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23/06/2010

Défaite du Frankistan, victoire de la France.

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

Un peu de lecture, et vous allez voir, pas des moindres, dans la suite de la fiévreuse actualité qui colle au cul de l'Equipe Française de Football et de sa MONUMENTALE déconfiture. J'ai déjà dit tout ce que j'en pense en ces lieux, Didier Goux a commis un petit billet sympathique que je vous invite à aller lire... mais Didier lui-même signale le post (bien plus précis et tranchant que nos deux billets réunis) qu'a commis l'ami XP from ILYS... et que je vous invite à lire et à savourer de ce pas, toute affaire cessante, parce que Mister XP sait manier le fleuret et, là, il pète la forme le salaud.

 

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"Défaite du Frankistan, victoire de la France.

Le patriote français que je suis se réjouit tout naturellement de la défaite fracassante de l’équipe nationale de football du Frankistan, pareil à ce que toutes choses égales par ailleurs, les futurs compagnons de la libération se félicitaient du sabordage de la flotte française à Toulon, souhaitaient voir la France légale se prendre taule sur taule et devenir la risée du monde jusqu’au débarquement US et la libération du territoire par l’Etranger.

L’explosion en vol de son équipe nationale de balle au pied constitue un évènement majeur de la vie politique frankistanaise, tant elle devait lui servir d’appartement témoin tout autant que de village Potemkine. Or, si je crois la population de ce vieux pays bien trop pourrie et vermoulue pour que le moindre événement lui donne des envies de sursaut, je pense néanmoins qu’il s’est passé quelque chose de décisif : le village Potemkine s’est effondré sous les yeux d’un bon milliard d’occidentaux, et les Frankistanais auront beau répéter en boucle les explications que leur suggèrent leurs Maîtres, il n’empêche que de Rome à Moscou, nos frères de civilisation se marrent et n’ont pas fini de se marrer devant l’explosion chaplinesque de l’usine à gaz des Mongaullo-Souverainistes arrogants que nous subissons au pays… Ils ont vu la France qui gagne non seulement perdre et reperdre, mais aussi ses représentants se menacer les uns les autres, ouvrir publiquement la chasse au traître, se battre devant les caméras, se faire des doigts et se comporter sommes toutes comme on doit le faire dans les rues sombres de Bamako. Les jacobins peuvent d’ors et déjà remiser leurs panoplies de grands prêtres, ils sont désormais cantonnés dans l’ emploi de repoussoir et ne sont pas près de s’en voir confier un autre.

La propagande métissolâtre, nous allons encore la subir, mais nous saurons désormais être sous le joug de roitelets dérisoires qui par delà nos frontières serviront toujours plus de défouloir aux rieurs, de communistes albanais persuadés d’avoir raison contre tous et d’entraîner le monde avec eux, et bientôt, seule sa soeur de lait la poisseuse Belgique francophone continuera de trouver du charme à la vieille jacobine vérolée.

Ici, au Frankistan, les lois réprimant la liberté d’expression ne seront bientôt plus d’aucune utilité, et ce n’est même pas la peur du gendarme ou du papier bleu ni la crainte du bannissement social qui empêchent les gens de dire ce qu’ils voient de leurs yeux, car ils ne voient plus rien de leurs yeux et s’acharnent à enfiler des lieux communs avant même que le Moloch ne fronce les sourcils.

C’est ainsi qu’à propos de la débandade frankistanaise à la coupe du monde de football, on entend des âneries par paquets, et je me suis amusé à en recenser quelques-unes :

Les joueurs auraient été pourris par le fric...

Comme si les milliardaires argentins ou italiens se faisaient corriger balle au pied par des africains ou des coréens qui ne jouent que pour le drapeau...

Il manquait à cette équipe le sens du collectif...

Comme si tous ces joueurs n’avaient pas fait leurs classes et gagné leurs galons dans des clubs qui ne misent que sur leur individualisme et leur amour du fric.
Cette billevesée témoigne d’ailleurs plus généralement d’un attachement fétichiste et superstitieux en la croyance socialiste selon laquelle les plus belles réussites collectives seraient autre chose que des amoncèlements d’égoïsmes qu’on a eu la sagesse de ne pas contrarier ni engluer dans des projets collectifs à la con… la France ressemble à la chambre de la malade communiste de Good Bye Lenin, nous y coulons des jours crasseux dans un monde parallèle où les travailleurs des pays bourgeois fuient en masse vers la Roumanie ou la Pologne pour échapper à la misère tandis que la firme Coca-Cola se voit sauvée de la faillite par des soviets ne sachant plus quoi faire de leurs roubles, et nous croyons vraiment qu’une équipe qui gagne, c’est une équipe à laquelle on a insufflé l’amour du maillot.

Ces joueurs arrogants seraient les symptômes de ce qu’on ne se serait pas soucié de leur éducation...

Comme s’ils n’avaient pas fréquenté les rangs des écoles bien plus que Raymond Koppa, Platini, ta grand-mère ou la mienne, comme s’ils ne pouvaient s’endormir en comptant tous les éducateurs gauchiasses qu’ils ont croisés sur les stades depuis leurs premiers coups de pied...

Ils traineraient la pauvreté de leur milieu d’origine ou le déracinement de l’immigré à la semelle de leurs crampons, et c’est cela qui les rendraient asociaux...

Comme si Anelka, le plus tête à claques et le plus haineux d’entre tous n’était pas le fils de fonctionnaires de l’Education Nationale venus des Antilles françaises, soit sociologiquement un français de la classe moyenne et historiquement un français de vieille souche….. On ne dira jamais assez combien la sociologie et l’histoire sont des disciplines de seconde main…. Anelka nous le prouve par sa seule existence, lui qui nous démontre combien un Francais bien nourri, gâté par l’existence, dont la famille est enracinée dans une des régions les plus catholiques du pays et administrativement affiliée à lui depuis trois siècles va tout naturellement se lier davantage avec un arabo-musulman fraichement débarqué qu’avec un petit normand ou un alsacien, s’il n’est pas un européen ethnique...

On ne leur aurait pas inculqué l’amour du drapeau...

Comme si eux et nous n’en n’avions pas bouffé ad nauseam, de ce drapeau tricolore sensé nous endrapper tous ensemble et comme s’il n’existait pas des lois répressives interdisant ne serait-ce que de sous entendre que les français de couleur ne seraient pas forcément les plus beaux enfants de la République...

L’entraîneur de l’équipe aurait été mauvais...

Comme si ce genre d’erreur de casting pouvait provoquer autre chose qu’un banal échec dans une compétition telle que les plus prestigieuses équipes en essuient une fois sur trois, et comme si ces joueurs n’avaient pas perdu pour avoir tout naturellement transformé leurs vestiaires en galerie commerciale du 9-3.

Pour le dire d’une phrase, nous subissons et relayons une propagande totalitaire.
L’extraordinaire faillite de cette équipe démontre que nous avons été entraînés dans le délire d’un dément, en croyant faire surgir un peuple ex nihilo par l’engloutissement dans l’Education Nationale des sommes aussi folles que celles consacrées jadis par les soviétiques à la guerre des étoiles, en nous gavant de valeurs communes, de République, et de bleu blanc rouge... Mais à l’instar des communistes qui expliquaient la faillite du communisme par une carence de communisme, nous répétons comme des ânes que les joueurs de l’équipe de France ont perdu pour avoir été trop individualistes, pas assez éduqués dans leur jeunesse, pas shootés au patriotisme, pas assez gavés de France Black Blanc Beur, et que sommes toutes, si le métissage ça ne marche pas, c’est que nous n’avons pas assez donné dans le métissage et pas assez fait pour qu’il advienne et triomphe.

En vérité, ils ont perdu car ils se foutent de l’équipe de France et s’en foutent à bon droit, parce que n’étant pas de cette Europe qui va de Dallas à Sydney et partait jadis du Cap pour ne s’arrêter qu’à Helsinki, ils ne sont pas français… Ce sont des égoïstes, comme les joueurs italiens, suisses ou danois, lesquels défendent égoïstement leur drapeau car précisément, il s’agit du leur.

On apprend pas à aimer sa femme, sa famille, ses amis ou sa patrie, on a une femme, une famille, des amis ou une patrie, et on défend son bien…. S’il vous faut apprendre à aimer votre femme ou votre pays, c’est qu’ils ne sont pas les vôtres et que la plaisanterie finira dans un divorce fracassant... Des polonais, des juifs ou des italiens sont devenus français hier, et la greffe a pris justement parce que jamais, ils n’ont eu le moindre effort à fournir pour qu’elle prenne.

Tout cela, nous pourrons le dire ailleurs qu’ici, après la libération, quand nous aurons tondu Plenel et arraché la moumoute de Pascal Boniface...

J’ai bien regardé… Il a une moumoute, Pascal Boniface."

XP, from ILYS

 

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15/06/2010

Conscience

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=


Georges Bernanos

 

"Monsieur,
Quelque ridicule qu'il y ait à écrire à un écrivain, qui est toujours, par la nature de son métier, inondé de lettres, je ne puis m'empêcher de le faire après avoir lu "Les Grands Cimetières sous la lune". Non que ce soit la première fois qu'un livre de vous me touche, le "Journal d'un curé de campagne" est à mes yeux le plus beau, du moins de ceux que j'ai lus, et véritablement un grand livre. Mais si j'ai pu aimer d'autres de vos livres, je n'avais aucune raison de vous importuner en vous l'écrivant. Pour le dernier, c'est autre chose ; j'ai eu une expérience qui répond à la vôtre, quoique bien plus brève, moins profonde, située ailleurs et éprouvée, en apparence - en apparence seulement -, dans un tout autre esprit.

Je ne suis pas catholique, bien que, - ce que je vais dire doit sans doute sembler présomptueux à tout catholique, de la part d'un non-catholique, mais je ne puis m'exprimer autrement - bien que rien de catholique, rien de chrétien ne m'ait jamais paru étranger. Je me suis dit parfois que si seulement on affichait aux portes des églises que l'entrée est interdite à quiconque jouit d'un revenu supérieur à telle ou telle somme, peu élevée, je me convertirais aussitôt. Depuis l'enfance, mes sympathies se sont tournées vers les groupements qui se réclamaient des couches méprisées de la hiérarchie sociale, jusqu'à ce que j'aie pris conscience que ces groupements sont de nature à décourager toutes les sympathies. Le dernier qui m'ait inspiré quelque confiance, c'était la CNT espagnole. J'avais un peu voyagé en Espagne - assez peu - avant la guerre civile, mais assez pour ressentir l'amour qu'il est difficile de ne pas éprouver envers ce peuple ; j'avais vu dans le mouvement anarchiste l'expression naturelle de ses grandeurs et de ses tares, de ses aspirations les plus et les moins légitimes. La CNT, la FAI étaient un mélange étonnant, où on admettait n'importe qui, et où, par suite, se coudoyaient l'immoralité, le cynisme, le fanatisme, la cruauté, mais aussi l'amour, l'esprit de fraternité, et surtout la revendication de l'honneur si belle chez les hommes humiliés ; il me semblait que ceux qui venaient là animés par un idéal l'emportaient sur ceux que poussait le goût de la violence et du désordre. En juillet 1936, j'étais à Paris. Je n'aime pas la guerre ; mais ce qui m'a toujours fait le plus horreur dans la guerre, c'est la situation de ceux qui se trouvent à l'arrière. Quand j'ai compris que, malgré mes efforts, je ne pouvais m'empêcher de participer moralement à cette guerre, c'est à dire de souhaiter tous les jours, toutes les heures, la victoire des uns, la défaite des autres, je me suis dit que Paris était pour moi l'arrière, et j'ai pris le train pour Barcelone dans l'intention de m'engager. C'était au début d'août 1936.

Un accident m'a fait abréger par force mon séjour en Espagne. J'ai été quelques jours à Barcelone ; puis en pleine campagne aragonaise, au bord de l'Ebre, à une quinzaine de kilomètres de Saragosse, à l'endroit même où récemment les troupes de Yagüe ont passé l'Ebre ; puis dans le palace de Sitgès transformé en hôpital ; puis de nouveau à Barcelone ; en tout à peu près deux mois. J'ai quitté l'Espagne malgré moi et avec l'intention d'y retourner : par la suite, c'est volontairement que je n'en ai rien fait. Je ne sentais plus aucune nécessité intérieure de participer à une guerre qui n'était plus, comme elle m'avait paru être au début, une guerre de paysans affamés contre les propriétaires terriens et un clergé complice des propriétaires, mais une guerre entre la Russie, l'Allemagne et l'Italie.

J'ai reconnu cette odeur de guerre civile, de sang et de terreur que dégage votre livre ; je l'avais respirée. Je n'ai rien vu ni entendu, je dois le dire, qui atteigne tout à fait l'ignominie de certaines des histoires que vous racontez, ces meurtres de vieux paysans, ces "ballilas" faisant courir des vieillards à coups de matraques. Ce que j'ai entendu suffisait pourtant. J'ai failli assister à l'exécution d'un prêtre ; pendant les minutes d'attente, je me demandais si j'allais regarder simplement, ou me faire fusiller moi-même en essayant d'intervenir ; je ne sais pas encore ce que j'aurais fait si un hasard heureux n'avait empêcher l'exécution.

Combien d'histoires se pressent sous ma plume... Mais ce serait trop long ; à quoi bon? Une seule suffira. J'étais à Sitgès quand sont revenus, vainqueurs, les miliciens de l'expédition de Majorque. Ils avaient été décimés. Sur quarante jeunes garçons partis de Sitgès, neuf étaient morts. On ne le sut qu'au retour des trentes et un autres. La nuit même qui suivit, on fit neuf expéditions punitives, on tua neuf fascistes ou soi-disant tels, dans cette petite ville où, en juillet, il ne s'était rien passé. Parmi ces neuf, un boulanger d'une trentaine d'années, dont le crime était, m'a-t-on dit, d'avoir appartenu à la milice des "somaten" ; son vieux père, dont il était le seul enfant et le seul soutien, devint fou. Une autre encore : en Aragon, un petit groupe international de vingt-deux miliciens de tous pays prit, après un léger engagement, un jeune garçon de quinze ans, qui combattait comme phalangiste. Aussitôt pris, tout tremblant d'avoir vu tuer ses camarades à ses côtés, il dit qu'on l'avait enrôlé de force. On le fouilla, on trouva sur lui une médaille de la Vierge et une carte de phalangiste ; on l'envoya à Durruti, chef de la colonne, qui, après lui avoir exposé pendant une heure les beautés de l'idéal anarchiste, lui donna le choix entre mourir et s'enrôler immédiatement dans les rangs de ceux qui l'avaient fait prisonnier, contre ses camarades de la veille. Durruti donna à l'enfant vingt-quatre heures de réflexion ; au bout de vingt-quatre heures, l'enfant dit non et fut fusillé. Durruti était pourtant à certains égards un homme admirable. La mort de ce petit héros n'a jamais cessé de me peser sur la conscience, bien que je ne l'aie apprise qu'après coup. Ceci encore : dans un village que rouges et blancs avaient pris, perdu, repris, reperdu je ne sais combien de fois, les miliciens rouges, l'ayant repris définitivement, trouvèrent dans les caves une poignée d'êtres hagards, terrifiés et affamés, parmi lesquels trois ou quatre jeunes hommes. Ils raisonnèrent ainsi : si ces jeunes hommes, au lieu d'aller avec nous la dernière fois que nous nous sommes retirés, sont restés et ont attendu les fascistes, c'est qu'ils sont fascistes. Ils les fusillèrent donc immédiatement, puis donnèrent à manger aux autres et se crurent très humains. Une dernière histoire, celle-ci de l'arrière : deux anarchistes me racontèrent une fois comment, avec des camarades, ils avaient pris deux prêtres ; on tua l'un sur place, en présence de l'autre, d'un coup de revolver, puis, on dit à l'autre qu'il pouvait s'en aller. Quand il fut à vingt pas, on l'abattit. Celui qui me racontait l'histoire était très étonné de ne pas me voir rire.

A Barcelone, on tuait en moyenne, sous forme d'expéditions punitives, une cinquantaine d'hommes par nuit. C'était proportionnellement beaucoup moins qu'à Majorque, puisque Barcelone est une ville de près d'un million d'habitants ; d'ailleurs il s'y était déroulé pendant trois jours une bataille de rues meurtrière. Mais les chiffres ne sont peut-être pas l'essentiel en pareille matière. L'essentiel, c'est l'attitude à l'égard du meurtre. Je n'ai jamais vu, ni parmi les Espagnols, ni même parmi les Français venus soit pour se battre, soit pour se promener - ces derniers le plus souvent des intellectuels ternes et inoffensifs - je n'ai jamais vu personne exprimer même dans l'intimité de la répulsion, du dégoût ou seulement de la désapprobation à l'égard du sang inutilement versé. Vous parlez de la peur. Oui, la peur a eu une part dans ces tueries ; mais là où j'étais, je ne lui ai pas vu la part que vous lui attribuez. Des hommes apparemment courageux - il en est un au moins dont j'ai de mes yeux constaté le courage - au milieu d'un repas plein de camaraderie, racontaient avec un bon sourire fraternel combien ils avaient tué de prêtres ou de "fascistes" - terme très large. J'ai eu le sentiment, pour moi, que lorsque les autorités temporelles et spirituelles ont mis une catégorie d'êtres humains en dehors de ceux dont la vie a un prix, il n'est rien de plus naturel à l'homme que de tuer. Quand on sait qu'il est possible de tuer sans risquer ni châtiment ni blâme, on tue ; ou du moins on entoure de sourires encourageants ceux qui tuent. Si par hasard on éprouve d'abord un peu de dégoût, on le tait et bientôt on l'étouffe de peur de paraître manquer de virilité. Il y a là un entraînement, une ivresse à laquelle il est impossible de résister sans une force d'âme qu'il me faut bien croire exceptionnelle, puisque je ne l'ai rencontré nulle part. J'ai rencontré en revanche des Français paisibles, que jusque-là je ne méprisais pas, qui n'auraient pas eu l'idée d'aller eux-même tuer, mais qui baignaient dans cette atmosphère imprégnée de sang avec un visible plaisir. Pour ceux-là je ne pourrai jamais avoir à l'avenir aucune estime.

Une telle atmosphère efface aussitôt le but même de la lutte. Car on ne peut formuler le but qu'en le ramenant au bien public, au bien des hommes - et les hommes sont de nulle valeur. Dans un pays où les pauvres sont, en très grande majorité, des paysans, le mieux-être des paysans doit être un but essentiel pour tout groupement d'extrême gauche ; et cette guerre fut peut-être avant tout, au début, une guerre pour et contre le partage des terres. Eh bien, ces misérables et magnifiques paysans d'Aragon, restés si fiers sous les humiliations, n'étaient même pas pour les miliciens un objet de curiosité. Sans insolences, sans injures, sans brutalité - du moins je n'ai rien vu de tel, et je sais que vol et viol, dans les colonnes anarchistes, étaient passibles de la peine de mort - un abîme séparait les hommes armés de la population désarmée, un abîme tout à fait semblable à celui qui sépare les pauvres et les riches. Cela se sentait à l'attitude toujours un peu humble, soumise, craintive des uns, à l'aisance, la désinvolture, la condescendance des autres.

On part en volontaire, avec des idées de sacrifice, et on tombe dans une guerre qui ressemble à une guerre de mercenaires, avec beaucoup de cruautés en plus et le sens des égards dus à l'ennemi en moins. Je pourrais prolonger indéfiniment de telles réflexions, mais il faut se limiter. Depuis que j'ai été en Espagne, que j'entends, que je lis toutes sortes de considérations sur l'Espagne, je ne puis citer personne, hors vous seul, qui, à ma connaissance, ait baigné dans l'atmosphère de la guerre espagnole et y ait résisté. Vous êtes royaliste, disciple de Drumont - que m'importe? Vous m'êtes plus proche, sans comparaison, que mes camarades des milices d'Aragon - ces camarades que, pourtant, j'aimais.

Ce que vous dites du nationalisme, de la guerre, de la politique extérieure française après la guerre m'est également allé au coeur. J'avais dix ans lors du traité de Versailles. Jusque-là j'avais été patriote avec toute l'exaltation des enfants en période de guerre. La volonté d'humilier l'ennemi vaincu, qui déborda partout à ce moment (et dans les années qui suivirent) d'une manière si répugnante, me guérit une fois pour toutes de ce patriotisme naïf. Les humiliations infligées par mon pays me sont plus douloureuses que celles qu'il peut subir. Je crains de vous avoir importuné par une lettre aussi longue. Il ne me reste qu'à vous exprimer ma vive admiration.

