur égard. Certains élèves semblent non seulement être installés dans l’indiscipline constante et extrême, mais refuser toute communication, et parfois même se placer hors des codes les plus fondamentaux de l’école." N’y a-t-il pas comme une certaine ironie à lire ces propos (au demeurant très réalistes) sous la plume de ceux qui sont en principe chargés d’apprendre aux jeunes enseignants leur métier ? Quel aveu d’impuissance ! »

 

Jean-Noël Robert, Témoin de la déséducation nationale

 

 

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27/09/2017

Géniteurs d'apprenants...

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« "Tu sais bien que ton professeur est un con !" 

Je faisais la queue chez le charcutier. Derrière moi un père rassurait ainsi son fils, un collégien d’environ 13 ans, qui essayait de lui expliquer qu’il n’avait pas eu une bonne note parce que son professeur n’avait pas compris ce qu’il avait voulu dire. La réponse du père est symptomatique de l’opinion que beaucoup de parents se font d’un certain nombre d’enseignants. Il faut dire que, depuis que nos démagogues ont donné la parole aux parents jusque dans les instances mêmes de l’école en leur expliquant que leur jugement avait autant de valeur (sinon davantage) que celui des maîtres, un certain nombre de ces "géniteurs d’apprenants" ne se sentent plus d’aise. Chacun a son opinion sur ce qu’il conviendrait d’enseigner, sur la méthode utilisée en classe, sur l’organisation du temps scolaire et dans bien d’autres domaines encore. Le cocasse est que tous les parents ne sont pas d’accord même s’ils s’imaginent chacun détenir la vérité, et principalement ceux qui n’y connaissent rien. On ne parle bien et avec assurance que de ce qu’on ignore. Le pauvre professeur devient donc le bouc émissaire des élucubrations parentales, réduit au rang de simple domestique. Et encore ! Ils traitent plus d’une fois l’enseignant comme je ne le ferais point de ma femme de ménage de crainte qu’elle ne me rendît son tablier (et elle aurait bien raison). Le drame est que les propos tenus par ces mêmes parents à la maison devant les enfants sur le corps enseignant ne sont pas plus flatteurs, et les élèves, en classe, répercutent nécessairement dans leur attitude l’opinion exprimée chez eux par leurs parents. Si l’on ajoute à cela que les méthodes nouvelles ont supprimé tout moyen d’exprimer une autorité au nom de l’expression spontanée des jeunes, et toute discipline afin de ne pas brimer les chères têtes blondes et brunes, on aura vite compris pourquoi trop d’enseignants sont méprisés par leurs élèves et leur servent même de souffre-douleur. Tout est de la faute du professeur (sauf les bonnes notes obtenues, qui ne sont dues qu’au seul génie de l’enfant) ! Il n’a qu’à savoir se faire obéir au lieu de s’égosiller pour tenter d’être entendu par une troupe de gamins qui contestent tout, son autorité, son savoir et, parfois, jusqu’à sa tenue (je pense surtout aux femmes). Le professeur est devenu une sorte de gentil animateur qui tente d’amuser un public parfois hostile, souvent indifférent et presque toujours ingrat. Le bilan de l’opération est que, dans beaucoup d’établissements, tout enseignement s’avère très difficile, voire carrément impossible. Les fainéants et ceux que rien n’intéresse sont les rois de la classe au détriment des autres qui n’osent rien dire au risque de se faire tabasser à la récréation. C’est la royauté du cancre. Il arrive même que le professeur, exposé à l’insolence, voire aux insultes de certains, se trouve profondément blessé, humilié et n’ait qu’une envie, celle de se mettre en congé pour ne pas sombrer dans la dépression, ou encore de démissionner, ce que font de plus en plus de jeunes professeurs à leurs débuts. »

 

Jean-Noël Robert, Témoin de la déséducation nationale

 

 

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26/09/2017

Jargon...

