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13/01/2010

Gazelle de l'amour imprévu

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« Personne ne comprenait le parfum
de l’obscur magnolia de ton ventre.
Personne ne savait que tu martyrisais
un colibri d’amour entre tes dents.

Mes petits chevaux perses s’endormaient
sur la place sous la lune de ton front
tandis que moi j’enlaçais quatre nuits
ta taille ennemie de la neige.

Entre plâtre et jasmins, ton regard
était un pâle bouquet de semences.
Moi j’ai cherché pour te donner sur ma poitrine
les lettres d’ivoire qui disent "toujours,
Toujours, toujours", jardin de mon agonie,
ton corps fugitif pour toujours,
le sang de tes veines dans ma bouche,
ta bouche déjà sans lumière pour ma mort... »

Federico García Lorca, Gazelle de l'amour imprévu, in "Divan du Tamarit"

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12/01/2010

Baisers

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Un baiser
abrège la vie humaine de 3 minutes,
affirme le Département de Psychologie
de Western State College,
Gunnison (Col).
Le baiser
provoque de telles palpitations
que le cœur travaille en 4 secondes
plus qu’en 3 minutes.
Les statistiques prouvent
que 480 baisers
raccourcissent la vie d’un jour,
que 2360 baisers
vous privent d’une semaine
et que 148 071 baisers,
c’est tout simplement une année de perdue.

Paul Morand, Poèmes 1919-1927


Paul Morand

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12/11/2009

Noir Cioran, par Sollers

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La scène se passe en Roumanie dans les années 1930 du XXe siècle, c'est-à-dire nulle part. Il y a là un fils de pope particulièrement brillant et agité : Cioran. Il souffre, il déteste son pays, il suffoque, il n en peut plus, il rêve d'un grand chambardement révolutionnaire, il est mordu de métaphysique mais son corps le gêne, il désire de toutes ses forces un violent orage. Le voici : c'est Hitler. A partir de là, crise radicale : Cioran appelle son pays à une totale transfiguration. Il a 22 ans à Berlin, la fascination a lieu, il s'engage : «Celui qui, entre 20 et 30 ans, ne souscrit pas en fanatique, à la fureur et à la démesure, est un imbécile. On n'est libéral que par fatigue.»

Le ton est donné, et l'embêtant est que cet enragé très cultivé est plein de talent. Il a besoin de folie, dit-il, et d'une folie agissante. Il fait donc l'éloge de l'irrationnel et de l'insensé, il a envie de faire sauter les cimetières, il nie, en oedipe furieux, le christianisme mou de son curé de père, il prend le parti de sa mère, pas croyante, mais qui fait semblant.

On se frotte les yeux en lisant aujourd'hui les articles de Cioran dans «Vremea», journal roumain de l'époque : «Aucun homme politique dans le monde actuel ne m'inspire autant de sympathie et d'admiration que Hitler.» La transposition locale s'appelle la Garde de Fer, sa brutalité, son antisémitisme rabique, ses assassinats crapuleux. Comment cet admirateur futur de Beckett, bourré de lectures théologiques et mystiques, a-t-il pu avaler la pire propagande fasciste (la terre, l'effort, la communauté de sang, etc.) ? En 1940 encore, Cioran fait l'éloge du sinistre Codreanu, dit «le Capitaine» (qui vient d'être liquidé), en parlant de son héroïsme de «paysan écartelé dans l'absolu» et se laisse aller à cette énormité : «A l'exception de Jésus, aucun mort n'a été plus vivant parmi les vivants.» On comprend que longtemps après sa fugue magistrale en France, ayant rompu avec ce passé délirant, il ait été surveillé par la grotesque police secrète communiste roumaine, la Securitate, avec des comptes rendus dignes du Père Ubu.
Aucun doute, Cioran a été messianique, et il va d'ailleurs le rester, de façon inversée, dans le désespoir. Sa conversion éblouissante à la langue française va lui permettre cette métamorphose. Dès le «Précis de décomposition» (1949), ne voulant plus être le complice de qui que ce soit, il devient un intégriste du scepticisme, un terroriste du doute, un dévot de l'amertume, un fanatique du néant. En grand styliste de la négation, et avec une intelligence d'acier, il sait où frapper. Son «De la France» annonce parfaitement son projet. La France, écrit-il, s'enfonce dans une décadence inexorable, elle est exténuée, elle agonise, et je vous le prouve, moi, Cioran, en écrivant mieux qu'aucun Français, et en procédant à la dissection d'un cadavre. «Les temps qui viennent seront ceux d'un vaste désert; le temps français sera lui-même le déploiement du vide. La France est atteinte par le cafard de l'agonie.» Ou encore : «Lorsque l'Europe sera drapée d'ombre, la France demeurera son tombeau le plus vivant.» Etrangement, les Français vont beaucoup aimer ces oraisons funèbres, alors que si un Français leur dit, pour les ranimer, qu'ils sont moisis, ils le prennent très mal. Cioran est extrêmement conscient de son rôle de vampire intellectuel, mais comme il souffre comme un martyr du simple fait d'être né (alors que, dans la vie, c'était le plus gai des convives), on le plaint, on l'adore. C'est entendu, tout est foutu, l'homme devrait disparaître, et je me souviens de sa charmante dédicace à mon sujet, qui valait condamnation définitive : «Vivant ! Trop vivant !»

Dans un passionnant entretien de 1987 avec Laurence Tacou (Cahier de l'Herne), Cioran multiplie les prophéties : «Dans cinquante ans, dit-il, Notre-Dame sera une mosquée.» Un seul espoir : la relève de l'Amérique latine. Il va même jusqu'à cette considération gnostique, ou plus exactement manichéenne : «Je crois que l'histoire universelle, l'histoire de l'homme, est inimaginable sans la pensée diabolique, sans un dessein démoniaque...» En somme, il ne croit pas en Dieu, mais au diable, ce qui l'empêche d'adhérer au bouddhisme, on a eu chaud. Ne pas oublier quand même que tout cela est interrompu par de nombreux rires, la seule solution de calme pour lui, après des nuits blanches torturantes, étant le bricolage et la réparation de robinets.

Ce misanthrope absolu a réussi à vivre pauvrement, refusant les honneurs et les prix, éternel étudiant, saint sans religion, parasite inspiré, parfois ascète au beurre, et, de plus, aimé jusqu'à sa fin terrible (maladie d'Alzheimer) par une compagne lumineuse, Simone Boué (il faut lire ici le témoignage émouvant de Fernando Savater). Ce nihiliste ultra-lucide ne rend les armes que devant la musique de Bach qui lui ferait presque croire en Dieu. Mais enfin, qui aura célébré comme lui la langue française ? «On n'habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c'est cela, et rien d'autre» En réalité, il a poussé le français au noir, mais sans pathos, dans des fragments dont beaucoup sont inoubliables. Le catastrophisme roumain est toujours là, mais surmonté par l'impeccable clarté française. Cioran a raconté sa conversion au français, après avoir sué sang et eau sur une traduction de Mallarmé. Il s'est réveillé du côté de Pascal et de La Rochefoucauld, et il est parmi les très rares auteurs (avec Baudelaire) à avoir compris le génie de Joseph de Maistre. Pas de Sade, chez lui, aucune dérive sexuelle (ce qui, par les temps qui courent, produit un effet d'air frais). On peut ouvrir ses livres au hasard, et méditer sur deux ou trois pensées, ce que je viens de faire avec «Aveux et Anathèmes» : le spectacle social vole aussitôt en éclats, un acide guérisseur agit.

Cioran, on le voit sur des photos, a été un très beau bébé. Son père, en habits ecclésiastiques, n'a pas l'air à la fête. Sa mère, Elvira, est énergique et belle. «J'ai hérité de ses maux, de sa mélancolie, de ses contradictions, de tout. Tout ce qu'elle était s'est aggravé et exaspéré en moi. Je suis sa réussite et sa défaite.» Humain, trop humain... Exemple : «Ce matin, après avoir entendu un astronome parler de milliards de soleils, j'ai renoncé à faire ma toilette : à quoi bon se laver encore ?»

La consommation de Cioran doit se faire à petites doses. Deux ou trois fragments sont régénérants, davantage est vite lassant, on entend tourner le disque. Rien de plus tonique que dix minutes de désespoir et de poison nihiliste. Personnellement, les milliards de soleils m'excitent, et la musique de Bach, comme Cioran le reconnaissait lui-même, est une réfutation de tous ses anathèmes. Quel type extraordinaire, tout de même, qui voulait écrire sur sa porte les avertissements suivants : «Toute visite est une agression, ou J'en veux à qui veut me voir, ou N'entrez pas, soyez charitable, ou Tout visage me dérange, ou Je n'y suis jamais, ou Maudit soit qui sonne, ou Je ne connais personne, ou Fou dangereux.»

Philippe Sollers

 

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09/11/2009

Ils sont du côté de l’innocence du délire en groupe...

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Le mythe du fascisme

(cet article a été publié pour la première fois le 8 juin 2009 dans Riposte Laïque no. 92 )

Aux Pays-Bas, le parti de Geert Wilders a fait plus de 16% aux élections européennes, et raflé quatre sièges de députés. Une belle baffe dans la gueule de la gauche néerlandaise, aussi iréniste que notre gauche autochtone, qui a dégringolé de dix points. Aussitôt ces matons de Panurge que sont les journalistes français, ont rivalisé de courage dans la dénonciation conformiste de ce résultat si aberrant à leurs yeux angéliques : « populiste », « fasciste », « extrémiste de droite », « opportuniste », « aventurier », « raciste », voire… « député aux cheveux blond platine ». Je ne répéterai pas les raisons pour lesquelles Wilders n’est ni un raciste ni un fasciste. Même les aveux de Jospin, sur le fait que l’antifascisme des années Mitterrand « n’a été que du théâtre », n’ont pas ébranlé les convictions forgées à coup de matraque compassionnelle de la caste médiatique. On ne crie pas à un somnambule qu’il est en train de marcher sur le toit, il risquerait de se briser la nuque. On ne discute pas de la réalité avec des hébétés, du genre de ce Philippe Namias, militant vert qui déclamait qu’il est « heureux dans une France qui se fout totalement des origines et des langues ». (1)

L’électorat actuel ne se partage plus en droitiers et gauchers, mais en angéliques effarouchés et réalistes avec une mémoire historique. Ceux qui « se foutent » de la mémoire collective et de l’histoire d’une nation sont, cliniquement parlant, des fous. Sans mémoire, il est impossible de comprendre le présent et d’anticiper l’avenir. Un homme sans mémoire n’a pas de capacité juridique : il ne serait jamais admis comme témoin dans un procès, car sans mémoire, que peut-il dire de fiable ? Aussi, un peuple sans mémoire, sans souci de son identité et de ses origines, n’est qu’un bateau ivre. Je ne défendrai pas Wilders contre les calomnies de gardiens autoproclamés du Bien. Ce n’est pas la peine. Milan Kundera a savoureusement expliqué pourquoi il ne faut pas le faire : « Suppose que tu rencontres un fou qui affirme qu’il est un poisson et que nous sommes tous des poissons. Vas-tu te disputer avec lui ? Vas-tu te déshabiller devant lui pour lui montrer que tu n’as pas de nageoires ? Vas-tu lui dire en face ce que tu penses ? (…) Si tu ne lui disais que la vérité, que ce que tu penses vraiment de lui, ça voudrait dire que tu consens à avoir une discussion sérieuse avec un fou et que tu es toi-même fou. C’est exactement la même chose avec le monde qui nous entoure. Si tu t’obstinais à lui dire la vérité en face, ça voudrait dire que tu le prends au sérieux. Et prendre au sérieux quelque chose d’aussi peu sérieux, c’est perdre soi-même tout son sérieux. » (2)

Le fascisme, contre lequel pensent lutter toutes ces légions d’anges sans mémoire et sans sexe, est un mythe, non une réalité. S’ils savaient reconnaître le fascisme dans la réalité, ils seraient tous fièrement islamophobes, à l’instar de Wilders, et de Churchill, qui savait de quoi il parlait. Il y a quelques années, des scientifiques avaient fait une expérience très intéressante sur le conditionnement de groupe : ils ont enfermé vingt singes dans une pièce avec un escabeau au milieu. Une banane était attachée au plafond de sorte qu’elle n’était accessible qu’en montant au sommet de l’escarbot. Sitôt qu’un singe posait la patte sur l’escabeau, une douche glacée arrosait la pièce, et donc tous les autres singes, ce qui ne manquait pas de les énerver. Au bout d’un certain nombre de tentatives et de douches froides, les singes finissent par établir un lien causal, parfaitement pavlovien, entre la douche et le fait de monter sur l’escabeau, de sorte que celui qui s’aventure pour prendre la banane se fait tabasser par les autres dès qu’il approche de l’escabeau.

Quand plus rien ne se passe au bout d’un temps déterminé, on fait sortir un singe et on en introduit un nouveau. Le nouveau se dirige assez rapidement vers la banane, mais il n’a pas posé le pied sur l’escabeau qu’il se fait immédiatement tabassé sans sommation par les autres. Alors on continue, on en échange un deuxième : même punition pour lui. Puis un troisième, un quatrième et ainsi de suite jusqu’à ce que les vingt premiers singes soient tous remplacés ! Pour le vingtième nouvel arrivant c’est toujours le même châtiment, s’il ose approcher de l’escabeau. De sorte qu’à la fin, aucun singe de la pièce ne sait pourquoi il ne faut pas s’approcher de l’escabeau, et pourquoi il faut empêcher quiconque d’y monter. C’est un réflexe de groupe, sans aucune connaissance de la réalité.

Les antifascistes d’aujourd’hui, agissent comme ces singes conditionnés, sans savoir pourquoi ils le font. Tous ces jeunes qui n’ont rien connu du fascisme réel, dès qu’ils entendent les mots « patrie », « origines », « identité », « lutte contre l’immigration », ils tabassent tous ceux qui les prononcent. Il se peut que ce soit même d’anciens résistants contre les nazis, peu importe, les singes d’aujourd’hui en savent plus que ces « vieux dinosaures ». Ils sont du côté de l’innocence du délire en groupe, c’est-à-dire du… fascisme.

Radu Stoenescu

(1) Voir chez "Riposte Laïque"

(2) Milan Kundera, Risibles amours

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06/11/2009

Le Dernier des Mohicans... et les crétins à Babouches...

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Très bel hommage de Morgan Sportès dans le Figaro d'aujourd'hui... Ca nous change des conneries qu'on peut lire dans la presse gôchiste depuis deux ou trois jours sur ce grand monsieur.

Claude Lévi-Strauss,
le dernier des Mohicans

Morgan Sportès

La « Pléiade » rend hommage à l'académicien centenaire en publiant le premier volume de ses oeuvres complètes *. Occasion rêvée de relire son oeuvre immense, dont « Tristes tropiques », son livre-phare.

« Passées de mode, les "sixties", où intellectuels de gauche, cinéastes, hippies prenaient systématiquement le parti du Peau-Rouge massacré, du fellagha, du Viêt-minh ?... Ne cherche-t-on plus, aujourd'hui, à se "déprendre" de soi ? A s'interroger sur le point de vue de l'Autre ? De l'Irakien, du Chinois, de l'Afghan ?... Tout au contraire (signe de désarroi civilisationnel, sans doute), on tente désespérément de se ressourcer, de se ré-enraciner : à La Mecque, à Jérusalem, à Rome et autres sacristies. Pour se "déprendre", Claude Lévi-Strauss, grand intellectuel français rationaliste et laïc d'origine juive, de la race du moins des Freud et des Spinoza, n'y alla pas par quatre chemins. A 28 ans, à la fin des années 30, il s'embarqua pour l'autre monde afin d'atteindre, au fond de la jungle brésilienne, "l'extrême de la sauvagerie". Entreprise conradienne s'il en est ! Cette expérience, il la raconte dans ce livre-phare du XXe siècle (paru en 1955), Tristes tropiques, où, avec toute la subtilité de la langue d'un Proust, il décrit les menus faits et gestes des ultimes tribus vivant encore en marge des "bienfaits" du monde moderne et de sa culture massifiée.

Car c'est bien là le paradoxe de ce livre que d'y voir un rejeton hyper-raffiné de la grande bourgeoisie juive occidentale, épris de Stravinsky et Mallarmé (dire que des crétins médiatiques ont voulu faire de lui l'apôtre du babacoolisme-multiculturaliste !) entrer en sympathie, et plus qu'en sympathie souvent, avec des Caduveo, des Bororo, des Nambikwara, débris pathétiques d'une civilisation indienne exterminée, vivant cul nu dans la jungle, de chasse et de cueillette. Et c'est avec une délicatesse que lui donne une autre civilisation elle-même en pleine décadence mercantiliste, la nôtre, qu'il les décrit, rencontre émouvante, souvent cocasse : leur donnant un soir un rouleau de drap rouge, ne les vit-il pas le lendemain tous drapés d'écarlate, hommes, femmes et enfants, et même les chiens et les perroquets à qui on avait confectionné un costume éphémère ?

Loin de moi l'idée d'essayer d'expliquer la pensée si subtile de Lévi-Strauss. J'aimerais au moins faire sentir ce que sa démarche nous a apporté, moins dans la connaissance passionnante des sociétés dites primitives que dans la connaissance de notre société. Grâce à ce retour sur soi que cela nous a permis... Grand écart de la pensée auquel on répugne désormais»

--(Commentaire)--

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"J'aimerais au moins faire sentir ce que sa démarche nous a apporté, moins dans la connaissance passionnante des sociétés dites primitives que dans la connaissance de notre société."

Le passage de l'extrait, à propos de l'Islam, de "Tristes Tropiques" que j'ai posté précédemment sur mon modeste blog est très révélateur, en effet de cette démarche de Lévi-Strauss, lorsqu'il dit, entre autre : "Ce malaise ressenti au voisinage de l’Islam, je n’en connais que trop les raisons : je retrouve en lui l’univers d’où je viens ; l’Islam, c’est l’Occident de l’Orient. Plus précisément encore, il m’a fallu rencontrer l’Islam pour mesurer le péril qui menace aujourd’hui la pensée française. Je pardonne mal au premier de me présenter notre image, de m’obliger à constater combien la France est en train de devenir musulmane. Chez les Musulmans comme chez nous, j’observe la même attitude livresque, le mêmes esprit utopique, et cette conviction obstinée qu’il suffit de trancher les problèmes sur le papier pour en être débarrassé aussitôt. A l’abri d’un rationalisme juridique et formaliste, nous nous construisons pareillement une image du monde et de la société où toutes les difficultés sont justiciables d’une logique artificieuse, et nous ne nous rendons pas compte que l’univers ne se compose plus des objets dont nous parlons. Comme l’Islam est resté figé dans sa contemplation d’une société qui fut réelle il y a sept siècles, et pour trancher les problèmes de laquelle il conçut alors des solutions efficaces, nous n’arrivons plus à penser hors des cadres d’une époque révolue depuis un siècle et demi, qui fut celle où nous sûmes nous accorder à l’histoire ; et encore trop brièvement, car Napoléon, ce Mahomet de l’Occident, a échoué là où a réussi l’autre. Parallèlement au monde islamique, la France de la Révolution subit le destin réservé aux révolutionnaires repentis, qui est de devenir les conservateurs nostalgiques de l’état des choses par rapport auquel ils se situèrent une fois dans le sens du mouvement."

Certains devraient en prendre de la graine, lorsqu'ils manipulent les mots (et les maux), les concepts et le sens profond des choses, au nom de leur idéologie cordicole mais absolument dénuée de cordialité et d'élégance. En plus, ils se sentent offusqués lorsqu'ils se font remettre en place par plus expérimentés qu'eux. Et ça veut faire la révolution...

Je leur conseille d'ouvrir quelques livres qui les mettent à l'épreuve, et non pas constamment les mêmes fureurs revendicatrices pseudo-littéraires, pseudo-scientifiques, pseudo-politiques, pseudo-philosophiques qui ne feront qu'une seule chose : les conserver, poussiéreux et sans saveur, dans leur impasse.

