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02/10/2022

Ces conspirateurs d’estaminet...

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« La paisible et sage Suisse, ainsi que chacun put bientôt s’en rendre compte par sa propre expérience, se révéla minée par le travail de taupes des agents secrets des deux camps. La femme de chambre qui vidait la corbeille à papier, le téléphoniste, le garçon qui vous servait de trop près et prenait son temps, tous étaient au service d’une des puissances ennemies, et souvent un seul et même homme servait des deux côtés à la fois. Les malles étaient ouvertes d’une façon mystérieuse, les papiers brouillards étaient photographiés, des lettres disparaissaient sur le chemin de la poste, soit qu’on les y portât, soit qu’elles en vinssent ; des femmes élégantes vous souriaient avec insistance dans les halls des hôtels, des pacifistes particulièrement zélés, dont on n’avait jamais entendu parler, s’annonçaient à l’improviste et vous invitaient à signer des proclamations et priaient hypocritement qu’on leur remît les adresses d’amis "éprouvés". Un "socialiste" m’offrit des honoraires élevés, qui me furent aussitôt suspects, pour une conférence que je devais faire aux ouvriers de La Chaux-de-Fonds, qui ne savaient rien de la chose ; il fallait constamment être sur ses gardes. Je ne fus pas long à me rendre compte du petit nombre de ceux qu’on pouvait considérer comme absolument sûrs, et comme je ne voulais pas me laisser entraîner dans la politique, je restreignis toujours davantage le cercle de mes relations.

Mais même chez les hommes auxquels on pouvait se fier, je m’ennuyais de la stérilité des éternelles discussions et de les voir opiniâtrement divisés en groupes radicaux, libéraux, anarchistes, bolchévistes et sans partis, pour la première fois j'appris à observer le type éternel du révolutionnaire professionnel qui, par son attitude de pure opposition, se sent grandi dans son insignifiance, et se cramponne aux dogmes parce qu'il ne trouve aucun point d'appui en lui-même.

Rester dans cette confusion bavarde, c’était s’embrouiller, cultiver des camaraderies peu sûres et compromettre la sécurité morale de ses propres convictions. Ainsi je me retirai. En réalité aucun de ces conspirateurs d’estaminet ne s’est jamais risqué à faire un complot, et de tous ces suppôts improvisés d’une politique mondiale, pas un seul n’a jamais su faire la politique dont on eût vraiment eu besoin. Dès que commença le travail positif, la reconstruction après la guerre, ils demeurèrent plongés dans leur négativisme d’ergoteurs grincheux, tout comme entre les poètes antimilitaristes de ce temps-là, bien peu, après la guerre ont réussi à produire encore une oeuvre substantielle. C’était l’époque, avec sa fièvre, qui discutait en eux, faisait de la poésie et de la politique, et, comme tous les groupes qui ne doivent leur cohésion qu’à une constellation momentanée et non à une idée vécue, ce cercle de gens intéressants et doués s’est désagrégé sans laisser de traces, dès que la résistance contre laquelle ils luttaient, la guerre, fut passée. »

Stefan Zweig, Le monde d'hier - Souvenirs d'un Européen

 

 

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29/09/2022

"Grand Remplacement" : Rencontre avec le Diable, Renaud Camus...

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24/09/2022

Yves Roucaute dénonce « l’idéologie totalitaire des écologistes »

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08/08/2022

Accro aux antibiotiques, vivant dans un monde qui ne signifiait plus rien

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« Il m’épatait, ce gnome ! Il faisait parler la forêt ! Il reconstituait les rencontres animales ! La moindre trace dans la boue, le moindre gland perforé, le moindre tronc rongé, le moindre excrément de blaireau lui racontaient des tas de choses qu’on ne soupçonnait pas, nous autres. Et voilà comment il passait sa vie, tout seul dans les bois, à reconstituer ses épopées microcosmiques, à observer des petites choses insignifiantes dont absolument tout le monde se foutait comme de l’an quarante. Et tout ça pour rien. Gratuitement. Sans en tirer profit : scandale ! Il savait tout des bêtes, des plus grosses aux plus petites : ce qu’elles mangeaient, leurs mœurs, leurs cycles, les comportements, les habitudes… et les interactions… Sans parler des plantes qui n’avaient aucun secret pour lui. Il n’avait jamais gobé une pilule de sa vie, n’était jamais allé voir un médecin… En cas de bronchite, il se faisait une infusion de violette, tussilage et bouillon-blanc ; camomille pour l’otite ; ail-des-ours macéré dans l’eau-de-vie pour la tension ; macération des fruits de l’alisier pour les troubles digestifs… Colchique des prés pour les cors aux pieds. Feuilles de chêne écrasées pour les verrues. Feuille de chou sur le front quand le crâne tambourine ! Quand il avait mal à l’oreille, il chauffait des tiges de frêne, récoltait la sève bouillonnante sur un coton et s’en badigeonnait l’oreille. Et l’infusion de houx pour soigner la toux ! Le radis noir pour la constipation ! Les recettes millénaires ! Aller voir un médecin ? Il n’y avait jamais pensé ! Heureusement qu’il ne savait pas que j’étais "journaliste spécialisé environnement" travaillant dans un magazine médical ! Accro aux antibiotiques, vivant dans un monde qui ne signifiait plus rien, incapable de nommer les arbres qui m’entouraient. Distinguant à peine un chêne d’un hêtre. Confondant belladone et myrtille. Ayant perdu toute autonomie, ne sachant plus chasser, fabriquer mes vêtements, me soigner, diriger ma vie, aimer… ne sachant bientôt plus cuisiner à force de bouffer surgelé ! Loin des supermarchés, je crève ! Ouin ! Si je me sentais con soudain, mais oui ! Quant à Béatrice, elle voyait la forêt en termes de ressources à exploiter… Tout ce bon bois pour fabriquer des meubles Ikea et des feuilles d’impôts. Va savoir s’il n’y avait pas du gaz de schiste là-dessous par-dessus le marché. Ça nous ferait de l’énergie pas chère. Un point de croissance dont profiteront les millionnaires ! Alors les mulots, les musaraignes, les campagnols… si on s’en foutait… La croissance, la croissance, bêêê, bêêê !

Le téteur de morve nous a lâchés à l’entrée de Cornimont avant de repartir dans la forêt en nous faisant de grands gestes enjoués de la main. Il nous avait trouvés infirmes mais sympas ! On a marché jusqu’à la pension et on est allés à la cuisine se faire des sandwichs et du café. J’ai récupéré mon portable que j’avais oublié là. J’avais un message de mon rédacteur en chef m’informant que j’avais reçu une invitation pour le salon de la consommation durable qui se déroulait la semaine suivante. Tous les ans, j’y avais droit… la bonne conscience, l’escroquerie verte, le bilan carbone, les arbres plantés au Pérou pour compenser l’impact de C02 émis pendant la manifestation. Soudain, j’ai tout compris. Je vivais en prison depuis ma naissance. On m’avait retiré tout ce que mes ancêtres avaient mis des milliers d’années à construire et on m’avait donné quelques hochets à la place : du confort, quelques années de plus à vivre (en me faisant chier), des DVD, une carte d’électeur trafiquée. On m’avait dressé comme les clébards du lieutenant. Dressé à aller travailler pour les autres tous les matins. Dressé à voter pour des parasites qui vivraient sur mes impôts. Dressé à accepter d’être fiché de tous les côtés. Dressé à désirer ce que l’on attendait de moi. Dressé à accepter l’idée de finir en maison de retraite. Dressé à ne plus rien contrôler de ma vie. Dressé ! La voilà, la civilisation ! Après l’ivresse, j’avais une solide gueule de bois. Il fallait s’échapper, tout brûler, tout casser…

J’étais debout devant la fenêtre, regardant pépé Alphonse qui, à quatre pattes, déterrait à la main des tubercules de dahlias pour les abriter durant l’hiver. Le ciel était bleu mais le vent soufflait : les cheveux de pépé Alphonse étaient tout ébouriffés. Soudain, il a levé le visage vers moi, je lui ai fait un petit signe de la main mais il n’a pas répondu.
Béatrice avait sorti son ordinateur portable et consultait ses mails.
— Tu les aimes, les dahlias ? je lui ai demandé.
— Les dahlias ? Bien sûr.
— T’en as pas marre du bilan carbone ?
— Quel bilan carbone ?
— Je veux dire de cette vie de merde en général ? De cette prison dorée ?
— Ben… si.
— Et si on restait ici ?
— Ici, à Cornimont ?
— Ouais, ici, à Cornimont. On apprendra à reconnaître les crottes de blaireaux. »

Olivier Maulin, Gueule de bois

 

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07/08/2022

Son geste était simple, ancestral, celui du paysan en communion avec les forces de la terre dont il se sert avec respect...

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« Le type s’appelait Himelin, il était alsacien, de Guebwiller, et le lieutenant l’appelait « téteur de morve » car il avait toujours la morve du nez qui coulait dans sa longue moustache rousse et il tétait en effet celle-ci. C’était un authentique simplet, un coureur de montagnes. Il était petit mais musclé, la trentaine, toujours en short, les mollets rebondis, les cheveux hirsutes, les oreilles en chou-fleur, souriant gentiment, bavant parfois. Il était illettré, n’avait jamais mis les pieds à l’école, mais en ce qui concernait la connaissance de la montagne, le lieutenant nous affirmait que c’était un caïd. Du Grand Ballon et de la forêt de Guebwiller jusqu’à la forêt du Guéhant en passant par celle de Kruth, le ballon d’Alsace, le Bussang et le Ventron, c’était tout le massif du parc naturel des Ballons des Vosges qu’il connaissait comme sa poche. Il était célèbre pour son don, celui de détecter les vibrations du champ magnétique à main nue. Il était capable de repérer les sources, les cours d’eau et les nappes souterraines, mais aussi les métaux enfouis dans le sol, grâce au déséquilibre des vibrations telluriques qu’il ressentait plus ou moins fortement. Du coup, il « travaillait » pour les fermes-auberges d’altitude, leur trouvant de nouveaux points de captage contre un bol de soupe. C’est que même en montagne l’eau était polluée par le lisier et les engrais, et les fermiers étaient régulièrement à l’affût de nouvelles sources loin des pacages. On affirmait qu’hormis sur les tempes, les muscles oculaires, la nuque, les genoux et les talons, lui possédait également de la magnétite au bout des doigts ; ses mains étaient sensibles aux variations du champ magnétique terrestre. Il pouvait sentir dans ses doigts l’énergie émise par un filet d’eau de l’épaisseur d’une épingle à trois mètres sous la terre. Mais une grande partie de sa "science" tenait également à l’observation. Il découvrait le plus souvent l’eau cachée en scrutant attentivement la nature. S’il apercevait des églantiers, des framboisiers, des ronces, des orties, des fougères et une fourmilière, il savait qu’un mince filet coulait en permanence sur la roche à un ou deux mètres sous terre, ou entre les plaques rocailleuses. À l’aube, juste avant le lever du soleil, il se couchait à plat ventre sur le sol, le menton touchant terre pour apercevoir, aux toutes premières lueurs de l’aurore, les minuscules vapeurs s’élevant de la terre, signe de petites nappes enfouies. Il savait qu’un terrain argileux recelait de l’eau non loin de la surface, mais de mauvaise qualité ; qu’une terre noire contenait de l’eau excellente disponible après les pluies hivernales ; qu’il fallait chercher loin l’eau fade d’une terre caillouteuse ; que celle d’une roche rouge était abondante mais difficile à obtenir compte tenu des infiltrations et qu’il y avait toujours une grande réserve d’eau salubre et fraîche dans une terre siliceuse au pied d’une montagne : toutes connaissances que la majorité des hommes avait oubliées, remplacées par les idioties enseignées par l’école. Il travaillait parfois à la baguette, un simple rameau fourchu de noisetier, ou au pendule, interrogeant par la pensée la matière émettant de l’énergie. Son geste était simple, ancestral, celui du paysan en communion avec les forces de la terre dont il se sert avec respect. Quelques années auparavant, sa baguette posée en équilibre sur le plat de sa main, il avait senti la poussée des forces occasionnée par un séisme en Anatolie, deux jours avant que celui-ci ne se produise.