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« Le jargon volontairement opaque et abscons du ministère s’accompagne aussi d’un festival d’acronymes dans le tsunami desquels les enseignants eux-mêmes se noient avec délice. Savez-vous par exemple ce qu’est le PIIODMEP ? Un engin spatial ? Un nouveau mammifère marin ? Non ! Simplement de l’orientation scolaire : "parcours individuel d’information et de découverte du monde économique et professionnel". Nous commençons à être habitués aux ZEP et autres RASED, aux TPE (travaux personnels encadrés exécutés en première – et sans commune comparaison avec les Très Petites Entreprises), aux TICE qui concernent l’usage de la panoplie informatique à l’école, et même au certificat d’aptitude des professeurs nommé CAPES. Cela ne saurait suffire et chaque année voit fleurir son lot d’acronymes énigmatiques, comme le CRPE (concours de recrutement de professeurs des écoles) ou le CAFIPEMF, déjà plus subtile (certificat d’aptitude aux fonctions d’instituteur ou de professeur des écoles-maître formateur)… C’est ainsi que le ministère de l’Éducation nationale prend des couleurs de secte réservée aux initiés. »

 

Jean-Noël Robert, Témoin de la déséducation nationale

 

 

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25/09/2017

Une thérapeutique aux déficiences orthographiques...

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« Je ne résiste pas au plaisir de me remémorer la seule conférence pédagogique à laquelle j’ai assisté à la sortie du concours. En fait, trois conférences avaient été programmées mais je suis parti avant la fin de la première en me jurant que plus jamais je ne remettrais les pieds dans des réunions où l’on nous aveuglait par des tissus d’âneries. Les conférenciers se trouvaient être des gens fort éminents, un inspecteur général, un universitaire connu pour avoir dirigé une collection de livres de français chez un grand éditeur et une troisième personne dont j’ai oublié l’éblouissante qualité. Il fut d’abord question du collège et l’on nous expliqua (déjà à l’époque !) que nous ne devions plus faire de dictées. Il nous fallait simplement "pratiquer une thérapeutique aux déficiences orthographiques". Nous n’avons malheureusement jamais su en quoi consistait cette thérapeutique ni quelle était la composition des remèdes. Puis les conférenciers en vinrent à parler de la lecture au lycée. Chacun convenait qu’il était très difficile de faire lire les élèves et de les intéresser à des œuvres littéraires. L’inspecteur avait fait venir un professeur de l’enseignement technologique dont il nous vanta le grand mérite puisqu’il était parvenu à intéresser sa classe. Comment ? Celui-ci nous expliqua simplement qu’il donnait à découvrir à ses élèves des romans pornographiques. Aussitôt l’inspecteur nous conseilla vivement de suivre cet exemple. L’important était d’accéder à la lecture. Je n’en ai pas su davantage car je me suis levé discrètement et suis parti sans demander mon reste. »

 

Jean-Noël Robert, Témoin de la déséducation nationale

 

 

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24/09/2017

Supports cognitifs et outils scripteurs...

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« Peut-être en êtes-vous resté au temps où l’on disait qu’un élève devait toujours avoir ses livres et ses crayons, pouvait être appelé à venir au tableau (il ne faut plus dire "tableau noir", d’abord parce qu’il est souvent blanc et que, surtout, le terme serait devenu "raciste" !) avant d’aller se distraire en récréation. Dorénavant, vous direz qu’un apprenant doit toujours se munir de ses supports cognitifs et de ses outils scripteurs, qu’il peut être appelé à rédiger sur une surface scripturale à usages multiples, et qu’il attend avec toujours autant d’impatience l’espace-temps de liberté interstitielle. Les Français ont toujours eu le défaut d’admirer ce qu’ils ne comprennent pas, prêtant à ceux qui les éblouissent de leurs creuses formules une supériorité intellectuelle dont ils sont malheureusement totalement dépourvus. Récemment encore, un document du ministère destiné aux professeurs de sport évoquait les différentes disciplines, comme la natation qui est devenue un déplacement "en milieu aquatique profond standardisé", ou encore le canoë-kayak, "une activité de déplacement d’un support flottant sur un fluide", ou bien le badminton, "une activité duelle de débat médiée par un volant"… Il serait grand temps que les "géniteurs d’apprenants" se missent au goût du jour. Les enseignants eux-mêmes jonglent sans s’en rendre compte avec des termes qui ne veulent dire grand-chose ni pour les élèves ni pour les parents. Il n’est plus question de temps d’adaptation, mais de temps de remédiation ; les rédactions sont devenues "des productions écrites" et les adultes qui peuvent vous aider à y voir clair sont des "référents". »

 

Jean-Noël Robert, Témoin de la déséducation nationale

 

 

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18/09/2017

Elle s'engagea dans une voie et la parcourut comme la foudre...