Il n'y a rien de plus sinistrement Conservateur qu'un gôchiste franhouillard qui veut conserver ce qu'il croit être définitivement acquis. C'est une jouissance sans nom que d'être traité de "Réactionnaire" et de "Conservateur" par cette engeance qui s'ignore.

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Morgan Sportès « Lire Lévi-Strauss, du moins ses textes non directement théoriques, est un véritable plaisir même pour les non-initiés : qu'il nous balade à travers jungles en 1938 ; dans les rues de New York en 1941, aux côtés d'André Breton (Le Regard éloigné) ; ou qu'il nous aide à décrypter la peinture de Poussin (Regarder, écouter, lire) ; quand il ne dénonce pas les errements de l'art contemporain (Le Cru et le Cuit). Car Lévi-Strauss est (aussi) un grand écrivain. On n'oubliera pas cette scène où il croque, en quelques mots, un chef nambikwara qui emprunte à l'ethnologue un stylo et du papier sur lequel il gribouille, puis qui fait semblant de lire à voix haute, devant sa tribu, ce qu'il a fait semblant d'écrire, tentant de persuader les siens qu'il s'est approprié le savoir de l'homme blanc. C'est Trissotin ! Ainsi Lévi-Strauss débusque-t-il derrière le "particulier" (tel Indien du Mato Grosso) l'universalité des archétypes décrits par Molière. Combien faut-il être de mauvaise foi aussi pour faire accroire que Lévi-Strauss a voulu réduire l'Homme aux défroques folkloriques de ses différentes coutumes, de ses rites.

Les gens qui l'ont attaqué violemment naguère, et qui continuent aujourd'hui, ne sont-ils pas au fond des réincarnations de ce Trissotin nambikwara ? N'ont-ils pas, comme celui-ci, fait semblant de lire, pour dénoncer, dans des semblants de livres, une pensée à laquelle ils ne comprendront jamais rien ? Faisant semblant de lire aussi, les critiques littéraires troussent leurs éloges. Et le public gobe tout... Cette parodie n'est-elle pas une des manifestations de la destruction de notre propre culture qu'a préfigurée celle des cultures indiennes initiée par Cortès et parachevée par le McDo-Coca ? D'où la constante mélancolie qui émane de la plupart des textes de Lévi-Strauss, proche de celle du Chateaubriand des Mémoires d'outre-tombe. Il compare le pseudo-rationalisme occidental qui a asservi le monde à ce laboureur qui avance, les yeux fixés sur son sillon, incapable par ailleurs de voir ce qu'en même temps il détruit et ce qui, sur les bas-côtés du sillon, s'amoncèle. Ce qui s'amoncèle, ce sont ces rites en voie de disparition que Lévi-Strauss, affrontant moustiques et paludisme, est allé recueillir, auprès de tribus aujourd'hui disparues, ces mots de langues abolies, ces réglementations conjugales, ces interdits - ou ces vieux objets qu'avec André Breton et Max Ernst il aimait chiner chez les antiquaires de New York, restes, résidus, épaves d'époques révolues, pieds de lampe, chromos... - qui, si un esprit averti sait les comparer les uns aux autres, forment entre eux système, reconstruisent le style, l'âme, l'être de sociétés, de modes de vie obsolètes.

Lévi-Strauss a du goût aussi pour les vulgaires cailloux et les pierres précieuses, renvoyant par-delà les millénaires, aux temps pré-néolithiques. Car l'homme que décrit Lévi-Strauss n'est pas l'Homme abstrait des « droits de l'Homme » qui s'arroge le droit de détruire les autres espèces, la Nature, le Monde, et de se détruire lui-même, mais un homme concret, inscrit non seulement dans cette quotidienneté de ses moeurs et coutumes qui font - qui sont - la saveur même de la vie (l'art du vin, par exemple, que l'industrialisation détruit), mais aussi dans la temporalité scandée par les saisons que nous impose la nature, et dans la durée immémoriale des temps géologiques. »

--(Commentaire)--

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Eh oui... Claude Lévi-Strauss ne pensait pas un Homme Utopique, mais un homme enraciné, qui EST non parce qu'il pense (voyez Descartes), mais qui EST parce qu'il vient de quelque part, qu'il porte avec lui des Vestiges enfouis qui le guident ou le perdent, mais que l'on ne peut nier comme le font tous les sentimentalistes gôchistes qui du Passé voudraient faire table rase !

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Morgan Sportès : Lévi-Strauss n'a jamais, comme Foucault, chanté la mort de l'Homme, ni comme Barthes célébré le naufrage du Sujet cartésien : il a très simplement replacé l'un et l'autre dans le système de signes que constitue leur Temps, et dans la continuité infinie d'un monde physique qui exista avant la naissance de l'humanité, et se perpétuera quand celle-ci aura disparu. Voilà ce que les « sauvages » ont enseigné à Lévi-Strauss, voilà ce que grâce à eux il nous enseigne, et que ne saisissent pas ses critiques qui ne perçoivent, des peuples primitifs ou traditionnels, que des clichés folkloriques, exotiques, relevant de la culture des clubs de vacances. Ce savoir irrationnel des « sauvages », chacun de nous en pressent le mystère dans cette dernière part de « nature » à laquelle il nous est donné de goûter : l'étreinte amoureuse par exemple. "Faire l'amour, c'est bon", disent les Nambikwara. Claude Lévi-Strauss, dont on peut deviner qu'il est un homme de jouissance, nous convie à partager encore ce savoir (dans les dernières lignes de Tristes tropiques, qu'on ne méditera jamais assez). Il nous y exhorte à interrompre notre "labeur de ruche" (le stress du cadre trop dynamique) et à saisir l'essence de ce qui fut et continue d'être notre espèce, en deçà de la pensée et au-delà de la société : "(...) dans la contemplation d'un minéral plus beau que toutes nos oeuvres ; dans le parfum, plus savant que nos livres, respiré au creux d'un lys ; ou dans le clin d'oeil alourdi de patience, de sérénité et de pardon réciproque, qu'une entente involontaire permet d'échanger avec un chat." »

M. S.

* OEuvres, Gallimard, « Pléiade », 2 128 pages. Edition établie par Vincent Debaene, Frédéric Keck, Marie Mauzé et Martin Rueff.

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L'ami XP a raison, Claude Lévi-Strauss est probablement l'inventeur (qui s'ignorait ?) du concept de Catholique à Babouches, XP l'ayant pressenti à sa manière et divulgué sur la réacosphère d'abord, puis sur la toile en général. Et le concept fait son chemin. XP n'est pas en reste... il a, récemment, vu juste à nouveau, en présentant un concept neuf, celui de "gardien de vaches à diplômes" qui, n'en doutons pas, fera son petit bonhomme de chemin aussi.

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Je ne vous inviterai jamais assez à lire les articles de l'ami XP, pour comprendre les déclinaisons que son concept de Catholique à Babouches peut prendre...

* Souverainistes à Babouches

* Le Concept de CAB n'est pas un reductio ad Islamum

* Femmes Savantes à Babouches

* Babouche et terroir

* Juifs à Babouches

* Anti-Libéraux à Babouches

* Les Catholiques à Babouches dans le Texte

* La Tradition cette merde

* Finance Islamique et Anti-Libéraux à Babouches

Enjoy, les loustics...

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03/11/2009

L'Islam selon Claude Lévi-Strauss

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

Un des plus grand esprit français du XXème Siècle vient de nous quitter. Lisez-le...

J'avais déjà évoqué ces extraits, mais Claude Lévi-Strauss vient de mourir et tout le monde le salut... mais personne ne l'a lu, comme vous allez le voir, si vous prenez la peine de lire ces quelques lignes issues de "TRISTES TROPIQUES".

"Sur le plan esthétique, le puritanisme islamique, renonçant à abolir la sensualité, s’est contenté de la réduire à ses formes mineures : parfums, dentelles, broderies et jardins. Sur le plan moral, on se heurte à la même équivoque d’une tolérance affichée en dépit d’un prosélytisme dont le caractère compulsif est évident. En fait, le contact des non-musulmans les angoisse. Leur genre de vie provincial se perpétue sous la menace d’autres genres de vie, plus libres et plus souples que le leur, et qui risquent de l’altérer par la seule contiguïté. Plutôt que parler de tolérance, il vaudrait mieux dire que cette tolérance, dans la mesure où elle existe, est une perpétuelle victoire sur eux-mêmes. En la préconisant, le Prophète les a placés dans une situation de crise permanente, qui résulte de la contradiction entre la portée universelle de la révélation et l’admission de la pluralité des fois religieuses. Il y a là une situation “paradoxale” au sens pavlovien, génératrice d’anxiété d’une part et de complaisance en soi-même de l’autre, puisqu’on se croit capable, grâce à l’Islam de surmonter un pareil conflit. En vain, d’ailleurs : comme le remarquait un jour devant moi un philosophe indien, les Musulmans tirent vanité de ce qu’ils professent la valeur universelle de grands principes: liberté, égalité, tolérance; et ils révoquent le crédit à quoi ils prétendent en affirmant du même jet qu’ils sont les seuls à les pratiquer.

(…) Tout l’Islam semble être, en effet, une méthode pour développer dans l’esprit des croyants des conflits insurmontables, quitte à les sauver par la suite en leur proposant des solutions d’une très grande (mais trop grande) simplicité. D’une main on les précipite, de l’autre on les retient au bord de l’abîme. Vous inquiétez-vous de la vertu de vos épouses ou de vos filles pendant que vous êtes en campagne ? Rien de plus simple, voilez-les et cloîtrez-les. C’est ainsi qu’on en arrive au burkah moderne, semblable à un appareil orthopédique, avec sa coupe compliquée, ses guichets en passementerie pour la vision, ses boutons-pression et ses cordonnets, le lourd tissu dont il est fait pour s’adapter exactement aux contours du corps humain tout en le dissimulant aussi complètement que possible. Mais, de ce fait, la barrière du souci s’est seulement déplacée, puisque maintenant il suffira qu’on frôle votre femme pour vous déshonorer, et vous vous tourmenterez plus encore. (Pages 463-5)

(…) si un corps de garde pouvait être religieux, l’Islam paraîtrait sa religion idéale : stricte observance du règlement (prières cinq fois par jour , chacun exigeant 50 génuflexions), revues de détails et soins de propreté (les ablutions rituelles); promiscuité masculine dans la vie spirituelle comme dans l’accomplissement des fonctions organiques; et pas de femmes. (…) Grande religion qui se fonde moins sur l’évidence d’une révélation que sur l’impuissance à nouer des liens au-dehors. En face de la bienveillance universelle du bouddhisme, du désir chrétien du dialogue, l’intolérance musulmane adopte une forme inconsciente chez ceux qui s’en rendent coupables ; car s’ils ne cherchent pas toujours, de façon brutale, à amener autrui à partager leur vérité, ils sont pourtant (et c’est plus grave) incapables de supporter l’existence d’autrui comme autrui. Le seul moyen pour eux de se mettre à l’abri du doute et de l’humiliation consiste dans une “néantisation” d’autrui, considéré comme témoin d’une autre foi et d’une autre conduite. La fraternité islamique est la converse d’une exclusive contre les infidèles qui ne peut pas s’avouer, puisque en se reconnaissant comme telle, elle équivaudrait à les reconnaître eux-mêmes comme existants. (Pages 466-7)

Ce malaise ressenti au voisinage de l’Islam, je n’en connais que trop les raisons : je retrouve en lui l’univers d’où je viens ; l’Islam, c’est l’Occident de l’Orient. Plus précisément encore, il m’a fallu rencontrer l’Islam pour mesurer le péril qui menace aujourd’hui la pensée française. Je pardonne mal au premier de me présenter notre image, de m’obliger à constater combien la France est en train de devenir musulmane. Chez les Musulmans comme chez nous, j’observe la même attitude livresque, le mêmes esprit utopique, et cette conviction obstinée qu’il suffit de trancher les problèmes sur le papier pour en être débarrassé aussitôt. A l’abri d’un rationalisme juridique et formaliste, nous nous construisons pareillement une image du monde et de la société où toutes les difficultés sont justiciables d’une logique artificieuse, et nous ne nous rendons pas compte que l’univers ne se compose plus des objets dont nous parlons. Comme l’Islam est resté figé dans sa contemplation d’une société qui fut réelle il y a sept siècles, et pour trancher les problèmes de laquelle il conçut alors des solutions efficaces, nous n’arrivons plus à penser hors des cadres d’une époque révolue depuis un siècle et demi, qui fut celle où nous sûmes nous accorder à l’histoire ; et encore trop brièvement, car Napoléon, ce Mahomet de l’Occident, a échoué là où a réussi l’autre. Parallèlement au monde islamique, la France de la Révolution subit le destin réservé aux révolutionnaires repentis, qui est de devenir les conservateurs nostalgiques de l’état des choses par rapport auquel ils se situèrent une fois dans le sens du mouvement. (Page 468)

 

Les hommes ont fait trois grandes tentatives religieuses pour se libérer de la persécution des morts, de la malfaisance de l’au-delà et des angoisses de la magie. Séparés par l’intervalle approximatif d’un demi-millénaire, ils ont conçu successivement le bouddhisme, le christianisme et l’Islam ; et il est frappant de marquer que chaque étape, loin de marquer un progrès sur la précédente, témoigne plutôt d’un recul. Il n’y a pas d’au-delà pour le bouddhisme ; (….) Cédant de nouveau à la peur, le christianisme rétablit l’autre monde, ses espoirs, ses menaces et son dernier jugement. Il ne reste plus à l’Islam qu’à lui enchaîner celui-ci : le monde temporel et le monde spirituel se trouvent rassemblés. L’ordre social se pare des prestiges de l’ordre surnaturel, la politique devient théologie. En fin de compte on a remplacé des esprits et des fantômes auxquels la superstition n’arrivait tout de même pas à donner la vie, par des maîtres déjà trop réels, auxquels on permet en surplus de monopoliser un au-delà qui ajoute son poids au poids déjà écrasant de l’ici-bas. (Pages 471-2)"

 

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17/10/2009

L'Affaire des Bouquinistes

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Petite chronique satirique sortie de l'excellente plume du jovial schtroumpf de la pompeuse réacosphère, XP... Trouvé, bien entendu, chez I Like Your Style... où d'autre ?

 

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“Si j’avais une province à punir, je la ferais gouverner par un philosophe.”

Frédéric II  ( 1712-1786 ) Roi de Prusse

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" Reuters

Selon certaines sources, un scandale concernant le Président Français François Mitterrand (1981-1995) serait a deux doigts d’éclater : l’ancien chef de l’état faisait les bouquinistes et passait de nombreuses journées à relire Chardonne et Barrès, si l’on en croit certains témoins qui ont tenu a garder l’anonymat.

D’après certains témoignages, le Président Mitterrand s’habillait tous les jours d’un chapeau mou de poète et d’une écharpe rouge pour aller se promener dans Paris, à la recherche d’éditions rares, alors que l’électeur et le contribuable l’avait mandaté pour qu’il travaille, se fasse un cul gros comme ça et s’avale des dossiers chiants comme la mort dans le silence d’un bureau.

Si le scandale était avéré, il s’agirait de la plus grande histoire d’emploi fictif de tous les temps, et les Français auraient élu sans le savoir un homme de lettre en lieu et place d’un Président de la République.

Le scandale qui se profile est énorme, chacun espère qu’il ne s’agit que de rumeurs malveillantes, mais il semblerait q’elles soient confirmées par un document de l’INA : François Mitterrand aurait accordé une interview de deux heures à Bernard Pivot, en prime time, pour évoquer les mérites comparés de Maupassant et de Zola, tandis que le nombre de chômeurs frisait déjà les trois millions.

Cette magouille épouvantable consistant à ce que des poètes se fassent élire ou nommer à des postes qui dépassent allégrement leurs compétences, Oscar Wilde l’a jadis résumé en rétorquant à son éditeur qui lui parlait de littérature quand lui, l’écrivain, était venu chercher un acompte : ”on ne peut pas se comprendre… je m’aperçois que vous êtes un poète, et que je suis un homme d’affaires”.

Ces pratiques perdurent-elle au sommet de l’État? Il semblerait que non. L’actuel chef de l’État, Nicolas Sarkozy, ne ferait pas les bouquinistes. Il travaillerait. Il tenterait même de faire nommer son fils à la tête de l’EPAD, le pôle de la défense, afin d’avoir un homme à lui à sa tête et d’avoir tous les dossiers qui concernent le poumon économique de la France sur son bureau le matin en arrivant.

Cependant, il existe encore dans l’opinion une propension à vouloir distribuer des emplois fictifs jusqu’au sommet de l’état et donner à des poètes déjantés des postes de gestionnaire tous gris, fâchés avec la syntaxe, copains avec Christian Clavier mais efficaces.

C’est ainsi qu’un taré néo-gaullien du nom de Villepin continue a faire du vent avec ses bras comme il fît jadis à la tribune de l’ONU pour réclamer du “souffle” dans la vie politique française, mot qui devrait théoriquement lui valoir une place en psychiatrie."

XP

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23/09/2009

La nouvelle extrême-droite, par Jean Robin

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Trouvé ce livre gratuit chez ILYS

En guise de réflexion...

Voyez ici...


 

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07/09/2009

Dieu est mort

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« La plus inouïe des littératures est résultée de ce blocus. C'est à se demander, vraiment, si Sodome et Gomorrhe que Jésus, dans son Évangile, a déclarées "tolérables", ne furent pas saintes et d'odeur divine, en comparaison de ce cloaque d'innocence.

Le grand jour approche ! -- La vie n'est pas la vie, -- Le Seigneur est mon partage, -- Où en sommes-nous ? -- L'éclair avant la foudre, -- L'horloge de la passion, -- Le ver rongeur, -- Gouttes de rosée, -- Pensez-y bien ! -- Le beau soir de la vie, -- L'heureux matin de la vie, -- Au ciel on se reconnaît, -- L'échelle du ciel, -- Suivez-moi et je vous guiderai, -- La manne de l'âme, -- L'aimable Jésus, -- Que la religion est donc aimable ! -- Plaintes et COMPLAINTES du Sauveur, -- La vertu parée de tous ses charmes, -- Marie, je vous aime, -- Marie mieux connue, -- Le catholique dans toutes les positions de la vie, etc. Tels sont les titres qui sautent à l'oeil, aussitôt qu'on regarde une boutique de livres dévots.

Et il ne faudrait pas se hâter de croire à d'insignifiantes plaquettes. L'aimable Jésus, à lui seul, a trois volumes. La bêtise de ces ouvrages correspond exactement à la bêtise de leurs titres. Bêtise horrible, tuméfiée et blanche ! C'est la lèpre neigeuse du sentimentalisme religieux, l'éruption cutanée de l'interne purulence accumulée en un douzaine de générations putrides qui nous ont transmis leur larcin !

Une inqualifiable librairie de la rue de Sèvres vend ceci, par exemple : Indicateur de la ligne du ciel. Un tout petit papier de la dimension d'un paroissien, pour y être inséré comme une pieuse image. La première page offre précisément la vue consolante d'un train de chemin de fer, sur le point de s'engouffrer dans un tunnel, au travers d'une petite montagne semée de tombes. C'est "le tunnel de la mort" au-delà duquel se trouve "le Ciel, l'Éternité bienheureuse, la Fête du Paradis". Ces choses sont expliquées en trois pages minuscules de cette écriture liquoreusement joviale, que le journal le Pèlerin a propagée jusqu'aux derniers confins de la planète, et qui paraît être le dernier jus littéraire de la saliveuse caducité du christianisme. On prend son billet d'aller sans retour, au guichet de la Pénitence, on paie en bonnes oeuvres, qui servent en même temps de bagages, il n'y a pas de wagons-lits, et les trains les plus rapides sont précisément ceux où l'on est le plus mal. Enfin, deux locomotives : l'amour en tête, et la crainte en queue. "En voiture, Messieurs, en voiture !" Le bienveillant opuscule nous laisse malheureusement ignorer si les dames sont admises, s'il leur est accordé de faire un léger persil, ou s'il est loisible d'organiser des bonneteaux, comme dans les trains de banlieue. Ce candide blaguoscope n'a l'air de rien, n'est-ce pas ! C'est le hoquet de l'agonie pour la Foi chrétienne, d'abord, ensuite pour toute la spiritualité de ce monde qu'elle a engendré, dont elle est l'unique substrat, et qui ne lui survivra pas un quart d'heure. Mais que penser d'un clergé qui tolère ou encourage cette pollution du troupeau qu'on lui a confié, qui prend pour de l'humilité l'enfantillage du crétinisme le plus abject, et que la plus timidement conjecturale hypothèse de l'existence d'un art moderne transporte d'indignation ?