Himelin intriguait dans le pays. Certains le disaient guérisseur, d’autres sorcier, d’autres encore affirmaient qu’il dansait la nuit autour d’un menhir dans la forêt du Fossard, haut lieu d’énergie ayant engendré une civilisation pratiquant le culte solaire, et qu’il captait en secret les rayons telluriques qui se concentraient là. Mais lui haussait les épaules, affirmant qu’il aimait danser en effet mais que pour le reste il s’inspirait surtout des cigognes, qu’il admirait, elles qui suivaient les fleuves et les failles, et connaissaient tout du Wasserschlange, le serpent d’eau, l’esprit de la Terre, tantôt bénéfique, tantôt maléfique, que les Celtes appelaient Vouivre et grâce à qui elles s’orientaient au cours de leur migration. Les hommes, placés au centre de deux forces qui s’opposent, la cosmique et la tellurique, avaient été hantés durant des millénaires par le Wasserschlange, d’où étaient sortis le Bien et le Mal, les Vierges noires et les dragons, les terribles dragons qui leur signalaient les bas lieux telluriques à fuir absolument, marécages aux arbres tordus infestés de crapauds, demeures du diable. Ces mêmes hommes aujourd’hui si malins se riaient désormais de tout cela comme de fables ; vivant et construisant sur les lieux des dragons, ils voyaient la reine des serpents emporter leur maison, et quelquefois leur vie, et accusaient le climat, la pluie ou la faute à "pas de bol".

Il faut dire que de progrès en progrès, l’humanité avait dégringolé à une vitesse vertigineuse, oubliant tout, reniant tout, se moquant de tout, brandissant son renoncement comme ultime espérance, persuadée de s’élever à mesure qu’elle sombrait dans l’abîme. On était bel et bien passé des hautes civilisations mégalithiques à… Jacques Attali souhaitant pour la grandeur de l’homme "l’acceptation du neuf comme une bonne nouvelle, de la précarité comme une valeur, de l’instabilité comme une urgence et du métissage comme une richesse". Quel Gouffre ! Quelle Chute ! C’était à se demander si ce n’était pas les démons qui avaient pris le contrôle de l’humanité ! »

Olivier Maulin, Gueule de bois

 

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06/08/2022

Une balle de P38 dans le cul

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« Béatrice est intervenue. Elle trouvait choquante la manière dont le lieutenant parlait, choquant de dresser des chiens à l’attaque contre les cambrioleurs. Pour elle, cela participait d’une logique d’autodéfense qu’elle condamnait fermement. Elle estimait qu’il fallait laisser la police faire son travail, un point c’est tout. Ne jamais tenter de résister. Le lieutenant a soupiré.
— Qu’est-ce qu’on doit faire, d’après vous, si on est réveillé en pleine nuit par un cambrioleur ?
  — Appeler la police, a répondu Béatrice.
— Appeler la police, a répété le lieutenant. Et ensuite ?
— S’enfermer dans une pièce et attendre que les voleurs soient partis.
Le lieutenant a éclaté de rire. Il a tapé du plat de la main sur la table et s’est tenu les côtes pendant quelques secondes.
— C’est la meilleure de l’année, il a dit en reniflant.

Lui-même avait connu deux tentatives de cambriolage mais il n’avait pas songé une seule seconde à appeler la police. Ce dont il était pourtant certain, c’est que les guignols qui avaient essayé de le voler ne choisiraient plus sa ferme comme terrain de jeu. C’est sous une pluie de grenades tirées d’un vieux lance-roquettes de fabrication yougoslave qu’il les avait raccompagnés sur la lande.
Le lieutenant estimait que le deal entre l’État et les citoyens avait été rompu du fait de l’État. Ce deal était le suivant : l’État s’engageait à défendre les citoyens moyennant quoi ces derniers lui abandonnaient le monopole de la violence et renonçaient à s’armer. La fin des frontières décidée par ce même État avait rompu ce pacte et le pays était depuis livré aux bandes de coquillards venus d’Europe de l’Est et des Balkans qui opéraient des razzias en toute impunité. Ils écumaient un secteur durant une ou deux nuits, filaient à plusieurs centaines de kilomètres, sautaient par-dessus les anciennes frontières, renouvelaient les opérations ailleurs. Le transfert de richesse entre la douce France et les steppes pourries était colossal, et s’effectuait dans l’indifférence générale. Les gendarmes en étaient à collectionner les poils de cul albanais dans des bases de données génétiques et à hausser les épaules quand l’un de ces cambrioleurs, arrêté par miracle, était remis en liberté le lendemain. Certains brigands qui avaient opéré en Russie et avaient connu les geôles de Poutine demandaient parfois à se faire incarcérer un mois ou deux dans le pays, histoire de prendre quelques jours de vacances et d’en ressortir frais et dispos. Pour eux, la France c’était le paradis, la cocagne dont ils n’avaient même pas osé rêver. Des policiers courtois, des juges compréhensifs, la considération unanime, des peines tellement légères qu’ils en étaient parfois eux-mêmes gênés. Un mafieux géorgien avait un jour supplié un juge d’alourdir sa peine. "Pitié, monsieur le juge, mes collègues restés au pays vont me vanner", avait-il plaidé. Rien à faire, il avait eu ces deux jours et demi avec sursis pour les cent vingt-quatre cambriolages avoués ! Les gangs de tatoués sanguinaires qui se sortaient les yeux à la petite cuillère juste pour déconner n’en revenaient pas. Ils avaient enfin découvert le pays des Bisounours. À peine sur place, ils rameutaient leurs copains : "Trouvé pays des cons. Stop. Suffit de se baisser. Stop. Aucun risque. Stop. À croire qu’ils jouissent de se faire détrousser. Stop. Venez nombreux."

Et où qu’il est l’État pendant ce temps ? Disparue, maman l’État ! Qui laisse les petits pépères tout nus pleurnichards incapables de se défendre ! Ce même État leur refusait maintenant le droit de récupérer leur ancienne autonomie et de faire le boulot qu’il ne faisait plus. Et attention, on ne rigolait pas : trois Bouriates mettent à sac votre maison, mais si vous avez le malheur de tordre accidentellement le petit doigt à l’un d’entre eux, c’est vous qui finissez en prison. Avec le sermon du juge sur la perversité de l’autodéfense par-dessus le marché !

Pour être un bon citoyen, il fallait dérouler un tapis rouge aux crevards asiates, laisser la clé sur la serrure, courir après les voleurs pour leur remettre ce qu’ils avaient oublié d’emporter, et pourquoi pas demander à sa femme de faire un petit effort d’hospitalité !
Voilà pourquoi le lieutenant avait décidé de passer au-dessus du droit et de la loi. Lui n’attaquait ni ne volait personne mais si quelqu’un avait l’idée de venir l’emmerder, c’était à ses risques et périls. Concrètement : une balle de P38 dans le cul et une pluie de grenades sur la tronche : traitement unique.
— On n’a jamais vu un peuple qui se laisse dépouiller sans broncher, expliquait-il. Ou alors c’est un peuple qui a décidé de passer la main. Et après tout, c’est son problème… Sauf que moi, je n’ai pas encore décidé de crever. »

Olivier Maulin, Gueule de bois

 

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21/07/2022

Elisabeth Lévy : destituer les maîtres-censeurs

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10/07/2022

Le lieu où se transmettait la mémoire

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« On s’est dirigés vers l’entrée de la ferme. Les murs étaient en grès recouvert d’un enduit protecteur à base de chaux, de sable et de sciure de bois, bardés de planches de sapin pour ceux exposés au nord et à l’ouest, d’où venaient les vents porteurs de pluie. La façade principale était percée de petites fenêtres et, en son centre, d’une construction en demi-cercle : le four à pain. La partie supérieure des murs était recouverte d’une ramée de bois. Des corbeaux en granit débordaient de la façade, sur lesquels on fixait naguère des planches pour faire sécher les fromages. On est rentrés, laissant heureusement le sanglier dehors. L’intérieur de la ferme était constitué de deux petites chambres, d’un atelier, d’une vaste cuisine où se trouvait la cheminée centrale, en granit, avec un âtre immense, et du "poêle", l’unique pièce chauffée de la maison. Un fourneau en pierre réfractaire sans ouverture communiquait en effet avec la cheminée de la cuisine, d’où le lieutenant l’alimentait, poussant régulièrement les braises rougies qui s’emmagasinaient dans le fourneau et diffusaient une douce chaleur. C’était la pièce à vivre, la pièce des veillées héroïques du passé, le lieu où se transmettait la mémoire, où s’éduquaient les enfants, où se racontaient les légendes et où l’on jouait parfois de l’accordéon et de la flûte en buvant du vin chaud. C’était la pièce dans laquelle s’était bâtie la civilisation. Le lieutenant y dormait les mois d’hiver. »

Olivier Maulin, Gueule de bois

 

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09/07/2022

Cette grandiose sauvagerie

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« Les historiens travaillant sur le sujet avaient montré que les attaques de loups sur les hommes, si elles demeuraient exceptionnelles, n’étaient pas un mythe de l’histoire. La plupart de ces attaques avaient eu lieu durant des périodes de troubles, avec un paroxysme qui se situait lors des guerres de religion. Les cadavres se corrompent à l’air libre, attirant le loup ; celui-ci, ayant goûté à la chair humaine, est tenté d’y revenir et il faut l’abattre. Les enfants gardant les troupeaux, ainsi que les femmes, étaient les principales victimes du "méchant loup" qui hésitera toujours à attaquer un homme en bonne santé. On estimait qu’il y avait à la fin du dix-huitième siècle près de vingt mille loups en France, peut-être plus avant le seizième siècle…
Si elles n’en avaient probablement pas les moyens, les sociétés traditionnelles n’avaient cependant jamais songé à exterminer le loup, précisait le lieutenant. C’est à l’époque des Lumières que l’idée était née ; elle ne sera exécutée qu’à la fin du dix-neuvième siècle et pour une raison très précise : le loup était un frein au progrès et au processus de modernisation économique. Le loup désorganisait les travaux des champs, ralentissait le commerce et s’attaquait même aux mulets et aux chevaux nécessaires à l’industrie des forges, mettant en péril leur approvisionnement. Pour le lieutenant, c’était en touchant aux forges que le loup avait signé son arrêt de mort. En 1882 était votée une loi planifiant leur extermination. Quarante ans plus tard, ce serait chose faite…

Ainsi, le retour des loups intervenait précisément à l’heure où le système économique qui avait commandé leur extermination se mettait sérieusement à vaciller, et le lieutenant y voyait un symbole et un espoir. L’homme, affranchi du sauvage, avait cru pouvoir se libérer de toute contrainte naturelle, allant jusqu’à accepter le mariage des homosexuels et leur "paternité", avant de se persuader que la différence entre un homme et une femme n’était qu’une donnée culturelle. Le retour du loup offrait un peu de cette grandiose sauvagerie dont notre civilisation dégénérée avait plus que besoin. Cela valait bien quelques moutons stupides, payés par la collectivité, sacrifiés en offrande au formidable hôte des forêts de notre vieille Europe. »

Olivier Maulin, Gueule de bois

 

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Laurent Obertone - "L'humour politiquement incorrect n'est plus du tout de gauche !"