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« Jeanne d'Arc ne resta pas coincée à un carrefour, en écartant toutes les voies, comme Tolstoï, ou en les acceptant toutes, comme Nietzsche. Elle s'engagea dans une voie et la parcourut comme la foudre. Pourtant en pensant à Jeanne, je me suis dit qu'elle possédait tout ce qui était vrai aussi bien chez Tolstoï que chez Nietzsche, tout ce qui était même tolérable chez chacun d'eux. J'ai songé à tout ce qu'il y a de noble chez Tolstoï, le plaisir de goûter aux choses simples, notamment par pure pitié, les réalités terrestres, les respect des pauvres, la dignité d'un dos courbé. Jeanne avait tout cela en elle, et ceci encore de plus grand qu'elle endurait la pauvreté autant qu'elle l'admirait, alors que Tolstoï, en typique aristocrate, n'essaie que d'en découvrir le secret. Et j'ai songé ensuite à tout ce qu'il y avait de courage, d'orgueil et de pathétique chez ce pauvre Nietzsche, et à la rébellion contre la vacuité et la pusillanimité de notre temps. J'ai songé à son exhortation à l'équilibre extatique du danger, à son besoin de ruées de grands chevaux, à son appel aux armes. Eh bien, Jeanne d'Arc possédait tout cela, avec ceci de différent encore qu'elle ne faisait pas l'éloge du combat, mais combattait. Nous savons qu'aucune armée ne l'effrayait, alors que Nietzsche, autant que nous le sachions, avait peur d'une vache. Tolstoï se contentait de faire l'éloge du paysan ; elle était une paysanne. Nietzsche se contentait de faire l'éloge du guerrier ; elle était une guerrière. Elle les a battu tous deux sur le terrain de leurs idéaux antagonistes ; elle était plus noble que l'un, plus violente que l'autre. Et cette femme parfaitement pragmatique a accompli quelque chose, tandis que ces spéculateurs extravagants ne font rien. Il est impossible que ne viennent pas à l'esprit que Jeanne, avec sa foi, gardait peut-être un secret d'unité morale et d'utilité que l'on a perdu. »

 

G. K. Chesterton, Orthodoxie

 

 

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29/08/2017

Dieu seul savait combien de vies il avait sauvées dans l’exercice de son sacerdoce

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« Parfois, Harry White se prenait à songer aux nombreux couples dont l’union était menacée en raison de rapports sexuels médiocres ou tourmentés.
Il devait bien y avoir des millions de femmes qui marchaient aux tranquillisants pour oublier leurs frustrations. Sans parler des milliers, voire des centaines de milliers, qui se trouvaient dans les hôpitaux psychiatriques après une dépression due à une vie inexistante ou peu satisfaisante. Songez donc à tous ces foyers brisés, à tous ces orphelins qui coulent une vie sans joie, tout ça faute d’orgasme.
Harry n’était pas précisément un chaud partisan du M.L.F. mais il était intimement convaincu que les femmes étaient victimes d’une injustice.
Après tout, c’est un fait reconnu et universellement accepté, la plupart des hommes donnent des coups de canif dans le contrat, comme on dit : ils aiment bien faire la noce avec les copains et s’offrir une petite partie de cul. Et pourtant, la femme est censée rester à la maison pour s’occuper des gosses, et doit supplier son noceur de mari de lui faire l’amour de temps en temps. Et si, lasse d’attendre les étreintes sporadiques, maladroites et indigentes de son époux, elle s’avise de lui trouver, disons, un substitut, elle est vilipendée, traînée dans la boue, battue et parfois même, c’est bien triste à dire, tuée. Non, Harry n’était certes pas un militant convaincu du M.L.F., mais il était conscient de l’injustice criante de cette situation.
Alors, humblement, avec les moyens dont il disposait, il faisait son possible pour la réparer, ou tout au moins pour y remédier dans une certaine mesure. Dieu seul savait combien de vies il avait sauvées dans l’exercice de son sacerdoce. Pas seulement de vies conjugales, des vies tout court peut-être. Qui sait combien de femmes sont encore en vie et heureuses parce que Harry White, poursuivant sa vocation sans relâche, leur a épargné la folie ou la mort en crevant l’abcès de leurs anxiétés, de leurs angoisses et de leurs frustrations. »