Retranché dans les infertiles glaciers du siècle de Louis XIV, les plus hautes têtes contemporaines ont passé devant lui, sans mieux obtenir qu'un outrage ou une dédaigneuse constatation. Des écrivains de la plus curative magnitude se sont offerts pour infuser un peu de sang jeune à la carcasse desséchée de leur aïeule. Ils en ont été reniés, maudits, placardés d'immondices : -- C'est vous qui êtes centenaires et décrépits ! leur crie-t-elle de sa gueule vide, et le seul grand artiste qui ait honoré sa boutique depuis trente ans, Jules Barbey d'Aurevilly, est mis au pilon sur un ordre formel de l'Archevêché de Paris.

Il est vrai qu'elle a ses grands écrivains, l'Église gallicane tombée en enfance ! Elle arbore, par exemple, au plus haut de sa corniche, un évêque non moindre que le schismatique Dupanloup, dont les écoeurantes grisailles sur l'Éducation la font clignoter, comme si c'étaient des torrents de pourpre. Ce porte-mitre, qui fut la honte de l'épiscopat le plus médiocre qu'on ait jamais vu, est considéré comme un porte-foudre intellectuel par ceux-la même qui méprisent l'étonnante bassesse de son caractère. De Pavone Lupus factus, disait-on à Rome pendant le Concile, en décomposant le nom de Mademoiselle sa mère. On a beau savoir l'insolence tyrannique et l'incurie pleine de faste de ce pasteur aux douze vicaires généraux, qui ne put jamais résider dans son diocèse, on a beau connaître la turpitude de ses intrigues politiques et l'immonde hypocrisie du révolté qui trahissait l'Église universelle, en protestant de son désir filial de "ne pas exposer le Pape à l'humiliation d'un vote incertain", n'importe ! on le vénère comme un maître, et la dysenterie littéraire de ce Trissotin violet, dont le plus infime journaliste hésiterait à signer les livres, passe, dans le monde catholique, pour le débordement du génie.

 

Infiniment au dessous de ce prélat, resplendissant comme elles peuvent, des améthystes inférieures, et des subalternes crosses : les Landriot, les Gerbet, les Ségur, les Mermillod, les La Bouillerie, les Freppel, infertiles époux de leurs églises particulières et glaireux amants d'une muse en fraise de veau qui leur partage ses faveurs.

Puis des soutaniers sans nombre : les Gaume, les Gratry, les Pereyve, les Chocarne, les Martin, les Bautain, les Huguet, les Norlieu, les Doucet, les Perdrau, les Crampon, tout un fourmillement noir sur la rhétorique décomposée des siècles défunts. On peut en empiler cinquante mille de ces cerveaux, et faire l'addition. Le total ne fournira pas l'habillement complet d'une pauvre idée.

Du côté des laïques, on exhibe à l'admiration du bon fidèle un assortiment considérable de cuistres guindés comme des pendus et arides comme les montagnes de la lune, tels que Poujoulat, Montalembert, Ozanam, Falloux, Cochin, Nettement, Nicolas, Aubineau, Léon Gautier, historiens ou philosophes, hommes politiques ou simples conférenciers. C'est la voix lactée du firmament littéraire. Ces roussins de l'esthétique religieuse ont confisqué la pensée humaine et l'ont coffrée dans la geôle obscure des petites convenances et des solennelles rengaines du grand siècle. Nul n'est admis à subsister sans leur permission, et le plus grand art qui fut jamais, le Roman moderne, en qui s'est résorbée toute conception, est jugé comme rien du tout, quand ils apparaissent.

Mais le phénix d'entre ces volailles, c'est Henri Lasserre, le Benjamin du succès. Il devient inutile de regarder les autres, aussitôt que ce virtuose entre en scène, puisqu'il résume, en sa personne l'onction des pontifes, le pédantisme chenu des hauts critiques et la graisseuse faconde des hagiographes. Il ajoute à ces dons si rares le surcroît tout personnel d'une suffisance de Gascon à décourager toutes les Garonnes. C'est un commis-voyageur dans la piété, un Gaudissart du miracle, qui place, mieux que pas un, ses petites guirlandes virginales en papier d'azur. Aussi, la plus incontinente fortune s'est hâtée d'accourir vers cet audacieux accapareur, qui débitait la Vierge Marie dans les boutiques et dans les marchés. Il n'a fallu rien moins que le triomphe presque divin de Louis Veuillot pour contre-balancer un tel crédit, -- et le pur contemplatif, Ernest Hello, est mort ignoré, dans le resplendissement de leurs gloires.

Il est vrai encore que la même main rémunératrice retient, sur le coeur fossile de cette Église hantée du néant, le vétuste Pontmartin, rossignol de catacombes dont l'eunuchat réfrigère opportunément, les préhistoriques ardeurs. Il n'est pas moins véritable qu'on ramasse à la bouche du collecteur, où il sophistiquait le guano, un Léo Taxil, désormais adjudant de Dieu et tambouriné prophète.

Enfin, les pasteurs des âmes fertilisent de leurs bénédictions la bonne presse, instituée par Louis Veuillot pour l'inexorable déconfiture des établissements de bains de la pensée. Après cela, porte close. Haine, malédiction, excommunication et damnation sur tout ce qui s'écartera des paradigmes traditionnels...

"Le clergé saint fait le peuple vertueux, -- a dit un homme puissant en formules, -- le clergé vertueux fait le peuple honnête, le clergé honnête fait le peuple IMPIE." Nous en sommes au clergé honnête et nous avons des prédicateurs tels que le P. Monsabré.

On a fait à ce misérable la réputation d'un grand orateur. Or, ce piètre thomiste, cet écolâtre exaspérant, systématiquement hostile à toute spontanée illumination de l'esprit, n'a ni une idée, ni un geste, ni une palpitation cordiale, ni une expression, ni une émotion. C'est un robinet d'eau tiède en sortant, glacée quand elle tombe. Et il lui faut toute une année pour nous préparer ces douches !

Il se trouve des naïfs que cette vacuité stupéfie. Mais c'est comme cela qu'on les fabrique tous, depuis longtemps, les annonciateurs du Verbe de Dieu !

Une glaire sulpicienne qu'on se repasse de bouche en bouche depuis deux cents ans, formée de tous les mucus de la tradition et mélangée de bile gallicane recuite au bois flotté du libéralisme ; une morgue scolastique à défrayer des millions de cuistres ; une certitude infinie d'avoir inhalé tous les souffles de l'Esprit-Saint et d'avoir tellement circonscrit la Parole que Dieu même, après eux, n'a plus rien à dire. Avec cela, l'intention formelle, quoique inavouée, de n'endurer aucun martyre et de n'évangéliser que très peu de pauvres ; mais une condescendante estime pour les biens terrestres, qui refrène en ces apôtres le zèle chagrin de la remontrance et les retient de contrister l'opulente bourgeoisie qui pavonne au pied de leur chaire. Tout juste la dose congrue, -- presque impondérable, -- de bave amère, sur les délicates fleurs du Grand Livre, pour lesquelles fut inventée la distinction laxative du précepte et du conseil. Enfin l'éternelle politique régénératrice, l'inamovible gémissement sur les spoliations de la Libre Pensée et l'incommutable anxiété de péroraison sur l'avenir présumé de la chère patrie... Quand on entend autre chose, c'est qu'on a la joie d'être sourd ou l'irrévérencieuse consolation de dormir.

Le P. Monsabré est incontestablement le sujet le plus réussi, et les bonnes maisons où se conditionne l'article travaillent, présentement, à lui manufacturer d'innombrables émules. Il y a bien aussi un autre courant qu'il faudrait appeler Didonien, où la médiocrité d'âme paraît plus complète encore et le génie plus absent. Car ils sont de divers paillons, les bateleurs, dans l'Ordre dominicain tel que l'a confectionné ce trombone libérâtre de Lacordaire. Ils ont tous, plus ou moins, la nostalgie du boniment. Mais le Didon, qui ne se satisfait pas d'être une bouche du néant, et qui va prostituant sa robe de moine sur les tréteaux du cabotinisme international, nous sortirait du clergé honnête pour nous mener droit aux soutaniers apostats ou schismatiques, -- ce qui serait évidemment moins décisif, comme sputation à la Face endurante du Christ !

Quant aux autres serviteurs de l'autel et à la masse entière des fidèles, c'est inexprimable et confondant.

On se serre, on se tient les coudes, on s'empile en fumier d'imbécillité et de lâcheté. On se précipite au Rien de la pensée, pour échapper à la contamination du libertinage ou de l'incrédulité.

En même temps, par un repli tout orthodoxe, on met soigneusement à profit l'impiété du siècle pour allonger quelque peu la corde des prescriptions ecclésiastiques. L'Église ayant réduit à presque rien la rigueur de ses pénitences, dans l'espoir toujours déçu d'un plus prompt retour des brebis folâtres qu'elle a perdues, les moutons demeurés fidèles utilisent, en gémissant au fond du bercail, les regrettables concessions de leurs pasteurs et toutes les pratiques suivent la même pente, l'époque n'étant pas du tout à l'héroïsme des oeuvres surérogatoires.

Jamais, d'ailleurs, il ne fut autant parlé d'oeuvres. S'occuper d'oeuvres, être dans les oeuvres, sont des locutions acclimatées, significatives de tout bien, quoiqu'elles aient l'air, dans leur imprécision, d'impliquer, au moral, un protestantisme limitrophe des plus imminents. Les catholiques, en effet, entendent et pratiquent la charité, l'amour de leurs frères indigents, à la manière protestante, c'est-à-dire avec ce faste usuraire qui exige l'entier abandon préalable de la dignité du Pauvre, en échange des plus dérisoires secours. Il est presque sans exemple qu'un de ces chrétiens gorgés de richesses ait pris dans ses bras son frère ruisselant de pleurs, pour le sauver en une seule fois, en payant sa rançon d'une partie de son superflu.

Cela ressemble même à une politique. "Vous aurez toujours des pauvres parmi vous", dit l'Évangile, et cette parole effrayante, qui condamne les détenteurs, est précisément l'occasion du sophisme de cannibales qui procure leur sécurité. Dieu a réglé qu'il y aurait toujours des pauvres, afin que les riches se consolassent pieusement de ne l'être pas, en se résignant à la nécessité providentielle de ne pas diminuer leur nombre.

Il leur faut donc des pauvres pour s'attester à eux-mêmes, au meilleur marché possible, la sensibilité de leurs tendres coeurs, pour prêter à la petite semaine sur le Paradis, pour s'amuser enfin, pour danser, pour décolleter leurs femelles jusqu'au nombril, pour s'émotionner au champagne sur les agonisants par la faim, pour laver d'un bol de bouillon les fornications parfumées où les plus altissimes vertus peuvent se laisser choir.

On serait forcé d'en faire pour eux s'il n'y en avait pas, car il leur en faut pour toutes les circonstances de la vie, pour la joie et pour la tristesse, pour les fêtes et pour les deuils, pour la ville et pour la campagne, pour toutes les attitudes d'attendrissement que les poètes ont prévues. Il leur en faut absolument, pour qu'ils puissent répondre à la Pauvreté : Nous avons NOS pauvres, et, d'un geste lassé, se détourner de cette agenouillée lamentable, que le Sauveur des hommes a choisie pour son Épouse et dont l'escorte est de dix mille anges.

Il se peut que le Dieu terrible, Vomisseur des Tièdes, accomplisse, un jour, le miracle de donner quelque sapidité morale à cet écoeurant troupeau qui fait penser, analogiquement, à l'effroyable mélange symbolique d'acidité et d'amertume que le génie tourmenteur des Juifs le força de boire dans son agonie.

Mais il faudra, c'est fort à craindre, d'étranges flambées et l'assaisonnement de pas mal de sang pour rendre digérables, en ce jour, ces rebutants chrétiens de boucherie.

Il faudra du désespoir et des larmes, comme l'oeil humain n'en versa jamais, et ce seront précisément ces mêmes impies tant méprisés par eux, du haut de leurs dégoûtantes vertus, -- mais justement désignés pour leur châtiment, saintement élus pour leur confusion parfaite, -- qui les forceront à les répandre !...

En attendant, le Christ est indubitablement traîné au dépotoir.

Cette Face sanglante de Crucifié qui avait dardé dix-neuf siècles, ils L'ont rebaignée dans une si nauséabonde ignominie, que les âmes les plus fangeuses s'épouvantent de Son contact et sont forcées de s'en détourner en poussant des cris.

Il avait jeté le défi à l'opprobre humain, ce Fils de l'homme, et l'opprobre humain L'a vaincu !

Vainement, Il triomphait des abominations du Prétoire et du Golgotha, et du sempiternel recommencement de ces abominations du Mépris. Maintenant, Il succombe sous l'abomination du RESPECT !

Ses ministres et Ses croyants, éperdus de zèle pour l'Idole fétide montée de leurs coeurs sur Son autel, L'ont éclaboussé d'un ridicule tellement destructeur, nous ne disons pas de l'adoration, mais de la plus embryonnaire velléité d'attendrissement religieux, que le miracle des miracles serait, à cette heure, de Lui ressusciter un culte.

Le songe tragique de Jean-Paul n'est plus de saison. Ce n'est plus le Christ pleurant qui dirait aux hommes sortis des tombeaux :

-- Je vous avais promis un Père dans les cieux et Je ne sais où Il est. Me souvenant de ma promesse, Je L'ai cherché deux mille ans par tous les univers, et Je ne L'ai pas trouvé et voici, maintenant, que Je suis orphelin comme vous.

C'est le Père qui répondrait à ces âmes dolentes et sans asile :

-- J'avais permis à Mon Verbe, engendré de Moi, de Se rendre semblable à vous, pour vous délivrer en souffrant. Vous autres, Mes adorateurs fidèles, qu'ils a cautionnés par Son Sacrifice, vous venez Me demander ce Rédempteur dont vous avez contemné la fournaise de tortures et que vous avez tellement défiguré de votre amour qu'aujourd'hui, Moi-même, Son Consubstantiel et Son Père, Je ne pourrais plus Le reconnaître...

Je suppose qu'Il habite le tabernacle que Lui ont fait ses derniers disciples, mille fois plus lâches et plus atroces que les bourreaux qui L'avaient couvert d'outrages et mis en sang.

SI VOUS AVEZ BESOIN DE MON FILS, CHERCHEZ-LE DANS LES ORDURES. »

Léon Bloy, Le Désespéré

 

 

« Et cependant, tandis qu’ils consolaient les affligés, réconfortaient les opprimés et les désespérés, soutenaient les débiles, offraient aux individus atteints dans leur santé mentale et aux furieux le refuge des cloîtres ou des asiles, que durent-ils faire au surplus, pour travailler par principe et avec bonne conscience à la conservation de tous les êtres malades et souffrants, c’est-à-dire, en fait et en vérité, à la détérioration de la race européenne ? Mettre sens dessus dessous toutes les valeurs, voilà ce qu’ils durent faire ! Et brider les forts, débiliter les grandes espérances, calomnier le bonheur qui vient de la beauté, pervertir tout ce qui est orgueilleux, viril, conquérant, dominateur, tous les instincts qui appartiennent au type humain le plus élevé et le plus accompli en y introduisant l’incertitude, les tourments de conscience, le goût de se détruire muer même tout attachement à la terre et à la domination de la terre en haine de la terre et des choses terrestres. Voilà la tâche que l’Eglise s’est prescrite et qu’elle devait se prescrire, jusqu’à ce que s’imposât enfin son ordre des valeurs, où les idées de "renoncement au monde", de "mortification des sens" et d’"homme supérieur" se confondent en une seule notion. Si on pouvait embrasser d’un seul coup d’œil, avec le regard ironique et indifférent d’un dieu épicurien, la comédie étrange et douloureuse, à la fois subtile et grossière, du christianisme européen, on ne finirait pas de s’étonner et de rire : ne semble-t-il pas qu’une seule volonté a régné sur l’Europe depuis dix-huit siècles, et que cette volonté était de transformer l’homme en un avorton sublime ? »

Nietzsche, Par delà bien et mal

 

 

« CHRÉTIEN ET ANARCHISTE. — Lorsque l’anarchiste, comme porte-parole des couches sociales en décadence, réclame, dans une belle indignation, le "droit", la "justice", les "droits égaux", il se trouve sous la pression de sa propre inculture qui ne sait pas comprendre pourquoi au fond il souffre, — en quoi il est pauvre en vie… Il y a en lui un instinct de causalité qui le pousse à raisonner : il faut que ce soit la faute à quelqu’un s’il se trouve mal à l’aise… Cette "belle indignation" lui fait déjà du bien par elle-même, c’est un vrai plaisir pour un pauvre diable de pouvoir injurier — il y trouve une petite ivresse de puissance. Déjà la plainte, rien que le fait de se plaindre peut donner à la vie un attrait qui la fait supporter : dans toute plainte il y a une dose raffinée de vengeance, on reproche son malaise, dans certains cas même sa bassesse, comme une injustice, comme un privilège inique, à ceux qui se trouvent dans d’autres conditions. "Puisque je suis une canaille tu devrais en être une aussi" : c’est avec cette logique qu’on fait les révolutions. Les doléances ne valent jamais rien : elles proviennent toujours de la faiblesse. Que l’on attribue son malaise aux autres ou à soi-même — aux autres le socialiste, à soi-même le chrétien — il n’y a là proprement aucune différence. Dans les deux cas quelqu’un doit être coupable et c’est là ce qu’il y a d’indigne, celui qui souffre prescrit contre sa souffrance le miel de la vengeance. Les objets de ce besoin de vengeance naissent, comme des besoins de plaisir, par des causes occasionnelles : celui qui souffre trouve partout des raisons pour rafraîchir sa haine mesquine, — s’il est chrétien, je le répète, il les trouve en lui-même… Le chrétien et l’anarchiste — tous deux sont des décadents. — Quand le chrétien condamne, diffame et noircit le monde, il le fait par le même instinct qui pousse l’ouvrier socialiste à condamner, à diffamer et à noircir la Société : Le "Jugement dernier" reste la plus douce consolation de la vengeance, — c’est la révolution telle que l’attend le travailleur socialiste, mais conçue dans des temps quelque peu plus éloignés… L’ "au-delà" lui-même — à quoi servirait cet au-delà, si ce n’est à salir l’ "en-deçà" de cette terre ?… »

Friedrich Nietzsche, Crépuscule des idoles

 

"SI VOUS AVEZ BESOIN DE MON FILS, CHERCHEZ-LE DANS LES ORDURES." Léon Bloy

MOFO

Looking for to save my save my soul
Looking in the places where no flowers grow
Looking for to fill that God shaped hole
Mother...mother sucking rock and roll (Mother...)

Holy dunc, spacejunk coming in for the splash
(Been around the back...been around the front)
White dopes on punk staring into the flash
(Been around the back...been around the front)
Looking for the baby Jesus under the trash
(Been around the back...been around the front)

Mother...mother sucking rock and roll (Mother...)
Mother [scat singing] rock and roll (Mother...)

Mother...mother...mother...
Mother...mother...mother...