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08/07/2022

Les lapins, les guerres et les emmerdements

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« Pépé Alphonse était énorme, plus de 150 kilos. Il se déplaçait et travaillait lentement, le plus souvent à genoux. Se lever était toute une affaire, il fallait appuyer de ses deux mains sur un genou et se hisser en grimaçant, le plus souvent sans appui. Il avait ainsi pris l’habitude de se déplacer à quatre pattes dans son jardin. De la fenêtre de la cuisine, Mme Primavera, qui s’occupait des chambres d’hôte, des courses, des repas et du ménage, le voyait parfois sortir d’un massif à pas lents, se dandiner au ralenti sur ses quatre pattes, comme une grosse tortue, avant de disparaître derrière des bégonias. Le soir, il se dirigeait vers le puits, s’y agrippait à deux mains et se hissait péniblement. L’opération durait trois bonnes minutes. Ensuite, il rentrait par la cave sur ses deux pattes en se frottant le bas du dos, il retirait ses bottes et sa salopette verte, enfilait un pantalon et des chaussons et bourrait sa pipe avant de l’allumer. Quand il faisait beau temps, il ressortait avec un grand verre de bière qu’il buvait lentement, assis sur une chaise en fer forgé, contemplant son jardin et jouissant en silence du labeur accompli.

J’avais cherché un verre de bière moi aussi et je m’étais installé autour de la table de jardin. Il faisait doux, je me sentais bien, pépé Alphonse n’avait absolument rien à me dire.
— Alors pépé Alphonse, ça gaze ? je lui ai lancé. T’en veux, des nouvelles de l’extérieur ?
Il a haussé les épaules. S’il s’en foutait de l’extérieur ! Cinquante-deux ans, cinq mois et bientôt trois semaines qu’il n’était pas sorti de chez lui. La dernière fois qu’il s’était intéressé à l’actualité, c’était pour la baie des Cochons, vers le milieu des Trente Glorieuses. Il vivait depuis sans télévision, sans radio, sans journaux, sans rien du tout ; et ne parlons pas d’Internet, il ne savait même pas que ça existait. Il était un peu simplet par-dessus le marché, du genre taiseux ; du coup, je le taquinais, je lui demandais s’il était au courant que de Gaulle était claboté, je lui parlais commerce équitable et développement durable, je lui annonçais même qu’on avait soi-disant marché sur la lune.
— Sur la lune, pépé Alphonse ! Tu te rends compte ?
Mais parle à ma culasse ! Il haussait les épaules. Un vrai manque de curiosité. Et les nouvelles bagnoles ? La fusée Ariane ? Le parc Big Bang Schtroumpf ? Superphénix ? Rien à cirer ! Intérêt nul ! Moins qu’un puceron ! En revanche les potées de bulbe, la fleuraison des campanules ou la taille des rosiers, alors là pardon, intarissable. Et l’œil brillant… Il traînait des problèmes à la con pendant des semaines, qu’il résolvait le soir dans son bureau, en consultant ses encyclopédies sur les plantes. Peut-on planter des bisannuelles au-dessus des bulbes ? Marier les pensées aux arabettes ? Tailler le buis avant la pousse ou au début de l’été ? Effectuer une taille d’égalisation à la mi-septembre ? Quand et comment diviser les pivoines ? Alors, la géopolitique là-dedans… Israël et les Iraniens… la crise de la finance… la révolution chez les Papous… Tu parles d’une ouverture d’esprit ! Le monde de pépé Alphonse s’arrêtait à la clôture de son jardin. Au-delà, c’étaient les lapins, les guerres et les emmerdements. »

Olivier Maulin, Gueule de bois

 

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07/07/2022

Sanglots...

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« Ah, quelle superbe fête ! Mais tout a une fin, malheureusement. Quand on est sortis de l’hôtel particulier, c’était de nouveau l’aube, une autre aube, encore une aube… On a salué l’émir, la baronne, Pipoute-Pipoute, tous ces boute-en-train, nos nouveaux amis. On avait fini dans un petit salon isolé avec la baronne à parler d’art, dont elle était gourmande. Nous avions admiré un tableau au mur, fleuron de la collection de l’émir, qu’il avait acquis pour 10 millions d’euros : une couche de peinture verte intitulée "Jeune homme couché dans les prés à l’aube après une nuit d’amour avec son fiancé au cours de laquelle il lui a annoncé qu’il rejetait à jamais l’ordre patriarcal et entendait vivre sa vie librement". On avait écouté de la musique aussi : quatre minutes trente-trois secondes de silence de John Cage, que la baronne savourait en pleurant. L’œuvre avait été composée pour le piano mais pouvait aussi bien être exécutée par n’importe quel instrumentiste, nous précisait la baronne. Pardi ! Même par un manchot sourd et aveugle… Par un ouistiti mongolien… Magie de l’art ! Cet imbécile d’Ollier avait demandé à monter le son ! Oh là là, qu’est-ce qu’on avait ri une fois de plus ! Ollier, ce plouc décidément, irréversible réactionnaire, insensible au néant !

À présent, on marchait dans l’aube, tristement, repensant au pauvre Fanfan que cette fête aurait bien amusé. Pauvre, pauvre Fanfan, mort avant la découverte du buy button ! On est arrivés sur le parvis de Notre-Dame où nous avait conduits Ollier. Un vent froid s’était levé, qui tournait autour de la cathédrale. Ollier faisait les cent pas en regardant sa montre. Soudain il a levé le bras, l’a rabaissé. Les cloches de Notre-Dame se sont mises à sonner. Les quatre benjamines de la tour nord, suivies bientôt d’Emmanuel, le gros bourdon. Ollier était à genoux, les bras écartés, pleurant à chaudes larmes. On s’est agenouillés à côté de lui, Bassefosse et moi, et on a écarté les bras, et on s’est mis à sangloter avec lui. »

Olivier Maulin, Gueule de bois

 

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06/07/2022

"Et encore, on n’en est qu’au début", disait Pipoute-Pipoute

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« Tous les ans, un cran de ceinture en moins ? Y a plus de pognon ? Oui mais « pourquoi de plus en plus de milliardaires ? Oui mais pourquoi un PIB qui gonfle ? Oui mais pourquoi de plus en plus de pauvres ? Où va le nougat ? Pourquoi c’est nous qu’on paie la crise ? Pourquoi les banques renflouées de plusieurs milliards ? Le bon business : profit privatisé, pertes socialisées ? Ne nous prendrait-on pas pour des jambons ? Voilà le genre de questions que l’abruti pourrait se poser. Tu parles d’une guigne… En discuter dans les bistrots… Se monter le bourrichon… Et pourquoi pas, horreur absolue, cauchemar d’épouvante, pire qu’une catastrophe nucléaire : virer populiste ! Rien que le mot, ça lui faisait sortir les sels à la baronne ! Au Siècle, on en chiait mou dans les culottes ! Pour pourrir l’ambiance, il n’y avait pas mieux ! Tout le reste, ça les faisait franchement rigoler : "Mon véritable ennemi n’a pas de nom", "L’argent qui corrompt tout", l’interdiction de 0,00001 % des activités toxiques des banques, "L’autorégulation exigeante des salaires patronaux", la guerre aux paradis fiscaux, etc., si ça les faisait se bidonner ! Ils en chialaient, en rotaient, en pétaient d’aise… Dans une soirée, pour mettre de l’ambiance, il y avait toujours un petit plaisantin pour reprendre la plus énorme des blagues, celle dont on ne se lassait jamais : "Nous avons mis fin au scandale des paradis fiscaux" ! Succès assuré ! N’en reste plus qu’un tout petit bout de nougat : 25 000 milliards ! Une bagatelle ! Le rire fait monter et descendre le muscle qui sépare la cavité thoracique de l’abdomen et augmente l’oxygénation du sang, excellent contre l’hypertension. Contre les inflammations articulaires. Le rire fait vivre vieux, ne faut s’en priver. 25 000 milliards de nougats ! Mais au simple mot de "populisme", fini la rigolade ! Les muscles se figeaient, hormis le sphincter qui ne répondait plus de rien ! Les imaginations s’emportaient… image horrifique, de celles qui hantent les nuits : des petites mains à l’infini en train de tresser des cordes de chanvre. "Ils sont des millions, on est quelques centaines, il faut jouer finaud, les gars" : le mot d’ordre. Obligation d’être malin, comme nous l’a enseigné Darwin. Alors, tu parles si on l’avait trouvée, la réponse : ferme ta gueule et allume TF1 ! Divertis-toi ! Variétoche, téléréalité, culture, documentaire, art, subversion, film d’auteur, paire de loches, y en a pour tous les goûts. Profite de la petite camisole sympa qu’on a concoctée exprès pour toi : travailler, dormir, regarder la TV, débrancher ton cerveau, elle est pas belle ta vie, crevard ? Les bombarder d’images, les abrutir, les réduire à des émotions de petits zenfants. Fini idées, esprit critique, "oui mais quand même", "vous êtes sûr que ?", "un truc qui cloche" : émotions ! La gueule ouverte devant le poste, les émotions ! Le vrai, le faux, le bien, le mal ? Va chier ! Sympa/pas sympa, cool/pas cool, idée généreuse/idée nauséabonde, et circulez. Poste sacré au centre de tout, pouvoir magique, créateur d’ordre : sans télé, tout s’écroule, les hommes vont au bistrot, les banquiers sont pendus.