Hubert Selby Jr., Le démon

 

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28/08/2017

Un "présentisme" absolu

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« La logique du nihilisme est donc celle de ce qu'on pourrait appeler un "présentisme" absolu. Il vise à la destruction du passé et de l'avenir. »

Rémi Brague, Modérément Moderne

 

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21/08/2017

En définitive, la mort est la seule vérité dont on soit sûr

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« Un soldat sort de sa poche un papier froissé, cherche les noms des délégations. Personne n’échappe à la fouille, à l’inspection minutieuse des caméras, magnétophones et appareils photo, et tant pis si elles vous font perdre un quart d’heure sur l’audience que vous accorde le général Aoun. Mon nom est sur la liste. Je peux franchir le premier portique et marcher jusqu’au palais présidentiel avec cette curieuse impression d’arriver dans un lieu de grande solitude, de froid, de délabrement. Un obus de 140 a troué le plafond du hall, de plein fouet, avec une précision remarquable. L’énorme déchirure laisse imaginer la puissance de feu des Syriens. En traversant le couloir, on aperçoit bien sûr des bureaux dévastés, qui rappellent que le palais de Baabda a subi de terribles bombardements – mais, au fond du couloir, il y a le secteur d’activités contrôlé par le général Karsouny, une grande salle, un télex, des machines à écrire, des dossiers soigneusement rangés sur les étagères. La table de réunion est encombrée de cendriers, qui traduisent l’activité fébrile. J’ai vu s’asseoir à cette table des représentants polonais de Solidarnosc, des journalistes, le général français Janou Lacaze, des officiers de l’armée libanaise, parfois très tard le soir.

Aux premières heures du matin, la lumière brûle encore dans les bureaux du général Karsouny. Je dors, enveloppé dans une couverture, au bivouac, comme dans un jeu de piste, avec un certain détachement, éprouvant surtout la suavité de l’instant, la brume irréelle de la guerre et des canons syriens. Tout était sérieux, bien sûr, et moi aussi je me considérais comme sérieux. Je n’arrivais pas en journaliste, c’est-à-dire distant de l’événement, expert en falsifications, mais en scribe, en chroniqueur passionné.

La salle des audiences est feutrée, retirée du monde, comme le poste de pilotage d’un sous-marin. La porte est en bois massif, sculpté. Le bureau du général est sobre, ascétique, avec seulement quelques dossiers et un drapeau national frappé du cèdre vert. Il nous reçoit adossé à un paravent de toile. Tout près de lui, une floraison de plantes vertes, exotiques, de fleurs rouges et blanches. Il porte le treillis militaire, symbole de son combat, de sa résistance, orné de ses étoiles de général gagnées à Souk-el-Gharb. On pare au plus pressé, le dictaphone posé sur une table basse, pendant que Didier fait les photos. Il commence par un réquisitoire contre la politique française de soutien au Liban.

- En Europe, en France, vous n’êtes pas conséquents avec vous-mêmes. Surtout dans votre rapport avec les Américains. Avec les lobbies qu’ils ont actuellement, ils utilisent les évènements pour les dénaturer complètement, les défigurer, et en faire subir les conséquences aux autres peuples. Si l’on veut analyser la situation, on se rend compte qu’à l’origine de tout mouvement extrémiste, la politique américaine est en cause. Cet extrémisme, ce radicalisme, ce terrorisme, sont une réponse aux lobbies américains. C’est pourquoi je considère que ce que nous faisons ici se fait pour le bien de tous. C’est un appel au monde, pour qu’il nous comprenne et qu’il se comprenne mieux lui-même.

On ne peut plus l’arrêter. Il garde une dent féroce contre les Américains, qui ont provoqué les accords de Taëf pour accorder une légitimité au gouvernement fantoche d’Elias Hraoui, en accord avec la Syrie.