Mother...am I still your son
You know I've waited for so long to hear you say so
Mother...you left and made me someone
Now I'm still a child, no one tells me no

Looking for a sound that's going to drown out the world
(Been around the back...been around the front)
Looking for the father of my two little girls
(Been around the back...been around the front)
Got the swing got the sway got my straw in lemonade
(Been around the back...been around the front)
Still looking for the face I had before the world was made
(Been around the back...been around the front)

Mother...mother sucking rock and roll (Mother...)
Bubble popping sugar dropping rock and roll (Mother...)
Mother...mother suck, yeah, fuck yeah (Mother...)

Mother...mother...mother...
Mother...mother...mother...

Soothe me mother
Move me father
Fool me brother
Woo me sister
Soothe me mother
Rule me father
Show me mother
Show me mother
Show me mother
Show me mother
Show me mother
Show me mother



Music : U2
Lyrics : Bono and The Edge

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13/08/2009

Dans la Nuit... buvant du Sang d'Ours...

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Huguenin, tricheur, brouilleur de pistes : « La seule chose qui rende ma douleur supportable, c’est sa beauté. Et alors ? Suis-je un esthète ? C’est tellement plus simple — si atrocement simple… » À la date du mercredi 5 mars 1958. Le lendemain il poursuit : « Se raconter est fat. Se justifier est lâche. Si je veux que vous me compreniez, je me garderai bien de vous parler de moi. »

Écran de fumée. Dans son journal, Huguenin nous parle essentiellement de lui et je le comprends comme un jeune frère. Curieux, n’est-ce pas ? Huguenin a 22 ans au moment où il s’essaye à ces masques qui ne me trompent pas et je viens d’en avoir 44. Il est amusant de lire, sous la plume de François Mauriac dans la préface à son journal, ces mots teintés d’ironie : « Si Jean-René Huguenin avait vécu, si le temps avait été donné à l’auteur de La Côte sauvage pour écrire l’œuvre que ce premier livre annonçait, et si, vers sa cinquantième année, il avait retrouvé ce manuscrit au fond d’un tiroir, il en eût été peut-être irrité ; il ne l’aurait pas publié sans ces commentaires dont nous accablons volontiers la jeunesse et que nous n’épargnons pas au jeune homme que nous fûmes. »
C’est, à mon humble avis, tout à fait exact. Mais François Mauriac poursuit : « Mais dans la lumière de sa mort, ces pages ont pris un aspect bien différent. Presque chaque parole en est devenue prémonitoire. »

D’où ma lecture admirative.

Cette connerie qui veut faire croire, sans les avoir ouverts, ou en les ayants mal ouverts, que les Evangiles sont une source de dolorismes divers, de souffrances et de retenues ascétiques de toutes sortes, m’épuise jusqu’à la nausée. Moi je vois un homme manifester librement l’amour et la vie et si je retiens l’effroi tragique de sa crucifixion, je suis surtout interpellé par la puissante charge symbolique de sa résurrection. C’est le Christ ressuscité qui m’intéresse, moins que le Christ en croix, même si les deux sont théologiquement liés et prophétisés en maints endroits de l’Ancien Testament.

 

Si la bêtise nous conduit vers le malheur, le bonheur, en ce cas, serait une forme d’intelligence ?

La source du bonheur serait-elle dans le fait d’écouter avec une vive attention sa conscience ?

Le bonheur n’est pas un état, mais c’est une quête.

Lorsque l’on s’arme, donc, d’intelligence, ce que l’on mène sa quête en écoutant attentivement sa conscience, on est en mesure d’affronter les zones d’ombres et leur pestilence existentielle en étant pleinement confiant.

La confiance c’est le début du bonheur.

Le véritable hédonisme consiste, simplement à prendre très au sérieux ce que nous donne comme trésors savoureux la vie, ici-bas, sur terre. Mais Qohelet, déjà, clamait qu’il fallait prendre ce qui nous était donné sous le soleil. C’est, déjà, une relation intime avec Dieu. Les orthodoxes diraient qu’en cette jouissance claire nous sommes divinisés.

La ceinture à clous que portait Blaise Pascal pour se punir de Dieu sait quoi, assombrit considérablement sa philosophie. « Pascal, ce sublime avorton du christianisme. » disait Nietzsche, très impressionné, néanmoins, par le penseur.
« Sublime avorton ». Certains y voient de l’ironie. Moi, j’y vois l’expression assumée d’une admiration critique.

Le message essentiel des Evangiles est dans ce don de liberté qui s’offre comme une possibilité de sortir du cercle de la faute, du péché, de la chute, de l’exil, hérités de génération en génération comme un lourd fardeau généalogique qui sclérose le libre arbitre. Nos péchés retombent sur nos enfants jusqu’à la septième génération dit Yahvé, juge sévère. Et comme nous commettons de nombreuses erreurs au cours de notre vie et que nos enfants en commettent de multiples à leur tour, et ce dès leur plus jeune âge, et bien on n’est pas rendu comme on dit en Bourgogne, le pays d'Irina. Le Christ vient briser ce cercle qui, lui, est doloriste, en y créant une brèche, pour le pèlerin en quête, armé d’intelligence et écoutant minutieusement leur conscience. Hors les murs.

Nietzsche est, malgré lui, chrétien en cela que sa négation de Dieu n’est possible que grâce à la critique qui justifie cette négation mais… justifie, aussi, Dieu.
Ce qui a accouché notre civilisation, c’est cet écartèlement, cette constante tension, chez l’occidental, entre la Lettre et l’Esprit, entre ce qui est dit et ce que le dire formule en de-ça. Beaucoup sont tombés dans le piège des concepts et ont construit leur perception du christianisme, qui est une parole de vie, sur une série de faux-sens et contre-sens en donnant une confiance aveugle aux mots de la théologie et en les fixant comme des racines indiscutables alors que les notions religieuses, travaillées, au corps par des docteurs fiévreux de pénétrer un peu plus le tabernacle, n’étaient que des bourgeons appelés à s’épanouir avant de mourir pour être remplacés par des bourgeons neufs. Cette confiance accordée au langage a créé une perception altérée de la réalité, un monde fictif qui s’oppose à la réalité en la travestissant ou, pire, en l’ignorant. Or, Nietzsche était philologue de formation et les textes, il savait les lire, et sans doute les a-t-il lus sans préjugés moraux.

 

« Chaque église est la pierre sur le tombeau d’un homme de Dieu : elle veut à tout prix qu’il ne ressuscite pas. (Nietzsche)

Qu’a nié le Christ ? tout ce qui aujourd’hui porte le nom de chrétien.(Nietzsche)

Le Christ sur la croix est le plus sublime des symboles — aujourd’hui encore.(Nietzsche)

Les sarcasmes et les invectives de Nietzsche contre le christianisme occultent le sérieux de sa méditation sur la personne du Christ. On oublie trop souvent que le Surhomme, s’il doit avoir la volonté d’action et l’attachement à la terre d’un « César romain » doit aussi posséder la spiritualité la plus haute, celle de « l’âme du Christ ». Nietzsche a toujours respecté et admiré ce qu’il croyait avoir saisi de la personne réelle du Christ, au-delà et contre la tradition des églises. Lorsque, sombrant dans la folie, le philosophe signe ses dernières lettres des noms mêlés de Dionysos et du Crucifié, il révèle que si on l’a compris, Dionysos est moins l’ennemi du Christ qu’il n’en est le doublet.
La méditation sur le type du Christ, comme celle sur Socrate, parcourt toute la pensée nietzschéenne. Ici plus que jamais, l’ennemi est l’ami vénéré, l’autre est le même, le plus différent est le plus proche. L’image que Nietzsche nous donne du Christ n’est en rien mesquine, même si, par ailleurs, elle ne fournit qu’une partie des qualités qui devront caractériser la Sur-humanité future. Dans sa richesse et sa complexité, elle donne à penser aussi bien au croyant, qui, par-delà le Bien et le Mal, recherche une foi affirmative, qu’à l’athée en quête d’un idéal humain débarrassé de tout « moraline » métaphysique. »

Sur la Christologie nietzschéenne
Nietzsche et les métamorphoses du divin
– Emmanuel Diet

 

Il faut tenir. Mes lectures désespérées m’y invitent. Bernanos et Houellebecq, par exemple. Triste soumission que leur plume décortique. Les ténèbres sont percées par leur verbe. Les ténèbres et l’anomalie de la soumission, l’anomalie de la servitude. Même du centre de la mort il faut qu’un chant s’élève, le plus simple, le plus innocent.

« et ce fut silence et présence de nuit
et de nuit souveraine
et de règne de nuit aux rives de la mer
et ce fut nuit à l’absence des vents
et vents de nuits à l’écume des mers. »

« et tant de nuits au siècle de l’absence…
ton regard est la nuit
où règne le silence
ton corps est règne de vent
règne de vent ton corps
et nuit de vent au siècle de l’absence. »

Arielle Monney, dit Alderbaran (1957-1975) "La mort est ce jardin où je m’éveille"

Celle que j'avais déjà évoqué ici... écrit ces lignes en 1974. Elle a 16 ans. Elle tient tête. Sa mort est proche. Il faut tenir.

Car il faut tenir. Quoi qu’il en coûte. Histoire d’être un homme et de tenter, toujours, de connaître le prix des choses, de se déterminer soi-même dans le cours des choses en question. Ils ont bon dos ceux qui sont dans la certitude des certitudes, statufiés sur place, le cul hémorroïdaire car constipé, à lancer leurs malédictions faciles en lieu et place des bénédictions qui s’imposeraient si ils ouvraient les yeux. Nietzsche qui a postulé que « Dieu est mort » a plus de foi en lui lorsqu’il dit, de mémoire, d’hommes qui prient nous devons devenir des hommes qui bénissent. Je songe, du coup, à Zbigniew Herbert, Monsieur Cogito et autres poèmes. Ce poème qui demande de tenir, de ne pas baisser sa garde, d’être confiant dans le mouvement.

« Monsieur Cogito. Envoi

Va-t’en où allèrent les autres vers l’issue obscure
chercher la toison d’or du néant ta dernière récompense

va redressé parmi ceux qui sont à genoux
qui tournent le dos ou sont réduits en poussière

tu as été épargné mais non pour que tu vives
tu as peu de temps il faut témoigner

que ta Colère impuissante soit comme l’océan
chaque fois que tu entends la voix des persécutés des battus

que ne t’abandonne jamais ton frère le Mépris
pour les mouchards les bourreaux les lâches — c’est eux qui gagneront
ils iront à tes funérailles et soulagés jetteront leur motte de terre
puis le ver à bois écrira ta biographie arrangée

et ne pardonne pas car en vérité je te le dis il n’est pas en ton pouvoir
de pardonner au nom de ceux que l’on a trahis à l’aube

garde-toi cependant de l’orgueil inutile
examine au miroir ton visage de bouffon
redis : j’ai été appelé — n’y en avait-il pas de meilleurs

garde-toi de l’aridité du cœur aime la source matinale
l’oiseau au nom inconnu le chêne en hiver

la lumière sur un mur la splendeur du ciel
n’ont que faire de ton haleine chaude
elles existent pour dire : personne ne te consolera

reste en éveil — quand le feu flambera sur la colline — lève-toi et va
aussi longtemps que le sang dans ton sein fait tourner ton étoile obscure

répète les anciennes conjurations les contes et légendes
car ainsi tu atteindras le bien qui t’échapera
répète les grandes paroles répète-les obstinément
comme ceux qui traversaient le désert et mouraient dans le sable

tu seras récompensé de ce qui leur tombe sous la main
par le fouet de la dérision par un meurtre sur la décharge publique

va car ainsi seulement tu seras admis au cercle des crânes froids
parmi tes ancêtres : Gilgamesh Hector Roland
défenseurs du royaume sans limite et de la cité des cendres

Sois fidèle Va »

Monsieur Cogito et autres poèmes, Zbigniew Herbert

Il est des fulgurances qui se plantent en nous comme des bouées de sauvetage, des béquilles ou des ailes qui nous permettent un équilibre dans ce monde qui se joue de nous sans lassitude.

« Il faudrait savoir plusieurs langues pour changer d’identité, disparaître.
Parce que la parole est difficile.
Parce que la vie est dans la parole. »

Claude Held, Le temps déchiré

Léon Bloy choque les chrétiens chétifs qui ne trouvent leur force que dans la lettre marbrée et poussiéreuse. Léon Bloy, avec sa théologie intuitive et sa flamme verbale, à croire qu’il a saisi un peu de ce feu qui brûle sans consumer le buisson ardent, Bloy tabernacle naturel, corpulence sévère.

Il ne se voulait que poète m'a dit une fois l’ami Restif. Et je tombe par un heureux hasard sur ce passage d’Armel Guerne dans L’Âme insurgée, écrits sur le Romantisme, au chapitre « Hölderlin ou le mystique malgré lui » :

« Le poète, je l’ai dit, n’est jamais qu’un prophète manqué ; — pour peu, du moins, qu’il ne soit plus l’un de ces ridicules amuseurs, profanateurs attitrés de la langue, auxquels le Satan anonyme du monde accorde avec délices ce noble nom de poète qu’il inonde de toutes ses gloires, récompensant ainsi ses serviteurs de leur culte fidèle, ô dérision ! Et plus le poète est grand, oui, plus il est entré loin, profond et haut dans la vérité du langage, plus il aura lutté pour le langage de la verte, plus les beautés seront venues, prodigieuses entre ses mains : plus aussi sera-t-il, par la vertu de ce même langage, un prophète manqué. D’autant plus proche, et d’autant plus loin ; d’autant plus haut, et d’autant plus « tombé », tout humble sous la loi des splendides beautés qui, véritablement, accablent son orgueil. — Le saurait-il ? Ce n’est pas sûr. Mais ce qu’il sait, c’est que chaque mot engage, chaque parole prononcée ou pensée, chaque image, non seulement dans son fait mais dans son mouvement même, l’engagent tout entier dans ce monde absolu de la vérité sous lequel, ici-bas, il répond par des responsabilités infinies ; et comme nos actes nous suivent terriblement, terriblement aussi ses parles le suivent… La vocation, c’est cela : répondre à un appel. Mais d’où vient-il ? On s’avance vers lui. Mais où va-t-on ? Sous tous les travestis de l’orgueil, sel pour n’être plus seul, on s’avance, on avance, on se risque ; mais est-on même sûr d’avoir seulement obéi ? Dès le premier mot, pourtant, alors qu’on croit n’apprendre encore que les rudiments de cet « art » où la jeunesse pétulante et fanfaronne ambitionne de s’illustrer, tout le sérieux de la chose est là. Et le dernier mot sera pour le reconnaître. Le reste, c’est la vie : le lieu panique et le tems de ce drame ; d’autant plus unique et d’autant plus grand ; d’autant plus invisible et d’autant plus constant. C’est autour de ce feu que s’élaborent et se disposent, se pressent et s’échafaudent les circonstances : autour de ce seul feu qui les éclaire et les dévore ; et l’homme vient et va parmi elles, se heurte et se déchire parce qu’il ne sait pas, et qu’il sait, aveugle dans sa hâte…
Ah ! que ne cesse-t-on enfin de vouloir expliquer par le pourtour apparent d’une vie son contenu réel ! Que ne renonce-t-on — comme si l’on craignait toujours de la voir se répandre ailleurs et surtout dans le cœur —, que ne renonce-t-on à cerner d’un trait dur la silhouette seule de l’existence, à dessiner son contour ; pour essayer de pénétrer la vie, de ne plus s’écarter de son mystère et de son unité, de sa chaleur ! »

Il n’y a pas de hasard. Tout s’agence comme il se doit pour peu que l’on sache être à l’écoute. En tout cas, cela va comme un gant à Bloy lui-même.

 

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12/08/2009

C'est la nuit, je suis en vacances...

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Ce que j’ai aimé dans le Journal d’un tueur sentimental de Luis Sepúlveda :

« (…) Elle est rapidement devenue une femme, à force de servir ses hanches se sont épanouies, son regard est devenu coquin, elle a compris que le plaisir c’est l’exigence, elle s’est entichée de la soie sur son corps, des parfums exclusifs, des restaurants avec des garçons élégants comme des ambassadeurs et des bijoux de créateurs. Elle a franchi le grand pas qui sépare la minette de la chatte.

(…)

c’est que je t’envie parce que pour toi tout sera terminé au moment où je vais te plomber, en revanche moi, mon frère je devrai continuer à vivre.

(…)

Il semblait que ses péchés étaient de ceux qui comptent, et il avait l’air habile.
(…)

Bien sûr. Une métisse m’a pris cent mille pesetas et un demi-litre de sperme. C’est mieux que le valium, lui ai-je indiqué sans vouloir être pédagogue.

(…)

Il a eu l’air de comprendre parce qu’au lieu de me vanter un matador auquel les femmes jetaient leur soutien-gorge, il s’est mis à se plaindre des Arabes, des Noirs, des Gitans, des Latinos, et de toute l’humanité qui ne répondait pas à ses critères de petit gros Européen qui sent la frite. Une fois de plus j’ai regretté l’absence d’un 45 dans ma main droite.

(…)

Mais bon Dieu d’où sortent les taxis ? Celui qui m’a amené de l’hôtel au centre des congrès était un Turc avec des moustaches longues comme un guidon de bicyclette, et dès que j’ai posé mon cul sur le siège protégé par un plastique il m’a pris pour cible de son ardeur prosélyte. Il a maudit toutes les femmes en jupe courte qui se promenaient dans la rue, toutes les publicités de rhum Bacardi, de cigarettes et finalement, en me demandant de ne pas m’offenser, il s’en est pris aux étrangers qui amenaient des mœurs pernicieuses. Quand nous sommes arrivés au centre des congrès il chiait sur la mère de Kemal Atatürk. En le payant je me suis promis d’honorer les professionnelles de l’amour et de ne plus jamais traiter de fils de pute ceux qui ne le mériteraient pas. Fils d’Allah me semblait une insulte beaucoup plus forte.

(…)

Il avait cet aplomb subtil qui trahit le malin, le dragueur qui ne se retrouve jamais seul au lit.

(…)

L’image de ma belle Française apparaissait à de douloureux intervalles dans ma mémoire, comme une publicité pour quelque chose que je ne pourrais jamais acheter.

(…)

Au bar international, à l’abri des conneries islamiques des garçons, je me suis enfilé trois gins et j’ai ensuite appelé Paris.

(…)

Le taxi qui m’a amené de l’aéroport au centre de la ville était turc mais sa nationalité ne l’excluait pas de la tribu universelle des indiscrets.
Comment vous avez trouvé Istanbul ? Une belle ville ! N’est-ce pas ? cracha-t-il sans pitié.
Comment vous savez que c’est de là que j’arrive ?
Parce que c’est le dernier vol international protégé. Vous savez de quoi je parle ? Un avion atterrit à Francfort toutes les trois minutes, mais les vols en provenance de Turquie arrivent sur une piste de haute sécurité. C’est à cause des Kurdes, vous savez ? C’est une bande de terroristes et les Allemands prennent des précautions.
Ça n’a pas été bien pour moi Istanbul.
Ça ne m’étonne pas. C’est ce qui arrive aux touristes qui ne veulent pas qu’on les conseille. A Istanbul on ne drague pas une femme même si on est Alain Delon, mais il y a les Suédoises et les Allemandes à Edirne. Elles se baignent toutes à poil et se rôtissent sur le sable. Maintenant si vous êtes plus exigeant, les rues de Galata sont pleines d’éphèbes de rêve. C’est comme à Cadaqués mais le mark allemand vous ouvre tous les cœurs et tous les petits culs. Merci pour ces informations, mais je voulais baiser une femme velue. En plus le tchador m’excite comme une bête, ai-je affirmé au lointain fils d’Allah. »

J’ai relu ces passages que j’avais très vaguement en mémoire, ayant lu cette courte nouvelle le 4 mai 1998. Cette précision ne provient que de la note que j’ai apposée à la fin de mon exemplaire et où j’ai précisé : « Petit livre net, sec, vif et clair, comme un rapide coup de lame au travers de la gueule. » Une jolie petite histoire d’amour qui se termine en dérangeante « happy end ». Pas d’inquiétude, le « héros » de l’histoire s’en sort très bien :

« Emmène-moi d’ici… a-t-elle gémi contre ma poitrine.
Bien sûr, mon amour, lui ai-je murmuré à l’oreille avant de tirer sous son joli sein gauche, parce qu’il le fallait, parce que je l’aimais, mais je ne pouvais pas agir autrement pour mon dernier travail. J’était un tueur, et les professionnelles ne mélangent pas le travail et les sentiments.. »

Luis Sepúlveda, Journal d’un tueur sentimental

 

J’ai brulé tant de navires en pleine mer. Les reflets des flammes dans les eaux noires, de nuit, c’est quelque chose. Un beau spectacle plein de fièvres et de tragédies. Et je suis là aujourd’hui à tricher comme je peux pour, au travers de mes masques, parvenir à effleurer du bout des doigts, une parcelle de vérité sur l’âme humaine, à tracer ces lignes dans le train nocturne de ma désespérance, au milieu de mon îlot de livres.