S. Weil.

Mlle Simone Weil,
3, rue Auguste-Comte, Paris (VIème).

 

P.s. : C'est machinalement que je vous ai mis mon adresse. Car, d'abord, je pense que vous devez avoir mieux à faire que de répondre aux lettres. Et puis je vais passer un ou deux mois en Italie, où une lettre de vous ne me suivrait peut-être pas sans être arrêtée au passage."

Simone Weil – « Lettre à Georges Bernanos 1938 » - in "Bulletin des amis de Georges Bernanos", repris dans "Ecrits historiques et politiques", Gallimard et dans "Œuvres", Quarto Gallimard.


Simone Weil

 

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19/05/2010

Hip-hop Baraka, par PARATEXT

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Je reprends avec une jubilation non feinte ce texte de l'ami Paratext, dont je suis heureux de voir que son Blog est encore, à l'occasion, alimenté de quelques textes vivaces comme celui-ci. Tout comme le texte d'Ygor Yanka il y a quelques jours, voici une petite lecture vivifiante...

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"Il n'y a pas d'Islam militant et d'Islam modéré. Il n'y a que des variations d'intensité. Les lois coraniques ne peuvent être adoucies que très provisoirement."
"Les musulmans, et pire encore les musulmanes, sont les premières victimes de l'Islam."
Maurice G. Dantec, American Black Box (2006)

 

Si aujourd'hui nos concitoyens sont occupés à se faire la "guerre des bisous" via email box et à organiser des kiss-in devant Notre-Dame, on peut en déduire que, d'une certaine manière, l'heure est grave. Le Marché s'adresse à leur rebellitude : "Smart has the brains, stupid has the balls. Be stupid." Ils obtempèrent allègrement.
Pendant ce temps, le degré d'islamisation de la France et de l'Europe progresse chaque jour un peu plus. "Visibilité des minorités !", rétorquent les conciliateurs, les pacifistes, les ignorants paresseux. A la fois las et goguenard, on serait tenté de ne pas répondre. Pourtant, il faut se faire violence et répéter sans cesse des évidences, en revenir aux faits, se rapporter aux textes. Et témoigner. Je parlerai donc un peu de moi, ma petite personne n'ayant ici d'intérêt qu'en ce qu'elle traverse une époque et peut aujourd'hui en recracher maladroitement quelques calcifications, des cicatrices, d'apparentes vétilles.
Produit naïf et imberbe de l'école française des années 80, qu'une famille d'ouvriers désarmée ne pouvait que laisser se gâter encore plus par l'air vicié du temps, j'ai commencé de m'intéresser à l'islam dans les années 90 : le rap fut le vecteur et la première phase prit la forme d'une séance de séduction post-pubère.
Antisocial, je gardais mon sang froid, et surtout, j'aimais rester au chaud de mes molles convictions de rebelle adolescent. Et l'on sait que sur l'adolescent en rupture, l'attrait des sous-cultures est plus fort que tout. Celles-ci lui confèrent en tout cas l'appareil complet pour se survivre confortablement dans un monde fantasmé et largement binarisé. Fin des années 80, donc, la culture hip-hop (entendons le folklore d'un agrégat de pratiques urbaines venues des quartiers noirs des USA) débarque en France et dans ma chambre de jeune céfran moyen. La conversion est totale, I wish I was Black : petit blanc renvoyé à son faible taux de mélanine et à tout ce qui en découle par les renois et les rebeus que je me mets à côtoyer par antiracisme frondeur, lequel se révèle être au final une mièvre idolâtrie du melting-pot, mon imaginaire est alors proprement colonisé. La mythologie du hip-hop s'imprime progressivement en moi, façonne et reconfigure ma vision du monde, elle contamine et disculpe, oriente et invalide, approuve et tranche, labellise chacun de mes jugements esthétiques, moraux, politiques.
Deux groupes français surnagent alors dans le microcosme hexagonal : les parisiens NTM et les marseillais IAM. Ma préférence ira au second, les lyrics de Philippe Fragione aka Chill aka Akhenaton me semblant atteindre un degré de subtilité, de sophistication, d'humour, et d'érudition inouïs. Sous le joyeux brassage des thèmes abordés, l'afrocentrisme (moins prononcé, peut-être, que le massiliacentrisme) marque le pas. Et si une authentique quête spirituelle semble travailler le bonhomme, c'est notamment par lui, via les rappeurs new-yorkais qu'il fréquente, que Chill ira à l'islam.
Islam. Les phonèmes claquent. I-slam. L'euphonie me plaque. Is-lam ! Nation of Islam. Aux Etats Unis, Public Enemy fait les gros titres : Professor Griff, le "Ministre de l'Information" du groupe et proche de Louis Farrakhan, tient des propos antisémites et antihomos.(1)  L'ampleur de la polémique contraint alors PE à se séparer du martial et embarrassant ministre. A la même époque, le duo Run DMC se convertira. De ce côté-ci de l'Atlantique, l'islam méditerranéen d'Akhenaton aka Abdelhakim apparaît moins sectaire, plus sage, spirituel. Religion des pauvres des banlieues, opprimés, déracinés, non-blancs, l'image de l'islam est avant tout une grosse taffe d'Orient. Dans l'attraction qu'exerce une idée, un concept, un pays, une femme, il ne faut jamais sous-estimer le rôle que peut jouer l'exotisme. L'islam m'était suffisamment exotique pour susciter plus qu'un intérêt de circonstance : il était non seulement un signe distinctif exhibé par une catégorie de personnes aux antipodes de ceux que je me targuais de fuir, mais en outre, ceux qui me fascinaient en faisaient, en l'embrassant de manière ostentatoire, un objet de désir. Ensuite, l'islam, arboré comme étendard contre l'idéologie supposée dominante, me rapprochait de ceux avec qui j'aimais frayer. N'oublions pas qu'il est souvent vécu comme une réaction, une démarche éminemment identitaire. J'aimerais en être, être avec l'Autre, adopter les signes du ralliement, me soumettre afin d'expier ma faute, celle d'être si mal né, de géniteurs au faciès et à l'histoire non-marqués, sans saveur...

Quelques cours d'islamologie plus tard, ingurgités benoîtement sur les bancs de l'université, ma connaissance de l'islam s'étoffait relativement. Mon intérêt n'alla toutefois pas jusqu'à la conversion. Sachant aujourd'hui un peu mieux les "problèmes" rencontrés par l'apostat en islam, je m'en félicite. Enfin, distances prises avec le rap, l'islam disparut de mon horizon pour n'y revenir qu'à la lecture du premier volume du Théâtre des opérations de Dantec.

Aujourd'hui, les rappeurs qui revendiquent leur foi islamique ne sont plus en nombre négligeable. Et ils le font avec toute la diversité de postures dont l'époque puisse rêver : du soufisme d'Abd Al-Malik aux jappements peu amènes des rappeurs du label Din Records, en passant par la Fausse Piété du Spectacle de Diam's, l'image de l'islam irrigue les esprits d'un large et jeune public. Il est à craindre que la modernité et lui soient faits pour s'entendre.
L'islam séduit, il est le tentateur, il est la solution, il est le mode d'emploi, il est conservateur-révolutionnaire, ce "communisme du désert"... Il est l'effluve doux et épicé du mystique, il est la conscience tranquille du voyou, il est la rédemption du mauvais garçon, il est l'anti-France-moisie, il est l'effaceur de l'Occident, il est le barbu austère, la caillera nihiliste, le jeune cadre rationnel, la chercheuse en biologie moléculaire, l'écrivain humaniste, la collègue sympathique. Il est l'instrument, le ralliement, l'événement. Le bon, la brute, le truand. Le vilain terroriste et le bon musulman.
Faudra-t-il choisir entre deux clichés, le musulman modéré et l'islamiste intolérant ? Le sort réservé au désormais fameux imam de la mosquée de Drancy, Hassen Chalgoumi, par ses correligionnaires moins enclins à l'entente judéo-islamique donne une petite idée des conflits inter-musulmans qui attendent de s'épanouir sur les terres de la vieille Europe. L'islam n'est pas monolithique, et c'est une de ses armes les plus effilées : s'il n'était qu'un, homogène, démontrer sa nocivité serait à la portée du premier militant bas-du-front venu. Il est au contraire protéiforme et tire sa force de ses conflits internes, des tensions qui l'animent, le principal étant d'occuper l'espace au maximum.
Evidemment, s'opposer efficacement à la propagation de l'islam nécessite de se démarquer du ressentiment ou de la haine, se désolidariser de tout racisme, moteur inavouable de certains opposants à l'islam et chef d'accusation anathème préféré de l'idiot utile et du désinformateur. Il faut patiemment diffuser, en s'adaptant à notre auditeur pour ne pas heurter les réflexes conditionnés par l'antiracisme dogmatique, les connaissances de base et les faits significatifs. Nous n'avons aucune prise sur l'évolution démographique de la France : si certaines portions du territoire sont islamisées de fait, et qu'on peut donc considérer que le ver est irrémédiablement dans le fruit, un peuple connaissant son ennemi sera peut-être capable de se battre.

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(1) Pour une histoire détaillée de la Nation of Islam sur internet, voir www.racismeantiblanc.bizland.com/noi/index.htm

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16/05/2010

Ils sont tellement de Gauche - (Première partie)

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Je suis tombé sur cette longue note chez et de Ygor Yanka. Elle est dense, précise, mais accessible, au pied léger, au sourire mi-figue mi-raisin et n'épargne guère nos chers gauchistes qui voient des salauds partout sauf chez eux. Je vous en conseille la lecture, quelles que soient vos opinions, ça vivifie.

 

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IL Y A CECI d’extraordinaire avec les gens de gauche qu’ils ne doutent jamais de leurs idées. Ils ne com­prennent pas, parce qu’ils ne le peuvent pas, ne se remet­tant jamais en ques­tion, que l’on puisse être de droite sans être pour autant un abruti, un beauf et tout ce qu’on vou­dra dans le genre sous-​​développé. Ils n’ont que le mot tolé­rance à la bouche, mais ils ne tolèrent dans les faits que leurs amis poli­tiques. Le reste, ce sont des chiens, des pédo­philes ou des Nazis frus­trés. Un grat­tage de rien du tout à la sur­face de leur très sen­sible épiderme prouve régu­liè­re­ment qu’ils ne sup­portent le débat d’idées qu’entre eux, et sur des points de détail. Pour eux, l’immigration même mas­sive est un bien et cela ne se dis­cute pas. On vou­drait bien savoir pourquoi c’est un bien, sur­tout quand cette immi­gra­tion montre des signes de faible inté­gra­tion, de vio­lence ou de reven­di­ca­tions sans contre­par­tie. On ne le saura pas. C’est un bien et basta ! Pré­tendre débattre d’un tel sujet, ô com­bien sen­sible pour­tant, c’est se pla­cer sur le ter­rain de l’extrême droite, c’est faire son lit. On évacue donc la dis­cus­sion. Qui a l’outrecuidance d’insister sur la néces­sité d’un débat se voit déco­rer des plus belles fleurs de la lan­ci­nante rhé­to­rique de gauche : fas­cisme… nau­séa­bond… heures sombres de notre his­toire… Pétain, etc. Il y a comme ça des dizaines de sujets qu’il est pré­fé­rable d’éviter si l’on ne tient pas à deve­nir le putois de la belle et par­fu­mée assem­blée : l’immigration, l’islam, les États-​​Unis, les homo­sexuels, le pape, l’autorité, la police, les Juifs…

 

À moins que d’être né dans une famille très ancrée à droite, qui n’a pas été, ado­les­cent, jeune homme, natu­rel­le­ment de gauche ? Natu­rel­le­ment, parce que le jeune est tout entier tourné vers l’avenir, lui qui n’a pas encore de mémoire, à défaut de passé, de vécu. À 47 ans, je ne rêve pas d’en avoir 50. Ça vien­dra, mais je ne suis pas pressé. À 15 ans, on rêve d’en avoir 18 pour être majeur, donc libéré de la tutelle paren­tale, et pour pas­ser le per­mis de conduire. À 18 ans, si on pour­suit ses études au-​​delà du Bac, on a hâte de les ache­ver pour entrer dans la vie active, décro­cher le job de rêve, gagner confor­ta­ble­ment sa vie, s’acheter une mai­son, fon­der une famille, bref : s’installer, autre­ment dit durer. C’est alors que le temps vous rat­trape, et la réa­lité. Vous avez 30 ans et vous voici devenu ce que vous exé­criez au temps de l’acné : un bour­geois. Si vous êtes une mule de gauche, vous nie­rez bien entendu être un bour­geois. Ou si vous l’admettez du bout des lèvres, vous vous empres­se­rez d’ajouter qu’en fait, si votre train de vie est celui d’un bour­geois tota­le­ment décom­plexé, vous êtes un rebelle. Ouais, mon vieux. Un rebelle. Et vous l’êtes la plu­part du temps à bas prix. Vous êtes un rebelle parce que vous avez l’indignation facile contre les mêmes cre­vures que toujours : Sar­kozy, le CAC 40, le Vati­can, la police, Israël, etc. Vous signez volon­tiers des péti­tions en faveur des sans-​​papiers (vous n’aimez pas le mot clan­des­tin), des sans-​​abris (vous n’aimez pas le mot vaga­bond), de Cesare Bat­tisti (vous n’aimez pas le mot assas­sin), contre le Nabot (vous n’aimez pas l’expression le pré­sident de la Répu­blique), contre la répres­sion poli­cière (vous n’aimez pas l’expression main­tien de l’ordre public) ; vous êtes de toutes les mani­fes­ta­tions « citoyennes », de toutes les marches blanches et de celles aux cou­leurs plus iri­sées de l’arc-en-ciel, et vous êtes de toutes les fêtes avec bal­lons mul­ti­co­lores, chars cha­mar­rés, sono fra­cas­sante. Un rebelle pur et dur, quoi ! Autour de vous, sauf vos amis, que des mou­tons, quelques porcs, des beaufs, des cons, une armée de fachos. Vous igno­rez à quel point vous êtes pré­vi­sible et conformiste.

Lorsqu’on rêve de s’émanciper de la tutelle fami­liale et éduca­tive, on déteste évidem­ment l’autorité, dont la pre­mière de toutes, celle du père (vous ne savez pas encore que vous serez sans doute un père moins accom­mo­dant que le vôtre), ce père qui vous aime mais ne semble pas vou­loir que vous gran­dis­siez, du moins pas si vite, si bien qu’il vous humi­lie sans le vou­loir, en vous regar­dant comme un enfant alors que vous avez quatre poils au men­ton depuis hier, que votre voix res­semble à celle d’un vilain canard, que vous vous êtes foulé le poi­gnet à force de… hum. Et s’il vous humi­lie, même invo­lon­tai­re­ment, c’est parce qu’il vous déteste, c’est parce qu’il se déteste en vous, c’est parce qu’il a sur vous du pou­voir (vous n’aimez pas le mot res­pon­sa­bi­lité) et for­cé­ment en abuse (vous recon­nai­trez à 35 ans que votre père a été le meilleur père du monde). Vous haïs­sez aussi vos profs qui pré­tendent vous mettre dans le crâne des valeurs rétro­grades (vous n’aimez pas le mot savoir) dont vous n’aurez jamais besoin (mais à 40 ans, sur votre blog, vous publie­rez un émou­vant billet sur M. Char­lier, votre prof de français en sixième, un type bien, un peu sévère, mais juste, un poil auto­ri­taire, mais rien d’excessif, et sur­tout, alors que ça vous fai­sait tel­le­ment chier à l’époque, il avait cet amour bizarre, parce que désuet, pour sa langue qu’il révé­rait et dont il s’échinait, le pauvre, à vous faire aimer les sub­ti­li­tés — vous pré­fé­riez alors le mot com­pli­ca­tion —, non pour vous tour­men­ter, par sadisme, mais pour for­mer votre esprit à la cri­tique, aux nuances lan­ga­gières, à la sen­si­bi­lité, toutes choses au final essen­tielles et grâce auxquelles vous êtes à pré­sent un homme libre, au lieu d’être un citoyen vigi­lant, soit un déla­teur en puis­sance, un col­labo tout entier requis par son obses­sion du monde tel qu’il le rêve, duquel serait banni tout qui ne pense pas comme lui dans le sens du Bon, du Bien, du Juste, de l’Équitable et autres fan­tasmes majus­cu­laires). Oh ! je ne vous fais pas le reproche de vou­loir bien faire, de dési­rer très fort réduire les injus­tices, de réta­blir un peu d’humanité et de poé­sie dans ce monde de banquiers sans scru­pules, de tra­ders fous, de bour­si­co­teurs fré­né­tiques, de com­merçants avides, de pol­lueurs, d’exploiteurs des res­sources humaines et natu­relles (sinon, je suis de votre côté, sauf que je vous déteste). Je vous fais le reproche de vou­loir à toute force que la réa­lité épouse vos désirs, alors que, si, adulte, j’ai com­pris quelque chose de la vie, c’est que la domi­nait irré­duc­ti­ble­ment un prin­cipe duquel j’ai appris à tenir compte toujours, même quand cela me contra­rie : la réa­lité, votre chère enne­mie. Je com­pose avec la réa­lité, non contre elle. Elle peut certes m’agacer jusqu’au point d’ébullition, mais je ne la nie jamais. Je parle de la réa­lité dans les faits, et de l’homme dans sa nature. Il n’existe pas « d’homme bon par nature » et que la société aurait cor­rompu. La société a ses tra­vers, mais c’est elle qui nous civi­lise. Un homme seul, sorti de la société, même né bon, c’est un sau­vage ; il n’est pas méchant, mais cruel. Il ne connait pas la pitié, l’altruisme, la cama­ra­de­rie ; s’il vous croise dans son bois, il n’aura de poli­tesse à votre égard que celle de vous chas­ser (au mieux), de vous tuer (au pire) à des fins gas­tro­no­miques s’il n’a pas appris à chas­ser (et qui le lui aurait appris, avec un père fonc­tion­naire ?). Je plains les hommes, glo­ba­le­ment médiocres, col­lec­ti­ve­ment sots, voire mau­vais — mais j’en suis un et je ne nie pas le fond de ma propre nature. Et si je rêve aussi par­fois d’une huma­nité moins bru­tale et plus modeste, je ne pousse pas jusqu’au cau­che­mar de la vou­loir sous la forme ailée des anges. Aux anges je pré­fère les bar­bares ; aux mou­tons, les loups ; aux poètes lyriques, les guer­riers ; aux voyous, les flics ; à l’étranger, mon com­pa­triote — sans que cela veuille dire que je sois xéno­phobe (je vis à l’étranger, et ma tant chère femme est du pays où je vis). Vous n’aimez dans l’humanité que son bon côté, quand elle opine comme vous. Je l’aime pour son ambi­va­lence. L’ambivalence est une richesse, un tout. Vous n’acceptez pas l’homme tel qu’il est pour­tant. Vous sou­hai­tez l’appauvrir en l’amputant de ses gan­grènes. Voilà ce qui nous dif­fé­ren­cie, et c’est ainsi que je ne puis être de gauche, bien que je sois pro­gres­siste socia­le­ment, et peut-​​être davan­tage que vous, puisque j’ai toujours su res­ter pauvre.