- Les Américains seraient-ils plus dangereux que les Syriens, pour le Liban ?

Il ébauche un sourire, qui n’entame pas du tout sa conviction.

- Ils sont amoraux. Ils s’arrangent au jour le jour, comme le négociant cupide. Ce qui ne les empêche pas de faire des actes de contrition, comme pour le Vietnam. En Europe, le modèle américain est resté intact, dans la musique, les mœurs, les loisirs. J’ai par contre un grand espoir, quand je vois le mouvement de libération des pays de l’Est. Dans ces pays, on se débarrasse de la contrainte des régimes totalitaires. Ils sont décidés à accorder beaucoup plus d’importance aux valeurs humaines, beaucoup plus que les autres Européens qui en profitent, sans connaître cette grâce de la libération, je dirais cette grâce divine.

- Chez nous, mon général, on a peur de la mort, et on ne donne pas sa vie. Le moins possible.

L’idée de la mort visite le général Aoun tous les jours, mais il ne la conçoit pas comme un refus, un drame, une obsession. Il se contente de la regarder. De ne pas l’oublier. Je regarde ébloui ce petit homme en treillis militaire, qui porte des pantoufles aux pieds dans son "bunker". Il parle comme un prophète, un bourlingueur dimensionnel qui a déjà pris de l’acide, comme s’il avait déjà séjourné sur les hauteurs de l’Himalaya. Paroles de samouraï.

- En définitive, la mort est la seule vérité dont on soit sûr. On peut douter même de l’existence de Dieu, si l’on n’est pas croyant, si l’on n’a pas la foi, mais personne ne peut douter de la mort, comme d’une fin normale à la vie. Je crois qu’il faut refaire l’éducation des gens par rapport à leur peur de la mort. L’accepter. Je ne veux pas dire que la mort est bonne, mais l’accepter comme une vérité, être habitué à l’idée de la mort, comme à un objet qu’on peut voir. »

Jean-Paul Bourre, Guerrier du rêve

 

 

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20/08/2017

Echapper à ce dilemme

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« Le seul choix qui s'offre apparemment à nous, c'est de réduire en poussière les maisons, faire éclater les entrailles des hommes et déchiqueter des corps d'enfants avec des explosifs, ou bien de nous laisser réduire en esclavage par des gens à qui ce genre d'activité répugne moins qu'à nous. Jusqu'ici, personne n'a proposé de solution pratique pour échapper à ce dilemme. »

George Orwell, Essais, articles, lettres, volume I

 

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19/08/2017

Je ne crois pas aux bavardages actuels sur la coexistence de n’importe quelles cultures dans la diversité

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« Pierre Ysmel - L’immigration ne va-t-elle pas devenir le problème explosif de la France et de l’Europe ?

Cornelius Castoriadis - Cela peut le devenir. Le problème n’est évidemment pas économique : l’immigration ne saurait créer des problèmes dans des pays à démographie déclinante, comme les pays européens, tout au contraire. Le problème est profondément politique et culturel. Je ne crois pas aux bavardages actuels sur la coexistence de n’importe quelles cultures dans la diversité. Cela a pu être – assez peu, du reste – possible dans le passé dans un contexte politique tout à fait différent, essentiellement celui de la limitation des droits de ceux qui n’appartenaient pas à la culture dominante : juifs et chrétiens en terre d’Islam. Mais nous proclamons l’égalité des droits pour tous (autre chose, ce qu’il en est dans la réalité). Cela implique que le corps politique partage un sol commun de convictions fondamentales : que fidèles et infidèles sont sur le même pied, qu’aucune Révélation et aucun Livre sacré ne déterminent la norme pour la société, que l’intégrité du corps humain est inviolable, etc. Comment cela pourrait-il être "concilié" avec une foi théocratique, avec les dispositions pénales de la loi coranique, etc. ? Il faut sortir de l’hypocrisie qui caractérise les discours contemporains. Les musulmans ne peuvent vivre en France que dans la mesure où, dans les faits, ils acceptent de ne pas être des musulmans sur une série de points (droit familial, droit pénal). Sur ce plan, une assimilation minimale est indispensable et inévitable – et, du reste, elle a lieu dans les faits. »

Entretien de Cornelius Castoriadis avec Pierre Ysmel, paru dans Humanisme. Revue des francs-maçons du Grand Orient de France, n°199/200, Septembre 1991, sous le titre : "Péripéties et illumination…". Puis repris dans Une Société à la dérive, Entretiens et débat, 1974-1997, Seuil, col. point essais, Paris, 2005.