- Le latin est mort, vive le latin ! de Wilfried Stroh
- La redécouverte de l’esprit de John R. Searle
- Georgiques de Virgile
- Les Métamorphoses d’Ovide
- La Perse antique de Philip Huyse
- Le Japon d’Edo de François et Mieko Macé
- Les Aztèques de Jacqueline de Durand-Forest
- Les Mayas de Claude-François Baudez
- Les Incas de César Itier
- Le faussaire et son double. Vie de Thomas Chatterton de Lucien d’Azay
- L’Humeur indocile de Judith Schlanger
- Les Grecs et la mer de Jean-Nicolas Corvisier

Autant me pendre tout de suite. Explorations solaires et kafkaïennes en perspectives. Si je trouve le temps de transformer mes butinages en lectures authentiques. Je fais ce que je peux, bordel ! Ma soif est insatiable mais elle a tendance à me submerger. Puis merde, ami lecteur, amie lectrice, je me saoule avec un mauvais vin serbe, coup de nostalgie oblige, alors ça ne m’aide pas à voir clair, ou peut-être que ça me fait tout voir avec une extrême clairvoyance. Allez savoir ! La réalité aussi me submerge, me voyant j’en viens à manquer de souffle, à manquer de mots. « Sang d’ours » est le nom du vin. MEDVEDA KRV.

 

« Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient. »

Rimbaud, Une saison en enfer

 

Et Rainer Maria Rilke dans Tendres impôts à la France :

« Reste tranquille, si soudain
l’Ange à ta table se décide ;
efface doucement les quelques rides
que fait la nappe sous ton pain.

Tu offriras ta rude nourriture
pour qu’il en goûte à son tour,
et qu’il soulève à sa lèvre pure
un simple verre de tous les jours.

Ingénuement, en ouvrier céleste,
il prête à tout une calme attention ;
il mange bien en imitant ton geste,
pour bien bâtir à ta maison. »

Le vin du Sud, même mauvais, apporte des stances muettes, véritables symphonies intérieures, qui me font sourire à l’ombre de ma main malgré la menaçante ténèbre.

«Le Sud, école de guérison.» Nietzsche

Mais au bout du compte, Baudelaire aussi : « Connais donc les jouissances d’une vie âpre, et prie, prie sans cesse. »

Pourtant, dans ces instants privilégiés, mes instants, je suis comme Montaigne dans sa tour, à me confronter à mes doutes, à me disséquer sur la page en un équarrissage pointu et bien plus précis qu’il n’y paraît. Une relecture rapide des mes notes passées sur ce modeste Blog me le confirme : j’en dis beaucoup même quand je semble ne pas en dire beaucoup. Je vais sous l’épiderme. Privilège crâneur d’écrivain.

C’est la nuit. Je suis en vacances.

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09/08/2009

Singularité quantique

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« Dieu n'est pas un "être", personnel ou non. Nietzsche savait que cette notion, pervertie par deux mille ans de platonisme et de rationalisme, n'était plus qu'une vapeur, une volute d'homme moderne. Les juifs, les chrétiens grecs des premiers temps, et même les musulmans (si l'on considère Allah comme la contraction du mot d'origine sémitique signifiant Dieu, Elohim, et l'article al), ont toujours dit "le Dieu", ils ne s'adressaient pas à Dieu, comme à une sorte d'être singulier, mais au Dieu, comme figure intemporelle et aspatiale de l'Unique, de l'Irreprésentable.

Dieu, c'est l'être. En tant que force toujours active et constamment créatrice, et surtout autocréatrice. C'est donc l'être comme fonction ontologique du devenir, et surtout des surpassements atemporels, quand le Temps tout entier devient unité de conscience, quantum de l'Esprit ainsi éveillé à Sa Présence.

Autant dire qu'Il est partout, et nulle part, ce qui revient au même pour une "singularité quantique" qui a tenté de créer un processus cosmobiologique capable de faire émerger la conscience, au sens noble, c'est-à-dire cet être, précisément, je ne parle pas d'un "Être" suprême et suprêmement rationnel - Sa Royauté trône bien au-delà de toutes ces conceptions vulgaires -, mais cet être comme moment de singularité quantique, à la fois destructrice et créatrice, surpassant la conscience, au coeur de ce petit organe encore bien rudimentaire qui tient lieu à certains d'entre nous de cerveau. » Le théâtre des opérations II, Laboratoire de catastrophe générale, Maurice G. Dantec

"Sa Royauté trône bien au-delà de toutes ces conceptions vulgaires." J'ai aussitôt envie d'ajouter : "Par-delà Bien et Mal !"

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"Le premier de la classe disparu, ne restent que les cancres."

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Les pauvres illuminés de La Question se déchaînent contre Nietzsche avec leur suffisance sûre d'elle-même.

Il leur faut leur dose de haineuses lourdeurs déversées sur Fredo les bacantes (comme l'appelle l'ami Restif) histoire de laver l'affront que le penseur a fait à leur semblant de religion sombre, poussiéreuse et doloriste. Ils opposent Heidegger à Nietzsche. Ou défendent Wagner contre le moustachu qu'ils considèrent comme un nihiliste. Nietzsche, nihiliste. C'est l'hôpital qui se fout de la charité.

Wagner, passées ses très belles introductions : LOURDEUR, NEVROSES, HYSTERIES, BRUME GERMANIQUE GRATUITE, paganisme christianisé pour le bonheur des croyants de peu de FOI. Je sais, je suis méchant, mais je le pense. Vive Mozart et Bach, définitivement.

 

 

 

Rimbaud : « Je suis un inventeur bien autrement méritant que tous ceux qui m'ont précédé ; un musicien même, qui ai trouvé quelque chose comme la clef de l'amour. »

« Les paroles essentielles sont des actions qui se produisent en ces instants décisifs où l'éclair d'une illumination splendide traverse la totalité du monde. » Martin Heidegger, "Shelling" (Semestre d'été 1936)

Dans un texte daté de 1974, sur le tard donc, Heidegger posait la question essentielle : « Entendons-nous avec suffisante clarté, dans le Dit de la poésie d'Arthur Rimbaud, ce qu'il a tu ? Et voyons-nous là, déjà, l'horizon où il est arrivé ? »

Mais on peut s'amuser. Oui oui oui. Trois fois "oui" comme la Trinité :

-- Rimbaud : « Ô le plus violent Paradis »

--Hölderlin :

« C'est cela qu'il nous faut comprendre
Tout d'abord. Car les noms depuis le Christ sont pareils
Au souffle du matin. Ils se font rêves. Ils tombent comme l'erreur
Sur notre coeur et tuent, s'il n'est personne
Pour scruter leur nature et les comprendre. »

-- Nietzsche : « Il nous faut être nous-mêmes, comme l'est Dieu, justes, gracieux, solaires envers toutes choses et les créer toujours nouvelles telles que nous les avons créées. »

-- Heidegger, enfin : « Que Dieu et le divin nous manquent, c'est là une absence. » Et le souabe poursuit comme un Kabbaliste juif, je ne blague pas : « Seulement l'absence n'est pas rien, elle est la présence -- qu'il faut précisément s'approprier d'abord -- de la plénitude cachée de ce qui a été et qui, ainsi rassemblé, est : du divin chez les grecs, chez les prophètes juifs, dans la prédication de Jésus. Ce "ne plus..." est en lui-même un "ne... pas encore", celui de la venue voilée de son être inépuisable »

Sollers, espiègle : « Car enfin, Dieu est-Il mort ? A demi vivant ? A naître ?
Et si ces trois questions n'en formaient qu'une ? »

A nouveau, Heidegger en 1946, au lendemain de la guerre, l'Allemagne n'est que champs de ruines, l'Allemagne et l'Europe : « C'est seulement dans le cercle plus vaste de ce qui est sauf, que peut apparaître le sacré. Parce qu'ils appréhendent la perdition en tant que telle, les poètes du genre de ces plus risquants sont en chemin vers la trace du sacré. Leur chant au-dessus de la terre sauve ; leur chant consacre l'intact de la sphère de l'être. » Voilà qui, personnellement, m'illumine plus que toutes les formalités théologiques chez Zak, Radek & co. Heidegger poursuit : « La détresse en tant que détresse nous montre la trace du salut. Le salut évoque le sacré. Le sacré relie le divin. Le divin approche le Dieu. Ceux qui risquent le plus appréhendent, dans l'absence de salut, l'être sans abri. Ils apportent aux mortels la trace des dieux enfuis dans l'opacité de la nuit du monde. »

Il y a une telle charge de Vérité dans cela, que je le répète pour le plaisir des intelligents et le malheur des imbéciles : « Ceux qui risquent le plus appréhendent, dans l'absence de salut, l'être sans abri. Ils apportent aux mortels la trace des dieux enfuis dans l'opacité de la nuit du monde. » Et Nietzsche a risqué beaucoup, bien plus, même, que Heidegger.

Il est curieux que Claudel après sa découverte des "Illuminations" de Rimbaud, dira avoir découvert l'innocence enfantine de Dieu.

L'innocence enfantine de Dieu ? Ainsi Hallâj, le mystique arabe, condamné à mort, fouetté, mis en charpie, crucifié puis décapité par les barbus de son temps pour "hérésie" qui eut ses extases charnelles, spirituelles et sémantiques : « Celui qui me convie, et qui ne peut passer pour me léser, m'a fait boire à la coupe dont Il but tel l'hôte traitant son convive. Puis, la coupe ayant circulé, il a fait apporter le cuir du supplice et le glaive. Ainsi advient de qui boit le vin, avec le Lion, en plein été. »

Ou lorsque Hallâj se promène avec l'un de ses disciples le long d'un mur derrière lequel une musique surgit. Le disciple demande : « Qu'est ce que ceci, Maître ? » en extase d'entendre la flûte délicate dériver et le rejoindre dans sa dérive. Et Hallâj lui répond : « C'est Satan qui pleure sur la beauté du monde. »

C'est un curieux cénacle, parallèle, unique et toujours recommencé qui se créé par-delà les clivages raciaux et culturels, pour embraser et embrasser des âmes qui disent l'essentielle ardeur qui va par-delà les retenues de rigueur chez les grenouilles et les crapauds de bénitiers. Ô misère, je crois que si Dieu est, il trouve déjà bien des bontés chez tous ces dépravés de la quête qui ont tous posé le doigt sur quelque chose de primordial qui les dépasse et les pousse loin devant, loin au-dessus.

Heidegger : « Seulement à partir de la vérité de l'être se laisse penser le déploiement du sacré. Seulement à partir du déploiement du sacré peut se penser le déploiement de la divinité. Seulement dans l'illumination du déploiement de la divinité peut être pensé et dit ce que la parole "Dieu" doit nommer. »

Et je finirais par Jean Cocteau : « Mille neuf cent est l'année terrible. Nietzsche meurt. Le premier de la classe disparu, ne restent que les cancres. »

 

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19/07/2009

L’empire du laid, par Simon Leys

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Trouvé via un commentaire chez ILYS ce texte de Simon Leys qui ne manque pas de piquant...

 

 

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Chronique de Simon Leys parue sous le titre “La chronique des antipodes” dans Le Magazine Littéraire n°440 de mars 2005.

Les Indiens de la côte du Pacifique étaient de hardis navigateurs. Ils taillaient leurs grandes pirogues de guerre dans le tronc d’un de ces cèdres géants dont les forêts couvraient tout le nord-ouest de l’Amérique. La construction commençait par une cérémonie rituelle au pied de l’arbre choisi, pour lui expliquer le besoin urgent qu’on avait de l’abattre, et lui en demander pardon. Chose remarquable, à l’autre côté du Pacifique, les Maoris de Nouvelle-Zélande creusaient des pirogues semblables dans le tronc des kauri ; et là aussi, l’abattage était précédé d’une cérémonie propitiatoire pour obtenir le pardon de l’arbre.

Des mœurs aussi exquisément civilisées devraient nous faire honte. Tel fut mon sentiment l’autre matin ; j’avais été réveillé par les hurlements d’une scie mécanique à l’œuvre dans le jardin de mon voisin, et, de ma fenêtre, je pus apercevoir ce dernier qui - apparemment sans avoir procédé à aucune cérémonie préalable - présidait à l’abattage d’un magnifique arbre qui ombrageait notre coin depuis un demi-siècle. Les grands oiseaux qui nichaient dans ses branches (une variété de corbeaux inconnue dans l’hémisphère Nord, et qui, loin de croasser, a un chant surnaturellement mélodieux), épouvantés par la destruction de leur habitat, tournoyaient en vols frénétiques, lançant de déchirants cris d’alarme. Mon voisin n’est pas un mauvais bougre, et nos relations sont parfaitement courtoises, mais j’aurais quand même bien voulu savoir la raison de son ahurissant vandalisme. Devinant sans doute ma curiosité, il m’annonça joyeusement que ses plates-bandes auraient désormais plus de soleil. Dans son Journal, Claudel rapporte une explication semblable fournie par un voisin de campagne qui venait d’abattre un orme séculaire auquel le poète était attaché : “Cet arbre donnait de l’ombre et il était infesté de rossignols.”

La beauté appelle la catastrophe aussi sûrement que les clochers attirent la foudre. Les services publics qui font passer une autoroute au milieu de Stonehenge, ou un chemin de fer à travers les ruines de Villers-la-Ville, le moine qui met le feu au Kinkakuji, la municipalité qui transforme l’abbatiale de Cluny en une carrière de pierres, l’énergumène qui lance un pot d’acrylique sur le dernier autoportrait de Rembrandt, ou celui qui attaque au marteau la madone de Michel-Ange, obéissent tous, sans le savoir, à une même pulsion.

Un jour, il y a longtemps, un minuscule incident m’en a donné l’intuition. J’étais en train d’écrire dans un café ; comme beaucoup de paresseux, j’aime sentir de l’animation autour de moi quand je suis sensé travailler - ça me donne une illusion d’activité. Aussi la rumeur des conversations ne me dérangeait pas, ni même la radio qui beuglait dans un coin - toute la matinée, elle avait déversé sans interruption des chansonnettes à la mode, les cours de la Bourse, de la “muzak”, des résultats sportifs, une causerie sur la fièvre aphteuse des bovins, encore des chansonnettes, et toute cette panade auditive coulait comme de l’eau tiédasse fuyant d’un robinet mal fermé. Et d’ailleurs, personne n’écoutait. Tout à coup - miracle ! - pour une raison inexplicable, cette vulgaire routine radiophonique fit place sans transition à une musique sublime : les premières mesures du quintette de Mozart prirent possession de notre petit espace avec une sereine autorité, transformant cette salle de café en une antichambre du Paradis.

 

Mais les autres consommateurs, occupés jusqu’alors à bavarder, à jouer aux cartes ou à lire les journaux, n’étaient pas sourds après tout : en entendant ces accents célestes, ils s’entre-regardèrent, interloqués. Leur désarroi ne dura que quelques secondes - au soulagement de tous, l’un d’entre eux se leva résolument, vint tourner le bouton de la radio et changea de station, rétablissant ainsi un flot de bruit plus familier et rassurant, qu’il fut à nouveau loisible à chacun de tranquillement ignorer.

A ce moment, je fus frappé d’une évidence qui ne m’a jamais quitté depuis : les vrais Philistins ne sont pas des gens incapables de reconnaître la beauté - ils ne la reconnaissent que trop bien, ils la détectent instantanément, et avec un flair aussi infaillible que celui de l’esthète le plus subtil, mais c’est pour pouvoir fondre immédiatement dessus de façon à l’étouffer avant qu’elle ait pu prendre pied dans leur universel empire de la laideur. Car l’ignorance, l’obscurantisme, le mauvais goût, ou la stupidité ne résultent pas de simples carences, ce sont autant de forces actives, qui s’affirment furieusement à chaque occasion, et ne tolèrent aucune dérogation à leur tyrannie. Le talent inspiré est toujours une insulte à la médiocrité. Et si cela est vrai dans l’ordre esthétique, ce l’est bien plus encore dans l’ordre moral. Plus que la beauté artistique, la beauté morale semble avoir le don d’exaspérer notre triste espèce. Le besoin de tout rabaisser à notre misérable niveau, de souiller, moquer, et dégrader tout ce qui nous domine de sa splendeur est probablement l’un des traits les plus désolants de la nature humaine.

 


Michel Leys

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22/06/2009

HOW THE WEST WAS WON (part two)

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HOW THE WEST WAS WON

(part two)

 

Laurent Schang

 

 

Lorsque enfin la nation américaine prit conscience derrière son président de l’ampleur de la catastrophe, la plupart des analystes interrogés considérèrent qu’il était déjà trop tard, l’avance économique, financière, plus encore technologique enregistrée en vingt-cinq ans par les Chinois ne pouvant être raisonnablement comblée à ce rythme avant un demi siècle, sauf intercession de la Divine Providence.

Pour comprendre cette situation inédite, il faut remonter à 1972 et à la poignée de main historique échangée à Pékin entre Richard Nixon et Mao Zedong. Chinois et Américains formaient un projet commun, celui de contenir au maximum la puissance de l’URSS, conjointement l’ennemi numéro un des États-Unis et de la République Populaire de Chine depuis la suspension en 1960 de tous les accords de coopération entre Pékin et Moscou. En se rapprochant de manière si spectaculaire tant sur le plan diplomatique que commercial, chacune des deux parties savait défendre en priorité ses propres intérêts dans la région. Les Américains comptaient tirer profit de ces relations mutuelles apaisées afin, notamment, d’ouvrir la Chine aux lois du « marché capitaliste planétaire » (Immanuel Wallerstein), suite logique − de leur point de vue − de son admission à l’ONU l’année précédente. Seulement, parmi les différents scenarii échafaudés à Washington, Henry Kissinger n’avait pas envisagé l’hypothèse où la Chine s’érigerait à son tour en superpuissance, devenant par là même le principal concurrent des États-Unis.

 

Les années 80 et 90 virent l’inflation de la dette nationale américaine aller s’aggravant, avec pour corollaire la diminution constante des exportations made in USA. Pendant ce temps, l’économie chinoise continua sa progression vers le leadership, élargissant tous azimuts ses compétences par le rachat de secteurs entiers de l’industrie américaine : énergie, électronique, télécoms, informatique, banque, assurances. Ce jusqu’à investir assez en bons du Trésor américains au début des années 2000 pour conférer aux multinationales chinoises, autant dire à l’État chinois, plus de contrôle sur l’économie américaine que les États-Unis n’en avaient sur elles.