Notre ado­les­cent, notre jeune homme déteste donc natu­rel­le­ment toute forme d’autorité, tout pou­voir (tout pou­voir est pour lui un abus de pou­voir). Les patrons ne sont pas des res­pon­sables ni des gérants d’entreprises, mais des exploi­teurs éhon­tés. Les juges et le pou­voir poli­tique marchent main dans la main, même quand ils s’opposent. Ne par­lons pas du pou­voir spi­ri­tuel, sur­tout s’il émane de Rome : un syn­di­cat de défense des prêtres pédo­philes, un lobby pour la pro­pa­ga­tion du sida. Les poli­ciers ne sau­raient pré­tendre à main­te­nir l’ordre public, vu qu’ils sont eux-​​mêmes des fau­teurs de troubles ; et des racistes, toujours (sauf l’inspecteur N’Guma). Tous des Ton­tons Macoutes, au vrai. Ces hargnes mal arti­cu­lées contre l’autorité (auto­rité n’est pas un gros mot, pas plus que père, pro­fes­seur, patron, député, juge, prêtre ou poli­cier) cachent en fait, plu­tôt mal, une souf­france : celle de n’être qu’un fils, un élève, un employé, un admi­nis­tré, un pré­venu, etc., dans un monde où cha­cun rêve d’exercer son propre pou­voir, à petite ou grande échelle. Notre ado­les­cent rage de n’avoir que bien peu de droits pour beau­coup de devoirs, mais dès qu’il est en mesure de com­man­der à son tour, il ordon­nera, et il fau­dra qu’on lui obéisse, sous peine de puni­tion. La pre­mière vic­time de ce « mar­tyr » deve­nant « bour­reau » sera sou­vent son jeune frère, un plus faible que lui, une quel­conque fille un peu rétive à son art mal­ha­bile de séduire ( «Viens me sucer, connasse ! »). S’il pousse son nou­veau vice jusqu’à la tyran­nie, il s’exonèrera de toute res­pon­sa­bi­lité (et donc, de tout par­don) en se dési­gnant lui-​​même comme une vic­time (de son père, de son prof, du curé vio­leur de son enfance, de son patron, du flic qui, alors qu’il ne fai­sait que…, etc.). Une vic­time, n’est-ce pas, ça n’a que des droits. Venant d’une vic­time, tout mal est moindre, tout péché véniel. À ce tarif-​​là, il faut excu­ser Hit­ler et acca­bler ceux qui ne virent en lui qu’un peintre médiocre. Avoir souf­fert, souf­frir, n’est en aucun cas une rai­son. C’est d’intelligence que le monde a besoin, non de com­pas­sion envers les sem­pi­ter­nels grin­cheux à qui la vie semble ne jamais sou­rire, parce qu’il est plus confor­table d’être plaints que d’agir.

Nous sommes bien là dans une vision gau­chie de la société : une société unique­ment com­po­sée d’oppresseurs et d’opprimés, de riches et de pauvres, d’exploiteurs et d’exploités, de loups et d’agneaux, etc. Comme s’il n’y avait dans la vie que des géants et des nains ! Comme s’il n’existait pas d’hommes de taille moyenne, d’ouvriers épanouis, de patrons bien­veillants, de juges intègres, de poli­ti­ciens hon­nêtes, de poli­ciers prévenants !

Le jeune homme, qui vient d’arriver sur Terre et dont la mémoire se borne à trois sou­ve­nirs vieux du mois passé, est pressé d’étreindre l’avenir ; il est opti­miste et arro­gant. Le passé, tout ce qui date d’avant lui, doit dis­pa­raitre. Les vieux (pour un gamin, je suis un vieux) doivent s’effacer, se taire ; au mieux ils radotent, au pire ils déconnent. Ils sont rin­gards et rétro­grades, nous gonflent avec leurs sou­ve­nirs du temps de Mathu­sa­lem et leurs constants rap­pels du « bon vieux temps », à quoi ils opposent une défiance à peu près totale de l’avenir et de la nou­veauté. Pour un jeune homme (le mien est un peu cari­ca­tu­ral, j’en conviens, mais il n’est de por­trait vrai que légè­re­ment forcé), le monde d’avant sa nais­sance ne fait pas par­tie de son his­toire, et les leçons que ses parents en tirent ne sont pas per­ti­nentes pour lui — inutile donc de le bas­si­ner avec des « conne­ries » d’un autre âge. La nos­tal­gie ne l’atteint pas, ni l’ennui. Un rien le diver­tit, il court au plus futile. Sa vie n’est tel­le­ment rien encore qu’il la risque volon­tiers, et risque par­fois celles des autres, par ivresse juvénile.

Notre sémillant jeune homme est sym­pa­thique et tolé­rant. N’ayant connu d’époques que celle qu’il vit pré­sen­te­ment, il ne peut com­pa­rer hier et aujourd’hui pour se livrer à la réflexion que, déci­dé­ment, le monde a bien changé, en pire ; tout va plus vite, trop vite — tel­le­ment vite qu’on peine à suivre. On construi­sait jadis pour des cen­taines d’années ; on ne construit plus que de hideux et très éphé­mères bâti­ments sans âme, pure­ment fonc­tion­nels. Les hommes jadis se saluaient ; ils se bous­culent et s’invectivent, pour des queues de cerises. Les femmes jadis ne nous jetaient pas comme désor­mais leurs sexes à la figure ; elles étaient modestes et pru­dentes, on les res­pec­tait pour ça. Un télé­phone ne vibrait pas toutes les trente secondes sur la table de notre voi­sin au res­tau­rant, un res­tau­rant où nous pou­vions après le repas fumer ciga­rette, cigare ou pipe sans le tour­ment d’offrir ce fai­sant à nos voi­sins, pour les dix géné­ra­tions à venir, un bataillon de can­cers et de mômes pré­ma­tu­rés ; itou dans les trains, les bureaux, jusqu’aux cou­loirs des hôpi­taux. Nous regar­dions les petites filles avec un peu de concu­pis­cence par­fois, au lieu d’éviter à tout prix, comme main­te­nant, de croi­ser leurs regards, des fois que la folie les pren­drait de voir en nous un pédo­phile et de le crier bien fort, à cause d’un bref sou­rire que nous lui aurions adressé, tant nous la trou­vons char­mante, sous le rap­port de l’enfance ET de la fémi­nité déjà si pré­sente. Nous avons même connu le temps des voi­tures sans cein­tures de sécu­rité, c’est dire si nous datons ! La télé­vi­sion exis­tait, en noir et blanc, puis en cou­leurs ; les ani­ma­teurs manquaient bien un peu de cha­risme, ils ne riaient guère, mais ils ne par­laient point pour ne rien dire et demeu­raient cour­tois, sans se croire tenus d’agresser leurs inter­lo­cu­teurs à coups de ques­tions oiseuses, voire indis­crètes, voire indé­centes ; ils étaient des employés du ser­vice public, non des stars à la tête, à 35 ans, de boites de pro­duc­tion employant qua­rante per­sonnes, avec des salaires à côté desquels ceux des ministres (le sum­mum de la richesse, de mon temps) semblent aussi déri­soires que les cinq sous aban­don­nés par une vieille dame dans la sébile d’un néces­si­teux du voi­si­nage. Et tant de choses qui furent, qui nous furent fami­lières, avec lesquelles nous avons grandi, et que le pro­grès nous a volées. Nous ne les regret­tons pas for­cé­ment, mais elles nous manquent, comme les che­veux lorsque nous les avons per­dus, sans lesquels nous pou­vons vivre tou­te­fois. Elles nous manquent, parce qu’elles étaient de notre temps et que nous étions du leur ; elles ne nous ont jamais paru étranges. Étranges à notre regard, et sus­pects, tous ces objets nou­veaux que la publi­cité nous vante et qui encombrent le monde sans rien appor­ter à l’âme humaine, qui ne sont d’ailleurs nou­veaux, la plu­part du temps, que sur le plan des formes, et dont nous nous pas­se­rions sans peine, dont nous nous las­sons vite, comme d’une ciga­rette après trois bouf­fées. Ce monde de formes et de cou­leurs sans cesse mou­vantes est source d’angoisse pour qui cherche non plus l’agitation et la dis­trac­tion, mais la tranquillité et la concen­tra­tion, voire le recueillement.

Tout ça pour dire ceci, que s’il est natu­rel d’aimer à vingt ans le mou­ve­ment, le bruit, la dis­trac­tion, la nou­veauté, le pro­grès dans les mœurs (je n’associe que mal­ai­sé­ment la notion de mœurs avec celle de pro­grès, mais enfin…), la tech­nique omni­pré­sente et tous ces bidules qui émer­veillent la jeu­nesse et flattent sa vanité, s’il est natu­rel d’être à vingt ans de gauche, c’est-à-dire de croire en la per­fec­ti­bi­lité des hommes, de pen­ser dur comme fer que l’Histoire a un sens — il est natu­rel aussi, l’âge venant, de ne plus ajou­ter foi à ces calem­bre­daines et de virer réac­tion­naire, par sou­daine aller­gie à une moder­nité qui nous insulte chaque jour en nous fai­sant sen­tir à quel point nous sommes des caves. Nous sui­vons le mou­ve­ment, nous accro­chons jusqu’à un cer­tain point, avant de tout lâcher pour nous concen­trer sur l’essentiel, parce que le temps nous file entre les pattes, parce que nous n’avons que trop perdu d’heures à bavas­ser de rien avec per­sonne, à nous occu­per des affaires d’autrui, à nous indi­gner en pure perte contre les mêmes salades que toujours, à cou­rir aux culs de toutes les filles, à récol­ter les tem­pêtes dont nous avons semé les vents. Nous ne sommes pas fati­gués de vivre, bien au contraire. Nous avons plei­ne­ment conscience que notre vie, qui vous parait si misé­rable (écou­ter Pur­cell deux heures durant, faut-​​il être rin­gard !), est une belle et pré­cieuse — et unique ! — chose, si bien que nous ne la risquons plus stu­pi­de­ment pour épater les copains et copines ; nous sommes plus atten­tifs à notre santé, tant phy­sique que morale et intel­lec­tuelle, au point d’écarter sans bar­gui­gner toute nui­sance réelle ou sup­po­sée (la publi­cité, un mau­vais livre, une piètre émis­sion, une femme sans tête — dût son corps être le rêve d’un sculp­teur antique —, les ragots et les gugusses, les gens qui tournent autour du pot pour fina­le­ment accou­cher d’une rumeur, les bavards férus de psy­cho­lo­gie laca­nienne et ceux qui bandent en reli­sant Hei­deg­ger, les mou­che­rons boni­men­teurs, les cos­tu­miers d’opérette et les forains dis­gra­ciés, les démar­cheurs à domi­cile, les enfants, les Belges et autres cala­mi­tés à deux, trois ou quatre pattes). Nous vou­lions tout, à vingt ans ; nous ne vou­lons plus qu’une chose vingt ans plus tard : qu’on cesse de nous emmer­der, qu’on nous foute la paix.

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25/04/2010

La mise à mort de la vieille carne impuissante qui fut la gloire du monde.

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"Nous nous sommes déguisés, pour que personne ne puisse reconnaître ce que furent les vertus des hommes de notre monde, nous nous sommes barbouillés de peinture et de sang pour manifester notre mépris envers tout ce qui a fait la grandeur qui nous a faits. Nous assistons avec joie, enthousiasme uniquement à ce qui nie, détruit, dénature, ce qui fut l’œuvre de l’Occident. Nous trépignons sur son corps et crachons à son visage. Si le XIXe siècle a trahi par la conne conscience (ce qui ne fut jamais la vérité de l’Occident), nous, nous trahissons par la mauvaise conscience, qui devient à la limite pur délire. Quand on voit le cinéma des vingt dernières années, on est confondu de se rendre compte que seuls les films qui ont diffusé le mépris, l’ordure, la flagellation ont réussi. Et nul argument ne peut servir en face de ces évidences, de ces lieux communs totalement acceptés (…)

Je vois l’Europe marcher à grands pas vers sa fin. Non pour des raisons économiques ni techniques ni politiques, non qu’elle soit submergée par un tiers monde, en réalité impuissant, non qu’elle soit aussi mise en question par la Chine, mais parce qu’elle est partie pour son suicide. Toutes les conduites (je dis bien toutes) des Techniciens, des Bureaucrates, des Politiciens, et en plein accord fondamental, malgré la contradiction apparente, les discours des philosophes, des cinéastes, des scientifiques sont toutes des conduites suicidaires. Tout facteur positif qui peut apparaître est aussitôt retourné, déformé, inverti, pour devenir un nouveau chef d’accusation ou un moyen de destruction. La Gauche a triomphalement rejoint la Droite dans cette course à la mort, et le christianisme célèbre ses noces avec le marxisme pour procéder à la mise à mort de la vieille carne impuissante qui fut la gloire du monde."

Jacques Ellul, Trahison de l’Occident, 1975

Jacques Ellul

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18/02/2010

Je suis un artiste et non le porte-parole d’un million de voyous

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Kerouac et Burroughs furent les précurseurs du mouvement hippie. Ouais... bien malgré eux, croyez-moi.

« Les bretons étaient contre les révolutionnaires, qui étaient des athées, qui tranchaient les têtes au nom de la fraternité, tandis que les bretons avaient des raisons paternelles de rester fidèles à leur ancien mode de vie. »

« je ne suis pas bouddhiste, je suis un catholique en pèlerinage sur cette terre ancestrale qui s’est battue pour le catholicisme, à un contre dix, et qui a pourtant fini par gagner, car certes, à l’aube, je vais entendre sonner le tocsin, les cloches vont sonner pour les morts. »

« Partout dans le monde les intellectuels des villes vivent coupés de la terre et de ceux qui la cultivent, et ne sont en fin de compte que des insensés dépourvus de racines (…) toute cette ordure superficielle des existentialistes, des hipsters et des bourgeois décadents. »

« Pour moi le mot "beat" ne signifit pas "débordement de frénésie hystérique sans objet", la "beat generation" ce n’était pas les voyous, ni la canaille, les durs, les je-m’en-foutistes, ni les déracinés. Pour moi, the "beat" désigne bien une route, mais la route de celui qui recherche la "béatitude", à l’instar de Saint François d’Assise. Je suis artiste et conteur, un écrivain dans la grande tradition narratrice française et non le porte-parole d’un million de voyous. ».

Jack Kerouac : Satori à Paris/ Vanité de Duluoz/ Entretiens

 

« Quand je tomberai
dans l’affre inhumain
de la mort vertigineuse
je saurai (si
assez malin pour m’rappeler)
que tous les tunnels
noirs de la haine
ou de l’amour dans lesquels
je tombe, sont,
au fait,
des éternités rayonnantes
et vraies
pour moi »

Jack Kerouac
184e Chorus
Mexico City Blues

 

Le 12 octobre 1965 Jack Kerouac adresse une lettre à Sterling Lord, son agent : « Continuez à envoyer SATORI A PARIS aux éditeurs. Je crois qu’ils sont tous furieux d’apprendre que je suis le descendant de nobles bretons plutôt que le bâtard anonyme né de leurs propres préjugés. »

 

 

« Pour moi le péché le plus impardonnable est le Mensonge parce que, tout comme la fausse monnaie, il dévalue la vérité. »

« Sans friction, sans conflit, n'importe quel système s'arrêtera. » William S. Burroughs, Ultimes Paroles

« Je pense que les revues d’avant-garde française de l’époque ont voulu enrôler Burroughs dans un combat politique passéiste et sans issue qui ne le concernait pas vraiment. Burroughs luttait contre tous les discours. Il est resté fidèle à lui-même jusqu’à la fin de sa vie. Des gens comme lui ou, dans un autre domaine comme Sun Ra, sont exceptionnels. Lisant récemment deux de ses derniers ouvrages "Mon éducation, un livre des rêves" et "Ultimes paroles", j’ai été frappé d’y retrouver deux fois cette assertion qui devrait paraître très réactionnaire aux beaux esprits de notre époque : "Les scientifiques ne m’inspirent qu’un profond dégoût. Je préfère de loin un prêtre averti et cultivé… à un vieil abruti pétochard, éternellement planqué dans les chiottes d’un univers condamné". » Lucien Suel

Et en guise de digression :

« Car ce n’est pas avec le langage châtié des "conservateurs" post-modernes que s’exprimaient Rabelais ou saint Irénée de Lyon, pas plus que sainte Jeanne d’Arc, Tertullien ou saint Thomas d’Aquin, et pas plus que Kerouac, Jack, qui fut en son temps traité de "réactionnaire" par la clique gauchiste, et pas plus que M. Zimmermann, dit "Bob Dylan", à qui la même mésaventure arrive depuis sa conversion au christianisme évangélique. » Maurice G. Dantec

Consultez cet excellent lien qui fera frémir le gôchiste lambda...

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16/02/2010

Il est vain de vouloir rendre l'époque actuelle pareille au bon vieux temps

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"Le climat d'une époque est inaltérable. La dégradation continue de la situation prouve que nous sommes entrés dans le dernier stade de la Loi. Or, le printemps ou l'été ne peuvent durer toujours ni le jour de luire constamment. Il est donc vain de vouloir rendre l'époque actuelle pareille au bon vieux temps d'il y a un siècle. L'important est faire en sorte que chaque époque soit aussi bonne qu'elle peut l'être compte tenu de sa nature. L'erreur de ceux qui ont toujours la nostalgie des mœurs passés tient à leur méconnaissance de cette vérité. En revanche, ceux qui n'apprécient que ce qui est au goût du jour et méprisent le démodé sont bien superficiels."

Jōchō Yamamoto, Le Hagakure

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08/02/2010

CAMUS FASCISTE, DIXIT BHL…

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Michel Onfray démasque le funeste philosophard de service...

 


La Chronique Mensuelle de Michel Onfray - Février 2010


CAMUS FASCISTE, DIXIT BHL…

BHL écrit en 1991, dans Les aventures de la liberté (p. 291-294) que Camus fut un « intellectuel courageux », un écrivain jamais pris « en défaut de noblesse ou de cœur ». Il le trouve « joyeux fêtard », « bon copain », avoue avoir le même humour que lui ( !) et affirme que, s’il avait vécu, il lui aurait sûrement « apporté les épreuves de la Barbarie ». Il conclut, après des digressions sur sa ressemblance avec Humphrey Bogart : « J’aime Camus, donc. C’est, dans cette galerie d’ancêtres, l’un des rares dont je me sente vraiment proche. Et c’est un de mes rêves que d’écrire un jour un livre qui rendrait justice à cet ancêtre ». Puis BHL traite d’« imbéciles » ceux qui feraient de lui un défenseur de l’Algérie Française, sinon un « fasciste »… Enfin ceci : « Camus et Sartre. Camus qui a eu raison contre Sartre. On ne répétera jamais assez, combien il a eu raison contre Sartre et la bande des Temps modernes. » Suit une énumération des raisons qui permettent d’étayer cette thèse…

Ce livre a été écrit, en effet, il s’appelle Le siècle de Sartre. Sa parution eut lieu fort opportunément en 2000, autrement dit pour le vingtième anniversaire de sa mort – il y a toujours un effet de souffle en librairie pour ces fêtes funestes, pourquoi s’en priver… On peut y lire ceci (p. 420-421) à propos du goût qu’avait Camus de la nature , notamment dans L’été : « Quand on se proclame ainsi l’ami du monde, des choses du soleil, quand on ne se reconnaît plus d’autre loi que celle de la fidélité à la sainte loi de la nature et de ses harmonies spontanées ». Suivent alors sur le mode lyrique une évocation de Nietzsche, de la « grande raison du corps » puis, cette conclusion à la fin d’une longue cadence proustienne : « N’y-a-t-il pas là, mine de rien, une autre matrice du pire ? n’est-elle pas, cette foi aveugle dans la nature, l’autre grande source, après l’ubris ou avant elle, du totalitarisme et, en tout cas, du meurtre ? ». On aura bien lu : Camus défenseur ontologique du totalitarisme et du crime !