Pour le reste, faisons confiance à la pub, disait Pipoute-Pipoute. Il n’avait pas de mots assez doux pour la pub, il la révérait à l’égal d’un dieu, il était en extase devant elle ; il lui devait tout, sa situation, son argent, sa tranquillité, la stabilité sociale. "Plus grande manifestation du génie des hommes", il l’appelait. Son héros était Marcel Bleustein-Blanchet, bienfaiteur de l’humanité ! Il se faisait lyrique, enjoué, romanesque ; la baronne avait des frissons. Il lui expliquait qu’on avait réussi grâce à la pub à faire désirer aux pue-la-merde ce qu’on avait programmé pour eux dans notre seul intérêt. Pas de matraque, pas de camp, pas de violence. Et on leur laisse croire qu’ils sont libres par-dessus le marché ! C’est génie ou c’est pas génie ? Venez consommer librement les petits pioupious, c’est vous qui décidez de tout… La baronne commençait à piger ; elle s’est mise à mouiller ! Transformer leurs désirs en besoins ! Les rendre compulsifs, dépendants du bonheur dans l’achat ! Un coup de déprime ? Lèche une vitrine, connasse ! Génie, oui, je l’affirme ! Grâce à la pub, ils avaient renoncé à produire eux-mêmes ce dont ils avaient besoin et ils étaient heureux ! Contents de bouffer de la merde de cheval surgelée !
Ravis de s’empoisonner de raviolis aux os broyés, nerfs et tendons ! Guillerets de préparer des purées en flocons ! Éplucher une patate ? Plus le temps ! Trop de boulot ! Mais je m’éclate, rassurez-vous ! J’abandonne mes enfants tous les jours à des nourrices inconnues, je pue des bras à cause du stress, je donne du poison à mon bébé mais je suis bien plus épanouie qu’au treizième siècle, hihihi ! Et puis, je pars en week-end à l’étranger et je finirai en maison de retraite tout confort. La pub, meilleur dressage de l’histoire de l’humanité ! Tout en douceur, en cajolerie, lait maternel et régression ; pornographie pour impuissants, les exciter un peu, qu’ils s’imaginent être vivants… Le choix pour les rebelles : choisir une autre marque. En séchant leur imaginaire, c’est leur perception du monde qu’on a détruite ; en détruisant leur perception du monde, c’est la possibilité de le changer qui s’est éteinte. La boucle est bouclée, la cage verrouillée. La pub est révolutionnaire, réactionnaire, insaisissable, impossible à combattre ; elle seule a enfin réussi à mater l’homme ; pour Pipoute-Pipoute, elle était Dieu himself. La baronne chialait à grandes eaux. Elle était en pleine crise mystique… Les sert-à-rien, ça l’effrayait, ça l’écœurait, ça l’excitait pardi ! Au fond, ce qu’elle aurait voulu du fond de sa haine, c’était finir battue, violée, compissée par la populace au gros zob puant ! Finir pendue par les pieds comme un jambon fumé ! La haine !
"Et encore, on n’en est qu’au début", disait Pipoute-Pipoute. Les neurobiologistes travaillent pour nous ! La science est avec nous ! Les analyses en imagerie cérébrale vont bientôt influencer les décisions d’achat de manière plus rationnelle et précise… On a repéré les signaux visuels, sonores, olfactifs qui déclenchent l’envie… Vous êtes foutus ! On a détecté la zone cérébrale de la récompense… Vous ne nous échapperez plus ! On a enfin trouvé le "buy button" ! Zombie achètera quand on lui dira, ce qu’on lui dira, où on lui dira, et après il aura le droit d’aller voter ! Le salut par "buy button" ! Alors, génie ou pas génie, nom de Dieu. »

Olivier Maulin, Gueule de bois

 

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05/07/2022

En dehors de l’immigration, l’histoire de France ? Une crotte de nez !

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« Chanclair était le P-DG d’un grand groupe de télécommunications, fournisseur d’accès à Internet, opérateur de téléphonie mobile, etc. ; il avait fait fortune à la fin des années quatre-vingt dans le Minitel rose, les peep-shows, les sex-shops : quatrième fortune française aujourd’hui ! Dix milliards d’euros ! Les branlées de ses clients avaient jaculé de l’or ! Il avait été encabané deux mois à la Santé pour proxénétisme aggravé et recel d’abus de biens sociaux, les risques du métier. Qui ne risque rien, il a rien. À côté de ça, c’était surtout un bienfaiteur, un mécène. Il réduisait la fracture numérique, aidait les personnes défavorisées à accéder à la technologie, c’était comme une mission divine, un sacerdoce qui le hantait nuit et jour. Grâce à lui, des milliers de prolétaires au chômage pouvaient regarder les programmes TV en ligne et passer leur soirée à faire des patiences, et sans jeu de cartes : éconocroc. Bon, il leur collait bien un petit abonnement en passant, faut pas déconner ! Il possédait la moitié des journaux de Paris, était copain avec l’autre moitié, siégeait dans des commissions ad hoc visant à organiser le marché de la téléphonie, convoquait les ministres quand il avait besoin de changer la loi.
"Mieux vaut faire appel aux pros qu’aux technocrates", il disait. Il venait de recevoir le Grand Prix de l’entrepreneur, avait été élu manager de l’année, personnalité digitale de l’année, homme le plus influent de l’année, plus grand mécène de l’année, patron le plus sympa de l’année ; il avait même avancé dans le classement "Forbes" ! C’était l’idole des entrepreneurs, l’idole des politiques, l’idole des jeunes ! D’ailleurs, il avait l’air cool, quarante-sept ans, cheveux longs filandreux malgré la calvitie entamée, bronzé, chemise ouverte, jean, baskets. Son grand truc, c’était la lutte antifasciste. "On a beau être entrepreneur, on n’en a pas moins une conscience citoyenne." C’était sa phrase. Un coup pour la Licra, un coup pour le Medef, un pro ! Il était prêt à rire de tout, mais pas du fascisme. Prêt à tout laisser passer, mais pas le fascisme.
Attention danger, alerte rouge, vigilance de tous les instants, bête immonde est passée par ici, elle repassera par là. Il était pour la liberté, bien sûr, des capitaux, des immigrés, de la drogue, des gangsters et du blasphème… mais celle de donner son opinion sur Internet… bof, bof ! Le petit rigolo derrière son clavier bavant la haine et la rancœur, moyen, moyen ! Il blaguait même sur son métier de fournisseur d’accès : je vends du raccordement à l’égout ! Avoir une opinion en dehors des journaux autorisés, c’était pour lui le début du totalitarisme.
S’il y a bien une chose qui le rendait fumasse, c’est cette nouvelle mode populace de rechigner à l’immigration. Les petits tâcherons qui parlent de seuil, qui déménagent, qui contournent, qui trichent… Alors là, il perdait son calme ! Un tel égoïsme… mesquinerie, repli riquiqui… petit crevard recroquevillé, moisi, pourri, terrorisé, plissé comme un anus serré. Et la grandeur, bordel ! France, terre d'immigration depuis Clovis ! Un destin, oui monsieur, et une chance, pardon ! THE chance, tête de nœud ! Croissance, ouverture d’esprit, retraites, sonates, Versailles, Chambord, Petit Poucet, la Banque de France : on leur doit tout ! Et depuis toujours, partout, tout le temps, on ne le répétera jamais assez ! Vercingétorix métèque ! Charlemagne rastaquouère ! Et encore, Clovis, ce chelou… depuis la caverne, nom de Dieu ! Ôtez la merde de vos yeux et vous verrez Bamboula danser dans les tableaux de Bruegel ! France, carrefour éternel : Gaulois, Arabes, Picards, Wolofs, Francs, Bambaras, Gitans, Wisigoths, Pygmées, tout pareil ! Chacun chez lui ! Wolofs un peu plus que les autres ! En dehors de l’immigration, l’histoire de France ? Une crotte de nez ! Sans immigration, petit Fwançais toujou’s fai’e feu avec silex ! Immigration consubstantielle à la France ou la 17e chambre ! Cette prétention d’enracinement, histoire, tradition, peuple millénaire, gnagnagna, et les champs de bataille, de blé, les cathédrales, les rois, ça le débectait, ô combien. Ce petit esprit colonial tordu, suffisance blanche… ce que voulaient les ploucs : vivre entre eux, selon leurs petites mœurs, leurs petites habitudes, leur petit pastaga, leur petit bidon plein de merde ! Il devenait sauvage, Chanclair ! Il les haïssait, pire que tout ! Que des gueules de croisés, nazis, inquisiteurs, bonnets-pointus façon klan-klan, amateurs de pinard, saucisson et gégène ! Heureusement, on allait te transformer tout ça en beige foncé une bonne fois pour toutes !

  La baronne de Rothschiess rigolait, une main devant la bouche. Ce cher Chanclair, quel visionnaire ! Elle aussi les haïssait, pardi. Les coupables, elle les appelait. Une haine incroyable qui la réveillait la nuit, par bouffées. Tous ces pauvres, ces sert-à-rien, racistes, antisémites, sales comme des culs, mauvais comme des teignes, et bêtes, mon Dieu, tellement bêtes, si faciles à tromper ! hihihi ! C’était la grande rigolade maintenant, les blagues entre amis… Chanclair mimait les enculeries… Un banquier d’affaires s’était approché, Anastase Pipoute-Pipoute, dit Ana2pi, propriétaire d’une moitié des journaux parisiens, celle qui reste. Il se disait favorable à l’ultra-immigration, la déferlante, le raz-de-marée, il voulait que le pays s’affaisse d’un mètre sous le poids ! Tout aspirer d’Afrique ! Qu’il n’en reste plus une miette ! On embarque les éléphants avec ! Fini le chichi compte-gouttes, visas, asile, regroupement familial, pisse-petit, petites barquettes Lampedusa ; de ses deux mains, il tournait une grande roue…
— Ouvrez les vannes !
On se tenait les côtes ! Pipoute-Pipoute, ce boute-en-train !
— J’en veux partout ! Dans les campagnes, dans les villages, dans les forêts, dans les montagnes, dans les baignoires, les frigidaires ! La sens-tu, la vague en colère ! Les petits turfistes ratiboisés ; pêcheurs à la ligne évaporés ! Grandeur du passé ? Louis XIV ? Napoléon ? Au nom des droits : partout, j’en veux ! 
— … sauf dans le 16e ! a dit Chanclair.
— … sauf dans le 7e ! a dit la baronne.
— … sauf à Saint-Tropez ! a dit Poujade. 

Ah, la poilée ! On rigolait aussi avec les copains. Pipoute-Pipoute ouvrait toujours les vannes. Faut plus traîner maintenant, il disait. En une génération, ça doit être plié. Avant qu’ils réalisent ce qui leur arrive, boum, les voilà beige foncé. Et pour les râleurs, suicide assisté ! Il était progressiste intégral, Pipoute-Pipoute ! Généreux comme pas deux, luttant contre toute forme de souffrance ; insupportable la souffrance, un archaïsme : la physique, la psychologique, la morale, la sociale, vague à l’âme, grippe, migraine, hémorroïdes : suicide assisté ! Il voulait des grandes campagnes d’incitation, l’autoriser à partir de douze ans, âge difficile. Ado boutonneux en crise, chômeur dépressif, petite nature, caissière en surnombre : suicide assisté ! Et ne parlons pas des malades, boiteux, cancéreux, polio-mal-foutus, accidentés de la route, tout débrancher ! Et pour les bien portants, la grande aspiration, l’évacuation des "fragments de grossesse" dans la joie… Un peu de place siouplaît ! Chacun son tour ! Le Blanc a suffisamment joui, bouffé, bu, roté, massacré, au suivant ! L’avenir au Grand Suicide Collectif ! À la Grande Évaporation ! À la Grande Aspiration ! Le Champagne nous sortait du nez, à trop rire… Civilisation blanche, salope ! Table rase, rasée, ratiboisée ! En finir définitivement avec les descendants des chevaliers ! Chevaliers ? Alors là, ça les faisait carrément baver de rage. L’hétéro mâle blanc guerrier exterminateur intolérant ennemi du centre commercial ! La baronne manquait défaillir… Mon cher, c’est d’une vul-ga-ri-té ! Ils chiaient derrière les rideaux, baronne ! chassaient les petits lapins, trompaient leur femme, se léchaient les doigts, massacraient les brigands ! Mais c’est fini tout ça ! La Vague ! La Vague ! Dans leur gueule ! Partout j’en veux ! Entassés dans des tours jusqu’à la lune… gavés de droits… fanatisés par les associations… Aspégic est mort mais il ne le sait pas… 

On a continué comme ça longtemps à discuter. Pipoute-Pipoute et Chanclair étaient intarissables. Et la baronne ! Leur préoccupation : contenir la populace. Au Siècle, au Bilderberg, au Parlement, c’était l’unique sujet. Le ver visqueux remuait toujours trop à leur goût. Il râle, fouine, met son groin partout ; si on le laissait faire, il serait capable de se mettre à réfléchir… »

Olivier Maulin, Gueule de bois

 

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04/07/2022

L’émir Habib ben Habib ben Hibn ibn Habib ibn Hibn...