Mais la menace ne s’arrêta pas là. Fort de ses succès, le gouvernement chinois conclut en 2004, sur son initiative, un traité des plus fructueux avec ses voisins de l’ASEAN (Association des États du Sud-Est Asiatique), traité dont le résultat fut l’inauguration officielle de la première zone mondiale de libre-échange, excluant de fait Américains et Occidentaux. Surmontées de part et d’autre les réticences de façade, Chinois, Coréens réunifiés et Japonais signèrent la décennie suivante un accord de partenariat privilégié, englobant les questions économique, politique et militaire. Taiwan rentra sagement dans le giron chinois. Exit la prédominance américaine, le péril jaune était devenu réalité.

La pacification de l’Irak avait eu beau être un fiasco (le retrait des troupes américaines laissa une autorité irakienne désemparée) et la « guerre contre le terrorisme » un piètre substitut idéologique à la chute du communisme en regard des efforts colossaux consentis par les USA, l’administration américaine se résigna une nouvelle fois à abattre sa carte majeure, la plus dangereuse certainement, la plus radicale aussi : la carte militaire.

Les versions modernes du combat de David contre Goliath ayant conduit à l’échec systématique de ce dernier (les États-Unis en Somalie, la Russie en Tchétchénie, Israël au Sud Liban), les stratèges du Pentagone convinrent des risques encourus a fortiori à engager une lutte de Goliath à Goliath dans un contexte aussi défavorable. La Chine se développait-elle économiquement à pas de géant, sacrifiant sa politique frontalière à ses besoins immédiats en nouveaux marchés ? Les Américains recourraient à la doctrine de l’endiguement ou containment déjà employée à l’époque de la Guerre froide contre l’URSS.

Le 11 septembre 2001, le monde occidental était entré avec fracas dans l’ère de la guerre dite de la quatrième génération, une guerre en ordre dispersé, non linéaire, une guerre englobant des sociétés, des cultures entières, où l’ennemi trouve refuge au milieu de la population civile et où le contrôle de l’information audiovisuelle est plus déterminant que la destruction de dix divisions blindées. Une guerre où les systèmes d’armement les plus high-tech se montrent inaptes à déjouer des attaques menées à l’aide de moyens artisanaux.

Puissance investissant une proportion énorme de sa richesse nationale dans la défense, il apparaît normal avec le recul que les États-Unis aient perçu les premiers le passage de l’affrontement symétrique de haute intensité à l’affrontement asymétrique de basse intensité. À ennemis diversifiés : proto-étatiques (mouvements indépendantistes), para-étatiques (sociétés privées, crime organisé), anti-étatiques (partis extrémistes, bandes armées, groupes terroristes), répliques diversifiées ! De l’intimidation par démonstration des effets dévastateurs de la « mini-nuke », bombe nucléaire miniaturisée, à la neutralisation pure et simple de la cible.

État de dimension continentale, les pays en bordure de la République Populaire de Chine présentaient l’avantage significatif, pour qui voulait s’immiscer dans leurs politiques, d’être soit étroitement dépendants de ses décisions (obligation de composer, d’où désir d’émancipation), soit en proie à une instabilité chronique (d’où facilité d’infiltration, possibilité de déstabilisation et/ou renversement d’alliance). Le pourtour chinois fut donc divisé par les spécialistes en quatre zones d’intervention, déterminées en fonction du type d’opération à y mener. Comme un fait exprès, ces zones d’influence s’avérèrent correspondre à la répartition géographique « naturelle » des États sur la carte : au Nord, la Russie, rival traditionnel donc manoeuvrable de la Chine ; à l’Est, le Japon, la Corée ; au Sud, une ligne oblique séparant l’Océan indien du Pacifique, de la Birmanie à l’Indonésie ; à l’Ouest, le bloc des États d’Asie centrale, auquel il fallait ajouter le Pakistan, le Népal et le Bhoutan. L’Inde et l’Australie, alliés objectifs, serviraient de relais.

S’agissant des secteurs Sud et Ouest, de loin les moins sécurisés, on procéda pays par pays afin d’obtenir l’allégeance des gouvernements. La seconde guerre d’Afghanistan avait fait la preuve de l’obsolescence des déploiements de forces conventionnelles, remplacées sur le terrain par de petits détachements interarmées, souples, autosuffisants à court terme et agissant à haute vitesse à partir de bases disséminées hors du théâtre des opérations. Pour le ravitaillement, les Américains disposaient déjà d’infrastructures dans le périmètre. La maîtrise du réseau de communications serait assurée en temps réel depuis les États-Unis. Selon la situation, les services américains choisirent de mater la guérilla ou d’aider à la destitution du pouvoir en place, tantôt ravivant les vieux démons locaux, tantôt étouffant dans l’œuf les velléités de rébellion, en vertu de leur vision « stratégique » du droit international. Parallèlement, des émissaires américains proposèrent à chacun une série de partenariats directs pour répondre aux causes multiples des conflits : investissements financiers, projets humanitaires (installation d’ONG, organisations non gouvernementales mais téléguidées) ; engagements diplomatiques longs.

Au Nord et à l’Est, les Américains agitèrent un autre spectre, en l’espèce l’émergence d’un nouvel hégémonisme de fer, la politique d’ouverture de la Chine n’ayant de finalité à leurs dires que la mise sous tutelle de l’ensemble de la zone Pacifique. Une course à l’armement avec les USA n’aurait pas eu grand sens pour des dirigeants chinois en quête permanente de capitaux. La publication opportune du rapport annuel du Pentagone sur les dépenses militaires de la Chine suffit néanmoins à semer le trouble dans les esprits. Ce faisant, les Américains atteignirent deux de leurs objectifs : geler momentanément les contrats militaires russo-chinois (des accords-cadres signés avec le Kremlin les compenseraient par ailleurs) ; créer un sentiment de panique chez les nations les plus chatouilleuses au sein de la sphère d’influence chinoise. Le reste du travail fut confié aux ambassades. Les systèmes de surveillance multimédias tournaient à plein régime.

 

Ce programme complexe prit fin brutalement le jour où les banques chinoises cessèrent de financer la dette américaine, mettant à genoux dans l’heure suivante l’économie des États-Unis.

Au livre III de L’Art de la Guerre, le général chinois Sun Zi écrivait : « Celui qui remporte cent victoires en cent combats n’est pas le plus grand ; le plus grand est celui qui remporte la victoire sans combattre. » Il y a vingt-six siècles.

 

 

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Une première version de ce texte avait paru dans une revue confidentielle aujourd'hui disparue, Laurent Schang l'a retravaillé.

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Lisez ou relisez l'autre texte de Laurent Shang qui se trouve sur Incarnation...

 

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20/06/2009

La Vie l'emporte... mais la Mort veille...

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"La Marquise d'O" par Kleist. Le trouble exprimé avec précision et nuance et les signes disposés entre les lignes qui indiquent le parcours du démon, sa prolifération, ses métastases de fer rongeant progressivement les coeurs et les âmes. Et tout ce beau monde coincé dans ses convenances en guise d'armure pour affronter le péché. Rédemption finale et honneur préservé. On s'attend sans arrêt à ce que le récit s'achève mal. Mais la lumière perce la brume de leur somnambulisme et les frappe au front. Je ne parle pas par énigme, je ne veux rien dévoiler. Les forces de la vie, profondes, célestes et telluriques, mènent la danse des corps et des esprits chancelants. La mort est une possibilité nuptiale de chaque instant. Et la mort elle-même n'est qu'une part de la vie. Et la vie l'emporte. Nous ne sommes que des jouets. Notre volonté n'a d'emprise que sur les circonstances qui sont les nôtres et les éléments qui nous sont donnés comme des axes, des pivots ou des clefs. Démerde-toi avec ça camarade, pour traverser la Ténèbre. Ouvre ce livre.

Le grand défaut de la rationalité est qu'elle nous fait oublier que la pensée humaine est fondée sur l'incertitude. Alors pour parler de la Foi...

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15/06/2009

La France Moisie

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Elle était là, elle est toujours là ; on la sent, peu à peu, remonter en surface : la France moisie est de retour. Elle vient de loin, elle n’a rien compris ni rien appris, son obstination résiste à toutes les leçons de l’Histoire, elle est assise une fois pour toutes dans ses préjugés viscéraux. Elle a son corps, ses mots de passe, ses habitudes, ses réflexes. Elle parle bas dans les salons, les ministères, les commissariats, les usines, à la campagne comme dans les bureaux. Elle a son catalogue de clichés qui finissent par sortir en plein jour, sa voix caractéristique. Des petites phrases arrivent, bien rancies, bien médiocres, des formules de rentier peureux se tenant au chaud d’un ressentiment borné. Il y a une bêtise française sans équivalent, laquelle, on le sait, fascinait Flaubert. L’intelligence, en France, est d’autant plus forte qu’elle est exceptionnelle.

La France moisie a toujours détesté, pêle-mêle, les Allemands, les Anglais, les Juifs, les Arabes, les étrangers en général, l’art moderne, les intellectuels coupeurs de cheveux en quatre, les femmes trop indépendantes ou qui pensent, les ouvriers non encadrés, et, finalement, la liberté sous toutes ses formes.

La France moisie, rappelez- vous, c’est la force tranquille des villages, la torpeur des provinces, la terre qui, elle, ne ment pas, le mariage conflictuel, mais nécessaire, du clocher et de l’école républicaine. C’est le national social ou le social national. Il y a eu la version familiale Vichy, la cellule Moscou-sur-Seine. On ne s’aime pas, mais on est ensemble. On est avare, soupçonneux, grincheux, mais, de temps en temps, La Marseillaise prend à la gorge, on agite le drapeau tricolore. On déteste son voisin comme soi-même, mais on le retrouve volontiers en masse pour des explosions unanimes sans lendemain. L’Etat ? Chacun est contre, tout en attendant qu’il vous assiste. L’argent ? Evidemment, pourvu que les choses se passent en silence, en coulisse. Un référendum sur l’Europe ? Vous n’y pensez pas : ce serait non, alors que le désir est oui. Faites vos affaires sans nous, parlons d’autre chose. Laissez-nous à notre bonne vieille routine endormie.
La France moisie a bien aimé le XIXe siècle, sauf 1848 et la Commune de Paris. Cela fait longtemps que le XXe lui fait horreur, boucherie de 14 et humiliation de 40. Elle a eu un bref espoir pendant quatre ans, mais supporte très difficilement qu’on lui rappelle l’abjection de la Collaboration.

Pendant quatre-vingts ans, d’autre part, une de ses composantes importante et très influente a systématiquement menti sur l’est de l’Europe, ce qui a eu comme résultat de renforcer le sommeil hexagonal. New York ? Connais pas. Moscou ? Il paraît que c’est globalement positif, malgré quelques vipères lubriques.

Oui, finalement, ce XXe siècle a été très décevant, on a envie de l’oublier, d’en faire table rase. Pourquoi ne pas repartir des cathédrales, de Jeanne d’Arc, ou, à défaut, d’avant 1914, de Péguy ? A quoi bon les penseurs et les artistes qui ont tout compliqué comme à plaisir, Heidegger, Sartre, Joyce, Picasso, Stravinski, Genet, Giacometti, Céline ? La plupart se sont d’ailleurs honteusement trompés ou ont fait des oeuvres incompréhensibles, tandis que nous, les moisis, sans bruit, nous avons toujours eu raison sur le fond, c’est-à- dire la nature humaine. Il y a eu trop de bizarreries, de désordres intimes, de singularités. Revenons au bon sens, à la morale élémentaire, à la société policée, à la charité bien ordonnée commençant par soi-même. Serrons les rangs, le pays est en danger.

Le danger, vous le connaissez : il rôde, il est insaisissable, imprévisible, ludique. Son nom de code est 68, autrement dit Cohn-Bendit.

Résumé de sa personnalité, ces temps-ci : anarchiste mercantiliste, élite mondialisée, Allemand notoire, candidat des médias, trublion, emmerdeur, Dany-la-Pagaille. Il a du bagou, soit, mais c’est une sorte de sauvageon. Personne n’ose crier (comme dans la grande manifestation patriotique de l’époque anti-68) : " Cohn-Bendit à Dachau ! ", mais ce n’est pas l’envie qui en manque à certains, du côté de Vitrolles ou de Marignane. On se contentera, sur le terrain, de " pédé ", " enculé ", " bandit ", dans la bonne tradition syndicale virile. " Anarchiste allemand ", disait le soviétique Marchais. " Allemand qui revient tous les trente ans ", s’exclame un ancien ministre gaulliste de l’intérieur. Il n’est pas comme nous, il n’est pas de chez nous, et cela nous inquiète d’autant plus que le XXIe siècle se présente comme l’Apocalypse.

Le moisi, en euro, ne vaut déjà plus un kopeck. Tout est foutu, c’est la fin de l’Histoire, on va nous piller, nous éliminer, nous pousser dans un asservissement effroyable. Et ce rouquin rouge devenu vert vient nous narguer depuis Berlin ? C’est un comble, la famille en tremble. Non, nous ne dialoguerons pas avec lui, ce serait lui faire trop d’honneur. Quand on est un penseur sérieux, responsable, un Bourdieu par exemple, on rejette avec hauteur une telle proposition. Le bateleur sans diplômes n’aura droit qu’à quelques aboiements de chiens de garde. C’est tout ce qu’il mérite en tant que manipulateur médiatique et agent dissimulé des marchés financiers. Un entretien télévisé, autrefois, avec l’abbé Pierre, soit. Avec Cohn-Bendit, non, cela ferait blasphème dans les sacristies et les salles feutrées du Collège de France. A la limite, on peut dîner avec lui si on porte le lourd poids du passé stalinien, ça fera diversion et moderne. Nous sommes pluriels, ne l’oublions pas.

L’actuel ministre de l’intérieur est sympathique : il a frôlé la mort, il revient du royaume des ombres, c’est " un miraculé de la République ", laquelle n’attendait pas cette onction d’un quasi au-delà. Mais dans " ministre de l’intérieur ", il faut aujourd’hui entendre surtout intérieur. C’est l’intériorité qui s’exprime, ses fantasmes, ses défenses, son vocabulaire spontané. Le ministre a des lectures. Il sait ce qu’est la" vidéosphère " de Régis Debray (où se déplace, avec une aisance impertinente, cet Ariel de Cohn-Bendit, qu’il prononce " Bindit ").

Mais d’où vient, à propos des casseurs, le mot " sauvageon " ? De quel mauvais roman scout ? Soudain, c’est une vieille littérature qui s’exprime, une littérature qui n’aurait jamais enregistré l’existence de La Nausée ou d’ Ubu roi. Qui veut faire cultivé prend des risques. On n’entend pas non plus Voltaire dans cette voix-là. Comme quoi, on peut refuser du même geste les Lumières et les audaces créatrices du XXe siècle.

Ce n’est pas sa souveraineté nationale que la France moisie a perdue, mais sa souveraineté spirituelle. Elle a baissé la tête, elle s’est renfrognée, elle se sent coupable et veut à peine en convenir, elle n’aime pas l’innocence, la gratuité, l’improvisation ou le don des langues. Un Européen d’origine allemande vient la tourmenter ? C’est, ici, un écrivain européen d’origine française qui s’en félicite.

Philippe Sollers (repris dans L’Infini 65, au printemps 99, puis dans Eloge de l’infini, 2001, p. 714)

 

Le débat entre Philippe Sollers, Max Gallo et Alain Finkielkraut

 

podcast
Podcast volé sur le site Pile Face

 

Ce texte de Philippe Sollers manque singulièrement de nuances et de précisions. Mais il a l'avantage de mettre en perspective une interrogation digne d'intérêt de laquelle il serait erroné de se détourner. Monsieur Sollers a ses crispations aussi : la défense de Cohn-Bendit, envers et contre tout. Pour quelqu'un qui a la prétention de clamer chaque fois qu'il en a l'occasion qu'il sait penser, c'est la bêtise dans toute sa détermination qui s'exprime. Je souscris pourtant au texte corrosif de Sollers... mais j'adjoint à sa liste Cohn-Bendit sans hésitation aucune. Tous ces cadavériques contestataires au milieu desquels Sollers dépareille de moins en moins avec le temps.

Je vous conseille néanmoins d'entendre le débat au sein duquel, une fois de plus, Finky brille particulièrement même s'il n'intervient pas beaucoup.

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13/06/2009

JEAN-RENÉ HUGUENIN

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podcast
Podcast volé sur le site des Contrebandiers

 

"Vu hier après-midi Ph. Sollers. Nous avons parlé de choses tellement importantes et intimes
(« passion-détachement ») que tout à coup, d’un accord tacite, nous nous sommes arrêtés, à la fois humiliés, heureux et effrayés d’une telle ressemblance. Mais sa passion se contemple trop elle-même. Elle n’est pas assez incarnée, héroïque. La mienne repose sur le sacrifice, la sienne sur le plaisir - il a le sacrifice en horreur. Il lui manque quelque chose, un poids, du tragique, un rêve, son intelligence éclaire tout, elle ne respecte pas ces grands repaires d’ombre où notre mystère se tapit, il explique trop ; il n’inquiète pas. Il est lisse et lumineux, et on a l’impression que son bonheur ne cache pas de blessures, c’est un bonheur propre et sans charme, dur comme un bonheur d’enfant. J’aime mieux les êtres qui saignent. J’aime les forts, bien sûr, mais pas tout à fait les forts. J’aime les forts au regard tremblant tremblant d’amour. ..

- Quand je pense que j’ai à peu près complètement perdu quatre mois de ma vie, le tiers de toute une année, peut-être le centième de mon existence, j’ai le vertige.

- Que je suis devenu lourd et lent à m’émouvoir ! Oh, retrouver la grâce de m’émerveiller d’un rien ! Comment ai-je pu à ce point me trahir, oublier ma passion de la noblesse, me vulgariser, c’est-à-dire me mettre à la portée de tous - car tout le mal vient de là, pas de bonheur qui ne soit singulier, pas de joie sans refus monstrueux.

Je suis plus que jamais persuadé d’une chose : on ne peut pas à la fois aimer et être faible. « Nulle grandeur qui n’inspire la terreur, dit Nietzsche. Qu’on ne s’y laisse pas tromper ! »

- « Se constituer par toute espèce d’ascétisme une réserve de puissance et la certitude de sa force » (N.) "

JEAN-RENÉ HUGUENIN, Journal

 

"À quoi bon les rejoindre ? Qui l’attendait ? Il était seul. Simplement, la présence des autres, leurs questions et leurs cris lui dissimulaient parfois sa solitude, formaient entre elle et lui comme un écran dont il éprouvait à cet instant la transparence et l’irréalité. Une force douloureuse le traversa, il pivota lentement sur lui-même - les rochers déchiquetés, noirâtres, le phare lointain, la lande noyée, les moutons, les rochers - et il lui sembla faire d’un seul regard le tour de toute la terre. « Personne n’existe », murmura-t-il. 

Un chien noir, le museau rasant le sol, suivait une odeur dans la lande ; il disparut quelques secondes derrière un rocher isolé, pareil à un moine en prière. Lorsque Olivier se retourna, une traînée de soleil traversa les nuages et répandit sur les flots une lumière blême. Il eut faim, sans savoir de quoi, il lui sembla grandir, devenir lumineux lui-même, le vent coulait dans ses veines et il sentait battre son cœur… Mourir était impossible. Il ne souhaitait rien, il n’avait rien à perdre, il était libre.
   Le soleil s’éteignit."

JEAN-RENÉ HUGUENINLA CÔTE SAUVAGE

 

"Ne plus hésiter, ne plus reculer devant rien. Aller jusqu'au bout de toute chose, quelle qu'elle soit, de toutes mes forces. N'écouter que son impérialisme."

JEAN-RENÉ HUGUENINJournal

 

"On ne connaîtra jamais de moi-même que ma soif délirante de connaître. Je ne suis que curieux. Je scrute. J’explore. La curiosité c’est la haine. Une haine plus pure, plus désintéressée que toute science et qui presse les autres de plus de soins que l’amour - qui les détaille, les décompose. Me suis-je donc tant appliqué à te connaître, Anne, ai-je passé tant de nuits à te rêver, placé tant d’espoir à percer ton secret indéchiffrable, et poussé jusqu’à cette nuit tant de soupirs, subi tant de peines, pour découvrir que mon étrange amour n’était qu’ une façon d’approcher la mort ?"