La stratégie de BHL apparaît clairement dans cette volte-face majeure : il s’agit d’occuper dans le champ médiatico-philosophique une place facilement identifiable. Camus, un fils de pauvre resté fidèle à son milieu, un socialiste libertaire, un philosophe qui n’a pas appris la misère à l’Ecole Normale Supérieure mais dans sa famille, un anti-mondain plus soucieux de méditerranée que de Saint Germain des Près, un nietzschéen de gauche, l’ami des gens de peu, un pupille de la nation, boursier reconnaissant au système d’éducation de la République et défenseur de la méritocratie par l’instituteur, un solitaire solidaire, voilà, de fait, qui ne pèse pas lourd face à Sartre le fils des beaux quartiers bourgeois, l’enfant peaufiné au précepteur, le normalien agrégé plus à l’aise dans le livre que dans le monde, le socialiste autoritaire, l’ami des dictateurs, l’animal qui chasse en meute et lance ses chiens germanopratins pour tuer, sinon ses serpents pour séduire…

On comprend, idiosyncrasie écrirait Nietzsche, combien BHL a pu aspirer jadis à la pureté camusienne comme à un idéal du moi, mais combien aussi, quand on veut faire carrière, l’auteur de L’homme révolté ne peut être un modèle au contraire de celui de la Critique de la raison dialectique

Michel Onfray


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26/01/2010

La Tolérance de l'Islam

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Ce qui dicte la vision du monde des musulmans, c’est que l’humanité entière doit respecter les impératifs de leur religion, alors qu’ils ne doivent eux-mêmes aucun respect aux religions des autres, puisqu’ils deviendraient alors des renégats méritant l’exécution immédiate. La “tolérance” musulmane est à sens unique. Elle est celle que les musulmans exigent pour eux seuls et qu’ils ne déploient jamais envers les autres. Soucieux de se montrer tolérant, le pape a autorisé, encouragé même, l’édification d’une mosquée à Rome, ville où est enterré Saint Pierre. Mais il ne saurait être question de contruire une église à La Mecque, ni nulle part en Arabie Saoudite, sous peine de profaner la terre de Mahomet. En octobre 2001, des voix islamiques, mais aussi occidentales, ne cessèrent d’inviter l’Administration américaine à suspendre les opérations militaires en Afghanistan durant le mois du ramadan, qui allait commencer à la mi-novembre. Guerre ou pas guerre, la décence - disaient les bien-intentionnés - impose certains égards pour les fêtes religieuses de tous. Belle maxime, sauf que les musulmans s’en tiennent pour les seuls exemptés. En 1973, l’Egypte n’a pas hésité à attaquer Israël le jour même du Kippour, la plus importante fête religieuse juive, guerre qui est restée dans l’histoire précisément sous l’appellation la “guerre du Kippour”.


Le deuxième volet du mythe de l’islam tolérant consiste à soutenir hautement que le gros des populations musulmanes désapprouve le terrorisme, et au premier rang l’immense majorité des musulmans résidents ou citoyens des pays démocratiques d’Europe ou d’Amérique. Les muphtis ou recteurs des principales mosquées en Occident se sont fait une spécialité de ces assurances suaves. Après chaque déferlement d’attentats meurtriers, par exemple en France en 1986 et en 1995, ou après la fatwa ordonnant de tuer Salman Rushdie en 1989 ou Taslima Nasreen en 1993 pour “blasphème”, ils n’ont pas leurs pareils pour garantir que les communautés religieuses dont ils ont la charge spirituelle sont foncièrement modérées. Dans les milieux politiques et médiatiques, on leur emboîte avec empressement le pas, tant la crainte nous étrangle de passer pour racistes en constatant simplement les faits. Comme le dit encore Ibn Warraq, “la lâcheté des Occidentaux m’effraie autant que les islamistes.”

Ainsi, le quotidien Le Parisien-Aujourd’hui, dans son numéro du 12 septembre 2001, publie un reportage sur l’atmosphère de liesse qui a régné durant toute la soirée du 11 dans le XVIIIe arrondissement de Paris, où vit une importante communauté musulmane. “Ben Laden, il va tous vous niquer ! On a commencé par l’Amérique, après ce sera la France.” Tel était le type de propos “modérés” adressés aux passants dont le faciès semblait indiquer qu’ils n’étaient pas maghrébins. Ou encore : “Je vais faire la fête ce soir car je ne vois pas ces actes [les attentats de New York et de Washington] comme une entreprise criminelle. C’est un acte héroïque. Ca va donner une leçon aux Etats-Unis. Vous, les Français, on va tous vous faire sauter.”

Ce reportage du Parisien n’a eu d’équivalent dans aucun autre organe de la presse écrite et fut passé sous silence par la quasi-totalité des médias. En tout cas, auditeur assidu, chaque matin, des diverses revues de presse radiophoniques, je ne l’ai entendu mentionner dans aucune d’entre elles, sauf erreur, ce 12 septembre.

Malgré l’imprécision des statistiques, on considère que la population vivant en France compte entre quatre et cinq millions de musulmans. C’est la communauté musulmane la plus nombreuse d’Europe, suivie, loin derrière, par celles d’Allemagne et de Grande-Bretagne. Si “l’immense majorité” de ces musulmans était modérée, comme le prétendent les muphtis et leurs suiveurs médiatico-politiques, il me semble que cela se verrait un peu plus. Par exemple, après les bombes de 1986 puis de 1995, à Paris, qui tuèrent plusieurs dizaines de Français et en blessèrent bien davantage, il aurait bien pu se trouver, sur quatre millions et demi de musulmans, dont une bonne part avait la nationalité française, quelques milliers de “modérés” pour organiser une manifestation et défiler de la République à la Bastille ou sur la Canebière. Nul n’en a jamais vu l’ombre.

En Espagne, des manifestations rassemblant jusqu’à cent mille personnes ont souvent eu lieu en 2001 pour honnir les assassins de l’ETA militaire. Elles se sont déroulées non seulement dans l’ensemble du pays, mais au Pays basque même, où les manifestants pouvaient craindre des représailles, quoique les partisans des terroristes y fussent effectivement très minoritaires, comme l’ont encore prouvé les élections régionales de novembre 2000.

Si, au rebours, les musulmans modérés en France osent si peu se manifester, la raison n’en serait-elle pas qu’ils savent que ce sont eux les minoritaires au sein de leur communauté et non les extrémistes ? Voilà pourquoi ils sont modérés… avec modération.

Il en va de même en Grande-Bretagne, où l’on vit, en 1989, les musulmans, pour la plupart d’origine pakistanaise, se déchaîner pour hurler à la mort contre Salman Rushdie, mais où l’on ne vit aucun d’entre eux protester contre ces cris barbares. Après le 11 septembre, tel porte-parole qualifié des musulmans britanniques, El Misri, définit les attentats contre les World Trade Center comme des actes de “légitime défense”. Tel autre, Omar Bakri Mohammed, lança une fatwa ordonnant de tuer le président du Pakistan, coupable d’avoir pris position en faveur de George Bush contre Ben Laden. Chacun a eu beau tendre l’oreille, personne n’a entendu la moindre foule “modérée” islamo-britannique protester dans les rues contre ces appels au meurtre, parcqu’il n’en existe aucune, pas plus qu’il n’y a de foule “modérée” islamo-française. La notion que “l’immense majorité” des musulmans fixés en Europe serait modérée se révèle n’être qu’un rêve, ce qui fut mis spectaculairement en lumière durant les deux mois qui suivirent les attentats contre les Etats-Unis.

 

Jean-François Revel, de l'Académie Française,  "L'obsession antiaméricaine", Plon, 2002


 

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22/01/2010

L’exil jusqu’à Dieu

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« Toute époque est une aventure. Je suis un aventurier. Bonne époque pour moi que mon époque. Je connaissais déjà les courses d’autos, la cocaïne, l’alpinisme. Je trouvais dans cette campagne désolée, abstraite, le sport d’abîme que je flairais depuis longtemps.
Patrouilles, guerre de mines, camaraderie bestiale et farouche, gloire sordide.
Je me gorgeais de cette ivresse de la terre ; c’était une gésine frénétique ininterrompue dans les râles, les jurons, la peur qui lave les boyaux. Ce qui exultait depuis longtemps dans ma jeunesse, enfin je le distinguais entièrement dans mes poings aussi nettement que mes dix doigts.
Les races hurlaient leur génie altéré.
La violence des hommes : ils ne sont nés que pour la guerre, comme les femmes ne sont faites que pour les enfants. Tout le reste est détail tardif de l’imagination qui a déjà lancé son premier jet. J’ai senti alors un absolu de chair crue, j’ai touché le fond et j’ai étreint la certitude. Il ne fallait pas sortir de la forêt : l’homme est un animal dégénéré, nostalgique.
De cette fureur du sang sortit ce qui en sort à coup sûr, un élan mystique qui, nourri de l’essentiel de la chair, rompit toutes les attaches de cette chair et me jeta, pure palpitation, pur esprit, dans l’extrême de l’exil jusqu’à Dieu. »

Pierre Drieu La Rochelle

Le jeune Européen. 1927

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19/01/2010

Fascisme II

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"Je suis profondément convaincu que le vrai fascisme est ce que les sociologues ont trop gentiment nommé ” la société de consommation “, définition qui paraît inoffensive et purement indicative. Il n’en est rien. Si l’on observe bien la réalité, et surtout si l’on sait lire dans les objets, le paysage, l’urbanisme et surtout les hommes, on voit que les résultats de cette insouciante société de consommation sont eux-mêmes les résultats d’une dictature, d’un fascisme pur et simple. Dans le film de Naldini, on voit que les jeunes étaient encadrés et en uniforme… Mais il y a une différence : en ce temps là, les jeunes, à peine enlevaient-ils leurs uniformes et reprenaient-ils la route vers leurs pays et leurs champs, qu’ils redevenaient les Italiens de cinquante ou de cent ans auparavant, comme avant le fascisme.

Le fascisme avait en réalité fait d’eux des guignols, des serviteurs, peut-être en partie convaincus, mais il ne les avait pas vraiment atteints dans le fond de l’âme, dans leur façon d’être. En revanche, le nouveau fascisme, la société de consommation, a profondément transformé les jeunes; elle les a touchés dans ce qu’ils ont d’intime, elle leur a donné d’autres sentiments, d’autres façons de penser, de vivre, d’autres modèles culturels. Il ne s’agit plus, comme à l’époque mussolinienne, d’un enrégimentement superficiel, scénographique, mais d’un enrégimentement réel, qui a volé et changé leur âme. Ce qui signifie, en définitive, que cette ” civilisation de consommation ” est une civilisation dictatoriale. En somme, si le mot de ” fascisme” signifie violence du pouvoir, la ” société de consommation ” a bien réalisé le fascisme."

Écrits corsaires - Pier Paolo Pasolini

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13/01/2010

Les Liaisons Dangereuses du MRAP (2004)

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Rapport "Les Liaisons dangereuses du MRAP" (2004)

Bien entendu, je vous conseille d'aller directement ici et de lire, ou imprimer, dans de bonnes conditions.

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Gazelle de l'amour imprévu

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« Personne ne comprenait le parfum
de l’obscur magnolia de ton ventre.
Personne ne savait que tu martyrisais
un colibri d’amour entre tes dents.

Mes petits chevaux perses s’endormaient
sur la place sous la lune de ton front
tandis que moi j’enlaçais quatre nuits
ta taille ennemie de la neige.

Entre plâtre et jasmins, ton regard
était un pâle bouquet de semences.
Moi j’ai cherché pour te donner sur ma poitrine
les lettres d’ivoire qui disent "toujours,
Toujours, toujours", jardin de mon agonie,
ton corps fugitif pour toujours,
le sang de tes veines dans ma bouche,
ta bouche déjà sans lumière pour ma mort... »

Federico García Lorca, Gazelle de l'amour imprévu, in "Divan du Tamarit"

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12/01/2010

Baisers

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Un baiser
abrège la vie humaine de 3 minutes,
affirme le Département de Psychologie
de Western State College,
Gunnison (Col).
Le baiser
provoque de telles palpitations
que le cœur travaille en 4 secondes
plus qu’en 3 minutes.
Les statistiques prouvent
que 480 baisers
raccourcissent la vie d’un jour,
que 2360 baisers
vous privent d’une semaine
et que 148 071 baisers,
c’est tout simplement une année de perdue.

Paul Morand, Poèmes 1919-1927


Paul Morand

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12/11/2009

Noir Cioran, par Sollers

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La scène se passe en Roumanie dans les années 1930 du XXe siècle, c'est-à-dire nulle part. Il y a là un fils de pope particulièrement brillant et agité : Cioran. Il souffre, il déteste son pays, il suffoque, il n en peut plus, il rêve d'un grand chambardement révolutionnaire, il est mordu de métaphysique mais son corps le gêne, il désire de toutes ses forces un violent orage. Le voici : c'est Hitler. A partir de là, crise radicale : Cioran appelle son pays à une totale transfiguration. Il a 22 ans à Berlin, la fascination a lieu, il s'engage : «Celui qui, entre 20 et 30 ans, ne souscrit pas en fanatique, à la fureur et à la démesure, est un imbécile. On n'est libéral que par fatigue.»

Le ton est donné, et l'embêtant est que cet enragé très cultivé est plein de talent. Il a besoin de folie, dit-il, et d'une folie agissante. Il fait donc l'éloge de l'irrationnel et de l'insensé, il a envie de faire sauter les cimetières, il nie, en oedipe furieux, le christianisme mou de son curé de père, il prend le parti de sa mère, pas croyante, mais qui fait semblant.

On se frotte les yeux en lisant aujourd'hui les articles de Cioran dans «Vremea», journal roumain de l'époque : «Aucun homme politique dans le monde actuel ne m'inspire autant de sympathie et d'admiration que Hitler.» La transposition locale s'appelle la Garde de Fer, sa brutalité, son antisémitisme rabique, ses assassinats crapuleux. Comment cet admirateur futur de Beckett, bourré de lectures théologiques et mystiques, a-t-il pu avaler la pire propagande fasciste (la terre, l'effort, la communauté de sang, etc.) ? En 1940 encore, Cioran fait l'éloge du sinistre Codreanu, dit «le Capitaine» (qui vient d'être liquidé), en parlant de son héroïsme de «paysan écartelé dans l'absolu» et se laisse aller à cette énormité : «A l'exception de Jésus, aucun mort n'a été plus vivant parmi les vivants.» On comprend que longtemps après sa fugue magistrale en France, ayant rompu avec ce passé délirant, il ait été surveillé par la grotesque police secrète communiste roumaine, la Securitate, avec des comptes rendus dignes du Père Ubu.
Aucun doute, Cioran a été messianique, et il va d'ailleurs le rester, de façon inversée, dans le désespoir. Sa conversion éblouissante à la langue française va lui permettre cette métamorphose. Dès le «Précis de décomposition» (1949), ne voulant plus être le complice de qui que ce soit, il devient un intégriste du scepticisme, un terroriste du doute, un dévot de l'amertume, un fanatique du néant. En grand styliste de la négation, et avec une intelligence d'acier, il sait où frapper. Son «De la France» annonce parfaitement son projet. La France, écrit-il, s'enfonce dans une décadence inexorable, elle est exténuée, elle agonise, et je vous le prouve, moi, Cioran, en écrivant mieux qu'aucun Français, et en procédant à la dissection d'un cadavre. «Les temps qui viennent seront ceux d'un vaste désert; le temps français sera lui-même le déploiement du vide. La France est atteinte par le cafard de l'agonie.» Ou encore : «Lorsque l'Europe sera drapée d'ombre, la France demeurera son tombeau le plus vivant.» Etrangement, les Français vont beaucoup aimer ces oraisons funèbres, alors que si un Français leur dit, pour les ranimer, qu'ils sont moisis, ils le prennent très mal. Cioran est extrêmement conscient de son rôle de vampire intellectuel, mais comme il souffre comme un martyr du simple fait d'être né (alors que, dans la vie, c'était le plus gai des convives), on le plaint, on l'adore. C'est entendu, tout est foutu, l'homme devrait disparaître, et je me souviens de sa charmante dédicace à mon sujet, qui valait condamnation définitive : «Vivant ! Trop vivant !»

Dans un passionnant entretien de 1987 avec Laurence Tacou (Cahier de l'Herne), Cioran multiplie les prophéties : «Dans cinquante ans, dit-il, Notre-Dame sera une mosquée.» Un seul espoir : la relève de l'Amérique latine. Il va même jusqu'à cette considération gnostique, ou plus exactement manichéenne : «Je crois que l'histoire universelle, l'histoire de l'homme, est inimaginable sans la pensée diabolique, sans un dessein démoniaque...» En somme, il ne croit pas en Dieu, mais au diable, ce qui l'empêche d'adhérer au bouddhisme, on a eu chaud. Ne pas oublier quand même que tout cela est interrompu par de nombreux rires, la seule solution de calme pour lui, après des nuits blanches torturantes, étant le bricolage et la réparation de robinets.

Ce misanthrope absolu a réussi à vivre pauvrement, refusant les honneurs et les prix, éternel étudiant, saint sans religion, parasite inspiré, parfois ascète au beurre, et, de plus, aimé jusqu'à sa fin terrible (maladie d'Alzheimer) par une compagne lumineuse, Simone Boué (il faut lire ici le témoignage émouvant de Fernando Savater). Ce nihiliste ultra-lucide ne rend les armes que devant la musique de Bach qui lui ferait presque croire en Dieu. Mais enfin, qui aura célébré comme lui la langue française ? «On n'habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c'est cela, et rien d'autre» En réalité, il a poussé le français au noir, mais sans pathos, dans des fragments dont beaucoup sont inoubliables. Le catastrophisme roumain est toujours là, mais surmonté par l'impeccable clarté française. Cioran a raconté sa conversion au français, après avoir sué sang et eau sur une traduction de Mallarmé. Il s'est réveillé du côté de Pascal et de La Rochefoucauld, et il est parmi les très rares auteurs (avec Baudelaire) à avoir compris le génie de Joseph de Maistre. Pas de Sade, chez lui, aucune dérive sexuelle (ce qui, par les temps qui courent, produit un effet d'air frais). On peut ouvrir ses livres au hasard, et méditer sur deux ou trois pensées, ce que je viens de faire avec «Aveux et Anathèmes» : le spectacle social vole aussitôt en éclats, un acide guérisseur agit.

Cioran, on le voit sur des photos, a été un très beau bébé. Son père, en habits ecclésiastiques, n'a pas l'air à la fête. Sa mère, Elvira, est énergique et belle. «J'ai hérité de ses maux, de sa mélancolie, de ses contradictions, de tout. Tout ce qu'elle était s'est aggravé et exaspéré en moi. Je suis sa réussite et sa défaite.» Humain, trop humain... Exemple : «Ce matin, après avoir entendu un astronome parler de milliards de soleils, j'ai renoncé à faire ma toilette : à quoi bon se laver encore ?»

La consommation de Cioran doit se faire à petites doses. Deux ou trois fragments sont régénérants, davantage est vite lassant, on entend tourner le disque. Rien de plus tonique que dix minutes de désespoir et de poison nihiliste. Personnellement, les milliards de soleils m'excitent, et la musique de Bach, comme Cioran le reconnaissait lui-même, est une réfutation de tous ses anathèmes. Quel type extraordinaire, tout de même, qui voulait écrire sur sa porte les avertissements suivants : «Toute visite est une agression, ou J'en veux à qui veut me voir, ou N'entrez pas, soyez charitable, ou Tout visage me dérange, ou Je n'y suis jamais, ou Maudit soit qui sonne, ou Je ne connais personne, ou Fou dangereux.»

Philippe Sollers

 

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09/11/2009

Ils sont du côté de l’innocence du délire en groupe...