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« C’était un hôtel particulier dans le 7e arrondissement, avec une entrée en demi-lune donnant sur une petite cour entourée de colonnades et un escalier d’honneur au centre de la façade monumentale. Des valets en livrée prenaient nos pardessus dans le grand vestibule en marbre et nous indiquaient le salon. La fête était dans un creux ; d'après Nicolas-Victor Poujade, habitué des lieux, elle reprendrait du tonus vers treize heures. Il restait une vingtaine d’hommes et de femmes. Certains buvaient du café en mangeant des croissants, debout à côté d’un buffet, d’autres continuaient au Champagne assis dans les canapés. Que du gratin ! Du CAC 40, de la finance et de la banque, des journalistes, animateurs vedettes, cabotines en vue, des hommes d’affaires, des députés, une jeune ministre… Il y avait même le baron et la baronne de Rothschiess ! Paris restera toujours Paris ! L’entrée dans le salon de Nicolas-Victor Poujade a été saluée par des acclamations. Il a serré quelques mains, donné quelques accolades et nous a présentés à l’hôte et propriétaire des lieux, vautré dans un pouf, un verre de Coca-Cola à la main : l’émir Habib ben Habid ben Hibn ibn Habib ibn Hibn, vêtu d’un taoub et d’un keffieh à carreaux rouge et blanc tenu par une sorte de gros tuyau noir. Il nous a tendu une main molle en soupirant. Bassefosse, ça lui a illico réveillé les bonnes manières :
— Merveilleuse, éclatante et sérénissime Altesse, merci mille fois de nous recevoir dans votre humble demeure, lui a-t-il dit en s’inclinant à la prussienne (90 degrés).
— Bonjour mon ami, lui a répondu l’émir avant de soupirer une nouvelle fois. Prenez donc une coupe de Champagne si cela vous amuse…
Il a claqué des doigts. Deux valets indiens sont apparus comme par enchantement, l’un portant un plateau rempli de coupes, l’autre une bouteille de Champagne. On a saisi chacun un verre, le valet nous l’a rempli. Mais il n’y en avait que pour deux verres et il a envoyé son collègue chercher une autre bouteille. Ça l’a mis en pétard, l’émir ! Cette imprévoyance ! Il est devenu tout rouge, il a sorti une trique en bambou de sous son taoub et s’est mis à battre le valet ! Sans quitter son pouf !
— Ma parole, tu sers mes invités avec des bouteilles vides ! Tu m’as déshonoré, fils de chameau ! Maudite soit la guenon en chaleur qui t’a enfanté ! Et schlag ! il lui fouettait les fesses ! "Pardon, pardon…", répétait l’Indien.
— Chien galeux ! Babouin ! Tu m’as humilié !
Et schlag ! schlag ! J’ai voulu intercéder. Je le trouvais un peu sévère, l’émir ! Je sais bien que ça ne me regardait pas mais quand même… On n’était pas à cinq minutes près, rapport au roteux !
— Noble Excellence, tout ça n’est pas bien grave…, j’ai dit. Et puis comme ça on aura comme qui dirait du roteux bien frais…
Il a rangé son boudin et m’a lancé un regard étonné. Il s’est renfoncé dans son pouf en soupirant, a essuyé une petite goutte de sueur qui perlait sur son front.
— Par Allah, j’aime les preux qui défendent les opprimés, a-t-il dit. Ton cœur est rempli de noblesse et de générosité, je lis dedans comme dans un livre. Viens donc t’asseoir à côté de moi…
Il tapotait son pouf de ses doigts emperlousés. J’ai regardé les copains. Ils m’ont fait signe d’y aller. Je me suis assis à côté de l’émir, collé tout à côté. La deuxième bouteille est arrivée et le valet m’a servi en tremblant.
— Tu es un jeune homme plein de courage, a dit l’émir. Par Allah, mon cœur saigne de t’avoir rencontré si tard dans la vie. Bois ce bon vin de ma vigne si tu veux m’être doux comme le miel.
J’ai bu un coup. Je souriais bêtement. Il m’avait mis une main sur la cuisse qu’il tripotait. Il rentrait demain dans l’Arabie et voulait m’emporter avec lui ! Il voulait me couvrir de cadeaux. M’offrir des dizaines de petits garçons espiègles et des chameaux !

Il s’est mis à me parler de ses palais et de ses restaurants, il en avait quinze répartis un peu partout au milieu du désert, sans compter ceux de New York, Paris et Hong Kong (et les palaces, les hôtels particuliers, les châteaux, les vignes – cinquante hectares en Champagne !). Ses restaurants étaient les meilleurs du monde, avec chacun à sa tête un chef français étoilé payé 100 000 dollars par mois. Il se réunissait parfois avec d’autres émirs pour déguster de délicieuses pizzas surgelées et boire du Coca-Cola bien frais, une fois dans l’un, une fois dans l’autre. Le reste du temps, les restaurants étaient vides, déserts, serait-on tenté de dire. Les chefs changeaient les menus tous les jours, importaient des produits de luxe de l’autre bout du monde, préparaient les meilleurs plats et balançaient le tout à la poubelle en fin de soirée. Les maître d’hôtel, chef de rang, demi-chef de rang, commis de rang, trancheur, chef sommelier, sommelier, barman, caissier, responsable vestiaire, portier, chasseur étaient toute la journée à leur poste, dressant le couvert au cordeau et le débarrassant, changeant les bouquets de fleurs tous les matins, passant des mois sans voir personne et balayant sans cesse le sable du désert qui s’infiltrait partout. Il collectionnait les voitures, aussi. Anciennes : De Dion Bouton 1903, Panhard Levassor 1911, Ford T 1924, Lincoln 1928… mais aussi actuelles : Aston Martin Vanquish, Lamborghini Murcielago, Rolls-Royce Phantom (son péché mignon !) et des Maybach, des Mercedes SLR McLaren, des Porsche Carrera ; une Koenigsegg CCX, une Ferrari Enzo, et deux Bugatti Veyron, la voiture la plus chère du monde ! Et la jeep Wrangler de "Jurassic Park" rachetée à Spielberg repassée par Madoff ! Un grand enfant ! Il organisait des courses amateurs avec ses trente-quatre fils dans le désert, abandonnant les voitures quand elles étaient en panne d’essence. On se marrait bien par là-bas ! Mais il voyageait beaucoup aussi car Allah en avait décidé ainsi. Il passait son temps entre son Arabie natale et Paris, New York, Londres et Hong Kong, à la recherche de la perle rare.
— Vous voyagez sur quelle compagnie ? a demandé Ollier, histoire de participer à la conversation.
Il est resté pantois, l’émir. Il a regardé Ollier, il a commencé par grincer, il a souri, il a ouvert la bouche et soudain il a explosé de rire. Il tapait sur sa grosse bedaine, plié en deux. Il n’en revenait pas du gag. Il répétait : "Sur quelle compagnie ?" entre deux hoquets, il en chialait, je crois même qu’il s’est pissé dessus sous son drap !
— Com… Com… Compagnie !
Et ouh ouh ouh houahaha hihi ! Il s’est versé son verre de Coca-Cola sur la tête, il n’arrivait plus à s’arrêter, il donnait des coups de poing dans le pouf, et sur ma jambe ! Il disait qu’il n’avait jamais autant ri de sa vie ! Et puis il s’est repris :
— Fils de chien, tu m’as fait abuser du rire qui corrompt les cœurs ! Je devrais te faire fouetter ! Mais par Allah, j’ai passé un doux moment…
Il a sorti un carnet de chèque et a signé un chèque de 100 000 euros qu’il a tendu à Ollier, avant de nous congédier d’un geste de la main, de s’essuyer le crâne avec un grand mouchoir et de claquer des doigts pour qu’on lui apporte un autre verre de Coca-Cola bien frais. L’émir Habib ben Habib ben Hibn ibn Habib ibn Hibn possédait la plus grande flotte de jets privés du monde. »

Olivier Maulin, Gueule de bois

 

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03/07/2022

Ne sommes-nous pas modernes ?

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« Il était chaud, Bassefosse ! Désirs tordus des aubes, pulsions brutales, envies des viandes.
Il lui pelotait les miches, les bons jambons, la bonne chair dure et sportive. J’ai des idées, qu’il disait. Des drôles d’idées, moitié brutales, moitié guili-guili ! Ravager, semer, l’appel de la fente, l’ivresse ! Dégobiller du zob : unique passion depuis la caverne. Costume-cravate n’y changera rien. — Oh mais pardon, merci vraiment, je me sens tout à fait normal à présent, revenu de mes penchants mesquins, amateur de la beauté contemporaine…
Il promenait la main dans la raie, palpait, massait, empoignait, farfouillait. Je m’attendais à un réflexe karaté, Bassefosse envoyé dans les étoiles, quelques os qui craquent… mais nib, l’infirmière rigolait, se mordillait la lèvre, soupirait en féline, goûtait l’assaut ! Salope deux fois ! Bassefosse l’émoustillait… Il la serrait de plus en plus, soufflant chaud dans le cou, effleurant de sa bouche humide son oreille ; la main courait dessous la blouse, cherchant rondeurs, crevasses, protubérances… la voilà qui chatouille entre les cuisses… Protubérance ? Bassefosse a bondi en arrière dans un cri ! Il avait l’air sonné, comme assommé par la décharge électrique… Il s’est repris, s’est redressé, a resserré son nœud de cravate, toussé un peu :
— Mais vous avez une bite, mademoiselle ? J’exige des explications.
— Vraiment ? Et alors ? Ne sommes-nous pas en 2014 ? Êtes-vous pudibond ? Antisémite ? Opus Dei ? Coincé du cul ? Encore plus salopiot qu’un SA ? 