 

 

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17/08/2017

Par nécessité intérieure

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« Le coeur aventureux se reconnaît à ce qui'il tire son plaisir de ce qui serait pour les autres un enfer. Plus on en bave, plus forte est l'ivresse. "Aucune bête au monde" et guère plus d'hommes raisonnables n'iraient crever de soif dans le Tanezrouft, se geler les pieds dans les Alpes ou plonger à quarante mètres sous la mer.

Mais pourquoi font-ils ça ? Pour rien. Par nécessité intérieure. Parce que personne d'autre, avant, ne l'avait fait. Parce qu'il n'est pas possible de faire autrement.

L'aventure n'est le produit ni d'un calcul ni d'une idéologie. Elle est gratuite, inutile, i-nu-ti-le ! Elle se passe de justification. Elle est sa propre justification. »

Dominique Venner, Le Choc de l'Histoire

 

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16/08/2017

Nous sommes évacués...

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« On ne décède pas, on est décédé […]. Nous sommes évacués dans des usines à décéder chromées. Nous n’y sommes pas à vrai dire tués (à l’inverse, notre décès y est même retardé par d’admirables manipulations), mais, dans ce délai, nous sommes si fermement insérés dans l’appareil que nous en devenons un élément, que notre décès devient une partie de ses fonctions. Notre mort devient un événement instantané interne à l’appareil. »

Günther Anders, L’Obsolescence de l’homme - Tome II

 

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Tel fut mon premier contact avec les études classiques

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« On me conduisit dans une salle de classe et l’on me dit de m’asseoir à un bureau. Tous les autres élèves étaient en récréation, et j’étais seul avec le professeur. Il prit un petit livre d’un brun verdâtre, couvert de mots en différents caractères d’imprimerie.

"Vous n’avez encore jamais fait de latin, n’est-ce pas ? dit-il.
- Non, Monsieur.
-Voici une grammaire latine." Il l’ouvrit à une page cornée. "Il faut que vous appreniez ceci, dit-il, en désignant un certain nombre de mots disposés dans un cadre. Je reviendrai dans une demi-heure pour voir ce que vous savez."
Je me retrouvai donc au seuil d’une triste soirée, le cœur lourd, assis devant la Première Déclinaison.

Mensa : la table
Mensa : Ô table
Mensam : la table
Mensae : de la table
Mensae : à ou pour la table
Mensa : par, avec ou de la table

Que diable cela signifiait-il ? A quoi cela servait-il ? Cela me semblait de l’absolu charabia. Il y avait cependant une chose que je pouvais toujours faire : je pouvais l’apprendre par cœur. Et j’entrepris donc, autant que me le permettaient mes chagrins intimes, de graver dans ma mémoire l’espèce d’acrostiche que l’on me proposait.

La demi-heure écoulée, le maitre revint.
"Avez-vous appris votre leçon ? demanda-t-il.
Je crois que je peux la dire, Monsieur", répondis-je, et je la lui débitai d’un trait.
Il parut si satisfait que je m’enhardis à lui poser une question.
"Qu’est-ce que cela veut dire, Monsieur ?
- C’est bien simple. Mensa, la table. Mensa est un nom de la première déclinaison. Il y a cinq déclinaisons. Vous avez appris le singulier de la première déclinaison.
- Mais, répétai-je, qu’est-ce que cela signifie ?
- Mensa signifie la table, répondit-il.
- Alors, pourquoi mensa signifie-t-il aussi ô table, demandai-je, et que veut dire ô table ?
- Mensa, ô table, est le vocatif, répondit-il.
- Mais, pourquoi ô table, insistai-je avec une sincère curiosité.
- Ô table… c’est la forme que vous emploierez pour vous adresser à une table, pour invoquer une table." Et, voyant que je ne le suivais pas : "C’est la forme que vous emploieriez pour parler à une table.
- Mais ça ne m’arrive jamais, balbutiai-je, franchement stupéfait.
- Si vous êtes impertinent, vous serez puni, et, permettez-moi de vous le dire, puni sévèrement", répliqua-t-il.