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Le mythe du fascisme

(cet article a été publié pour la première fois le 8 juin 2009 dans Riposte Laïque no. 92 )

Aux Pays-Bas, le parti de Geert Wilders a fait plus de 16% aux élections européennes, et raflé quatre sièges de députés. Une belle baffe dans la gueule de la gauche néerlandaise, aussi iréniste que notre gauche autochtone, qui a dégringolé de dix points. Aussitôt ces matons de Panurge que sont les journalistes français, ont rivalisé de courage dans la dénonciation conformiste de ce résultat si aberrant à leurs yeux angéliques : « populiste », « fasciste », « extrémiste de droite », « opportuniste », « aventurier », « raciste », voire… « député aux cheveux blond platine ». Je ne répéterai pas les raisons pour lesquelles Wilders n’est ni un raciste ni un fasciste. Même les aveux de Jospin, sur le fait que l’antifascisme des années Mitterrand « n’a été que du théâtre », n’ont pas ébranlé les convictions forgées à coup de matraque compassionnelle de la caste médiatique. On ne crie pas à un somnambule qu’il est en train de marcher sur le toit, il risquerait de se briser la nuque. On ne discute pas de la réalité avec des hébétés, du genre de ce Philippe Namias, militant vert qui déclamait qu’il est « heureux dans une France qui se fout totalement des origines et des langues ». (1)

L’électorat actuel ne se partage plus en droitiers et gauchers, mais en angéliques effarouchés et réalistes avec une mémoire historique. Ceux qui « se foutent » de la mémoire collective et de l’histoire d’une nation sont, cliniquement parlant, des fous. Sans mémoire, il est impossible de comprendre le présent et d’anticiper l’avenir. Un homme sans mémoire n’a pas de capacité juridique : il ne serait jamais admis comme témoin dans un procès, car sans mémoire, que peut-il dire de fiable ? Aussi, un peuple sans mémoire, sans souci de son identité et de ses origines, n’est qu’un bateau ivre. Je ne défendrai pas Wilders contre les calomnies de gardiens autoproclamés du Bien. Ce n’est pas la peine. Milan Kundera a savoureusement expliqué pourquoi il ne faut pas le faire : « Suppose que tu rencontres un fou qui affirme qu’il est un poisson et que nous sommes tous des poissons. Vas-tu te disputer avec lui ? Vas-tu te déshabiller devant lui pour lui montrer que tu n’as pas de nageoires ? Vas-tu lui dire en face ce que tu penses ? (…) Si tu ne lui disais que la vérité, que ce que tu penses vraiment de lui, ça voudrait dire que tu consens à avoir une discussion sérieuse avec un fou et que tu es toi-même fou. C’est exactement la même chose avec le monde qui nous entoure. Si tu t’obstinais à lui dire la vérité en face, ça voudrait dire que tu le prends au sérieux. Et prendre au sérieux quelque chose d’aussi peu sérieux, c’est perdre soi-même tout son sérieux. » (2)

Le fascisme, contre lequel pensent lutter toutes ces légions d’anges sans mémoire et sans sexe, est un mythe, non une réalité. S’ils savaient reconnaître le fascisme dans la réalité, ils seraient tous fièrement islamophobes, à l’instar de Wilders, et de Churchill, qui savait de quoi il parlait. Il y a quelques années, des scientifiques avaient fait une expérience très intéressante sur le conditionnement de groupe : ils ont enfermé vingt singes dans une pièce avec un escabeau au milieu. Une banane était attachée au plafond de sorte qu’elle n’était accessible qu’en montant au sommet de l’escarbot. Sitôt qu’un singe posait la patte sur l’escabeau, une douche glacée arrosait la pièce, et donc tous les autres singes, ce qui ne manquait pas de les énerver. Au bout d’un certain nombre de tentatives et de douches froides, les singes finissent par établir un lien causal, parfaitement pavlovien, entre la douche et le fait de monter sur l’escabeau, de sorte que celui qui s’aventure pour prendre la banane se fait tabasser par les autres dès qu’il approche de l’escabeau.

Quand plus rien ne se passe au bout d’un temps déterminé, on fait sortir un singe et on en introduit un nouveau. Le nouveau se dirige assez rapidement vers la banane, mais il n’a pas posé le pied sur l’escabeau qu’il se fait immédiatement tabassé sans sommation par les autres. Alors on continue, on en échange un deuxième : même punition pour lui. Puis un troisième, un quatrième et ainsi de suite jusqu’à ce que les vingt premiers singes soient tous remplacés ! Pour le vingtième nouvel arrivant c’est toujours le même châtiment, s’il ose approcher de l’escabeau. De sorte qu’à la fin, aucun singe de la pièce ne sait pourquoi il ne faut pas s’approcher de l’escabeau, et pourquoi il faut empêcher quiconque d’y monter. C’est un réflexe de groupe, sans aucune connaissance de la réalité.

Les antifascistes d’aujourd’hui, agissent comme ces singes conditionnés, sans savoir pourquoi ils le font. Tous ces jeunes qui n’ont rien connu du fascisme réel, dès qu’ils entendent les mots « patrie », « origines », « identité », « lutte contre l’immigration », ils tabassent tous ceux qui les prononcent. Il se peut que ce soit même d’anciens résistants contre les nazis, peu importe, les singes d’aujourd’hui en savent plus que ces « vieux dinosaures ». Ils sont du côté de l’innocence du délire en groupe, c’est-à-dire du… fascisme.

Radu Stoenescu

(1) Voir chez "Riposte Laïque"

(2) Milan Kundera, Risibles amours

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06/11/2009

Le Dernier des Mohicans... et les crétins à Babouches...

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Très bel hommage de Morgan Sportès dans le Figaro d'aujourd'hui... Ca nous change des conneries qu'on peut lire dans la presse gôchiste depuis deux ou trois jours sur ce grand monsieur.

Claude Lévi-Strauss,
le dernier des Mohicans

Morgan Sportès

La « Pléiade » rend hommage à l'académicien centenaire en publiant le premier volume de ses oeuvres complètes *. Occasion rêvée de relire son oeuvre immense, dont « Tristes tropiques », son livre-phare.

« Passées de mode, les "sixties", où intellectuels de gauche, cinéastes, hippies prenaient systématiquement le parti du Peau-Rouge massacré, du fellagha, du Viêt-minh ?... Ne cherche-t-on plus, aujourd'hui, à se "déprendre" de soi ? A s'interroger sur le point de vue de l'Autre ? De l'Irakien, du Chinois, de l'Afghan ?... Tout au contraire (signe de désarroi civilisationnel, sans doute), on tente désespérément de se ressourcer, de se ré-enraciner : à La Mecque, à Jérusalem, à Rome et autres sacristies. Pour se "déprendre", Claude Lévi-Strauss, grand intellectuel français rationaliste et laïc d'origine juive, de la race du moins des Freud et des Spinoza, n'y alla pas par quatre chemins. A 28 ans, à la fin des années 30, il s'embarqua pour l'autre monde afin d'atteindre, au fond de la jungle brésilienne, "l'extrême de la sauvagerie". Entreprise conradienne s'il en est ! Cette expérience, il la raconte dans ce livre-phare du XXe siècle (paru en 1955), Tristes tropiques, où, avec toute la subtilité de la langue d'un Proust, il décrit les menus faits et gestes des ultimes tribus vivant encore en marge des "bienfaits" du monde moderne et de sa culture massifiée.

Car c'est bien là le paradoxe de ce livre que d'y voir un rejeton hyper-raffiné de la grande bourgeoisie juive occidentale, épris de Stravinsky et Mallarmé (dire que des crétins médiatiques ont voulu faire de lui l'apôtre du babacoolisme-multiculturaliste !) entrer en sympathie, et plus qu'en sympathie souvent, avec des Caduveo, des Bororo, des Nambikwara, débris pathétiques d'une civilisation indienne exterminée, vivant cul nu dans la jungle, de chasse et de cueillette. Et c'est avec une délicatesse que lui donne une autre civilisation elle-même en pleine décadence mercantiliste, la nôtre, qu'il les décrit, rencontre émouvante, souvent cocasse : leur donnant un soir un rouleau de drap rouge, ne les vit-il pas le lendemain tous drapés d'écarlate, hommes, femmes et enfants, et même les chiens et les perroquets à qui on avait confectionné un costume éphémère ?

Loin de moi l'idée d'essayer d'expliquer la pensée si subtile de Lévi-Strauss. J'aimerais au moins faire sentir ce que sa démarche nous a apporté, moins dans la connaissance passionnante des sociétés dites primitives que dans la connaissance de notre société. Grâce à ce retour sur soi que cela nous a permis... Grand écart de la pensée auquel on répugne désormais»

--(Commentaire)--

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"J'aimerais au moins faire sentir ce que sa démarche nous a apporté, moins dans la connaissance passionnante des sociétés dites primitives que dans la connaissance de notre société."

Le passage de l'extrait, à propos de l'Islam, de "Tristes Tropiques" que j'ai posté précédemment sur mon modeste blog est très révélateur, en effet de cette démarche de Lévi-Strauss, lorsqu'il dit, entre autre : "Ce malaise ressenti au voisinage de l’Islam, je n’en connais que trop les raisons : je retrouve en lui l’univers d’où je viens ; l’Islam, c’est l’Occident de l’Orient. Plus précisément encore, il m’a fallu rencontrer l’Islam pour mesurer le péril qui menace aujourd’hui la pensée française. Je pardonne mal au premier de me présenter notre image, de m’obliger à constater combien la France est en train de devenir musulmane. Chez les Musulmans comme chez nous, j’observe la même attitude livresque, le mêmes esprit utopique, et cette conviction obstinée qu’il suffit de trancher les problèmes sur le papier pour en être débarrassé aussitôt. A l’abri d’un rationalisme juridique et formaliste, nous nous construisons pareillement une image du monde et de la société où toutes les difficultés sont justiciables d’une logique artificieuse, et nous ne nous rendons pas compte que l’univers ne se compose plus des objets dont nous parlons. Comme l’Islam est resté figé dans sa contemplation d’une société qui fut réelle il y a sept siècles, et pour trancher les problèmes de laquelle il conçut alors des solutions efficaces, nous n’arrivons plus à penser hors des cadres d’une époque révolue depuis un siècle et demi, qui fut celle où nous sûmes nous accorder à l’histoire ; et encore trop brièvement, car Napoléon, ce Mahomet de l’Occident, a échoué là où a réussi l’autre. Parallèlement au monde islamique, la France de la Révolution subit le destin réservé aux révolutionnaires repentis, qui est de devenir les conservateurs nostalgiques de l’état des choses par rapport auquel ils se situèrent une fois dans le sens du mouvement."

Certains devraient en prendre de la graine, lorsqu'ils manipulent les mots (et les maux), les concepts et le sens profond des choses, au nom de leur idéologie cordicole mais absolument dénuée de cordialité et d'élégance. En plus, ils se sentent offusqués lorsqu'ils se font remettre en place par plus expérimentés qu'eux. Et ça veut faire la révolution...

Je leur conseille d'ouvrir quelques livres qui les mettent à l'épreuve, et non pas constamment les mêmes fureurs revendicatrices pseudo-littéraires, pseudo-scientifiques, pseudo-politiques, pseudo-philosophiques qui ne feront qu'une seule chose : les conserver, poussiéreux et sans saveur, dans leur impasse.

Il n'y a rien de plus sinistrement Conservateur qu'un gôchiste franhouillard qui veut conserver ce qu'il croit être définitivement acquis. C'est une jouissance sans nom que d'être traité de "Réactionnaire" et de "Conservateur" par cette engeance qui s'ignore.

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Morgan Sportès « Lire Lévi-Strauss, du moins ses textes non directement théoriques, est un véritable plaisir même pour les non-initiés : qu'il nous balade à travers jungles en 1938 ; dans les rues de New York en 1941, aux côtés d'André Breton (Le Regard éloigné) ; ou qu'il nous aide à décrypter la peinture de Poussin (Regarder, écouter, lire) ; quand il ne dénonce pas les errements de l'art contemporain (Le Cru et le Cuit). Car Lévi-Strauss est (aussi) un grand écrivain. On n'oubliera pas cette scène où il croque, en quelques mots, un chef nambikwara qui emprunte à l'ethnologue un stylo et du papier sur lequel il gribouille, puis qui fait semblant de lire à voix haute, devant sa tribu, ce qu'il a fait semblant d'écrire, tentant de persuader les siens qu'il s'est approprié le savoir de l'homme blanc. C'est Trissotin ! Ainsi Lévi-Strauss débusque-t-il derrière le "particulier" (tel Indien du Mato Grosso) l'universalité des archétypes décrits par Molière. Combien faut-il être de mauvaise foi aussi pour faire accroire que Lévi-Strauss a voulu réduire l'Homme aux défroques folkloriques de ses différentes coutumes, de ses rites.

Les gens qui l'ont attaqué violemment naguère, et qui continuent aujourd'hui, ne sont-ils pas au fond des réincarnations de ce Trissotin nambikwara ? N'ont-ils pas, comme celui-ci, fait semblant de lire, pour dénoncer, dans des semblants de livres, une pensée à laquelle ils ne comprendront jamais rien ? Faisant semblant de lire aussi, les critiques littéraires troussent leurs éloges. Et le public gobe tout... Cette parodie n'est-elle pas une des manifestations de la destruction de notre propre culture qu'a préfigurée celle des cultures indiennes initiée par Cortès et parachevée par le McDo-Coca ? D'où la constante mélancolie qui émane de la plupart des textes de Lévi-Strauss, proche de celle du Chateaubriand des Mémoires d'outre-tombe. Il compare le pseudo-rationalisme occidental qui a asservi le monde à ce laboureur qui avance, les yeux fixés sur son sillon, incapable par ailleurs de voir ce qu'en même temps il détruit et ce qui, sur les bas-côtés du sillon, s'amoncèle. Ce qui s'amoncèle, ce sont ces rites en voie de disparition que Lévi-Strauss, affrontant moustiques et paludisme, est allé recueillir, auprès de tribus aujourd'hui disparues, ces mots de langues abolies, ces réglementations conjugales, ces interdits - ou ces vieux objets qu'avec André Breton et Max Ernst il aimait chiner chez les antiquaires de New York, restes, résidus, épaves d'époques révolues, pieds de lampe, chromos... - qui, si un esprit averti sait les comparer les uns aux autres, forment entre eux système, reconstruisent le style, l'âme, l'être de sociétés, de modes de vie obsolètes.

Lévi-Strauss a du goût aussi pour les vulgaires cailloux et les pierres précieuses, renvoyant par-delà les millénaires, aux temps pré-néolithiques. Car l'homme que décrit Lévi-Strauss n'est pas l'Homme abstrait des « droits de l'Homme » qui s'arroge le droit de détruire les autres espèces, la Nature, le Monde, et de se détruire lui-même, mais un homme concret, inscrit non seulement dans cette quotidienneté de ses moeurs et coutumes qui font - qui sont - la saveur même de la vie (l'art du vin, par exemple, que l'industrialisation détruit), mais aussi dans la temporalité scandée par les saisons que nous impose la nature, et dans la durée immémoriale des temps géologiques. »

--(Commentaire)--

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Eh oui... Claude Lévi-Strauss ne pensait pas un Homme Utopique, mais un homme enraciné, qui EST non parce qu'il pense (voyez Descartes), mais qui EST parce qu'il vient de quelque part, qu'il porte avec lui des Vestiges enfouis qui le guident ou le perdent, mais que l'on ne peut nier comme le font tous les sentimentalistes gôchistes qui du Passé voudraient faire table rase !

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Morgan Sportès : Lévi-Strauss n'a jamais, comme Foucault, chanté la mort de l'Homme, ni comme Barthes célébré le naufrage du Sujet cartésien : il a très simplement replacé l'un et l'autre dans le système de signes que constitue leur Temps, et dans la continuité infinie d'un monde physique qui exista avant la naissance de l'humanité, et se perpétuera quand celle-ci aura disparu. Voilà ce que les « sauvages » ont enseigné à Lévi-Strauss, voilà ce que grâce à eux il nous enseigne, et que ne saisissent pas ses critiques qui ne perçoivent, des peuples primitifs ou traditionnels, que des clichés folkloriques, exotiques, relevant de la culture des clubs de vacances. Ce savoir irrationnel des « sauvages », chacun de nous en pressent le mystère dans cette dernière part de « nature » à laquelle il nous est donné de goûter : l'étreinte amoureuse par exemple. "Faire l'amour, c'est bon", disent les Nambikwara. Claude Lévi-Strauss, dont on peut deviner qu'il est un homme de jouissance, nous convie à partager encore ce savoir (dans les dernières lignes de Tristes tropiques, qu'on ne méditera jamais assez). Il nous y exhorte à interrompre notre "labeur de ruche" (le stress du cadre trop dynamique) et à saisir l'essence de ce qui fut et continue d'être notre espèce, en deçà de la pensée et au-delà de la société : "(...) dans la contemplation d'un minéral plus beau que toutes nos oeuvres ; dans le parfum, plus savant que nos livres, respiré au creux d'un lys ; ou dans le clin d'oeil alourdi de patience, de sérénité et de pardon réciproque, qu'une entente involontaire permet d'échanger avec un chat." »

M. S.

* OEuvres, Gallimard, « Pléiade », 2 128 pages. Edition établie par Vincent Debaene, Frédéric Keck, Marie Mauzé et Martin Rueff.

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L'ami XP a raison, Claude Lévi-Strauss est probablement l'inventeur (qui s'ignorait ?) du concept de Catholique à Babouches, XP l'ayant pressenti à sa manière et divulgué sur la réacosphère d'abord, puis sur la toile en général. Et le concept fait son chemin. XP n'est pas en reste... il a, récemment, vu juste à nouveau, en présentant un concept neuf, celui de "gardien de vaches à diplômes" qui, n'en doutons pas, fera son petit bonhomme de chemin aussi.

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Je ne vous inviterai jamais assez à lire les articles de l'ami XP, pour comprendre les déclinaisons que son concept de Catholique à Babouches peut prendre...

* Souverainistes à Babouches

* Le Concept de CAB n'est pas un reductio ad Islamum

* Femmes Savantes à Babouches

* Babouche et terroir

* Juifs à Babouches

* Anti-Libéraux à Babouches

* Les Catholiques à Babouches dans le Texte

* La Tradition cette merde

* Finance Islamique et Anti-Libéraux à Babouches

Enjoy, les loustics...

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03/11/2009

L'Islam selon Claude Lévi-Strauss

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Un des plus grand esprit français du XXème Siècle vient de nous quitter. Lisez-le...

J'avais déjà évoqué ces extraits, mais Claude Lévi-Strauss vient de mourir et tout le monde le salut... mais personne ne l'a lu, comme vous allez le voir, si vous prenez la peine de lire ces quelques lignes issues de "TRISTES TROPIQUES".

"Sur le plan esthétique, le puritanisme islamique, renonçant à abolir la sensualité, s’est contenté de la réduire à ses formes mineures : parfums, dentelles, broderies et jardins. Sur le plan moral, on se heurte à la même équivoque d’une tolérance affichée en dépit d’un prosélytisme dont le caractère compulsif est évident. En fait, le contact des non-musulmans les angoisse. Leur genre de vie provincial se perpétue sous la menace d’autres genres de vie, plus libres et plus souples que le leur, et qui risquent de l’altérer par la seule contiguïté. Plutôt que parler de tolérance, il vaudrait mieux dire que cette tolérance, dans la mesure où elle existe, est une perpétuelle victoire sur eux-mêmes. En la préconisant, le Prophète les a placés dans une situation de crise permanente, qui résulte de la contradiction entre la portée universelle de la révélation et l’admission de la pluralité des fois religieuses. Il y a là une situation “paradoxale” au sens pavlovien, génératrice d’anxiété d’une part et de complaisance en soi-même de l’autre, puisqu’on se croit capable, grâce à l’Islam de surmonter un pareil conflit. En vain, d’ailleurs : comme le remarquait un jour devant moi un philosophe indien, les Musulmans tirent vanité de ce qu’ils professent la valeur universelle de grands principes: liberté, égalité, tolérance; et ils révoquent le crédit à quoi ils prétendent en affirmant du même jet qu’ils sont les seuls à les pratiquer.