Une bite ! L’infirmière avait une bite ! Pour un coup de théâtre ! Ollier s’est levé. On s’est approchés tous les deux, à pas de loup, les yeux fixés sur l’anatomie controversée. La blouse semblait faire bosse en effet ! Grosse bosse !
— Ne seriez-vous pas plutôt une petite menteuse effrontée ? a demandé Ollier.
— Par saint Georges, zut à la fin ! a crié Milou en se débraguettant.
— Ah !
On a hurlé tous les trois ! Elle avait une bite en effet ! Une grosse bite ! Une ignoble queue qui bande tordue ! Ah, la salope ! Oh, le salaud ! Et turgescente ! Avec des couillons et des poils ! Modernité !
— Mais… mais… vous êtes donc un mâle ? a dit Ollier.
— Voyez-moi ce vilain moyenâgeux, a répondu Milou. Obscurantiste croisé, ami des ténèbres du passé.
Elle a ouvert sa blouse, découvrant ses pastèques.
— Je vous le demande, messieurs les censeurs, sont-ce là vraiment des rondelets mâles ?
Bassefosse s’est mis à les peloter avant de les soupeser.
— Pour moi, il n’y a pas de doute, c’est de la femelle, il a répondu.
Ollier avait les yeux écarquillés. Son regard passait des roberts à la cornemuse. Il se grattait le crâne.
— Mademoiselle, ne le prenez pas mal, mais j’ai une question importante à vous poser : êtes-vous par hasard un gros pédé ?
— Vous faites fausse route, mon cher ami. Les préjugés vous aveuglent. Vous pensez comme les hommes des cavernes, esclaves de leur corps et de la nature. Moi, je ne laisse pas la nature me commander. Je me suis libéré(e) de cette tyrannie. À présent, je suis homosexuel(le) bien sûr, mais aussi lesbien(ne) certains jours, bisexuel(le) quand le désir m’en prend, transgenre toujours, transsexuel(le) à mes heures, queer et curieux(se) de tout, pansexuel(le) gourmand(e) questioning quand je déprime, intersexuel(le) au fond, et même asexuel(le) le dimanche. Et, puisqu’on y est, je trouve tout à fait crapuleuse et patriarcale votre manière de m’appeler sans cesse "mademoiselle". Appelez-moi plutôt "individu" si cela ne vous dérange pas. Ou mieux : "individu LGBTTTQPQIAA", ce qui est ma véritable identité.
— Très bien, cher individu LGBTTTQPQIAA, a répondu Bassefosse qui continuait à lui peloter les miches.
— Du reste, ne croyez pas que ce soit si facile d’être libre, a ajouté Milou. Mes droits sont constamment bafoués.
— Bafoués ? Diable. Cette société ne respecte vraiment rien, a soupiré Bassefosse.
— Tel (le) que vous me voyez, figurez-vous que pas plus tard qu’hier, on m’a interdit l’entrée d’une pissotière.
— Non ?
— Oui. Et je dois ajouter que ce n’était malheureusement pas la première fois.
— C’est honteux, a dit Bassefosse. Et quelles raisons vous a-t-on données pour justifier cette discrimination manifeste ?
— Celles que vous tripotez.
— Je vois.
— Mais ça ne se passera pas comme ça, vous pouvez me croire. J’ai alerté les associations. Ne sommes-nous pas le pays de l’égalité des droits ? N’en déplaise aux fanatiques, je lutterai pour les miens, dussé-je aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme. J’ai un phallus, j’estime avoir le droit de fréquenter les pissotières !
— Ce cher Milou pugnace, a dit Bassefosse qui léchait maintenant les mamelles.
— Dans un sens, le raisonnement se tient, a dit Ollier.
— Oui, mais il y a tout de même les rondelets, ai-je fait remarquer. Ça pourrait traumatiser l’usager.
— Taratata, m’a coupé l’infirmière. Je sais faire mes petits besoins debout, il n’y a donc aucune raison juridique de m’interdire l’entrée des pissotières. J’en fais une question de principe et de dignité personnelle. Le temps du mépris et de la honte est révolu !
— C’est un problème complexe, a reconnu Ollier.
— Dans un sens, c’est même philosophique, a ajouté Bassefosse.
La fille s’est levée à son tour et s’est lentement approchée de nous en bâillant.
— On va rester longtemps ici ? elle a demandé. Je suis fatiguée.
— Dites donc vous, ça n’a pas l’air de vous intéresser plus que ça que l’infirmière ait une bite ? ai-je fait remarquer.
Elle a haussé les épaules.
— Une bite d’homme ou une bite de femme, où est la différence ? a-t-elle murmuré.
J’ai réfléchi. Après tout, c’est peut-être elle qui avait raison. Ne sommes-nous pas modernes ? »

Olivier Maulin, Gueule de bois

 

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28/06/2022

Des vieilles serpillières usagées

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« Elle montrait des signes d’impatience, la Suédoise ; elle s’est mise à sautiller comme un petit moineau, genoux souples, avant-bras parallèles, une sorte de danse mignonne ; Ollier a rien vu partir, boum, un fouetté dans la tronche ! Deux, trois petits bonds élégants, bing, voici Bassefosse à l’horizontale ! Reste mézigue, apôtre de la non-violence, le gars sympa quand il est sobre, pas contrariant, bien élevé, mais va lui expliquer… j’avais droit au spectacle en sus… elle tournait sur elle-même, sautait en l’air façon ninja, tricotait, détricotait ses bras, se baissait, relevait, feinte à droite, feinte à gauche, hop, hop, souplesse, désaxage, esquive, opportunité, retrait de buste, plein contact, à la fin j’envoie la purée : front-kick, back-kick, semicircular-kick, toute la gamme dans ma gueule ! Elle était championne d’Europe de boxe thaïlandaise. 

La Suédoise nous a ramenés à l’accueil en nous tirant par les pieds. Nos bras traînaient derrière nos têtes comme des méduses. On ressemblait à des vieilles serpillières usagées. Elle nous avait donné une belle leçon d’humilité, la Suédoise. Évangélique, pourrait-on dire. La poussière, la vanité du monde, toutes ces vérités qu’un quotidien surchargé a tendance à nous faire oublier. À vrai dire, je me sentais grandiose dans le rôle de l’épave humiliée. Je ne vous ai pas dit ma passion pour les saints. Se tartiner les cheveux de tripes pourries et bouffer du lézard perché sur une colonne, ça me parle. L’humanité, c’est encore à genoux que je la préfère, expiant ses innombrables fautes. Dès qu’elle se redresse, elle m’inquiète, c’est qu’elle va déconner. Rien ne vaut un homme à quatre pattes, la gueule en sang si possible, le corps bien amoché, marinant dans ses liquides. Humaniste, oui, mais a minima ! Voilà où j’en étais de mes réflexions tandis que je glissais doucement à travers les longs couloirs blancs. Grâce à la grosse vache, je vivais un grand moment d’extase. Penser à la remercier. Elle nous a balancés en vrac dans l’ascenseur, direction le rez-de-chaussée, retour à la salle d’attente. On s’est assis sagement sur les banquettes en plastique à côté de la copine qui s’était assoupie, son gobelet de café vide à la main. On était calmés à présent. On filait droit, pardi. La Suédoise nous avait fait passer jusqu’au désir de cuite. Elle était retournée derrière son comptoir et nous épiait par-dessus son magazine. »

Olivier Maulin, Gueule de bois

 

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17/06/2022

Il pensait que la fin du monde était proche

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« « Il avait de drôles d’idées, Schmidt. Il pensait que la fin du monde était proche. Il disait que tout finirait recouvert par les mouches, l’humanité ensevelie, les villes et les voitures, et même la tour Eiffel. Il n’était guère optimiste mais c’était un fameux mathématicien. Il avait calculé qu’un couple de mouches épargné par le froid et la prédation donnerait en six mois 4000 trillions de mouches, c’est-à-dire 4 000 milliards de milliards de mouches ou 4 000 millions de millions de millions de mouches, c’était comme on voulait, ce qui nous parlait le plus, moitié mâle, moitié femelle, et ce, à raison d’un peu plus d’une ponte par mois, soit sept pontes au total donnant chacune naissance à 200 larves, dont 100 larves femelles, chaque larve produisant elle-même 100 nouvelles larves femelles, et ainsi de suite. Le résultat précis de ce calcul savant était de 3  985 969 387 755 100 mouches qu’il arrondissait à 4 000 trillions de mouches pour ne pas être trop fastidieux. Il a repris le tas de cartes et a recommencé son jeu qui consistait à les poser une à une au milieu du lit.

— Une mouche mesure en moyenne 8 millimètres de long sur 5 de large et 4 d’épaisseur, récitait-il d’une voix monocorde. Sa surface est donc de 32 millimètres carrés et son volume de 128 millimètres cubes. Considérant que les terres émergées de notre planète ont une superficie de 149 millions de kilomètres carrés, les 4000 trillions, ou 4 000 milliards de milliards, ou 4 000 millions de millions de millions de mouches recouvriraient en six mois toute la surface de la terre d’une épaisseur d’un mètre. Oui, messieurs. Un mètre. En six mois. Un seul couple de mouches. On ne peut donc pas lutter, même avec la bombe atomique.
Il a posé son jeu sur ses cuisses, s’est mouché bruyamment dans ses doigts, les a essuyés sur ses draps, a repris sa partie.
« — Ce que je crains par-dessus tout, c’est que les mouches reprennent le cours de leur évolution biologique et qu’émerge une forme d’intelligence conduisant à un commandement unifié apte à bâtir une stratégie globale pour la conquête des terres émergées. Oui, cela, je le crains beaucoup. Après avoir revêtu un petit tricot blanc, comme l’a annoncé le prophète Jacques Spitz, elles attaqueraient nos villes et nos villages, viendraient pondre dans nos corps et nous dévoreraient de l’intérieur. Des centaines de milliers d’œufs agglomérés en gélatine blanchâtre, oui, oui. Les larves carnivores sont munies de crochets, voyez-vous, qui leur permettent de s’enfoncer dans la chair, s’enfoncer profondément, s’enfoncer encore, s’enfoncer toujours plus. La plaie se creuse et devient purulente, l’odeur de putréfaction ammoniaquée attire d’autres pondeuses, et bientôt les asticots pullulent et grossissent dans les corps et nous mangent le foie, la rate, la cervelle, sécrétant des substances toxiques qui nous infectent, si bien que l’on meurt en quelques jours dans d’atroces souffrances. Quand j’étais enfant, j’attrapais des mouches vivantes, je les mettais dans un petit cube d’eau au congélateur pendant huit jours, puis je faisais fondre la glace et je sortais la mouche de l’eau. Elle s’envolait après avoir séché ses ailes. Oui, telle est la vérité. Elle s’envolait. J’ai alors rejeté Dieu, songeant qu’il avait brisé l’alliance passée avec nous autres les hommes pour en bâtir une nouvelle avec les mouches, ce que je ne pouvais supporter car je crois profondément en notre bon droit, même si ce bon droit est aujourd’hui menacé et que personne ne veut l’entendre. »

Olivier Maulin, Gueule de bois

 

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15/06/2022

Elle m’a fini à coups de latte, cette gouine...

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« Une infirmière lisait Santé pour tous en soupirant derrière son guichet. Je suis allé faire couler trois cafés à la machine, j’en ai filé un aux copains, on s’est assis.

(...)

— Arrête donc de lire ce magazine de tarte, espèce de boudin blanc ! Tous ces mensonges, conso, psycho, bien-être, spa ! Envie d’évasion ? masque aux concombres ? problème de vulve ? Vous êtes donc si connasses, les femmes ? Pires que les chevaux dans les œillères ! Régimes "ventre plat" 100 % plaisir ! la première fois, j’ai frissonné ! je le trompe et alors ? Lave-toi la moule au savon karité !
Elle s’est levée d’un bond, a contourné le guichet. Elle était grande, forte, plutôt charpentée, nordique ! Elle faisait craquer ses doigts !
— Boudin blanc ? Connasse ? Moule karité ? Ma parole, t’as des lacunes en culture générale. Simone de Beauvoir, ça te parle ? J’organise des visites guidées de l’hôpital, tu veux un ticket ?