Tel fut mon premier contact avec les études classiques qui, m’a-t-on dit, ont apporté de telles joies à tant de nos plus remarquables contemporains. »

Winston Churchill, Mes jeunes années

 

 

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15/08/2017

La superstition du divers et du possible

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« Toute sagesse, et à plus forte raison toute métaphysique sont réactionnaires, ainsi qu'il sied à toute forme de pensée qui, en quête de constantes, s'émancipe de la superstition du divers et du possible. »

Emil Cioran, Exercices d’admiration

 

 

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La route était tracée. Désormais, ce serait à moi de jouer.

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« Dimanche 30 décembre 1928. Il va être bientôt 15 heures. Nous sommes cinq, dans l'appartement de la rue de Courcelles. Mon père, Paul, quarante ans. La sage-femme. Le médecin de la famille, le docteur Lecointe, venu surveiller le chantier. Ma mère, Anne, vingt-huit ans, qui serre les dents et s'agrippe aux draps, pressée de se débarrasser enfin de moi. Je semble hésiter. Qu'on se mette à ma place : je ne suis encore qu'un sans-papiers, et dieu sait ce qui attend, dehors, un Franco-Russe. À Moscou, où il est resté, mon grand-père maternel, Savely Mazur, n'a plus donné de ses nouvelles depuis quelques mois. Là-bas, c'est le Grand Tournant. Staline, désormais seul au pouvoir, a lancé le premier plan quinquennal et la collectivisation des campagnes. Hier, j'ai entendu Paul (je ne l'appelle pas "papa" : nous n'avons pas encore été présentés) s'exclamer : "Tout cela ne me dit rien qui vaille !"

Paul est un bourgeois parisien. Son père, Adolphe, est directeur des Assurances générales, et lui-même gère la fortune d'une famille de millionnaires, pour ne pas dire "milliardaires", car l'expression n'est pas encore passée dans le langage courant. Quand la guerre a pris fin, Paul a terminé sa troisième année, interrompue, à Sciences Po, et il est allé prendre un bain, en Bretagne, à Saint-Cast. Là, entre deux vaguelettes, une jeune fille brassait l'eau. En passant devant lui, elle lui a demandé : "Excusez-moi, pourriez-vous me dire si j'avance ?" Elle avait un nez légèrement busqué, des pommettes saillantes, à la cosaque, et un horizon de steppes dans ses yeux bleu-vert. Elle étudiait le piano au conservatoire pour devenir concertiste. Elle adorait la musique française : Debussy, Fauré, Ravel, Chausson, Poulenc. Paul, lui, était fou de musique russe : les ballets de Diaghilev, Nijinski, Chaliapine, Borodine, Moussorgski, Glinka, Stravinski. La route était tracée. Désormais, ce serait à moi de jouer. À 15h20 (ou 22), j'ai pris les choses en main, et je me suis mis à brailler.
"Voilà qui est parfait, a dit mon père. J'irai demain, à la première heure, le déclarer à la mairie.
- Vous n'y pensez pas ! s'est exclamé le bon docteur. Il faut le déclarer du 1er janvier. Vous lui ferez gagner un an."

C'est ainsi que je suis parti dans la vie avec un faux de la faculté de médecine dans le biberon. »

Christian Millau, Journal impoli : un siècle au galop, 2011-1928

 

 

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14/08/2017

Cette faculté de transfiguration

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« Est-il interdit d’imaginer qu’il existe parmi nous au moins un catholique du temps des cathédrales, que sa foi pourrait encore lancer dans une étonnante expédition spirituelle ? C’est assez bien ce que j’ai ressenti : la stupéfaction de rencontrer un catholique chez qui la foi ait encore cette sève, cette faculté de transfiguration, une foi dont puissent surgir d’aussi vertigineuses conséquences… Un catholique évoluant à de telles altitudes qu’il aurait tout à fait perdu de vue les bas-fonds où sa religion s’est écroulée aujourd’hui. »

Lucien Rebatet, Les Deux Étendards

 

 

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