(…) Tout l’Islam semble être, en effet, une méthode pour développer dans l’esprit des croyants des conflits insurmontables, quitte à les sauver par la suite en leur proposant des solutions d’une très grande (mais trop grande) simplicité. D’une main on les précipite, de l’autre on les retient au bord de l’abîme. Vous inquiétez-vous de la vertu de vos épouses ou de vos filles pendant que vous êtes en campagne ? Rien de plus simple, voilez-les et cloîtrez-les. C’est ainsi qu’on en arrive au burkah moderne, semblable à un appareil orthopédique, avec sa coupe compliquée, ses guichets en passementerie pour la vision, ses boutons-pression et ses cordonnets, le lourd tissu dont il est fait pour s’adapter exactement aux contours du corps humain tout en le dissimulant aussi complètement que possible. Mais, de ce fait, la barrière du souci s’est seulement déplacée, puisque maintenant il suffira qu’on frôle votre femme pour vous déshonorer, et vous vous tourmenterez plus encore. (Pages 463-5)

(…) si un corps de garde pouvait être religieux, l’Islam paraîtrait sa religion idéale : stricte observance du règlement (prières cinq fois par jour , chacun exigeant 50 génuflexions), revues de détails et soins de propreté (les ablutions rituelles); promiscuité masculine dans la vie spirituelle comme dans l’accomplissement des fonctions organiques; et pas de femmes. (…) Grande religion qui se fonde moins sur l’évidence d’une révélation que sur l’impuissance à nouer des liens au-dehors. En face de la bienveillance universelle du bouddhisme, du désir chrétien du dialogue, l’intolérance musulmane adopte une forme inconsciente chez ceux qui s’en rendent coupables ; car s’ils ne cherchent pas toujours, de façon brutale, à amener autrui à partager leur vérité, ils sont pourtant (et c’est plus grave) incapables de supporter l’existence d’autrui comme autrui. Le seul moyen pour eux de se mettre à l’abri du doute et de l’humiliation consiste dans une “néantisation” d’autrui, considéré comme témoin d’une autre foi et d’une autre conduite. La fraternité islamique est la converse d’une exclusive contre les infidèles qui ne peut pas s’avouer, puisque en se reconnaissant comme telle, elle équivaudrait à les reconnaître eux-mêmes comme existants. (Pages 466-7)

Ce malaise ressenti au voisinage de l’Islam, je n’en connais que trop les raisons : je retrouve en lui l’univers d’où je viens ; l’Islam, c’est l’Occident de l’Orient. Plus précisément encore, il m’a fallu rencontrer l’Islam pour mesurer le péril qui menace aujourd’hui la pensée française. Je pardonne mal au premier de me présenter notre image, de m’obliger à constater combien la France est en train de devenir musulmane. Chez les Musulmans comme chez nous, j’observe la même attitude livresque, le mêmes esprit utopique, et cette conviction obstinée qu’il suffit de trancher les problèmes sur le papier pour en être débarrassé aussitôt. A l’abri d’un rationalisme juridique et formaliste, nous nous construisons pareillement une image du monde et de la société où toutes les difficultés sont justiciables d’une logique artificieuse, et nous ne nous rendons pas compte que l’univers ne se compose plus des objets dont nous parlons. Comme l’Islam est resté figé dans sa contemplation d’une société qui fut réelle il y a sept siècles, et pour trancher les problèmes de laquelle il conçut alors des solutions efficaces, nous n’arrivons plus à penser hors des cadres d’une époque révolue depuis un siècle et demi, qui fut celle où nous sûmes nous accorder à l’histoire ; et encore trop brièvement, car Napoléon, ce Mahomet de l’Occident, a échoué là où a réussi l’autre. Parallèlement au monde islamique, la France de la Révolution subit le destin réservé aux révolutionnaires repentis, qui est de devenir les conservateurs nostalgiques de l’état des choses par rapport auquel ils se situèrent une fois dans le sens du mouvement. (Page 468)

 

Les hommes ont fait trois grandes tentatives religieuses pour se libérer de la persécution des morts, de la malfaisance de l’au-delà et des angoisses de la magie. Séparés par l’intervalle approximatif d’un demi-millénaire, ils ont conçu successivement le bouddhisme, le christianisme et l’Islam ; et il est frappant de marquer que chaque étape, loin de marquer un progrès sur la précédente, témoigne plutôt d’un recul. Il n’y a pas d’au-delà pour le bouddhisme ; (….) Cédant de nouveau à la peur, le christianisme rétablit l’autre monde, ses espoirs, ses menaces et son dernier jugement. Il ne reste plus à l’Islam qu’à lui enchaîner celui-ci : le monde temporel et le monde spirituel se trouvent rassemblés. L’ordre social se pare des prestiges de l’ordre surnaturel, la politique devient théologie. En fin de compte on a remplacé des esprits et des fantômes auxquels la superstition n’arrivait tout de même pas à donner la vie, par des maîtres déjà trop réels, auxquels on permet en surplus de monopoliser un au-delà qui ajoute son poids au poids déjà écrasant de l’ici-bas. (Pages 471-2)"

 

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17/10/2009

L'Affaire des Bouquinistes

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Petite chronique satirique sortie de l'excellente plume du jovial schtroumpf de la pompeuse réacosphère, XP... Trouvé, bien entendu, chez I Like Your Style... où d'autre ?

 

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“Si j’avais une province à punir, je la ferais gouverner par un philosophe.”

Frédéric II  ( 1712-1786 ) Roi de Prusse

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" Reuters

Selon certaines sources, un scandale concernant le Président Français François Mitterrand (1981-1995) serait a deux doigts d’éclater : l’ancien chef de l’état faisait les bouquinistes et passait de nombreuses journées à relire Chardonne et Barrès, si l’on en croit certains témoins qui ont tenu a garder l’anonymat.

D’après certains témoignages, le Président Mitterrand s’habillait tous les jours d’un chapeau mou de poète et d’une écharpe rouge pour aller se promener dans Paris, à la recherche d’éditions rares, alors que l’électeur et le contribuable l’avait mandaté pour qu’il travaille, se fasse un cul gros comme ça et s’avale des dossiers chiants comme la mort dans le silence d’un bureau.

Si le scandale était avéré, il s’agirait de la plus grande histoire d’emploi fictif de tous les temps, et les Français auraient élu sans le savoir un homme de lettre en lieu et place d’un Président de la République.

Le scandale qui se profile est énorme, chacun espère qu’il ne s’agit que de rumeurs malveillantes, mais il semblerait q’elles soient confirmées par un document de l’INA : François Mitterrand aurait accordé une interview de deux heures à Bernard Pivot, en prime time, pour évoquer les mérites comparés de Maupassant et de Zola, tandis que le nombre de chômeurs frisait déjà les trois millions.

Cette magouille épouvantable consistant à ce que des poètes se fassent élire ou nommer à des postes qui dépassent allégrement leurs compétences, Oscar Wilde l’a jadis résumé en rétorquant à son éditeur qui lui parlait de littérature quand lui, l’écrivain, était venu chercher un acompte : ”on ne peut pas se comprendre… je m’aperçois que vous êtes un poète, et que je suis un homme d’affaires”.

Ces pratiques perdurent-elle au sommet de l’État? Il semblerait que non. L’actuel chef de l’État, Nicolas Sarkozy, ne ferait pas les bouquinistes. Il travaillerait. Il tenterait même de faire nommer son fils à la tête de l’EPAD, le pôle de la défense, afin d’avoir un homme à lui à sa tête et d’avoir tous les dossiers qui concernent le poumon économique de la France sur son bureau le matin en arrivant.

Cependant, il existe encore dans l’opinion une propension à vouloir distribuer des emplois fictifs jusqu’au sommet de l’état et donner à des poètes déjantés des postes de gestionnaire tous gris, fâchés avec la syntaxe, copains avec Christian Clavier mais efficaces.

C’est ainsi qu’un taré néo-gaullien du nom de Villepin continue a faire du vent avec ses bras comme il fît jadis à la tribune de l’ONU pour réclamer du “souffle” dans la vie politique française, mot qui devrait théoriquement lui valoir une place en psychiatrie."

XP

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23/09/2009

La nouvelle extrême-droite, par Jean Robin

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Trouvé ce livre gratuit chez ILYS

En guise de réflexion...

Voyez ici...


 

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07/09/2009

Dieu est mort

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« La plus inouïe des littératures est résultée de ce blocus. C'est à se demander, vraiment, si Sodome et Gomorrhe que Jésus, dans son Évangile, a déclarées "tolérables", ne furent pas saintes et d'odeur divine, en comparaison de ce cloaque d'innocence.

Le grand jour approche ! -- La vie n'est pas la vie, -- Le Seigneur est mon partage, -- Où en sommes-nous ? -- L'éclair avant la foudre, -- L'horloge de la passion, -- Le ver rongeur, -- Gouttes de rosée, -- Pensez-y bien ! -- Le beau soir de la vie, -- L'heureux matin de la vie, -- Au ciel on se reconnaît, -- L'échelle du ciel, -- Suivez-moi et je vous guiderai, -- La manne de l'âme, -- L'aimable Jésus, -- Que la religion est donc aimable ! -- Plaintes et COMPLAINTES du Sauveur, -- La vertu parée de tous ses charmes, -- Marie, je vous aime, -- Marie mieux connue, -- Le catholique dans toutes les positions de la vie, etc. Tels sont les titres qui sautent à l'oeil, aussitôt qu'on regarde une boutique de livres dévots.

Et il ne faudrait pas se hâter de croire à d'insignifiantes plaquettes. L'aimable Jésus, à lui seul, a trois volumes. La bêtise de ces ouvrages correspond exactement à la bêtise de leurs titres. Bêtise horrible, tuméfiée et blanche ! C'est la lèpre neigeuse du sentimentalisme religieux, l'éruption cutanée de l'interne purulence accumulée en un douzaine de générations putrides qui nous ont transmis leur larcin !

Une inqualifiable librairie de la rue de Sèvres vend ceci, par exemple : Indicateur de la ligne du ciel. Un tout petit papier de la dimension d'un paroissien, pour y être inséré comme une pieuse image. La première page offre précisément la vue consolante d'un train de chemin de fer, sur le point de s'engouffrer dans un tunnel, au travers d'une petite montagne semée de tombes. C'est "le tunnel de la mort" au-delà duquel se trouve "le Ciel, l'Éternité bienheureuse, la Fête du Paradis". Ces choses sont expliquées en trois pages minuscules de cette écriture liquoreusement joviale, que le journal le Pèlerin a propagée jusqu'aux derniers confins de la planète, et qui paraît être le dernier jus littéraire de la saliveuse caducité du christianisme. On prend son billet d'aller sans retour, au guichet de la Pénitence, on paie en bonnes oeuvres, qui servent en même temps de bagages, il n'y a pas de wagons-lits, et les trains les plus rapides sont précisément ceux où l'on est le plus mal. Enfin, deux locomotives : l'amour en tête, et la crainte en queue. "En voiture, Messieurs, en voiture !" Le bienveillant opuscule nous laisse malheureusement ignorer si les dames sont admises, s'il leur est accordé de faire un léger persil, ou s'il est loisible d'organiser des bonneteaux, comme dans les trains de banlieue. Ce candide blaguoscope n'a l'air de rien, n'est-ce pas ! C'est le hoquet de l'agonie pour la Foi chrétienne, d'abord, ensuite pour toute la spiritualité de ce monde qu'elle a engendré, dont elle est l'unique substrat, et qui ne lui survivra pas un quart d'heure. Mais que penser d'un clergé qui tolère ou encourage cette pollution du troupeau qu'on lui a confié, qui prend pour de l'humilité l'enfantillage du crétinisme le plus abject, et que la plus timidement conjecturale hypothèse de l'existence d'un art moderne transporte d'indignation ?

Retranché dans les infertiles glaciers du siècle de Louis XIV, les plus hautes têtes contemporaines ont passé devant lui, sans mieux obtenir qu'un outrage ou une dédaigneuse constatation. Des écrivains de la plus curative magnitude se sont offerts pour infuser un peu de sang jeune à la carcasse desséchée de leur aïeule. Ils en ont été reniés, maudits, placardés d'immondices : -- C'est vous qui êtes centenaires et décrépits ! leur crie-t-elle de sa gueule vide, et le seul grand artiste qui ait honoré sa boutique depuis trente ans, Jules Barbey d'Aurevilly, est mis au pilon sur un ordre formel de l'Archevêché de Paris.

Il est vrai qu'elle a ses grands écrivains, l'Église gallicane tombée en enfance ! Elle arbore, par exemple, au plus haut de sa corniche, un évêque non moindre que le schismatique Dupanloup, dont les écoeurantes grisailles sur l'Éducation la font clignoter, comme si c'étaient des torrents de pourpre. Ce porte-mitre, qui fut la honte de l'épiscopat le plus médiocre qu'on ait jamais vu, est considéré comme un porte-foudre intellectuel par ceux-la même qui méprisent l'étonnante bassesse de son caractère. De Pavone Lupus factus, disait-on à Rome pendant le Concile, en décomposant le nom de Mademoiselle sa mère. On a beau savoir l'insolence tyrannique et l'incurie pleine de faste de ce pasteur aux douze vicaires généraux, qui ne put jamais résider dans son diocèse, on a beau connaître la turpitude de ses intrigues politiques et l'immonde hypocrisie du révolté qui trahissait l'Église universelle, en protestant de son désir filial de "ne pas exposer le Pape à l'humiliation d'un vote incertain", n'importe ! on le vénère comme un maître, et la dysenterie littéraire de ce Trissotin violet, dont le plus infime journaliste hésiterait à signer les livres, passe, dans le monde catholique, pour le débordement du génie.

 

Infiniment au dessous de ce prélat, resplendissant comme elles peuvent, des améthystes inférieures, et des subalternes crosses : les Landriot, les Gerbet, les Ségur, les Mermillod, les La Bouillerie, les Freppel, infertiles époux de leurs églises particulières et glaireux amants d'une muse en fraise de veau qui leur partage ses faveurs.

Puis des soutaniers sans nombre : les Gaume, les Gratry, les Pereyve, les Chocarne, les Martin, les Bautain, les Huguet, les Norlieu, les Doucet, les Perdrau, les Crampon, tout un fourmillement noir sur la rhétorique décomposée des siècles défunts. On peut en empiler cinquante mille de ces cerveaux, et faire l'addition. Le total ne fournira pas l'habillement complet d'une pauvre idée.

Du côté des laïques, on exhibe à l'admiration du bon fidèle un assortiment considérable de cuistres guindés comme des pendus et arides comme les montagnes de la lune, tels que Poujoulat, Montalembert, Ozanam, Falloux, Cochin, Nettement, Nicolas, Aubineau, Léon Gautier, historiens ou philosophes, hommes politiques ou simples conférenciers. C'est la voix lactée du firmament littéraire. Ces roussins de l'esthétique religieuse ont confisqué la pensée humaine et l'ont coffrée dans la geôle obscure des petites convenances et des solennelles rengaines du grand siècle. Nul n'est admis à subsister sans leur permission, et le plus grand art qui fut jamais, le Roman moderne, en qui s'est résorbée toute conception, est jugé comme rien du tout, quand ils apparaissent.

Mais le phénix d'entre ces volailles, c'est Henri Lasserre, le Benjamin du succès. Il devient inutile de regarder les autres, aussitôt que ce virtuose entre en scène, puisqu'il résume, en sa personne l'onction des pontifes, le pédantisme chenu des hauts critiques et la graisseuse faconde des hagiographes. Il ajoute à ces dons si rares le surcroît tout personnel d'une suffisance de Gascon à décourager toutes les Garonnes. C'est un commis-voyageur dans la piété, un Gaudissart du miracle, qui place, mieux que pas un, ses petites guirlandes virginales en papier d'azur. Aussi, la plus incontinente fortune s'est hâtée d'accourir vers cet audacieux accapareur, qui débitait la Vierge Marie dans les boutiques et dans les marchés. Il n'a fallu rien moins que le triomphe presque divin de Louis Veuillot pour contre-balancer un tel crédit, -- et le pur contemplatif, Ernest Hello, est mort ignoré, dans le resplendissement de leurs gloires.

Il est vrai encore que la même main rémunératrice retient, sur le coeur fossile de cette Église hantée du néant, le vétuste Pontmartin, rossignol de catacombes dont l'eunuchat réfrigère opportunément, les préhistoriques ardeurs. Il n'est pas moins véritable qu'on ramasse à la bouche du collecteur, où il sophistiquait le guano, un Léo Taxil, désormais adjudant de Dieu et tambouriné prophète.

Enfin, les pasteurs des âmes fertilisent de leurs bénédictions la bonne presse, instituée par Louis Veuillot pour l'inexorable déconfiture des établissements de bains de la pensée. Après cela, porte close. Haine, malédiction, excommunication et damnation sur tout ce qui s'écartera des paradigmes traditionnels...

"Le clergé saint fait le peuple vertueux, -- a dit un homme puissant en formules, -- le clergé vertueux fait le peuple honnête, le clergé honnête fait le peuple IMPIE." Nous en sommes au clergé honnête et nous avons des prédicateurs tels que le P. Monsabré.

On a fait à ce misérable la réputation d'un grand orateur. Or, ce piètre thomiste, cet écolâtre exaspérant, systématiquement hostile à toute spontanée illumination de l'esprit, n'a ni une idée, ni un geste, ni une palpitation cordiale, ni une expression, ni une émotion. C'est un robinet d'eau tiède en sortant, glacée quand elle tombe. Et il lui faut toute une année pour nous préparer ces douches !

Il se trouve des naïfs que cette vacuité stupéfie. Mais c'est comme cela qu'on les fabrique tous, depuis longtemps, les annonciateurs du Verbe de Dieu !

Une glaire sulpicienne qu'on se repasse de bouche en bouche depuis deux cents ans, formée de tous les mucus de la tradition et mélangée de bile gallicane recuite au bois flotté du libéralisme ; une morgue scolastique à défrayer des millions de cuistres ; une certitude infinie d'avoir inhalé tous les souffles de l'Esprit-Saint et d'avoir tellement circonscrit la Parole que Dieu même, après eux, n'a plus rien à dire. Avec cela, l'intention formelle, quoique inavouée, de n'endurer aucun martyre et de n'évangéliser que très peu de pauvres ; mais une condescendante estime pour les biens terrestres, qui refrène en ces apôtres le zèle chagrin de la remontrance et les retient de contrister l'opulente bourgeoisie qui pavonne au pied de leur chaire. Tout juste la dose congrue, -- presque impondérable, -- de bave amère, sur les délicates fleurs du Grand Livre, pour lesquelles fut inventée la distinction laxative du précepte et du conseil. Enfin l'éternelle politique régénératrice, l'inamovible gémissement sur les spoliations de la Libre Pensée et l'incommutable anxiété de péroraison sur l'avenir présumé de la chère patrie... Quand on entend autre chose, c'est qu'on a la joie d'être sourd ou l'irrévérencieuse consolation de dormir.

Le P. Monsabré est incontestablement le sujet le plus réussi, et les bonnes maisons où se conditionne l'article travaillent, présentement, à lui manufacturer d'innombrables émules. Il y a bien aussi un autre courant qu'il faudrait appeler Didonien, où la médiocrité d'âme paraît plus complète encore et le génie plus absent. Car ils sont de divers paillons, les bateleurs, dans l'Ordre dominicain tel que l'a confectionné ce trombone libérâtre de Lacordaire. Ils ont tous, plus ou moins, la nostalgie du boniment. Mais le Didon, qui ne se satisfait pas d'être une bouche du néant, et qui va prostituant sa robe de moine sur les tréteaux du cabotinisme international, nous sortirait du clergé honnête pour nous mener droit aux soutaniers apostats ou schismatiques, -- ce qui serait évidemment moins décisif, comme sputation à la Face endurante du Christ !

Quant aux autres serviteurs de l'autel et à la masse entière des fidèles, c'est inexprimable et confondant.

On se serre, on se tient les coudes, on s'empile en fumier d'imbécillité et de lâcheté. On se précipite au Rien de la pensée, pour échapper à la contamination du libertinage ou de l'incrédulité.

En même temps, par un repli tout orthodoxe, on met soigneusement à profit l'impiété du siècle pour allonger quelque peu la corde des prescriptions ecclésiastiques. L'Église ayant réduit à presque rien la rigueur de ses pénitences, dans l'espoir toujours déçu d'un plus prompt retour des brebis folâtres qu'elle a perdues, les moutons demeurés fidèles utilisent, en gémissant au fond du bercail, les regrettables concessions de leurs pasteurs et toutes les pratiques suivent la même pente, l'époque n'étant pas du tout à l'héroïsme des oeuvres surérogatoires.

Jamais, d'ailleurs, il ne fut autant parlé d'oeuvres. S'occuper d'oeuvres, être dans les oeuvres, sont des locutions acclimatées, significatives de tout bien, quoiqu'elles aient l'air, dans leur imprécision, d'impliquer, au moral, un protestantisme limitrophe des plus imminents. Les catholiques, en effet, entendent et pratiquent la charité, l'amour de leurs frères indigents, à la manière protestante, c'est-à-dire avec ce faste usuraire qui exige l'entier abandon préalable de la dignité du Pauvre, en échange des plus dérisoires secours. Il est presque sans exemple qu'un de ces chrétiens gorgés de richesses ait pris dans ses bras son frère ruisselant de pleurs, pour le sauver en une seule fois, en payant sa rançon d'une partie de son superflu.

Cela ressemble même à une politique. "Vous aurez toujours des pauvres parmi vous", dit l'Évangile, et cette parole effrayante, qui condamne les détenteurs, est précisément l'occasion du sophisme de cannibales qui procure leur sécurité. Dieu a réglé qu'il y aurait toujours des pauvres, afin que les riches se consolassent pieusement de ne l'être pas, en se résignant à la nécessité providentielle de ne pas diminuer leur nombre.