JEAN-RENÉ HUGUENINLA CÔTE SAUVAGE

 

 

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28/05/2009

Saint Nihilisme

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Michel Onfray l'avait évoqué ici, et s'en prendre à sa Sainteté Sartre fait encore grincer pas mal de dents, surtout lorsque cela provient de la gauche. Mais je découvre chez Scheiro un texte de Peter Slöterdijk qui enfonce définitivement le clou. Onfray et Slöterdijk, tous deux de gauche et fins lecteurs de Nietzsche. Guère surprenant. 

"Sartre était le maître-penseur d’une gnose sadique illuminée par la conviction qu’il n’existe rien entre le ciel et la terre qui ne mérite d’être nié. A la lumière de ce diagnostic, on comprend pourquoi la pensée contemporaine ne peut tout simplement plus progresser sur le chemin de Sartre. On a ouvert un nouveau chapitre dans le roman de la négativité. Sur ses premières pages, on rencontre des concepts sur lesquels le grand professeur de la liberté n’avait pas grand-chose à dire : écosystèmes, réseaux, multitudes, atmosphères, mécanismes cybernétiques. Les termes cardinaux de l’ère postsartrienne sont non pas révolution, mais émergence, non pas refus, mais rattachement et transformation. La science actuelle a rompu avec l’idéologie sartrienne du monde muet et absurde. Nous savons à présent que tout parle et nous pouvons l’entendre dès que nous interrompons le monologue du sujet autiste. La conscience pure a fusionné avec le scintillement tranquille des écrans à cristaux liquides. Les choses et les hommes forment de nouvelles communautés, au-delà de la bourgeoisie et du prolétariat. Il y a longtemps que la société du vécu a ôté à la critique le mot de la bouche. Mieux : la consommation elle-même est devenue la critique et l’anéantissement des choses. La seule à ne pas être encore au chômage, c’est la nausée."

Extrait de l'article, "Le Grand Négateur", que vous pouvez trouvez sur l'autre site de Scheiro.

 

Alexandre Arnoux, traducteur de Goethe et de Calderón, a dit : "Qui t'autorise à parler de l'absurdité d'un monde auquel tu ne peux comparer nul autre."

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"Nous sommes déjà au ciel" de Giordano Bruno

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Nous sommes déjà au ciel

de Giordano Bruno

"Au sein de l'infini nous ne serions
ni le centre ni le pouvoir
ni l'oie ni l'œuf

Nous, qui n'avons pas décollé du sol
nous, qui haïssons la vérité
qui la pourchassons comme le diable
qui la lapidons en masse
et l'expatrions

Nous, qui décidons
qui s'adressera à l'opinion publique
et comment sera décrite la "réalité"
pour écouter en retour
— du moins tant que nous sommes en vie —
ce qu'il nous convient d'entendre.

Le Soleil doit tourner
le ciel doit être inaccessible
la Terre, sage.

Celui qui prescrit les commandements divins
saura composer aussi ceux des mortels
les interdits sont la condition sans laquelle on n'accède pas
au Sénat, à l'Autel, au Lit
à la Science et à l'Art
peu importe l'exactitude

L' « Âge d'or » ou l'avenir
en réalité, ne nous intéressent pas
et tout ce qui est prospère,
nous l'entasserons, si nécessaire,
sur un bûcher et nous le brûlerons
 « nous agirons avec douceur et sans verser de sang »
la Place rouge est, de toute façon, rouge de fleurs
la Renaissance est un prétexte pour les hérétiques
mais elle se moule dans l'ordre domestique de l'Inquisition
dans notre diabola permise et officielle
notre perversité et notre goût de l'Anathème

Nous sommes certes petits et mortels
nous tournons sans cesse
autour de nous-mêmes et autour du Soleil
et le monde est un Infinito inconnu

Mais nous avons au moins notre propre enfer
et nous choisissons qui nous allons tuer !"

 

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20/05/2009

Michel Onfray Vs Jean-Paul Sartre

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"UNE PHILOSOPHIE DE COUR DE RÉCRÉATION

Dans la Critique de la raison dialectique, Sartre théorise une bonne violence qui est réponse à la mauvaise violence. Ses analyses font aujourd’hui la loi dans l’esprit d’une partie de la gauche de ressentiment piaffant d’impatience à l’idée de donner libre cours à la pulsion de mort. Le philosophe analyse la Terreur et considère qu’elle est « contre violence » à la violence imposée par la société, l'État, la monarchie, un régime, et qu’en tant que telle, elle est légitime. Ce sophisme bien digne de l'Ecole Normale Supérieure ne me semble pas très digne de la philosophie…

Car ce que Sartre se contente de faire, dans son habituel salmigondis phénoménologique dopé à la corydrane et allongé d’amples rasades de whisky, c’est d’envelopper dans le brouillard conceptuel de la corporation la justification et la légitimation de l’habituel comportement des cours de récréation (« c’est pas moi qui ai commencé… »), celui du violeur (« elle m’avait aguiché »), celui du mari qui frappe sa femme (« elle refusait de m’obéir »), sinon celui du délinquant adepte du fusil à pompe pour régler un problème d’intersubjectivité (« il m’a provoqué en me regardant de travers »).

Or, depuis que le monde est monde, l’humanité se constitue par l’arrachement à la nature. La philosophie est l’art difficile de sublimer notre animalité. Le néocortex différencie l’homme de la bête. Tous deux ont en commun un cerveau reptilien qui, si on ne l’en empêche pas, fait la loi en répondant à la violence par la violence. Sartre passe par dessus le néocortex qu’il néglige et parle au cerveau reptilien des mammifères. Il croit bourgeoise la matière grise et révolutionnaire l’impulsion nerveuse…

Dès lors, il peut bien justifier la peine de mort pour des raisons politiques, la séquestration de patrons, les tribunaux révolutionnaires expéditifs, il peut regretter que la Terreur n’ait pas fait assez de victimes en 93 sous prétexte que nous n’en serions pas là aujourd’hui, fonder philosophiquement le camp de concentration, pourvu qu’il soit de gauche, qu’on peut, qu’on doit même, abattre un homme s’il est un colon, détruire un innocent dans les rues d’Alger si le poseur de bombe a pour objectif la libération de son pays, justifier les massacres commis par les palestiniens dans les années 70 : il s’agit à chaque fois d’une bonne violence, car elle répond aux mauvaises violences bourgeoises, patronales, capitalistes, libérales, coloniales, sionistes.

Si le philosophe met son talent, sinon son génie, et Sartre en avait, y compris dans le mal, au service de ce qu’il y a de plus bas en l’homme (les passions tristes : l’envie, la haine, la jalousie, la vengeance, le ressentiment, le talion, la méchanceté…) alors il contribue à la violence qu’il prétend combattre. Il dit en vouloir la fin, mais il en accélère le triomphe et en assure la pérennité. Jadis Albert Camus s’opposa à cette légitimation de la violence : Sartre traita Camus au fusil à pompe, ce qui fut bien dans l’esprit de l’éthologie, mais nullement dans celui de la philosophie."

Michel Onfray, La Chronique Mensuelle de Michel Onfray -- N° 46 - MARS 2009

 

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17/05/2009

Malraux, à propos de l'Islam

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La nature d’une civilisation, c’est ce qui s’agrège autour d’une religion. Notre civilisation est incapable de construire un temple ou un tombeau. Elle sera contrainte de trouver sa valeur fondamentale, ou elle se décomposera.

C’est le grand phénomène de notre époque que la violence de la poussée islamique. Sous-estimée par la plupart de nos contemporains, cette montée de l’islam est analogiquement comparable aux débuts du communisme du temps de Lénine.

Les conséquences de ce phénomène sont encore imprévisibles.

A l’origine de la révolution marxiste, on croyait pouvoir endiguer le courant par des solutions partielles. Ni le christianisme, ni les organisations patronales ou ouvrières n’ont trouvé la réponse. De même aujourd’hui, le monde occidental ne semble guère préparé à affronter le problème de l’islam. En théorie, la solution paraît d’ailleurs extrêmement difficile. Peut-être serait-elle possible en pratique si, pour nous borner à l’aspect français de la question, celle-ci était pensée et appliquée par un véritable homme d’État.

Les données actuelles du problème portent à croire que des formes variées de dictature musulmane vont s’établir successivement à travers le monde arabe.

Quand je dis « musulmane », je pense moins aux structures religieuses qu’aux structures temporelles découlant de la doctrine de Mahomet. Dès maintenant, le sultan du Maroc est dépassé et Bourguiba ne conservera le pouvoir qu’en devenant une sorte de dictateur. Peut- être des solutions partielles auraient-elles suffi à endiguer le courant de l’islam, si elles avaient été appliquées à temps. Actuellement, il est trop tard !

Les « misérables » ont d’ailleurs peu à perdre. Ils préféreront conserver leur misère à l’intérieur d’une communauté musulmane. Leur sort sans doute restera inchangé. Nous avons d’eux une conception trop occidentale. Aux bienfaits que nous prétendons pouvoir leur apporter, ils préféreront l’avenir de leur race. L’Afrique noire ne restera pas longtemps insensible à ce processus. Tout ce que nous pouvons faire, c’est prendre conscience de la gravité du phénomène et tenter d’en retarder l’évolution.


André Malraux, juin 1956.

 

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13/05/2009

Gabriel Matzneff : A propos des émeutes

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Chronique de Gabriel Matzneff, mise en ligne sur son site en Novembre 2005, à propos des meutes de chiens émeutes de banlieues. Piquant...

 

A propos des émeutes

25 Novembre 2005

Petit-fils et fils d’émigrés russes, je m’interroge sur les émeutes qui ont ces dernières semaines enflammé notre pays, sur cette haine de la France qui anime certains des jeunes manifestants, sur la difficulté de s’intégrer dont se plaignent les autres, eux aussi, fils et petits fils d’émigrés.

Je note au passage que jadis on disait les émigrés et qu’aujourd’hui, pour désigner la même catégorie de la population, les journalistes utilisent plus volontiers le mot d’immigrés. Pour ma part, je préfère dire « émigrés ». J’y suis habitué depuis l’enfance, et en outre ça sonne mieux.

Entre les deux guerres, c’est-à-dire dans les années 20 et 30, les étrangers qui émigrèrent en France, qu’ils fussent russes, ou italiens, ou arméniens, ou grecs, connurent, eux aussi, la misère, les logements insalubres, la xénophobie. A l’époque, il n’y avait ni les allocations familiales, ni la sécurité sociale, ni le RMI, ni le SMIG, et les conditions de vie étaient beaucoup plus difficiles qu’elles ne le sont aujourd’hui. Et si certains de ces exilés parlaient le français, l’immense majorité n’en savait pas le moindre mot, beaucoup moins encore que les émigrés d’aujourd’hui, issus des ex-colonies francophones d’Afrique.

Oui, une grande pauvreté. Voilà quelques années, nous célébrâmes le jubilé de la paroisse des Trois-Saints-Docteurs, rue Pétel, dans le XVème arrondissement de Paris. A cette occasion le métropolite Antoine Bloom, cet évêque si souvent présent dans mon journal intime et qui m’a inspiré le personnage de Théophane dans Isaïe réjouis-toi, évoqua son adolescence (il était alors âgé de dix-sept ans), ces premières années d’exil en France :
« Ce fut une période d’extrême misère. Cinq moines vivaient dans des cellules vétustes, l’argent manquait même pour se procurer de la nourriture. Le soir, on pouvait voir le vieil évêque Benjamin, couché sur le sol, enroulé dans sa cape de moine ; dans sa cellule, sur sa couche, il y avait un mendiant, sur le matelas un autre mendiant, sur le tapis un troisième ; pour lui, il n’y avait pas de place. »

Aujourd’hui, on s’émeut de la pauvreté des mosquées, mais à l’époque, croyez-moi, personne en France ne s’émouvait de la misère des chrétiens orthodoxes. Les gens n’en avaient rien à foutre.

Les jeunes beurs, les jeunes Noirs souffrent de la xénophobie française ? Je les prie de croire que les émigrés de la génération de mes grands parents, Russes, Grecs, Italiens, Arméniens confondus, en ont souffert, eux aussi. Quatre ans avant ma naissance, un Russe blanc nommé Gorgouloff a assassiné le président de la République française, Paul Doumer. Imaginez un instant qu’un Arabe ou qu’un Black émigré en France assassine Jacques Chirac, et vous aurez une idée de ce que pouvait être alors l’atmosphère concernant les étrangers avec des noms en off, en eff, en ine ou en ski.

Les conditions générales étaient donc extrêmement défavorables aux émigrés et à leurs enfants. Néanmoins, chez ceux-ci, qu’ils fussent arméniens, italiens, grecs ou russes, on observait un désir d’utiliser tous les moyens que la France mettait à leur disposition – l’école, le lycée, l’université – pour échapper à la pauvreté, à l’exclusion, pour gravir les échelons de la société. Il existait chez ces jeunes d’origine étrangère un grand appétit de connaissances, un désir de faire de bonnes études et aussi chez la plupart d’entre eux un réel amour de la France, un sentiment de gratitude envers la France qui les avait, nolens volens, accueillis, et le nombre d’entre eux qui durant la Deuxième Guerre mondiale s’engagèrent dans l’armée du général Leclerc, ou à Londres auprès du général de Gaulle, ou dans la Résistance, en témoigne magnifiquement.

Après la Libération, les enfants d’origine étrangère qui étaient comme moi nés en France, qui avaient la nationalité française, se rendaient bien compte qu’ils n’étaient pas semblables aux petits Dupont et aux petits Durand. Cela ne les dérangeait pas excessivement, même si porter un nom à coucher dehors, difficile à prononcer, qu’il faut toujours épeler peut à la longue être pour un enfant une source d’humiliation, de malaise. Cela ne les empêchait pas de faire de bonnes études, de lire La Fontaine et Alexandre Dumas, de voir les films de Marcel Carné et de Jean Renoir, d’aller au Louvre et au Palais de la Découverte.

La question que je me pose est : pourquoi, contrairement aux adolescents d’origine italienne, ou russe, ou arménienne, ou grecque (pour ne rien dire des émigrations plus récentes, l’espagnole, la portugaise, l’asiatique), ces garçons d’origine africaine traînent-ils toute la journée, ne s’intéressent-ils à rien, s’ennuient, semblent n’avoir aucune curiosité intellectuelle, aucune soif d’apprendre, de s’instruire, de lire de beaux livres ? Mystère et boule de gomme.

Ce n’est pas tout à fait exact, car j’ai un début d’explication. Lorsque j’étais enfant et adolescent, personne ne me parlait de la République, des valeurs républicaines, de l’engagement « citoyen ». Personne ne me parlait cet abstrait et ridicule charabia. On se bornait à me parler de la France et de l’amour de la France, c’était suffisant. Le baragouin idéologique et politiquement correct à la mode est si répugnant qu’il peut en effet donner aux plus pacifiques d’entre nous la soudaine envie de brûler des voitures.

Gabriel Matzneff
Automne 2005

Source

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12/03/2009

Lecture Nocturne

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« Le Pen et ses séides auront fait plus de mal à la Civilisation européenne que les socialistes et les communistes tous ensemble réunis !

Ils ont condamné toute défense des valeurs occidentales à être immédiatement comparée aux bravades de ce Mussolini de Saint-Cloud, ils ont rabaissé la Geste des Croisés francs au niveau des gesticulations hystériques de quelques skinheads supporters du PSG, ils ont condamné la France à ne plus avoir aucune alternative.

Ils savaient probablement ce qu’ils faisaient. Ce qui les rend deux fois plus coupables.

Une des portées les plus décisives de l’élection présidentielle de 2002 et de ses résultats de république bananière, c’est de démontrer une fois pour toutes que le libéralisme et le socialisme, avec tous leurs avatars, ne représentent qu’une seule voie, que Le Pen et ses éructations antisionistes et antiaméricaines représentent la seconde, soit une variante "extrémiste" de la première, et que la Troisième Voie, par conséquent, et comme toujours en ce pays, reste parfaitement introuvable. »

American Black Box, Maurice G. Dantec

 

Rien à rajouter à ces lignes. Je tire sur ma cigarette. Avale mon thé vert à 2h41 du matin en écoutant le live de Robin Trower du 18 octobre 1977 enregistré à New Haven, dans le Connecticut, USA, pour une émission de radio, King Biscuit Flower Hour. Juste à côté du livre de Dantec le livre d’une jeune poétesse, Arielle Monney qui a signé quelques poèmes lumineux sous le nom d’Aldebaran, avant de mourir à 16 ans tout juste passés : « La mort est ce jardin où je m’éveille » 1957-1975. Une courte vie qui lui a permis tout de même d’écrire des choses comme celle-ci :

 

"Soleil

 

Je repose sans la voir

sur une métamorphose

perpétuelle.

au fond de mon âme se renouvellent

des phrases impossibles malgré moi

et le soir me semble

un soleil."

 

Ou celle-là :

 

"Recherche

 

les châteaux sont en démolition

je cherche un ligne réelle

verticale

                        puissante et agressive

une ligne qui m’aide à vivre

et à combattre

les châteaux les mers et les étoiles

sont en démolition

je veux une ligne

seule immense et noire.

 

            27 mai 1974."

 

Ou bien ça encore :

 

           tu sais le feu

                        qui est le vent

            tu sais le jour

                        qui est la nuit

            tu sais la nuit

                        qui est le vent

            tu sais le feu

                        qui est la mer

            tu sais la mer

                        qui est la nuit

            tu sais la nuit

                        qui est le jour

            tu sais le jour

                        qui est le vent

tu sais le silence qui est l’écume

tu sais l’écume qui est la mer

            tu sais la mer

                        qui est le jour

            tu sais le jour

                        qui est le vent

et le jour qui fut d’écume

            fut la nuit

                        qui est silence.

 

            1er novembre 1974.

 

(si je ne parle de mort

je l’écoute. elle tremble

en moi et elle viendra.)"

 

Paru aux éditions Collection Sud avec une préface de Jean Joubert. Je ne sais rien d’elle. Mais cette adolescente qui écrit comme une nécessité première m’émeut au plus profond et me soigne. Le vide du monde, elle le remplit avec son énergie qui traverse sa propre mort. Elle est plus vivante que tous les lepénistes ou anti-lepenistes qui marchent, sans le savoir, main dans la main. Face à toute la farce consensuelle ambiante, mondialiste, altermondialiste, européiste, nationaliste, politico-jeanfoutiste, reste le verbe, les mots qui ne sont nullement pour moi (comme ils le furent pour Sartre) l’enfer de l’absurde, mais une possibilité de sortie hors la nasse de la médiocrité socio-politique. Née le 6 décembre 1957 et morte le 25 février 1975 elle écrivait le 23 février 1975 son dernier poème :

 

la terre grise.

le jour pâle.

l’enfant aux yeux tristes

lentement regarde

le grand renoncement du jour

qui s’achève

parmi le si grand calme du paysage.

monotone.

la terre n’est qu’un espace

le jour si pâle n’a plus d’ombre.

            l’enfant aux yeux si graves

            lentement regarde

la mort de l’arbre

la mort d’un rêve

            ou d’un songe

parmi le si grand calme du paysage.

monotone.

            l’enfant triste et grave

            lentement regarde

            la fin des herbes folles

            et du grand voyage

            lentement regarde

            l’ombre de l’arbre qui s’achève

parmi le grand renoncement

            du jour

            et la fin

            d’un espace.

 

            23 février 1975.

 

            dernier poème.

 

Cette sublime pureté. Cette ligne simple. Ce souffle limpide. Cette eau calme et cristalline. Cette acceptation. Cette haute conscience de sa carne, de son espace et de ses phrases qui disent ce temps précis déjà hors le temps lui-même. Ce sentiment que j’ai qu’elle est sauvée par-delà sa mort. Elle me purifie de mes déchets, de mes doutes, de mes turpitudes. Cette enfant condamnée avec son écriture. Elle me rappelle que moi, comme nous tous, suis condamné aussi.