Elle m’a collé une tortonne de la mort ! Pif ! J’ai volé à l’autre bout de la salle d’attente. Elle m’a rejoint ; une autre ! Paf ! J’ai retraversé la salle… Et puis encore une autre ! Pif ! Les patients en lambeaux tournaient la tête, comme au tennis. Une dernière ! Paf ! Je me suis écrasé le nez dans le plexiglas, toutes les étoiles de l’univers… Elle m’a fini à coups de latte, cette gouine. Mais je gueulais toujours, pardi ! Une corne de brume dans la brume, voilà ce que j’étais. Vigile tout en haut sur le mât… la France de demain qui s’esquisse dans les chandelles… les planches de bois, les tôles, les excréments, les caravanes… les rats ! Et le silence, les ricanements, le luxe insolent, le gros caca. Où sont les journalistes ? En voyage presse aux Bahamas ? En interview avec Michel Drucker ? Que pensez-vous de Schopenhauer, monsieur le génie ? Vraiment ? Et Mickey Mousse avec ses grandes oreilles ? Hihihi ! Et puis chialer sur l’Africain, ça oui, dès qu’il a une rage de dents ! Mais la misère d’ici, va te faire foutre ! Trop blanche, trop polie, trop populo-puliste ! Si ça se trouve, il l’a cherché, son fumier, le bidet-qui-pue ! Il l’expie, son histoire ! Elle visait les côtes, la Suédoise, elle me traitait de pourri à bite, de macaque, d’homoncule à testicules ! Finalement, elle m’a laissé pour mort. Elle est retournée tranquillement derrière son comptoir et s’est remise à la lecture. J’ai repris mes esprits, me suis tâté les côtes, les bras, la mâchoire. Mes noix étaient toujours dans le pantalon, c’est toujours ça. »

Olivier Maulin, Gueule de bois

 

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14/06/2022

Une raison et une sagesse toute célestes

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« 28. Un jour que j'étais à table auprès du supérieur, il se pencha tout doucement vers moi et me dit à l'oreille : "Voulez- vous que dans un vieillard d'une extrême vieillesse je vous fasse voir une raison et une sagesse toute célestes ?" Comme je lui fis signe que je le désirais et le lui demandais, il appela un bon père nommé Laurent; il était placé à une autre table. Ce respectable moine avait déjà passé quarante-huit ans dans le monastère; c'était le second prêtre en dignité dans l'église de la communauté. Il se rendit aussitôt auprès de son supérieur, se mit à genoux, selon la coutume de la maison, pour recevoir sa bénédiction; puis il se leva pour prendre ses ordres, mais l'abbé ne lui dit rien, et le laissa debout devant la table, sans lui rien donner à manger. Or tout cela se faisait au commencement du repas. Enfin il demeura près d'une heure au moins, immobile et sans mouvement; ce qui me causait une telle confusion, que je n'osais regarder ce bon père tout blanc de vieillesse : car il avait quatre-vingts ans. Il resta donc en cet état jusqu'à la fin du repas, sans que l'abbé lui dit un seul mot. Quand le repas fut fini, son supérieur lui commanda d'aller trouver Isidore, ce grand pénitent dont nous avons parlé, et de lui réciter ce paroles du psalmiste : "J'ai attendu longtemps le Seigneur, et je ne me suis point lassé de l'attendre." (Ps 39).

29. Or, comme je suis très malicieux, je ne manquais pas de chercher l'occasion de parler à ce vénérable vieillard, pour lui demander à quoi il pensait pendant qu'il était ainsi debout devant la table. "Je regardais, me répondit-il, Jésus Christ dans la personne de mon supérieur; aussi ne considérais-je pas le commandement qui m'était imposé comme venant d'un homme, mais comme venant de Dieu; c'est pourquoi, mon cher père Jean, j'étais bien loin de croire que j'étais debout auprès d'une table, autour de laquelle étaient assis de simples mortels; mais me figurant être devant l'autel du Seigneur, je Lui adressais, selon mon pouvoir, de ferventes prières; et je peux vous assurer qu'il ne m'est pas même venu dans l'esprit une mauvaise pensée contre mon supérieur, tant est grande la confiance que j'ai en lui, et tant est forte l'affection que je lui porte; car, ajouta-t-il, "l'amour ne pense mal de personne" (1 Cor 13). Au reste, mon Père, sachez bien que le démon ne trouve plus d'issue pour entrer dans un coeur qui s'est dévoué et consacré entièrement à la simplicité, à l'innocence et à la bonté. »

Saint Jean Climaque, "Quatrième degré - De la bienheureuse et toujours louable Obéissance - Histoire de Laurent" in L'échelle sainte

 

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13/06/2022

Le vertueux directeur

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« 6. Ainsi, lorsque nous avons enfin pris la résolution de porter le joug de Jésus Christ, et de confier à un père spirituel le soin et la conduite de notre âme, nous devons, s'il nous reste tant soit peu de jugement et de sagesse, bien voir et bien peser quelles sont les lumières et la prudence de celui à qui nous allons confier une affaire d'une aussi haute importance; et, si j'ose m'exprimer ainsi, il nous faut tout employer pour connaître le directeur que nous choisissons, afin que nous n'ayons pas le malheur de tomber entre les mains d'un mauvais matelot, au lien d'un pilote expérimenté; d'un homme ignorant et malade lui-même, au lieu d'un médecin sage et prudent; d'une personne remplie de vices, au lieu d'une personne d'une vertu consommée, et d'un esclave de ses passions, au lieu de quelqu'un qui en serait parfaitement délivré : et qu'ainsi, en voulant éviter Scylla, nous ne tombions dans Charybde, et que nous ne fassions un déplorable naufrage. Au reste, une fois que nous serons entrés dans la carrière de la piété et de l'obéissance, nous devons absolument nous interdire tout jugement sur le vertueux directeur que nous aurons choisi, et ne censurer en aucune façon sa conduite, ni ses actions, quand même nous remarquerions en lui certaines imperfections et certaines chutes : hélas, nul homme sur la terre n'en est exempt ! En agissant autrement, nous ne retirerions aucun fruit de notre obéissance. »

Saint Jean Climaque, "Quatrième degré - De la bienheureuse et toujours louable Obéissance" in L'échelle sainte

 

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12/06/2022

Schnaps Autrichien

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« Ollier se grattait la tête devant les bouteilles. Il louchait. Choisir, encore choisir. On finira dingos. On a tous pris du schnaps sur recommandation de Bassefosse. Ollier a rajouté un peu de cognac dans son verre, et du whisky, un doigt de porto, une goutte de vodka. Il était tout content de son cocktail. A la première gorgée, il a manqué s’évanouir. On a trinqué. Le schnaps, c’était du costaud en effet, du hors normes européennes, production fermière version haute montagne. Il fallait porter la culotte de peau depuis vingt générations pour supporter ça. Chaque gorgée faisait retentir une sorte de gong dans la cervelle, et emportait cent mille neurones avec elle. Vider une bouteille vous transformait probablement en courgette. Mais Bassefosse avait l’air de trouver ça désaltérant ! Il avalait de grandes lampées sans lâcher la bouteille et se resservait coup sur coup. Il parlait de ses livres, d’Eschyle, de la tragédie grecque, érudition toujours ! Il citait : "Hélas, hélas, quel revers ! quel revers ! Ah ! souffrances ! Ah ! misères ! Larmes, coulez. Éclatez, sanglots."

Soudain, il s’est immobilisé. Il avait le visage déformé, rouge, les yeux exorbités. Il s’est levé subitement, comme atteint par la chiasse. Il a quitté la pièce sans rien dire. Ollier était vautré sur le sofa, à moitié assommé. Il balbutiait, il ricanait bêtement. Les pâtés, toujours les pâtés. Il était en pleine inspiration. J’étais inquiet pour Bassefosse. Un hôte si généreux. Je n’hésite pas à le dire : un gentleman ! Sa goutte autrichienne lui avait probablement perforé les tripes. Il y avait un grand silence, à peine troublé par une alarme au loin. Dix minutes plus tard, la porte s’est rouverte brutalement, Bassefosse est entré d’un pas martial dans le salon. Le choc ! J’ai hurlé ! Ollier a sursauté, il a tourné la tête, il a hurlé lui aussi avant de tomber du canapé ! Bassefosse avait revêtu un uniforme noir de la Waffen SS !
— Mais… mais… maestro, que signifie ?
Il approchait lentement, nous toisant. Il portait un monocle, le menton haut, la lèvre inférieure en avant dans une moue dédaigneuse, une cravache à la main dont il tapotait sa botte noire. J’avais du mal à le reconnaître. Son visage s’était durci. Il s’est assis tranquillement. Ollier est remonté sur le canapé en rampant comme une blatte.
— C’est bien vous, maestro ? j’ai demandé en lui touchant prudemment l’épaule.
Il a fermé les yeux, les a rouverts. Il n’était pas dans son état normal. Il se croyait dans les steppes ukrainiennes en route pour le Caucase ! Il parlait de la dysenterie et des poux, du manque de ravitaillement et des side-cars de reconnaissance piégés par la boue ! Et des mitrailleuses russes ! Merde ! À vrai dire, il avait complètement perdu la boule. Il s’adressait à moi, me prenant pour je ne sais pas qui.
— Je réclame une compagnie lourde de mortiers pour nous sortir du pétrin, Herr Gruppenführer. Les Russes ont fait sauter l’unique pont permettant de franchir le fleuve et j’ai des grenadiers sur l’autre rive. Il me faut également des panzers pour couvrir mon infanterie.
— Eh, Bassefosse, arrête de déconner ! je disais.
— Les Russes ne lâcheront pas Bakou si facilement. Nous avons enregistré des pertes considérables et mes volontaires sont à la peine. Il faut faire venir des stukas du front de la Volga pour balayer la défense soviétique.
Je passais la main devant ses yeux pour le désenvoûter !
— Coucou, c’est moi, c’est Pierrot ! Et là, regarde, c’est ce blaireau d’Ollier ! Tu te rappelles ? On est tes nouveaux copains ! On se marre bien ensemble ! On boit un coup, on refait le monde ! Eschyle ! Les larmes et les sanglots !
— Une dernière chose, il a dit en se levant. Un de mes adjudants de compagnie est mort héroïquement au front hier soir et je souhaiterais le décorer de la Croix de fer 1re classe à titre posthume si vous n’y voyez pas d’inconvénient… Merci, Herr Gruppenführer, je savais que je pouvais compter sur vous…

Il m’a serré la main en claquant des talons et s’est dirigé vers la chaîne stéréo. Il a mis un disque, s’est figé au milieu de la pièce, le bras droit tendu. C’était un chant nazi ! À fond la caisse ! "J’avais un camarade" !
Oh là là ! J’imaginais déjà les voisins, la police qui débarque, Bassefosse dans son costume de guignol…
Va leur expliquer qu’il est plutôt sympa, Bassefosse, et érudit ! Qu’il a bu un coup de trop… On allait aux emmerdes… Je l’ai rejoint au milieu de la pièce, lui ai crié dans l’oreille de baisser le volume. Mais il n’entendait rien. Il était immobile, les yeux fermés, le bras tendu, perdu dans ses rêves de grandeur. Il titubait un peu, comme un roseau dans le vent matinal. Et puis la porte s’est à nouveau ouverte, une grosse dame en chemise de nuit rose à frous-frous est entrée dans le salon. Elle a vomi une petite gerbe verte ignoble avant de se ruer sur la chaîne stéréo et de couper la musique. À peine le silence revenu, elle s’est mise à gueuler :
— T’as encore bu ton sale schnaps autrichien, espèce de bon à rien ! Et c’est qui ces clochards que tu ramènes à la maison en dépit des bactéries ?