Il leur faut donc des pauvres pour s'attester à eux-mêmes, au meilleur marché possible, la sensibilité de leurs tendres coeurs, pour prêter à la petite semaine sur le Paradis, pour s'amuser enfin, pour danser, pour décolleter leurs femelles jusqu'au nombril, pour s'émotionner au champagne sur les agonisants par la faim, pour laver d'un bol de bouillon les fornications parfumées où les plus altissimes vertus peuvent se laisser choir.

On serait forcé d'en faire pour eux s'il n'y en avait pas, car il leur en faut pour toutes les circonstances de la vie, pour la joie et pour la tristesse, pour les fêtes et pour les deuils, pour la ville et pour la campagne, pour toutes les attitudes d'attendrissement que les poètes ont prévues. Il leur en faut absolument, pour qu'ils puissent répondre à la Pauvreté : Nous avons NOS pauvres, et, d'un geste lassé, se détourner de cette agenouillée lamentable, que le Sauveur des hommes a choisie pour son Épouse et dont l'escorte est de dix mille anges.

Il se peut que le Dieu terrible, Vomisseur des Tièdes, accomplisse, un jour, le miracle de donner quelque sapidité morale à cet écoeurant troupeau qui fait penser, analogiquement, à l'effroyable mélange symbolique d'acidité et d'amertume que le génie tourmenteur des Juifs le força de boire dans son agonie.

Mais il faudra, c'est fort à craindre, d'étranges flambées et l'assaisonnement de pas mal de sang pour rendre digérables, en ce jour, ces rebutants chrétiens de boucherie.

Il faudra du désespoir et des larmes, comme l'oeil humain n'en versa jamais, et ce seront précisément ces mêmes impies tant méprisés par eux, du haut de leurs dégoûtantes vertus, -- mais justement désignés pour leur châtiment, saintement élus pour leur confusion parfaite, -- qui les forceront à les répandre !...

En attendant, le Christ est indubitablement traîné au dépotoir.

Cette Face sanglante de Crucifié qui avait dardé dix-neuf siècles, ils L'ont rebaignée dans une si nauséabonde ignominie, que les âmes les plus fangeuses s'épouvantent de Son contact et sont forcées de s'en détourner en poussant des cris.

Il avait jeté le défi à l'opprobre humain, ce Fils de l'homme, et l'opprobre humain L'a vaincu !

Vainement, Il triomphait des abominations du Prétoire et du Golgotha, et du sempiternel recommencement de ces abominations du Mépris. Maintenant, Il succombe sous l'abomination du RESPECT !

Ses ministres et Ses croyants, éperdus de zèle pour l'Idole fétide montée de leurs coeurs sur Son autel, L'ont éclaboussé d'un ridicule tellement destructeur, nous ne disons pas de l'adoration, mais de la plus embryonnaire velléité d'attendrissement religieux, que le miracle des miracles serait, à cette heure, de Lui ressusciter un culte.

Le songe tragique de Jean-Paul n'est plus de saison. Ce n'est plus le Christ pleurant qui dirait aux hommes sortis des tombeaux :

-- Je vous avais promis un Père dans les cieux et Je ne sais où Il est. Me souvenant de ma promesse, Je L'ai cherché deux mille ans par tous les univers, et Je ne L'ai pas trouvé et voici, maintenant, que Je suis orphelin comme vous.

C'est le Père qui répondrait à ces âmes dolentes et sans asile :

-- J'avais permis à Mon Verbe, engendré de Moi, de Se rendre semblable à vous, pour vous délivrer en souffrant. Vous autres, Mes adorateurs fidèles, qu'ils a cautionnés par Son Sacrifice, vous venez Me demander ce Rédempteur dont vous avez contemné la fournaise de tortures et que vous avez tellement défiguré de votre amour qu'aujourd'hui, Moi-même, Son Consubstantiel et Son Père, Je ne pourrais plus Le reconnaître...

Je suppose qu'Il habite le tabernacle que Lui ont fait ses derniers disciples, mille fois plus lâches et plus atroces que les bourreaux qui L'avaient couvert d'outrages et mis en sang.

SI VOUS AVEZ BESOIN DE MON FILS, CHERCHEZ-LE DANS LES ORDURES. »

Léon Bloy, Le Désespéré

 

 

« Et cependant, tandis qu’ils consolaient les affligés, réconfortaient les opprimés et les désespérés, soutenaient les débiles, offraient aux individus atteints dans leur santé mentale et aux furieux le refuge des cloîtres ou des asiles, que durent-ils faire au surplus, pour travailler par principe et avec bonne conscience à la conservation de tous les êtres malades et souffrants, c’est-à-dire, en fait et en vérité, à la détérioration de la race européenne ? Mettre sens dessus dessous toutes les valeurs, voilà ce qu’ils durent faire ! Et brider les forts, débiliter les grandes espérances, calomnier le bonheur qui vient de la beauté, pervertir tout ce qui est orgueilleux, viril, conquérant, dominateur, tous les instincts qui appartiennent au type humain le plus élevé et le plus accompli en y introduisant l’incertitude, les tourments de conscience, le goût de se détruire muer même tout attachement à la terre et à la domination de la terre en haine de la terre et des choses terrestres. Voilà la tâche que l’Eglise s’est prescrite et qu’elle devait se prescrire, jusqu’à ce que s’imposât enfin son ordre des valeurs, où les idées de "renoncement au monde", de "mortification des sens" et d’"homme supérieur" se confondent en une seule notion. Si on pouvait embrasser d’un seul coup d’œil, avec le regard ironique et indifférent d’un dieu épicurien, la comédie étrange et douloureuse, à la fois subtile et grossière, du christianisme européen, on ne finirait pas de s’étonner et de rire : ne semble-t-il pas qu’une seule volonté a régné sur l’Europe depuis dix-huit siècles, et que cette volonté était de transformer l’homme en un avorton sublime ? »

Nietzsche, Par delà bien et mal

 

 

« CHRÉTIEN ET ANARCHISTE. — Lorsque l’anarchiste, comme porte-parole des couches sociales en décadence, réclame, dans une belle indignation, le "droit", la "justice", les "droits égaux", il se trouve sous la pression de sa propre inculture qui ne sait pas comprendre pourquoi au fond il souffre, — en quoi il est pauvre en vie… Il y a en lui un instinct de causalité qui le pousse à raisonner : il faut que ce soit la faute à quelqu’un s’il se trouve mal à l’aise… Cette "belle indignation" lui fait déjà du bien par elle-même, c’est un vrai plaisir pour un pauvre diable de pouvoir injurier — il y trouve une petite ivresse de puissance. Déjà la plainte, rien que le fait de se plaindre peut donner à la vie un attrait qui la fait supporter : dans toute plainte il y a une dose raffinée de vengeance, on reproche son malaise, dans certains cas même sa bassesse, comme une injustice, comme un privilège inique, à ceux qui se trouvent dans d’autres conditions. "Puisque je suis une canaille tu devrais en être une aussi" : c’est avec cette logique qu’on fait les révolutions. Les doléances ne valent jamais rien : elles proviennent toujours de la faiblesse. Que l’on attribue son malaise aux autres ou à soi-même — aux autres le socialiste, à soi-même le chrétien — il n’y a là proprement aucune différence. Dans les deux cas quelqu’un doit être coupable et c’est là ce qu’il y a d’indigne, celui qui souffre prescrit contre sa souffrance le miel de la vengeance. Les objets de ce besoin de vengeance naissent, comme des besoins de plaisir, par des causes occasionnelles : celui qui souffre trouve partout des raisons pour rafraîchir sa haine mesquine, — s’il est chrétien, je le répète, il les trouve en lui-même… Le chrétien et l’anarchiste — tous deux sont des décadents. — Quand le chrétien condamne, diffame et noircit le monde, il le fait par le même instinct qui pousse l’ouvrier socialiste à condamner, à diffamer et à noircir la Société : Le "Jugement dernier" reste la plus douce consolation de la vengeance, — c’est la révolution telle que l’attend le travailleur socialiste, mais conçue dans des temps quelque peu plus éloignés… L’ "au-delà" lui-même — à quoi servirait cet au-delà, si ce n’est à salir l’ "en-deçà" de cette terre ?… »

Friedrich Nietzsche, Crépuscule des idoles

 

"SI VOUS AVEZ BESOIN DE MON FILS, CHERCHEZ-LE DANS LES ORDURES." Léon Bloy

MOFO

Looking for to save my save my soul
Looking in the places where no flowers grow
Looking for to fill that God shaped hole
Mother...mother sucking rock and roll (Mother...)

Holy dunc, spacejunk coming in for the splash
(Been around the back...been around the front)
White dopes on punk staring into the flash
(Been around the back...been around the front)
Looking for the baby Jesus under the trash
(Been around the back...been around the front)

Mother...mother sucking rock and roll (Mother...)
Mother [scat singing] rock and roll (Mother...)

Mother...mother...mother...
Mother...mother...mother...

Mother...am I still your son
You know I've waited for so long to hear you say so
Mother...you left and made me someone
Now I'm still a child, no one tells me no

Looking for a sound that's going to drown out the world
(Been around the back...been around the front)
Looking for the father of my two little girls
(Been around the back...been around the front)
Got the swing got the sway got my straw in lemonade
(Been around the back...been around the front)
Still looking for the face I had before the world was made
(Been around the back...been around the front)

Mother...mother sucking rock and roll (Mother...)
Bubble popping sugar dropping rock and roll (Mother...)
Mother...mother suck, yeah, fuck yeah (Mother...)

Mother...mother...mother...
Mother...mother...mother...

Soothe me mother
Move me father
Fool me brother
Woo me sister
Soothe me mother
Rule me father
Show me mother
Show me mother
Show me mother
Show me mother
Show me mother
Show me mother



Music : U2
Lyrics : Bono and The Edge

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13/08/2009

Dans la Nuit... buvant du Sang d'Ours...

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Huguenin, tricheur, brouilleur de pistes : « La seule chose qui rende ma douleur supportable, c’est sa beauté. Et alors ? Suis-je un esthète ? C’est tellement plus simple — si atrocement simple… » À la date du mercredi 5 mars 1958. Le lendemain il poursuit : « Se raconter est fat. Se justifier est lâche. Si je veux que vous me compreniez, je me garderai bien de vous parler de moi. »

Écran de fumée. Dans son journal, Huguenin nous parle essentiellement de lui et je le comprends comme un jeune frère. Curieux, n’est-ce pas ? Huguenin a 22 ans au moment où il s’essaye à ces masques qui ne me trompent pas et je viens d’en avoir 44. Il est amusant de lire, sous la plume de François Mauriac dans la préface à son journal, ces mots teintés d’ironie : « Si Jean-René Huguenin avait vécu, si le temps avait été donné à l’auteur de La Côte sauvage pour écrire l’œuvre que ce premier livre annonçait, et si, vers sa cinquantième année, il avait retrouvé ce manuscrit au fond d’un tiroir, il en eût été peut-être irrité ; il ne l’aurait pas publié sans ces commentaires dont nous accablons volontiers la jeunesse et que nous n’épargnons pas au jeune homme que nous fûmes. »
C’est, à mon humble avis, tout à fait exact. Mais François Mauriac poursuit : « Mais dans la lumière de sa mort, ces pages ont pris un aspect bien différent. Presque chaque parole en est devenue prémonitoire. »

D’où ma lecture admirative.

Cette connerie qui veut faire croire, sans les avoir ouverts, ou en les ayants mal ouverts, que les Evangiles sont une source de dolorismes divers, de souffrances et de retenues ascétiques de toutes sortes, m’épuise jusqu’à la nausée. Moi je vois un homme manifester librement l’amour et la vie et si je retiens l’effroi tragique de sa crucifixion, je suis surtout interpellé par la puissante charge symbolique de sa résurrection. C’est le Christ ressuscité qui m’intéresse, moins que le Christ en croix, même si les deux sont théologiquement liés et prophétisés en maints endroits de l’Ancien Testament.

 

Si la bêtise nous conduit vers le malheur, le bonheur, en ce cas, serait une forme d’intelligence ?

La source du bonheur serait-elle dans le fait d’écouter avec une vive attention sa conscience ?

Le bonheur n’est pas un état, mais c’est une quête.

Lorsque l’on s’arme, donc, d’intelligence, ce que l’on mène sa quête en écoutant attentivement sa conscience, on est en mesure d’affronter les zones d’ombres et leur pestilence existentielle en étant pleinement confiant.

La confiance c’est le début du bonheur.

Le véritable hédonisme consiste, simplement à prendre très au sérieux ce que nous donne comme trésors savoureux la vie, ici-bas, sur terre. Mais Qohelet, déjà, clamait qu’il fallait prendre ce qui nous était donné sous le soleil. C’est, déjà, une relation intime avec Dieu. Les orthodoxes diraient qu’en cette jouissance claire nous sommes divinisés.

La ceinture à clous que portait Blaise Pascal pour se punir de Dieu sait quoi, assombrit considérablement sa philosophie. « Pascal, ce sublime avorton du christianisme. » disait Nietzsche, très impressionné, néanmoins, par le penseur.
« Sublime avorton ». Certains y voient de l’ironie. Moi, j’y vois l’expression assumée d’une admiration critique.

Le message essentiel des Evangiles est dans ce don de liberté qui s’offre comme une possibilité de sortir du cercle de la faute, du péché, de la chute, de l’exil, hérités de génération en génération comme un lourd fardeau généalogique qui sclérose le libre arbitre. Nos péchés retombent sur nos enfants jusqu’à la septième génération dit Yahvé, juge sévère. Et comme nous commettons de nombreuses erreurs au cours de notre vie et que nos enfants en commettent de multiples à leur tour, et ce dès leur plus jeune âge, et bien on n’est pas rendu comme on dit en Bourgogne, le pays d'Irina. Le Christ vient briser ce cercle qui, lui, est doloriste, en y créant une brèche, pour le pèlerin en quête, armé d’intelligence et écoutant minutieusement leur conscience. Hors les murs.

Nietzsche est, malgré lui, chrétien en cela que sa négation de Dieu n’est possible que grâce à la critique qui justifie cette négation mais… justifie, aussi, Dieu.
Ce qui a accouché notre civilisation, c’est cet écartèlement, cette constante tension, chez l’occidental, entre la Lettre et l’Esprit, entre ce qui est dit et ce que le dire formule en de-ça. Beaucoup sont tombés dans le piège des concepts et ont construit leur perception du christianisme, qui est une parole de vie, sur une série de faux-sens et contre-sens en donnant une confiance aveugle aux mots de la théologie et en les fixant comme des racines indiscutables alors que les notions religieuses, travaillées, au corps par des docteurs fiévreux de pénétrer un peu plus le tabernacle, n’étaient que des bourgeons appelés à s’épanouir avant de mourir pour être remplacés par des bourgeons neufs. Cette confiance accordée au langage a créé une perception altérée de la réalité, un monde fictif qui s’oppose à la réalité en la travestissant ou, pire, en l’ignorant. Or, Nietzsche était philologue de formation et les textes, il savait les lire, et sans doute les a-t-il lus sans préjugés moraux.

 

« Chaque église est la pierre sur le tombeau d’un homme de Dieu : elle veut à tout prix qu’il ne ressuscite pas. (Nietzsche)

Qu’a nié le Christ ? tout ce qui aujourd’hui porte le nom de chrétien.(Nietzsche)

Le Christ sur la croix est le plus sublime des symboles — aujourd’hui encore.(Nietzsche)

Les sarcasmes et les invectives de Nietzsche contre le christianisme occultent le sérieux de sa méditation sur la personne du Christ. On oublie trop souvent que le Surhomme, s’il doit avoir la volonté d’action et l’attachement à la terre d’un « César romain » doit aussi posséder la spiritualité la plus haute, celle de « l’âme du Christ ». Nietzsche a toujours respecté et admiré ce qu’il croyait avoir saisi de la personne réelle du Christ, au-delà et contre la tradition des églises. Lorsque, sombrant dans la folie, le philosophe signe ses dernières lettres des noms mêlés de Dionysos et du Crucifié, il révèle que si on l’a compris, Dionysos est moins l’ennemi du Christ qu’il n’en est le doublet.
La méditation sur le type du Christ, comme celle sur Socrate, parcourt toute la pensée nietzschéenne. Ici plus que jamais, l’ennemi est l’ami vénéré, l’autre est le même, le plus différent est le plus proche. L’image que Nietzsche nous donne du Christ n’est en rien mesquine, même si, par ailleurs, elle ne fournit qu’une partie des qualités qui devront caractériser la Sur-humanité future. Dans sa richesse et sa complexité, elle donne à penser aussi bien au croyant, qui, par-delà le Bien et le Mal, recherche une foi affirmative, qu’à l’athée en quête d’un idéal humain débarrassé de tout « moraline » métaphysique. »

Sur la Christologie nietzschéenne
Nietzsche et les métamorphoses du divin
– Emmanuel Diet

 

Il faut tenir. Mes lectures désespérées m’y invitent. Bernanos et Houellebecq, par exemple. Triste soumission que leur plume décortique. Les ténèbres sont percées par leur verbe. Les ténèbres et l’anomalie de la soumission, l’anomalie de la servitude. Même du centre de la mort il faut qu’un chant s’élève, le plus simple, le plus innocent.

« et ce fut silence et présence de nuit
et de nuit souveraine
et de règne de nuit aux rives de la mer
et ce fut nuit à l’absence des vents
et vents de nuits à l’écume des mers. »

« et tant de nuits au siècle de l’absence…
ton regard est la nuit
où règne le silence
ton corps est règne de vent
règne de vent ton corps
et nuit de vent au siècle de l’absence. »

Arielle Monney, dit Alderbaran (1957-1975) "La mort est ce jardin où je m’éveille"

Celle que j'avais déjà évoqué ici... écrit ces lignes en 1974. Elle a 16 ans. Elle tient tête. Sa mort est proche. Il faut tenir.

Car il faut tenir. Quoi qu’il en coûte. Histoire d’être un homme et de tenter, toujours, de connaître le prix des choses, de se déterminer soi-même dans le cours des choses en question. Ils ont bon dos ceux qui sont dans la certitude des certitudes, statufiés sur place, le cul hémorroïdaire car constipé, à lancer leurs malédictions faciles en lieu et place des bénédictions qui s’imposeraient si ils ouvraient les yeux. Nietzsche qui a postulé que « Dieu est mort » a plus de foi en lui lorsqu’il dit, de mémoire, d’hommes qui prient nous devons devenir des hommes qui bénissent. Je songe, du coup, à Zbigniew Herbert, Monsieur Cogito et autres poèmes. Ce poème qui demande de tenir, de ne pas baisser sa garde, d’être confiant dans le mouvement.

« Monsieur Cogito. Envoi

Va-t’en où allèrent les autres vers l’issue obscure
chercher la toison d’or du néant ta dernière récompense

va redressé parmi ceux qui sont à genoux
qui tournent le dos ou sont réduits en poussière

tu as été épargné mais non pour que tu vives
tu as peu de temps il faut témoigner

que ta Colère impuissante soit comme l’océan
chaque fois que tu entends la voix des persécutés des battus

que ne t’abandonne jamais ton frère le Mépris
pour les mouchards les bourreaux les lâches — c’est eux qui gagneront
ils iront à tes funérailles et soulagés jetteront leur motte de terre
puis le ver à bois écrira ta biographie arrangée

et ne pardonne pas car en vérité je te le dis il n’est pas en ton pouvoir
de pardonner au nom de ceux que l’on a trahis à l’aube

garde-toi cependant de l’orgueil inutile
examine au miroir ton visage de bouffon
redis : j’ai été appelé — n’y en avait-il pas de meilleurs

garde-toi de l’aridité du cœur aime la source matinale
l’oiseau au nom inconnu le chêne en hiver

la lumière sur un mur la splendeur du ciel
n’ont que faire de ton haleine chaude
elles existent pour dire : personne ne te consolera

reste en éveil — quand le feu flambera sur la colline — lève-toi et va
aussi longtemps que le sang dans ton sein fait tourner ton étoile obscure

répète les anciennes conjurations les contes et légendes
car ainsi tu atteindras le bien qui t’échapera
répète les grandes paroles répète-les obstinément
comme ceux qui traversaient le désert et mouraient dans le sable

tu seras récompensé de ce qui leur tombe sous la main
par le fouet de la dérision par un meurtre sur la décharge publique

va car ainsi seulement tu seras admis au cercle des crânes froids
parmi tes ancêtres : Gilgamesh Hector Roland
défenseurs du royaume sans limite et de la cité des cendres

Sois fidèle Va »

Monsieur Cogito et autres poèmes, Zbigniew Herbert

Il est des fulgurances qui se plantent en nous comme des bouées de sauvetage, des béquilles ou des ailes qui nous permettent un équilibre dans ce monde qui se joue de nous sans lassitude.