 

 

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21/02/2009

Insaisissable Bernanos

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Paul Valéry : "L’homme moderne est l’esclave de la Modernité : il n’est point de progrès qui ne tourne pas à sa plus complète servitude."

 

Bernanos. Le voici, l'obsédé de Dieu, l'angoissé de vérité. Dans "Journal d'un curé de campagne" il trouve Dieu en toute chose, en tout lieu, même dans le cancer qui ronge le curé, même dans l'absurde qui le dévore, même dans la course pour aller conquérir les cœurs fermés de rudes campagnards aveugles à leur bonne fortune qui préfèrent s'adonner à la banalité du Mal. En tant que concerné, avec sa fibre militante, il ne trouve la vérité nulle part. Là où d'autres se seraient satisfaits de la posture idéologique convenable par rapport à un maître, Maurras, ou par rapport à un engagement, la Monarchie, lui quitte les Camelots du Roy pour conspuer les franquistes et après avoir pris le parti de la résistance avec De Gaulle comme héraut il devint après la libération, tout naturellement, antigaulliste. De Gaulle fut, dans son adolescence naissante, son compagnon d'études, à Paris, chez les Jésuites, au collège de Vaugirard. Il refusa par trois fois la légion d'honneur et composa en une dizaine d'années ce qui me semble être de plus en plus une œuvre majeure du vingtième siècle qui fait encore sens de nos jours. Il eut même le toupet d'épouser Jeanne Talbert d'Arc, descendante en droite ligne d'un frère de Jeanne d'Arc. Le déterminé qu'il est s'inscrit dans cette volonté d'aller jusqu'au bout de ses questions dans ce cadre de sa Foi qui lui indique la bonne démarche. Il est plein d'Espérance et d'affectueuse Charité. "Felix qui potuit rerum cognoscere causas !" Heureux celui qui a pu pénétrer le fond des choses. Conviction ou illusion ?


Il y a une indocilité chez Bernanos, qui le place aussitôt chez les francs-tireurs, les inclassables. Sa vérité est une convulsion qui ferait passer celle des surréalistes pour un jeu du langage, une fantaisie de l'esprit. Bernanos est dans le concret des carnes. Il se veut chrétien jusqu'à la fin. Et s'il ne parvient pas à toucher les âmes avec La Parole de Dieu, au moins cherche-t-il à s'y perdre. Dans "la douce pitié de Dieu". Il y a un fort sentiment d'honneur chez Bernanos, à une époque qui annonce celle d'aujourd'hui, précisément une époque où l'honneur n'a plus lieu d'être, se présentant comme un simple orgueil stupide, une fierté mal placée chez les plus têtus, ou comme une vieille valeur poussiéreuse chez le plus grand nombre. L'écrivain disait de lui : "J'ai été élevé dans le respect, l'amour, mais aussi la plus libre compréhension possible, non seulement du passé de mon pays, mais de ma religion. Comprendre pour aimer, aimer pour comprendre, c'est bien là, probablement, notre plus profonde tradition spirituelle nationale, c'est ce qui explique notre horreur de toute espèce de pharisaïsme. Dans ma famille catholique et royaliste j'ai toujours entendu parler très librement et souvent très sévèrement des royalistes et des catholiques. Je crois toujours qu'on ne saurait réellement "servir" - au sens traditionnel de ce mot magnifique - qu'en gardant vis-à-vis de ce qu'on sert une indépendance de jugement absolue. C'est la règle des fidélités sans conformisme, c'est-à-dire des fidélités vivantes." Nous pouvons remercier ses parents d'avoir planté en lui cette confiance sereine en la Liberté lorsqu'elle est structurée par les mêmes valeurs qui ont contribué à faire émerger toute une civilisation. Car il y a un sens du passé, chez Bernanos, et non pas un sens "passéiste". La nuance, voyez-vous, est de taille. D'où des contradictions et des extravagances. Sa seule mesure, son unique modération est celle de Dieu. Tout ce qui s'inscrit en contre-sens de l'attente de la Présence n'est pas à considérer. Et pourtant, il lui faut vivre dans un temps qui préfère enivrer les esprits pour affaiblir les corps. Il lui faut traverser les morts de 14-18, puis le défaitisme de 39-45, les vociférations des traîtres de Vichy.

"J'ai fait la guerre de 1914, engagé volontaire, comme simple caporal, c'est-à-dire dans une familiarité et une fraternité quotidiennes avec mes camarades ouvriers et paysans. Ils ont achevé de me dégoûter pour toujours de l'esprit bourgeois. Ce n'est pas la misère ou l'ignorance du peuple qui m'attire, c'est sa noblesse. L'élite ouvrière française est la seule aristocratie qui nous reste, la seule que la bourgeoisie du XIX e et du XX e siècle n'ait pas encore réussi à avilir."

Voilà qui est définitivement terminé et Bernanos le pressens déjà il y a 60 ans lorsqu'il écrit "La France contre les robots".

La rébellion, chez Bernanos, est une vertu cardinale, une vertu chrétienne. Un chrétien soumis aveuglément aux fortes personnalités n'est qu'un idolâtre qui s'ignore. Ce qui a lassé bien des proches autour de lui quand il a rompu avec Maurras ou avec De Gaulle en gardant la tête haute. Si on peut trouver de fortes résonances entre Bernanos et Bloy, Clavel (me dit-on, que je n'ai pas lu) et Boutang (me dit-on de même, que je n'ai pas lu non plus), je me demande quelle est la postérité de cet écrivain ? Mes mises en parallèle entre Bernanos et Houellebecq (ici et ) ne sont pas une audace immodérée, il se trouve juste que je lis les deux livres en même temps, l'un de jour, l'autre le soir, et que je trouve saisissant que le premier prophétise et que le deuxième fasse vivre ses personnages dans l'angoisse et le vide prophétisés par le premier. En vérité, ce qui semble le grandir, c'est qu'il n'a pas d'authentiques postérité, quelques pâles imitateurs ou décortiqueurs de textes qui leurs font dire ce qui arrange. La récupération est une force évidente pour le colosse aux pieds d'argile qui nous mène au doigt et à l'oeil.

Bernanos marche contre le vent. Il tient tête à la bêtise et analyse les choses, les faits, les actes à leur racine. Polémiste, il extirpe du passé tout ce qui doit être montré au grand jour de notre temps pour nous en faire comprendre la signification. Romancier, il scrute les âmes et décharne les corps pour les rendre visibles selon des angles insoupçonnables. Dans les deux cas il est en dehors des sentiers, là où on ne l'attend pas, avec une humanité prégnante qui ne demande qu'à accoucher d'un avenir plus conforme à sa constitution. Choses oubliées sous le soleil de Satan. Les chemins ravinés sont difficiles d'emprunt, c'est une guerre que d'y avoir accès et d'en revenir pour dire ce qu'il y a à dire. Et c'en est une autre encore que de se faire entendre dans la tourmente qui est la nôtre depuis le début du XX e siècle. Gaëtan Picon a écrit un des premiers livres consacrés à l'écrivain en 1948, "Bernanos, L'impatiente Joie". Beau sous-titre. Il écrit : "A travers les redites et les négligences du texte, cependant, une voix perce, passe, magnifique, nous frappe en plein cœur. Le pathétique, l'éloquence naturelle de cette voix, nul ne les conteste. Mais quelques-uns s'étonnent de l'audience qu'elle rencontrait. Mais quelques-uns s'étonnent de l'audience qu'elle rencontrait. Car l'autorité de Bernanos excédait de beaucoup celle de la foi religieuse et politique dont il était le héraut. Que Bernanos fût écouté par ceux-là mêmes qui ne partageaient ni sa croyance en une rédemption surnaturelle ni sa nostalgie d'un passé traditionnel - qui l'ait été, parfois, par ceux-là plus que par les autres -, que sa parole, sans effort, se soit élevée à une sorte d'autorité élémentaire et universelle : voilà le mystère, voilà le scandale". Mystère et scandale, probablement pour Sartre et Beauvoir qui voyaient dans "Journal d'un curé de campagne" une oeuvre de première importance, une description au scalpel (comme l'aurait peut-être signalé Nietzsche) de notre funeste condition dont nous nous battons pour en maintenir une signification digne de ce nom. Gaëtan Picon écrivait, dans un autre livre, consacré à Nietzsche ("Nietzsche, la vérité de la vie intense") : "Définir la philosophie de Nietzsche par la liaison étroite qu'elle établit entre la connaissance et l'existence, par la corrélation qu'elle maintient d'un bout à l'autre entre la qualité de la pensée et la qualité de la vie, c'est sans doute l'atteindre dans sa tendance constitutive, rejoindre sa direction la plus personnelle. On peut définir la pensée de Nietzsche tout entière par la conception du jugement de valeur qu'elle inclut. Son originalité consiste à ne jamais dissocier le jugement de valeur du jugement de vérité. La valeur recouvre toujours un fait réel : une illusion ne peut jamais être la source d'une valeur. Et, puisque ne valent que les faits, seule la pensée exacte, respectueuse des faits, peut fonder une forme valable de l'existence. Chez Nietzsche, la vérité, que la théorie de la connaissance garantit, devient, dans la théorie de la culture et, plus largement, de l'existence, le principe des jugements de valeur." Le hasard m'a fait tomber sur ce passage et il suffit de remplacer le nom de Nietzsche par celui de Bernanos pour réaliser à quel point les deux hommes sont frères par-delà leurs différences. Mais le hasard existe-t-il ? Car Bernanos a bien compris qu'il y a des lanternes et qu'il y a des vessies, comme le philosophe allemand l'avait compris en son temps. Gaëtan Picon affirme à propos de Bernanos : "Dans chaque livre le voyageur qui toujours s'égare sur les routes nocturnes parmi les haies, les chênes tordus, les flaques ou l'on glisse (...) : et arrive ce moment où l'on tombe, où l'on croit mourir, pour se réveiller à la lueur d'une lanterne inconnue." Et Bernanos l'indique clairement dans "La France contre les robots", les clignotements faussement lumineux de la politique le dégoûtent, car une nouvelle tyrannie se prépare en laquelle se fonderont toutes les tyrannies pour, avec le masque de la douceur et de la mansuétude, venir nous câliner comme une putain. Jean-Luc Nancy dans "Le Sens du monde" (Galilée, 1993, p. 11) écrit : "Il y a, chez les femmes et chez les hommes de ce temps, une manière plutôt souveraine de perdre pied sans angoisse, et de marcher sur les eaux de la noyade du sens. Une manière de savoir, précisément, que la souveraineté n’est rien, qu’elle est ce rien dans lequel le sens, toujours, s’excède. Ce qui résiste à tout, et peut-être toujours, à toute époque, ce n’est pas un médiocre instinct d’espèce ou de survie, c’est ce sens-là." Car comment s'interdire, à la lecture de "La France contre les robots" de songer au "dernier homme" chez Nietzsche encore, qui cligne des yeux devant "la vache bariolée" sans plus se poser de question mâchant sobrement ce qu'on lui ordonne de mâcher et n'en parlons plus. A croire que l'homme a honte d'être un homme, que ce fait est un problème en soi, le premier qui soit. Gilles Deleuze et Félix Guattari écrivent dans "Qu’est-ce que la philosophie ?" : "La honte d’être un homme nous ne l’éprouvons pas seulement dans les situations extrêmes décrites par Primo Levi, mais dans des conditions insignifiantes, devant la bassesse et la vulgarité d’existence qui hante les démocraties, devant la propagation de ces modes d’existence et de pensée-pour-le-marché, devant les valeurs, les idéaux et les opinions de notre époque. L’ignominie des possibilités de vie qui nous sont offertes apparaît du dedans. Nous ne nous sentons pas hors de notre époque, au contraire nous ne cessons de passer avec elle des compromis honteux. Ce sentiment de honte est un des plus puissants motifs de la philosophie. Nous ne sommes pas responsables des victimes, mais devant les victimes. Et il n’y a pas d’autre moyen que de faire l’animal (grogner, fouir, ricaner, se convulser) pour échapper à l’ignoble : la pensée même est parfois plus proche d’un animal qui meurt que d’un homme vivant, même démocrate." Conformiste, docile et moutonnier, oisif de la pensée, voici pour Nietzsche comme pour Bernanos le terme d'un long processus de dégénérescence d'une humanité shootée aux narcotiques que sont les valeurs démocrassouillardes et chrétiennes et qui n'ont plus rien de démocratique et de chrétiennes si on y regarde de plus près. Comme l'écrit Gilbert Keith Chesterton, dans ce qui fut un Best Seller, "Orthodoxie" : "Le monde moderne est envahi de vieilles vertus chrétiennes devenues folles." Et cet homme régnant, ou plutôt qui ne règne sur rien, est l'homme le plus méprisable, celui qui s'est renié et, par là, qui a tout renié d'un revers de la main, malgré les charniers, malgré les guerres, malgré les massacres qui ne s'arrêtent jamais. Il n'aspire plus qu'à une paix de vache, dans son jolie prés carré, avec la protection de clôtures électriques et l'assurance de regarder passer les trains. Une vache et un puceron. Un bâtard de la nature qui se satisfait juste de n'être qu'un sur-singe en nettement moins amusant. Cheetah, au moins, sait nous amuser. Le "dernier homme" n'apporte que le dégoût, avec ses espoirs politiques, son troupeau unique, son esprit grégaire, soumis, domestiqué. Pauvre Bernanos. Pauvre Nietzsche. Leur appel, leur hurlement dans le désert, dessus le gouffre dont tout le monde se moque. Mais aucun des deux n'est dupe, la naïveté n'est pas leur for intérieur. Dans "Ainsi parlait Zarathoustra", Zarathoustra, justement, après avoir tenté d'enseigner le Surhomme au peuple et constatant son échec fait éclore sous les yeux de la plèbe la figure humaine la plus abjecte et la plus avilissante afin de déclencher en elle le désir d'un autre type d'être :

"Il est temps que l’homme se fixe à lui-même son but. Il est temps que l’homme plante le germe de sa plus haute espérance.
Maintenant son sol est encore assez riche. Mais ce sol un jour sera pauvre et stérile et aucun grand arbre ne pourra plus y croître.
Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne jettera plus par-dessus les hommes la flèche de son désir, où les cordes de son arc ne sauront plus vibrer !
Je vous le dis : il faut porter encore en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. Je vous le dis : vous portez en vous un chaos.
Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne mettra plus d’étoile au monde. Malheur ! Les temps sont proches du plus méprisable des hommes, qui ne sait plus se mépriser lui-même.
Voici ! Je vous montre le dernier homme."

Et ne sachant plus se mépriser lui-même il se méprise effectivement plus que jamais. La foule rit de Zarathoustra et lui quémande :

"Fais de nous ces derniers hommes ! Et garde pour toi ton surhumain !"

Habité par cette "impatiente joie", Bernanos, malgré la tristesse qui le tenaille constamment, ne désarme pas, il veut garder confiance au moment où tout condamne sa confiance. Le monde techno-scientifique et économico-industriel dans lequel nous nous soumettons ne vise qu'une seule et unique chose : accroître l’autoproduction de l’humain, faire tomber le cash, vivre vite et mourir le plus tard possible, si possible avant la fin du monde. Demain les clones. L’homme ne se découvrant plus que dépendant que de lui-même (Dieu étant mort) est saisi d'angoisses, il bascule dans le nihilisme, espère trouver des idoles de replacement. Mais Dieu est seulement dans l’absence privative. Il mute. Le crépuscule des idoles est une promesse d'aurores nouvelles, sanglantes et factices. Le faux divin bien présent est en réalité une lourde et effroyable absence, sombre, menaçante et l'homme n'étant plus que l'ombre de lui-même quel refuge peut on choisir ? "L'homme est l' "abri" dont l'Être aurait lui-même besoin pour échapper à la détresse" écrit Heidegger. Mais le "dernier homme" n'est plus l'Homme en tant que tel, il en est un terrifiant amoindrissement. Et c'est de ce lieu de désolation où l'homme s'anéantit que surgira la rédemption, le lien avec ce qui importe vraiment, aussi il faut parler et dire l'essentiel acte de foi.

Tout comme Rembrandt introduit dans ses tableaux de cette Ténèbre et de cette Clarté qui ne sont pas de ce monde, l'Ombre et la Lumière de l'incompréhensible et impénétrable ontologie qui nous inquiète. "Le don magnifique de Bernanos, c'est de rendre le surnaturel naturel" écrit François Mauriac. Et Paul Claudel, dans la même veine mais plus précis : "Ce qui est beau, c'est ce sentiment fort du surnaturel, dans le sens non pas d'extranaturel mais du naturel à un degré éminent." Même dans un essai pamphlétaire comme "La France contre les robots" on sent bien en retrait, dans les interstices du labyrinthe, entre les lignes, la présence d'un souffle qui n'est pas de ce monde et que Bernanos parvient à rendre famillier, palpable. Car nous avons tous, à un moment ou à un autre, été ému par un instant unique, lorsque les conditions étaient réunies pour nous indiquer que cette place où nous nous trouvions n'était pas la nôtre. "J'écris pour me justifier" a dit Bernanos "aux yeux de l'enfant que je fus." Et aussi : "Rien ne m'a jamais poussé à écrire, sinon le besoin de retrouver le langage ancien." Et si le découragement peut saisir le lecteur lambda face à l'oeuvre qui semble sentir les vieilles nostalgies cléricales, il lui faudrait aller chercher plus loin, dépasser ses petites crispations qui exigent une lecture facile, n'est pas Dan Brown, Marc Lévy ou Lauren Weisberger qui veut. Dans "Journal d'un curé de campagne", le romancier a tenté de mettre à jour les croisements, les situations, les points d'achoppements si je puis dire, ces instants d'absolution, de rédemption où la vérité fondamentale, la vérité originelle rejoint l'heure ultime, l'instant de la fin. Dans "La France contre les robots", l'essayiste fait la même chose, en parcourant le suc de l'Histoire de France pour dire notre désastre actuel, au moment où tout semble fini, achevé et qui ne l'est point. L'Histoire, comme le lecteur, emprunte de tortueux chemins, aux abords des gouffres, pour cheminer vers une lumière possible, un Jardin d'oliviers, pour une transfiguration souhaitée. L'essayiste-pamphlétaire veut indiquer les symptômes, leurs maladives nervures qui se déploient de part en part de ce qui fut jadis la Création de Dieu et n'est plus que le souffreteux royaume du Diable. Le romancier s'efforce de sauver des âmes. Les larmes me sont venues à la lecture du "Journal d'un curé de campagne". Purge lacrymale. Il exige de ses lecteurs une capacité à mettre en cause le Salut de leur âme. Voilà. Le reste importe peu. Du reste, il ne souhaite pas être de la compagnie des gens de lettres. "Personne ne se voit moins que moi à travers la littérature. Personne n'a d'une équivoque hideuse une horreur plus vive..." Il est d'une autre interrogation, d'une respiration parallèle, et son interrogation est d'une telle force qu'elle parvient, selon le mot de Malraux dans sa préface au Journal, à révéler à l'agnostique cette part de divin qui habite en l'Homme, qu'il le veuille ou non. C'est un Sacerdoce, pour utiliser le langage qui convient, qui consiste à mettre à jour la Lumière et l'Ombre combinées, unies de l'enfance et de la mort, c'est la parole cédée aux Démons et au Christ qui s'affrontent et s'équilibrent, s'observent comme en un miroir les uns voyant l'autre et l'autre voyant ceux-là, comme l'avait, aussi, compris Bloy, dont ma découverte ne fait que commencer.

Dieu et Satan sont des révélateurs d'Ombres, ces lieux de perdition d'où surgit également la rédemption espérée, du sein de l'ambïguité et de l'indicible tâtonnement.

 

 

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