Intervention salutaire ! Soulagement ! Je me suis mis en devoir d’exprimer ma gratitude. J’ai avancé vers elle, la main tendue.
— Chère madame, louée soit votre intervention. Nous étions très inquiets, mon ami et moi. Je crains que M. de la Bassefosse ne soit pas dans son état normal. Mais permettez-moi de me présenter : Pierre Laval, comme la ville de Jarry. Journaliste assermenté spécialisé dans les questions environnementales. Je suis le nouvel ami de monsieur votre mari.
— Monsieur mon mari est un bon à rien, cher monsieur Jarry. Dès qu’il boit son schnaps-qui-rend-nazi, il revêt son uniforme de volontaire de la division Viking. Ça n’est pas du tout la vie dont j’avais rêvé, figurez-vous. Ah non, pas du tout. Et puis, c’est un mufle, vous pouvez l’écrire dans votre journal.
— Je l’ignorais.

Bassefosse demeurait au milieu de la pièce le bras droit en l’air. Elle a jeté un coup d’œil à ma main tendue.
— Je ne vous la sers pas, c’est antihygiénique.
— Bien sûr. Et comment faire pour l’encourager à quitter cet état délétère ?
— Il n’y a pas trente-six mille solutions.
Elle s’est dirigée vers Bassefosse et lui a collé une grande baffe dans l’oreille. Le monocle et la casquette ont volé, le volontaire Viking est tombé sur le tapis, elle l’a roué de coups de pied dans le ventre, puis elle est allée s’asseoir sur le sofa et s’est servi un verre de porto.

— Sans compter qu’il s’est fait renvoyer de toutes les revues d’art. Et des galeries. Il s’y promenait avec son mètre de couturière pour mesurer les crânes. Vous trouvez ça normal ? C’est un raté, je l’affirme.
— Il est entier, j’ai dit.
— En période de crise, il faut savoir composer. Mettre de l’eau dans son vin. Ne pas faire le malin. Un peu de discipline ne nuit pas. Obéissance et fidélité.
Elle a bu son porto cul sec, s’en est servi un autre.

Bassefosse rampait sur les coudes en gémissant. Fini les mortiers, Bakou, les grenadiers ! Il faut croire que le traitement avait réussi. On retrouvait notre bon vieux Bassefosse, critique d’art, érudit et dandy ! Il a atteint le canapé, s’y est hissé péniblement. Il avait l’air sonné, pas tout à fait dans son assiette, la boîte à cauchemars tournant au ralenti. Pour ma part, j’étais plus détendu à présent. J’observais l’uniforme en curieux, et les décorations : ruban de la Croix de fer, médaille des blessés, insigne d’assaut de l’infanterie ; la tête de mort sur la casquette !
— Finalement, ça ne te va pas si mal, ce costume, j’ai dit.
— Ça t’affine, a dit Ollier.
— Mais tu devrais ouvrir le dernier bouton, j’ai ajouté. Ça te donnerait un petit air désinvolte.

Mme de la Bassefosse ricanait méchamment. Elle n’était pas du tout d’accord avec nous. Elle le trouvait engoncé dans son uniforme, mal seyant, sac à patates, la toile tendue sur le bidon, le gras-double qui sortait du col, les manches trop longues, le pantalon tire-bouchonnant dessus les bottes. Elle disait qu’il avait les pieds plats, Bassefosse, qu’il était myope, poilu du dos, des petits poumons, pas de souffle, un vrai nabot.
— Tu parles d’un Waffen SS, elle ironisait. Vous auriez vu mon père là-dedans… Alors là pardon ! C’était quand même autre chose ! L’élégance incarnée ! The silhouette ! Les femmes se retournaient !

Bassefosse haussait les épaules. Il faisait la moue, levait les yeux au ciel, il était vexé ! Il s’apprêtait à répondre quelque chose quand on a frappé à la porte d’entrée, cogné plutôt, des vrais coups de poing ! On s’est tous regardés, on s’est figés. Deux heures du matin ! On était tétanisés. L’ambiance avait soudain viré "heure sombre". Des descentes en pleine nuit, ça vous avait un petit côté bas-fonds de l’Histoire. A se demander si ce clown de Bassefosse n’avait pas ressuscité les vieux démons avec son uniforme à la noix ! Boum, boum, boum, les coups redoublaient. Ça sentait les embrouilles, la fin de nuit dans la brume, gégène, Carlingue et compagnie. Bassefosse s’est mis à trembler, et Ollier aussi, et moi aussi ! Mme de la Bassefosse a pris son courage à deux mains et s’est dirigée vers la porte d’entrée.

— Qui est là ? elle a demandé d’une petite voix.
— Police antiraciste, ouvrez ou j’enfonce la porte !
La décharge électrique ! Le coup de poing dans le ventre à vous couper le souffle ! Ollier s’est évanoui, Bassefosse est devenu blanc comme un linge ; il a plongé sous le canapé ! Ah, rien à dire, on était propres. Quatrième étage, impossible de sauter par la fenêtre. Belle idée, le costume… Intelligent, le chant nazi à fond les ballons… Bravo, la déconnade ! Un beau flagrant délit, voilà le résultat. À quoi mène l’ivrognerie. J’étais en colère contre Bassefosse, cet affreux nabot irresponsable ! A-t-on idée de boire autant ? De revêtir des costumes d’un autre âge ? De traverser les fleuves ukrainiens ? Un homme si brillant ! Lecteur d’Eschyle ! De toute façon, pas question de trinquer pour lui. Ma ligne de défense était nette : je ne le connais pas !

— Ouvrez ou j’enfonce la porte ! répétait la voix. Mme de la Bassefosse a tourné la clé. Un bref instant de silence et puis des rires.
— Surprise ! a gueulé la voix.
— Oh là là, ah dis donc, le sacré farceur ! a crié Mme de la Bassefosse.

C’était le voisin ! Un blagueur. Il a déboulé dans le salon en riant. C’était un géant, deux mètres de haut, un feutre noir, une barbe noire, deux longues mèches en spirale qui pendaient devant les oreilles, des habits noirs et puis des cordelettes à la ceinture… mais… mais… c’était un Juif hassidim ! Un loubavitch ! Je me suis frotté les yeux. Je regardais le canapé et puis le voisin, et puis de nouveau le canapé. Quelque chose s’était bloqué, là-haut, dans la tête… En informatique, on appelle ça un bug.

— Tu peux sortir, vieille fripouille ! a crié le loubavitch. Bassefosse a sorti la tête de sous le canapé… comme une tortue… à travers les franges… et puis il est remonté à la surface. Il riait lui aussi de la bonne blague. Il mettait la main devant la bouche, ses épaules tremblaient, hihihi, quelle sacrée bonne farce, il répétait.

— Alors, je t’ai eu ou je t’ai pas eu ? lui a demandé le voisin en lui bourrant l’épaule.
Il riait à gorge déployée. Ils se sont donné l’accolade.
— Alors là, j’avoue ! répondait Bassefosse. Échec et mat ! J’ai grimpé au rideau comme on dit !
Ils se faisaient des farces entre voisins ! Un coup l’un, un coup l’autre ! Geheime Staatspolizei un jour, police antiraciste un autre !
— Pas mal, hein ? Qu’est-ce que t’en penses ! Et puis de toute façon, je ne pouvais pas sonner because le sabbat des sorcières !
Et le voilà qui repart dans un grand rire ! Quelle nature ! Il balançait des claques dans le dos à décoller la plèvre ! Il s’est assis, s’est servi un grand verre de whisky, l’a descendu cul sec. 
— Longtemps que je la préparais, celle-là, il a ajouté en s’essuyant la bouche d’un revers de main. Tous les soirs, je disais à ma femme : Sacré bon sang de crénom d’un chien, c’est quand qu’il va attaquer son schnaps autrichien, ce sacré Viking !
Tant de bonne humeur nous mettait le cœur en joie. J’ai mis des baffes à Ollier pour qu’il revienne à lui. Il a ouvert un œil. Quand il a vu le hassidim géant, il est reparti dans les vapeurs.

— Faut bien rigoler un peu, continuait le voisin. Garder "l’esprit d’enfance", comme disait Bernanos. Pas vrai, mame Bassefosse ? »

Olivier Maulin, Gueule de bois

 

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11/06/2022

Le Grand Simulacron

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« Pour ne s’attacher qu’aux deux événements, me semble-t-il, cruciaux du XXe siècle (Auschwitz, Hiroshima), on constatera très aisément qu’ils ne furent possibles que grâce à la mise en place d’une technoscience hautement intégrée du CHIFFRAGE (secret ésotérique) et du SECRET (camouflage exotérique). Le programme "Nacht Und Nebel", né de la démence vulgaire d’un Hitler et d’un Himmler, assigna le matriculage de l’humanité mise à nu, non seulement à l’extermination systématique et industrielle (la "fabrication de cadavres" dont parle Heidegger) d’un groupe ethnico-religieux particulier et fort singulier (le "Peuple de la Parole", le "Peuple du Livre"), mais à une EXPÉRIENCE BIO-POLITIQUE concernant la nature de l’homme générique, et sa frontière avec le non-homme spécique, comme l’explique fort justement Giorgio Agamben : le moment où l’on découvre, comme Blanchot, cité fort à propos par Agamben dans "Que reste-t-il d’Auschwitz", que l’Homme est l’indestructible qui peut être infiniment détruit. Or ce plan démoniaque, terminal ne put s’accomplir, en tant qu’expérience biopolitique "radicale", que dans le secret le plus absolu, en programmant pour ainsi dire à l’avance sa "déconstruction" négationniste, soit une modalité particulière, mais en fait centrale, de la post-production actuelle du passé par le présent.

Par cet ensemble de procédures, le nazisme a secrètement envahi toutes les formes de production sociales et conceptuelles après sa propre disparition : aujourd’hui, par le totalitarisme de la technique devenue métaphysique de l’enfermement du Monde dans le Monde, et de l’aliénation sans cesse plus infinie de la conscience par la conscience asservie aux seules possibilités d’apparition réglées par le Grand Simulacron, l’homme moderne est toujours plus attiré vers le non-homme qui réside en lui, en son centre infiniment destructible, et si l’humanité, je devrais dire l’esprit humain, est justement un écart dynamique entre soi et soi, alors l’homme zombie du XXIe siècle aura considérablement réduit cette différence, jusqu’à faire coïncider parfaitement son humanité avec sa non-humanité, avec ce qui RESTE TOUJOURS de la destruction infinie de son humanité. Il ne sera plus que ce reste, infiniment détruit, et infiniment destructible, il sera la misère absolue. »

Maurice G. Dantec, Le Complot -- Entretien avec Maurice G. Dantec in Ouvrage Collectif « Noirs complots »

 

 

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06/06/2022

Ariane Bilheran : Seuls 3 types de profils résistent au déferlement totalitaire

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Ariane Bilheran

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03/06/2022

Un grand coup de pied donné au malheur

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« Sachons donc ce que nous voulons, restons fermes sur l’esprit, même si la force prend pour nous séduire le visage d’une idée ou du confort. La première chose est de ne pas désespérer. N’écoutons pas trop ceux qui crient à la fin du monde. Les civilisations ne meurent pas si aisément et même si ce monde devait crouler, ce serait après d’autres. Il est bien vrai que nous sommes dans une époque tragique. Mais trop de gens confondent le tragique et le désespoir. "Le tragique, disait Lawrence, devrait être comme un grand coup de pied donné au malheur." Voilà une pensée saine et immédiatement applicable. Il y a beaucoup de choses aujourd’hui qui méritent ce coup de pied. »

Albert Camus, L’été

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