« Il faudrait savoir plusieurs langues pour changer d’identité, disparaître.
Parce que la parole est difficile.
Parce que la vie est dans la parole. »

Claude Held, Le temps déchiré

Léon Bloy choque les chrétiens chétifs qui ne trouvent leur force que dans la lettre marbrée et poussiéreuse. Léon Bloy, avec sa théologie intuitive et sa flamme verbale, à croire qu’il a saisi un peu de ce feu qui brûle sans consumer le buisson ardent, Bloy tabernacle naturel, corpulence sévère.

Il ne se voulait que poète m'a dit une fois l’ami Restif. Et je tombe par un heureux hasard sur ce passage d’Armel Guerne dans L’Âme insurgée, écrits sur le Romantisme, au chapitre « Hölderlin ou le mystique malgré lui » :

« Le poète, je l’ai dit, n’est jamais qu’un prophète manqué ; — pour peu, du moins, qu’il ne soit plus l’un de ces ridicules amuseurs, profanateurs attitrés de la langue, auxquels le Satan anonyme du monde accorde avec délices ce noble nom de poète qu’il inonde de toutes ses gloires, récompensant ainsi ses serviteurs de leur culte fidèle, ô dérision ! Et plus le poète est grand, oui, plus il est entré loin, profond et haut dans la vérité du langage, plus il aura lutté pour le langage de la verte, plus les beautés seront venues, prodigieuses entre ses mains : plus aussi sera-t-il, par la vertu de ce même langage, un prophète manqué. D’autant plus proche, et d’autant plus loin ; d’autant plus haut, et d’autant plus « tombé », tout humble sous la loi des splendides beautés qui, véritablement, accablent son orgueil. — Le saurait-il ? Ce n’est pas sûr. Mais ce qu’il sait, c’est que chaque mot engage, chaque parole prononcée ou pensée, chaque image, non seulement dans son fait mais dans son mouvement même, l’engagent tout entier dans ce monde absolu de la vérité sous lequel, ici-bas, il répond par des responsabilités infinies ; et comme nos actes nous suivent terriblement, terriblement aussi ses parles le suivent… La vocation, c’est cela : répondre à un appel. Mais d’où vient-il ? On s’avance vers lui. Mais où va-t-on ? Sous tous les travestis de l’orgueil, sel pour n’être plus seul, on s’avance, on avance, on se risque ; mais est-on même sûr d’avoir seulement obéi ? Dès le premier mot, pourtant, alors qu’on croit n’apprendre encore que les rudiments de cet « art » où la jeunesse pétulante et fanfaronne ambitionne de s’illustrer, tout le sérieux de la chose est là. Et le dernier mot sera pour le reconnaître. Le reste, c’est la vie : le lieu panique et le tems de ce drame ; d’autant plus unique et d’autant plus grand ; d’autant plus invisible et d’autant plus constant. C’est autour de ce feu que s’élaborent et se disposent, se pressent et s’échafaudent les circonstances : autour de ce seul feu qui les éclaire et les dévore ; et l’homme vient et va parmi elles, se heurte et se déchire parce qu’il ne sait pas, et qu’il sait, aveugle dans sa hâte…
Ah ! que ne cesse-t-on enfin de vouloir expliquer par le pourtour apparent d’une vie son contenu réel ! Que ne renonce-t-on — comme si l’on craignait toujours de la voir se répandre ailleurs et surtout dans le cœur —, que ne renonce-t-on à cerner d’un trait dur la silhouette seule de l’existence, à dessiner son contour ; pour essayer de pénétrer la vie, de ne plus s’écarter de son mystère et de son unité, de sa chaleur ! »

Il n’y a pas de hasard. Tout s’agence comme il se doit pour peu que l’on sache être à l’écoute. En tout cas, cela va comme un gant à Bloy lui-même.

 

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12/08/2009

C'est la nuit, je suis en vacances...

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

Ce que j’ai aimé dans le Journal d’un tueur sentimental de Luis Sepúlveda :

« (…) Elle est rapidement devenue une femme, à force de servir ses hanches se sont épanouies, son regard est devenu coquin, elle a compris que le plaisir c’est l’exigence, elle s’est entichée de la soie sur son corps, des parfums exclusifs, des restaurants avec des garçons élégants comme des ambassadeurs et des bijoux de créateurs. Elle a franchi le grand pas qui sépare la minette de la chatte.

(…)

c’est que je t’envie parce que pour toi tout sera terminé au moment où je vais te plomber, en revanche moi, mon frère je devrai continuer à vivre.

(…)

Il semblait que ses péchés étaient de ceux qui comptent, et il avait l’air habile.
(…)

Bien sûr. Une métisse m’a pris cent mille pesetas et un demi-litre de sperme. C’est mieux que le valium, lui ai-je indiqué sans vouloir être pédagogue.

(…)

Il a eu l’air de comprendre parce qu’au lieu de me vanter un matador auquel les femmes jetaient leur soutien-gorge, il s’est mis à se plaindre des Arabes, des Noirs, des Gitans, des Latinos, et de toute l’humanité qui ne répondait pas à ses critères de petit gros Européen qui sent la frite. Une fois de plus j’ai regretté l’absence d’un 45 dans ma main droite.

(…)

Mais bon Dieu d’où sortent les taxis ? Celui qui m’a amené de l’hôtel au centre des congrès était un Turc avec des moustaches longues comme un guidon de bicyclette, et dès que j’ai posé mon cul sur le siège protégé par un plastique il m’a pris pour cible de son ardeur prosélyte. Il a maudit toutes les femmes en jupe courte qui se promenaient dans la rue, toutes les publicités de rhum Bacardi, de cigarettes et finalement, en me demandant de ne pas m’offenser, il s’en est pris aux étrangers qui amenaient des mœurs pernicieuses. Quand nous sommes arrivés au centre des congrès il chiait sur la mère de Kemal Atatürk. En le payant je me suis promis d’honorer les professionnelles de l’amour et de ne plus jamais traiter de fils de pute ceux qui ne le mériteraient pas. Fils d’Allah me semblait une insulte beaucoup plus forte.

(…)

Il avait cet aplomb subtil qui trahit le malin, le dragueur qui ne se retrouve jamais seul au lit.

(…)

L’image de ma belle Française apparaissait à de douloureux intervalles dans ma mémoire, comme une publicité pour quelque chose que je ne pourrais jamais acheter.

(…)

Au bar international, à l’abri des conneries islamiques des garçons, je me suis enfilé trois gins et j’ai ensuite appelé Paris.

(…)

Le taxi qui m’a amené de l’aéroport au centre de la ville était turc mais sa nationalité ne l’excluait pas de la tribu universelle des indiscrets.
Comment vous avez trouvé Istanbul ? Une belle ville ! N’est-ce pas ? cracha-t-il sans pitié.
Comment vous savez que c’est de là que j’arrive ?
Parce que c’est le dernier vol international protégé. Vous savez de quoi je parle ? Un avion atterrit à Francfort toutes les trois minutes, mais les vols en provenance de Turquie arrivent sur une piste de haute sécurité. C’est à cause des Kurdes, vous savez ? C’est une bande de terroristes et les Allemands prennent des précautions.
Ça n’a pas été bien pour moi Istanbul.
Ça ne m’étonne pas. C’est ce qui arrive aux touristes qui ne veulent pas qu’on les conseille. A Istanbul on ne drague pas une femme même si on est Alain Delon, mais il y a les Suédoises et les Allemandes à Edirne. Elles se baignent toutes à poil et se rôtissent sur le sable. Maintenant si vous êtes plus exigeant, les rues de Galata sont pleines d’éphèbes de rêve. C’est comme à Cadaqués mais le mark allemand vous ouvre tous les cœurs et tous les petits culs. Merci pour ces informations, mais je voulais baiser une femme velue. En plus le tchador m’excite comme une bête, ai-je affirmé au lointain fils d’Allah. »

J’ai relu ces passages que j’avais très vaguement en mémoire, ayant lu cette courte nouvelle le 4 mai 1998. Cette précision ne provient que de la note que j’ai apposée à la fin de mon exemplaire et où j’ai précisé : « Petit livre net, sec, vif et clair, comme un rapide coup de lame au travers de la gueule. » Une jolie petite histoire d’amour qui se termine en dérangeante « happy end ». Pas d’inquiétude, le « héros » de l’histoire s’en sort très bien :

« Emmène-moi d’ici… a-t-elle gémi contre ma poitrine.
Bien sûr, mon amour, lui ai-je murmuré à l’oreille avant de tirer sous son joli sein gauche, parce qu’il le fallait, parce que je l’aimais, mais je ne pouvais pas agir autrement pour mon dernier travail. J’était un tueur, et les professionnelles ne mélangent pas le travail et les sentiments.. »

Luis Sepúlveda, Journal d’un tueur sentimental

 

J’ai brulé tant de navires en pleine mer. Les reflets des flammes dans les eaux noires, de nuit, c’est quelque chose. Un beau spectacle plein de fièvres et de tragédies. Et je suis là aujourd’hui à tricher comme je peux pour, au travers de mes masques, parvenir à effleurer du bout des doigts, une parcelle de vérité sur l’âme humaine, à tracer ces lignes dans le train nocturne de ma désespérance, au milieu de mon îlot de livres.

- Le latin est mort, vive le latin ! de Wilfried Stroh
- La redécouverte de l’esprit de John R. Searle
- Georgiques de Virgile
- Les Métamorphoses d’Ovide
- La Perse antique de Philip Huyse
- Le Japon d’Edo de François et Mieko Macé
- Les Aztèques de Jacqueline de Durand-Forest
- Les Mayas de Claude-François Baudez
- Les Incas de César Itier
- Le faussaire et son double. Vie de Thomas Chatterton de Lucien d’Azay
- L’Humeur indocile de Judith Schlanger
- Les Grecs et la mer de Jean-Nicolas Corvisier

Autant me pendre tout de suite. Explorations solaires et kafkaïennes en perspectives. Si je trouve le temps de transformer mes butinages en lectures authentiques. Je fais ce que je peux, bordel ! Ma soif est insatiable mais elle a tendance à me submerger. Puis merde, ami lecteur, amie lectrice, je me saoule avec un mauvais vin serbe, coup de nostalgie oblige, alors ça ne m’aide pas à voir clair, ou peut-être que ça me fait tout voir avec une extrême clairvoyance. Allez savoir ! La réalité aussi me submerge, me voyant j’en viens à manquer de souffle, à manquer de mots. « Sang d’ours » est le nom du vin. MEDVEDA KRV.

 

« Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient. »

Rimbaud, Une saison en enfer

 

Et Rainer Maria Rilke dans Tendres impôts à la France :

« Reste tranquille, si soudain
l’Ange à ta table se décide ;
efface doucement les quelques rides
que fait la nappe sous ton pain.

Tu offriras ta rude nourriture
pour qu’il en goûte à son tour,
et qu’il soulève à sa lèvre pure
un simple verre de tous les jours.

Ingénuement, en ouvrier céleste,
il prête à tout une calme attention ;
il mange bien en imitant ton geste,
pour bien bâtir à ta maison. »

Le vin du Sud, même mauvais, apporte des stances muettes, véritables symphonies intérieures, qui me font sourire à l’ombre de ma main malgré la menaçante ténèbre.

«Le Sud, école de guérison.» Nietzsche

Mais au bout du compte, Baudelaire aussi : « Connais donc les jouissances d’une vie âpre, et prie, prie sans cesse. »

Pourtant, dans ces instants privilégiés, mes instants, je suis comme Montaigne dans sa tour, à me confronter à mes doutes, à me disséquer sur la page en un équarrissage pointu et bien plus précis qu’il n’y paraît. Une relecture rapide des mes notes passées sur ce modeste Blog me le confirme : j’en dis beaucoup même quand je semble ne pas en dire beaucoup. Je vais sous l’épiderme. Privilège crâneur d’écrivain.

C’est la nuit. Je suis en vacances.

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09/08/2009

Singularité quantique

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« Dieu n'est pas un "être", personnel ou non. Nietzsche savait que cette notion, pervertie par deux mille ans de platonisme et de rationalisme, n'était plus qu'une vapeur, une volute d'homme moderne. Les juifs, les chrétiens grecs des premiers temps, et même les musulmans (si l'on considère Allah comme la contraction du mot d'origine sémitique signifiant Dieu, Elohim, et l'article al), ont toujours dit "le Dieu", ils ne s'adressaient pas à Dieu, comme à une sorte d'être singulier, mais au Dieu, comme figure intemporelle et aspatiale de l'Unique, de l'Irreprésentable.

Dieu, c'est l'être. En tant que force toujours active et constamment créatrice, et surtout autocréatrice. C'est donc l'être comme fonction ontologique du devenir, et surtout des surpassements atemporels, quand le Temps tout entier devient unité de conscience, quantum de l'Esprit ainsi éveillé à Sa Présence.

Autant dire qu'Il est partout, et nulle part, ce qui revient au même pour une "singularité quantique" qui a tenté de créer un processus cosmobiologique capable de faire émerger la conscience, au sens noble, c'est-à-dire cet être, précisément, je ne parle pas d'un "Être" suprême et suprêmement rationnel - Sa Royauté trône bien au-delà de toutes ces conceptions vulgaires -, mais cet être comme moment de singularité quantique, à la fois destructrice et créatrice, surpassant la conscience, au coeur de ce petit organe encore bien rudimentaire qui tient lieu à certains d'entre nous de cerveau. » Le théâtre des opérations II, Laboratoire de catastrophe générale, Maurice G. Dantec

"Sa Royauté trône bien au-delà de toutes ces conceptions vulgaires." J'ai aussitôt envie d'ajouter : "Par-delà Bien et Mal !"

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"Le premier de la classe disparu, ne restent que les cancres."

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Les pauvres illuminés de La Question se déchaînent contre Nietzsche avec leur suffisance sûre d'elle-même.

Il leur faut leur dose de haineuses lourdeurs déversées sur Fredo les bacantes (comme l'appelle l'ami Restif) histoire de laver l'affront que le penseur a fait à leur semblant de religion sombre, poussiéreuse et doloriste. Ils opposent Heidegger à Nietzsche. Ou défendent Wagner contre le moustachu qu'ils considèrent comme un nihiliste. Nietzsche, nihiliste. C'est l'hôpital qui se fout de la charité.

Wagner, passées ses très belles introductions : LOURDEUR, NEVROSES, HYSTERIES, BRUME GERMANIQUE GRATUITE, paganisme christianisé pour le bonheur des croyants de peu de FOI. Je sais, je suis méchant, mais je le pense. Vive Mozart et Bach, définitivement.

 

 

 

Rimbaud : « Je suis un inventeur bien autrement méritant que tous ceux qui m'ont précédé ; un musicien même, qui ai trouvé quelque chose comme la clef de l'amour. »

« Les paroles essentielles sont des actions qui se produisent en ces instants décisifs où l'éclair d'une illumination splendide traverse la totalité du monde. » Martin Heidegger, "Shelling" (Semestre d'été 1936)

Dans un texte daté de 1974, sur le tard donc, Heidegger posait la question essentielle : « Entendons-nous avec suffisante clarté, dans le Dit de la poésie d'Arthur Rimbaud, ce qu'il a tu ? Et voyons-nous là, déjà, l'horizon où il est arrivé ? »

Mais on peut s'amuser. Oui oui oui. Trois fois "oui" comme la Trinité :

-- Rimbaud : « Ô le plus violent Paradis »

--Hölderlin :

« C'est cela qu'il nous faut comprendre
Tout d'abord. Car les noms depuis le Christ sont pareils
Au souffle du matin. Ils se font rêves. Ils tombent comme l'erreur
Sur notre coeur et tuent, s'il n'est personne
Pour scruter leur nature et les comprendre. »

-- Nietzsche : « Il nous faut être nous-mêmes, comme l'est Dieu, justes, gracieux, solaires envers toutes choses et les créer toujours nouvelles telles que nous les avons créées. »

-- Heidegger, enfin : « Que Dieu et le divin nous manquent, c'est là une absence. » Et le souabe poursuit comme un Kabbaliste juif, je ne blague pas : « Seulement l'absence n'est pas rien, elle est la présence -- qu'il faut précisément s'approprier d'abord -- de la plénitude cachée de ce qui a été et qui, ainsi rassemblé, est : du divin chez les grecs, chez les prophètes juifs, dans la prédication de Jésus. Ce "ne plus..." est en lui-même un "ne... pas encore", celui de la venue voilée de son être inépuisable »

Sollers, espiègle : « Car enfin, Dieu est-Il mort ? A demi vivant ? A naître ?
Et si ces trois questions n'en formaient qu'une ? »

A nouveau, Heidegger en 1946, au lendemain de la guerre, l'Allemagne n'est que champs de ruines, l'Allemagne et l'Europe : « C'est seulement dans le cercle plus vaste de ce qui est sauf, que peut apparaître le sacré. Parce qu'ils appréhendent la perdition en tant que telle, les poètes du genre de ces plus risquants sont en chemin vers la trace du sacré. Leur chant au-dessus de la terre sauve ; leur chant consacre l'intact de la sphère de l'être. » Voilà qui, personnellement, m'illumine plus que toutes les formalités théologiques chez Zak, Radek & co. Heidegger poursuit : « La détresse en tant que détresse nous montre la trace du salut. Le salut évoque le sacré. Le sacré relie le divin. Le divin approche le Dieu. Ceux qui risquent le plus appréhendent, dans l'absence de salut, l'être sans abri. Ils apportent aux mortels la trace des dieux enfuis dans l'opacité de la nuit du monde. »

Il y a une telle charge de Vérité dans cela, que je le répète pour le plaisir des intelligents et le malheur des imbéciles : « Ceux qui risquent le plus appréhendent, dans l'absence de salut, l'être sans abri. Ils apportent aux mortels la trace des dieux enfuis dans l'opacité de la nuit du monde. » Et Nietzsche a risqué beaucoup, bien plus, même, que Heidegger.

Il est curieux que Claudel après sa découverte des "Illuminations" de Rimbaud, dira avoir découvert l'innocence enfantine de Dieu.

L'innocence enfantine de Dieu ? Ainsi Hallâj, le mystique arabe, condamné à mort, fouetté, mis en charpie, crucifié puis décapité par les barbus de son temps pour "hérésie" qui eut ses extases charnelles, spirituelles et sémantiques : « Celui qui me convie, et qui ne peut passer pour me léser, m'a fait boire à la coupe dont Il but tel l'hôte traitant son convive. Puis, la coupe ayant circulé, il a fait apporter le cuir du supplice et le glaive. Ainsi advient de qui boit le vin, avec le Lion, en plein été. »

Ou lorsque Hallâj se promène avec l'un de ses disciples le long d'un mur derrière lequel une musique surgit. Le disciple demande : « Qu'est ce que ceci, Maître ? » en extase d'entendre la flûte délicate dériver et le rejoindre dans sa dérive. Et Hallâj lui répond : « C'est Satan qui pleure sur la beauté du monde. »

C'est un curieux cénacle, parallèle, unique et toujours recommencé qui se créé par-delà les clivages raciaux et culturels, pour embraser et embrasser des âmes qui disent l'essentielle ardeur qui va par-delà les retenues de rigueur chez les grenouilles et les crapauds de bénitiers. Ô misère, je crois que si Dieu est, il trouve déjà bien des bontés chez tous ces dépravés de la quête qui ont tous posé le doigt sur quelque chose de primordial qui les dépasse et les pousse loin devant, loin au-dessus.

Heidegger : « Seulement à partir de la vérité de l'être se laisse penser le déploiement du sacré. Seulement à partir du déploiement du sacré peut se penser le déploiement de la divinité. Seulement dans l'illumination du déploiement de la divinité peut être pensé et dit ce que la parole "Dieu" doit nommer. »

Et je finirais par Jean Cocteau : « Mille neuf cent est l'année terrible. Nietzsche meurt. Le premier de la classe disparu, ne restent que les cancres. »

 

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